La pluie de 1 000 ans
5 aout 2022, Death Valley est ravagée par des crues exceptionnelles. C 'est a dire 3,7 cm d'eau tombe en quelques heures sur Furnace Creek - le site le plus chaud et aride de l'Amérique du Nord - Il pleut en moyenne 5,6 cm dans l'année. Une année de pluie en trois heures. Une pluie de 1 000 ans, 0,1 pour cent de chance qu'elle tombe. Les Rangers ne l'avaient pas vu arriver malgré toutes les satellites. La Valley est fermée, les routes submergées, les débris jonchent le sol. Le Désert joyau est dévasté en quelques heures. Il faudra du temps pour réparer les routes.
Je bénie encore la chance d'avoir revue cette Valley, avant cette pluie aberrante. Car à mes yeux, l'Ouest américain est ciel sans étoile, sans Death Valley.
«Death Valley est le lieu de tous les extrêmes, souligne sur Instagram le directeur du parc Mike Reynolds. L'inondation de cette semaine en est un exemple. Avec les modèles de changement climatique qui prédisent des tempêtes plus fréquentes et plus intenses, c'est un endroit où vous pouvez voir le changement climatique en action !»
Valle del Amor
Un nom tragique, une mal nommée. Enigmatique Vallée de la Mort. Je la rebaptise Vallée des Couleurs, et dans la belle langue espagnole Valle del Amor.
La ruée vers l’or de 1849, les fameux «quarante neuvième», au temps où les prospecteurs font fortune, et la petite ville portuaire indienne Yueno Buena ne s’appelait pas encore San Francisco, une poignée de mormons se dirigent vers l’océan. Ils espèrent trouver un raccourci qui les mènera à l’Eldorado, la Californie. L’expédition s’engouffre dans la Valley, mais ne trouve nul passage. Les neiges hivernales tombées sur la Sierra Nevada les emprisonnent. Pour survire, ils brûlent leurs chariots, tuent et mangent leurs bœufs. Enfin, ils trouvent le passage du col Wingate Pass. Seul, un vieillard malade succomba au froid, à la faim, peut-être au désespoir. « Quittons à tout jamais cette foutue Vallée de la Mort !» s’exclame le leader du groupe, et la Valley fut baptisée.
Elle se visite en bus, en voiture, en vélo en parcourant une route de béton, noire et lisse, sur des dust road en 4X4. Je n’ai croisé aucun zombie errant dans les canyons pierreux, ni de cranes blanchis abandonnés le long des chemins. Elle est et restera mon vertigineux coup de foudre.
Désert baroque incrusté dans le nord du grand désert Mojave. La Valley est un microcosme de vie, végétale, animale, humaine, minérale. Les vents violents hurlent et les dunes de sable d’or murmurent. des roches joyaux s’illuminent, craquent et s’effondrent doucement. De très rares pumas et mouflons du désert trouvent leur ultime refuge dans les sierras, les somptueuses montagnes. L’Amargosa la mauvaise eau, est rare et saline. Certains printemps, les fleurs parfumées s’éveillent de leur long sommeil. Elles invitent papillons et abeilles, et pour quelques heures, quelques jours une formidable fête colorée et symphonique résonne dans la Valley. Il n’est ni douceur, ni tendresse. La vie est brève, éphémère, urgente.
L’hiver ressemble à un enfer gelé, aux longues nuits glacées. A peine 15° au meilleur du jour en décembre et janvier et des températures négatives dans les montagnes. Les neiges vaporeuses des sommets offrent un décor irréel, un décor de carton. Certaines après-midi elles se devinent comme des silhouettes abstraites dans le ciel gris peiné. Les nuits sans nuages sont merveilleusement féeriques. Une luminosité d’une blancheur exceptionnelle éclaire la Valley, offerte au ciel lazuli ciblé d'étoiles.
Le printemps, à l’aube de la vie de chaque espèce, du renouveau. L’espoir d’un printemps pluvieux, mais comment parler de printemps pluvieux de 5 cm de précipitations annuelles. Ces micros précipitations suffisent à insuffler la renaissance de milliers de graines en sommeil. En 2004-2005, avril fut exceptionnel, trois fois plus pluvieux que la moyenne, juste quinze cm d’eau. Chaque goutte est un fleuve, une rivière. Chaque goutte est délivrance d’une fleur, d’une plante qui sera butinée par un papillon, une abeille et ainsi le cycle de la vie se perpétue. Chaque graine est une genèse de l’espèce. Les années « pluvieuses » la Valley fleurit de coquelicots, d’orchidées, de pieds d’alouettes, de verveine, primevères et tournesols. Il peut passer une ou plusieurs décennies sans qu’une goutte d’eau n’effleure la terre. Alors les graines attendent patiemment une nouvelle ondée, une nouvelle averse, un nouvel avril.
