Sortir de Lisbonne, en milieu de matinée, n'a pas été une mince affaire. Bloqués dans les embouteillages quotidiens de la ville, nous suivons les instructions chaotiques de notre GPS, et profitons de la sympathie des chauffeurs de bus qui nous laissent occuper leur espace, pour, enfin, sortir de la capitale, et prendre la route du Sud.
Depuis notre départ, nous empruntons uniquement la nationale. Pour descendre vers notre destination du jour, nous ne dérogeons pas à cette règle.
Tout d'abord ennuyeuse, traversant les banlieues de Lisbonne, et les installations portuaires, la route devient beaucoup plus agréable dès que nous atteignons les régions agricoles. Les champs d'oliviers, succèdent aux forêts d'eucalyptus, et aux plantations de chênes lièges. Le Portugal est l'un des premiers pays au monde producteur de liège. Les chênes sont ainsi déshabillés à leur base de l'épaisseur d'écorce qui sera par ensuite envoyée sur les lieux de production de bouchons, souvenirs, chaussures, sacs... Il existe toute une création étonnante à base de liège. Il faut savoir que l'écorce du liège se reconstitue tous les sept ans. La route défile ainsi. Nous croisons de petits villages, avec leurs maisons aux façades blanches, totalement déserts. Il fait chaud. Nous sommes au tout début de l'après-midi, et la sieste semble être respectée.
Vila do Bispo
Il nous faudra cinq heures, après une pause déjeuner, pour enfin arriver au village de Vila do Bispo, qui apparait soudain devant nous, caché par une petite colline. Avant, l'océan jouait à cache-cache dans les paysages faits de vallons et de creux verdoyants.
Une aire privée, disposant de tous les services, nous ouvre ses portes. A peine installés, nous filons au Lidl, situé à cinquante mètres du fourgon, pour y renouveler nos provisions. Étonnant de trouver un petit supermarché, flambant neuf et parfaitement achalandé, dans ce village qui semble loin de tout.
Après cette longue route, nous décidons de consacrer la fin de journée à un repos mérité.
Le lendemain matin, nos bicyclettes sont de sortie. Nous filons à la plage pour une journée farniente.
La plage de Cordoama se trouve à quatre kilomètres. Une montée assez raide, puis une descente vertigineuse nous conduit jusqu'à la petite crique ceinte de falaises abruptes, d'où se jettent des adeptes de parapente.
L'océan, ici, est le rendez-vous des surfeurs, et ils sont légion à glisser sur les vagues encore timides, mais bien présentes. Le lieu est splendide, fouetté par un vent tenace et frais. L'eau reste très froide, malgré le clair soleil qui joue de sa lumière sur les falaises et l'ocre du sable.
Nous sommes samedi, quelques familles se regroupent autour des parasols, des glacières et des planches de surf plantées dans le sable. Nous profitons de ces premières heures presque estivales, pour respirer l'air frais à pleins poumons, gagner des couleurs, prendre le temps pour ce qu'il est.
Le soleil entame une timide descente vers les eaux mouvementées de l'Atlantique, nous voici dans la longue remontée vers le promontoire qui domine la plage. Devant nous, de hautes falaises déchiquetées par l'eau et le vent. Un paysage magnifique façonné par la nature. Les éléments, souvent déchaînés, se dressent face à la roche, dans un face à face dantesque. La flore se fait timide, ne laissant se dresser que de simples rampants, capables de résister aux souffles incessants venus de la mer. Des fleurs, d'un rose vif, se mêlent à d'autres aux pétales blancs éphémères, tandis que des jeunets nains, arrosent les pentes de milliers de pointes jaunes. La palette de couleurs radoucie le tableau de cette fin de terre battue par les vents. Nous nous attardons ici, avant de redescendre vers notre village.
