Récit de notre parcours le long de la côte espagnole avec Ernesto, notre fourgon aménagé.
Septembre 2023
4 semaines
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Petit village niché dans une crique resserrée, Cerbère se repose de son dernier été, encombré et bruyant. On profite de cette entame d’hors saison, pour refaire peau neuve à la promenade de front de mer. Il est loin le temps des caravanes de contrebandiers qui longeaient la mer par d’étroits sentiers, se risquant chaque nuit à affronter les douaniers. Il est si loin ce temps, que même le poste de douane sur la route montant au col, paraît, aujourd’hui, tel une ruine d’un temps révolu, vestige de ce qu’était une frontière. Les tags colorent violemment les bâtiments, et l’indication STOP marquée au sol, est, chaque jour, écrasée par les pneus de milliers de voitures qui, pour le coup, ne ralentissent même plus. Le temps passe, l’histoire reste, et il est des lieux qui en sont à jamais les témoins. C’est sur cette route de Cerbère que des milliers de républicains fuyant leur pays se retrouvèrent coincés en plein hiver. La Retirada est passée par là. Les collines en furent le théâtre.

Avant de joindre Cerbère, notre route s’est engagée par la ville de Port-Vendres, bien abritée au fond de sa large anse, où les bateaux de commerce font grand bruit, et où l’activité portuaire est bien présente.

 Port-Vendres

La ville semble au repos, nous sommes lundi. Les grilles des boutiques sont baissées. Les habitués s’installent à une terrasse, ou sur banc de la promenade, profitant pleinement du soleil de septembre. A leurs sourires, leurs paroles tranquilles, ont sent bien qu’ils sont heureux de retrouver la quiétude de leur petite ville. Dans quelques jours, les derniers touristes seront partis, et là, elle leur reviendra, entière et unique. A Port-Vendres, on y fait son marché tôt le matin, on y achète son pain, on prend quelques huîtres au passage, on regarde la pêche du jour, se laissant tenter pour une belle tranche de thon rouge. On profite du moment. Et puis, on regarde les bateaux qui vont et viennent, rentrent et sortent. Tout le monde se connaît, on se salue d’un levé de tête, ou d’un signe de la main. Le port vient tout juste de fêter ses deux cent ans. Alors, à Port-Vendres, ils en ont des choses à raconter, ces pêcheurs à la casquette bleu marine, surveillant leurs bouchons au bout de leur canne à pêche, sans perdre des yeux la moindre attraction du quai. C’est bon de s’asseoir autour d’une petite table, pour déguster un banyuls bien frais, et simplement assister au spectacle.

  Port-Vendres
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A cinq kilomètres de Port-Vendres, il y a Collioure. C’est si près que nous y sommes allés à pied, par le sentier du littoral.

 Collioure 
 La baie de Collioure

Collioure est un bijou dans son écrin. Il faut surprendre la petite ville, en arrivant par le sentier qui surplombe la large crique. De là-haut, Collioure vous offre une palette de couleurs qui descend des collines, dévore le village, avant de se noyer dans une mer d’un bleu transparent. On sait au premier regard, que Collioure et Port-Vendres, bien que voisin, se tournent le dos. A Collioure, on joue aux boules en chemise blanche et pantalon à pinces. A Collioure, on coiffe le panama, on s’enroule le cou d’un petit foulard, on chausse des chaussures blanches et immaculées. A Collioure, on ne promène pas, on flâne.

Ceci dit, Collioure reste une petite ville très agréable, qui se veut certes élégante, mais conserve pour autant les traces d’un passé florissant.

Toute l’histoire de ce petit village de pêcheurs repose sur un seul petit poisson : l’anchois. Deux familles ont laissé et laisse toujours leur nom associé à cette pêche : La famille Roque et la famille Desclaux. Cette dernière a installé au cœur même de la ville quatre boutiques de vente d’anchois, et tous ses dérivés, et, depuis trois ans, un bar à anchois. C’est d’ailleurs dans ce dernier établissement, que nous nous retrouvons attablés, en compagnie du fils Desclaux, troisième génération, qui se met à nous parler de l’anchois comme s’il parlait d’un ami proche. Anchois façon Collioure, friture d’anchois à la mayonnaise d’ail noir, et anchois marinés, le tout arrosé d’un vin blanc de Collioure. Nous suivons son conseil, et nous régalons de cette succession de goûts et de saveurs.

 Bar à anchois, famille Desclaux (ici Rémy 3ème génération)

Les ruelles de la ville se remplissent petit à petit. Nous sommes mi-septembre, peu de famille, pas mal d’étrangers, et beaucoup de retraités. Un public peut-être plus à même de découvrir l’univers des peintres Matisse et Derain, tous deux séduits par les couleurs propres à Collioure, et qui les superposèrent de leurs pinceaux, avec la fougue et l’abandon qui ouvrit l’inspiration du fauvisme. Le sentier du fauvisme traverse d’ailleurs les ruelles ombragées de la ville, jusqu’au haut quartier des pêcheurs, surplombant la baie, les toits entremêlés aux tuiles rouges. Il faut monter et descendre, prendre à gauche, puis à droite, se perdre dans le dédale des rues étroites où bougainvilliers et lilas, jettent leurs fleurs et leurs parfums. Il faut pousser jusqu’au château royal, s’arrêter aux devantures des boutiques, prendre le chemin de pierre qui longe les hauts murs de la forteresse, et, profiter de l’ombre d’une terrasse pour se rafraîchir avec une «Sémillante», l’eau gazeuse qui arbore les couleurs rouge et jaune catalanes.

Les ruelles fleuries 
 Quartier du Mouré
 Barques catalanes

Collioure ou Port-Vendres, Port-Vendres ou Collioure ? Et pourquoi pas les deux. Elles sont si proches, qu’elles s’en complémentent. Elles sont si différentes, qu’elles semblent faites pour s’unir. Elles sont si émouvantes qu’elles semblent faites pour vivre ensemble.

Nous avons aimé nous arrêter dans ces deux petites villes, découvrir leurs identités, leurs regards face à la mer, leur encrage dans une terre âpre et douce à la fois. Un peu comme ce vin de banyuls, lourd et doux, soyeux et enivrant.

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La frontière passée, car il faut bien la passer, nous nous avançons en terres catalanes espagnoles, en compagnie d’amis viganais, Danielle et Michel, avec lesquels nous avions rendez-vous à Port-Vendres. Ces derniers, sur le chemin des Asturies, nous accompagnerons jusqu'à L'escala avant de continuer leur propre route.

