La Ruta 40 comme une évidence, un caprice. Surfer sur la route, glisser sous les nuages. Le vent dans le dos. De Mendoza à Cabo de Virgenes.
Du 6 au 25 janvier 2020
20 jours
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RACONTE COMME UN CONTEUR PAS COMME UN PROFESSEUR

J'aime les routes, les mythiques. Celles qui traversent un pays, un continent. Elles sont des livres ouverts sur l'histoire, la géologie, elles nous amènent vers le Sud, l'Ouest, un nouvel eldorado. Il n'y a rien à faire qu'à se poser sur elles et se laisser glisser sous les nuages. Un voyage comme une évidence. Partir vers le Sud, le Grand Sud des Terres Australes. Un voyage dont j'ignore tout. Un voyage biscornu, entre les manifestations de Santiago de Chili et l'abandon de ma compagne de route en novembre, que je remercie de m'avoir offert ce trip en solo. J'ai souvent changé mes plans, et je ne suis toujours pas sûre de mon chemin. Plus je cherche des infos, plus je me perds. Mon cahier de route est vierge, à l'image des grands espaces, du ciel infini. J'inventerai chaque jour mon chemin, mon camino - au grand dam de Diego, mon chéri -. La seule chose dont je sois sûre est de descendre vers le Sud du Sud, vers le bout du monde.Dans ma valise des cartes routières détaillées, GPS, un bon sac de couchage, mon imagination et une féroce envie d'évasion. Le vent m'emportera. Le vent aura raison.

AVRIL 2021

La Ruta 40 m'a offert bien plus qu'une folle évasion. Elle m'a offerte l’acceptation, les ressources inimaginables que je n'imaginais pas posséder. Ce voyage fut pour moi comme un cadeau offert, il est devenu au cours des jours une quête philosophique. Mes craintes sont devenues des forces pour avancer, la force des Andes, des Saints, des lacs et des vents violents sont tour à tour venus à ma rencontre. Femme infiniment dérisoire face à des kilomètres d'éternité, j'étais littéralement magnétisée par la 40, la route mythique plongeant droit dans l'Atlantique au kilomètre zéro.

Depuis janvier 2020, il y a eu la pandémie Covid-19, les confinements et couvre feu, l'incendie du site OVH, hébergeur de My Atlas, la mort d'Ulyss mon chat chéri. Mon carnet d'origine est perdu, ma première carte mémoire aussi. Je réécris ce carnet avec mes photos sauvées, et téléchargées notamment pour la Caracoles. Aujourd’hui, un an plus tard, je réécris ce voyage sous le ciel d'avril. Je le réécris pour ne pas oublier cette liberté sans nuage, cet élan pur et simple qui me fait avancer. Lorsque j'y pense, je le vois comme un fragment de rêve qui doucement s'évapore. Si aucun voyage n'est pur hasard, celui ci est ma destinée. Un congé de 3 mois sans solde demandé début 2019 avec cette intention vissée aux tripes de partir mais sans me projeter ni au niveau financier, ni avec qui, ni où exactement. Partir, simplement. Et tout se réalisa comme une évidence. Un projet fou pour moi qui ne parle pas espagnol, qui ne possède pas de voiture, qui gagne un salaire de mi-temps. Pourtant tout est arrivé en temps voulu, les finances, les réponses aux questions. Il y a eu cette préparation du voyage, mais ce qui me reste sont les échanges simples et amicaux des d'Ushuaïa et Puerto Williams. Chaque fois qu'un petit matin de novembre je recevais un e-mail de la Terre de Feu, je voguais entre deux mondes, rêve ou réalité ?

Je veux partager ce voyage comme je l'ai vécu, sans histoire, sans site à visiter absolument. Une virée au bout du monde guidée de récits et de légendes. Dans ma besace le Guide de la Patagonie de Jac Forton -Les guides Peuples du Monde. Dans ma mémoire tous les livres lus en amont, ceux de Luis Sepulveda, le bouillonnant "Moi Aurélie Antoine de Tournens, Roi de Patagonie" de Jean Raspail et le crépusculaire "La nuit commence au Cap Horn" de Saint Loup.

Ce carnet de voyage est le premier d'une série de quatre carnets : Vers le Sud - Route 40 Argentine - Tierra del Fuego - Patagonia entre Ciel, Terre et Eau et Contes d'Atacama.

Et ma vie bascula dans un univers de vent, d'espace et de solitude sereine.

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A Santiago du Chili. Je ne fais que passer, atterrir, prendre ma voiture de loc et mon permis transfrontalier, mon Saint Graal pour l'Argentine. Les grandes cités me mettent mal à l'aise, j'opte de passer la nuit à Los Andes, petite ville à 80km de Santiago, qui me rapproche de la traversée des Andes. Je ne possède que mes CB et quelques dollars en poche. La première chose est de retirer des pesos chiliens que les argentins me refuseront. Le distributeur me rend ma CB sans argent, je n'ose insister.

Papiers en règle, je me dirige vers le nord, à travers des monts pelés des Andes. Une bonne chaleur de 28 degrés, du vent chaud. Ah désert chéri ! Les autoroutes sont 'ouvertes'. C'est un peu déroutant de pouvoir s'arrêter aussi facilement, un chouia dangereux aussi. Arrivée à Los Andes, je tourne, tourne, tourne. Mon hôte est très discret et le quartier, un joli dédale de maisonnées bohèmes en diable. Sous les boules de Noël, une bande de chiens petits, gros, cabots s'enguirlandent. J'avoue être un peu inquiète face à ces meutes de toutous. Ils rodent partout, aboient sans cesse. J'apprendrai vite à les connaitre ces cabots de tous poils. J'apprendrai aussi à les éviter sur la route, sur le trottoir, et devenir leur amiga. J'avoue être trop épuisée pour reprendre la voiture pour aller au supermarché. Je me contente d'un diner ultra léger thé au citron et restes de fruits secs que les labradors douaniers ont dédaigné. Je dors d'un sommeil agité ponctué d'aboiements de reconnaissances.

