Et boum, arrivée à la Havane. Tout nous paraît grand, propre et construit. On se sent tout de suite à l'aise dans ces grandes rues bordées de maisons à l'architecture inqualifiable et ponctuée de parcs aux arbres imposants. De l'air, enfin ! ça respire la tranquillité! Ce qui nous change de l'atmosphère électrique et surchargée des autres villes des caraïbes. Les styles se mélangent, néo-classique, victorien... mais souvent ces façades aux colonnes majestueuses ne cachent que des ruines. L'Etat donne à chaque famille une maison mais les restaurations coûtent cher, pas envisageables pour une partie de la population qui vit donc dans des espaces délabrés. On reste scotchées devant les voitures, aux milles couleurs et aux formes plus que "vintage", toutes semblent sortir des années 50. Ici, la culture tient une place importante, promue par l'Etat. L'éducation est gratuite et l'on trouve de nombreux musées et lieux culturels.
On retrouve avec joie Jonathan un ami voyageur rencontré en Guadeloupe et concurrent direct dans la course aux bateaux pour rejoindre Cuba. Il a gagné, évidemment, et partage avec nous toutes ses connaissances acquises au cours des trois semaines qu'il a passé à Cuba avant notre arrivée. Il nous présente aussi ses amis cubains dont la compagnie nous enchantera. Ces locaux partagent avec nous leur vie de tous les jours: préoccupations quotidiennes comme grandes réflections politiques. Par exemple, ici certains produits essentiels sont parfois temporairement totalement absents du marché, comme le papier toilette, introuvable pendant un mois. Le simple fait de chercher une ampoule ou des oeufs se transforme en véritable mission. On appelle cela "résoudre". On ne dit pas acheter de la farine ou de la levure mais résoudre des oeufs, car la tâche prendra sans doute une journée de marathon dans la ville. Et cela pour des choses essentielles: clou, ventilateur, matelas... Certains autres produits comme les graines (à planter), ou une scie, sont juste absents du marché. Ils nous expliquent aussi comment marchent les transports : "Vous vous mettez sur le bord de l'autoroute et vous arrêtez le premier truc qui passe" Cela nous amène à monter dans des transports pour le moins incongrus: bus, camion aménagé, taxis collectifs (à 8 dans la vieille voiture) ou charette à l'ancienne.
(Olivia) Au cours du voyage à Cuba, j'aurai essayé différents types de stop, dont la voiture de police qui m'amène à 6h du matin au commisariat, après m'avoir fait lever le camps d'où j'avais planté ma tente. J'étais pas très fute-fute lorsque la veille, exténuée et aux portes de la grande ville d'Holguin, j'ai posé mon campement devant une entreprise de produits laitiers. Les employés se relayant la nuit pour faire tourner l'usine avaient dû me dévisager comme une folle tombée du ciel. Bref, au moins, je n'ai pas payé le trajet jusqu'en centre ville !
Pour la première fois dans les caraïbes on se lie rapidement d'amitié avec des locaux. On se retrouve dans leur amour de la bonne cuisine, de la nature, des gestes simples, une nuit passée à manger, discuter et jouer aux cartes.. On est aussi séduites par la tranquillité avec laquelle ils prennent la vie, les choses se règlent une à une, au jour le jour. Pourtant leur vie n'est pas dorée, l'Etat exerce un grand contrôle sur la population: interdit d'héberger un étranger dans sa maison, de tuer une vache sous peine de 25 ans de prison, de monter sur un bateau ne serait-ce que pour une heure, et plus que difficile d'obtenir des visas pour quitter le pays. Les affiches de propagande politique remplacent les publicités dans la rue et certains salaires sont incroyablement bas, 20c.u.c/$ par mois (environ 18€), le prix d'une nuit en gîte. Les différentes crises qu'ont connu les cubains les poussent à apprécier les choses simples. À vivre le moment présent. Aussi quand un jour au moment de servir on demande si Untel veut de tout dans son assiette, on nous répond, étonné par la question "Évidemment, si c'est possible" à Cuba on ne peut pas être difficile! Une impression grandit, celle que l'aspect communiste du régime politique influence leur façon de fonctionner : on discerne chez nos amis une grande écoute des autres, chacun a sa place de façon égale, peu importe l'âge, la nationalité ou l'expérience. Chaque cigarette allumée est partagée, et on divise jusqu'aux dernières