Il fait chaud sur la Costa Brava. Les villages qui bordent la badia de roses égrènent leurs maisons blanches, au pied de plages abandonnées aux derniers touristes. Nous faisons étape à L’Escala, dans un coin de terre ombragé, à deux pas de la plage. La saison touche à sa fin. Le gardien du parc nous confie terminer demain la surveillance payante de ce lieu. Il est seize heures, le soleil est encore haut. Nous empruntons un chemin de terre, partagé avec de tranquilles cyclistes qui profitent des sous-bois. Le sentier débouche sur la plage d’une petite crique, surplombée par un hôtel luxueux à la façade blanche, et à l’architecture art nouveau. On pourrait se croire à Biarritz, d’autant plus que le bruit des discussions qui nous provient de la grande terrasse distribue des accents venus de l’Europe entière. Confortablement installés sur de grands fauteuils en osier, les clients sirotent une sangria bien fraîche, le regard porté vers un horizon infini où glisse une mer de tranquillité. Les promeneurs se permettent quelques regards, de petits commentaires à voix basses, et poursuivent leur chemin le long du rivage.

L’étroite plage de sable épais nous accueille pour un instant de repos et de somnolence taquiné par de timides vagues, hésitantes, mais condamnées à s‘évanouir, et à laisser la place. Une petite heure à profiter du soleil qui décline.

Nous poursuivons sur le chemin de terre, où le vent du soir soulève de légers nuages de poussières. Nos pas nous portent jusqu’aux ruines d’Empuries, vestiges d’un village portuaire gréco-romain, théâtre de fouilles importantes qui ont mis à jour un site archéologique témoin de la riche histoire de la région.

 Ruines gréco-romaines d'Empuries

Plus loin, nous gagnons le village de Sant Marti d’Empuries, installé sur un promontoire rocheux. Son imposante église offre un regard dominateur sur la mer, et l’anse de L’Escala. De son perron, les ruelles du hameau Sant Marti s’échappent en douceur vers une nature faite d’oliviers, de terres sèches, et de tournesols renversés. Les maisons de pierre font barrage au soleil. La petite place face à l‘église est animée en cette fin d’après-midi, les terrasses sont bien remplies, la marchande de colliers et bracelets répond prestement aux sollicitations des passants.

 Eglise de Sant Marti d'Empuries

C’est à l’une de ces terrasses que nous dégustons une délicieuse sangria, entourés de clients aux accents parfois inconnus.

A la nuit tombante , nous prenons le chemins opposé, pour arriver jusqu’à la belle crique du village de L'Escala. Les guirlandes lumineuses dansent dans la brise légère venue de la mer. Rires et éclats de voix guident les promeneurs jusqu’aux tables des restaurants qui proposent tapas et Xinchos. C’est un concert de saveurs, anchois sur aïoli aux légumes, tapenade noire et avocat, filet de saumon posé sur un hachis au crabe, pan con tomata, filets de sardines... le tout orchestré par un verre de blanc sec du cru. Un client improvise une chanson à la guitare, reprise en cœur par son groupe d’amis, offrant à la terrasse un de ces doux moments que l’on nomme souvenir.

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Publié le 17 septembre 2023

Marcher dans les rues d’un village espagnol en milieu d’après-midi en été, c’est marcher avec son ombre pour seule compagne, et comme unique bruit, celui de ses pas. La bancheur des façades des maisons renvoie une lumière sèche, alourdie par la chaleur d’un soleil insolent et implacable.

Begur constitue notre deuxième étape espagnole.

Begur 

Charmant village posé sur une timide colline, ce gros bourg surprend par son étonnante histoire, liée au départ de bons nombres de ces habitants pour les Amériques, partis y faire fortune dans divers secteurs économiques. Au cours du 19ème siècle, commerçants, industriels, artisans ont pris le large vers les caraïbes pour tenter leur chance dans ces îles prospères, principalement Cuba, Porto Rico, et pour certains les États-Unis. Fortune faite, ils sont revenus à Begur, leur port d’attache espagnol, où on les appela les indios. Là, afin de bien afficher leur réussite aux yeux de tous, ils ont bâti, au tout début du 20ème siècle, de magnifiques demeures dans le style caribéen, à l’architecture et aux détails de façade volontairement ostentatoires. C’est à eux que Begur doit son nom de perle indienne. Le village est organisé autour de ces belles maisons, richement décorées, rivalisant de fresques, de balcons sur rue, de cours intérieures à arcades, de terrasses ombragées, et de mille détails des plus élégants. Il faut en faire le tour, s’arrêter et prendre le temps d’admirer ses élégantes demeures porteuses d’une période où l’avenir se jouait par des hommes conquérants.

 Les maisons "indiennes"

Après cette belle circonvolution piétonne, il suffit de s’installer autour d’une table sur la place de l’église, d’aller choisir ses xinchos (qui se payent selon la grosseur de la pique plantée dans le pain), et de se rafraîchir d’une sangria banche (au vin blanc). Le tour du village et des maisons des indios occupe deux bonnes heures, avec, en plus, la montée assez raide jusqu’au château.

 En montant au château
Vue depuis le château 
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Nous laissons Begur derrière nous, pour nous arrêter pour la nuit, dans la petite crique de Callela de Palafrugell.

 Port Bo

Nous approchons de la fin de l’après-midi, le village somnole encore. De nombreuses barques de pêcheurs dansent au rythme des flots, les baigneurs profitent d’une eau accueillante.

 Barques, pêcheurs et baigneurs se partagent la plage et la mer
 Les criques de Calella

Nous entamons notre balade du village dont l’histoire est rattachée à celle de Begur. C’est en effet à partir de ce petit port que l’aventure des Indios, partant faire fortune aux Amériques, a commencé. C’est ici qu’ils ont embarqué pour le monde nouveau, des rêves plein la tête. La longue promenade du front de mer recèle quelques belles demeures, majestueuses, élégantes, témoins du retour de ces conquérants. Là encore, comme à Begur, colonnades, balustrades, fresques, décorent richement les façades s’ouvrant sur l’horizon ensoleillé.

Quartier El Canadell où on peut voir les maisons des "indianos" 

Tout en marchant, nous nous approchons de l’anse de Llafranc, par le chemin de terre qui suit les dessins de la côte. La vue est sublime, mais le village ne semble pas avoir les attraits de Callela.

Llafranc 

Revenus sur nos pas, nous pénétrons dans les ruelles charmantes et sinueuses, dédales de maisons aux façades blanchies, agrémentées de multitudes de pots de fleurs et plantes grasses. Une bien jolie palette de couleurs qui ouvre à la flânerie. Callela est vraiment très agréable, surtout en cette saison. On peine à imaginer la cohue qui doit régner ici, au cœur de l’été, tant cette fin de journée reflète, douceur et tranquillité. D’ailleurs, nous sommes happés par ce bien être, et décidons de passer la nuit sur place.

Un petit terrain près des tennis fera l’affaire, d’autant plus que nous le partageons avec trois autres fourgons. Le soleil décline, mais promet encore quelques instants agréables. La petite plage de Port Bo, encombrée de frêles barques colorées, nous offre un espace pour étaler nos serviettes, et profiter d’un repos rythmé par les allers et venues des promeneurs sous les arcades. Les guéridons se remplissent, bouteilles de vins et pots de sangria, assiettes de tapas et de fruits de mer, tout se met doucement en place pour le grand concert de l’apéritif que personne ne voudrait manquer. Certains s’installent à même le sable, un verre à la main, laissant les rayons du soleil se jouer d’eux pour la dernière fois de la journée. Avec l’indolence d’un jour d’été, l’astre s’éclipse, faisant place aux guirlandes lumineuses et bariolées, dont les lumières se reproduisent à l’infini dans les vaguelettes de ce début de nuit, venant s’endormir sur le sable devenu froid. Surplombant la plage, le petit restaurant Puerto Limon semble nous faire signe, nous y apprécierons une sélection de tapas à base de poissons, sur une délicieuse copa de sangria.

