J'écris ce titre très philosophique pourtant bien proche du sol : dans notre bus de nuit, direction Ha Long Bay. Ha Long Bay est la destination la plus connue au Vietnam, vous en avez sans doute déjà vu les photos. Mais ce n'est pas le sujet de cet article.
Lara et moi venons de passer 4 jours tout au nord du Vietnam, à faire 450km de moto à travers des paysages délirants. Je voulais écrire tous les soirs pour raconter la journée mais je n'y ai simplement pas pensé, et quand j'y ai pensé j'ai eu une grosse flemme. Il faut dire qu'après une journée de moto dans les pattes, tu n'as qu'une envie à l'arrivée, c'est te doucher et dormir ! Mais je vais faire de mon mieux pour relater cette expérience unique maintenant.
Tout a commencé ici, dans ce bus de nuit, de Ninh Binh notre étape précédente jusqu'à la ville de Ha Giang, quasiment à la frontière avec la Chine. Le bus est très confortable (si tu fais moins d'1m70 ceci dit) car on a chacun un siège allongé. On aurait du en profiter plus avec Lara, puisqu'en arrivant à Ha Giang à 2h30 du matin on est accueillies par un local qui nous montre une chambre très, très basique. Le matelas en plus d'être dur était inégal. Bon, on a "dormi" dessus que 5h30, faut pas pinailler.
Au matin, on sait pas vraiment ce qu'on fait, ce qu'on attend, mais on sait que tout commence ici. On a réservé ce tour en moto avec un guide local, et le voici, il a 27 ans, il s'appelle Tiem et est très enthousiaste. Il me montre ma moto (rouge et noire, à gauche) et me la fait tester. Je paie 10$ de plus par jour pour conduire une manuelle au lieu d'un scooter semi-automatique. Et scoop, c'est la pire moto jamais conduite : le guidon est de travers, elle accélère à peine, le levier de vitesse est trop bas... mais je souris et je dis "yes ok". Je vais m'y faire ! On se prépare à partir, nous sommes 6 touristes et 4 locaux. Seuls moi et un autre gars, néerlandais, allons conduire nous-même. Le reste de la troupe (Lara, et 3 autres néerlandais) se fera conduire par des locaux : Tiem notre guide, Huy (prononcé "ouiiii"), Binh et Hai Vû (à prononcer "vouUu", si tu prononces bêtement "vou" ça veut dire "seins"). Ils sont tous jeunes, entre 27 et 20 ans, sur leur scooter tuné quasi transformé en moto. Et nous voilà partis jusqu'à la station essence. Dans les 500 mètres que nous parcourons, je me rends compte qu'avec la moto ça ne va vraiment pas être possible : le moteur s'arrête dès que je n'accélère plus, car le ralenti est mal réglé. Je dois la redémarrer 3 fois en 500 mètres. Je fais part de cette observation à l'équipe, et ils se débrouillent pour vider la batterie en plus de ce problème de ralenti. Mais ni une ni deux, Tiem passe un appel et me voici avec un nouveau destrier :
Ça n'a plus rien à voir, dieu merci, la moto tourne comme une montre suisse. Et zéparti l'aventure.
Que vous dire à part que c'est superbe. On est parti sous la pluie, mais dès la première montagne passée, on a vu le soleil pour la première fois depuis notre arrivée au Vietnam. La route monte très fort, descend très fort, tourne et vire très fort. Ça demande une grande concentration et nous sommes très contentes du choix de dernière minute de Lara de ne pas conduire elle-même. Moi, je prends mes marques, je jette des coups d'œil à gauche à droite pour regarder le paysage quand je peux. On roule entre 35 et 40km/h selon mon compteur mais avec les routes étroites et en mauvais état, c'est bien assez ! Le soir arrive déjà, et notre lodge dans la ville de Dong Van est sublime.
La chambre toute en bois, beau carrelage dans la salle de bain, eau chaude (oui ce n'est pas un acquis ici), couverture chauffante dans le lit. Le paradis.
