Entre le ciel et l'eau, la terre et le vent, le voyage continue. De Puerto Montt à Chiloe.
Février 2020
20 jours
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Personne ne peut aller au delà sans tomber de la planète.

A l'origine du voyage était le grand désert d'Atacama, blancheur salée d'altitude tant attendue après les pourpres terres de l'ouest américain. Je déplie mes cartes routières, les relie avec du scotch. La silhouette Giacometti du Chili tapisse mon mur, du sol au plafond. Un long, très long parchemin. La tête sous les étoiles d'Atacama, les pieds de géants patagons dans les eaux glacées australes.

Le drapeau chilien claque au vent de Patagonie

Exploratrice de salon, je découvre avec envie des lignes sinueuses bleues, des taches vertes, des sommets andins, des routes plongeant dans un détroit. Des noms à frémir, à trembler, à aimer. Isla de la Desolation, Port Famine, Ultima Esperanza, Valparaiso, Chiloé, Atacama, et Patagonie. Je décrypte ma carte aux trésors.

Est-ce possible une telle géographie ? Un squelette de terre de plus de 4 400 km de long, à peine 200 km de large. Chemin infini froissé entre Cordillère et Océan, Andes et Pacifique. Un camino parsemé de sommets de plus 6 000m d'altitude, de volcans, de forêts, de déserts et salars, de glaciers et cascades. Au Sud du Sud, la Terre de Feu, des îlots pierreux noirs.

L'attirante Patagonie. Résonance d'aventure, d'eldorado. Étrange. Inquiétante. Comment la lire avec cette agonie ? Queue d'un continent, divisée entre deux pays. La frontière est une évidence, imprenable et très indéfinie dans la fabuleuse Cordillère.

Il m'arrive de croire que des Dieux de colère, piétinèrent cette ultima tierra de leurs pas de géants. Ravis de leurs résultats, du dédale, du crumble de rochers écrasés, les Dieux repartirent car il n'y avait plus rien à voir, à broyer, à détruire. Alors le Vent regarda les dégâts, les aima et s'installa pour l'éternité.

Ce voyage, je l'imagine comme un défi, une quête. Mon défi est de voyager solitaire, mon rêve est liberté.

Je ne peux partir 3 semaines à San Pedro de Atacama sans une cruelle frustration. Juste impensable. Je veux partir 3 mois, remonter le Chili de la Terre de Feu aux Salars du Nord. Je prends 3 mois de congés sans solde. A moi l’Amérique ! Du Sud au Nord. Du 50ème parallèle à la ligne d'équateur.

Je resterai un peu à Punta Arenas, dans la cité perdue de Puerto Natales aux portes du Parc National de Torres del Paine. Je me laisserai glisser au milieu des fjords sur le ferry Navimag. Il m'emportera sur 2 200 km . A Puerto Montt, je remonterai vers l'île de Chiloé, Santiago et, San Pedro de Atacama.

https://www.myatlas.com/TerreDeSienne/argentine-1

https://www.myatlas.com/TerreDeSienne/encore-plus-au-sud-ushuaia

https://www.myatlas.com/TerreDeSienne/contes-d-atacama

Mon guide "La Patagonie et la Terre de Feu " Jac Forton - Les peuples du monde

Torres del Paine 
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La capitale patagone chilienne prend des allures de grande ville, aérée, de larges avenues, des maisons colorées, des magasins. Le soleil me sourit. Ola el sol ! Punta Arenas, la pointe sableuse.

Ne pas, ne jamais se fier aux apparences, aux récits. Je suis venue en Patagonie pour les grands espaces, retrouver mes héros, cet homme, Aurélie Antoine de Tournens, qui s’autoproclamait Roi, cet autre devenu fou créa un harmonium de vent. Je suis venue pour lui, El Viento. Les quatre saisons en un jour. Le ciel de suie, les pluies rapides, méchantes, la grêle subite, les chats emportés aux carrefours. Je suis venue lire des romans au coin du feu après une journée éprouvante face aux éléments déchaînés.

Mais tout cela ne sont que des histoires, du bluff. La Patagonie est bleue, calme, au soleil de ses 20 degrés. Sur la costanera du Détroit de Magellan, des enfants rient en maillot de bain, des femmes se prélassent, le Père Noël est en villégiature. En France, la tempête Ciara traverse le pays, et pointe ses 180 km/h dans le massif vosgien.

 Sur la costanera, du bleu et du bleu. De mer, d'horizon, de douceur

Dans la ville patchwork, chaque migrant apporte son bagage, sa culture. A un homme qui me demandait d'où je venais en France, j'expliquais - dans mon poétique espagnol - fronterizo Francia-Espagna. "Paîs Basco" s' exclama-t-il ravi ! Si senor, si.

Je continue ma balade, appareil photo en bandoulière. De lourdes maisons, des maisons de tôles, de bois, souvent avec un petit plus d’âme. Une rose, une porte en bois, un dessin. Et toujours des couleurs vives pour faire sourire le long hiver austral.

 Couleurs australes

Je cherche une banque pour retirer des billets chiliens, mes pesos argentins ne me sont d'aucune d'utilité. Un café wifi aussi. A contriario de l'Argentine, la connexion internet est horriblement chère à moins d'acheter une carte chilienne. Je n'ai pas trouvé de banque mais un café qui accepte les dollars. Je me rendrai vite à l'évidence, le café en dollars est au prix de l'or. Ce petit détail est le premier d'une longue série où j'ai le sentiment de rien avoir à faire ici, sinon payer le prix fort et me taire.

Avec ma wifi, je contacte mon Airbnb pour connaître l'adresse précise. Celle indiquée est un point imaginaire dans le Canal de Magellan. C'est une arnaque. Le proprio répond qu'il est désolé mais il a été cambriolé la veille, il me propose un autre logement. Bonne pomme je le crois. Dans un pays au bord de l’explosion, c'est possible. Sans révolution, possible aussi.

Logement fantôme, adresse bidon d'une nuit dans un hostal tout droit sorti de l'ère Pinochet. La dame était charmante, l'hostal propre mais déprimant à souhait. J’étais seule dans cette maison aux chambres vides sans clef, à la cuisine et salle de restaurant aveugle. La logeuse refusait d'ouvrir aux hommes qui tambourinaient à la porte. Non merci. Sans moi.

Mais cette gentille femme m'a préparé un petit déjeuner d'antan. Gâteaux, confiture, miel et nappe blanche brodée. Je pars triste pour elle car je la sens bien seule mais je ne peux rester ici. Trop de signaux d'alertes clignotent dans ma tête.

Airbnb me rembourse l'intégralité des 3 nuits fantômes et celle de l'hostal. L'arnaque est connue.

Mon premier hostal 

Derrière des panneaux de contreplaqué, un distributeur de billets. Dans le brouhaha des klaxons, j'oublie ma CB. Heureusement j'en ai une de rechange.

Les scories des dernières manifestations s'accrochent dans les avenues. Tags, vitrines des magasins, banques barricadées derrière des plaques de métal, de bois. Au supermarché local, les vigiles portent des gilets par balle. Au coin de la rue, un foyer fraîchement éteint d'un magasin incendié. Le peuple gronde.

Des visages fermés, sombres, des regards inquiets. Pas de sourire, pas de douceur. L'ambiance change.

 Banques et magasins barricadés, incendies

Au fil du vent, je me perds dans les mystères des cimetières. De Rio Grande à Punta Arenas, d'Ushuaia et plus tard de San Pedro de Atacama.

Celui de Punta est merveilleux, disent les guides. Non, il est simplement odieux. Des flaques de lumière coulent au cœur des tombes magistrales. La gloire de quelques nettoyeurs d'indigènes est intacte. Je ne fais que passer entre des chapelles et caveaux baroques.

