《All ships, all ships, all ships ; From Sailing Vessel ''Paradise'', do you read me ? Over. 》
C'est mi-amusée, mi-désespérée que j'émétais chaque jour ou presque l'appel radio en mer, demandant sur les ondes internationales du Canal 16 s'il y avait des navires aux environs. Pas de réponse pendant un mois. Nous étions seuls au monde.
29 jours en mer, 2 600 miles nautiques, 4 800 kilomètres de navigation
Départ 28 Janvier, La Palma, Arrivée 25 Février, Guadeloupe.
Appréhension du départ, on se demande si on va être capables de le faire. Joie de toucher enfin la terre promise !
Ça a commencé fort, avec une surprise la veille du départ : le pilote automatique ne fonctionnait plus. Nous avons tout de même décidés de partir, n'ayant pas d'autre solution, sachant pertinemment que nous nous relayerons à la barre pour toute la traversée. Radical. Chacun barrait 6h par jour, sur des quarts de 1h le jour et de 2h la nuit. Il en a fallut du muscle, des courbatures, de la rigueur dans les horaires et des tensions pour garder le bon cap, malgré la houle, les coups de vents et les voiles qui faseyent !
Lorsque je barrais il m'arrivait parfois de ressentir une savant mélange entre le fait de flotter et voler. Se sentir poussée par les vagues et tirée par les voiles, surfant sur une belle houle était très agréable, comparé à l'éternel roulis de nous avons subi pendant toute notre vie en mer. Je m'y suis faite à la gîte constante du bateau. Durant les premiers jours, nous étions tous incapables de cuisiner, de fermer un oeil, de lire ou de s'assoir ne serait-ce que confortablement. Les affaires bringballaient et glissaient, s'entrechoquant dans un concert permanent, mais on s'y est habitué à la longue. Je roulais de ma couchette, et je me retrouvais par terre chaque nuit, ballotée de gauche à droite dans mon sommeil. Et puis, quand mon corps commençait à atteindre ses limites de fatigue, j'ai pu enfin apprendre à m'endormir même si dehors, le vent sifflait aux oreilles du barreur.
Le lendemain de notre départ, la girouette, nous indiquant la direction du vent, ne répond plus. Le surlendemain, l'anémomètre ne fonctionne plus. Le jour suivant notre GPS indiquant le tracé nous lâche. Puis le 4ème jour, c'est au tour de la grand voile qui s'affale. Il aura été impossible pour nous de la raccrocher en haut du mât pour les deux semaines qui suivirent, dû au mauvais temps et à la houle énorme que nous avons courageusement essuyé. Cette avarie majeure nous a retardé car sans cette voile principale, le navire ne marchait qu'à un régime de moitié et perdait sa stabilité originelle. Il a fallut grimper en tête de mât après de nombreux essais. Et jusqu'à la fin, nous n'avons pas pu naviguer toutes voiles dehors car un hauban soutenant le mât a cassé, pouvant arracher le toit du bateau à n'importe quel moment si nous mettions trop de voiles !
Chaque jour a été synonyme d'un nouveau disfonctionnement, je n'en sers pas ici la liste exhaustive - La traversée idéalisée par le monde de la croisière s'est révélée pour nous, une véritable épreuve océane. Chaque jour le capitaine constatait un problème nouveau sur son navire qui tombait en ruines, et ça n'aidait pas à amener la bonne humeur à bord. Le climat entre nous n'a cessé de se tendre car la navigation difficile était source de fatigue et frustrations. Nous étions tous bien contents d'arriver sur terre, et moi d'autant plus que j'ai pu expérimenter le fait d'être la seule femme à bord !
Je comparerai volontiers à un ermitage ce voyage long et isolé en terrain inconnu et hostile, dangeureux à chaque seconde mais époustouflant de puissance.
Une des expériences les plus étonnantes de cette transat' fut celle du temps et de l'espace. Je dépendais totallement de ma montre et du compas. La monotonie des jours et de l'horizon rendait toutes les journées comparables et l'on aurait pu tourner en rond, personne ne s'en saurait aperçu. À part l'écume sur la crête des vagues, quelques dauphins nous rendant visite, deux baleines, des poissons volants à foison et rarement un oiseau, nous n'avons pas vu signe de vie autour de nous.
La guerre des couchettes fût déclarée à bord : il n'y en avait que trois pour quatre personnes sachant qu'elles n'avaient pas de protections contre le roulis. Celui qui finissait son quart, prenait le lit de celui qui venait le relayer. Mais selon l'inclinaison du bateau et le cap tenu, certaines couchettes étaient plus agréables, donc prises d'assault et certains se levaient la nuit pour prendre la meilleure.
Le choix se faisait entre la chambre des Milles Saveurs, La vertigineuse ou la Tropicale.
J'aurai dormi un peu partout ces dernières semaines : dans la cuisine, Les Milles Saveurs du frigo et des ingrédients qui se renversaient, pimentaient notre nuit, sur le carré du salon, coincée sur le pont ou encore dans la cabine arrière, Tropicale, tellement humide que les murs moissisaient dû à la condensation. La plus trépidante était la Vertigineuse, c'était une couchette à deux étages, et seuls les plus aguéris tentaient d'y dormir.
En haute mer, notre bien le plus précieux était évidement l'eau douce. Tout se lavait à l'eau salée et notre consommation quotidienne était à respecter rigoureusement. Comme la navigation a pris plus de temps que prévu, nous étions prêts à nous rationner pour les derniers jours. Le nerf de cette traversée fut cependant la cuisine.
Pour ce qui est de la pitance, notre cocotte minute, achetée au dernier moment avant de partir, nous a grandement aidée lorsque la houle rendait dangeureuse toute manoeuvre dans la cuisine. J'ai réussi à convaincre les trois hommes à bord que cette cocotte nous faciliterai la tâche en mer. Mais cuisiner n'était tout de même pas simple : on tombait, se bousculait et renversait plus de choses que ce qui finalement arrivait dans nos assiettes.
Pendant les deux derniers mois, nous avions constemment la traine à l'arrière du bateau, et nous n'avons pêché que deux poissons, et le même jour en plus ! C'était des dorades mais à la vue de notre ignorance sur la toxicité du poisson, personne n'en a mangé. La rareté de la vie sous marine m'a profondément marquée.
La temperature de l'océan se réchauffait chaque jour, c'était la preuve que nous avançions dans le bon sens !
Notre météo a été mauvaise dès le début : vagues déferlantes, murs d'eau silencieux et vents forts du Nord-Est. De manière générale, les Alizés, vents constants dans l'Atlantique, soufflent d'Est en Ouest. Ce sont des vents froids attirés par la dépression équatoriale, ils créent donc une grande tendance océanique. Mais depuis quelques années, ces vents se perturbent, les courants marins s'affaiblissent et le dérèglement climatique se fait grandement ressentir au détriment des voileuxet des croisières !
Par gros temps l'equipement était fastidieux, je mettais presque 10mn à me préparer pour affronter l'écume. En relisant mon carnet de bord, je vois qu'au sixième jour de mer j'écris 《Maintenant je vis quasiment qu'en bottes; le pont est trempé en permanence et tout est humide...que c'est long!》
Un bout de chanson qui nous a accompagné tout du long : "Ils viennent du bout du monde, apportant avec eux, Des idées vagabondes et un bout de ciel bleu..." Emmenez moi d'Aznavour.