Une longue journée nous attend. De la distance (12km), du dénivelé (1200d+ et 1200d-) et surtout les 2/3 de l'étape non renseignés sur aucune carte. Pourtant, nous savons que ça doit passer, qu'il y a un chemin qui doit nous mener à destination, en l'occurrence Yarsha. Renseignements pris chez notre hôte, une fois au col, le chemin est évident, il n'y a qu'à descendre ("no mistake possible = pas d'erreur possible"). Nous partons confiants, après plus de 30 jours en montagne, nous sommes conscients de ce que nous sommes capables de faire, reste juste à trouver un chemin, le bon.
Nous partons à l'heure prévue sous un grand soleil, direction un col à 3000m. Le sentier, en plus d'être pour l'instant sur la carte, est évident et empierré.
Juste avant d'arriver au col, nous sommes rattrapés par un népalais. On se dit que l'affaire est dans le sac, il va nous mettre sur la bonne voie pour la suite. D'autant plus qu'il n'y a pas 1 mais 3 chemins qui partent en descente dans des directions différentes... Mais il a l'air d'attendre de voir par où nous partons. Je vais le voir, il ne parle pas un mot d'anglais, mais je comprends qu'il va au même endroit que nous et que c'est bien la première fois qu'il passe par ici... On explore rapidement les trois départs de chemin. Je pense prendre celui de droite qui me semble un minimum aménagé avec quelques marches, des pierres posées, alors que les deux autres ressemblent à des sentiers de vaches... Le népalais ne semble pas convaincu et fini par me montrer une flèche dessinée dans la terre, ainsi qu'une autre "rayée" sur un bout de rocher ; toutes deux indiquent le chemin de gauche... Pour lui c'est évident, ces flèches montrent la direction de Yarsha. Il me fait comprendre qu'il part par là. Je n'ai que quelques secondes pour me décider et finalement je choisis que nous partirons avec lui, tout en étant très dubitatif... Il est 10h, en théorie il reste 9km, nous sommes larges...!
On s'engage derrière lui, à un rythme difficile à suivre pour Solène et Anne-Laure. Maxime se cale derrière notre nouvel ami, je m'intercale, afin de ne pas perdre de vue ni les filles ni Maxime, et on se met à faire l'accordéon dans la forêt. Plus loin, une nouvelle flèche rayée sur une pierre plate semble confirmer que nous suivons une piste balisée... Régulièrement, le népalais fait une petite pause permettant aux filles de recoller les wagons.
Nous arrivons à une sorte d'alpage, avec une cabane de berger. Personne pour nous renseigner, nous cherchons par où pourrait partir la suite du chemin... Plus de flèche... Le népalais me montre au loin une piste dans la montagne, elle semble aller dans la direction de Yarsha, cependant, pour la prendre il nous faut remonter un bon dénivelé, ce qui ne colle pas du tout avec les indications qu'on m'avait données... Maintenant que nous avons pris la décision de suivre notre ami, pas question de faire cavalier seul, il trouve un sentier, nous nous engageons derrière lui.
Vous remarquerez qu'il n'y a pas beaucoup de photos aujourd'hui, c'est que nous avions autre chose à faire...!
Le sentier continue à descendre, ce qui est logique pour aller à Yarsha, mais pas efficace pour rejoindre notre piste plus haut... A ce moment là, dans la tête, ça gamberge... Solène commence à nous demander si nous ne sommes pas perdus...
Nous traversons un ruisseau, remplissons les gourdes, et le sentier commence à remonter de manière bien raide dans la pente, puis semble se perdre dans la forêt... On tourne un peu en rond à chercher, je trouve un bout de chemin, puis le népalais un autre, et de fil en aiguille, nous arrivons après pas mal d'effort à rejoindre la fameuse piste...
C'est en même temps un grand soulagement mais aussi une belle inquiétude pour la suite. La piste va t'elle nous mener à bon port ? Est-elle praticable jusqu'au bout ? Cela ne colle tellement pas avec mes informations que le doute persiste. De plus, nous avons dépensé pas mal d'énergie et peu avancé.