 Cimetière  de Puntas Arenas 

Il ne porte aucun nom. Il pose son regard las et triste sur l'oubli. Loin, très loin des fastueux mausolées de ses bourreaux.

Indiecito Escondido. Le petit indien caché, hommage au peuple Onas.

Escondido, - caché en espagnol - se tient debout derrière une long mur d'enceinte, à l'abri de la bêtise humaine. Il est vêtu d'un simple pagne, de chapelets et offrandes. Autour de lui, des plaques de remerciements de guérisons, d'amour revenu, des grâces reçues. Pour un souhait, j’effleure sa main d’or.

Dis-moi Indiecito, le cimetière devrait porter ton nom. De ton peuple caché si longtemps dans cet étrange monde, il ne reste rien. Il n'aura fallu que quelques générations pour l'anéantir en toute impunité.

Indieceto, le petit indien caché 

J'ai rendez vous avec ma logeuse Airbnb. Ma cabana est mieux placée. Hors du centre, proche en voiture. 2 chambres, salle de bain et cuisine. Poussière et graisse en cadeaux. Aucune fée du logis n'est venue agiter son plumeau. Je retrousse les manches, ménage en musique.

Attiré par des notes blues ou simplement curieux d'une caresse, le voilà avec ses grandes oreilles papillons. Il sera mon amigo de la semaine, mon réveil joueur, mes soirées calinios.

Le poêle chauffe au-delà du supportable. Je loue pour 3 nuits. Lorsque je demanderai de rester deux nuits de plus, ma logeuse dira oui mais se trompera en sa faveur. Encore une fois, ce sentiment d'être la touriste qui doit sans cesse recompter sa monnaie, vérifier les sommes. Demander trois fois un café et parfois abandonner. A croire que mon 1,67 mètre vêtue d'orange vif est une cape d'invisibilité.

J'aime mon petit chez moi. Un petit tour du quartier, sous le ciel ardoise, le bleu des églises. Puis plus tard, lorsque le ciel se change en or, des chevaux marchent en file indienne dans les rues. Nous sortons regarder l'étrange procession.

 Azul

L'été patagon ronronne comme un chat repu. Une seule et unique pluie le jour de mon arrivée. Je fais un peu de shopping, bonnets et écharpes.

La plazza est déserte ce matin, pas longtemps. Un monstre des mers déverse son stock de croisiéristes du jour. Ils sont bruyants, pressés. Des français parlent fort, j'en profite pour leur demander une photo au pied du Géant Patagon sous la statue de Magellan. Le temps d'un soupir, ils se sont tous dissipés. Un peu plus loin un petit monument dédié aux peuples indiens, et l'office du tourisme tout droit sorti d'un square de Paris.

Légende du géant du bout du monde. Dans les descriptions des premiers voyageurs, les Patagons étaient décrits comme des géants de 2, voire 3 mètres de hauteur. Sans doute les Onas, peuple chasseurs cueilleurs étaient-ils plus grands et plus musclés que les espagnols. Le nom de Patagon, grands pieds en espagnol, est donné, ainsi que Patagonie pour cette terre.

Couleurs des maisons, reflets des rues, porte de bois sculptée.

La lourde demeure, el palacio de Sara Braun. Femme d'affaires du siècle dernier qui acquit une immense fortune. Aujourd’hui elle détient le triste privilège d’être une des pires exterminatrice des amérindiens. Un café abrazo et une photo de sculpture hommage aux indiens.

Au détour des rues, des fresques, le Café Montt devient mon QG internet en dégustant de chouettes pâtisseries. Un petit air de pays avec ce restaurant français et Toulouse au coin de rue. Plus loin, la carniceria Gauchito aux étoiles Magellanes.

Patagonie chérie, de tes Terres isolées et pillées naissent de grandes idées, de grands rêves. Un enfant du pays de 35 ans est élu président, à Santiago, ce dimanche 19 décembre 2021.

Buenas ondas à toi Gabriel Boric. La Patagonie à l'honneur. Je souhaite de tout mon cœur que le Chili sorte la tête haute et fière de la crise actuelle. Un homme patagon saura-t-il avancer vers une vraie démocratie ? Histoire à suivre.

Fresques murales 
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Dans la forêt Magellane du Parc Parrilla, il n'y a rien que du silence, parfois un oiseau, un léger souffle de vent, l'abandon des vagues. Le chuchotement de mes pas à peine perceptibles sur cette mousse, cette tourbe. Je m'arrête souvent pour écouter, respirer, enlacer un arbre. Être présente. Ahora.

Le Parc de Parrilla, n'est pas très grand. Vers 13h, je ne suis plus seule dans la forêt, je n'entends plus les voix des héros de mes lectures hivernales.

La Patagonie demeure une Terre sauvage à qui le veut, à qui ose la chercher. Le phare San Isidoro est le dernier du continent. Je ne suis pas dans le monde actuel, le GPS n'a pas compris ma demande. Peu m'importe, je poursuis un nuage de forme conique. Le nuage m’emmène à Puerto Hambre. Le Port de la famine d'un groupe de colons débarqués pour fonder une colonie. L’hiver implacable, la pluie, les maladies, fatigues et désespoirs. Un an plus tard, il n'en restera que des cadavres, morts de faim, de froid, d'épuisement. Aujourd’hui, quelques bateaux sont en cale sèche pour se refaire une santé avant de repartir sur les flots.

Le nuage conique disparu, je reste un peu seule. Un ruban de soleil m'apostrophe. Je le suis. Sans trop savoir où il me mène. Puis un panneau "Fin de camino", un parking, une caravane-cabane, une barrière. Au bout du chemin, à 5 km le Faro San Isidoro. L'après midi est déjà bien avancé, je ne sais comment je suis là. Je me lance face au vent, sur une plage de rochers, de racines à enjamber. San Isidoro est derrière cette crique, il disparait, les kilomètres s’allongent.

Les hêtres antarctiques se dessinent, se figent pour l’éternité. Le vent me gifle, m'envoie du sable dans les yeux. Je peine à avancer. San Isidoro s'éloigne à chaque pas. Enfin, j'accède à un sentier abrité.

Je croise peu de promeneurs, ils rentrent, ils ont finit la balade. Au large, des baleines troublent la surface de l'eau, s'amusent, respirent. Impossible de les prendre en photo. C'est un cadeau, un regalo en espagnol, juste pour moi. J'arrive enfin au phare du bout du monde. Seule.

 Hêtres antarctiques et canoë  d Alakaluf

J'y suis. Une plénitude totale, complète. A perte de vue, de l'eau d'un bleu profond, de rondes collines, des forêts. Classé monument national du Chili, il est fermé à cette heure. Plus de 19 heures, je dois rentrer avant le crépuscule. Le retour semble plus simple. Le vent est calmé, les rochers moins traitres. J'ai tout mon temps. Je suis allée au bout du chemin, au dernier phare du continent. Je me sens calme, heureuse. Un pétale de rêve entre dans ma réalité.

Mal indiqué et avec des commentaires pas toujours flatteurs, pas facile d'y accéder. San Isidoro restera une de mes plus belles balades au hasard des routes

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A la frontière de l'Argentine et du Chili, El Diablo a son repère. Il m'invite. J'accepte. Sur la piste poussière, un troupeau de moutons parlotent gentiment auprès d'un point d'eau. Des chevaux posent comme des statues de glaise.

Je marche solitaire au milieu des guanacos. Ils me fixent un instant, puis replongent dans leurs ruminations. J'aimerais écrire que le vent hurle des mots impies, que le ciel chargé de haine va déverser son amertume sur moi. Que nenni. Pas un poil de vent, le ciel est désespérément bleu, quelques beaux nuages blancs flottent en suspension. La température moyenne annuelle de Pali Aike est de 4 degrés. Aujourd'hui, El Diablo a allumé le chauffage par le ciel, par le sol. La terre de basalte est charbon comme après un immense incendie. Un décor rugueux lustré au papier de verre sous un ciel bleu d’innocence.