 Ma première rencontre avec les doux chiens chiliens
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Le jour se lève sur Los Andes et coule comme une rivière. Le cœur léger, des ailes dans le dos, je m'élance vers la formidable Cordillère des Andes. L'air est pur, le ciel cristallin. La route serpente entre villages et maisons isolées, de plus en plus isolées.

Je crains un peu les lacets de La Caracoles, la ruta de la Muerte, cette Route 60 aux 29 virages en épingles à cheveux, ainsi que le passage à la frontière chilienne-argentine. Je conduis peu et saisis mal l'espagnol d'Amérique latine. J'ignorais encore le souffle des Anges, la protection des Andes.

Un carabinero m'arrête... pour l'emmener au Cristo Redemptor, le poste frontière. Je m'exprime dans la langue de Cervantes un peu, il comprend. A destination, il me remercie, s'excuse du dérangement et souhaite que Dieu protège mon voyage et ma famille. Grâce à lui, j'ai passé le péage sans cash, car je suis toujours avec mes dollars et CB. A la aduana, prévenu qu'une française en Nissan parlant peu l'espagnol s’apprête à franchir le frontière, un homme souriant m'accoste. Tandis qu'il fouille mon coffre, nous parlons un peu de Paris où il a fait ses études. Me voilà en Argentine. A 2400m d'altitude, El Viento m’accueille avec un formidable souffle de liberté. Un avant goût de Patagonie sans doute.

Quelques mètres plus bas, le vent échoue laissant à la chaleur toute sa force. L'ancienne route Incas longe l'actuelle. Des passages, des ponts témoignent l'intelligence des civilisations passées. Un contrôle de gendarmerie. Puis un autre, mon accent français me trahit. Je passe sans donner de permis de conduire, transfrontalier avec en prime un magnifique sourire du gendarme.

Des murs et des histoires

Une pause à Uspallata, petite ville du désert aux airs bohèmes. Comme presque partout sur mon parcours, une longue file d'attente patiente devant les distributeurs. Je comprends que je dois cocher extranjero - étranger - pour retirer du cash. Un problème de résolu. Je retire mes pesos et j'achète des pommes, des avocats, quelques fruits secs.

Uspallata
Jolie cité au cœur des Andes, Uspallata est un concentré de couleurs 
Les peuples qui oublient  leurs racines perdent leur identité 

Je voyage sous la grâce des Anges des Andes, d'une femme nommée Correa et d'un homme Gauchito Gil. Tous deux protecteurs des voyageurs. Correa périt de soif dans le désert, mais son bébé à qui elle donna une dernière fois le sein survécu. Depuis les litres d'eau lui sont offerts dans les bouteilles plastiques savamment rangées. Gauchito Gil est le Robin des Bois argentin, voleur de bétails pour la bonne redistribution des richesses. Il fut condamné à être pendu. Mais avant de mourir, il prédit à son bourreau la guérison de son fils. A Gauchito Gil les bouteilles de vin et de corona. A la femme l'eau, à l'homme le vin.

Difunta Corréa et Gauchito Gil

Mendoza, pour Mariage à Mendoza. Un vieux film fétiche. J'opte de dormir dans des auberges de jeunesse. Comme à Los Andes, rien n'indique la présence d'une auberge dans ce joli quartier. Les Anges n'ont pas de genre et Gab, une amie des lieux bilingue français-espagnol m'accueille, m'organise la visite d'une bodega et me laisse son numéro de tel. Première impression de Mendoza. Une oasis dans le désert. Des rues ombragées où tout semble à sa place. Si ce n'est le paradis, Mendoza lui ressemble.

Cette journée s'achève. Je suis épuisée, du mal à m'endormir sous les étoiles de Mendoza. Je ne réalise pas encore où je suis, le film de ma journée, ces rencontres comme des cadeaux, le vent dans le dos.

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Chante nos joies et nos folies...

Journée farniente dans cette cuidad faite pour les plaisirs. Petit dej servi sur un plateau par Gab. A ma table Frederico. No hablo muy bien espagnol, lui dis-je. Pas de problème, nous pouvons parler français me répond-il avec ce bel accent chantant argentin. Nous hablablamos.

Au pays du vin, du tango, de l'amour et des braseros, sous les rues ombragées de midi tout est tranquille. Les habitants sereins. Des rigoles extraordinaires longent les trottoirs. Ville simple, quadrillée, facile à vivre où j'ai vite pris mes repères ; le vent chaud du désert est une invitation à la paresse. Des fresques murales, partout des couleurs et des dessins racontent l'histoire. Noël dans l'hémisphère Sud est une cerise sur le gâteau.

Après-midi bodegas. Gab a tout organisé. Chauffeur, avec guide mais en espagnol ou anglais. C'est sans compter la bonne humeur des Anges sur ma route. Dans le groupe, une américaine du Maryland ne parlant pas espagnol mais français me traduis la version anglaise. Sous la protection des Andes, Mendoza s'entoure de vignes et d'oliviers, un avant gout de paradis. Dégustations de blancos, tintos, petillos🍾, complètement pétoss. Un cépage malbec, venu de France tout comme le bois des futs de chêne. L'Argentine exporte peu en France et reste le plus gros consommateur de vins au monde. Chaleur intense, les vendanges en mars sont nocturnes. Visite d'une fabrique d'huile d'olive et dégustation, aussi.

Oh bodegas.. Ah beaux dégâts.. Beaucoup de vins et de mélanges. Retour à Mendoza. Adios mi amiga de bodega y gracias.

