Una luna di miele in Puglia. Comme un goût de miel aux reflets du Sud éternel.
Septembre 2023
10 jours
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Una luna di miele in Puglia


Une lune de miel afin de danser un paso doble entre deux mers, deux étés, deux processions. Dans un pays de contes et légendes où de drôles de maisonnées de pierre comme des pions d’échiquier, piquètent la campagne.

C'est un pays d’une noble élégance où le temps, un soir, déposa un souffle d’éternité. A l'ombre d'un feuillage sombre, il posa son fardeau et s'endormit . Le vent chemine à travers les haies d’honneur des figuiers de Barbarie sans se piquer, sans se presser. A lui la majesté des oliviers aux reflets d’argent, la lenteur de leurs croissances, leurs troncs tordus et magnifiques.

C'est une Terre ivre de lumière, encore isolée, encore méconnue. Blancheur éclatante des villages perchés, mondes chaotiques du dédale des ruelles. Septembre est de miel, dans la fraicheur du soir, le silence est bienfaisant.

Un très vieil olivier - Cathédrale de Monopoli, toute de marbre vêtue 

Les semelles aux vents , le nez en l'air, nous arpentons les villes d’églises en chiese d’une insolente beauté. A chaque église, un nouvel émerveillement. Nous avons oublié leurs noms mais pas leurs couleurs, pas leur parfaite harmonie.

Paradis des Vespas et des cafetières

Dans ce Sud presque intact le linge sèche aux balcons comme des fanions colorés. Nous avons pris le temps de ne plus bouger, ou très doucement afin de ne pas bousculer la paresse des chats. Siroter des cafés leccese au lait d'amande aux terrasses. Et dans le clair obscur d'un début de soirée, écouter les quantiques s'échapper de la chapelle du village.

Ombre blanche et noire 

Un pays fait pour danser, entre l’Adriatique et la Mer Ionienne. Le talon aiguille de la botte éclabousse cette fine écaille de terre. Monde de marins, villages à flanc de falaises, frémissement d'un vertige bleu-vert.

 Polignano a Mare

Evidemment, se restaurer d'une cuisine les plus savoureuses du monde au goût de paradis. Les pasticciotto, ces fameux petits gâteaux de pates sablés garnis de crème sont la fierté de la région du Salento.

Pasticciotto et café -Burrata et beignets de figues confites
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SOLETO

Nous arrivons dans la lumière filtrée d'une fin d'après midi. Sur la route, des oliviers aux troncs noueux délivrent un message de passion mêlée de respect. Hélas, nous ne pouvons nous y arrêter. Nous avons déjà pris du retard depuis Bari. Et un accident sur l'autoroute stoppe la circulation presque une heure. Enfin nous arrivons, nos hôtes charmants ne parlent pas français, nous pas italien. Mais avec des bribes d'anglais et d'espagnol, nous arrivons à communiquer. Notre appartement est cosy, la terrasse toute à sa paresse, me rappelle des escapades à Essaouira. L'air du soir, les figuiers, le calme, le linge étendu sur les fils. "On dirait le Sud" comme le chantait Nino.

Sous la bénédiction du Padre Pio 

Le Salento est situé dans le Sud des Pouilles. Sa capitale Soleto, n'offre que peu d'intérêt sauf celui d'être un point central pour rayonner. Maisons cossues aux volets clos, frontons écaillés, Soleto révèle un passé prospère. Une ville aux parfums d’antan d'un romantisme suranné.

Un peu déboussolés, nous mettons au défi Google Maps de nous trouver une pizzeria proche. Toute la poésie de Google se débride dans les ruelles endormies. Il s’y promène encore quelques chats errants, aussi maigrelets que leurs ombres fugaces. Lassée de tourner en rond, nous mettons notre destin affamé entre les moustaches de quelques minets. Conclusion. Suivre les chats des rues est bien plus efficace que Google Maps. Voilà enfin nos premières pizzas.

On dirait le Sud 

Au matin, même si le ciel n'est pas azurément bleu, nous nous adaptions vite au tempo du Sud. Vivre sur la terrasse, prendre un café et ses pasticerria sur la place ombragée. Les mamas en tablier fleuris et cabas à la main, tiennent des conciliabules. Chacune nous indique la minuscule et très belle chapelle peinte Santo Stefano.

Sur la place ombragée, les papys assis en rang d'oignons refont le monde. Comme une image d'Epinal, un cliché bien réel que nous retrouverons tout au long du voyage.

Nous croisons la route d'Elio. Coiffeur ténor aux cheveux d'argent, il créa des ciseaux magiques, qui en plus de couper, ce qui est la moindre des choses, affinent et façonnent les cheveux sans les vider. Wouah. Chapeau Maestro !

Et Toujours sous la bénédiction du Padre Pio. Son sanctuaire est à quelques 400 kilomètres au nord, à Pietrelcina. Un peu juste pour cette étape. A peine arrivés que déjà se profile un prochain séjour !

Il règne comme comme un air du Far West oublié. Des mazets envahis d'épines. Des routes filant droit sur le lendemain. Diego n'y prête que peu d'attention, toute sa concentration focalisée sur la conduite rock'n'roll à l'italienne. J'avoue humblement avoir fermé les yeux et prié la Santa Madre quelques fois. Les italiens ignorent simplement le code la route, les lignes blanches, stop ou autres panneaux ne sont que des décorations de principe.

Un air de Far West spaghetti 
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Lecce , comme un millefeuille baroque 

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Dans ce pays de contes et légendes, il existe une ville faite de sucre et de crème fouettée, peuplée d’anges, de saints et gargouilles maléfiques. La nommer résonne comme une promesse laiteuse.. Lecce… lecce cheese...

