Le temps s'est couvert ce matin. Mon genou ne va pas mieux et dans un soucis d'avancer sans trop d'encombre je décide de rejoindre cette fameuse piste qui chemine un temps dans la direction voulue. Je fini par la trouver et je m'engage alors pour deux heures de marche qui, je l'espère, vont me faire passer en mode pilote automatique pour récupérer de la fatigue accumulée hier.
Une fois redescendu de l'immense ligne de crête d'hier, on replonge dans le désert à la vue bouchée. C'est grand. Et Vide. Très vide... La Stóra-Laxá à gauche et le lac de Grænavatn à droite.Les moucherons des Highlands sont de retour et c'est un véritable enfer. Des nuées entières me harcèlent de toute part, se logeant dans mes oreilles, ma bouche, mes yeux, j'en hurle de colère tellement c'est insupportable.
La rage ne mène nul part, je m’organise dans la lutte. Mon tour de cou me sert de voile intégral, mes bâtons chassent l'air devant moi, je me pince les lèvres et j'use de mon sang froid.
Bon dieu cette piste c'est méga chiant. Tant pis je coupe. Kerlingarfjöll se rapproche, je vise Klakkur, un volcan à la cime acérée marquant l'entrée du massif par le Sud.
Les montagnes se rapprochent. Les heures passent, les mouches me suivent. Je ne vois rien à cause du voile. J'ai mal.
Tout est loin, tout est allongé, tout se ressemble... je me surprend à trouver cet endroit laid... je veux partir de là.
je passe entre les montagnes Litli-Leppir et Oraefaskyggnir. Klakkur est devant moi, je vise à présent la petite bicoque à sa base, qui se trouve être un refuge non gardé selon la carte. Je lance toute l'énergie qui me reste pour traverser la dernière plaine qui me sépare de l'entrée de Kerlingarfjöll. Je crois faire du sur place tellement ça me prend des plombes.
Klakkur, centre droit, n'est plus qu'à 6 kilomètres. Lorsque je m'imagine enfin arrivé, un phénomène que j'ai déjà rencontré auparavant se manifeste une fois de plus lorsqu'on l'attend le moins : Une rivière coulant au fond d'un large ravin apparaît subitement alors qu'on pensait le terrain continu. J’appelle ça une rivière-surprise.
Rivière-surprise donc. 100 mètres avant de parvenir à la cabane; c'est une blague. Les versants de cette dernière sont bien raides et presque entièrement enneigés.
La rivière-surprise en question.Un quart d'heure plus tard me voilà au refuge. Fermé. Personne.
Putain... J'ai besoin d'une pause.
La cabane au pied de Klakkur. Je me mange un plat déshydraté puis je reste affalé à même le sol, un peu abrité du vent par la bicoque, une heure durant.
Les mouches sont parties, je devrais en faire de même. La traversée du désert est bientôt terminée, je vais mieux.
Ma carte indique l'existence d'un sentier qui part du refuge, longe klakkur par l'Est puis s'engage dans le massif de Kerlingarfjöll pour parvenir en son cœur et enfin en ressortir par le Nord, de l'autre côté. Voilà mon plan. Je cherche un temps ce sentier puis je fini par comprendre qu'il n'existe pas au sol mais qu'il s'agit simplement d'un itinéraire décrit par ma carte. Qu'à cela ne tienne ça me va tout aussi bien.
Étonnement, la montée m'est plus facile que ce foutu plat. Je retrouve une aisance liée à un terrain que je connais bien : la montagne.
Le versant Nord de Klakkur et le versant Sud de Svarthyrna.Je parviens petit à petit au cœur du massif. Le massif est ponctué de pointes volcaniques proéminentes ça et là et pris dans un large manteau de neige, qui semble par endroit fort épais. La plupart des névés ici sont permanents et bien qu'on ne puisse pas tous les qualifier de glacier, leur cœur est fait de glace et leur surface est souvent zébrée de quelques crevasses.
Au bout d'un vaste plateau enneigé je reconnais les montagnes croisées au détour d'une recherche google : le cœur du massif et Snækollur, son point culminant.
Snækollur, au centre. De belles éclaircies viennent compléter le tableau.
Cet endroit est magnifique. Tout autours de moi des phénomènes para volcaniques colorent l'air et le sol de leur panache de vapeur et leur minéraux chatoyants, ça fume bouillonne, ruisselle, crache et éclabousse dans tous les coins.
Ruisseaux d'eau chaude / boue bouillante / fumerolles Le sol aux nuances de brun mordoré prend tout son éclat une fois mis en perspective avec le blanc de la neige et le noir des traînées d'obsidienne.
Snöt, tout à gauche, pris depuis le névé (glacier ?) Botnajökull. Je veux aller là haut. Je m'étais résolu à ne pas monter au sommet ce matin constatant avec lucidité que mon genoux couplé à ma fatigue me l'interdisaient, bien que l'idée de parvenir au sommet du massif s'était ancrée en moi au cours de mes recherches plusieurs semaines auparavant.