bouchées des plats. Ces amis nous emmènent une semaine dans une petite ferme perdue dans les montagnes cubaines. Cela fait trois ans qu'ils ont fait l'acquisition de cette propriété de 30 hectares, avec une petite maison en bois et d'un boïo (construction 100% végétale, avec le toit en palme, qui servira de cuisine). La plus grande partie du terrain est sauvage, jungle de lianes et d'arbres fruitiers, avec une petite plantation de café qu'ils entretiennent, récoltent, torrifient et vendent à la Havane. L'eau courante vient de la rivière, l'électricité d'un petit panneau solaire et la cuisine se fait au feu de bois. Leur projet est de monter une petite ferme autosuffisante, biologique, avec un maximum de permaculture, dans le respect de la terre et des plantes. Le tout est encore en construction et nous les aidons, un jour à construire un chemin de pierre, l'autre à faire une façade de bois, l'autre encore à tresser des lianes qui serviront à construire un pont pour traverser la rivière, même en temps de crue et d'accéder à la ferme. Pour nous c'est un petit bout de paradis ! Tout nous y convient: pour les fruits ? Il suffit de sortir et de le cueillir directement à l'arbre. La nourriture ? Parfaite, un mélange de riz, haricots noir cuisinés, des légumes et une banane, on boit le café de la ferme 6 fois par jour. Le paysage ? Plus que magnifique, la nature verte, forte et variée. Aucune trace d'action humaine. Les fermes avoisinantes sont reliées par des petits sentiers ou les Caballeros se déplacent à cheval; la première route est à 7 kilomètres.
Dans tous les lieux que nous aurons visité les paysages de la campagne cubaine nous aurons époustouflé; une terre rouge, de la végétation opulente, des roches nues et escarpées, des champs de tabac, maïs et café...
Nous avons le sentiment que notre séjour à Cuba nous aura gonflées à bloc, les partages ont été riches et intenses, c'est fou comme les relations humaines peuvent nous épanouir, à quel point la générosité nous touche, nous remplit de gratitude, et illumine notre rapport à la vie.
Olivia reste encore une semaine de plus à Cuba et elle note dans son carnet 《 J'ai reçu beaucoup durant ce voyage à Cuba. Entre un verre de jus, des fruits, des locaux m'offrant le trajet de bus ou un café sur la plage par les pêcheurs au petit matin, j'ai été choyée. Et lorsque que je demandais quelle en était la raison, ils me répondaient que la solidarité et l'entraide font partie de leur façon de vivre. De la même façon, j'ai été souvent accompagnée, car ici le fait d'être seule n'est pas compris. Pour passer des bons moments, les cubains se doivent d'être entourés, en groupe ou entre amis. J'attrape un camion pour aller en province, il tombera trois fois en panne sur la route, ça n'a l'air d'affecter personne. Tout le monde se couvre car l'air frais de la nuit et les gouttent de pluie passent à travers les fenêtres qui ne ferment pas.
Sitôt arrivée à Guantànamo, je me rend compte que je n'ai plus mon sac de couchage, il me manque des affaires. Ni une, ni deux, j'enfourche une mobylette et le chauffeur part à toute berzingue dans la ville "Vous n'avez pas vu un camion passer ?" "Un gros camion comme ça!" "Oyé toi, tu sais où habite le chauffeur du camion qui vient de la Havane ?" "Tu connais son cousin? Ahh, on peut l'appeller alors?" Et là, j'aperçois la carcasse orange bringballante dans laquelle j'avais passé 15h pour tuer les 940 kms qui nous séparaient de la capitale. Le chauffeur me rend mes affaires et me paye le transport pour continuer mon chemin vers Baracoa. Je me rend compte qu'avec ma mentalité d'occidentale j'ai pensé qu'on m'avait volée. Mais ici, il y a comme une sorte de respect des autres, veiller à son prochain, être aimable et honnête. De même, il n'y a pas de ceintures dans les transports, c'est une façon de montrer sa confiance au chauffeur me dit-on. Un homme tombe devant nous ? Nous nous arrêtons directement, l'emportons à l'hôpital et faisons toutes les démarches avec lui... Cette générosité désintéréssée me boulverse. Ce que je découvre est intriguant. D'un côté, je n'ai jamais rencontré d'hommes plus courtois : dans les transports, pour manger ou porter un sac cela va de soi, c'est même plus qu'une habitude. Mais d'un autre côté, il y a un culte de l'homme fort, le Macho, qui sera servi en plus grandes quantités, qui est responsable et vénéré.