Dégustation de vins et d'huiles d'olives
Après midi bodega 
Ma chambrette sous les toits, Gab et mon hôtesse 
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Je quitte Mendoza, ma chambre sous les étoiles, les rires des ninos et les micros minets. Sur la Ruta 40 l'aventure commence. J'ai traversé la pampa, longtemps, paysage plat de steppe herbeuse. Il n'y a absolument rien que le ciel, la pampa et le vent. El Viento en majuscule souffle et rien ne lui résiste. Un rideau démesuré de peupliers de près de 30 m protège parfois les cultures, les estancias. Lorsque le vent s'engouffre au sommet de ces arbres, j'ai le sentiment d’être dans un conte fantastique, sur une autre planète. J'ai très peu de photos. Pourtant je me suis arrêtée pour en prendre. Absolument rien ne peux emprisonner l'espace. La Route file droit sur l'horizon, et il est facile de dépasser la vitesse. Les bas cotés sont parsemés d'autels et d'offrandes. Un troupeau de chevrettes passait par là. De loin, je vois des taches se mouvoir, je ralentis. Insouciantes, elles traversent, batifolent, bêlent. Le chien de berger veille, il est le seul à avoir conscience du danger.

La Route, le Vent, Corréa et au loin un bouquet d'arbres protège un ranch du désert.

Je me suis arrêtée à Malargue pour une nuit, j'y suis restée deux. Le temps est le luxe des voyageurs.

Le Sud... Endormi, nonchalant. Une maisonnée pour moi toute seule. Le bonheur des chats câlins et chiens joueurs. Je passe ma journée à réaliser des emplettes dans des magasins aux couleurs sucrées de l'enfance. J'achète du matériel de camping, camping gaz, casserole, gourde et une parka chaude et légère pour le Sud de la Patagonie et la Terre de Feu. Je trimballe le super duvet de Diego dans ma valise depuis Paris. Diego est mon alter ego, mi querido, ma logistique aussi. Il est celui qui me donna une grande tape dans le dos pour aller au bout de mon rêve. Il me rejoindra à Santiago en mars prochain.

Je complète mes provisions à la bio du coin. Du riz, du thé, des fruits secs, de l'huile et du sel des Andes au citron et romarin, ce sel au goût parfumé que je garderai plus d'un an. Sans oublier l'indispensable calebasse à maté et sa bombilla -la paille en métal. Le maté est aux argentins ce que le thé est aux british, le doudou aux bébés, le soleil aux matous. Vital. Non négociable. C'est une boisson tonique et amère faites de feuilles du maté. Aucun argentin digne de ce nom ne sort sans sa calebasse, sa bombilla, et thermos d'eau chaude. Les chauffeurs de bus, de taxis, de train, le posent dans la portière, toujours prêt à consommer. Puis je rentre, préparer la suite du voyage en compagnie de Chiquita, la minette de Sylvia à la patte gantée de chatterton. Je ne sais pas encore comment m'organiser, où dormir. Je prévois les étapes à 2 ou 3 jours. Si les choses ne conviennent pas, je pourrai annuler sans trop perdre de pesos.

Le Che est passé par ici, la fruteria du coin 
Des magasins aux couleurs sucrées d'enfance et Chiquita Chatterton

J'ai tout mon temps et je compte bien le prendre, l’attraper à bras le corps, le faire danser jusqu’au bout de la route, jusqu’au bout de mon envie. Je suis venue le perdre et l'oublier. Où donc se perd le temps ? Si je trouve ce lieu inconnu, je jouerai avec lui, avec le temps perdu.

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La Route. Rien de prévu, rien de réservé. Je fais confiance au jour. Je quitte Sylvia tôt ce matin. Elle me serre dans ses bras comme une vieille amie en me souhaitant tout plein de buena suerte y buen viajar. Minette Chatterton des miaouuu en guise d'adios.

La 40 est libre, longue, belle. Un panneau signale la présence d'une espèce en voie d'extinction, du soleil, des couleurs. Une déviation et la ruta devient la carretera 40. 200 km d'une piste de poussière. 200 km d'une piste de tôle ondulée. Je doute de moi, mais ma carte routière et mes deux GPS sont formels. Je suis bien pile poil sur la 40. Parfois un camion, un pick-up me double à vive allure me noyant dans un brouillard opaque. Au bout de la piste un champ de lave, noir, somptueux.

les humeurs du jour de la Route

De lave, de sable et d'eau.

Champ de lave 

Les espaces me semblent encore plus vastes que dans l'Ouest Américain. Nul panneau publicitaire, caravane rouillée, ancienne station d'essence. Argentina est une terre vierge. Plus de 500 km avec une seule station service et cash uniquement. Tous les 2 km, une borne indique ma progression. La Route est de bonne compagnie. Des autels, des offrandes, des grigris et porte bonheur. J'ai aussi le mien, une petite pépite d'or fétiche que je caresse chaque matin.

Je roule, les yeux rivés sur la ligne d’horizon. Je traverse des villes de poussière. Bardas Blancas, Chos Malal et Zapala que je fuis. Un panneau d'acier rouillé indique Tierra Patagonia, dessus est inscrit à la main d'une écriture délavée "Extranjero cuida tu alma" étranger, prends garde à ton âme -. Comme rien ne me laisse présager une ville ou estancia dans un futur proche, je me gare, j'enfile ma parka et me sert un verre de malbec acheté la veille dans la bodega. J'observe autour de moi, j'observe tant le ciel qu’il devint noir. Des animaux poussent des cris de reconnaissances et d’attaques, des pas furtifs semblent m’approcher, des hordes de chevaux sauvages soulèvent la poussière, des mains frôlent mes cheveux. Je pense à l’inscription et à mon âme. Je me ressert un verre de vin et fait chauffer un bol de riz. Loin de craindre le diable ou un démon, je suis bien. Je regrette de ne pas connaitre le chant des oiseaux, les marques des pas des animaux, les plantes et le nom de ce vent arrogant. Le vent éclate de rire, et presque soudainement, se calme. Et lorsque les chevaux, le vent, les démons et le Diable s'en vont fouetter d'autres cieux, je me blottis dans mon sac de couchage et m'endors à mon tour.