Restaurant Puerto Limon 

Au petit matin, de bonnes chaussures aux pieds, nous empruntons le sentier qui mène jusqu’au jardin botanique de Cap Roig. C’est un lieu superbe, une succession de balcons sur la mer, de terrasses, où se mêlent mille essences, palmiers, cactus, plantes rampantes, eucalyptus, bougainvilliers… Un enchantement pour les yeux, un lieu d’un romantisme évident, une déclaration d’amour à la nature.

Les terrasses du jardin botanique de Cap Roig 

Il se dit que ce lieu est né de la rencontre amoureuse d’un colonel de l’armée tsariste, et de Dorothy, une aristocrate anglaise. Ils y firent édifier un château d’inspiration médiévale, et s’entourèrent d’un jardin de près d’un 17 hectares, enrichi depuis de plus de mille espèces végétales venues du monde entier. Les divers sentiers serpentent au travers d’une nature exubérante, agrémentés de sculptures contemporaines, et de petits recoins propres à la lecture ou au repos. Le panorama y est majestueux. Pendant trois bonnes heures, nous arpentons le lieu, avant de retrouver le chemin du retour, alors que du fond de la mer, un voile gris foncé semble vouloir venir recouvrir les collines encore ensoleillées.

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Publié le 19 septembre 2023

Langue de bitume en forme de serpentin qui s’enroule autour des collines boisées, traversant des villages agrippés à la pente, la route vers Tossa de Mar, oblige une concentration de tous les instants. Heureusement, en cette fin de journée, la circulation est douce dans les deux sens. Depuis quelques minutes, le ciel s’épaissit de lourds nuages, laissant présager de l’arrivée imminente de la pluie. Un épisode pluvieux annoncé depuis ce matin, confirmé d’ailleurs par les quelques gouttes qui viennent éclater sur notre pare-brise. Difficile de profiter de la vue plongeante sur les criques et les minuscules plages de sables bruns. La fine pluie, venue en éclaireur, se transforme bien vite en orage violent, nous obligeant à ralentir l’allure. Nous trouvons refuge sur l’aire du belvédère qui domine Tossa de Mar, rejoignant deux fourgons y faisant également halte. A l’horizon, la mer et le ciel ne font plus qu’un. Un vent violent balaye le paysage, tel une brosse désireuse d’effacer les couleurs d’un tableau. Tout est gris. D’un gris inquiétant. Nous attendons que l’orage passe. Cela prendra une bonne heure. La nuit s’annonce, et comme nos voisins, nous décidons de la passer ici, certains d’une vue à couper le souffle à notre réveil, le lendemain.

 Tossa de Mar, dans les nuages et la grisaille
Ernesto, notre fourgon aménagé 

La pluie a redoublé au cœur de la nuit, tambourinant à notre porte, comme furieuse de ne pouvoir entrer. Au petit matin, le silence alentour nous réveille en douceur. La brume fond comme neige au soleil, dévoilant une mer d’huile jouant sous un ciel uniformément bleu, dans lequel, déjà, le soleil a fait sa place.

 Tossa de Mar, vue du belvédère

Nous descendons vers Tossa de Mar, où règne une animation de fin d’été.

 Tossa, la vieille ville

Une succession de ruelles sans charme nous conduit au pied de la ville ancienne protégée de ses remparts du 12ème siècle. Le chemin de ronde permet d’en faire le tour, et d’envisager les alentours de la ville en prenant de la hauteur, profitant de la vue plongeante sur la crique d’Es Codolar.

 En suivant le chemin de ronde

Des ruelles escarpées montent et descendent, se croisent et se fuient, de toutes petites places ombragées permettent une halte dans la visite. Sur l’une d’elle, une statue de bronze, regard tourné vers la baie, attend patiemment les promeneurs. Ava Gardner est là, magnifique, drapée dans un robe légère. En 1950, elle était venue tourner le film Pendora, aux côtés de James Mason, mettant ainsi dans la lumière des projecteurs, le petit port de Tossa. Déjà, au début du 20ème siècle, Tossa avait connu un début de célébrité en attirant dans ses murs, des peintres comme Marie Laurencin et Marc Chagall, auxquels se joignirent écrivains et poètes, porteurs de pensées antifascistes.

 Ava Gardner

La longue promenade n’offre aucune surprise, les petites ruelles du village demeurent plus typiques.

Il est quinze heures lorsque nous quittons Tossa, envahit par une armée de cyclistes aux mollets arrondis, prêts à en découdre. Quelques minutes plus tard, nous voici à Blanes attablés dans un charmant bistrot aux couleurs de la bière Estrella, sirotant une excellente sangria, accompagnée de patatas bravas, d’une friture de poissons, et des incontournables croquetas du jour. Une bien jolie serveuse, arborant un généreux sourire, complète le tableau d’un instant de quiétude, les pieds quasi dans l’eau et la tête légère, tournée vers notre journée de demain.

Deux heures plus tard, après avoir contourné Barcelone par le nord, nous voici à Tarragone, notre prochaine étape.

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Ce matin, le bus est parti sans nous... Nous poussons un peu plus loin à pied pour prendre le suivant, direction le centre ancien de Tarragone. Cinq minutes à peine, et nous voici au beau milieu d’une immense foule, rassemblée à l’occasion des festivités de Santa Tecla qui vont durer une semaine entière.

Enfants, couples, familles se pressent, s’agglutinent, se bousculent gentiment pour s’approcher au plus près de la façade de la mairie, devant laquelle se prépare une coutume parmi les plus enracinées de Catalogne : les castells (les châteaux humains).

Une marée humaine a envahi la plaça de la Font, excitée, impatiente, les yeux rivés vers le balcon de la mairie, où se tiennent, endimanchés, les officiels de la ville. Même l’ondée de quelques minutes ne la fait reculer. D’ailleurs, aussitôt, le ciel devient tout bleu, et un soleil chaud s’applique à sécher les quelques gouttes capricieuses.

Les officiels au balcon de la Mairie de Tarragone 

Une musique où se mêlent tambours et hautbois fait tourner la tête, le défilé commence, et un à un les groupes arrivent, arborant leurs couleurs et leurs armoiries. Les voilà rassemblés sous le balcon de la mairie. Un grand drapeau catalan est apporté du bout de la place. Un chant est entonné par tous, suivi d’une clameur : independencia, independencia !!!