Maintenant que le chemin est évident, il n'y a plus qu'à le suivre, on verra bien ! Nous avançons donc sur cette piste, qui pour le moment ne semble pas trop vouloir descendre. Elle longe la montagne en balcon dans la bonne direction, c'est déjà ça... Mais Yarsha se trouve sur l'autre versant, il faut donc traverser la rivière 1000m plus bas, puis remonter 300m jusqu'au village.
Plus loin, dans une épingle, nous apercevons notre but en contre-bas. P.... (Purée !) Ça fait encore une trotte ! Si on y arrive pas aujourd'hui, on trouvera bien une solution !
Plus loin encore, deux éboulements ayant emportés la piste nous mettent de nouveau à l'épreuve. Le passage est vraiment étroit et le faux pas interdit. Je passe poser mon sac de l'autre côté et revient pour donner la main à Solène qui passe l'obstacle sans broncher. Pour Maxime le chamois, ça passe tranquille !
Maintenant la piste descend vraiment fort, ça commence à sentir bon... Notre ami de circonstance qui nous a attendu l'essentiel de la journée nous distance pour de bon, mais nous sommes confiants.
Nous arrivons tout en bas et passons un premier pont suspendu. Nous sommes donc sur le bon versant et nous attendons à remonter vers Yarsha. Mais le relief accidenté de la montagne nous oblige à retraverser de nouveau la rivière, sauf que c'est un guet qui nous attend ! Une bonne vingtaine de mètres de large, un peu de courant... On se tâte à enlever ou non les chaussures... J'enlève les miennes et traverse une première fois en guise de repérage. Finalement c'est moins compliqué que je ne l'imaginais, il y a de grosses pierres plates posées au fond, on s'enfonce au genou mais le courant n'est pas trop fort. Je pose mon sac et revient aider Solène, pendant que Maxime et Anne-Laure font équipe.
Nous longeons de nouveau la rivière jusqu'à retrouver un pont, puis un chemin qui se trouve de nouveau sur ma carte et qui nous monte tout droit à Yarsha. Nous sommes fatigués mais heureux, nous prenons notre temps pour cette dernière ascension, rassurés et certains d'atteindre le village.
C'est finalement 14kms, 1500d+ et 1600d-, que nous avons réalisé en 9h, de loin l'étape la plus ardue. Les enfants ont été au top, impressionnants une fois de plus dans l'endurance et la sérénité.
Le récit de cette journée marquante aurait pu s'arrêter là, mais il aurait été incomplet.
Nous arrivons donc à Yarsha et mettons un peu de temps avant de trouver la seule maison qui accueille les rares voyageurs de passage. La femme nous emmène au grenier par une trappe et nous montre les 3 lits simples qui viennent d'être changés avec des draps propres. Les enfants en prendront chacun un, et nous nous partagerons le troisième, tête bêche, avec Anne Laure. L'espace est grand, ventilé (ouvert aux 4 vents). Comme tout grenier qui se respecte, des sacs de graines sont entreposés et des toiles d'araignées sont tissés dans les coins et recoins.
Un Dhal Bhat et nous ne tardons pas à nous coucher. Les enfants tombent comme des mouches pendant qu'avec Anne-Laure nous avons un peu de mal à trouver le sommeil. Puis à 21h précise, comme si un signal avait été donné, le bal des rats débute. A la vue des sacs de graines, j'aurais du m'en douter ! Les "crrr crrr crrr" des sacs en train d'être éventrés ne sont, de loin, pas les plus dérangeants. Non, ce sont les "Crouik Crouik" des rats qui se chamaillent, puis se coursent dans le grenier en se cognant contre les tôles "Bouing Bouing". Tout à coup c'est le calme plat, je pense que la fête est finie. Mais non, cela repart de plus belle. Je balaye la pièce avec ma frontale et découvre des rats se baladant sur les poutres ou bien déguerpissant dans un trou au passage du faisceau lumineux. Lorsque Anne-Laure me dit "quel raffut sur le toit !", je n'ose la contredire... Bref, autant vous dire que la nuit fût bien agitée ! 🐭🐀🐀🐀🐀