À Baracoa, ville dont la seule route d'accès terrestre est récente, j'ai l'impression de faire tâche car il n'y a pas un chat, pas un blanc, pas un touriste. La ville respire lentement, au rythme des siestes, des éventails qui remuent l'air chaud et de l'ombre des maisons sur les trottoires de la vieille ville. C'est là bas que je verrai un petit crocodile d'une trentaine de centimètres se faufiller entre mes jambes lorsque je me baigne. 《Eh oui, faut bien partager les bons plans avec tout le monde》 me dis-je même si cette nuit là, je ne serai pas rassurée de dormir seule en tente sur la berge, ne sachant pas si les parents crocodiles vivaient aussi dans les environs...
Les cubains sont très portés sur la bonne apparence. Rasés de près, les hommes prennent soin d'eux, et les barbes et cheveux longs sont inexistants! Je comprends que le poil est un ennemi national : dès la plus jeune adolescence, les femmes s'épilent et pendant le voyage, je n'en ai pas aperçu un, alors qu'on me regardait avec insistance.
Je ressens la grandeur du problème de l'émmigration. C'est le premier sujet abordé tant soi avec nos amis qu'avec les locaux me prennant en stop. Sortir du territoire est un rêve pour beaucoup mais le labeur bureaucratique et les sommes pharaoniques demandées sont tout simplement impossibles à réunir. Les nombreux fonctionnaires gagnent un salaire mensuel équivalent à 20 €. Pour obyenir un visa touriste pour la France pour 15 jours, il faut réunir 3 000 Euros. Abbération ? Protection ? Même les possibilitées de se déplacer à l'intérieur du pays sont au dessus de leurs moyens. Par contre, aucun ne meurt de faim et il n'existe pas de sans-abris. L'état offre à tous les citoyens une maison et un carnet de rationnement avec les produits de base pour la famille. De nombreuses personnes vivent donc (modestement mais) aux frais de l'État sans travailler de leur vie. Dans un pays si spécial il faut avoir plusieurs cordes à son arc si on veut s'en sortir tous les jours. Travailler en free-lance dans divers domaines pour pouvoir répondre à la demande du moment fait partie du quotidien de la "génération débrouille" née dans les années 90'.
Sans facilités d'accès à internet, les gens se retrouvent chaque jour pour discuter, autour d'un 'cafécito'. On argumente, on débat, on hausse la voix très vite pour imposer son avis, les conversations accélèrent : on est à Cuba. Mes amis me parlent beaucoup du choc des générations car entre celle de leurs parents, la leur et celle qui arrive, les changements sont radicaux. Les premiers ont connu le communisme avec ses avantages amenant les idéaux d'une nouvelle société. La génération des 90' a vécu les années spéciales, de restrictions et de grands manques. Le genre d'années où certains étaient prêts à manger des serpillères marinée dans du jus de citron pour calmer leur faim. Ils en tirent une force incroyable dans leur créativité de solutions avec les moyens du bord et l'utilisation de leur intelligence : je les appellerai volontiers la 'génération débrouille'.
Ils se préoccupent des jeunes d'aujourd'hui, nés avec l'aisance financière qui n'existait pas avant, grandissant avec la technologie qui semble les abrutir.
Question d'abrutissement, ce ne sont pas les publicités (inexistantes) qui enkylosent la pensée mais bien les affiches et peintures gigantesques de propagande qui bordent le long des routes. Les "Vive Fidel" et autres exemples d'héroïsme national décorent chaque coin de rue, même dans les villages de terre battue. Il reste des relents de communisme mais les jeunes désillusionnés, n'y croient plus et veulent un nouveau modèle.
Et ce qui est sûr, c'est qu'on y reviendra, à Cuba !