 Les castellers arrivent accompagnés de leurs fanfares
 L'arrivée de la bandera estelada (drapeau étoilé) qui symbolise la revendication de l'indépendance de la Catalogne

Quelques minutes d’attente, tout à coup dans un angle de la place, une homme se dresse sur les épaules d’un groupe se tenant en cercle, puis deux, puis trois. L’édifice humain se met en place. Un étage, deux étages, trois... la musique des haut bois les accompagnent. A cet instant précis, lorsque la musique commence, tous connaissent la règle, ils ne peuvent plus descendre et sont obligés de poursuivre la construction du château. La hauteur atteinte est impressionnante, vertigineuse. Les têtes se dressent pour suivre l’élévation. Trois jeunes enfants casqués se joignent à la pyramide, et s’élèvent au plus haut. Le plus petit atteint le sommet, la foule fait silence, car c’est le moment crucial. D’ailleurs certains porteurs tremblent sous le poids, leurs corps semble vaciller. Le petit se dresse, lève la main et s’empressent de redescendre au plus vite, suivi de tous les porteurs qui, à chaque étage, regagnent terre ferme, sous les applaudissement et les vivats de la foule. Une jeune femme, les yeux brillants de fierté, nous explique cette coutume, es la tradicion. Toute la journée, les quatre groupes, représentant des villes catalanes différentes, vont se succéder, édifier leurs castells et présenter fièrement leurs castellers.

 Les castells

Nous assistons pour la première fois à ce spectacle. Beaucoup d’émotion en émane. Cela dépasse le simple exploit physique, c’est le symbole d’une appartenance à une terre, une famille, une langue, une identité. Ce groupe de porteurs se présente comme une véritable famille, une communauté, au sein de laquelle tout le monde s’entraide, chacun se porte, se soutient pour atteindre le but. Voir ces gamins, dans leur fragilité d’enfants, se hisser au plus haut de la tour humaine, tendre le bras vers le ciel, puis se prendre dans les bras heureux de l’accomplissement, fait se sentir au bord des larmes. Dans quelques années, il seront la base de la pyramide, et enverront leurs enfants, ou ceux d’autres, vers les sommets. Un magnifique passage initiatique, un cycle toujours respecté.

Nous assistons à l’édification de quatre castells, et abandonnons notre place pour nous perdre dans la ville, en suivant le chemin des édifices et des vestiges romains. L’amphithéâtre sur la mer, le prétoire et cirque romain, les ruines du mur d’enceinte, la place du forum, ainsi que l’imposante cathédrale.

Nous n’oublions pas la tradition d’une bonne sangria bien glacée, avant que nos pas ne nous ramènent sur la place de la Font, où s’achève les castells. Nous suivons le groupe de castellers de Tarragone en chemises roses, jusqu’à leur local, musiques et chants permettent de décompresser après la tension de l’après-midi. Le chef de groupe prend la parole, adresse ses remerciements et ses félicitations pour les superbes castells. Ensuite, tout le monde se disperse, un grand sourire de satisfaction aux lèvres.

 Les castellers de Tarragone, heureux et fiers !
Les castellers devant leur siège et salle d'entrainement 

C’est la fin de la journée, nous rentrons nous aussi, après ces instants intenses en émotion.

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A première vue, la ville de Reus n’est rien d’autre qu’une petite cité de province, avec sa circulation bruyante et ses rues commerçantes.

A midi, nous avons quitté Tarragone pour nous y rendre directement. Une fois une place de stationnement trouvée, nous avons gagné le centre ville plaça del mercal, désireux de faire un peu mieux connaissance avec l’enfant du pays, l’architecte Antoni Gaudi, qui y naquit le 25 juin 1852.

Étonnamment, Gaudi ne fit construire aucun bâtiment dans sa ville natale, pourtant on ressent sa présence dans le cœur de la ville, tant sont nombreuses les références à son nom. Sa maison natale, des boutiques, des jardins et autres squares.

Au Gaudi Centre Reus, il est possible de comprendre l’inspiration et la pensée du célèbre architecte, au moyen d’un technologie dernier cri. Films, écrans tactiles, audioguides, reconstitutions, les éléments s’imbriquent et se succèdent à la perfection, des premiers plans jusqu’à l’aboutissement de sa carrière, son rêve absolu, la Sagrada Familia, qu’il ne verra d’ailleurs pas terminée, de son vivant. A son sujet Gaudi disait savoir qu’il n’en verrait pas l’aboutissement, mais que cette réalisation devait connaître plusieurs générations. L’achèvement total est prévu en 2026, pour les cent ans de la disparition de son concepteur. Les gens viendront du monde entier voir ce que nous faisons disait Gaudi.

De la visite du centre, il ressort que pour Gaudi, la nature était inspiratoire. Il suffit de prendre le temps de la regarder, de fixer par exemple les formes d’un arbre, sa manière d’entrer dans l’espace, et alors, on comprend. Pour lui, l’homme n’invente pas, il s’inspire de la nature, il copie. Les mouches volent, l’homme à construit des avions. C’est en superposant des images de forêts, de vagues sur mer, avec les créations de Gaudi, que l’on comprend la base de sa réflexion.

 Centre Gaudi
 Reproduction du cabinet de travail de Gaudi

Si Gaudi n’a rien bâti dans Reus, il est un architecte qui ne s’en est pas privé : Lluis Domenech i Montaner. Luxueuses maisons bourgeoises, espaces industriels, boutiques, hôpitaux avant-gardistes, et même chapelle, ce dernier a répondu aux nombreuses commandes qui lui ont été adressées, et il est considéré, aujourd’hui, comme l’architecte qui a transformé Reus, au même titre qu’Otto Wagner pour Vienne, la capitale autrichienne. Nous avons visité la Casa Navas, chef d’œuvre de l’art moderniste pour laquelle Domenech eut les coudées franches afin de réaliser cette demeure, voulue comme le plus haut reflet social de ses propriétaires. Pour sa construction, il s’adjoint les artisans les plus réputés en céramiques, mosaïques, peintures murales, ébénisterie et pierres taillées. Le résultat est extraordinaire. La finesse et la richesse des détails, l’exubérance des décors et de leurs couleurs, la hardiesse architecturale, tout cela bouleverse le concept même de la maison bourgeoise de cette période, et ouvre définitivement la porte au modernisme, mouvement auquel Gaudi se joindra avec beaucoup d’autres.

A noter qu'à la Casa Navas, tout a été conservé, tout est d'origine : des meubles aux objets et décors, tout est d'époque, ce qui en fait une visite unique et exceptionnelle.

 Casa Navas
 Casa Navas

Au bout d’une heure de visite, notre guide, jeune fille passionnée, nous précède dans l’immense vestibule, illuminé par une magnifique suspension art nouveau, en nous souhaitant une belle fin de journée.

Pour faire suite à cette visite, nous empruntons les rues de Reus afin d’admirer les façades de diverses maisons classées du courant moderniste, œuvres de différents architectes.

 Quelques maisons de style moderniste catalan, souvent des maisons d'Indianos 

Doucement, la lumière du jour perd de son éclat, nous reprenons la route vers le petit village de Miravet où nous pensons passer la nuit, à l’ombre des remparts du château.