Je suis impatiente de découvrir cette Florence du Sud, son baroque exubérant, sa beauté éternelle.

De notre location de Soleto, nous rayonnons comme un soleil -. Le rayon du jour pointe droit vers le Sud, à une petite demi-heure de route. Nous suivons les nuages dodus, où angelots joufflus. A visiter tant d'églises, notre imagination floute les contours du réel.

Lecce ressemble comme deux pépites de chocolat à une cité de stuc de sucre composée par de fantasques pâtissiers. Des saints honorés et hautains, des anges meringués nous contemplent dans une blanche indifférence.

La cité est toute de douceurs, nappée de couleurs ocre et blanche. L’ocre du soleil nappe d’un caramel filé les façades des maisons, joue des ombres, rehausse le sourire ambigu des gargouilles des frontons. Comme un gâteau merveilleux, un vacherin de dimanche. Hélas, mon rêve d’enfant gâtée se casse les dents sur ces illusions sucrées. Ma pana cotta est assurément trop calcaire. Le calcaire, pierre noble de toute la région, soumise aux délires des artistes.

Au cœur de la cité, la Piazza del Duomo vibre au rythme des pas des visiteurs. La cathédrale Santa Maria Assunta et le fabuleux campanile, un des plus haut d’Europe. Nous grimpons au plus près du ciel - en ascenseur – pour atteindre les 70 mètres de haut. Vue panoramique à 360° de la ville. Au premier plan des toits terrasses, l'esquisse de dizaines de clochers et dômes macarons dans un ciel de coton. Des jardins, l’amphithéâtre romain, des théâtres et palazzi. Plus loin des immeubles, des éoliennes. Et, tout droit vers l’horizon, nous devinons les oliveraies dans la ruralité des trulli. Si le vent bouscule un peu l’indolence des nuages, alors se dessine un horizon bleuté, le camaïeu de l'azur et l’Adriatique.

Dans la pénombre des églises, la bienveillance des Madones, l’éclat des colonnes de marbres, l’éclair foudroyant du soleil de midi. Comme des colibris nous papillonnons dans la fraicheur de ces sanctuaires de lumière. Imaginés, créés avec la virtuosité des artistes des siècles passés. 77 chiese veillent sur nos âmes endormies. Laquelle est la plus belle ? Je ne saurais le dire. C’est un festival de couleurs, d’ornements, de raffinement. Le sublime à l'état brut.

 Comme des tiramisus célestes

Lecce régna longtemps en cité commerciale, religieuse et culturelle. Une reine stratégiquement placée sur son échiquier entre la mer Ionienne et l’Adriatique. C'est dans cette ville blanche et chic, que je découvre le fameux cafe de leccese composé de glace pilée, lait d’amande et expresso. Un délice sans doute inventé par un ange amoureux.

Déambulations 

Les souvenirs flottent dans ma mémoire en bulle solaire mais je me souviens nettement que Diego troqua sa casquette ringarde contre un chapeau chic et frais, que Frida offre de la burrata, et que les note de musique sonnent rondes et blanches.

La chantilly des nuages se pose délicatement sur la ville. Laissons Lecce à ses passants, aux reflets dorés, à l'élégance intemporelle. Pas très loin de la Porte di Napoli se trouve le cimetière monumental, ses morts, sa démesures et ses chats rachitiques.


Dans les jardins du bien et du mal

Dans le pays de la mort les allées ombragées me guident là où elles le veulent. Je poursuis les derniers rayons de lumière et l'ombre étrange d'un ange me sourit. Mon regard, se pose sur ces stèles et caveaux majestueux, ces saints et martyrs sculptés. Des photos ornent les tombes. Des mamas en colliers de perles, des hommes moustachus, en noirs et blancs, des visages de bambinos. Le cimetière monumental est simplement saisissant. Un décor de films magnifique et étrange.

Le soleil caresse les tombes. Je me sens soudain observé d'un regard curieux et furtif. Un frémissement, une ombre légère presque fantomatique. Un chat noir, et là un gris et un autre. Nous jouons avec eux. Ils sont si maigres. Ce cimetière est un refuge officiel de minets. Un panneau l'atteste à l'entrée. Des bénévoles les nourrissent mais ne doivent pas les stériliser. Dommage.

Dans ce jardin du bien et du mal, Dieu et le Diable jouent à la roulette russe. La pesée des âmes damnées fait encore trembler des ossements. C'est un lieu fascinant, d'une grande beauté. Je préfère m'éloigner avant que le soleil ne s'envole, et la nuit étoilée réveille les esprits.

Silhouettes furtives, doux bruissement d'air. La présence silencieuse des félins est rassurante. Ils veillent.

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Etrange contrée peuplée de drôles de maisonnées. Des troglodytes de Matera aux villages perchés à l'équilibre précaire des ravins d'argile, des villages grignotés par la mer aux trulli de la Vallée d'Itria.

Un monde de contes et de lutins facétieux vêtus de capes et grandes capuches rouges. Des superstitions ancestrales, une terre où le soleil et la lune dansent encore la mélodie des étoiles.

 Mystère de l'aube

C'est dans la vallée d'Itria que poussent ces drôles de capuchons blancs, jetés aux quatre vents comme des pions d'un jeu d'échec désordonné. Nous en avons loué un pour notre séjour. Le trullo n'est pas inhabité, loin de là. Le seigneur du domaine n'est pas bien grand et guère épais. Roux, blanc et fort moustachu, il nous accueille par un tragique cri muet. Il s'appelle Tragedy, nous informe notre hôtesse. Diego voudrait bien le renommer d'un nom, plus noble, tel Bernardo ou Léonardo mais ce n'est pas dans l'air du temps. Son nom lui colle parfaitement aux poils. Tragedy miaule en braille, en silence. Nous sommes trop heureux de partager son trullo, et lui nos repas. Des miaaaouuuu aphones contre quelques sardines. Le pacte d'amitié est scellé.