Un cube de bois, un abris. Je m'y arrête pour croquer une pomme, contempler le panorama. Je suis seule à des kilomètres à la ronde. J’entends un bruit sourd qui s’approche. Un animal court vers ma cachette. C'est un chien. Il poursuit un nandou. D’où vient-il ? Aucune voiture sur le parking, aucun son de voix, de pas. Peut-être un fantôme dans ce champ de lave. Puis un bruit plus fort, plus rapide. Un second chien. Je ne bouge pas. Les chiens sont loin quand je sors enfin de mon cube.

Je progresse gentiment. J'ai réellement chaud, mais je ne vais pas me plaindre. La plupart du temps j'attire la pluie. Je sais maintenant que dans l’hémisphère Sud tout est inversé, même mes dons de Grande Déesse de la Pluie s'envolent

Au sol, des baies d’un rouge interdit pimentent le basalte. J'entends à nouveau des cavalcades. Un cavalier vient vers moi, les chiens le suivent.

"seule?" demande-t-il ? Je mens avec aplomb. "No sola, mi marido camina rapido, ese alli - mon mari est ici, il marche vite" -. Le gaucho septique jette un coup d’œil circulaire. Son regard se pose à nouveau sur moi, je profite pour lui demander la permission de le prendre en photo. Très fier, il pose. Et chacun reprend sa direction. Lui au Nord, moi au Sud. Vers la Laguna Ana. Toujours pas un souffle de vent, un calme absolu. Je respire, je marche doucement. A quelques mètres de moi, des dizaines de guanacos. Observer ce troupeau sauvage sans barrière me procure un sentiment incroyable de sérénité et de liberté.

Le Diable serait-il un gentleman? Son invitation était fort belle. Je remonte vers ma fidèle Nissan. Un van se gare, une famille descend. Des guanacos traversent la piste gracieusement. Des barrières enferment l'espace. Un zorro colorado file au loin. Le jour est bien avancé. Je rentre dans ma cabanas à Punta Arenas. Retrouver mon perro amigo aux grandes oreilles.

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Sur les rivages déchirés des côtes Patagones, l'histoire s'inscrit au fil de l'eau, au fil des naufrages.

Je grandis dans les terres, loin des mers et océans. Les extrêmes s’attirent, l’Océan m'attire. De la petite barque de pêcheur au géant porte containers, les épaves, les figures de proue. Il y a quelque chose de fabuleux, de voguer, d'être sur un élément liquide. Je ne sais pas nager, la panique d’être submergée et paradoxalement, j'ai ce désir impérieux de naviguer, flotter.

Le musée maritime Nao Victoria, reproduit à l'échelle réelle les navires des explorateurs. Un pur régal.

Des bateaux échoués, carcasses rouillées, grincements lugubres. J'imagine un tas de romans, des mutineries, des capitaines et commandants, des corsaires. Les aventuriers, ceux qui osent tout quitter pour bâtir une ville à l'autre bout du monde.

Il existe des fantômes, âmes marines, esprits d'éther.

Quelle force divine a guidé Magellan sur son bateau. Des cinq caravelles, seule la bien nommée ’Nao Victoria’ rentre à Séville. Quelle force de caractère pour convaincre, partir, trouver une route maritime fantasme. Lentement, avec une rigueur implacable, il a réussi. Son bateau ressemble à une coquille de noix. Pourtant combien de navires plus perfectionnés se sont échoués dans le Delta qui porte son nom?

Les coques rouillées de l'Ambassador et de l'Amadeo, des navires étendards de la flotte de Menendez. Les deux cages thoraciques sont classées monumento nacional.

Je m'arrête chaque fois que je passe ici. Il dégage une force, un passé de feu, de braseros, de rudesse et d'entraide dans ces bâtiments à l'abandon. Ce fut un lieu de vie et de rencontres sur la route de Punta Arenas. Mon imagination prend le large. Les embruns, les tempêtes, des centaines de moutons, des chevaux, des péons, sans doute quelques indiens, hommes à tout faire dans l'estancia.

Estancia San Grégorio 

José María Menéndez, le roi de Patagonie, créa l'une des plus grandes fortunes de la région grâce à l'élevage de moutons, le commerce et l'industrie du transport maritime. Natif des Asturies en Espagne, il migre en Argentine et épouse Maria Behety en 1873, une riche uruguayenne.

La toute jeune colonie de Punta Arenas attire. Les requins s'y engouffrent avec délectation. Il fait bâtir le ranch de San Gregorio. 300 hectares en 1879. 90 000 ha dix ans plus tard.

Le monstre engloutit les terres, étend ses tentacules. Multiplie les domaines d'activité. Couvre la Patagonie de troupeaux invasifs. Encore 60 000 hectares en Terre de Feu au sud de Rio Grande, où se trouve encore l'estancia Maria Behety, toujours en activité. Encore plus de moutons, et d'hectares. 430000. Il se lance dans la fourniture des navires, l'habillement, la chasse au loup, le pillage de plumes et fourrures sauvages. Import-Export avec l'Europe. Menendez régna sur un véritable empire au sud du Chili et de l'Argentine.

Tout comme Sara Braun, il est accusé d'être un des plus grand exterminateur ethnique. Enterré au cimetière de Punta Arenas, dans une tombe édifiante à la gloire d'un monstre.

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La route. Être sur la Route, entre deux destinées, être juste là, à un instant précis. Un instant déjà écrit sur une carte, dans mon histoire.

Je quitte Punta Arenas un beau matin. Le soleil plonge sa lumière dorée dans le Détroit de Magellan, comme un amical au revoir. Mon camino est limpide. Direction Puerto Natales, à 250 km au nord de Punta Arenas. Deux nuit d’hôtel à Cerro Castillo, les seules de mon voyage.

Coup de cœur pour ces arrêts de bus. Certains sont de véritables maisonnées de bois, de différents styles selon les régions. Celles de Puerto Natales sont ravissantes. Dans ce pays où l’espace est aussi grand que le ciel, chaque estancia possède son abris de bus.

 Arrêts de bus

Il pleut. Je pense rejoindre mon l'hôtel, ne rien faire que de trier mes photos, compléter mon carnet, bien installée dans un fauteuil de velours crème face aux pluies subites estivales.

Je suis aveuglement les directives du GPS. 25 km, 10 km et... 310 km. Impossible. Je continue encore un peu. Le chemin s’arrête net sur un pont de bois à peine solide pour un cavalier. Quelques pick-up sont garés plus loin. Un repère de pêcheurs.

Demi tour. La pluie s’enfuit. Un ciel de miel et d’ambre coule sur l’été austral. Un paysage exceptionnel d’une beauté parfaite. Sensation de début de monde. J’ai presque envie de dormir ici. J'ai payé deux nuits d'hôtel, et un chouette hôtel. Ça serait dommage de bouder des draps blancs de princesse et petit déjeuner continental. Je fais demi-tour. 40km plus tard, les toits rouges de Cerro Castillo se découpent dans l’horizon. Je n'ai toujours pas compris pourquoi le GPS m'a amené ici. Une bien belle erreur. Comme un lieu secret dévoilé, une porte ouverte sur un autre monde. Je reviendrai plusieurs fois trainer par ici.


Cerro Castillo est une minuscule ville à la frontière de l'Argentine. Tout semble neuf, posé comme un village de legos, de poupées. Murs blancs et toits rouges. Je rejoins mon hôtel. Un colley joueur me suit dans ma balade du soir. Un colley comme mon Vasco - dans une autre vie, ma chienne Colley, répondait au nom Vasco de Gama -. Je fonds de bonheur. L'hôtel est très cosy. La réceptionniste à l’air de s'ennuyer, elle écoute à fonds un rap brutal qui détonne grave dans le lieu. Une belle surprise m'attend la fenêtre de ma chambre, une minette, tout ronron dehors, file sur mon lit et s'y installe pour la soirée. Nous partageons fromage, eau. Je m'ennuie un peu, pas de tambouille à préparer. Mais la compagnie féline gomme l’ennui.