La journée sera passée bien vite. Un voisin italien vient papoter avec nous, contant son trajet depuis Gênes. Un bonne ratatouille est en train de cuire tout doucement. Les glaçons s'entrechoquent dans notre verre de vin blanc portugais. La soirée sera belle, sous un ciel étoilé, prometteur d'un lendemain radieux.
Le cap Saint-Vincent
Nous franchissons le portail de notre campement, pour nous rendre à quinze kilomètres de là, à la pointe Cabo do Sâo Vicente.
Paysage de bout du monde, ce cap aux falaises déchiquetées, marque le point le plus occidental de l'Europe. Aujourd'hui, et comme assez souvent, il faut lutter contre le vent. Bien tenir sa casquette, son chapeau ou sa jupe. Le cap est coiffé d'un phare, tout de rouge vêtu, construit en 1848, aujourd'hui entièrement automatisé.
Le site est magique, fascinant. Marcher au bord des falaises abruptes provoque des sensations de malaises, et pourtant, nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui osent s'approcher au plus près pour des photographies.
Un peu plus loin, en prenant la route vers Sagres, nous faisons halte à la forteresse, dont les plans et l'apparence auraient été appréciés par Vauban. C'est un lieu historique puisque c'est dans ces murs que s'éteignit, en 1460, Henri le navigateur. C'est lui qui, s'appuyant sur la richesse de l'ordre du Christ, a armé des vaisseaux et des équipages, pour les expéditions des grandes découvertes. A noter qu'aucune ne partit de Sagres, mais toutes de Lisbonne. Autre fait important, Henri le navigateur ne navigua jamais !
Nous traversons la ville de Sagres, engourdie de soleil, passons par le petit port de pêche, et prenons la direction de Lagos.
Lagos
Un heure de route, et nous voilà à Lagos. Une rivière se jette dans la mer formant un estuaire abrité des vents. Une longue et belle promenade suit la rivière, encombrée de bateaux accueillant les touristes du dimanche pour une balade sur l'eau. Des ruelles piétonnes permettent de découvrir le centre de cette ville, plutôt station balnéaire que port de pêche.
Au bas d'une ruelle pavée, une dame donne à manger un poisson à un goéland bruyant et gourmand. C'est le restaurant que nous avons choisi pour apprécier le maquereau grillé, accompagné d'une sangria blanche. Un délice !
Quelques pas de plus, pour bien digérer ce bon repas, et nous revoilà dans le fourgon, prêts à atteindre la ville de Faro, capitale de l'Algarve. Une grosse heure plus tard, nous voici garés dans le sable de la plage de Faro.
Faro
Nous étions seuls au monde cette nuit, et encore ce matin, la route de la plage est entièrement vide. Quelques minutes plus tard, nous garons le fourgon sur la place Largo de Saô Francisco, à Faro. Nous entamons la découverte de la vieille ville, en passant par la porte Arco de Porta Nova.
L'ancienne cité, enserrée dans ses remparts, du moins ce qu'il en reste, n'est pas très étendue. Autour d'une belle et modeste cathédrale, les ruelles pavées s'enroulent en coquille d'escargot. Des maisons basses, de plain pied, côtoient des belles demeures et maisons de maître aux jardins fleuris dans des patios ombragés.
Le tour de l'ancienne ville se fait assez vite, et ramène toujours sur la place de la cathédrale ou à la place Alphonse III qui la jouxte.
A la sortie des remparts, nous entrons dans la ville nouvelle. Sur le toit d'une grande maison, nous découvrons deux cigognes sorties de leur nid, en pleine chorégraphie d'équilibriste. Nous avions eu l'occasion, depuis notre départ, de remarquer ces larges nids, le long de la route, en haut des arbres, sur les pylônes électriques et même, sur les grands panneaux publicitaires. Les cigognes sont bien présentes dans le sud du Portugal. Leur présence ajoute une touche poétique sur la route des voyageurs. A les retrouver comme cela, dans diverses régions, on pourrait croire qu'elle font le voyage avec nous. Une véritable compagnie amicale.