 Chez Tragedy

Si Alberobello est le village star des Pouilles, la campagne de manque pas d'attraits. Les trulli parsèment le paysage tel un champ de couvercles de tajines, sans tajine, évidemment ! Vagabondage dans la vallée d’Itria. Ces maisons rondes sont parfaitement imbriquées dans les éléments. Tout comme les igloos Inuits, hogans Navajos, yourtes Mongoles, cases africaines, les maisonnées Hobbits de la Terre du Milieu et bien d’autres dans le monde. Harmonie des sages, des anciens qui savaient parfaitement d’où venait le vent et où tombait la pluie.

Vue de Locorontondo 

Dans une parfaite ignorance, je pensais qu’Alberobello était le concentré unique de trulli. Que nenni ! Ils sont partout dans la campagne. Parfois isolés sous un ciel d’octave, ou parfaitement restaurés et agrandis, avec tout le confort moderne. D’autres abandonnés des hommes, s’écroulent sous la fatalité des ans.

Les trullo étaient un choix d'habitation non dénué de bon sens rural. Du 14ème siècle à la fin du 18ème , ils étaient considérés comme abris et non habitation. Bonne idée pour leurs habitants exemptés de ce fait de taxes locales. Ce n'est que bien plus tard, en 1797, que la petite cité fut considérée comme une ville et donc imposable.

Que font les trulli les nuits de lune blanche ?

Est-ce que les lutins, petits hommes aux oreilles pointues et les fées translucides se cachent de la foule touristique ? Ils sont sans doute ici, derrière les pierres sèches, dans les fontaines et sous le couvert des pétales de fleurs. La beauté de ce village aux maisons coniques est légendaire. Sans aucun doute l’image emblématique des Pouilles.

Alberobello 

A l’heure où nous garons la sobre Jeep Renegade, - prononcer "ROAD AGAIN" - Alberobello s’éveille, que déjà les bus envahissent le parking. Nous arrivons avant les groupes sur la place centrale. Pas tout à fait déserte. Les trois indécrottables papis que nous rencontrerons sur tous les bancs publics devisent du monde passé, du match à venir. Ils sont bien, ces vieux-là, à l’ombre d’un figuier séculaire à regarder les badauds s’extasier sur leur village.

Les mystérieux symboles peints sur les toits de galets, sont-ils le code des druides où de malins artefacts pour conjurer le mauvais sort et attirer la grâce divine. Apparemment les historiens débattent encore aujourd’hui de ses dessins. Au sommet du quartier Monti le trullo sacré : la chiesa San Antonio. Edifiée en 1926 par des derniers maîtres trullistes. Aux antipodes du baroque de Lecce, la simplicité et l'élégance toute simple de cette église est bienfaisante.

Pourtant je reste sur ma faim. Quelques photos sur fond de ciel bleu intense, un cafe de leccese à une terrasse. Il faudra revenir, un autre jour, une autre saison, un autre horaire. Tôt le matin ou tard le soir. Comme à Lecce, trop de beauté et d’harmonie me laissent de marbre. Je préfère les griffures du temps, les failles et ciels d’orage.

Symboles et  clichés

Locorotondo, Ostuni, chaque village se pare de ses plus jolis atouts. Dans les ruelles ornées de chapeaux ou d’escaliers fleuris, la ceramica, les restaurants de spécialités, les vins de la région. Où poser son regard ? Tout est occasion de prendre mille et une photos, à contempler le temps qui passe, les ombres des chats arasant les murs. La douceur de septembre dépose un baiser d'ange transparent.

Le village voisin d’Alberobello est Locorotondo. Une coquille d’escargot, un village circulaire. Encore de la rondeur, de la blancheur. D’ici, une vue panoramique sur la vallée, les bouquets de trulli, les vignes, et dans un bar à vins, le Canon de Pachelbel offrent aux vignobles l’alchimie parfaite du vin à venir.

Les tables des restaurants entravent les ruelles. Les passants se faufilent, les trattoria et cucina affichent completo. Quel chapeau suivre ? Quel passage secret peut nous mener dans un endroit calme, loin du bruit de midi. Je ne sais plus le nom de la place ombragée, ni celle du restaurant semi gastronomique. Je me souviens d'un repas divin, de poivrons et aubergines grillés, de burrata et de figues tièdes.

Dans les ruelles étroites protège de la chaleur, de son œil de sorcière un miroir revoie l'image des touristes égarés, les escaliers mènent à d'autres escaliers, à des portes closes. Nous déambulons dans ce décor de conte de fée, presque irréel. Je ne serais absolument pas surprise de parler à un génie d'une bouilloire rouge éclatante.

La ville de Martina Franca est à 10 minutes de chez Tragedy.. Comme pour découvrir un trésor bien gardé, nous passons les vilaines rues encombrées, Diego s'arrache les rares cheveux qui lui restent pour comprendre le stationnement de ce dimanche. Avant 15h, entre le 15 et le 30.. quelle date sommes nous ? Quelle heure est il ? Jour pair ou impair ? Coté gauche ou droit ? Nous voilà enfin posé, garé, tout prêt du centre historique.