Premier bivouac. La Lune descend doucement derrière un bosquet.
Ami cheval, ne sois pas si curieux 

Le soleil étire ses rayons comme un jeune chat encore timide jouerait avec mon ombre

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Le nord de la Patagonie est peuplé de forêts étranges, de montagnes secrètes et de lacs. Un monde parfait, éternel, primaire. Rien ne laissait présager la rencontre d'une horde de chevaux broutant tranquillement près d'une zone humide. Des chevaux magnifiques, libres de barrière et barbelés. Je me suis approché très doucement pour ne pas les effrayer. Ils étaient si beaux, et pour tout pour l'or du monde, je ne souhaitais troubler leur quiétude. C’était comme un premier jour du monde. Je suis repartie doucement, au milieu de buissons beaux comme des rires d’enfants.Plus loin des fleurs au parfum d'émeraude, sifflotent joyeusement sous les murmures de la mousse espagnole.

Promenade matinale 

Je cherche désespérément mon Airbnb blottit dans la forêt. Claudia, mon hôtesse vient à ma rencontre. Je suis sale et poussiéreuse, elle est fraiche et souriante, elle me serre dans ses bras comme une sœur et me guide dans sa maison de bois et de musique. Un chien, un chat, des fraises mûres à points. Elle parle un peu français, celui de seconde langue enseigné dans les écoles. Elle parle lentement espagnol, et ça c'est bingo car je comprends un peu. Je me souviens de cette fin d'après-midi à recoudre des boutons, à boire du thé et papoter de tout et de rien.


L'été austral déploie ses ailes, chaleur et vent. Au Mirador Bandurria, el Viento souffle fort. Je m'ancre dans la terre solidement. Diego m’appelle via WhatSapp, il est presque surpris de m'entendre aussi facilement. A l'horizon, les eaux presque marines du Lago Lacar.

Saint Martin de Los Andes est certes touristique mais semble, par un étrange sortilège, garder une part de mystère et d'authenticité. Beauté et charme des lacs, de la montagne, la forêt, le volcan Lanin, la douceur de l'été austral. Ici est comme un sentiment de bonheur retrouvé, de madeleine de Proust.

Comme un air de Pologne.. La Patagonie est une terre de voyageurs, d'explorateurs, et de colons. Un siècle d'aventuriers venus d'Europe, notamment de Pologne, Autriche, Allemagne, Suisse. Voyager, oui. S'installer au bout du monde, pourquoi pas mais seulement avec du chocolat.

Marianne, le coq français au bureau de la policia federal et un baiser d'ours

Ici il y a de l'espace, du vent, les Andes et les lacs ; du vin, des empanadas, des tartes divines, de la bière brune, des chiens gentils ; des maisons de bois pastels ; des routes droites filantes dans le ciel ; des sourires, de la musique belle et tragique ; des nuages comme des moutons ; des gilets tricotés en laine qui pique, des fleurs crochetées aux couleurs seventies. Délicieusement rétro.

Aux couleurs du drapeau Wiphala
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La Route des Lacs tant sublimée dans les guides se noie dans le crachin et la brume. Ce qui n’empêche pas la foules, les bus touristiques à chaque parking et points de vues. Je prends quelques photos et file vers les cieux plus dégagés.

Ma route fétiche longe de nombreux lacs, elle ouvre des promesses des forêts enchantées ou je deviens Alice au pays des merveilles dans une végétation luxuriante.

Je ne peux m’empêcher d'imaginer cette Patagonie pas si ancienne, la Patagonie inconnue, sans route tracée, sans carte précise. Les premiers explorateurs perdus dans ce dédale d’eau, de marais, de forêts primaires, les moustiques, les maladies, l'isolement jusqu'à devenir un loco, un fou dans la fièvre de ce nouvel Eldorado.

A Villa Angostura, la très chic ville étape ente Saint Martin de Los Andes et Bariloche je ne fais que passer. La petite ville semble assaillie, impossible même de me garer. Oh belle Route 40, emmènes moi encore plus au Sud, vers des contrées secrètes et isolées.

Une église de lave.

Pour quelques km, La Ruta quitte son monde aquatique, cette "petite Suisse" et je me retrouve sur un lieu imprécis, juste entre Terre et Ciel.

Le Zonda, ce vent chaud et sec est mon compagnon de voyage. Il souffle, jure, dissone et blasphème. Il m'apaise, me rend heureuse. Un ami, de celui qui ramène les histoires, fait craquer les branches, emporte au loin les espoirs, les rêves et projets pour les faire vivre dans des contrées azurées. Je filme les arbres, j'écoute. Je voudrais le photographier, je ne peux pas, je ne sais pas. Aucune vidéo ne peut le capturer. Le ciel, l'espace, le vent sont les véritables héros de ce voyage.

Lorsqu’il se tait, se repait, la vie est à l’écoute, et attend son retour.

A San Carlos de Bariloche - Bariloche pour les intimes- Du chocolat, du chocolat, du chocolat.

De lourdes bâtisses, une cathédrale sans grâce, grise. Les vitraux comme les livres racontent l'histoire côté du vainqueur. Mais l’étape me plait. El viento est au rendez-vous, je dors dans une micro maison de poupée, avec un chien et un chat. Le ciel est bleu, le lac enchanté.

Francisco Moreno était humanisme, biologiste, naturaliste... Et d'autres "iste". Il reçut des territoires de Patagonie pour son travail. Il offrit ses terres pour créer le premier parc national. Sa vie est plus épique qu'un roman d'aventures. Son nom est partout en Argentine. Ville, plazzas, montagne, glacier. Ces cendres reposent dans les eaux azurées du lac Nahuel Huapi, ici à Bariloche.