La ville nouvelle de Faro est très animée, en ce milieu de matinée. De nombreuses boutiques, beaucoup de promeneurs, des terrasses bien occupées, tout simplement la vie d'une petite ville de province. Nous flânons de devantures en devantures, laissant le temps filer, préparant la suite de notre parcours, en suivant les indications de la dame de l'office de tourisme, très aimable et aux conseils fort avisés. C'est d'ailleurs sur son invitation que nous faisons une courte halte à Olhao, quelques kilomètres plus loin.
Olhao
Jolie petite ville, aux bougainvilliers en fleurs, débordants des balcons et terrasses, Olhao est dotée d'une longue promenade sur les quais longeant la rivière. Les rues centrales amènent devant le beau marché couvert, construit en deux parties, entièrement en briques rouges, surmontées de surprenantes tours d'angle à l'orientale. C'est ici le point principal d'embarquement vers les îles Armone et Fuzeta, et leurs plages sans fin.
Tavira
Il nous reste une heure de route, avant de parvenir à Tavira, notre étape du jour.
Sur la route, nous dépassons deux cyclistes coréens, arborant fièrement le drapeau du pays du matin calme, et que nous avions déjà frôlé aux environs de Lisbonne. Il est environ seize heures, lorsque nous garons notre fourgon. L'aire de stationnement de Tavira, nous permettra de refaire le plein d'eau, ainsi que de procéder à toutes les vidanges. Elle est parfaitement équipée, l’accueil y est vraiment des plus sympathiques. A noter que nous dormons, à trois mètres d'une voie ferrée, où, heureusement, les trains sont rares, et ne circulent plus, dès la nuit tombée (même si celui de 9h du matin à de quoi surprendre dans le sommeil !). Une fois bien installés, nous parcourons à pied, les trois kilomètres qui nous séparent de la ville. Un petit effort que nous ne regretterons pas, et qui sera bien récompensé par les atouts de la belle ville de Tavira.
A la sortie d'une ruelle, nous débouchons sur la rive gauche de la rivière, face au pont ancien, désormais réservé aux piétons, sur lequel un accordéoniste accompagne les passants sur la mélodie du film "La vie est belle", de Roberto Benigni. Au bout du pont, s'ouvre une belle place qui descend doucement en amphithéâtre, vers des terrasses de bistrots, que le soleil vient encore lécher de ses rayons.
Nous arrivons à point nommé, pour assister, dans une toute petite salle cosy, à un court récital de fado et de guitare portugaises, agrémenté d'explication sur les origines et l'évolution de cette musique. Complaintes de femmes de marins, chansons de départs et d'attentes, cris d'espoir et de désespoir, le Fado s'accroche à la vie quotidienne de ceux qui s'en vont, sans pouvoir ni vouloir oublier celles, ceux et ce qu'ils ont quittés. Comme les chants de marins du Finistère, de Cork, de Naples ou d'Amsterdam, les paroles du Fado diffusent une brume, déchirée par la colère, le drame, la joie ou la fierté. Le Fado est un peu l'accent de celui qui erre, perdu dans des quartiers de villes inconnues, désespéré de n'y rien trouver de sa terre natale. Le rideau s'ouvre, une heure plus tard, pour nous permettre de reprendre notre visite.
Nous montons jusqu'au castelo dos mouros. Les vestiges de ce château, offrent une vue plongeante sur les toits de la ville. Des toitures bien caractéristiques dans cette région, constituées de quatre pans, en forme de pyramides. En descendre, par les étroites ruelles, est un jeu de labyrinthe, qui s'écoule joyeusement jusqu'à la rivière, le rio Gilao. Nous sommes, depuis notre arrivée, sur la rive droite de la rivière. Le soleil, dans sa lente course vers les eaux, oublie peu à peu ce quartier de la ville. Nous franchissons à nouveau le pont, pour la fin de promenade, le long des quais, encore baignés de soleil.
