06 - 09 janvier
1750 km et plus de 30h de route plus tard, nous atteignons les rives du Gange où se déploie l'une des plus anciennes villes du monde : Varanasi, le coeur palpitant de l'hindouisme.
Point de rencontre pour les croyants du monde spirituel et du monde physique, Varanasi est le plus grand lieu sacré de l'hindouisme, l'équivalent de la Mecque pour les musulmans ou du Vatican pour les catholiques.
Dans le vieux quartier du Chowk, nous retrouvons les ruelles sombres, étroites, colorées et décrépites typiques des agglomérations indiennes, auxquelles nous sommes à présent habitués. Mais il flotte ici un je-ne-sais-quoi difficile à définir, une ambiance à nulle autre pareille...
Est-ce cette architecture hétéroclite où les palais défraichis et abandonnés côtoient les constructions de briques et de broc ?...
La beauté romantique d'un temple prisonnier des sables... ou encore ces scènes de pêche hors du temps ?
C'est en tous cas au bord du Gange, en arpentant les marches des 88 ghats qui suivent la courbe du fleuve sur plusieurs kilomètres, que l'on peut ressentir et toucher ce qui rend Varanasi si unique... Il faut pour cela se laisser happer par l'activité palpitante qui y règne, car Varanasi ne se visite pas, elle se vit.
On déambule au milieu de la foule dans l'effervescence d'un folklore local coloré, sonore et olfactif : charmeurs de serpents, enfants aux pieds nus tantôt jouant tantôt mendiant, hommes peinturlurés venus suivre l'enseignement de leurs gourous, le tout entouré de montagnes de déchets d'offrandes, au son des cloches, tambours, rumeurs des sutras et autres mantras.
Dans ces flots humains, quelle surprise de croiser Morgane, une québécoise rencontrée lors de notre retraite de méditation bouddhiste ; le monde est vraiment tout petit ! Nos fronts n'échappent pas à la bénédiction d'un sage !
Ces kilomètres d'escaliers de granit sont avant tout un lieu de vie qui semble ne jamais se reposer et où les petits métiers de toutes sortes affluent. Dès les premières lueurs du jour, de jeunes charpentiers s'attellent à la construction et à la réparation des embarcations, au milieu des vendeurs à la sauvette, masseurs, nettoyeurs d'oreilles, astrologues, barbiers, étals d'offrandes et de bondieuseries ...
C'est aussi ici que l'on fait la lessive de son linge, mais aussi des draps, taies d'oreillers et serviettes d'hôtels, étendus à même les marches... là on tique un peu quand même !
Car le Gange, fleuve certes le plus sacré de l'Inde, est loin d'être "pur", hygiéniquement parlant ... Ses eaux foisonnent de bactéries (cadavres mal incinérés, excréments non traités) et de produits chimiques (engrais, déchets industriels). Depuis 40 ans, les plans de dépollution se succèdent, en vain. L'argent est détourné, les stations d'épuration non entretenues, les WC inutilisés ; ajoutons à cela l'explosion démographique : la situation est toujours aussi alarmante...
Pourtant, cela ne semble déranger personne : outre que d'y faire sa toilette et sa lessive, plus de 60 000 pèlerins viennent y effectuer chaque jour leurs ablutions rituelles pour laver leur âme de toutes les fautes accumulées au cours de leurs précédentes incarnations. Pour atteindre cet état de pureté tant convoité : se baigner en 5 endroits différents du Gange en prononçant le mantra sacré, s'immerger complètement 3 fois de suite et boire une gorgée de cette eau...
Vu sous cet angle, ça parait si simple de se libérer de sa charge karmique ! Mais étant donné l'état du fleuve, aussi sacré qu'il puisse être, nous n'avons pas tenté de troquer nos péchés contre un staphylocoque doré, préférant de loin le spectacle des familles venues faire leurs pujas pour honorer les dieux : bains, chants, offrandes de fleurs et de bougies de ghee flottantes.
Mais ces rives sont aussi la scène d'un théâtre plus macabre, celui des crémations dont on voit s'élever les fumées nuit et jour. On estime que 200 à 300 corps y sont incinérés quotidiennement, et les hindous viennent de loin pour s'éteindre ici, car selon leurs croyances, toute personne qui meure à Varanasi se libère enfin du samsara (cycle des réincarnations) et atteint le moksha, l'équivalent du nirvana pour les bouddhistes.
Après avoir été enduit de divers onguents, le corps du défunt est emmailloté dans un linceul, recouvert de fleurs et hissé sur un brancard. La procession se rend jusqu'au bord du Gange où le corps est aspergé d'eau pour le bénir avant d'être transporté au bûcher pour être purifié par le feu. Il faut entre six et neuf heures pour que le corps devienne cendres. C'est à ce moment-là, selon la tradition hindouiste, que l’âme quitte l'enveloppe charnelle pour s'élever vers un niveau vibratoire supérieur. Les cendres et les restes d'os sont recueillis puis jetés dans le fleuve.
En haut du ghât de crémation se trouve la flamme éternelle qui nourrit tous les bûchers depuis plus de 3500 ans ! Car les crémations ne s'arrêtent jamais dans la ville sainte, que certains indiens surnomment Maha Shmashan Puri : "le feu qui ne s'arrête jamais". J'avoue qu'enveloppée de ces fumées à l'odeur lourde s'élevant des brasiers, une forte émotion m'envahit et je garde de cette expérience une grande leçon de vie.
Scène d'une Inde hors du temps, les bûchers de Varanasi représentent cependant un travail éreintant pour la communauté des Doms (caste des intouchables) qui en a la responsabilité. Déplacement des corps, puis des cendres, entretient des bûchers, la mort est leur unique moyen de subsistance.
Et oui en Inde, même dans la mort, il est encore question de caste : les intouchables brûles sur la rive du fleuve, et les brahmanes sur les terrasses qui le surplombent avec même le luxe de quelques bûches de bois de santal. Mais certaines personnes venues mourir ici n'ont pas assez d'argent pour payer les 360 kilos de bois nécessaires à leur crémation et doivent s'en remettre à la charité ...
Tous venus s'éteindre à Varanasi dans l'espoir de se libérer du cycle de la renaissance et de voir leur âme s'élever au delà, Sadhous, sages, vieillards et mendiants se retrouvent ici en une cour des miracles colorée où la grandeur spirituelle se marie à la misère, l'illumination au renoncement.
À Varanasi plus qu'ailleurs, la vie côtoie tout naturellement la mort, dans une forme de sérénité...
C'est une bonne chose à mon sens d'avoir fait connaissance avec cette incroyable ville après 3 mois passés en Inde (et 16 sur les routes) car j'imagine quel choc émotionnel ce peut être en débarquant ici après tout juste 12h d'avion depuis l'Europe ! Quoi qu'il en soit, on ne peut repartir indemne de cette ville sainte où l'essence même de la culture et de la religion indienne nous envahi intérieurement.
Varanasi est une invitation à laisser notre âme vaquer à la contemplation et s'immerger d'un sentiment d'éternité...