Le petit musée est une mine d'infos sur le climat, la faune et la flore de Patagonie. Il rend hommage aux peuples Alakaluf, Selk' Nan, Yamanas, à leur mort programmée. Ces peuples de la mer s'appelaient simplement "Les Hommes". Ils n'imaginaient pas que d'autres Hommes existaient. Les colons débarquèrent et le massacre fut une partie de chasse écœurante, un génocide organisé, à vomir. Certains furent emmenés dans les zoos humains d'Europe. Ils moururent de maladie, de tristesse. En moins d'un siècle une civilisation complète fut éradiquée, balayée d'un revers de main. Pourquoi ? Une vieille femme vit encore en Tierra de Fuego, ou est elle morte ? Elle est un patrimoine vivant mondial de l'UNESCO. Une histoire lamentable, triste à pleurer.

Dans ma micro maisonnée de fée, veille un chat sur le chocolat

Promenade matinale au sommet au Cerro Ottro

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La Terre est infinie, sans grillage, ni barrière, ni montagne. Pas d'obstacle, de forêt, de cascade ou de canyon. Rien qui puisse fracturer le regard, morceler l'espace. L'horizon à perte d'immensité.

Premier panneau du jour et sapin poétique peu avant El Bolson 
Islas Malvinas son Argentinas

Les Malouines sont Argentines. L' Argentine revendique haut et fort la souveraineté de cet archipel situé à environ 400km au nord-est de la Terre de Feu. Une charmante île où les 3 300 âmes comptent chaque soir les 500 000 moutons avant de s’endormir sous les 50ème rugissants.

Je remonte le temps à défaut de le retrouver pour faire une micro étape à El Bolson, province de Rio Negro, une plongée dans l’ère hippie du siècle dernier. Je profite de la féria du jour. J'achète du pain, du fromage, des œufs, des fruits. La matinée est fraiche et ensoleillée, un joli temps pour capturer au passage quelques cliché de la ville qui n'a rien perdu de son charme.

Gilets crochetés, poupées tricotées aux couleurs psychédéliques et revendications écologistes pour l'eau

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Esquel n'est inscrit dans aucun guide, pourtant c'est ici que j'aurais aimé passer du temps, bien plus qu'à Bariloche. Toute concentrée à mon livre audio, j'ai bien failli louper la ville dissimulée derrière une formidable haie d'arbres protecteurs. La 40 est magnétique, hypnotique. Je fais demi-tour. Comme à chaque entrée de ville un contrôle de police. Pour l'instant, je ne présente aucun intérêt. De larges rues ombragées, des commerces. Seules les avenues principales sont d'asphalte. Les rues périphériques sont de gravillons, de terre. Je loge tout en haut d'une rue de poussière dans un appartement cosy. Rocking-chair, cafetière et tout et tout. Les cités cachées n'ont pas d'histoire.

Un ola à la Trochita, qui signifie petite voie en raison de l'écartement minimum de 75 cm la large. Le Viejo Expreso Patagónico est aujourd'hui une attraction touristique.

Le p'tit train s'en va dans la montagne 

Je ne peux faire 900 km de désert d'une tirée. Je pars et bien vite, la vallée enchantée se transforme en désert balayé par le vent, à la végétation rase. La faute à El Viento ! J'ai du mal à tenir la portière de la voiture. Des lignes droites à couper le souffle, le mien, pas celui du vent magistral. Le ciel tantôt s'abat sur la terre, tantôt s'en éloigne. Bleu parsemé de nuages blancs. Je suis presque déçue qu'il ne soit pas noir, en colère, anthracite, qu'il crache sa hargne.. Que diable !

Je fais la course avec les nuages, je joue au chat et à souris avec les guanacos.

Plus que le quart du réservoir et je m'inquiète déjà de trouver une station essence. C'est à Rio Mayo, ville hors du temps, que je trouve mon salut. Essence et chambre. Dans cette immensité, il n'y a aucun endroit ou bivouaquer. Des barrières clôturent l'espace. Le désert est vide, pelé, sans espoir.

Malgré la "glauquerie" de ma chambre aveugle. Je ne regrette pas. J'ignore quels artistes ont transformés les murs en planches de bandes dessinées. Des fresques partout à Rio Mayo.

Station YPF, mon oasis du désert 

Suis le flux du vent, transforme en air ; que le monde te respire ; que l'univers danse. Golden Kid

Ce voyage est onirique. Je fais des choses que jamais je me serais cru capable. Aucune solitude même si je pense à toi Diego, Cat et Fabie, et mes amies au purgatoire du boulot. Le ciel, le vent, le désert, ma Nissan avec qui j'entretiens un rapport plus que privilégié. Voyager seule rapproche. Les gens sont intrigués. Coïncidence, mes hébergements Airbnb sont tenus par des femmes de mon âge, il y a toujours un chat pour m'accueillir. A chaque départ, c'est "buen viajar", des mots écrits en français sur des bouts de papier, un numéro de téléphone au cas où la poisse s’inviterait au rendez-vous.

21 heures, Rio Mayo s'anime. Les restaus sont pleins, les chiens reprennent leurs palabres de midi. Les gens sortent du travail, de chez eux. Les 30 degrés du jour chutent à 14, El Viento glace les os. La ville alanguie, s'agite, mue par un miracle du style "Rencontre du 3 eme type".

Le ciel, l'espace, Nissan et moi 
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Ici je ne rencontre que du désert, du désert, du désert. La pampa aride, parfois un autel, parfois un guanaco ou un oiseau.

Vers le Sud, et toujours le vent dans le dos !

Un détour pour admirer les menottes colorées de nos ancêtres à Cuerva de los Manos. J'ai un peu l'impression d’être au Canyon de Chelly en Arizona. La piste est sinueuse et débouche sur une oasis. Les empreintes de mains dessinées sur les parois de la roche. Des dizaines de témoignages ont traversés les siècles, sous ce climat extrême.

Les mimines ancestrales, jeunes de13 000 années

Encore de la route, encore du vent. Je m’arrête sur le côté, je coupe le moteur, et j'écoute les histoires que le vent amène et emporte dans l'espace infini de cette autre planète.