Les oiseaux migrateurs, bécasseaux, hérons bleus, bihoreaux gris, foulques, grèbes à cous noirs, canards colverts et hirondelles font une halte avant de reprendre leur envol.
Le vent de l’aube est sans douceur. Les routes infiniment longues s’égarent au cœur d'une illusion mouvante.
Au matin, Une étrange sensation de chaleur immobile nous entoure. Face à nous les Mesquites Flat Sand Dunes de la Valley, épurées, élégantes et mouvantes.
Un silence blanc. Comme des colliers de perles, des bosquets offrent leurs minuscules fleurs bleutées, des boules blanches et douces comme du coton.
Devil’s Golf Course – le terrain de golf du Diable car seul le Diable peut jouer au golf -. A perte de vue une étendue de feuilles chocolats noirs parsemées d’or blanc du désert, les cristaux de sel. Les masses sombres des Panamint Range se referment sur nous. Le soleil voilé n’illumine aucun quartz. Le soleil restera voilé, opaque tout le jour. L’endroit est maudit, étrange, magnifique. Le vent murmure une litanie des noms inconnus.
Badwater, la mauvaise eau.
Cette eau évaporée d’un lac qui autrefois s’étendait dans la vallée. Un lac fantôme où la température peut atteindre plus de 55°, un des lieux les plus chauds du globe terrestre, posé à moins 86 mètres au-dessous du niveau de l’océan. A cette profondeur la lumière du jour ne perce plus, l’océan est noirceur. Des rafales de vent se ruent comme des chevaux sauvages. Les cristaux de sel aveuglent, le silence sépulcral étourdit. L'ultra-marathon, le plus cinglé de la terre se déroule en juillet, au plus chaud de l’été, sous des température de 50 degrés, 80 degrés au sol.
Les dunes colorées d'Artist Palette dans les Black Mountains. Des collines cobalt, des indigos, des verts jades et plus profonds, des beiges rosés, des chocolats au lait. Vert du mica, rouge et jaune du fer et du cuivre, violet du manganèse.
C'est un voyage de bouts de pistes, d'endroits tant isolés que nous sommes venus juste pour eux.
TITUS CANYON
Le grand théâtre minéral de la comedia del arte
Nous partons tôt de Beatty ce matin sous un beau soleil jaune pale. De son sommeil éternel, Titus le Chat sans peur et sans reproche nous envoie ses buenas ondas. Si la piste en sens unique semble facile est sage les premiers miles, elle va vite montrer son vrai visage. Une végétation plus dense, un relief plus élevé. Des collines colorées. Le nord de la Valley semble encore plus difficile et sauvage. La piste se rétrécit jusqu’à devenir un chemin en équilibre entre falaise et précipice. Déjà le soleil jaune vif efface les ombres.
A flanc de montagne, nous gravissons un col étroit. Sans dire mot pour ne pas provoquer le mauvais sort, chacun croise les doigts, implore un Saint païen ou non. Le col est difficile, rocailleux. Et sublime.
Au sommet, juste avant d’amorcer la descente, le soleil devenu blanc jette des paillettes vertes émeraude sur la montagne devenue folle, ivre de beauté. Un nouveau regard sur Death Valley, de plus en plus mystérieuse, de découvertes en découvertes.
La descente vers Leadfield, vers les ruines de l’ancienne mine. Quelques tôles rouillées et une photo de l’âge d’or de la ville. Dans cette nature austère et aurifère, que de rêves et d’utopies chevillés au cœur pour venir vivre ici. Même peu de temps.
Le chemin de chèvre du col s’élargit. Sous un ciel de silence, un cri TITUUUSSSSSSS..... UUUUUUUUSSSSSS répond l'écho.
De la lumière à l’ombre de l‘étroit canyon. Nous avançons doucement dans les entailles de la terre. Aucun chant d’oiseau ou insectes. Simplement le silence bercé par le Vent. Des hautes parois calcaires offrent une fraicheur toute relative. Un couloir d’ambre et de soleil, d’ombre et de camel.
Une marqueterie minérale dessine sur les parois des oiseaux, des lignes, des symboles. Une source, des pétroglyphes repères des indiens timbisha shoshones.
Le canyon s’arrête soudainement. Le réveil est brutal. Ejectés des entrailles de la Terre dans la plaine aride.
Titus Canyon est un sentier, un chemin, un canyon fabuleux. Un décor d’une superbe austérité. Soyez prudents. Un SUV minimum, de l’eau, des provisions. Un ennui, tout petit, peu très vite virer au drame. Pas de couverture téléphonique. Ici personne ne passe par hasard.