Au pays des gauchos, guanacos et zorros, ce petit félin suffit à mon bonheur.


Toute jolie, abandonnée au souffle du vent. Une école, une bibliothèque, une église. Et le Paso Don Guillermo. Le passage Chili-Argentine.

Dans un shop touriste de Puerto Natales, je capte de la wifi. Je prend le temps d'envoyer mes Watsapp. Évidemment, shopping patagon en prime. De la laine d'alpaga dans toutes les déclinaisons possibles. Pulls, ponchos, chaussons et aussi des robes dos nu, très belles, que je porterai bien, juste pour voir si je suis belle à la mode patagonne.

Des blouses d’écoliers et d’enfants sages de mon enfance, des piles de tissus. Des fenêtres agencées. Qui portent des bottines à talons ? Une vitrine de Saint Valentin, nous sommes le 14 février. Et la machi, la sorcière guérisseuse sud américaine.

J'aime photographier les panneaux indicateurs. Lire des noms lointains devenus familiers au fil des jours. Ces panneaux dansent dans ma réalité.

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Il était une fois un pays aux confins du monde d'une beauté sans pareille.

Les montagnes belles comme le jour, des lacs d'azur et d’émeraude, des forêts aux sentiers cachés, des rivières pures, des glaciers bleus et blancs.

Les guanacos ne se souciaient guère des touristes, et des voitures. Ils souriaient en mâchonnant leur chewing-gum herbeux.

Torres del Paine, du nom tehuelche payne, bleutés. 50 nuances de bleus. Clair, glacier, sombre, anthracite, au fil des saisons, des nuages, de la pluie ou d'un arc en ciel.

Je me suis arrêtée 3 jours. Un rien de temps dans l'immensité du parc. J'ai failli abandonner à la vue des bus qui se suivaient en file indienne devant chaque panorama. Mais pour une raison que j'ignore, le lendemain, j'étais quasiment seule.

Je l'avoue franchement, je craignais d’être déçue. Tant de beauté, de mots bleus, de livres, de photos, d’exaltation. Le Parc se devait d'être au delà du sublime. Il l'est. Réellement. La beauté, la nature, le sentiment d’un monde premier, éclatant de vie et de couleurs..

Les guanacos sont peu farouches. Ils se laissent admirer, presque peu blasés.

Sur la route panoramique, le fameux l’hoteria Pehoe, sur le lac éponyme. Nuit insolite, magnifique.

De petits icebergs dérivent doucement sur le Lago Grey. Ils vont grossir les eaux du Rio Grey. Étrangement, je me sens infiniment plus émue devant ces bouts de glaces que face au géant Perito Moreno.

Lago grey. Combien de bleus dans une photo?

La montagne est silence, envol d’oiseaux de passage, du Grand Condor, puma solitaire, déchirement de nuages, éboulements, ruissellement. Somptueuse Cordillère australe. Paysages de haute montagne au niveau de l’Océan.

A chaque virage une nouvelle toile. J'ai eu cette chance de temps radieux, d'une lumière de cristal, peu de vent, juste une brise. Une accalmie dans ce parc qui unit et désunit toutes les saisons en un jour.

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Vers l’entrée du Parc de Torres del Paine 

Pour mon second jour dans le parc, je marche et Nissan se repose. Je ne m'aventure pas dans les supers trecks de 6 à 9 jours du W ou du O. Oh que non, je suis petite joueuse. Je jette mon dévolu sur le Mirador Torres. Et de bon matin, sac à dos à peine empli de provisions et k-way, je me mets en route. Sur le parking, des randonneurs hypers équipés sont prêts. Un bus hôtel aussi. Le pas alerte, la tête légère, je marche. Des groupes se suivent. La foule est de plus en plus dense. Ce n'est plus une marche mais une procession. J'avance plus lentement, ça grimpe sec, il pleut un peu. Des ponts de bois où seulement deux personnes par passage s'engagent. Je ralentis ma marche au Paso del Viento. Au fond du canyon, la rivière.

Rapidement la montée est plus abrupte, glissante, joue les grandes. Je cherche où poser mes pas entre les rochers et la boue.

Je me maudis de ne pas avoir acheté les bâtons de marche. Le sentier devient glissant, une fine bruine polie les pierres. Pas après pas. Pensée après pensée. La procession continue, chacun, chacune avance à son rythme. La montée est difficile. Mais j’avance. Des groupes renoncent à l'effort, font demi tour. Je ne me suis pas préparée. Pas de bâtons, très peu de provision solide, une simple gourde d’eau et mon kway tout léger. Mais je suis là, le mental forgé au défi, mon corps, un ami que je coach. ’Allez mes pieds, je vous promets un fantastique massage. Allez mes jambettes vous pouvez le faire’!

Au refuge Chileno, il ne reste que 3 km. Facile. Je crois. Je mâchouille quelques fruits secs et je continue mon ascension. Les sous bois offrent un léger répit de plat, de mousse, de confiance. Des chevaux patientent.

Refuge Chileno 

Et vint la pluie. Et vint la cascade, l'escalade, la caillasse, la galère. J'ai failli renoncer. Une femme adorable me demande ’Sola’ ? Si sola senora. Elle veille sur moi, m’attend, me tends la main sur les passages difficiles. Grace mi amiga.

Le passage est difficile, périlleux et la pluie rend le terrain glissant. Je prends conscience de ma fragilité. SOLA. Un faux pas, une glissade, une simple cheville foulée et la rando vire dans un sale rêve. La foule est présente, rassurante, jamais je n'y serais arrivée seule. Un sourire, un encouragement. "Encore diez minutes, c'est juste là, derrière". J'y suis.

Le poncho vert d'un ange sur la montée verticale

Imposantes et majestueuses, les Torres s’admirent dans l’eau d’azur. Elles jettent un regard sévère sur notre petit monde de courageuses et dérisoires fourmis humaines. Elles se dévoilent, un peu. Ne croyez pas que les pierres soient muettes. Oh non ! Elles gardent simplement le silence. Rien n'est plus vrai que cette pensée aux pieds des fantastiques sommets de granit.

Les Torres... et moi

J'entends parler français. Derrière moi un couple trempé et épuisé. La jeune femme est en nu pieds lambda, T shirt et short. Pourtant ce matin , une gardienne du Parc a bien regardée ma tenue pour la montée au Mirador. Peut être que le couple dormait au refuge mais la montagne est dangereuse et si changeante. De la folie pure. Inconscience totale. Lumineuse et heureuse, elle me prend en photo.

Il est l’heure de redescendre. La sente est glissante. Je suis fatiguée, de cette fatigue de l’effort. Un peu groggy, euphorique, je m’évade de mon corps et je me perd réellement. Soudain plus aucune voix, aucun k-way coloré. Nada. Je me suis simplement éloignée du chemin. Il suffit d’un instant d’évasion pour se perdre. Je reviens sur mes pas. La chenille humaine désarticulée progresse comme une estropiée. Il est 16h passées, des gardes interdisent les montées au sommet.

Nuit de bivouac, le coin repéré est bien loin et il est déjà tard lorsque je quitte les Torres. Je sors de la route principale. Ici sera bien. Je fais ma tambouille et me prépare pour la nuit lorsqu'une voiture s'arrête. Deux jeunes femmes se présentent comme gardiennes du parc. No zone camping blablabla in english dans le texte. Ok ! j'ai compris. Je pars plus loin, sur la route si belle du signal GPS perdu. Je me gare en retrait de la route, avant le bout du chemin. Une pluie de feu danse dans le ciel. Je m'endors, mes sens à l'affût des bruits. Plus tard, lorsque je m'éveillerai, la Croix du Sud sera au rendez-vous de ma folie.