Les yeux rivés sur ma jauge à essence, je cherche le complément indispensable. Une station, enfin, belle comme une voiture volée mais inutile car hors service. La prochaine station est à 90km. Je ne suis pas à court de carburant, heureusement. Ma plus grande crainte est la panne de moteur, crever une roue - ce qui m'arrivera au Chili - et surtout perdre ou casser mon smarphone, mon précieux cordon ombilical qui me guide, me relie au monde. Adulation moderne de Saint Samsung !

Maquillée comme une voiture volée mais vide de carburant 

J'aime ce pays sans panneau publicitaire, sans déchet. Dans les villes, je ne vois pas de poubelle, ni de papier gras joncher les trottoirs. Des dizaines de chiens de tous acabits lèvent parfois leurs truffes sur mon passage avant de reprendre leurs activités. Selon l'heure, siestes ou conciliabules avec le chien voisin. Ici à Gobernador Gregores, ils se jettent sous les roues des voitures. Peu de toutous trottinent sur leurs quatre pattes. Ils boitillent le plus souvent sur trois pattes et demi. Los perros son locos .

Je suis dans un bout du monde. Une ville de constructions inachevées. Que font les habitants ? Personne ne peut vivre ici par choix. La prochaine ville est à 100 km. Une prison sans mur, ceinte d'un désert somptueux, certes mais stérile et meurtrier. Je crois que je pourrais rester assise à la table de la cuisine de ma location toute la journée juste à écouter le chant du Vent, ce Vent qui rugit, et ce soir emporte tout ce qui est léger, futile, dérisoire. Spectacle fascinant du crépuscule.

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Un jour d'une ville à l'autre, d'une station essence à une autre. Moins de 300 km de Gobernador Gregorio à El Calafate. Tranquilo, pensais-je dans ma candeur légendaire. Mais la Ruta 40 aime l'aventure et se mue en Pista 40 durant une centaine de km. Vitesse de croisière 40 km/h. Les nuages filent, volent, flottent, me dépassent.

Tres Lagos et sa petite église amarillo

Disfruta, profite ! Ma Nissan est d'humeur chagrine et m'envoie ce message inquiétant ' filter and oïl' . Je m'étais pourtant mise sous les ailes protectrices de Gauchito Gil, le légendaire protecteur des voyageurs, de tous ceux qui prennent La Ruta. Je m'arrêterai à la prochaine station service... dans 100 km environ. Au loin un gaucho m'envoie un salut amical. Ola amiga !

Peu après la sortie de Tres Lagos, je rejoins enfin la station essence tant désirée. Perdue dans ce désert, elle semble irréelle, un reflet argentin de Bagdad Cafe où tout peut arriver, une rencontre impromptue, une histoire d'amour, de psychopathe, où simplement une pause amicale sur la route. Le temps d'un cappuccino et de faire vérifier le niveau d'huile, je repars, un chouilla inquiète quand même, malgré les propos rassurants du mécano.

Ola Amigo ! Et les mots de Nissan

Un guanaco se moque avec malice le panneau signalant des animaux. Il joue avec les voitures lancées comme des billes en roues libres. Ce tronçon de route est quasi désert. Quelques km plus loin, les eaux glaciaires du Lago Argentino désaltèrent l'univers minéral d'un bleu lagon.

Gauchito, mi amigo 
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C'est un pays de démesure, où la beauté floute les contours du réel. Un pays de déserts, montagnes et forêts géantes. Un pays de légendes, de terra incognita, des meringues glaciaires fantastiques se jettent dans les lacs. Le géant Perito Moreno craque et gronde.

Des pans de glace se brisent, s'effondrent comme de fantastiques glaçons. Les eaux turquoises du leche glaciar - le lait du glacier- tremblent un instant et se referment sur leur présent. Parfois des pans hauts comme des immeubles de glace, se détachent et font trembler les eaux miroir du Lac Argentino. Mais pas ce matin. Je n'ai pas voulu marcher sur le glacier. Bien que je sois pour lui à l’échelle d'une fourmi, je n'ose le piétiner pour une photo de plus à mon palmarès.

Perito Moreno 

Le message "filter and oil" m'inquiète toujours, en attendant la réponse du service SAV de location, j'opte pour prendre le 1er bus qui m’amènera au pied du géant glacé, environ à 80km de El Calfate. Le ciel est magnifique, et la cohue de touristes n'arrivera qu'en fin de matinée. Des conditions idéales pour l'admirer, l'écouter, me sentir bien face à lui. J'oublie d'instinct l'humour douteux de Nissan.

Meringue Glacée Patagone

A El Calafate, je flâne. L'été austral est un peu l'été indien, doux comme un baiser d'enfant. La petite ville porte le nom de ces baies violettes et parfumées, ces brimbelles sud-américaines symboles de la Patagonie australe. Un dicton veut que celui qui mangera ce fruit reviendra un jour. J'en ai mangé en tarte, en confiture, en crumble à m'en barbouiller les dents de noir. J'en ai bu du sirop, des infusions. Je reviendrai un jour en Patagonie. Le dicton l'a dit.

El Calafate est terriblement touristique. Les prix suivent. Les magasins sont en éternel liquidation "spécial gogos". Côté gastronomie, je me régale. Moi la végétarienne, l'odeur de l'asado me fait des trucs bizarres, une envie primitive de planter mes canines acérées dans l'agneau grillé. L'après-midi s'achève au Glaciarum, musée de la formation des glaciers, pour déguster un whisky dans un verre de glace.

Whisky on the rock 

Je me suis léchée les babines comme le grand loup blanc devant le cordero grillé - agneau grillé - la tarte au citron meringuée, les empanadas et une cerveza negra.

Que aproveche !

Une après-midi de chien

Une après-midi à ne rien faire et observer, les observer. Eux.. les bons toutous patagons. Placides, indolents, de bonnes gueules de tous poils, toutes marques. En arrivant à Los Andes au Chili, j'étais surprise du nombre de chiens en liberté. Cabots, bâtards, laids ou beaux, ils fonctionnent tous ainsi. A l'heure de la sieste, rien n'a d'importance. Alanguis sur les trottoirs et les routes, pourvu que l'ombre soit au rendez vous. Personne n'ose les déranger. Nous les contournons sans faire de bruit, sans les réveiller, surtout ne pas les réveiller.

