1492, Christophe Colomb met le pied sur une terre qu’il croit Inde, mais qui s’avère être ce qui deviendra l’Amérique. Le deuxième jour du mois de janvier de cette même année, à Grenade, en Andalousie, le sultan Boabdil, dernier maure de la dynastie des Nazari, remet les clefs de l’Alhambra aux rois catholiques. Le siège a duré neuf mois. C’est l’achèvement de la "reconquista", l’Espagne devient catholique dans son unité. L’histoire rapporte qu’en passant la porte, une porte qui n’a jamais été ré-ouverte depuis, le sultan a pleuré. Sa mère lui aurait alors rétorqué cette phrase cinglante : "Pleure comme une femme, ce que tu n’as pas pu défendre comme un homme". Derrière lui, et 777 ans de présence musulmane, demeurent des milliers de vestiges d’art mauresque. Palais, mosquées, bains, agrémentent les villes d’Espagne. Tout sera démoli ou transformé, pour devenir des lieux de prières chrétiens. Tout, sauf le palais de l’Alhambra. Les rois catholiques conviennent de la beauté miraculeuse de ce site, et décident de l'épargner.
Aujourd’hui, huit mille visiteurs par jour se pressent pour admirer les splendeurs du site (il est délivré huit mille tickets par jour, et mieux vaut réserver à l’avance). Mais, avant eux, de nombreux intellectuels, artistes, hommes et femmes d’état, ont été émerveillés par la densité artistique du palais. Washington Irving (photo ci-contre), père fondateur de la littérature américaine, a découvert l’Espagne et Grenade, alors qu’il y était ambassadeur. L’Alhambra exerça sur lui un tel effet, qu’il y séjourna plusieurs mois, et écrivit le fameux "Contes de l’Alhambra", publié en 1832, et qu’aujourd’hui, encore, on retrouve dans toutes les librairies, traduit dans presque toutes les langues.
Visite de l'Alhambra
Dès l’ouverture et par une fraîche température, nous franchissons les barrières d’accès en direction du Generalife, le palais d'été des princes Nasrides. C’est le moment idéal, et la journée idéale : il y a moins de monde en février, il est tôt, et le soleil déjà éclaire magnifiquement la colline.
Un chemin de terre parfaitement entretenu, entouré d’une allée de cyprès, serpentent au milieu de plantes et fleurs rampantes. Nous nous élevons tout doucement. Le silence, troublé par les clapotis des fontaines et bassins, est propre à une rêverie romantique, et l’on imagine bien aisément, des promenades et des rendez-vous romanesques à l’ombre des palmiers royaux. Jardins en terrasses, miroirs d’eau, fontaines de mosaïques, colonnades dentelées, l'Alhambra est un écrin à ciel ouvert.
Ses façades extérieures sont imposantes, sobres. L’architecture Maure prévalait l’intérieur à l’extérieur contrairement à nos châteaux français qui affichent leurs fastes et démesures aux yeux du passant. Le palais du sultan et celui de la sultane libèrent des sensations poétiques. Les portes, plafonds, soubassements, décors muraux, témoignent d’une finesse extrême dans le travail artistique. Les visions sont enchanteresses, le palais des milles et une nuits s’ouvre à nous.
Le palais d’été fait face au palais d’hiver, et, à travers les ramages des palmiers, on aperçoit les monts enneigés de la sierra Nevada, alors qu’au pied de la citadelle, Grenade courbe le dos, semblable à des chevaliers agenouillés devant leur maître.
Au centre de l’Alhambra, on découvre un palais anachronique, édifié par Charles Quint. Une construction carrée, et ronde en ses murs. Masse imposante, elle dispense sa rondeur étonnante, affirmant un caractère architectural fort et tenace.
L’Alcazaba, forteresse militaire, avec ses quatre tours surveillant la vallée, vient clôturer, notre visite.
Il est presque treize heures, les allées sont maintenant envahies par les visiteurs, familles, couples, groupes de touristes, caméra et téléphone portable au bout des mains. Il est temps pour nous de descendre jusqu’au centre ville.
Car, Grenade, ce n’est pas simplement l’Alhambra, même si cette dernière agit comme un aimant auprès des visiteurs.