Sur une planète lunaire au sommet d'un ancien volcan ou d'une abime de météorite. Ubehebe Crater se prononce "Ou-bii-ii-bii "
Racetrack Playa - L'années des pierres qui roulent... des Rolling Stones aussi
Dans la chaleur immobile, des chimères d’eau lointaine, des nuages blancs éphémères. Et ce sentiment de pâtir, au centre du monde, au centre du désert. Un des lieux les plus étranges de la planète.
Une dust road, route de poussière de 30 miles. Et pourtant terriblement belle. La chaleur dissout des contours des sierras, tout est ondes et mouvements presque perceptibles.
L’humour de Teakettle Jonction et ses théières en cas de soif.
Des arbres de Joshua tordent leurs branches vers le ciel, le sol. Là ou l’eau peut se cacher. Un mirage tremble à l’horizon, semble proche et si loin. Racetrak Playa s’éloigne à mesure que nous avançons. Enfin, le mégalithe noir se dessine avec netteté au centre du lit asséché, la playa.
Nous sommes seuls, réellement seuls. Nul bruit même le vent se fait silence. J’avance vers ce rocher au cœur du lac salé. Il est parfaitement centré, comme si de lui émanait le cercle asséché. Je ne distingue pas de suite les pierres, je m'avance plus au centre. Diego préfère l’ombre toute relative de la voiture ouverte. Encore quelque pas et je les vois. Une, deux, trois pierres immobiles et dans leur sillage, des traces presque effacées. D’énormes morceaux de roches – parfois plus de 80 kg- se détachent des Panamint Moutains et glissent sur ce lac d'illusion. Les pierres qui roulent sont étranges, parfois elles changent de directions, se croisent, roulent dans l’intimité et à une vitesse si ralentie, qu’il nous est impossible de la voir.
Si les lieux n’étaient pas si étranges, cela ressemblerait à une grosse farce. Des hypothèses de sorcelleries ou ovni, de créatures invisibles, de fantômes. Des avancées scientifiques de minis tornades, de micros algues souterraines, du sol gelé.
Tout est vrai. Les micros algues sur le sol humide de rosée, le vent, le lac très légèrement incliné. Les fantômes de la Valley, et les âmes errantes aussi. J’aime les mystères.
Sur la piste de retour des yeux nous suivent. La Valley est peuplée d’étranges apparences.
Dante View, au dessus du désert de sel
Comme des Dieux, nous dominons le désert argenté de Badwater. La Valley offre tous ces lieux hors du temps, qu’ils soient de matières minérales, histoires ou de passions.
Un dimanche dans la Vallée de la Mort
Tout commence à l'aube d'un dimanche. Un jour que je dessine sur les murs de mes souvenirs comme une œuvre d'art. Un dimanche à l'Amargosa Opéra House, à Zabrikie, à randonner, à paresser, dans ce bout de désert d’une beauté parfaite. Le cours du temps s'épaissit dans la lenteur du voyage.
Zabriskie Point
J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse. Arthur Rimbaud
C’est sans doute le plus bel endroit du monde. Ici je suis en accord parfait avec les éléments, avec mon âme. Un sentiment difficile à exprimer, mais je suis sûre que beaucoup d’entre nous ont un jour ressenti la communion parfaite avec un paysage, un arbre, une musique. C’est ici que mes cendres seront dispersées. Nous sommes venus le soir au crépuscule et à l’aube d’un nouveau jour. Nous sommes venus par un après midi sans soleil. A chaque rencontre, je reste ébahie par la beauté immobile de cette voilure. Le silence, le vent, le ciel.
Les crêtes de chocolat et marrons glacés. A nos pieds, se dénude les plissements d’une robe de très haute couture dans une sensualité de froissements chantilly et rubans irisés. Une parure de joaillier. Des diadèmes de roches moka pointent leurs aiguilles acérées vers ce ciel si indifférent. des couleurs caméléons. Zabriskie Point est un somptueux Cornetto géant vanille-chocolat.
Ce matin nous sommes seuls avant la petite rando dans les récifs de Golden Canyon. Quel bonheur irréel. Le temps est déjà chaud, l’air sec. Le vent assèche la moindre goutte de transpiration avant qu'elle ne forme.
Descendre dans le ventre de Zabrikie c’est approcher la perfection du désert. De plus en plus rare, l’ombre des rochers dégringole sur le chemin. Bientôt il ne restera que la réverbération étincelante du soleil. Face à nous la belle voilure de Zabrikie semble à portée de pas.
Apparait le mur rouge brun de Red Cathédral, les dômes blancs de la Valley. Nous grimpons sur une petite sente le long d’une paroi. Encore un peu d’air. Tout est là, parfaitement à sa place. Chaque rocher, cailloux, reflet, nuage, même nos ombres sont parfaites. Nous visitons une toile peinte, comme dans un film d’animation. Surréaliste
Nous rentrons par le même chemin avec d’autres perspectives. Là-haut, tout là-haut des touristes immortalisent leur passage à Zabrikie Point. La montée est raide, les degrés augmentent. A 10h30 nous retrouvons la voiture.