Un soleil blanc et rond roule vers d'autres matins.

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Si Torres del Paine est le paradis, le chemin qui y mène en est le prélude. De grands espaces balayés par le Vent, un ciel en perpétuel mouvement. Chaque instant est éphémère, précieux. Irréel.

Le drapeau patagon chilien et sa croix du sud danse près de Gauchito. Je ne le verrai plus, il me manquera l’amigo. Le Chili vénère une Sainte païenne, bien différente. Des offrandes de bouteilles plastiques face au corps allongé d'une femme en robe rouge avec ces mots : Difunte Correa. Defunte Correa. Triste histoire de cette femme qui veut suivre son mari enrôlé dans l'armée dans une guerre entre le Chili et la Bolivie. Elle part avec pour seuls bagages son amour, deux gourdes et un bébé. Dans le Grand désert, elle s’effondre, se relève, se perd, s'allonge et offre son sein à son enfant. Elle meurt de soif, mais l'enfant survivra. Depuis, des milliers de bouteilles plastiques pleines d'eau lui sont offertes. Elle est cultissima.

Difunta Corea

Sans faire de féminisme, quoique. Correa, une femme parfaite pour les hommes, celle qui meurt pour son époux et continue de nourrir son enfant même défunte. A l’homme l’aventure, le vin. A la femme épouse et mère, l'eau. Je penche pour Gauchito. Mon dernier rendez-vous avec lui près de Puerto Natales.

Un paysage sublime, rare, immense, perdu. Puerto Prat minuscule port sur l’Ultima Esperanza.

 Du côté de Puerto Prat

Un autre lieu fétiche est l’aéroport de Puerto Natales. Je m'y arrête au retour de mes escapades. Que j'aimerais atterrir ici ! Survoler la région. J'observe les passagers, souvent il n'y a personne que la poésie de Saint Exupéry. Une ancienne capilla abandonnée ou qui semble l’être.

Je me régale de venir ici. Quitter la route des Torres, bifurquer sur la gauche et surplomber la plaine au rendez vous du GPS muet.

Les routes du paradis sont parfois étranges. Je fais ma Marta Becket - ballerine américaine qui suite à une crevaison de roue dans la Vallée de Mort, s'installera dans le désert. Elle vivra, dansant et peignant durant 40 ans, le théâtre de l’Amargosa à Death Valley Jonction. Coïncidence, je pense à elle, en me disant que je ne suis ni artiste, ni accompagnée de mon mari chéri.

Je raconte cette histoire qui m'a littéralement happée dans le livre ’’Les Routes d’Agate et Diego”.

Et boum patatra ! Moi aussi, un pneu éclaté. Déchiqueté. Agonie d'une œuvre d’art abstraite. Bien incapable de changer une roue, je murmure ma mésaventure aux oreilles du Vent des régions inconnues. IL le sait déjà. Une demi heure plus tard, une famille américaine - comme Martha - passe sur le sentier oublié. L'homme s’arrête et constate les dégâts. Il sort son cric et change ma roue en sifflotant. Il se relève sans un grain de poussière sur ses vêtements. Grace Señor, Merci Le Vent. Je ne sais que dire. L'Homme-Ange me serre dans ses bras et me souhaite un very good trip.

Histoire à peine réelle, seul l'état du pneu témoigne de sa véracité.

 Sur le camino un pneu éclate
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Trop éreintée pour bivouaquer deux nuits d'affilées, je réserve une chambre d'hôte près de Puerto Natales. Cette nuit, je dormirais dans les draps blancs d'un immense lit d'une chambre douce et confortable. Demain, ma journée sera en mode horizontale. Mais ma logeuse ne l’entend pas ainsi. Après un chouette petit déjeuner crêpes maison, gâteaux anti fatigue et fruits frais, elle me donne de nouvelles randos. Euh.. no señora. Nada. Regarde ma démarche mode pinguinos ? Mes gambettes en coton, sont désarticulées, désintégrées.

Comme je ne peux paresser au lit, je vise la Grotte du paresseux "La Cueva del milodon". L’ancêtre du paresseux. Un nom prédestiné pour la journée. Il y a fort longtemps vivait dans la région ce fameux milodon, un gros mammifère lent, un savant mélange de chien et d'ours. Une grotte, des os découverts et une mascotte pour la cité australe. Un paresseux pour emblème, cette ville à tout pour me plaire

Puerto Natales est une ville apaisante, un premier jour du monde, loin, très loin des manifestations chiliennes. Une alcôve, une bulle. Pas un paradis mais il se dégage ici une paix, un sentiment de bien être, de chat repus, de dimanche après-midi. Le petit centre ville est ravissant, facile. Je m’y sens bien, chez moi. Mon Airbnb est seulement à 10 minutes à pied. J'aime vadrouiller au hasard des casas colorées. Je me demande pourquoi beaucoup sont couvertes de tôles peintes. Une meilleure isolation du froid, du vent, de l'humidité ? Est ce ainsi que les premières constructions étaient bâties ? Récupérations de bateaux, containers ?

Puerto Natales est 80 km de l’entrée du Parc de Torres. Un lieu stratégique pour organiser des expéditions. Mais si Torres est un joyau, les alentours recèlent de paysages de bout du monde, de belles solitudes.

Derrière des roses trémières un charmant nid douillet. Mi casita. Dans ma chambre au premier étage, un poster de Paris. Mon logeur me sourit, les seuls mots de français qu'il connaît ’Paris ville de l’Amour’.

Los gatos, les chats chiliens sont comme tous les chats du monde. Curieux, épicuriens, énigmatiques, frileux.


Promenade le long de la Costanera. Monumento al Viento, et monumento de la Mano.

Si Puerto me séduit, je n’oublie pas que je suis en février, en été, la meilleure saison. Des fjords aux noms glacants, Utima Ezperanza et Obstruccion, des températures qui oscillent entre 0 et 20 degrés, des rafales de vent. Un monde de roman, d’un romantique brutal noir et tragique. Glaciers, chenaux tortueux, îles noires inhabitées, un labyrinthe d’eau à frémir.

Puerto est aussi couleurs, nuages, des ors et bruns, lumière de passage. Les derniers soubresauts de Andes qui meurent ou naissent selon son voyage, ou ses croyances.

La grande porte d’accès à Torres del Paine, aux glaciers de Serrano et de Balmaceda. Je resterai une semaine ici à visiter, marcher au hasard des rues, déguster des empanadas et cervezas australs face aux bomberos de Ultima Esperanza. Les pompiers du dernier espoir.

Dimanche matin, l ’église toute de blanc vêtu est ouverte. Je rentre. Comme à Ushuaïa elle est simple, belle, vive. L'instant précis du beau partage de ’la paz’. Poignée de main ou effusion en se souhaitant une paix mutuelle.

Un dimanche dans le monde, un jour un peu long. Je n’ose plus trop m’éloigner dans la pampa en voiture sans roue de secours. Sinon je crois bien que j’aurais fais le tronçon de Ruta 40 que j’avais coupé en Argentine. J'étais tout près à Cerro Castillo. Je longe la Costanera et tourne le dos au paresseux Milondo. Vers le port, là où les maisons sont de bois et de rien. Le café est fermé, les bateaux s’ennuient.

Et encore plus loin de petits clochers parsèment la ciel, les maisons sont moins colorées. Grises, ternes, identiques, mornes. Des rideaux de dentelles et de blues se collent aux fenêtres. Les routes sont défoncées. Un petit square pour quelques jeux d’enfants. Je ne peux m’empêcher de penser aux familles de ce quartier. Un monde infiniment triste. Je ne prends aucune photo. Quel intérêt.