Pour dîner, on a 2 gros réchauds de bouillon dans lesquels trempent des morceaux de poisson. Tout autour, plein d'assiettes remplies d'ingrédients : tofu, salade, pousses de soja, nouilles, poisson cru... Le but, c'est de faire bouillir ce que tu veux puis de te servir dans ton petit bol. Ça s'appelle un "hot pot", une casserole chaude en gros. On fait mieux connaissance entre nous. Le reste de l'équipe voyage en couple, Yorun et Erina les trentenaires et Sofie et Luc, 21 ans, qui sortent de l'université et qui cherchent à acheter une maison (euuuh j'ai raté quoi dans ma vie là ?). Les locaux nous font boire de la "happy water", un alcool local absolument infect que je réussis à esquiver spectaculairement en étant très ferme : non, ce n'est pas pour moi, je reste à la bière. Lara n'a pas réussi. Paix à son âme. On trinque très fort en hurlant "MOT, HAI, BA, ZO ! HAI, BA, ZO! HAI, BA, HUEEEEEE" en gros 1 2 3 ça trinque, 2 3 ça trinque, 2 3 et glouuuu
La soirée était super. C'est très vite parti en karaoké, le divertissement numéro 1 des asiat's. J'ai chanté Céline Dion très fort et tout plein d'autres trucs très forts, et tout le monde a chanté et rigolé et c'était merveilleux. Et quand nous sommes allés nous coucher, la couverture chauffante nous attendait : le paradis.
Le lendemain, encore plus de moto, plus de paysages, plus de montées et de descentes et de tournicotis. On frôle la frontière chinoise, on s'arrête et on grimpe 300 marches pour avoir un point de vue sur les alentours. En vrai c'était pas ouf mais ça fait un break. Et on a fait du bateau, dans un canyon qu'on voyait d'un sommet de la montagne et qu'on a descendu très, très longuement.
Le midi, on mange dans des restaus locaux où ils nous servent un assortiment d'ingrédients dans plusieurs assiettes, avec du riz à côté : à toi de faire ton petit mélange. On fait aussi des pauses après avoir roulé un petit moment, on apprécie le paysage, on se détend.
Sur la route, on croise beaucoup d'autres touristes en moto comme nous. Certains sont dans des groupes de 20 personnes. Ça fait 20 motos qui défilent et tâchent de se frayer un chemin sur la petite route et rester ensemble. 20 motos qui traversent les villages en trombe. Pas ouf. On croise aussi des bus et voitures qui klaxonnent très fort et roulent au milieu. Et on croise également des Hmong, les habitants de ces montagnes. Ils vivent une vie difficile et pauvre, rythmée par le travail au champ. On les voit souvent à pieds, sur le bord de la route, porter des énormes charges de feuillages qui les font complètement disparaître sous la masse. Ils avancent, grimpent les pentes petit à petit. Leur tenue traditionnelle est très colorée (du moins celle des femmes). Les enfants travaillent, certains vont à l'école mais pas tous. Ils nous font coucou du bord de la route, on leur fait coucou aussi. Les adultes sont indifférents.
On est quand même beaucoup à faire ce circuit, tout au long de l'année, et tandis que l'on traverse leurs villages, qu'on les regarde comme des bêtes de foire vivre et s'éreinter dans les champs alors que nous on kiffe, je me pose quelques questions d'éthique.
Au détour d'un virage sur un col, surprise : la route est bouchée par un cortège d'hommes habillés en noir et de femmes portant des couleurs, et de grands drapeaux (j'ai pas d'autres mots pour qualifier le truc que vous voyez sur la photo). Tiem nous dit que c'est un cortège funéraire Hmong, et qu'ils portent le corps jusqu'au champ du défunt pour qu'il y soit enterré. Ils peuvent marcher longtemps comme ça, et peu à peu une longue file de motos se forme derrière eux. Interdiction formelle de les dépasser, on respecte au moins la tradition.
Fort heureusement, après 20mn ils bifurquent sur ledit champ. Et nous on passe enfin. Je pense à cette personne née dans ces collines, ayant travaillé dans ce champ à pic de falaise toute sa vie, et y reposant maintenant pour l'éternité. C'est quelque chose.