Vie de chien patagon
"Tu ne peux pas voyager en Argentine sans danser le tango"

"No se puede viajar en argentina sin bailar tango"

Je suis curieuse de découvrir mon hébergement à 10€ la nuit. Un peu surprise à l'arrivée de rencontrer une dizaine de personnes, et un peu sauvage - où associale - de nature, je crains le squatt. Que nenni, ce voyage est un livre ouvert où tous mes désirs écrits se réalisent. Carlos, mon hôte me présente les participants de son cours de tango. Un instant plus tard, les élèves s'envolent comme une nuée d'oiseaux. Il ne reste que Carlos, qui m'offre du thé et s'excuse de n'avoir pas eu le temps de balayer. Plus tard il nous servira du pescado servi sur un plateau, me contera les différents styles, les origines de cette danse venue des bas fonds de Buenos Aires. Une danse populaire que les seuls les hommes dansaient entre eux dans les bals du samedi soir au début du siècle dernier. Il me parlera de l'invitation à la danse faites d'un regard lancé à une cavalière. Elle accepte ou détourne le regard en signe de refus. Le tango, l'art de vivre argentin. Plus tard il m'offrira mon premier cours de tango abrazo.

Que ce voyage aurait été incomplet sans ces trois soirées de tango, de vin et de musique.

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Tout doucement, sur la pointe des pieds, je quitte la maison octogonale, sa musique, ses rires, ses danseurs encore endormis. La voix grave de la chanteuse de tango Maria Volonte - résonne encore comme l'invitation d'un regard. Jalouse, la Route m'appelle. Que j'aime ces instants ou je "La" retrouve. Que j'aime partir vers une nouvelle étape.

La Esperanza, la bien nommée 

Première chose à faire, le plein, où le compléter, ne jamais partir le nez au vent sans précaution. Eau et essence, nourriture et couchage. Le service SAV de Chilean, mon loueur de voiture, a répondu "no problemo" tout est ok, la révision est faites tous les 10 000km. Il s'agit d'une erreur de paramétrage. Je repars un peu plus rassurée et couverte au cas où "no es un problema pero puede convertirse" - ce n'est pas un problème mais ça peut le devenir. De plus si je dois changer de voiture, il me faudra revenir jusqu'à Puerto Montt au Chili, ce qui n'est pas ma direction et contredirait salement mon plan de route.

Mi amigo Gauchito, los guanacos, el viento .. mes potes

Une aparté sur les stations YPF, les oasis de la pampa. C'est un bonheur brut d'être servie sans sortir de sa voiture. Des toilettes spacieuses et propres, des cappuccinos à faire rougir les chics brasseries parisiennes et des tartes, des crumbles, de la wifi. Tout le minimum vital et confortable de la parfaite globe trotteuse du bout du monde.

Où est donc parti le Vent ? Où donc est la 40 ? C 'est sur une autre route, la RP - Route provinciale - 5, que je glisse vers Rio Gallegos. La 40 descendait droit au Sud, longeait la Cordillère, bifurquait à l'Est en longeant la frontière chilienne. J'hésite à faire demi tour. "Filter and oil" clignote Nissan comme une ultime mise en garde. Je l'écoute sagement et pour une étape je serai infidèle à la 40. La prochaine ville est la bien nommée Esperenza à 117 km.

J'arrive à midi tapante à Rio Gallegos. Après Los Andes, San Carlos de Bariloche, El Calafate, Rio Gallegos à des allures de capitale. Des routes d'asphalte éclairées en plein jour, taillées au cordeau, balayées des fabuleux courants d'airs venus droit de l'Atlantique, et des vents de la pampa. Au contrôle de police, mon "Soy turista frances" illumine le visage du fonctionnaire. J'ignore encore si mon accent est réellement drôle, si le fait d’être française est un laisser-passer, si être une femme seule est un gage de confiance, toujours est-il que jamais je n'ai été contrôlée. Avec en prime des sourires, et des bons voyages.

Cabo de Virgines, le Cap des Vierges est à 124 km. Je fonce. La route nationale est une piste complètement défoncée d'ornières où trottent des moutons patagons, et parfois un nandou, une espèce de petite autruche.

Moutons, petits moutons patagons
va où le vent te mène... 

Rien ni personne, que la ligne de fuite d'horizon qui chasse le vent magistral. Le ciel, ce fameux ciel que je voulais découvrir. Que je n'ai jamais vu. Ni dans les grands déserts d'Arizona, du Nouveau Mexique, ni dans les terre rouges de l'Utah. Est-ce la lumière australe qui lui donne cette immensité ? J'ai l'impression de me noyer en lui, de rouler droit vers une mer de nuages, d'être un avion prêt à décoller. Ce ciel tant décrit, je comprends maintenant. C'est ici dans le sud de la Patagonie qu'il prend toute sa force. Il écrase littéralement la Terre, étouffe la pampa. Peu importe sa couleur, peu importe le vent, la pluie. Il est palpable, compact, présent. Le vent est à la Patagonie ce que le sel est à mer, le grain de sable au désert, le Diable à l’Enfer. Présent. Omniprésent. Il souffle, hurle se déchaine sans répits, ni repos. Il balaie la pampa, fais plier les peupliers sous les rafales de son rire sonore.

Je croise des camions, appels de phare, salut de la main. Des Estancias - ranch - grandes comme des villes. Soudain, une installation pétrolière et la réserve de gaz du gisement d'El Condor. Voila pourquoi je croisais tous ces camions. Cheveux au vent, les "Pogues" hurlant à plein volume leur musique irlandaise matinée de whisky, j’atteins l'Ultimo punto zero.