La ville est chic, belle. En cette fin d'après midi, un rayon de soleil éclabousse d'or la Basilique San Martino. Nous déambulons jusqu'au soir sous le regard des inamovibles papis, scellés à leurs chaises. Un apéro au café du théâtre, flâneries dans le labyrinthe des ruelles, diner en terrasse et visite à nouveau de la Basilique éclairée.

 Basilique San Martino de Martina Franca

A Ostuni, nous avons quelques difficultés à trouver le centre de cette cité d‘escaliers et de voies sans issue. Nous croisons un couple de français, à croire que toute la France de septembre s’est donné rendez-vous dans les Pouilles ! Eux aussi tournent et tournent.

Pourtant impossible de louper ce centre, cette place centrale qui grouille de monde et de magasins. La rue grimpe vers la Catedral del Assuta. Je me régale. Chic des boutiques, des bijoux, du vrai shopping de fashion touriste. Huile d’olive, encore quelques paquets de pastas à des prix hyper attractifs.

Au retour, nous tournons un peu, comme à l’aller. L’Italie est un pays de beauté, et aussi d’escaliers. Toujours des marches inégales, glissantes, hautes. Des escaliers aux portes des maisons, aux porches des des églises.

En regardant ma photo, j’ignore si ce cliché est un trompe l’œil ou réel.


Aux marches du palais 
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Speccia

la Madonna del Passo


 Un chapelet de ballons s'élance vers un ciel d'encre

Quel hasard, quelle providence nous amène ce soir à Speccia ? Car dans les voyages heureux, les anges fredonnent des ritournelles, des rendez-vous. La petite ville est en fête, fébrile, belle à croquer. Nous sommes passés hier, au détour de la route. Le village nous semblait tout petit. Mais ce soir, nous trouvons une charmante ville, étendue comme une vague sur le rivage.

La rue centrale est parée d'arches lumineuses, encore éteintes. Des artisans exposent leurs créations colorées. Un antiquaire fait son salon d'un cheval à bascule et d'un fauteuil en cuir. Les bars et cafés ont sortis des bancs, des chaises, des tireuses de bières et futs de vins. La rue fébrile s'endimanche, les enfants impatients de la fête, les femmes affairées, les hommes attablés (!)

 Juste avant, la ville fébrile s'endimanche

Un feu d'artifice ouvre la procession. Elle ondule dans les rues, épousant les haies de bougies. Des fanions, des prêtres, enfants de chœur, des femmes, des hommes suivent, chantent et prient. Comme ma grand-mère le dimanche à l'église, les femmes plus âgées se sont faites belles. Jupe droite marine, chemisier blanc et collier de perles.

Tout ce monde précède le cortège de la Madonna del Passo. Cette Madonne que j'avais tant admiré la veille. De son visage découle une parfaite harmonie, de ses habits aux couleurs roses, bleue et or, un parfum d'enfance. La Vierge à l'Enfant resplendit de lumière. Hissée par huit porteurs, la Madonna del Passo bénit la cité. Les rues sentent le bon, le frais. Des guirlandes de ballons blancs et bleu marial flottent comme des séraphins aux balcons. Ici, comme partout en Italie, le peuple honore la Madonne. Elle fait partie intégrante de la vie quotidienne. Nous nous joignons à la procession, la nuit est tombée. Sur ce sentier de lumière, les portes des maisons ouvertes sur les couloirs, les entrées. Sur les guéridons, des cadres, des chandeliers autour des photos sépias des aïeux. De leur ciel de silence, les défunts participent à la cérémonie. Des pétales de fleurs sont jetées au passage de la Vierge. Instants de protections et de bénédictions. Murmures et recueillements. Chants et prières. Ferveur de la foule.

Chacun attend la Madonna selon sa foi

Les maisons se ferment, le ciel vire lazuli, les étoiles clignotent dans le ciel de la Vallée d'Itria. Le cortège approche de la Plazza del Popolo. A son passage, les arches s'illuminent, la foule applaudit, se presse pour toucher la Vierge à l'Enfant, la prendre en photo. Dans la houle de la foule, la vague avance, s'arrête, prie, recommence. Le sacré rencontre le profane. Les porteurs la déposent sur la place, soufflent aussi. Les ballons s'envolent, des rubans flottent, un nouveau feu d'artifice éclate. Des cris, des applaudissements. La fête païenne éclabousse la sainte procession. Comme prise d'une folie collective, je suis la Madonne dans l'église, jusqu'à son alcôve.

Ferveur de la foule 

Dehors, la fête bat son plein. Les plus anciens rentrent sagement chez eux, les plus jeunes s'agglutinent devant les bars bondés. Je retrouve Diego devant le marchand de crêpes, notre point de ralliement.

Demain une nouvelle procession honorera un saint, un martyr, une Madonne dans un village à la ronde. Ces processions offrent une indéfinissable alchimie du sacré, du beau, du renouveau. Une communion intergénérationnelle, entre les vivants et les morts, du recueillement à la fête joyeuse, un entracte intemporel.

Fête des lumières 
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Dans les méandres du temps

La Basilicate, la belle du Sud aux villages blancs perchés révèle une beauté sauvage, âpre et fragile. Il suffit parfois de gratter la boue pour que de l'ombre surgisse la lumière. Et de cette lumière, l'image de notre plus profonde humanité. Une mémoire ancestrale résonne, tonne à l'approche Ma Terra, - devrais l'écrire ainsi ? - Une ville qui murmure a nos âmes blessées un secret d'éternité.

