Lupton - Topock - 405 miles - 652 km
Arizona. "zone aride". La Route s'enfuit, s'envole. Elle prend de l'épaisseur, du charisme. Aucun obstacle ne l'arrête. Elle file dans les terres brulées et cactus à perte de miles. Elle est celle de nos fantasmes, de nos rêves absolus de liberté, flotte dans nos illusions. Ivresse du désert cinémascope, de l'infini. Nous traversons des Terres indiennes désolées. Pauvres, si pauvres.
uLa renaissance de la Route, c'est ici, en Arizona. L'homme se nomme Angel, comme un présage. Il nait en 1927, avec elle, la Route, et grandit avec toute l’activité de son temps. Il voit la Route se développer, son village s’étendre, des motels, des diners, des boutiques. Le trafic effréné des camions et berlines. Il voit aussi la Route s’éteindre dès que l’autoroute déverse son bitume à quelques miles d’ici. Il verra du jour au lendemain tout le trafic de la ville réduit à néant. Les cafés se fermer un à un, les gas-stations désertées. Les habitants fuir vers d’autres emplois, d'autres villes.
1986 - Angel et deux compères créent une association de préservation de la Route. D’autres vont suivre dans tout le pays. Il est l'instigateur de la renaissance. A 95 ans, le vieil homme et Vilma son épouse veillent dans leur gift shop de barber à Seligman.
1987 - L’état d’Arizona offre la distinction de ’Historic Route 66’ à la portion de l’US 66 de Seligman à Kingman. ’Route’ en français ! et pourquoi en Français ?
Petite leçon. "Route" en américain est un itinéraire, comme la 66, la 61. Elle est road hors agglomération et street - comme la Main Street - dans les villes. Elle est Route dans son ensemble.
Un horizon immatériel perdu dans les brumes d'ondes de chaleur. Les petits matins sont parfois frais. Rien ne dure, le soleil magnifique enflamme la Terre affamée, assoiffée. Nous pouvons rouler longtemps sans déceler la moindre activité humaine. Des cabanes abandonnées aux herbes qui roulent. Un train glisse sur les rails. Je compte les wagons comme des moutons, 77, 78, 80, 87 et je m'endors.
Arizona - Mai 2010
Mais après Lupton, la route s’évanouit. Nous rejoignons l’Interstate 40. L’ennui. Alors j'égrène les rencontres de la matinée. Un cheval claudicant sur la route, un chien indéterminé coyote ou chacal.
Nous abandonnerons pour un temps la 66, pour les paysages fantasmagoriques de Painted Desert.
Petit détour d'une vingtaine de miles pour Petrified Forest National Park et Painted Desert.
Moyen détour à partir de Chambers, de 65 miles pour rencontrer La légende de la Femme Araignée et des ruines Anasazi du Canyon de Chelly.
Grand détour de 200 miles au Nord, les Terres rouges et buttes sacrées de Monument Valley.
Monument Valley ,Canyon de Chelly, Petrified Forest et Painted Deserthttps://www.myatlas.com/TerreDeSienne/arizona-dreams
Holbrook par l’Old Highway 66 et les fameux tipis en béton armé du Wigwam Village Motel. Le motel est classé monument historique depuis 2002. Devant chacun des 16 tipis, une belle américaine d'une Amérique en pleine croissance suggère une photo.
Les tipis sont de béton, conçus pour des poupées. Alors, comme Alice aux pays des merveilles, nous adaptons nos pas de géants. Deux petits lits recouverts de plaids indiens, une micro table et micro chaise, une mini fenêtre. Dans la minuscule douche voutée, les microscopiques wawas sont si bas qu’il faut s’accroupir. Arrêtez-vous pour une nuit, au moins pour un safari photos.
Exception faite de New Mexico, les soirées nocturnes des USA n’ont pas le romantisme de nos belles cités d’Europe. Il ne subsiste aucune ruine, château fort, quartier baroque au clair de lune. Seules les falaises et gouffres portent des noms de légendes. Ce soir, le ciel étoilé est en fête. Une lune rousse inspire comme une enseigne intergalactique. Le vent s'attarde un instant, se pose doucement sur ce petit monde.