Golden Cayon est une des plus belle balade de la Valley et assez facile. Mais du désert, nous en voulons une autre part.
A quelques gorgées d’eau de Zabriskie, la 20 Mules Team Canyon. Elle porte le nom des wagons tirés par 18 mules et 2 chevaux utilisés pour transporter le minerai - le borax - à travers la Valley.
La dérive entre des roches pastels d'une piste solitaire à sens unique. Une loop facile en voiture, encore un autre visage de Death Valley, une autre planète.
Au fur et mesure que les degrés augmentent nos ombres s’évaporent. Nous retrouvons la fraicheur de l’Amargosa. Comme un navire échoué dans le désert, comme une promesse d’un après-midi de songes. Une douche, des habits propres un pique-nique de fruits et fromage. Le temps s’étire à perte d’heure. Le temps des pays chaud est éternel.
Nous installons une table sous les arcades. Thermos de menthe, tablettes et cartes postales. Chacun écrit une carte, comme des enfants, le nez en l’air. Le Vent emporte des histoires, des musiques, des idées. Des passants s’arrêtent devant les portes closes du théâtre. Nous avons tellement l'air d'être chez nous qu’ils viennent nous demander des confidences. Je ne sais que répondre, hélas, mon anglais est pur désastre. Diego s’en tire bien. It’s a ghost town demande un motard ?
Le temps même éternel s'enfuit. Tout près d'ici, une fantaisie de bleue, et d'herbe, de paysages aux allures de savane se pavane hors du Parc National de Death Valley,
Ash Meadows National Wildlife Refuge
Devils Hole
Le trou du Diable est protégé de grillages, de caméra. Nous ne voyons pas grand chose. Et pour cause, ici vit un tout petit poisson bleu, un des plus rare de la planète. Ici, les eaux frissonnent aux ondes des séismes et tsunamis. Des rumeurs que le Vent colporte, encore des mystères que les scientifiques et plongeurs tentent de percer.
Septembre 2022, d'un séisme à Mexico, des vagues d'un mètre de hauteur ballotent les petits poissons bleus. Pupfishs résistent.
Pupfish El caliente pescado !
Le joli poisson argenté de six cm somnole tout l’hiver dans des fonds vaseux des rares mares. Au printemps, le soleil réchauffe la terre. Le temps de l’amour et de la reproduction. Si certain rougissent de plaisir, le pupfish choisira le bleu intense.
Petit poisson bleu survivra dans une eau saline chauffée à plus 44°. Le cyprinodon diabolis est endémique, choyé et protégé et infiniment fragile.
Un peu loin, sur les passerelles aménagées nous nous battons inutilement contre les taons voraces. Mais paysage est stupéfiant. Comment oser imaginer cette eau qui roule et coule, bleue, limpide comme une abstraction au désert.
Nous connaissons si peu de la Valley. Tant de secrets, de pistes, de canyons à parcourir sous des ciels d’opale et d‘orage.
Nous passerons la soirée dans le salon de l'Armargosa, seuls, à la leur d'une chandelle. Sans penser au lendemain. Vivre encore un peu ce rêve hors du temps. Se dire que peut-être un jour nous oserons l’ascension de Telescope Peak Trail. Escalader comme des gamins les dunes de sable dorées, les plus hautes de Californie au nom évocateur Eureka Dunes. Découvrir la gorge étroite ou coule toute l’année la petite cascade de Darwin Chutes et somnoler aux sifflements des oiseaux de passage. Sentir encore l’odeur de la fumée des fours à charbons de Wildrose, ces ruches de combustible des mines d’argent et de plomb. Retrouver l’hiver les eaux de Salt Creek et des Darwin Fall's. S’arrêter devant une croix, un tas de pierre, dérisoires cimetières des aventuriers. Ecouter leurs histoires arriver jusqu’à nous, et celles des autres, de tous ces inconnus. Visiter enfin Scotty Castle, le palais d'un nabab bonimenteur édifié dans une oasis pour sa belle. Hélas, fermé pour causes de graves dommages suite aux inondations de 2017.
Il y tellement à découvrir, redécouvrir, aimer, ressentir dans cet lieu si étrange. Choisir une photo est un véritable dilemme. Beaucoup ne verrait que dunes arides. Pourtant en chacune d'elle est un souvenir, une chose différence, un cailloux, un reflet, le fil d’un nuage. Death Valley est une de mes plus belles rencontre. Au fil du vent. Ce Vent allié, aliéné.