Sur le plateau calcaire des Murge, dans le canyon du fleuve Gravina, la ville surgit comme une onde de choc. De ses couleurs blanches et grises, elle se coule dans la ravine, dans le ciel. Comme sortie de cette terre d'argile, façonnée par des milliers d'années de pluies et de civilisations. Des passages secrets, une tour de Babel inversée. Des escaliers mènent sur une terrasse ou un mur écroulé. Des venelles sans issues aux détours des églises. Des escaliers, encore et encore. Une ville minérale d'une beauté à l'état brut. Diego l’a inscrite dans les visites et moi je me laisse mollement guidée sans savoir où je vais, ce que je vais découvrir. C’est parfois mieux ainsi. Il nous faut dépasser la laideur des barres d’immeubles, tristes vestiges des années 1950. Passer dans les ruelles désertées de midi, aux volets clos et linges claquant aux fenêtres. Au mitan de la journée, la ville se calfeutre, se replie sur elle comme une boule chat en mode hiver.

Dans un brouhaha discret et ouaté nous arrivons aux portes de la ville fouillie. C'est un tour de passe- passe, une parfaite illusion, je ne sais si Matera est sur une butte ou dans une ravine. D'un promontoire nous embrassons du regard la cité troglodyte creusée dans un dédale d’ombres et de pierre. Au loin, les sassi, les grottes dans lesquelles vivaient encore la population dans les années 1950. Dans son très beau roman "Le Christ s'est arrêté à Eboli" Carlo Levi raconte sa visite en 1935. Des grottes, des habitations entassées les unes sur les autres, des échelles en guise d'escaliers. Ni eau courante, ni électricité. Et la pauvreté indicible des familles vivant dans une même et unique pièce en compagnie de leurs chèvres, cochons et poules. Des marmailles d'enfants dénutris encore ignorant la belle destinée de Matera . Les uniques portes ouvertes sur la noirceur des habitations, et certaines sans ouverture, ne possèdent qu'un seul passage dans la paroi supérieure. Ce fut la honte de l'Italie, la pauvreté du Sud étalée au grand jour. Alors il fut décidé de construire les barres abjectes mais pourvues d'eau courante et d'électricité et ainsi reloger les habitants. Délocalisés, dépossédés de leurs traditions, les materani balaient peu à peu les scories de la cité éternelle pour la réinvestir dans années 1970.

Nous avons le temps de déambuler, de déjeuner, de nous perdre dans un dédale de venelles. Je crois que nous sommes venus nous y perdre, sans le savoir. L'espace semble être soumis aux règles sacrées des vieilles pierres. Spiritualité des lieux sacrés, la ville demeure silencieuse. Je reste magnétisée par cette ville ivre de lumière, folle de vivre à nouveau après tant d'années de misère et d'abandon. Elle est bien plus que beauté. La rumeur du vent raconte que Matera est une des plus anciennes villes du monde, dans le sillage de Jéricho, Alep ou Damas. Qu'est ce qu'un après-midi ? Une poussière d'éternité. Nous n'avons rien visité, ni sassi, ni églises rupestres. Promeneurs égarés d'un belvédère à la terrasse d'un café, simplement propulsés dans cet hallucinant labyrinthe.

Que pensent les personnes nées ici dans l'extrême pauvreté, de voir tous ces touristes habillés de blancs et belles couleurs arpenter les rues pavées en se régalant de délices glacés ? De leurs sassi transformés en hébergements atypiques ? Certains de ces hommes et femmes vivent encore et témoignent d'un passé à vif.

Figues et linges sèchent au soleil tandis que le vin patiente gentiment

Comme beaucoup d'enfants, je creusais la terre pour en voir le centre. Traverser les flammes de l'enfer et ressortir en Chine. Mais je crois que le centre la Terre est simplement ici.

En 1993, Matera fut inscrite au Patrimoine Mondial de l'Unesco, en 2019, capitale européenne de la culture. Pourtant la même année des torrents de boue ocre dévalent les rues à la vitesse de chevaux au galop. Mais la presse se focalise sur Venise, à nouveau les pieds dans l'eau. L'histoire se répète inlassablement, le Sud semble encore oublié.

Dans le labyrinthe de pierre

Nous quittons à regrets la ville de pierres et de grottes. Sur la route des carrières coupées à blanc. Des murs de cubes empilés, découpés parfaitement, patientent. Le soleil s'efface gentiment.

Septembre est de miel et "Mourir peut attendre" …dit James Bond en 2019.

Matera offre un décor hors normes pour le cinéma. Beaucoup de films ont été tourné ici, les plus connus sont "La Passion du Christ " de Mel Gibson en 2002 et « L’Évangile selon Matthieu » de Pier Paolo Pasolini en 1964.

Et bien sur le livre Le Christ s'est arreté a Eboli de Carlo Levi . Un sublime portrait comme un arrêt sur image de cette région, ses, traditions, ses habitants

Ivre de lumière 
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A la croisée des chemins 

Comme un géant aux pieds d’argile, la Basilicate s’abime doucement. Elle est la cheville oubliée de la botte, la malléole. Au sud des Pouilles, au nord de la Calabre, à l'est de la Campanie. Nous sommes venus, attirés comme des phalènes aux réverbères pour ces ravins d’argile, ces badlands, - terra cattiva -. Dans ces mauvaises terres aux faux airs de Far West spaghettis, les villages perchés dansent dangereusement aux rythmes des calenchi, les falaises d’argile, et des voyageurs aux pas sages. Routes solitaires des cités oubliées d'un monde en furie, à l'image de navires échoués aux sommets des collines. Nous avons rencontrés le Sud des romans, des vieux films, des fantasmes. Cité fantôme, villages endormis, ville de grottes. Et toujours au détour d'un chemin, la beauté baroque d'une église. Madone et saints aux visages dévastés. Magnifique. Tragique. C'est un beau pays, qui mérite plus qu'un détour. L'envie d'y revenir s'inscrit dans chaque mot..