Le cimetière me semble bien plus vivant avec ses tombes colorées, ces histoires de vies, ses bancs rouges vifs, ses allées soignées.

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Si le Chili est Terre de Poètes, il est aussi un pays d'une fantastique richesse picturale. Des livres d'histoires colorent les murs de ces hivers infinis.

Partout les représentations des ethnies rayées de la carte d'un revers de main. Colons et chercheurs d'or portent en bandoulières leurs maladies et leurs suprématies de conquérants. Projet : annexer les terres et exterminer les indiens. Le guanaco est la nourriture, l'habit des peuples de Patagonie. Étape 1 : massacrer ces jolis camélidés, laisser les indiens sans ressource. Peupler la Patagonie de moutons.

Les tribus s'allient, se révoltent et tuent cet étrange nouvel animal laineux blanc. Crime inexcusable. Ils seront décimés dans les pires conditions de barbarie.

Les fuegiens étaient 7000 au XIX ème siècle, 600 dans les années 1924, 0 en 1940.

Les portraits de ces femmes, de ces enfants sont les drapeaux de la ville. Les traditions, les peintures des rites initiatiques font la joie du tourisme. Les rues, les hôtels, portent les noms Yagans, Alakaluf, Onas. Je suis gênée de cet hommage marchandage post mortem. Une façon hypocrite de ne pas les oublier. Mais au moins ils sont là. Présents. Partout.

J'aurais aimé plus de musées, d'expos, de films. Que cet argent soit réinvesti dans la protection de sites naturels. Je pense souvent à cette femme Alakalufe, exposée dans les zoos humains de Paris et Berlin des années 1920. Du fond de sa cage, elle était déjà morte. Il nous reste la terrible image de son beau visage, sur les cartes postales et les murs.


La grande fresque murale court le long de l’Avenida Philippi, raconte l’épopée des amérindiens.

Le Vent est Dieu des Terres magellanes. Le puma est Roi de la Patagonie.

Baraque à centolla, mannequin selk’’man à l’entrée d’une galerie marchande.

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J’écris à l'encre marine, j'écris un rêve sur les flots.

J’ai cherché une route dans la Patagonie chilienne. J’ai trouvé la Carretera australe, l’ancienne route Pinochet, ainsi rebaptisée. Un chemin truffé de ferrys, d’eau, de marais et de bonnes chances. Je n’étais pas très sûre de jongler dans ce labyrinthe liquide. Mais sur les canaux voguent les bateaux et le fameux Navimag. Un cargo régulier de Puerto Montt à Puerto Natales.

Infatigable depuis plus de 40 ans, il est le courrier, la visite espérée, les nouvelles du monde. Étés comme hivers, il flotte, il vogue. Dans son ventre, des marchandises, des voitures, des camions, des animaux parfois. Du ravitaillement pour les endroits isolés comme Puerto Eden. A bord, les membres de l’équipage, des routiers, des locaux et des touristes comme moi.

Mon cadeau patagon, mon regalo au fil de l’eau. Ma paresse pastel après 10 000 km de route. Le ferry Evangelista de Navimag voguera 4 jours et 3 nuits entre les îlots et les rivages déchiquetés des côtes chiliennes.

Le jour se lève sur Puerto Natales 

La rencontre de Jo et Adé était inévitable. Les Anges des Andes soufflent de buenas ondas . Nos cabanas Airbnb sont voisines. Lorsque mon logeur m’annonce que les voisines sont françaises, je balance entre joie et défiance. La joie de parler français, de partager la même passion, le même feeling. La méfiance des voyageurs trop sûrs d'eux, fiers, trop bavards. Elles rentrent en fin d’après-midi. Je distingue mal Jo, encapuchonnée dans son anorak, qui tente de tirer sur sa cigarette. Je sors, me présente. La rencontre est spontanée. Elles voyagent en bus depuis Santiago jusqu’au Pérou. Adé, sa fille, me propose d’entrer et m'invite à diner le soir.

Le vent se marre, le vent claque ma porte, clefs et téléphone sur la table de la cuisine. Piégée dehors. Elles appellent le proprio, il revient, tout s’arrange. Je pense que bêtement j'aurais aller chercher un truc dans la voiture et être à la porte.

Le poêle grésille, le malbec coule dans nos verres, Adé nous concocte une vraie cuisine. Après mes 6 semaines en solo, la soirée coule comme le vin chilien. Franche et joyeuse. Nous embarquerons mardi matin sur l’Evangelista. J'ai réservé dans une cabine de quatre personnes en croisant les doigts pour être en chouette compagnie. A l’heure de la confirmation de nos places, Adé demande la même cabine pour nous trois. La réceptionniste sourit, nous confirme que, si, nous sommes déjà ensemble. Chic !

La veille du départ je dois enregistrer ma voiture, l’amener pour embarquement. Mais El Viento fait son entrée de rock star. Un mail de Navimag informe que notre embarquement est décalé du soir au lendemain à 6h. Un autre mail de confirmation doit venir. Il ne viendra pas. La ville fait front face aux bourrasques de plus de 100 km/h. Je jubile. Pas grand chose à faire que tuer le temps, boire un cappuccino face à l'Ultima Esperanza, mon dernier espoir. Regarder encore et encore les voiles d'écume hystériques. Magnifique.

Les filles prolongent leur location, je ne peux faire de même. Je squatte leur banquette. Nous sommes sensées partir le lendemain, nous partirons le surlendemain. Je trouve un hébergement à l’autre bout de la ville. Là où les maisons sont de tôle et courant d’air. Le ciel pleure à grosses larmes. Le vent est furie. Celui que j’aime, que j’attends. Dans ma chambrette étouffée de tissus, je regarde la télé. Toutefois un peu inquiète pour ma voiture garée sur un trottoir de glaise. C’est une nuit fantastique. A travers les fenêtres la nuit est colère, rugissement, claquement des branches. Arrive l’aube claire, les arbres secouent les gouttes de pluie, des oiseaux sifflent. Un petit déjeuner partagé avec deux autres couples prêts à faire le O à Torres. La jeune femme est enceinte, mais ira à son rythme. J’admire sa force, son sourire, sa beauté et sa réelle gentillesse.

Je retrouve les filles. Nous avons bien noté que Navimag ne vend pas d'alcool mais rien n'interdit des provisions liquides. Fin d'après midi nous allons enregistrer Nissan. Affronter le drame des formalités chiliennes dans un espagnol "J'me fous de toi, t'es touriste, tu payes, tu t'démerdes, plus tu rames, plus j'me marre." Des infos contradictoires et aucune cohésion entre le port et le service reza. Le bateau ne partira que le surlendemain. Non. Si ? Non ? On nous balade dans la maison des fous des 12 travaux d'Astérix. Navimag est du genre Navigag, Navivague.

L'idée m’effleure de tuer un employé. N’importe lequel. Au hasard. surtout ceux qui jouissent de voir des nanas en galère. Presque envie de reprendre ma voiture, partir par la route. Seule, sans mec lourdingue. Mauvaise idée. Je n'ai plus de roue de secours, et cette traversée tout en lenteur, je l'attends depuis trop longtemps. Et ma voiture est déjà sans doute à bord où bloquée par des camions.

La tempête bat son plein, des vagues se jettent sur la costanera, des trombes d’eau transforment le site d’enregistrement des voitures en bourbier. Nous sommes là, comme trois connes avec nos papiers à courir dans tous les sens. Nos trois cerveaux vont éclater. Que de temps perdu. Enfin un tout jeune homme derrière un tout petit bureau et une femme, sans doute un Ange de la Cordillère, nous mène à la cahute perdue au milieu des camions pour l’ultime tampon.

Je revoie encore la jeune fille frigorifiée dans cette micro cabane, à déposer le fameux graal. Foutue paperasse chilienne. 4 bureaux différents pour quatre laissez-passer différents pour un enregistrement.