Il est bientôt seize heures. Il me reste huit heures de lumière... C'est largement plus qu'il n'en faut pour prendre un peu de hauteur et redescendre à temps. Aller j'y vais.
Si je m'en tient à mon mantra montagnard « Tant que tu peux redescendre ce que tu as monté alors monte » Il n'y a pas de raison que je me fourre dans une mauvaise situation.
La carte fait état d'un itinéraire par là, et bien allons voir ça ! Évidement il n'y a pas de chemin ou alors il est pris sous toute cette neige, encore une fois ça ne pose pas de problèmes, au contraire, devoir lire le terrain pour progresser est un plaisir.
Je commence à prendre un peu de hauteur, ma vue à l'Est avec le Vatnajökull à l'horizon.Je prend rapidement de la hauteur puis je me retrouve sur un vaste versant enneigé. La neige est suffisamment molle pour que mes chaussures de trail, pas rigide pour un sou, puissent accrocher à la pente. Le versant se redresse de plus en plus, des plaques de neige un peu plus dures que les autres me font redouter une chute... Est-ce que je pourrais arrêter une chute sur cette pente ? Non. Est-ce que la chute est dangereuse ? Putain oui, qu'est-ce que je fout, ce passage est un cul de sac sans crampons ni piolet, demi tour.
Et pourtant je n'ai pas envie de faire demi tour... La solution à mon problème serait de pouvoir trouver un accès non enneigé, aussi raide soit il, le danger de glissade mortelle serait écarté. Humm.. je traverse une centaine de mètres à gauche pour rejoindre un éboulis. Ça doit pouvoir passer par là, aller on tente.
J'ai quelque chose comme 150 mètres de dénivelé à faire pour parvenir au sommet. Je comprend vite que ça ne va pas être une partie de plaisir. À quatre pattes dans des éboulis de roche volcanique les plus instables que j'aie jamais vu, je m'acharne à essayer de prendre un peu de hauteur... Pas une seule fichue pierre ne veut rester en place et chaque pas me fait revenir au niveau du précédent. C'est exténuant, que je suis con des fois.
J'envisage de redescendre, je ne suis même plus sûr qu'il soit possible de progresser dans ces sables mouvants verticaux. Non c'est trop con j'y suis presque. Le seul moyen de gagner de la hauteur efficacement c'est d’enchaîner trois à quatre pas à quatre patte de façon dynamique, pour se sortir du flot de pierre qui me bouffe les pieds, de reprendre ma respiration ainsi que mes appuis du mieux que je puisse puis de me jeter en avant pour répéter l'opération.
Au bout d'une heure je parviens bon gré mal gré à me sortir de ce guêpier et je me hisse sur le sommet. Bon. il s'avère que ce n'est pas le bon sommet mais qu'importe. Celui que je visais n'est que quelques mètres plus élevé. Et de toute manière je n'irais pas plus loin.
La vue est absolument dingue, je ne regrette pas un seul instant les efforts déployés pour atteindre la cime. Au cours de ma monté un immense ciel bleu s'est installé au dessus du massif et le vent ne souffle pas bien fort. Je n'ai pas froid grâce à mes bon vêtements. Toute les conditions sont réunies pour me faire savourer cet instant magique, perché au centre de l'Islande.
Au sommet du Fannborg, la vue à l'Ouest Au sommet du Fannborg, la vue à l'Est. L'heure tourne et il est à présent temps de redescendre de mon petit nua.. volcan.
Je redescend par un autre versant moins raide, dans les éboulis. Les 300 premiers mètres sont avalés en une poignée de secondes, puis le pierrier se fait plus stable, il n'est plus possible de surfer dessus. Ma douleur au genou me rattrape Arg, je suis contraint de descendre les 200 derniers mètres à l'envers car dans les fortes pentes il m'est impossible d'allonger la jambe gauche suffisamment loin pour progresser.
Pour bivouaquer ce soir, j'aimerais parvenir à un plateau au Nord que j'ai aperçu plus tôt du haut de mon point d'observation. Je sillonne alors à travers un véritable dédale de ravines perdues dans les vapeurs des fumerolles et parfois obstruées par un névé glacé, vers ce que j’espère être la bonne direction.
Se balader la dedans est surréaliste. le versant Nord de la petite montagne Dalakollur et son névé glacé le Langafönn Tout au Nord du massif, quelques ruisseaux on été équipés de passerelles. Malgré la fatigue et la douleur qui m'a rattrapé, je parviens enfin, au moyen de gros efforts, sur le plateau. Une fois ma tente planté, la colline qui surplombe mon bivouac sur ma droite s'avère trop tentante pour que je n'aille pas y faire un tour. J'assiste alors, à presque vingt-trois heures, à mon premier coucher de soleil islandais sur les immensités qui m'attendent pour les jours à venir.
Il est 23h, je regarde droit vers le Nord ce qu'il me reste à traverser avant d'atteindre l'Océan. Quelques vues depuis Hveradalahnukur.Quelle journée de dingue. Rien que pour l'après midi que je viens de vivre, toute la traversé aura valu le coup qu'importe les nombreux moments pénibles qui ont aussi fait partie du périple.