Février-Mars 2024
Katmandou … Katmandou …
Depuis mes 15 ans, ce nom m’a toujours fait rêver… D’abord à la lecture des Chemins de Katmandou de Barjavel, plus tard, du récit de voyage de Charles Duchaussois, Flash ou le Grand Voyage, beaucoup plus trash… Les sons seventies des vinyles de mon père et de ma mère avaient cette subtile saveur psychédélique à laquelle j’associais oniriquement cette ville au nom exotique et doux : Katmandou…
L’aventure de ces hippies quittant l’Europe – la plupart en stop, quelques uns en van – pour rejoindre la cité mystique et ouvrir les portes de leur perception me fascinait. J’éprouvais même une certaine frustration d’être née trop tard ! Bref, notre arrivée à Katmandou résonne en moi comme un pèlerinage, tel un présent offert à cette adolescente rêveuse et un tantinet rebelle que je fus.
Plus de 60 ans se sont écoulés depuis que la vague hippie chevelue et enfumée a déferlé sur la ville. Le Katmandou dans lequel nous pénétrons a probablement bien changé de visage depuis. Si elle a su garder sa ferveur et ses traditions, c'est aussi une cité très vivante, aussi chaotique et anarchique qu’accueillante et fascinante.
Fondée au Xe siècle, elle demeure la capitale politique et religieuse du pays ; avec ses 1,5 millions d’habitants, c’est la ville la plus peuplée du Népal. Trouver où poser paisiblement (et gratuitement) nos pénates le temps de réaliser nos démarches administratives (obtenir nos prochains visas pour l'Inde) et visiter la ville n’est pas une mince affaire. C’est finalement perchés sur une colline, au pied du temple de Swayambunath que nous élisons domicile.
Swayambhunath
Du haut de sa colline, Swayambhunath est considéré comme l’un des premiers sanctuaires bouddhistes au monde, c’est aussi le plus ancien des stupas de la vallée de Katmandou.
Dans le symbolisme bouddhiste, le dôme blanc formant la base du stupa représente le monde et les treize anneaux qui constituent le pinacle de l'édifice marquent les treize étapes de réalisations spirituelles que les êtres sensibles doivent passer pour atteindre l'illumination. Les grandes paires d'yeux mi-clos peintes sur chacun des quatre côtés du stupa représentent la sagesse et la compassion, ce sont les Yeux de Bouddha, aussi appelés Yeux de Sagesse.
Chaque jour, de l'aurore jusqu'au soir, des centaines de pèlerins s’y rendent, empruntant le gigantesque escalier partant du pied de la colline. 365 marches plus haut, c'est essoufflés, mais émerveillés que l'on arrive au sommet, embrassant l'ensemble de la ville et de la vallée.
Accompagnés par les chants et la musique sacrée des fidèles, on se joint aux déambulations autour du stupa (attention, toujours dans le sens des aiguilles d'une montre !). Ici et là, on remarque la présence de temples et de divinités hindous incorporés dans ce site bouddhiste : un beau témoignage de l'harmonie religieuse existant depuis des siècles au Népal.
L’autre nom de ce sanctuaire est Monkey Temple, on comprend rapidement pourquoi : une grande colonie de singes vit sur cette colline, ils sont absolument partout. Nous ne nous lassons pas de les observer dans leurs jeux, leur vie quotidienne et leurs interactions. Habitués à la présence humaine, ils ne sont pas agressifs et même plutôt sociables. Notre pare-brise devient un toboggan rigolo, et certains d'entre eux sont heureux de grignoter chaque jour nos épluchures et quelques biscuits au creux de notre main !