Miravet 
 L'Ebre

A peine arrivés, nous partons faire une courte promenade jusqu’aux premières ruelles, attirés par les lampions colorés d’un camion food-truck, installé au bord de la place. La patronne, toute en gouaille et sourires, nous propose de goûter un cocktail de sa fabrication, sans nous en dire les ingrédients. Nous devinons une base de vin rouge, limonade et martini blanc.

La nuit tombe peu à peu. Les habitants du village descendent s’asseoir près du pont qui enjambe l’Ebre, et comme souvent et partout, refont le monde à leurs manières. Tout le monde se salue, tout le monde connaît tout le monde. Enfants, jeunes, vieilles personnes, travailleurs, tout le monde passe devant la terrasse, se dit bonsoir, s’arrête pour échanger, boire une bière, ou poursuit sa route. Là, juste à ce moment précis, on est bien.

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Le soleil nous attend ce matin. Il semble impatient. Nous nous accordons une petite promenade matinale dans les ruelles abruptes du village de Miravet. Sur la place du bas, déjà, les tables sont occupées, là, par une groupe de femmes hilares, ici, par des joueurs de cartes, là-bas par quelques ouvriers s’accordant une pause café. L’Ebre s’écoule en silence, inexorablement. Le petit chemin qui s’enroule autour des remparts, offre une vue magnifique sur la vallée. Dans notre descente, nous nous arrêtons à la boulangerie pour y acheter pain, croissant et petits gâteaux, le tout fait maison dans le four à bois, comme nous le déclare la boulangère avec fierté. C’est en fixant l’horizon que nous comprenons pourquoi, ce matin, le soleil paraissait si pressé. En fait, il était pressé de partir ailleurs. De gros nuages d’un noir menaçant se forment, et progressent vers nous. Rien ne semble pouvoir arrêter leur course.

Nous démarrons sans perdre de temps, comme chassés par un ennemi belliqueux. Notre route nous amène jusqu’à Mont-Roig del Camp, à quelques kilomètres de là. Nous nous arrêtons au Mas Miro.

 Le Mas Miro

Hier, nous avions fait connaissance avec l’architecte Gaudi, aujourd’hui c’est avec le peintre Joan Miro.

Bien que naît à Barcelone, ce dernier déclara haut et fort que sa décision de devenir peintre, et toute son inspiration, se révélèrent dans ce mas, dans cette nature, sur cette terre catalane, où il revint toujours, chaque été, jusqu’à ses derniers jours. "C’est la terre, la terre : quelque chose de plus fort que moi, c’est le choc de ses formes dans mon esprit, plus que la vision."

Les débuts de Miro, lors de sa première exposition individuelle, furent un échec. Son tableau La ferme, représentation de son mas familial, fût tout de même acquit par Ernest Hemingway, dont il devint ami proche. Matisse s’intéressa à sa peinture, ainsi que plus tard, Picasso.

La visite du mas révèle l’extrême proximité du peintre avec la vie paysanne du village. Miro a peint ce qu’il voyait dans et autour du mas, s’inspirant d’une vue de sa chambre, d’une mise de table, d’une scène campagnarde.

Le mas, en lui-même, est une fort belle demeure élevée sur trois étages, composée de nombreuses pièces aux décors épurés, toujours soignées, à l’élégance minimaliste, mais bien réelle.

La visite de l’atelier est très émouvante. On peut imaginer que Miro va surgir de derrière une porte, ou qu’il s’est juste absenté pour se rendre au village. Sa blouse bleue, couverte de tâches de peinture, ses pinceaux, trempant dans un verre, sa palette, posée là, nonchalamment, sur la table, tout laisse à penser que l’âme du peintre s’amuse à habiter le lieu. Pour ceux et celles qui connaissent la villa Finca vigia que possédait Hemingway à San Francisco de Paola (Cuba), il est facile de faire une liaison entre ces deux lieux, encore empreints de la présence de leurs propriétaires.

 L'atelier du peintre
Le jardin 

En sortant de l’atelier, la noirceur du ciel nous assiège.

Nous avons tout juste le temps d’une courte promenade à Mont-Roig del camp, avant qu’un orage déchaîné ne s’abatte sur nous et les environs. L’eau dévale les rues, s’accumule contre les trottoirs.

A Mont-Roig del Camp 

Sans hésiter, nous quittons le village, pour descendre vers le bord de mer à Cambrils, station balnéaire très prisée, qui étire son front de mer sur plus de sept kilomètres, sur lequel on peut admirer la monumentale sculpture des Deux sirènes.

Les sirènes de Cambrils 

Nous passerons la nuit dans le village de Vandellos, sous une pluie éparse, au son de quelques lointains coups de tonnerre.

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Publié le 25 septembre 2023

Journée de transition aujourd’hui sur la route du Delta de l’Ebre.

La matinée est fraîche, sous un ciel encore gris, et qui laisse échapper de fines gouttes. Nous décidons de regagner le bord de mer, en suivant la côte.

Quelques kilomètres plus loin, nous voici arrêtés à L'Ametlla de Mar, une des stations balnéaires de la Costa Daurada, qui s’étend depuis Tarragone.

L'Ametla de Mar 

Petit port de pêche animé, L'Ametlla étire son front de mer, en criques successives. La promenade est agréable bien que sans surprise. La surprise de cette fin de matinée, c’est le retour du soleil dans un ciel bleu évidé de tout nuage. Nous entrons dans le cœur du village, par des ruelles débordantes de vie. Les commerces dispensent leurs marchandises, leurs couleurs. Les clients discutent sur les trottoirs, sur un banc de square, certains parapluie ouvert, afin de se protéger des rayons du soleil. Il règne une belle atmosphère, le linge sèche aux fenêtres, les voisines s’interpellent.

La place de Catalunyi est large et accueillante, ceinte de nombreuses terrasses aux tables déjà occupées. Nous y prenons place. Derrière nous, à côté de nous, en face de nous, on parle français. Des touristes de passage ou des expatriés à demeure. Treize heures passés, rime avec sangria et tapas. Nous flânons encore un petit peu, et reprenons la route, après cette reposante halte.

Nous n’irons pas très loin, juste jusqu’au village voisin, L'Ampolla, où nous trouvons un superbe emplacement au dessus d’une petite crique.

 Notre spot pour la nuit

Nous y descendons pour profiter du soleil, et poursuivre notre journée farniente. Ici, pas de sable, mais des galets sur la plage et dans la mer, ce qui rend l’entrée dans l’eau un peu malaisée. Deux petites heures au soleil, et nous empruntons le chemin côtier pour découvrir une vue magnifique sur le delta de l’Ebre.

 Vues depuis notre fourgon, au fond le delta de L'Ebre

C’est à bicyclette que nous rejoindrons le village, visitant le port et les ruelles adjacentes. Il est presque vingt heures, les gens sont attablés, face à la vue imprenable sur la Méditerranée. L'Ampolla ne présente pas beaucoup d’intérêt. Il va s’en dire qu’il vaut mieux être là hors saison, car la foule doit grouiller au cœur de l’été. Pour nous, cela aura été l’occasion de passer une nuit dans un cadre idyllique en toute tranquillité, avec le bruit des vagues pour compagnie.