Nous arrivons peu avant midi à Pisticci. Braves touristes de bonne foi, nous tournons pour trouver une place dans le dédale des ruelles. Diego cherche un disque bleu pour le stationnement, ce sera un bout de papier bleu griffonné avec l’heure d’arrivée. 12 heures carillonnent les cloches de l'église. L'heure de déjeuner, de s'arrêter, de vider les rue de ses habitants. Les rideaux de fer des commerçants se baissent dans un dernier bruit métallique.

Un cafetier nous apporte une bière. Je demande une cupa de vino blanca. Il n’a que du Martini. Va pour un capuccino. Chacun rentre chez lui, la cité se vide avant avoir fini bière et capuccino. Nous laissons Pisticci à sa sieste. Quelques passants nous salue d'un "Hello".


Un peu de fraicheur et sérénité au cœur de l'Église Mère des Saints Pietro et Paolo.

Peu importe nos convictions religieuses, les églises nous invitent à la contemplation. Une beauté infinie se dégage de ces pierres ancestrales. La patience des artisans, la foi du peuple, les prières. Ces églises belles comme un dimanche de procession, ouvertes à qui veut bien y entrer, s'assoir et de poser un instant. Nous en visitons des dizaines, et à chaque porche franchi, à chaque pas, nait un nouvel émerveillement.

Seuls sur la route. L'horizon offre en partage ses figues de Barbarie. Le ciel infiniment bleu, le vent chaud et sec. Les ravines formées d'argile et de sable, de saisons sèches et pluies violentes sculptent le paysage de larmes douces d'argent. Au sommet des collines, les villages blancs nous renvoient l'illusion de sommets enneigés.


CRACO 


Fantasme des villes fantômes, nous avons quelques ruines hantées en mémoire. Beaucoup dans l'ouest des USA. La plus merveilleuse se situe aux portes de la Vallée de la Mort en Californie. Mais qui oserait comparer l’Italie millénaire au pitchounet centenaire de la ruée vers l’or et de ses quelques baraquements de bois ?

La route des ravins d’argile contourne les villages isolés. Chaque hameau nous transporte dans une histoire, un autre temps. Lorsque le temps remonte au 6eme siècle avant JC, nous arrivons à Craco. Au détour d’un virage, la cité nous observe comme elle le faisait déjà au moyen âge. Je distingue une ville de pierre aux contours imprécis. Comme un dessin d’enfant dans le ciel. Un nouveau virage et les contours efflanqués se précisent. Superbe bastion médiéval sorti droit de l’enfer. Fenêtres borgnes, portes murées, palazzi dévastés. Craco fut une forteresse en d'autres siècles, un centre stratégique militaire. Ville phare de l’Italie du Sud.

Dans le vent chaud de septembre, je regarde ses murs lépreux prêts à dégringoler de leur colline d’argile, comme un vulgaire château de sable. Silhouette effrayante d’un passé glorieux. Puissance et décadence. Glissements de terrain, malaria, peste. Et que penser ce sublime bleu des cieux célestes des églises, qui a la particularité d'éloigner les moustiques, est juste plombé d'arsenic. En 1963, les derniers habitants fuient, ou sont délocalisés. Craco, la ville forteresse, la sublime, sombre dans l'oubli. Pillée, elle est aujourd'hui inscrite par l’ONG « Fond mondial pour les Monuments » à la liste des sites en péril et à sauver. Que deviendra-t-elle ?

Ma première sensation fut une émotion brute, presque palpable. Cette cité si ancienne ne peut être anéantie. La storia gravée dans les murs, les tombes. Je ne visite pas le village - payant avec un guide et un casque – seulement un détour sur le coté. la storia raconte que le corps momifié de San Vincezo repose dans la Chiesa Madre San Nicola. Trois immenses croix de bois sont plantées là. Est-ce l’ultime décor de la Passion du Christ de Mel Gibson ou de Qantum of Salace ?

Une bande d’étourneaux s’envole en un seul battement d’ailes. L’imagination s’emballe. Le mystique des lieux, l’atmosphère si étrange.

Presque 15 heures, le soleil cuit la terre de ses rayons. Je réintègre mon siècle et mon mari tout neuf. A ses côtés un minuscule minet de gris vêtu tente par mille facéties de se faire adopter. Je ne parie pas cher de sa peau.

ALIANO 

Pour Carlo Levi, l’auteur emblématique du roman « Le Christ s’est arrêté à Eboli ». Ainsi parlaient les paysans de Gagliano. Carlo Levi qui fut un confitani, en résidence forcée de 1935 à 1936 raconte le quotidien sordide de ses habitants. La ville d'Eboli, 300 km au nord, marque cette frontière imaginaire de la civilisation et du sud misérable. Bientôt 17h, le village se réveille doucement de sa léthargie. Les hommes en rang d’oignons sur les bancs, palabrent en nous regardant passer. Dans les ruelles, des femmes vêtues de noir posent comme modèles de photos argentiques. Nous passons par la chiesa. Fraiche et silencieuse. Si le Christ s’est arrêté à Eboli, le temps s’arrête à Aliano.

Le cimetière est une jolie enclave, ombragée et apaisante. La tombe de Carlo Levi est une dalle face aux oliviers, à la plaine. Dessus, des cailloux dédicacés, une fleur prête à s’envoler, petits mots déposés. Simplicité et respect. La Vierge Noire de Viggiano n'est jamais bien loin.