Sans transition, l'étape du soir du deuxième jour est très oubliable, c'est un motel sans charme dans une petite ville. Bien moins sympa que le premier soir mais on est quand même content de dormir... Et le lendemain, c'est reparti.
Il faut rendre à César ce qui est à César : c'est Lara qui prend toutes les photos, depuis l'arrière de son scooter. C'est Huy qui la conduit, un petit bonhomme de 20 ans, toujours content et qui fait de son mieux pour parler anglais.
À droite, vous voyez Lara et moi de loin sur un rocher. En fait, on était au sommet d'une cascade, à Du Gia, et on allait sauter. Et c'était haut, et il fallait sauter loin sous peine de s'écraser contre les rochers. J'ai dit à Tiem qui nous encourageait de dire à ma maman que je l'aimais si jamais je mourrais. Le pire, c'est que je considérais vraiment le fait que ma vie pouvait s'arrêter là, sur la décision absurde d'un saut dans le vide. C'est peut-être morbide mais je modifie peu à peu mon rapport à la mort : si elle arrivait là, maintenant, et que j'avais 1/2 seconde pour m'en rendre compte, je me dirais "bon, bah tant pis". Enfin je crois, j'en sais rien. Toujours est il que je ne suis pas morte en sautant, et Lara non plus, et on a gagné le respect éternel de tous les autres gens qui étaient là et qui avaient même peur de se baigner car scoop, l'eau de la rivière est froide.
Ma vie aurait pu s'arrêter plein de fois pendant ce voyage, c'est d'ailleurs un miracle qu'on ait vu personne dans le ravin au vu de la dangerosité des routes. Entre descentes à pic, graviers, ravins, camions à toute berzingue et agglutinement de nombreuses motos sur un très petit espace par endroits... Le circuit n'est vraiment pas fait pour les conducteurs débutants. Mais ça fait partie du voyage, ça renforce l'expérience, et ça me permet de réfléchir sur plein de choses, je réfléchis au sens de la vie et au sens de ma vie.
J'avais beaucoup d'attentes pour notre dernier soir. Vu que le premier était incroyable, le second bof, j'avais peur de finir sur une note moyenne. Mais que nenni, Tiem avait tout prévu : notre homestay à Du Gia était une petite perle. En retrait du village, sur hauts pilotis, vue sur les rizières et les montagnes. Matelas confortable et moustiquaire, car les "chambres" sont en fait délimitées par des planches de bois qui n'ont pas de plafond. La dernière soirée est à l'image de la première : bon enfant, bières, karaoké, et dodo vers 23h.
Ce jeudi 9 au matin, c'est le dernier jour. On déjeune de crêpes avec du miel, on prépare les motos et on prend la route, retour sur Ha Giang. La lumière est sublime, on traverse une longue vallée bordée de quelques maisons, on remonte dans la montagne, les arbres deviennent épineux puis redeviennent feuillus sur la montagne suivante. Il fait frais puis définitivement chaud. Je suis en quasi méditation sur la moto, en roulant par automatisme, toujours en faisant très attention bien sûr, mais j'ai atteint un stade mental très agréable et chaque pause pour voir le paysage, bien que grotesquement beau, m'y arrache et m'ennuie un peu.
Fin d'après-midi. La route s'élargit, le trafic se densifie. Nous voilà de retour à la ville, devant l'auberge que nous avons quitté 4 jours auparavant. Les néerlandais sautent dans leur bus pour Hanoï. À peine le temps de réorganiser nos affaires avec Lara que notre équipe vietnamienne s'en va aussi : si je me laissais aller je verserais une larme, mais non, c'est ça aussi le voyage. Tu rencontres des gens avec qui tu partages quelque chose de spécial et tu ne les reverras plus jamais.
Je vous écris maintenant depuis le bus de nuit pour Ha Long Bay, je l'ai déjà dit. C'est toujours aussi confortable, d'autant qu'il est tellement plein que certains dorment par terre dans le petit couloir qui mène au fond du bus.
Cela va bientôt faire 3 semaines que l'on voyage, et si le temps paraissait long les premiers jours, il s'emballe maintenant. Je vais tâcher de profiter un maximum et de vivre au jour le jour sans penser au retour. La suite au prochain numéro.