Grenade est une ville de moyenne importance qui possède en ses murs de nombreux attraits. A partir de l’Alhambra, une longue et large promenade en pente, longée par une succession de bancs, de fontaines, de majestueux marronniers et d’eucalyptus, dévale sans retenue jusqu’à la magnifique "plaza nueva", centre névralgique de la cité. Quasi piétonne, elle accueille les flots de promeneurs qui s’installent aux terrasses, flânent bras dessus dessous, admirent les belles façades des grandes demeures, qui l’encerclent.
A l’heure du déjeuner espagnol, il est déjà quinze heures, nous portons notre choix, sur une taberna, au décor désuet et à la chaude ambiance. Les habitués sont là, journal à la main, ou debouts, face au bar, devant les verres de vins ou de bière, piquant dans les assiettes de tapas. C’est bruyant, joyeux, vivant. Nous nous installons autour d’un tonneau, et commandons. Il faut savoir qu’en Andalousie, lorsque vous commandez un verre de vin ou un bière, on vous offre obligatoirement la "tapa de cortesia" (tapa de courtoisie). Nous y ajoutons des tapas de truite, saumon, et jambon andalou.
Ainsi, bien restaurer, nous pouvons rejoindre Marco, un guide passionnant, qui va nous faire découvrir les deux quartiers emblématiques et historiques de Grenade : el Albaicín et el Sacromonte.
Pendant trois heures, nous allons arpenter ces deux quartiers, qui se jouxtent, simplement séparés par une petite ruelle. Arpenter est le vrai terme, car les étroites rues montent, rétrécissent, descendent, tournent à droite puis à gauche, remontent, dans un véritable labyrinthe d’une extrême blancheur. Notre visite a débuté le long du rio Darro, envahit de promeneurs au point de se croiser avec la plus grande difficulté. Nous nous sommes engouffrés dans une petite ruelle, stoppant notre marche à des endroits particuliers, témoins de ce quartier dont l’assemblage chaotique de petites maison blanches, conserve l’effet médina. Les anciennes demeures "Carmenes" voisinent avec des placettes pavées, des patios mangés par de belles treilles, des volées d’escaliers encombrés de vases colorés retenant plantes grasses et fleurs. Le quartier a été classé par l’Unesco au patrimoine de l’Humanité.
Le soleil entame sa descente, pendant que nous, nous montons, enveloppant le quartier d’une sublime couleur orangée. Nous parvenons au mirador de Saint Nicolas, où une foule compacte est agglutinée sur la terrasse. D’ici, la vue sur l’Alhambra est magique. La fin de journée fait ressortir la couleur rouge des murs du palais. Alhambra signifie "la rouge" : Al (la) hambra (rouge).
Photographies faites, non sans difficulté, nous franchissons la petite rue qui nous sépare du Sacromonte, pour découvrir cet atypique quartier gitan. Là encore d’étroites, très étroites ruelles, des volées d’escaliers et de la couleur, beaucoup de couleur. L’identité de ce quartier réside dans ses maisons troglodytes, toujours habitées pour certaines. La communauté gitane qui vivait dans des grottes creusées dans la montagne, les a agrandies en grattant la roche à coup de pic, jusqu’à en faire des maisons de cinq ou six pièces. Ce qui, aujourd’hui, est devenu interdit.
En empruntant le chemin retour, nous passons devant des établissements qui proposent des soirées Flamenco, également dans des grottes. Soirées très prisées des habitants de Grenade, et bien entendu des touristes.
La visite se termine, trois heures plus tard, là où elle avait débuté, près du rio Darro. Sur la colline opposée, l’Alhambra est illuminée, la vision est grandiose. Nous pénétrons dans la "tetería el Bañuelo", autre témoignage de la présence arabe en Andalousie. Installés sur des coussins proches du sol, on y déguste toutes variétés de thés et de cafés, accompagnés de petits gâteaux au miel, à la pistache, à la figue. Il y règne des parfums de cannelle, d’oranger, et une atmosphère alanguie toute orientale.
Le froid s’accroche à la ville. Il ne nous reste plus qu’à gravir la longue avenue sous les remparts de la citadelle, pour parvenir à notre camp de base.