Durbar Square
Cette place est le cœur historique et religieux de Katmandou. Son nom, Durbar Square (place royale en anglais), correspond à la zone des anciens palais royaux du Népal. Car avant l'unification du pays au XVIIIe siècle, le Népal était constitué de petits royaumes indépendants dont les places Durbar sont les vestiges. On compte trois Durbar Square dans la vallée de Katmandou, appartenant aux trois royaumes Newar qui s'y trouvaient avant l'unification : à Katmandou, Patan et Bhaktapur (on vous fera découvrir les deux derniers dans les prochains articles). Ces sites ont subi des dommages importants lors du tremblement de terre dévastateur de 2015, mais la plupart des structures subsistent ou ont été reconstruites.
Durbar Square est bien plus qu'un lieu historique et touristique : il reste encore aujourd'hui le centre névralgique de la capitale où hommes, femmes et enfants se retrouvent quotidiennement sur les marches des lieux de cultes et à l'ombre des arbres sacrés centenaires.
Taleju Temple
Construit en 1564, c'est le plus beau et l'un des plus anciens temples du site. Derrière sa porte d'entrée ornée de décorations en terre cuite et gardée par deux lions, se cache un temple de trois étages de toits de cuivre s'élevant à plus de 36 mètres. Malheureusement, il ne se visite pas, seul les népalais peuvent pénétrer dans le sanctuaire principal une fois par an. On peut néanmoins l'admirer dans son ensemble depuis le toit-terrasse d'un petit café juste en face !
Le Palais Hanuman Dhoka
Datant du XIVe siècle, cet édifice complexe, à la fois religieux, politique et administratif, est composé de plusieurs ailes comprenant chacune une dizaine de cours intérieures. Il fut grandement abîmé lors du tremblement de terre et nous ne pouvons en visiter qu'une partie.
Néanmoins, c'est le nez en l'air que nous parcourons ses coursives, émerveillés par la délicatesse de l'architecture Newari. Nous sommes fascinés par la richesse des motifs sculptés sur les portes et les fenêtres, le tout assemblé sans clou ni colle !
Kumari Ghar, ou la prison dorée d'une petite fille...
Dans cette maison du XVIIIe siècle gardée par deux lions colorés, habite la Kumari : une jeune fille considérée comme l'incarnation de la déesse hindoue Durga, aussi nommée Taleju Bhawani, tueuse de démons. Il existe environ 11 Kumaris à travers le Népal, mais la Kumari Devi (déesse royale) à Katmandou est la plus importante.
L'origine de cette vénération remonte au XVIIIe siècle sous le règne du dernier roi népalais : Jayaprakash. Ce dernier avait l'habitude de rejoindre chaque soir cette déesse hindou pour jouer aux dés tout en discutant de questions politiques et lui demander conseil. Mais une nuit, la reine, méfiante et jalouse, le suivit dans l'espoir de dévoiler son infidélité. Au lieu de cela, elle ne réussi qu'à irriter la déesse qui s'enfuit à tout jamais. Elle réapparu au roi dans un rêve, pour lui confier que s'il voulait un jour la revoir, il devait chercher sa réincarnation dans une petite fille. Le roi établit pour cela une liste de 32 critères et partit à sa recherche ; la jeune fille possédant toutes ces qualités serait dès lors considérée comme réincarnation de la déesse.
Ainsi, depuis le XVIIIe siècle, un groupe de moines hindous étudie toutes les petites filles de 3 à 5 ans éligibles et détermine celle qui pourra incarner la déesse. Parmi ces critères, elle doit appartenir à une caste précise, être pourvue d'un corps sans défaut, avoir un horoscope compatible à celui du roi, les même cils qu'une vache, les cuisses d'un cerf, une voix douce et claire, etc. Elle doit aussi réussir une série d’épreuves comme rester calme dans une pièce sombre entourée de têtes de buffles décapités.
Après avoir rejoint sa nouvelle maison (prison), la fillette n’a le droit d'en sortir que pour les cérémonies officielles, mais toujours portée car il lui est interdit de poser le pied à terre. Quelques évolutions des conditions de vie des Kumaris sont apparues ces dernières décennies : le droit de marcher au sein de sa maison (mais uniquement lorsqu’elle est seule), ses parents déménagent avec elle au Kumari Ghar (il lui était avant interdit de revoir sa famille), le droit d'avoir quelques amis (choisis parmi ceux de sa caste) et l'accès à l'éducation (par le passé, elle restait analphabète).