« La Cantina », un restau mexicain, fait de voûtes soleil et abricot, d'une franche nourriture et de vin rouge au tanique. Le soir, Diego fait tomber des Bubble-gum pour le plaisir d'une fillette de conte d'Andersen.
Une artère désolée et désolante, bordée de néons, fast food, un Dollar Family et un Safeway. 22 heures, la caissière nous fait signe d’entrer. Diego achète trois oranges, des pinces à linges méga XXL et constate un rayon d’alcool à damner les mormons de l’Amérique puritaine pour 20 générations. Au moins.
Encore des photos des fresques murales et nous retrouvons la 66 pour peu de temps, fermée pour cause d'abandon.
Joseph City, une des premières colonies des Saints des derniers jours, autrement dit les mormons. Peu de choses à voir dans ces rues désertes aux jolies maisonnées de bois et de sages jardinets. A la sortie de la ville, une drôle de Betty Boop peinte sur le mur. A une station essence, à la recherche de la 66, un « crazy cyclist » japonais, carbonisé à point. Il explique qu’il a perdu un pari et cela l’engage de faire une partie de la Mother Road à vélo.
Un tronçon la route capricieuse et encore un « Road End ». Est-ce ici qu’un superbe rond-point a été fait juste pour nous remercier de notre visite ? Route sans issue, impasse, cul de sac, la 66 se décline de toutes les facettes d’une chronique de mort annoncée. Le jeu du chat et de la souris. Autoroute - Route 66. Sortie d'autoroute, chemin de cendre sous un ciel disloqué. Aucune indication. La voie ferrée est ici, quelques plaques de bitumes sortent de terre comme des zombies à Halloween. Nous espérons la retrouver un peu plus loin. Ne pas retourner sur l'Interstade. Pas déjà. Une autre solution est faire la 66 à pied, où à vélo, et vagabonder pas à pas dans sa trace.
Interstade. Sortie 257 - Le traiding-post Navajo est fermé. En contre bas, de petits cailloux blancs forment d'étranges signes dans le lit asséché de la River Little Colorado.
A nouveau l’autoroute jusqu’à Winslow. Il faut s'aventurer dans la ville endormie pour découvrir l’authentique et tant recherchée empreinte "ARIZONA Historic 66" peinte de blanc. Sublime bonheur mégalo, pour Ze Picture sur fond de ciel bleu cristallin.
Un couple de touristes américains obèses et vêtus de rose nous hèle. Ils ont entendu parler français. Ah ! le français, langue merveilleuse, attirante comme du miel. Bien maladroitement Diego explique que nous venons du nord-est de la France à la frontière allemande. Pour les américains, la France est divisée entre Paris, la Normandie et la Cote d'Azur. Leurs visages expressifs miment le questionnement. Avantage de ne pas parler anglais, je vais au plus simple et dis simplement "Champagne ! ". YEEEH ! Okay fait la femme ravie " !
Luxe, calme, et volupté dans la fournaise du jour. La Posada à Winslow est un hôtel de style colonial espagnol d’une beauté captivante. Une oasis de plaisirs et d’enchantements. L'air est frais et pas glaçant. A travers volets clos, la lumière blanche de midi se fait douce, merveilleusement enveloppante. Cocon est la Posada. Je crois que nous sommes seuls à glisser lentement entre les meubles de bois. Odeur de cire, odeur d'antan. Je voudrais m’arrêter, me poser, me transformer en lézard ou hibiscus, et ne jamais plus en bouger. La Posada se situe entre hôtel et musée, dans une frontière d'ombre floutée.
Au dehors la chaleur écrasante du soleil d’Arizona semble éternelle, rassurante. Le paysage se désertifie, sans attrait, ni saguaro, ni sierras. Un grand désert morne. Des motos, des camions, des mustangs nous doublent. Encore un « crazy cyclist cramé » et un train immobilisé. Le Canyon Diablo.
Twin Arrow, l’ancien traiding-post de la 66, est aujourd'hui fermé, oublié, abandonné. Les deux flèches jumelles se sont refaites une beauté en 2009. Si le terrain appartient à l'Arizona, les bâtiments reviennent à la tribu Hopi. Comble du désert, nous ne trouvons aucun endroit où s’arrêter et grignoter un morceau. Le désert grillagé est en cage.