Nous traversons le superbe marché couvert, aux verrières soutenues par des ouvrages et piliers en fer forgé, couleur vert bouteille, qui donnent un accent parisien au lieu.
Avant de retourner au fourgon, nous nous arrêtons à une terrasse, face au soleil de fin de journée, pour déguster un apérol spritz, entourés de couples, de groupes d'amis et d'étudiants, sourires et verres aux lèvres.
Tavira est une très belle ville, tranquille, mais loin d'être ennuyeuse, d'une tranquillité accueillante, indolente, presque paresseuse. Le cœur de la cité est agréable à visiter. Il distribue le temps comme une friandise dont on profite sans même se rendre compte. On resterait là, à écouter l'accordéoniste du pont, à se dire qu'effectivement la vie est belle.
Coimbra, dans le centre du pays avait été notre premier coup de cœur, Tavira, ici, dans le sud, sera le second. A la tombée du jour, nous fermons la porte du fourgon, le sommeil s'y engouffre, compagnon d'une paisible nuit.
Cacela Velha
Cacela Velha, un gros hameau, que l'on visite en quittant la route qui mène à Vila Real de San Antonio, vaut vraiment le court détour. Il est presque dix heures lorsque nous y parvenons. Nous sommes partis de Tavira, il y a à peine vingt minutes.
Les basses maisons aux façades de chaux blanches, enjolivées par les volets et les portes d'un bleu majorelle, conduisent à une large terrasse d'où s'envole le regard jusqu'à toucher l'horizon. Le fortin aux murs épais et insolents semble encore défier les envahisseurs venus de Castille. Une promenade en fait le tour, nous offrant notre marche matinale, dans un jardin naturel, fait, d'agaves, de figuiers de Barbarie, de pois de senteur, d'une prairie de fleurs blanches, jaunes et rouges. Sur la place du château, une belle église, dans sa robe blanche, domine l'arrière du village. Casela Velha est modeste, c'est toute cette humilité harmonieuse qui en fait son attrait. On la dirait sortie d'une toile de l'école de Pont Aven. On sent que l'homme, ici, courbe l'échine et s'accroche solidement.
Vila Real de Santo Antonio
Laissant le village endormi dans notre dos, nous nous dirigeons vers Vila Real de Santo Antonio. Une bien jolie station balnéaire, mais pas que. L'ambiance y est joyeuse, presque festive. Les rues sont envahies par les étals des boutiques, ici, les serviettes de plages multicolores, là, coussins et draps, ici encore ménagères et casseroles, il y en a pour tous les goûts. C'est une foire à ciel ouvert. Au coin d'une rue, un monsieur, casquette marine enfoncée jusqu'aux oreilles et cigarettes au bec, vend des tellines, fruits de sa pêche du matin.
Nous nous arrêtons au restaurant Cuca. Le guide du routard en fait une halte à apprécier. Devant la porte d'entrée, les poissons de la pêche matinale, repose sur un lit de glace. Il suffit de faire son choix, et le cuisinier vous fait griller tout ça. Notre plat de sardines grillées, le Bacalhau a bras, sont succulents, et le petit vin vert, bien frais, s’accommode à souhait. Peu à peu, la terrasse se rempli jusqu'à déborder sur le trottoir d'en face, à la grande joie du propriétaire qui n'économise pas d'efforts d'organisation pour caser ses clients du jour. Nous ne nous attardons pas trop, afin de laisser la place à un groupe d'espagnols impatients, et surtout affamés.
Castro Marim
Nous poursuivons notre visite des villages de l'Algarve du sud, par une courte halte à Castro Marin. La promenade allant du château jusqu'au fort, nous permettra de bien digérer les sardines de midi.
A partir de là, nous entamons la remontée vers le nord du pays, en prenant la direction de la région de l'Alentejo.