Etrange contrée peuplée de drôles de maisonnées. Des troglodytes de Matera aux villages perchés à l'équilibre précaire des ravins d'argile, des villages grignotés par la mer aux trulli de la Vallée d'Itria.
Un monde de contes et de lutins facétieux vêtus de capes et grandes capuches rouges. Des superstitions ancestrales, une terre où le soleil et la lune dansent encore la mélodie des étoiles.
C'est dans la vallée d'Itria que poussent ces drôles de capuchons blancs, jetés aux quatre vents comme des pions d'un jeu d'échec désordonné. Nous en avons loué un pour notre séjour. Le trullo n'est pas inhabité, loin de là. Le seigneur du domaine n'est pas bien grand et guère épais. Roux, blanc et fort moustachu, il nous accueille par un tragique cri muet. Il s'appelle Tragedy, nous informe notre hôtesse. Diego voudrait bien le renommer d'un nom, plus noble, tel Bernardo ou Léonardo mais ce n'est pas dans l'air du temps. Son nom lui colle parfaitement aux poils. Tragedy miaule en braille, en silence. Nous sommes trop heureux de partager son trullo, et lui nos repas. Des miaaaouuuu aphones contre quelques sardines. Le pacte d'amitié est scellé.
Si Alberobello est le village star des Pouilles, la campagne de manque pas d'attraits. Les trulli parsèment le paysage tel un champ de couvercles de tajines, sans tajine, évidemment ! Vagabondage dans la vallée d’Itria. Ces maisons rondes sont parfaitement imbriquées dans les éléments. Tout comme les igloos Inuits, hogans Navajos, yourtes Mongoles, cases africaines, les maisonnées Hobbits de la Terre du Milieu et bien d’autres dans le monde. Harmonie des sages, des anciens qui savaient parfaitement d’où venait le vent et où tombait la pluie.
Dans une parfaite ignorance, je pensais qu’Alberobello était le concentré unique de trulli. Que nenni ! Ils sont partout dans la campagne. Parfois isolés sous un ciel d’octave, ou parfaitement restaurés et agrandis, avec tout le confort moderne. D’autres abandonnés des hommes, s’écroulent sous la fatalité des ans.
Les trullo étaient un choix d'habitation non dénué de bon sens rural. Du 14ème siècle à la fin du 18ème , ils étaient considérés comme abris et non habitation. Bonne idée pour leurs habitants exemptés de ce fait de taxes locales. Ce n'est que bien plus tard, en 1797, que la petite cité fut considérée comme une ville et donc imposable.
Est-ce que les lutins, petits hommes aux oreilles pointues et les fées translucides se cachent de la foule touristique ? Ils sont sans doute ici, derrière les pierres sèches, dans les fontaines et sous le couvert des pétales de fleurs. La beauté de ce village aux maisons coniques est légendaire. Sans aucun doute l’image emblématique des Pouilles.
A l’heure où nous garons la sobre Jeep Renegade, - prononcer "ROAD AGAIN" - Alberobello s’éveille, que déjà les bus envahissent le parking. Nous arrivons avant les groupes sur la place centrale. Pas tout à fait déserte. Les trois indécrottables papis que nous rencontrerons sur tous les bancs publics devisent du monde passé, du match à venir. Ils sont bien, ces vieux-là, à l’ombre d’un figuier séculaire à regarder les badauds s’extasier sur leur village.
Les mystérieux symboles peints sur les toits de galets, sont-ils le code des druides où de malins artefacts pour conjurer le mauvais sort et attirer la grâce divine. Apparemment les historiens débattent encore aujourd’hui de ses dessins. Au sommet du quartier Monti le trullo sacré : la chiesa San Antonio. Edifiée en 1926 par des derniers maîtres trullistes. Aux antipodes du baroque de Lecce, la simplicité et l'élégance toute simple de cette église est bienfaisante.
Pourtant je reste sur ma faim. Quelques photos sur fond de ciel bleu intense, un cafe de leccese à une terrasse. Il faudra revenir, un autre jour, une autre saison, un autre horaire. Tôt le matin ou tard le soir. Comme à Lecce, trop de beauté et d’harmonie me laissent de marbre. Je préfère les griffures du temps, les failles et ciels d’orage.
Locorotondo, Ostuni, chaque village se pare de ses plus jolis atouts. Dans les ruelles ornées de chapeaux ou d’escaliers fleuris, la ceramica, les restaurants de spécialités, les vins de la région. Où poser son regard ? Tout est occasion de prendre mille et une photos, à contempler le temps qui passe, les ombres des chats arasant les murs. La douceur de septembre dépose un baiser d'ange transparent.
Le village voisin d’Alberobello est Locorotondo. Une coquille d’escargot, un village circulaire. Encore de la rondeur, de la blancheur. D’ici, une vue panoramique sur la vallée, les bouquets de trulli, les vignes, et dans un bar à vins, le Canon de Pachelbel offrent aux vignobles l’alchimie parfaite du vin à venir.
Les tables des restaurants entravent les ruelles. Les passants se faufilent, les trattoria et cucina affichent completo. Quel chapeau suivre ? Quel passage secret peut nous mener dans un endroit calme, loin du bruit de midi. Je ne sais plus le nom de la place ombragée, ni celle du restaurant semi gastronomique. Je me souviens d'un repas divin, de poivrons et aubergines grillés, de burrata et de figues tièdes.
Dans les ruelles étroites protège de la chaleur, de son œil de sorcière un miroir revoie l'image des touristes égarés, les escaliers mènent à d'autres escaliers, à des portes closes. Nous déambulons dans ce décor de conte de fée, presque irréel. Je ne serais absolument pas surprise de parler à un génie d'une bouilloire rouge éclatante.
La ville de Martina Franca est à 10 minutes de chez Tragedy.. Comme pour découvrir un trésor bien gardé, nous passons les vilaines rues encombrées, Diego s'arrache les rares cheveux qui lui restent pour comprendre le stationnement de ce dimanche. Avant 15h, entre le 15 et le 30.. quelle date sommes nous ? Quelle heure est il ? Jour pair ou impair ? Coté gauche ou droit ? Nous voilà enfin posé, garé, tout prêt du centre historique.
La ville est chic, belle. En cette fin d'après midi, un rayon de soleil éclabousse d'or la Basilique San Martino. Nous déambulons jusqu'au soir sous le regard des inamovibles papis, scellés à leurs chaises. Un apéro au café du théâtre, flâneries dans le labyrinthe des ruelles, diner en terrasse et visite à nouveau de la Basilique éclairée.
A Ostuni, nous avons quelques difficultés à trouver le centre de cette cité d‘escaliers et de voies sans issue. Nous croisons un couple de français, à croire que toute la France de septembre s’est donné rendez-vous dans les Pouilles ! Eux aussi tournent et tournent.
Pourtant impossible de louper ce centre, cette place centrale qui grouille de monde et de magasins. La rue grimpe vers la Catedral del Assuta. Je me régale. Chic des boutiques, des bijoux, du vrai shopping de fashion touriste. Huile d’olive, encore quelques paquets de pastas à des prix hyper attractifs.
Au retour, nous tournons un peu, comme à l’aller. L’Italie est un pays de beauté, et aussi d’escaliers. Toujours des marches inégales, glissantes, hautes. Des escaliers aux portes des maisons, aux porches des des églises.