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Publié le 26 septembre 2023

Après une nuit des plus agréables, bercés par les vagues d’une mer somnolente, nous laissons derrière nous L’Ampolla, pour poursuivre notre route un peu plus vers le sud, jusqu’à Tortosa.

 Tortosa, au bord de l'Ebre

Les guides préviennent que cette ville est oubliée à tort sur les circuits de découverte des côtes espagnoles. Il faut dire que lorsque l’on approche de la cité, avec les grands centres et grandes enseignes de la périphérie, semblable à n’importe quelle ville de même importance, cela n’engage pas à une découverte passionnante. Il ne manque plus que Marie Blachère, et tout y sera. Pourtant si l’on force le barrage de la grande distribution, Tortosa se révèle être une ville pleine de surprises, détentrice d’un beau patrimoine culturel. La première de ces surprises se trouve à l’office de tourisme, installé sur le site des anciens abattoirs municipaux construits sous l’influence du style mudéjar, lieu surprenant bordant l’Ebre.

De là, nous montons (la pente est assez raide), jusqu’au castell de la Suda, aujourd’hui hôtel quatre étoiles, en passant par les fortifications du Castell de Sant Joan, qui offre une vue imprenable sur la ville.

 Le castel de la Suda

Nous descendons plus bas pour visiter le reials col-legis, le plus bel ensemble renaissance de catalogne, avec son magnifique patio à colonnades sculptées, avant de nous retrouver sur le parvis de la magnifique et imposante cathédrale, dont la façade impose sa force face au fleuve qui la borde.

Le reials col-legis 

Juste en face, fendant ses eaux, le monument de la bataille de l’Ebre, rappelle qu’ici, dans ces sierras environnantes, le cours de la guerre d’Espagne a définitivement sombré.

Monument de la bataille de l'Ebre 

Cela fait maintenant plus deux heures que nous suivons le plan de découverte de la ville. Notre chemin nous amène tout droit aux halles couvertes, d’où sortent de nombreux habitués, sacs à la main ou en bandoulières, lourds de victuailles et de courses. Il est presque quatorze heures, les derniers clients sont accoudés à des comptoirs, où l’on peut déguster divers plats préparés et pinxos, sur une bière estrella, ou un vin local. Nous nous installons sur deux hauts tabourets qui donnent directement sur l’étal. Vino Blanco, vino rosado et pinxos bacalau feront notre affaire, pendant qu’autour de nous, un groupe de messieurs d’un certain âge, vident leur troisième cerveza, tout en plaisantant avec la jolie serveuse. Les halles sont un véritable monument classé dans le courant moderniste comme l’atteste la façade.

 Les halles couvertes

Comme à Reus, on trouve, dispersées çà et là au cœur de la ville de Tortosa, diverses maisons construites par les architectes modernistes. Ce ne sont plus des maisons individuelles, mais de hauts et larges bâtiments, élevés sur deux ou trois étages, aux façades improbables.

 Les maisons modernistes de Tortosa

Nous terminons notre visite dans la fraîcheur des allées du parc municipal, pour retrouver notre fourgon.

Nous pensons rejoindre pour la nuit, le petit village haut perché de Morella.

Avant cela, nous traversons le delta du L’Ebre, par des villages sans charme et sans vie, comme évacués de leurs habitants. La culture du riz est omniprésente, les terres encore sous les eaux des pluies violentes des derniers jours.

Peu après, notre route s’élève et traverse des paysages de collines où sont enracinés oliviers et chênes, donnant une couleur verte pâle, révélée par la blancheur des falaises de calcaire. Au détour d’un virage, Morella apparaît, nid d’aigle, vigie surveillant la vallée. La vision est extraordinaire. Toutes ces maisons, serrées au plus près les unes aux autres, prises dans de hauts remparts, avec au-dessus d’elles, le château protecteur.

 Morella

Nous nous installons sur l’aire du village, bénéficiant d’une vue à couper le souffle. Demain, nous partirons à l’assaut de Morella.

Morella, vue de notre spot du soir 
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Imaginez la cité d’Aigues-Mortes posée sur un piton rocheux, à près de mille mètres d’altitude, et vous vous trouverez devant Morella.

Morella 

Déjà, de notre emplacement, en ce tout début de matinée, le petit village apparaît comme un véritable puzzle reconstitué. Des dizaines de façades blanches, imbriquées, collées, superposées, délivrent un tableau de couleurs où le blanc joue avec l’orangé des tuiles des toits aux pentes raides. Nous sommes en moyenne montagne. L’hiver, le village accueille souvent la neige.

Vu de loin, le village paraît petit. Pourtant, plus on s’en approche, plus on monte dans ses ruelles pavées, plus on se rend compte de son étendue.

Le château 

La montée jusqu’au château dont la tour centrale surveillait la vallée, et offrait protection aux habitants, à l’époque des invasions maures, s’avère ardue. D’autant plus que le soleil est bien présent, agrandissant nos ombres à chaque pas.

Au premier niveau du château, apparaît une petite arène décorée aux couleurs catalanes, et où ,de temps à autres, les taureaux sont les maîtres du jeu.

 Les arènes

A partir de là, un sentier de simple terre ou de marches empierrées, s’allonge au pied des hautes murailles, jusqu’à nous déposer bien plus haut, dans la large cour d’armes. Au travers des fentes qui percent les murs, la vue à trois cent soixante degré offre un paysage où se mêlent collines de pins, et traversiers retenant de solides oliviers.

A notre descente, nous suivons les ruelles animées par les devantures des nombreux commerces. Il est presque quatorze heures. Une à une les boutiques ferment leur porte, pour ne les ouvrir que plus tard vers seize heures. Seuls les bars et restaurants restent ouverts. L’heure espagnole existe vraiment. Nous nous y conformons avec facilité, d’autant plus que tout étant fermé, il n’y a rien d’autre à faire que de déjeuner ou prendre un verre. Juste en face la boulangerie désormais close, une sympathique terrasse semble faite pour nous, et nous nous y régalons d’une sélection de tapas, arrosée d’un verre de vin rosé du pays.

Morella est une halte incontournable sur la route des villages de l’arrière pays de la Costa del Azahar.

Ce vaisseau de pierre, haut perché, fait penser à un château cathare. Il est vrai que les templiers sont passés par là, y ont guerroyé, et ont laissé des traces de leur passage.

 Morella, vaisseau de pierre haut perché
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Nous rejoignons la côte en fin d’après-midi, traversons d’insipides stations balnéaires, pour parvenir à Péniscola, autre village construit au pied de sa monumentale forteresse.