 Carlo Levi

Ultime étape sur notre route, le soleil s’enfuit vers l’ouest. Nous délaissons le village de Tursi au profit de la très belle église romane Santa Maria d'Anglona. Le paysage prends des allures de Badlands du Dakota du Sud, le sentier serpente et grimpe je ne sais où. Encore un bon plan de Google Maps.

Comme j'aimerais m’arrêter à chaque virage pour photographier cette terre aux coulures de glaise comme un gâteau pas cuit. Des couleurs d’or et de cendre. Je me dis que je prendrai des photos au retour. Que nenni.

Un petit air des Badlands au Sud Dakota

Bien au-dessus du monde le monastère. Un immense parking à nettoyer, nous arrivons après la fête. Que reste-t-il ? Un point de vue sublime. A mes pieds un ravin s'endort, au loin des cultures. Dans la Chiesa, trois jeunes sœurs vêtues de blanc et bleu marial récitent une prière.

Je sors sur la pointe des pieds. Sur le coffre de la Jeep, Diego étudie la carte Michelin. Il est déjà tard, Hélas, le sentier si merveilleux de la montée restera souvenir. Une autre route, droite et sans nul ravin fragile nous ramènera dans notre trullo.


8

Là où finit la Terre

Rêve ultime de vivre en bord de mer, là où ni montagne, ni massif ne heurte l'aventure. Le regard plongé dans l'horizon, où commence tous les possibles, tous les voyages. Il est facile d'imaginer des histoires de marins, de femmes, de pirates, de légendes. Des histoires d'amour et de passion. Des espoirs jetés au large des embruns, ballotés par la houle et revenir doucement sur les nuages de ouate.

Bleu du ciel et vagues maudites, ce monde entre deux est une inspiration sans limite. Dans cette aiguille de botte si particulière, nous avançons d'église en église, de surprise en surprise.

 Cathédrale de Monopoli 

Sur les côtes, les naïades flirtent avec la Terre. Elles enlacent les rivages, et les rivages se jettent à corps perdus dans les eaux bleues de ces mers. Adriatique à l'Est. Ionienne à l'Ouest. Des fragments de rochers s'éparpillent comme des friandises au vent du large. Les petits villages font face, fièrement, aux vagues éternelles. Pays de terriens à la ruralité ancestrale face à ce pays de marins aux regards fixés sur l'horizon. Nous longeons le littoral. Vers le Sud, dans l'aiguille du talon de la botte. Dans ce finistère où les belles maisons semblent abandonnées à leur passé prestigieux. Santa Maria di Leuca, Galipolli, Monopoli, Polignano a Mare, Otranto résonnent comme des promesses aux couleurs salées.

Polignano  a Mare 

Vaisseaux immobiles aux voilures blanches, ces villages gardent des secrets dans leurs ruelles tortueuses.

Santa Maria di Leuca, est une belle endormie en cette arrière saison. Les vastes maisons côtières semblent oubliées. Comme j'aurais aimé franchir les portes d'une de ces demeures au parfum de nostalgie. Au bout de la jetée, le phare dressé comme un cierge blanc est le point d'exclamation de la péninsule. Le Sud du Sud du talon. Les plages privées sont fermées, le ciel pâlot n'incite pas à la baignade mais au cappuccino.

Les belles demeures de Santa Maria di Leuca 

Atteindre les plages de sable fin, descendre dans les grottes secrètes. Se perdre encore dans les ruelles d'ombres des villes sculptées à même la pierre. Remonter le temps des maisons enchatonnées dans les falaises. Ecouter le sirocco murmurer la rumeur des dunes. Se laisser flotter dans une grâce au parfum d'Orient, hors du temps. Et offrir, encore et encore, son visage aux caresses salées du large.

Des tours massives de pierres carrées ponctuent le littoral. Le charmant port de pêche de Galipolli dépose sur la Mer Ionienne toute sa poésie. La petite chapelle portuaire bénit les marins. Il nous faut passer le pont pour atteindre le centre de la cité. Malgré ses allures touristiques, je fais le plein de pastas et tomates séchées à prix ultra câlins. Maisons couleur crème, linge qui claque au vent, il plane ici un parfum de bonheur tout simple. Un déjeuner de Poisson grillé sur le port, vin blanc local, soleil et brise tiède. Surprise à l'addition. Il faut parfois se méfier de faux amis. L'etto ne signifie pas poisson du jour, ou frais ou l'été mais les cent grammes. Notre déjeuner de romance pèsera plus cher que prévu. Qu'importe. Nous avons appris à nos dépends à mieux lire les menus.

Le long des côtes, de rivages en mirages, nous espérons parfois une baignade avec nos maillots de bain tout neufs. Hélas, beaucoup de plages sont privées. Il ne reste que des bouts de rochers publics pour s'amasser. Peu importe, les villes offrent bien assez de dépaysement. L'étonnement est au rendez vous au détour de ces cathédrales et églises, qui rivalisent de beauté.

Au bord du vide, les maisons Poligniano a Mare se jouent du vertige. L'Adriatique rogne doucement les fondations de la cité créant une dentelle d'argile blanche et grise.

C'est un pays ancré sous la bénédiction de la Vierge noire de Viggiano, du Padre Pio, des Archanges. C'est un pays de chats endormis. De port en piazza, ils déposent sur le monde leurs ondes félines. Nous passons sur la pointe des sandales, car jamais au grand jamais, nous ne devons réveiller un chat endormi.