La Kumari incarne la déesse jusqu’à ses premières règles, mais dès que survient la première goutte de sang, l'esprit de Tulaju sort de son corps et elle redevient une enfant "normale". Elle quitte alors le palais dans lequel on l'a enfermée depuis près de 10 ans et doit affronter le monde extérieur dont elle n'a aucune idée. Le changement est brusque et sans accompagnement. S'intégrer à la société est alors extrêmement difficile pour une enfant que tout le monde a traité comme une déesse depuis ses 4 ans. Elle a souvent des problèmes pour se déplacer car ses jambes n’ont que très peu servies. Pour couronner le tout, elle reste la plupart du temps célibataire car une légende prédit que quiconque épouse une Kumari mourra l'année qui suit... Pauvres petites filles...
Bon, quittons ces pauvres petites Kumaris, et retournons nous promener dans les rues de Katmandou.
De Durbar Square au quartier touristique de Thamel, en passant par les bazars d'Indra Chowk et d’Asan Tole, les conducteurs de rickshaws à pédale bavardent ou piquent un petit somme en attendant le client. Un peu trop post-colonialiste à notre goût, nous préférons marcher, c’est si bon de se perdre dans les ruelles et d’y dénicher des trésors cachés !
Des minis « épiceries-fenêtres » ouvertes sur la rue aux étals de fruits et légumes sur les trottoirs ; des bijouteries de pacotille clinquante aux boutiques d’artisanat d’art de belle facture ; des fringues néo-hippies de soie bariolée aux (belles) contrefaçons North Face ... À Katmandou, on trouve de tout : cachemire, papier népalais, tissus multicolores, objets de culte, mandalas et thangkas (peintures), instruments de musique, masques de bois, bronzes, cuivres, et j’en passe…
Et au milieu de ce joyeux capharnaüm urbain, le mysticisme est partout présent : petits temples à chaque coin de rue et cachés en arrières cours, stupas trônant au centre des places, offrandes d’encens et de fleurs dans les moindres recoins des ruelles, fidèles récitant mantras et sutras et faisant retentir gongs et clochettes...
À l'écart de l’effervescence des monuments historiques et des zones touristiques, on adore se perdre dans les quartiers plus populaires, arpenter l'incroyable réseau de ruelles tortueuses et capturer en image ces tranches de vie colorées...
Lors de nos déambulations urbaines, ce qui nous a fasciné par dessus tout, ce sont tous les commerces ouverts sur la rue, dont les devantures et les intérieurs sont comme autant de petites scènes du théâtre de la vie quotidienne.
Passer du temps dans une grande ville, qui plus est une capitale, n'est pas ce que nous préférons dans le voyage. De plus, on nous avait dépeint Katmandou comme une ville bruyante et irrespirable remplie de smog, un agglomérat de briques et de béton où pas un seul arbre ne pousse. Encore une fois, laissons de côté les on-dit.
Comparée aux grandes villes indiennes, Katmandou est bien plus douce, moins sale et bien moins misérable. Les Népalais de la capitale sont tout aussi agréables, polis et souriants que dans le reste du pays, et nous sommes toujours accueillis avec un sourire chaleureux accompagné d'un Namaste, les mains jointes en position de prière et de respect.
La beauté est partout présente : des monuments historiques aux devantures des magasins et des étals éclatants de couleurs ; des hommes portant les chapeaux topi à motifs de Dhaka, aux femmes en sari ou en kurta et parées de bijoux traditionnels ; des volutes d'encens émanant des temples aux effluves épicées des gargotes populaires ; moulins à prières, cloches et gongs ; pigeons, singes, vaches et chèvres...
Katmandou est un labyrinthe sensoriel chargé d'une richesse humaine sans pareille, qui chaque jour n'a cessé de nous émerveiller.