Enfin c’est OK. Enfin l’heure de boire un verre, de se poser, d’en rire. Je remercie les filles, sans elles, je crois que j’aurais abandonné. Nous trouvons un endroit cosy, chaud, souriant. Ce chien ne saurait mentir.

Sagesse de Jo, ’ Mais non Isa, me dit-elle, tu aurais trouvé les ressources en toi’. Wouaii, pas sûre de cette vérité encore aujourd'hui.

Merci encore à vous trois, Adé, Jo et à cette jeune femme belle comme le jour, qui enregistrera ma voiture.

Nous embarquons dès potron-minet, épuisées. Nous aurons bien le temps de nous reposer à bord. Puerto Natales s'éveille, le calme revenu, un arc en ciel étire sa poésie.

Le port s’éloigne dans l’aube claire. Nous visitons. Notre cabine est fonctionnelle. Une passagère s’est déjà installée dans le lit du bas. Je grimpe, ajustant mes gestes à l’étroitesse du lit. Le capitaine nous accueille, nous explique le voyage, les distractions, les repas à heures fixes 8h, 12h30 et 19h.

La quatrième dimension existe dans un temps compressé de trois jours d'une douce lenteur.

L'Evangelista se coule au rythme des canaux, au milieu d'îlots éparpillés comme des miettes d'un cookie géant. Le vent est vif sur le pont mais le soleil radieux. Sage élève, je n'ai pris que des vêtements chauds, waterproof comme indiqué sur la brochure. Mauvaise pioche.

Cours de yoga et Tai chi sur le pont supérieur arrière. Le tumultueux Golfe des Peines qui se jette dans le Pacifique est sage comme un agneau de lait, avec des vagues de 1m, à peine. Ce qui donne une sensation de marcher un chouilla bourrée. Rien de grave.

Une mer d'huile. Nous guettons les baleines. Elles resteront un mythe, malgré la promesse de leurs évents. Un banc d'otaries nage vers le Sud.

Christian, notre prof de tai chi yoga et musicien nous informe que l'alcool est interdit. Mais comme des français sont à bord il ne veut rien voir ni savoir. Belle réputation. Ce qui est dit est dit et nous avons du stock. Marie et son mari seront de la partie.

L’Evangelista approche de Puerto Eden tôt ce matin. Un tout petit village accessible par l’eau, ravitaillé par Navimag. C'est ici qu'il y a 70 ans environ, les derniers Alakalufs, peuple de la mer, ont été parqué, déraciné. C'est ici qu'ils ont disparus sans dire un mot.


J'aime l'idée de flotter, être bercer, ballotter gentiment. Moi qui rêvait de mauvais temps et de bourrasques. Pas aujourd'hui, ni demain. Je suis presque déçue de ce ciel intensément bleu. Le temps s'écoule au rythme des flots bleus. Rondeurs des fjords, rayons de miel soleil, clapotis doux de l'eau.

A l'aube de Pueto Eden. Réveillées à l'approche de du village, nous grimpons en vitesse sur le pont arrière. Un canot vogue. Comment imaginer les 300 jours de brouillard et de pluie par an ? Et pourtant

La vie coule au fil des ilots, au rythme d'une harmonie parfaite. Visite de la cabine du commandant, et farniente.

L'alcool n'est pas interdit tant qu’aucune dérive ne soule l’équipage. Nous avons bu discrètement le premier soir, moins le second, franco le troisième.

Provisions liquides et tai chi

A l'aube du troisième jour, le soleil est de plus en plus chaud. Certains prennent des bains de soleil.

Au soleil

Un premier écho du Covid, par la compagne de cabine. Les croisières antarctiques sont annulées. La banquise respirera, les manchots danseront le charleston et nous trinquons au rire du soleil, au plaisir, à l'insouciance. Nous sommes comme des enfants qui ne savent pas encore que le monde bascule.

Au crépuscule, l’étrange vision d une femme Alakalufe et son enfant

Si l'enregistrement de la voiture et les infos de Navimag étaient une mélasse avariée, la traversée est un véritable sucre d'orge. Aller au fil de l'eau dans une magnifique lenteur, observer les couchers de soleil, et la voie lactée. Boire du vin discrètement, grimper dans ma couchette et encore me laisser bercer pour m'endormir. J’avais prévu de la lecture, des méditations, peaufiner mon carnet de route sous les embruns. Je n’ai ouvert aucun livre mais partagé des cafés que nous buvons chacun notre tour, car il n'y a que 4 tasses à expresso au bar. Je n’ai pas médité mais pris des bains de soleils et apéros de plus en plus affirmés, jusqu'au dernier soir ou nous avons déplacé une table du salon sur le pont arrière pour un dernier souvenir arrosé de ti punch.

L' équipage est charmant et les repas plutôt corrects. C'est la dernière saison de l'Evangelista. Un nouveau ferry avec salle de yoga, ciné et wifi ôtera toute l’authenticité de ce voyage. Que peina! Ce temps passé coupé du monde est un entracte merveilleux.

Du temps pour ne rien faire. Et rien faire passe si vite.

Au l'aube du quatrième jour l'Evangelista accoste dans le port de Puerto Montt. Adios amigas, adios amigo. Chacun reprend sa route, Lima où l'Ile de Pâques. Les voitures sont les dernières à sortir, après les camions, les chevaux de rodéo, les motos. Mes amies sont parties, les derniers touristes aussi. Me voilà seule. Où est ma voiture ? A Puerto Natales ? J'ai comme un frissons malsain. Je réclame. Mais non plus de voiture à bord m’affirme l’homme. C’est une mauvaise blague. Je lui montre la carte d’embarquement du véhicule. Merveilleux, il va vérifier. Gracias.

Enfin à midi, Nissan cabriole, juste oubliée au fond de la cale. Je souris, soupire, respire. Affligeante logistique chilienne.

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Ma première mission est de me rendre à l’agence de location de voiture pour ma roue dévastée. Malgré les mails échangés aucun ne m'a signalé de simplement changer ma roue mais de prendre contact avec l’annexe de location de Puerto Montt. Le type constate les dégâts pour me dire de changer mon pneu à mes frais. OK. Pourquoi tout ce temps perdu pour me le dire de suite. J’aurais pu directement aller dans un garage. Je bous de me transformer en wonder woman et de le désintégrer, lui,son costard, son sourire. Mon héritage colérique basque sans doute.

Je n’ai pas aimé Puerto Montt, je suis encore bercée par la lenteur de l'Evangelista. La Terre, la ville m’ennuie. La rupture est trop brutale. Je tourne des heures pour trouver ma location. L’adresse indiquée est un jeu de piste. Pas envie de jouer après ma voiture oubliée dans la cale du ferry Navimag, la visite inutile à la succursale de Chilean Rent a Car. J’essaie encore de trouver dans ces maisons si semblables l’entrée codée cachée. J’y suis. Ma logeuse est absente mais la clef sous le pot de fleurs... Derrière une grille verrouillée. En m’approchant assez près de la maison, je capte l’internet et j’appelle la proprio. Elle est désolée. Moi aussi.

brève escale à Puerto Montt 

L'escale à Puerto Montt est brève. Je traine le dimanche après-midi dans la petite ville de Frutillar. Très jolie, très animée aussi avec son marché artisanal. Je n'ai pas envie de foule, de parler, de chercher. Je rentre. Un comble, j'ai besoin de récupérer des heures de sommeil après le Navimag.

Le lundi, dès l'ouverture je fonce chez Léon, le grand garage de tous les neumaticos. Bien inspirée de venir à l'ouverture, une demi heure plus tard, les voitures affluent et l'attente sera longue pour les suivants. Voilà, je suis libre de repartir, je file, je vole vers Chiloé. Environ 4 heures de route et ferry.