Dans la cathédrale Madonna Santissima della Madia de Monopoli un mariage se prépare. Beaucoup de fleurs, une cérémonie grand luxe dans un écrin baroque. Nous revenons plus tard. Comme bien souvent la façade dissimule le faste intérieur. Des marbres. Partout. Des dessins, images, des portraits émergent des mosaïques des piliers. A qui ouvre ses yeux, un lion, un scarabée, un regard, une phalène ? C'est un travail d'artiste d'une rare élégance.

Nous n'avons pas tout vu de ces villages, ni les ports, ni les églises qui sillonnent les places. Même en trainant des après midi entières nous sommes passés bien trop vite. A peine le temps de s'émerveiller, de savourer une glace, un caffè Leccece et de repartir.

J'ai oublié des noms, des dates, des choses. Mais dans mes souvenirs ouatés, flotte la lumière d'un grand soleil irisé sur des eaux bleues sublimes. Comme un dessin d'enfant, comme un souvenir de robe blanche.

9

BARI

Le voyage s’achève là où il commença. A Bari

Nous y restons peu de temps. Le temps d’une soirée au fil de l’intemporel.

Notre hôtel est dans le vieux Bari, contre la porte San Nicola. Comme d’habitude, il faut se garer pour laisser nos bagages. Nous n’avons encore pas saisis les lois ésotériques des parkings. Diego paye même si aujourd’hui, domingo, c’est gratuit.

Nous avons quelques difficultés à trouver l’hôtel, celui avec le cloître et vue sur la mer. Le GPS le situe pile-poil ici mais rien n'indique des chambres, un hôtel, un lit. Finalement Diego se renseigne dans la pâtisserie du coin. L'instinct gourmand aura raison de nos recherches. Car c'est bien la pâtisserie qui fait office-réception de l'hôtel.

D’une cellule-chambre d'un cloître avec vue sur l’Adriatique, nous dormirons en face, dans une chambre troglo avec vue sur le couloir du restaurant voisin. Peu importe, nous sommes dans le centre, et la chambre sera parfaite pour cette dernière nuit. L’ultime formalité de retour, rendre la voiture de location au loueur à l’aéroport, et prendre un taxi pour le retour dans une vraie conduite à l’italienne. Sans foi, ni feu, ni loi.

 Basilique San Nicola

Bari est une fourmilière, ça grouille dans tous les sens, la basilique envahie de touristes, le parking d’en face, de bus. Voilà qui nous change de notre tranquille trullo des abords de Martina Franca et des chants muets de Tragedy. Les ruelles s’entrechoquent dans un dédale de maisons et courettes. Les trois incontournables papys devisent toujours des mêmes sujets. Italie éternelle

Des mamas, tabliers noués à la taille, font sécher leurs orecchiettes. Hélas ma valise est déjà archi blindée, plus aucune fine tagliatelle ne peut s’y faufiler, impossible d’acheter encore un paquet de pâtes. Dommage. Celles-ci ont l’air jolie, petites et fines. Raffinées comme des bijoux de nacre.

Dans les cours, sur les balcons, des femmes attrapent leurs bambinos par le bras pour la douche, les gamins en petites culottes, s’enfuient comme un nuée d’oiseaux dans les rues. Les femmes les rattrapent, les essuient. Les mamas refont le monde. Heure bénie de fin d’après midi. Heure entre goûter et repas, entre bonjour et bonsoir. Le soleil vermeil jette un dernier regard sur la ville et glisse en mer comme un ballon.

La dolce vita s’invite. Un dernier Spritz à la terrasse d'un café, des femmes m’apostrophent « Bella la Segnora ». Nous expliquons, luna di miele. Elles nous félicitent, nous souhaitent le meilleur et nous embrassent. Une partie d'échecs au clair de lune, au bord de la plage. Bonheur du Sud où chacun trouve encore le temps de sortir sa chaise devant sa porte et discuter avec son voisin. Le tissus social indispensable, vital, aux antipodes des écrans chronophages

Partout des icônes aux frontons des maisons, sous les porches. Une mini procession devant une sainte.

L'aube tranquille colore les murs d'or rosé. Petit-déjeuner devant la pâtisserie-hôtel. Le taxi commandé est déjà là. Une Mercedes climatisée. J'ai le temps de voir une dernière fois la basilique San Nicola. A cette heure matinale, je suis seule. Quel contraste avec la foule de la veille. Quel bonheur ! A l'horizon, le gros ballon vermeil refait surface comme par magie.

Il est 6h, Bari s'éveille. Nous partons. Le taxi se coule doucement dans les rues.

10

Voilà déjà quelques mois que nous sommes rentrés et l'envie de revenir dans l'élégante botte nous séduit. Nous garderons en souvenirs des images sages de la douceur d'une fin d'été. Des oliveraies, des figuiers de barbarie, la gastronomie. Il y a bien évidemment la beauté des églises, le baroque des villes, les trulli. L'accueil simple et chaleureux des italiens, leur foi inébranlable en la Madone, les Saints, le Padre Pio et une alchimie de superstitions païennes. Pourtant, l'émotion est encore plus au Sud . Du coté de la Basilicate, des ravines blanches et argiles indécises. Dans les méandres du temps, dans ces villages perchés figés dans une silencieuse éternité. Comme si les années passaient au nord, et oubliaient ce Sud rural. Le Sud où la vie s'alentit.

Des choses que nous avons pas aimés, pas comprises. Le code de la route carrément inutile, la signalisation abstraite des stationnements, la saleté, les ordures jetées dans la nature, la laideur des abords des villes. Dommage que beaucoup de plages soient privées. Malgré ces petits travers, nous reviendrons nous créer de nouveaux souvenirs solaires. Et entendre à nouveau les quantiques du soir et les femmes me dire en riant "Bella la signora".

Isabel et Diego

Arrivederci !