A la tombée de la nuit, nous nous offrons une promenade sur le front de mer en compagnie de Rose et Philippe qui sont venus nous rejoindre pour quelques jours. L'avenue est large. On y croise des locaux s'accordant leur balade journalière, des familles de touristes léchant de grosses glaces dégoulinantes et arborant des tee-shirts Viva España, des bandes de copains hilares, et des amoureux main dans la main regardant dans la même direction. D'ici, le village illuminé fait office de phare dans une nuit faiblement éclairée par une lune coupée en son milieu.

 Péniscola by night

Le lendemain matin, la promenade est envahie par un marché de vêtements où se précipitent de nombreux curieux. Au pied du rocher, une musique techno assourdissante diffuse ses boum boums pour marquer le rythme à une centaine de cyclistes juchés sur des vélos de salles de sport, et qui semblent prendre beaucoup de plaisir en transpiration.

Si le bas village, ne présente que peu d’intérêt, semblable à toute station balnéaire de la côte, il en est autrement de son vieux village.

Ses cinq cent dix petites maisons blanches s’enchevêtrent et semblent se disputer la place. Le village est relié au continent par une langue de terre aujourd’hui construite. Y accéder, et monter jusqu’au Castell del Papa Luna est chose facile, voir même agréable, par les étroites rues ombragées. Une dualité de couleurs, le blanc et le bleu, donne sa vraie particularité au lieu, que certains comparent au Mont Saint-Michel.

 Péniscola

La visite du Castell permet une fuite dans l’histoire, à l’époque du pape Benoît XIII (Papa Luna), qui fit de ce petit village le troisième siège de la papauté après Rome et Avignon, et d’où il œuvra pour la réunification de l’église catholique.

La musique techno assourdissante du port nous ramène très vite au 21ème siècle, au beau milieu des vendeurs de rue, des trottinettes électriques, et un flot ininterrompu de touristes aux habits colorés.

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Le lendemain, nous reprenons la route en direction de Vilafamés et Sagunto.

Navire de pierre étirant ses remparts au-dessus d’un village endormi, la forteresse de Vilafamés, présente de nombreuses ressemblances avec le Puylaurens cathare. La pierre rouge est ici de sortie, et promène ses nuances sur toutes les façades des maisons et du château.

 Vilafamés

Le village possède un étonnant musée d’art contemporain, présentant de très nombreuses œuvres, peintures et sculptures, éparpillées dans plus de trente pièces d’une immense maison. Miro, Picasso, Warhol, Basquiat, pour ne citer que les plus connus.


 Musée d'art contemporain de Vilafamés
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Nous passons la nuit, tout près de la plage de Sagunt. Là encore, le village est séparé en deux. La partie nouvelle, avec son port, ses plages, ses immeubles à plusieurs étages offrant vue sur mer, et ses longues promenades le long d’un front de mer encombré de terrasses de restaurant.

La partie ancienne se trouve à quatre kilomètres à l’intérieur des terres, sur les premiers contreforts des collines.

Les rues pavées amènent à l’amphithéâtre romain, restauré d’une façon assez osée. Mélange de béton, d’angles et coupes modernes, et d’architecture gréco-romaine. Une approche courageuse qui s’équilibre bien, et, en tout cas, volontairement différente des restaurations souvent sans surprise que l’on peut rencontrer.

 Amphithéâtre de Sagunt

Nous décidons de faire le tour du château par le sentier qui annonce une randonnée de trois kilomètres. Une erreur de parcours, un mauvais balisage, peut-être les deux ? Toujours est-il que nous marchons deux bonnes heures perdus dans un étroit sentier envahi de plantes épineuses, descendant de petites falaises, pour enfin parvenir au chemin officiel, qui fait le tour des remparts et beaucoup plus aisé à suivre.

 Le château

Après une petite pause sangria, nous reprenons la route, pour nous retrouver un heure plus tard, dans les faubourg de Valencia, où nous allons pouvoir nous reposer après cette journée bien remplie.

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Publié le 2 octobre 2023

Avec près de 800.000 habitants, Valencia est la troisième plus grande ville d’Espagne. Difficile pour nous de trouver un endroit proche de la cité, aussi nous passons la nuit dans une aire de camping car, aménagée avec toutes les commodités. Un beau site, perdu dans la nature, au milieu des chênes et des oliviers.

Au petit matin, nous empruntons le métro à la station située à cinq minutes de notre lieu de nuitée, et, une demi-heure plus tard, nous voici en plein centre de Valence. La place de la mairie, interdite à toute circulation motorisée, sera le début de notre visite. Large et toute en longueur, elle est entourée de somptueux immeubles aux influences architecturales des plus variées. Renaissance, moderniste, art déco (comme le superbe théâtre Rialto), forment un véritable éventail de façades que l’on prend plaisir à découvrir la tête haute.

Place de la Mairie de Valence 

L’hôtel de ville est une résidence majestueuse que l’on peut visiter, après un contrôle strict. Un escalier monumental dessert différentes pièces, notamment l’immense salon au décor des plus raffinés. Lustres voluptueux, fresques murales, dôme et vitraux, sont les témoins d’un riche passé. Le balcon donne sur la place. Il offre une vue sur l’ensemble du site déjà bien animé en ce milieu de matinée.

Hôtel de ville 

Nos pas nous guident jusqu’à la place du Mercal, avec son incomparable marché central, fierté de la ville, et considéré comme le premier en Europe. Une immense halle couverte, mélange de vitraux, fer forgé et faïences murales. Là, se disputent tous les corps de métiers, charcutiers, poissonniers, maraîchers... chacun y va de son étal le mieux achalandé, le plus coloré, et le plus attirant, à l’œil et au palais. Il y en a tant que s’en est impressionnant. Bien entendu, comme tout marché qui se respecte, on discute entre habitués, on parle fort, on se hèle d’un étal à l’autre, on plaisante avec les clients, c’est le rituel d’un jour de marché. Nous nous amusons à nous perdre dans le dédale des étals. Nous nous régalons à la vue de tous ces produits qui donnent l’eau à la bouche.

 Le marché central

Il n’est que midi, nous avons bien le temps de nous restaurer, alors nous poursuivons notre marche. Nous voici à la porte du jardin botanique. Une porte qui s’ouvre devant nous pour une promenade dans un silence déchiré par le cri des perruches, au gré d’arbres centenaires crevant le ciel, de mille plantes se disputant le sol, de centaines de variétés de cactus, et bien d’autres. Une petite heure à suivre les sentiers de terre dans un cadre distribuant une paix bien reposante. Il nous faut pourtant en ressortir pour retrouver la circulation urbaine. Heureusement, les rues de la vieille ville sont souvent piétonnes.

Le jardin botanique

Valence fût une ville fortifiée. Les torres de quart et de Serranos en témoignent, derniers vestiges d’antiques remparts. Pour y parvenir nous suivons l’ancien lit du fleuve Turia, aujourd’hui transformé en jardins, aires de détentes, et de sports. Le fleuve a été détourné pour mettre fin aux inondations de la ville. Nous croisons et sommes dépassés par des joggeurs, cyclistes, marcheurs, et trottinettes électriques.