Twin ArrowsAprès Winnona, la nature s'amuse, verdit et sourit de l'ombre des sierras, San Francisco Peaks. La jolie cité de Flagstaff, étape de la Route 66 et bien connue pour son hôpital accueillant tous les malheureux randonneurs, grimpeurs, bivouaqueurs, touristes malheureux ou imprudents du Grand Canyon et de ses environs.
Pile sur la 66 entre Interstate et chemin de fer Bordée de motels, la 66 serpente sur une petite route de montagne et soudain la belle s’évapore. Nous revoilà sur l’I40, sans comprendre à quel moment l’Old Road nous a largué. A Bellemon nous la retrouvons, la traîtresse. Bitume d'époque. Interstade à droite, chemin de fer à gauche. Au centre, la Sixty-six. Nous marchons dessus comme un gros scarabée sur une écorce d'arbre mort. Avec respect, regardant nos pas, l'imaginaire des années 70 en flash-back.
A Flagstaff existe le Museum Club, une grosse cabane faite de rondins de bois, emplie d’animaux empaillés et de souvenirs de la 66, club de jazz et country, étape mythique de la Route. Pas de chance, le Museum est clos ce dimanche après-midi.
Nous irons donc boire un verre au Charly’s Historic Hotel WeatherFord. Bel hôtel classé et excellent blues. Notre flegme s'installe au balcon du second étage, une Corona à la main - qui à l’époque était encore une marque bière -. La ville est à nos pieds, les montagnes en arrière plan, les forêts environnantes. Le bonheur sans concession.
Petit détour par 30 miles cap au sud pour Sedona. Ses randos dans les roches pourpres, ses vortex et sa Chapel of the Holy Cross, ses gifts.
Falgstaff mérite une chouette halte. Hélas nous sommes resté qu'une nuit. Pourtant elle mérite bien plus, son ancienne gare restauré en Visitor Center, ses trois Muffler Men, ces fameux géants hauts de trois mètres. Mais surtout Flagstaff se joue des codes US et flâner en ville devient enfin sympa, entre jolies places ombragées, shops, restaus et bars. Les sommets de Pics San Francisco et forêts tempèrent la fureur du désert. Sans oublier que cette cité est idéalement située géographiquement.
Nous arrivons à Williams par le « Westbound » - en direction de l'ouest -. Shopping. Charmant, désuet, suranné. C’est dimanche. Flash-back des années 50, 60. Trompe l’œil de ciné en plein air avec Elvis. Plus loin James Dean et Marylin. Achats de T-shirts, mugs. Rencontre avec le sheriff, un Terminator de la ville. Un géant avec qui vaut mieux être sympa. No problem, je suis une gentille fille.
Direction Mac Connico par I-40 jusqu’à la sortie 44. Des voitures épaves, des belles retapées, relookées. Ce qui est drôle, est que nous photographions tout. Ou presque. Une carlingue rouillée en France ne mérite pas une once de notre attention. A croire que la Route 66 possède le pouvoir étonnant d'alchimiste, transformer la rouille en or.
Nous continuons par « l'Eastbound », puis la I-40, exit 161 jusqu’à Ashford, et exit 146. Toujours la I-40 via l’exit 139 pour Seligman. Au pays d’Angel. Plus kitch tu meurs, mais, c'est le pays d'Angel alors RESPECT. Encore des photos à profusions avant de s'asseoir dans le fauteuil du sauveur. Angel vit toujours, à 96 ans. Le barber exerçait encore son métier en 2014. Aujourd'hui, je l'ignore mais ce que je sais est que le soleil et la passion protège les âmes inspirées.
2010 et 2014Nous reviendrons quelques années plus tard, la ville ne semble pas vouloir bouger. Quelques mannequins se sont fait la belle, le vent ébouriffe des nuages. Seul le soleil semble de bonne humeur en 2014.... mes cheveux ont poussé - ! -
Angel grandeur nature en carton pate et poudre de poussières sixties.
Petit détour pour la rive sud du Grand Canyon avec le Grand Canyon Railway - ou simplement en voiture environ 55 miles. Si vous prenez le petit tchou tchou, réservez un hôtel pour la nuit et ainsi profiter d'un des plus grandiose panorama de la planète.