Je séjourne deux jours à peine sur Chiloé. J'aurais aimé tellement plus. Que les chilotes me content les églises de bois, les palafitos, ces maisons sur pilotis. Les histoires du Traucon, un gnome laid comme un président américain qui séduit des jeunes filles où les rend idiotes. Ile de légendes, hommes de la mer, femmes de la terre. Le dialecte chilote diffère de l'espagnol Chilien, des traditions perdurent. Une île vit en autarcie, solitaire avec ses propres lois. Que rien n'entrave cet équilibre entre terre et mer.

Étrange île. A peine arrivée et mon GPS prend le large. La carte téléchargée subitement absente. Une page blanche s’affiche sur mon écran. Mon GPS de secours n'est pas plus loquace. A Castro ma cabana est près du... cimetière. A trop me perdre dans les cités des morts, me voilà toute proche d'eux. Mais heureusement, mon hôtesse m'avait laissé des directions claires. A gauche du cimetière, portail en fer vert. Je tourne un peu dans cette petite ville bruyante et brouillon. Mystère des îles, démons et enchantements. J'ai réussi mon épreuve, mon droit d’entrée chilote. Le lendemain tout rentrera dans l’ordre.

Ancud, premier arrêt dans ce marché coloré. L'ile est réputée pour ses - papas - pommes de terres, plus de 200 variétés, et aussi pour son d'ail doux et parfumé. Je confirme, l'ail est réellement délicieux. Je prends un fromage tout rond, tout frais, des avocats. J’hésite entre les tenues de sirène ou filet de pêche.

Marché Ancud

En arrivant sur l'île, j'étais surprise du nombre d'églises en bois aux couleurs du soleil, de la mer. L'amarillo solaire de Castro au bleu d'horizon de Dalcahue. A Tenaùn, un sentiment de bout du monde, encore. C'est normal, je suis au bout du monde.

La très belle église San Francisco de Castro ressemble à un gâteau kitsch, au glaçage citron et pâte d'amande violette. Elle n'a pas été toujours aussi jolie. Une première construction en 1711, puis des consolidations. Ici le ciel ne fait preuve d'aucune allégeance avec les humains et leurs édifices. L'église , tremblera, brulera en 1902 et sera toujours reconstruite de bois, d'essence locale, sans clou, vis ou autre élément que la passion et la foi. Un chef d’œuvre architecture.

Détruite en 1902, rebâtie en 1912 

Elle était mauve et marron pâle. Mais en 2012, le soleil lui offre ses rayons amarillo. Le violet vif des clochers, couleur emblématique des croyances religieuses, ésotériques. Dans le ciel, toutes les nuances passent et changent en quelques heures à peine.

Elle est aujourd'hui inscrite au Patrimoine de l’Humanité, ainsi que des édifices en danger.

Construites toutes de bois, de coque de navire, elle racontent leur histoire. En 1600 la congrégation des jésuites débarque sur l’île pour évangéliser les habitants. Les jésuites décident de doter chaque paroisse d’un lieu de culte, chaque naissance de village. Ce sont des pécheurs aborigènes Huiliches qui vont bâtir ces églises. Ces hommes pêcheurs construisaient des barques, ils prendront les mêmes codes, les mêmes matériaux, les fonds de pots de peintures de couleurs vives. Bâties près des côtes, les clochers phares guidaient les marins. Elles ont plus de 500 ans, elles ont brulées, mais les chilotes les ont rebâties. Aujourd'hui, de nombreuses sont classées au Patrimoine Mondial de l'UNESCO.

De bois, d'amour et de vent.

Je ne passe pas mes vacances dans les cimetières pourtant cette tombe chapelle vaut bien le détour.

Les palafinos, les maisons typiques sur pilotis. Elles offrent une entrée par la terre, une entrée par la mer. Vers 1940 après une épidémie qui ravage la production de pommes de terre, les cultivateurs grignotent la côte pour saisir les richesses de la mer.

Je me suis arrêtée une après-midi de soleil boire un thé, déguster une tarte maison. Dans une de ces maisons si particulières, le plancher tangue doucement. L'équilibre parfait des éléments, une alchimie rare et subtile.

Balade dans le quartier bohème des palafitos, ces anciennes maisons de pêcheurs. Un Chat chilote chipote et hésite à sortir. Viens le Chat, l'après-midi est chaude, agréable. Sors donc le Chat, le soleil n'est pas mort.

Comment démarrer ma voiture sans réveiller ses toutous endormis ? Je crois être partie sans trouble le moins du monde leurs songes chilotes

Chante chilote, chante. Que ta voix forte apaise les peines de la mer.

A lire : un auteur sublime de Chiloé : Francisco Coloane

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Mon voyage dans le Grand Sud austral s'achève. Je remonte à reculons sur Santiago, les deux pieds sur la pédale de frein.

Je fais quelques haltes, une nuit à Valvidia, sur la cote Pacifique.

Saint Nicolas sur la route de Quirihue. Charmant et coloré mérite bien plus qu'une halte café.

Images de Quirihue, une ville aux couleurs du désert. Ici les hommes portent encore de drôles de chapeau de paille. Au 315 ”la banana feliz’

La panaméricaine défie l’horizon sous un ciel d’octave. Je suis nostalgique des panneaux, des chemins de traverse. Patagonia Sur, Tierra del Fuego résonnent encore comme inaccessibles. L'espace, le vent, le ciel, les murs de visages peints. J'ai ressenti la brûlure de mes héros. Je vibre encore de plaisir, aux souvenirs des pinguinos et des troupeaux de moutons. S’endormir sous Croix du Sud dans la Pampa Guanaco, dans les canaux de Patagonie Chilienne.


Mon voyage est romancé, libre, rien n'était programmé, que le ferry Evangelista de Navimag, et le rendez-vous avec Diego le 2 mars à l'aéroport de Santiago.

Sur la carte Michelin placardée dans mon salon, des noms étranges et terribles me fascinaient. Ultima Esperanza, Puerto Famine, Baya Inutil, Cap Horn, 40emes rugissants, Détroit de Magellan. Terre de Feu.

Cinq ferrys et plus de 10 000 km au compteur, je surfais sur les ailes du vent. Mes photos sont la seule preuve réelle. Ma mémoire oscille entre fantasme et réalité, un rêve au réveil qui peu à peu s'estompe. Un rêve dont je veux garder les images à tout jamais. J'ai l'étrange sensation que la Patagonie referme ses ailes sur son mystère.

Mon voyage était instinctif, les sens en éveil, et une réelle confiance en mon destin. Chaque matin, j'envoyais des prières païennes à Gauchito, en frôlant ma petite pépite d'or, mon grigri.

Je ne suis ni courageuse, ni aventurière, ce voyage devait se faire. C'est ainsi. A ceux qui me disait "mais si '" je répondais "et si..."

Il y eu aussi des jours d'ennui, de fatigue à paresser, cela fait partie du jeu. Des rencontres de visages burinés, de gauchos, des sourires argentins. Et tous ces animaux qui me câlinaient le soir, à l'aube me souhaitaient bon vent.

Les Anges des Andes parlent français, changent une roue, portent un poncho vert, sont voisines à Puerto Natales.

Je sais aujourd'hui que le mot ’Déraison’ est sans doute un des plus beau de mon vocabulaire. Que je reviendrai en Argentine écouter le Vent, et me perdre dans la pampa, écrire encore et encore tous ces mots qui résonnent dans mon cœur. Que les sombres soirées d’hiver sont parfois les plus belles que les nuits d’été. Qu’une chatte calicot ronronne au nom de Pampa sur mes écrits.

Ma balade australe s'achève. Un rendez-vous à l'aéroport de Santiago avec Diego. Je continue mon voyage en duo dans le désert d’altitude de Atacama. C'est une autre histoire, un autre carnet à suivre dans "Contes d'Atacama".

Être sur la route, encore...

Grace y hasta pronto..