 Les tours et le lit du fleuve Turia aménagé en jardin promenade

En franchissant l’arche de la Torre de Serranos, nous arrivons sur la plaça de la virgen, où la basilique de Santa Maria de Valencia, dresse son imposante façade, finement ornée de statues religieuses. La place accueille une magnifique fontaine, où patauge des statues de bronze. Il y règne une belle ambiance, soutenue par le soleil bien présent et bien chaud.

 La basilique

Un peu plus loin, le Miguelete, tour gothique accolée à la basilique permet une vue d’ensemble de la ville.

 Le Miguelete

Derrière, une petite rue donne directement sur la grande place de la Reina, qui s’allonge jusqu’à nous accompagner devant la façade de l’Estacio del nord (gare du nord), bâtiment emblématique de l’architecture moderniste de la ville.

 La gare du nord

Juste à côté, on remarque l’arrondi de la plaça de bous de Valencia (les arènes), une des plus importantes du pays.

 Les arènes

Déjà six heures que nous déambulons dans les rues de Valence. Quatorze kilomètres de parcourus qui nous ont permis de faire le tour des principaux bâtiments historiques de la ville, et des lieux incontournables. Comme toutes les grandes villes, Valence est gangrenée par l’activité humaine, la circulation, le bruit, pourtant, elle sait être reposante, attrayante. Ses belles places livrées aux piétons, ses artères protégées, ses ruelles tranquilles, permettent une découverte culturelle en douceur. Nous y auront consacré une journée entière, sans pour autant presser le pas. Bien entendu, il reste bien des choses à découvrir, mais nous garderons un agréable souvenir de notre passage dans cette ville dont la chauve souris demeure l’emblème et figure en haut de ses armoiries.

Quelques beaux bâtiments de la ville
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Autant les terres du delta de l’Ebre nous ont quelque peu déçus, exaltant une monotonie languissante, autant la région de l’Albufera nous a séduits.

 El Palmer, réserve naturelle de l'Albufera

Villages bordés de canaux où flottent de petites barques aux couleurs pastels, plantations de riz verdoyantes se confondant avec l’horizon, baracas aux toits pentus construits de chaume, l’Albufera transporte un faux air de Camargue. Mais là, pas de taureaux, juste des oiseaux qui s’envolent aux dessus du lagon, imités par de bruyants canards.

A El Palmar, bourgade bien tranquille, après avoir dégusté une paella à l’anguille, nous prenons place sur une barque traditionnelle, pour pénétrer dans les méandres du lagon. L’eau y est rougeâtre, ainsi colorée par les algues envahissantes. Nous dérangeons des colonies de canards à col vert, des hérons, ou aigrettes, qui s’envolent à notre approche. Les alentours sont calmes, au loin, la ville de Valence occupe l’horizon.

Ce matin, en quittant la ville, nous avons pu admirer son quartier futuriste, avec la Cité des arts et des Sciences de l’architecte Santiago Calatrava Valls. Vu du lagon, avec cette quiétude environnante, au milieu de cette nature protégée, cette architecture pourrait paraître incongrue, pour peu que l’on oublie la société moderne dans laquelle nous nous débattons.

Le bateau fait un demi-tour pour s’engager dans les roseaux, derrière lesquels Valence disparaît, comme engloutie par les eaux calmes qui nous entourent. Nous naviguons comme cela un bon moment avant de retrouver les berges, et revenir à la réalité de la route. Une route en forme de serpent de mer qui traverse les rizières. Nous y croisons, sur de hauts et puissants tracteurs, les récolteurs de riz, qui, gentiment, nous laissent la place, permettant un croisement plus aisé.

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Plus loin, nous sortons de la région de l’Albufera pour retrouver le bord de mer, ses plages et ses stations balnéaires alignées.

Nous trouvons refuge à Cullera, aux pieds de grands immeubles désertés, à deux pas de la plage.

Le soleil traîne encore sa lumière et sa chaleur sur l’immense langue de sable fin. Nous en profitons alanguis sur nos serviettes, les pieds dans une eau tiède.

A la nuit tombante, les habitants traînent sur le bord de mer, le chien au bout de la laisse, les bébés dans les poussettes. Les plus âgés occupent les bancs, les familles se dispersent dans les petits parcs qui bordent la promenade.

Les plus curieux s’approchent d’une grande tente, où va se tenir un concours de paella. Plusieurs restaurants ont délégués leurs cuisiniers dans cet affrontement amical, dont l’issue sera une dégustation gratuite pour les badauds.


Le va et vient des vagues recouvre le silence qui, peu à peu, envahit la plage.

La nuit s’annonce douce, au pied du château mis en lumière.

 Le château de Cullera
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Ancienne forteresse musulmane, le château Castell de Dénia domine la ville, et son port de plaisance.

 Forteresse de Dénia

Dénia est une belle surprise. Cette petite station balnéaire aurait pu s’abandonner à la mode des constructions anarchiques, des boutiques à touristes, et se copier coller aux autres stations de la côte. Loin s’en faut. Dénia a conservé l’ambiance d’un gros village, où il fait bon se laisser aller à profiter des ruelles, des places, des avenues. Les pas des promeneurs convergent vers la mer, bien entendu, et la plage, mais, pour autant, le temps est laissé à la divagation contemplative. Dénia est un mélange de styles imbriqués, qui s’acceptent et se côtoient. Des maisons aux façades couleur craie, empilées les unes sur les autres, partagent l’espace avec de hautes tours enroulées autour de la large crique qui abrite le port, sans que cela ne choque la vue. A Dénia, tout semble se faire ou avoir été fait naturellement.

 Rambla de Dénia

Nous traversons la ville avec sérénité. Les terrasses des bistrots sont bien occupées en ce milieu d’après-midi. On y boit, on partage des tapas, on y rit, on parle fort. Nous nous engageons dans un passage couvert à la recherche d’une bonne table. Nous trouvons bien vite notre salut, dans un recoin, où une jeune femme, seule au commande, nous présente une série de tapas, les uns plus délicieux que les autres. Les incontournables patatas bravas, des aubergines panées au miel de caña, de la seiche et des calamars à l’andalouse. Un délice. Certainement les meilleurs tapas depuis le début du voyage.

La fin de journée se fait sentir, il nous faut trouver un endroit pour la nuit. Nous prenons une route magnifique qui serpente entre les falaises et une végétation dense et fleurie surplombant la mer et de petites criques ; nous faisons une halte à Xabia, jolie petite station tranquille.

 Xabia

Quelques kilomètres plus loin, nous entrons dans le port de Moraira, et nous nous installons sous les pins, dans un parc jouxtant la plage. Le front de mer et sa promenade agrémentés d’une statue monumentale, sont étroits, on peut découvrir, à l’horizon, le rocher de Calp.

Une brise marine soutenue accompagne la tombée de la nuit, et tout à coup, une fraîcheur surprenante fait fuir les derniers promeneurs. Demain, c’est jour de marché à Moraira, en attendant, nous nous réfugions dans notre maison roulante.