Traversée de Peach Springs au cœur du territoire indien Hualapai. Nous longeons la voie ferrée, faisons encore la course avec un train de marchandises. Je m'endors à 91 wagons. Arrivée à Valentine. Des nuages chamallow surfe sur un plafond de verre.
Plus loin une horde de bikers de 18 Harley. Des chiens de prairies traversent en couple. Et Hackberry. Juste un vieux patelin nourri de tôles ondulées. L'image parfaite de la 66. Un désert, une gas-station relookée pour touristes nostalgiques. Photogénique en diable.
Le général store, vieilles voitures, portes rouillées grinçantes, vent chaud du désert, cactus immense. Ambiance intacte. Nous arrivons à Kingman. La première fois par un dimanche après midi. La ville est comme toute les villes des dimanches. Endormie et léthargique. Dans un café, nous commandons un expresso et une pie - tarte -. Le café est plus sec que le désert. Sans eau. A humer. A sniffer.
Kingman, une autre petite ville fort sympathique. Une étape indispensable. Elle était la dernière escale des pionniers avant de franchir les Blacks Mountains, dernier bastion avant l'or de Californie.
L'aube est chagrine. Qu'importe, le soleil d'Arizona secoue ses rayons, des flammèches jaunes orangées, diffuse sa clameur matinale. Valises, breakfast, les habituels préparatifs des petits matins faits, nous quittons l’hôtel direction Musée de la Route 66. Juste avant, nous nous arrêtons pour acheter des timbres à la post-office, typique avec toutes ces jolies boîtes postales de bois. Puis le musée. Des représentations de scènes de la ruée vers l’or, des maquettes. Le vieux gardien passionné nous guide dans un minuscule cinéma. Nous sortons de la pénombre saluer le Soleil en grande forme. Une Cadillac rose bonbon surgit de nulle part. Les feux rouges gazouillent.
Trainer un peu à Kingman, mais pas trop. La Route nous attends, nous appelle, s'impatiente. Elle nous offre la liberté, dans l'espace et les montagnes, les premières mines d'or, cimetières et burros.
Enfin un nouveau paysage cabossé, difficile, rude. Une sentinelle de cactus cholas défie des falaises austères. Au détour d'un virage, un jardin de croix de bois et fleurs plastiques paressent dans une sagesse infinie. Ce cimetière si tranquille est le dernier refuge de nos plus beaux compagnons. Des chats, des chiens.
A l’horizon les Blacks Mountains. La Route entame une série de virages dans le Sitgreaves Pass jusqu’au col. Un paysage semi désertique sur l’autre versant. Peuplé de cactus, caravanes nomades et quelques boutiques à touristes. La Goldroad, « la route de l’or » ancienne mine d’or protégée par des barbelés.
Un cimetière dans le Sitgreaves PassDes virages en épingle, des sections étroites, un paysage de solitude. Située au cœur des Black Mountains, rejoindre Oatman se mérite. La ville abritait la plus grosse mine d’or d’Arizona. Elle était un passage nécessaire et dernier obstacle avant la Californie.
Cool Springs, la gas-station - Sans gas - s'abime dans la solitude du désert. Restaurée en 1999 pour le film Universal Soldiers.
Oatman, Les ânes - les burros - se baladent dans la rue principale, en quête de carottes vendues aux touristes amusés. Anes choyés aujourd'hui, descendants des bêtes de somme, les ânes de travail des mines. Quelques ânons ont un post-it entre les oreilles « no carotts » ! Un saloon recouvert de dollars, des façades en bois, un sheriff. La Route domine le Colorado et rejoint, après Golden Shores, la ville frontière de Topock. Déserts et lointaines montagnes nous guident.
Les stations-services sont rares. 50°, nuance de chaleur l’été. Pour nous en cette fin du joli mois de mai c’est 77°F environ 25°C. Il est plus sage de prendre la I-40 pour traverser Needles.
Auprès de mon âne, je vivais heureuse....
Nous quittons l’ I-40 à la sortie Las Vegas - si l’envie vous prend de vous marier et flamber au casino à Vegas, par ici la sortie - .
Nous Vegas, non merci, plutôt direction Goffs et Fenner.
Ultime bourgade de la Route en Arizona.