Une estancia 

Émue et impatiente comme une gamine au matin de noël, je veux voir la colonie de Manchots de Magellan, venus nidifier de décembre à février. Ils sont là, ces ravissants pinguinos de 70 cm - manchots en espagnol se dit pinguinos -. Je suis seule dans ce bout du monde. Seule au milieu de cette colonie de 🐧🐧🐧. C'est une émotion de joie indescriptible. Ils sont adorables, infiniment fragiles, curieux et bavards. Je me sens intrusive, je ne veux pas les déranger. Plusieurs observent ma voiture en se dandinant, se décrochant la tête. Les poussins, dodus à souhait, sont presque aussi gros que leurs parents. Beaux comme des peluches. A mon approche, ils me tournent le dos pour se protéger.

L'interminable piste défoncée, je ne la regrette pas. Que rien ne vienne déranger ces ravissantes petites bêtes. Une pluie brève et efficace nettoie ma Nissan couleur poussière. La voilà blanche comme neige.. enfin l'extérieur du moins. J'ai eu de la chance comme depuis le début de ce voyage.


Une rencontre rare, un instant bonheur brut


Là où tout commence

J'Y SUIS ! Nous y sommes ! Merci mon fier carrosse. Je suis au début où à la fin de route, celle qui naît de l'Océan, dans l'embouchure du Détroit de Magellan, étire comme un long serpent ses 5 000 km de bitume, de terre, d'aventures et d'histoires à travers le pays.

La légendaire Ruta 40.

Je la quitte à regrets. Elle était ma ligne conductrice, mon amie, mon livre. Mon voyage. Je n'avais rien à faire que de me laisser glisser sur ses ailes.

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Six degrés à peine ce matin. Je suis arrivée au bout de ma route et je loge dans un maison tout confort avec machine à laver. Un luxe non négligeable, mon unique jean's est un road trip à lui tout seul. J'en profite pour faire des provisions, me bichonner dans la baignoire. Le soir, je regarde sur grand écran "Coco", "Thelma et Louise" "El faro de las orcas" en version espagnole. Ce temps bougon me ravit, je reste auprès du poêle à écouter des histoires audio fantastiques sur les chaines YouTube. Ambiance Lovecratf de Tindalos et Rafadam. Dehors le vent s'enfuit, s'ennuie, s’essouffle et repends vie.

Fresque "Tierra de Tehuelches y Inmigrantes"

C'est à Punto Loyola que s'échoue en 1911 le fameux trois mats.. fin comme un oiseau..🤭, le Marjory Glen. Un navire de fer parti pour transporter du charbon d’Écosse en Patagonie. Dans une terrible tempête en mer, le navire chavire et s'embrase, le charbon flambe. C est une histoire épique de plusieurs semaines. Reste sa carlingue rouillée sur la plage. J'ai pris quelques photos. L'endroit est lugubre. Le navire grince, craque, supplie dans la nef exsangue. J'entends les murmures de marins péris en mer. Je pars.

L épave du Marjory Glen a Punta Loloya
Museo de los pioneros

Je visite le petit musée du pionnier. Une charmante dame me guide, m'explique. Le musée est un beau travail d'archives, de meubles et photos. Gratuit, je donne ce que je veux. Enfin elle me guide dans le jardin pour me prendre en photo. Devant la fresque, le rosier, la porte d'entrée. Elle demande mon prénom et s'enfuit. Me voilà dans le livre d'or des visites du petit musée patagon.

Le mythe de Gauchito Gil

Le saint païen, le gaucho Robin des bois a des airs de Jésus de Pampa. Voleur de bétails, défenseur des opprimés, il a réellement existé. Né en 1840, Antoni Gil était un travailleur rural. Il s'engage dans la guerre contre le Paraguay, et déserte. Alors commence son aventure. Il vole du bétail, et partage son butin avec les plus pauvres. Arrêté, il est pendu par les pieds, il prédit à son bourreau que son fils malade guérirait s'il priait pour lui. Le bourreau lui trancha la gorge sans autre forme de procès, et pria pour lui. Son fils guérit.

Gauchito Gil est un mythe, un Dieu. Mercedes, son village natal au nord-est de l Argentine un lieu de pèlerinage. Des milliers de personnes s y pressent tous les ans. Tatouages, offrandes, sanctuaires. Tout au long des routes, des banderoles rouges sang, los colorados de Gauchito.

Autels et offrandes au Saint païen Gauchito Gil 


Laguna Azul est un lac aux eaux d'azur dans un cratère. Le site est étrange et sinistre à souhait. Je ne m'attarde pas.

Rio Gallegos malgré sa taille n'est pas attractive. La ville ressemble à un no-mans-land, un far-west sans bar. Les cowboys roulent des voitures épaves. Les rues bitumées sont défoncées. Les trottoirs inexistants. Les hordes de chiens s'invectivent. Le centre ville est déprimant et je ne pige toujours pas le code la route argentin🤔. Je crois qu'ici chacun fait sa loi. Le far-west argentin.

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Je suis partie le vent dans le dos, seule, heureuse et confiante. Comme si tout était déjà écrit. Je suis entrée dans ce voyage comme dans une brèche ouverte dans un autre espace temps. A l’heure ou j’écris ces lignes, lorsque je me remémore les conditions de départ et de retour, toutes les rencontres improvisées, je me demande encore où est la limite entre le conte et le réel. J'aime au delà de tout ce camino, cette Ruta 40. Déjà l'envie me tenaille de la faire jusqu'à la frontière bolivienne. Entendre à nouveau la voix du GPS me dire "Tournez à droite et suivre la 40 pendant 210 km". Gracias aux Anges des Andes et de la Ruta, Gab de Mendoza, Sylvia, Nora y mi amigo Carlos. Je ne m'arrête pas en si bon chemin. Demain je traverse le Détroit de Magellan pour la Tierra del Fuego. Commencera alors une nouvelle histoire, un nouveau carnet de voyage. Hasta lluego 😘