🇲🇾 Surprenante Malaisie

La suite de notre périple terrestre et maritime en Asie du Sud Est. Une descente nord sud de la Malaisie péninsulaire depuis la Thaïlande pour rejoindre l'Indonésie.
Du 19 mars au 30 avril 2023
43 jours
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Nous arrivons en Malaisie par bateau depuis le port de Satun en Thaïlande. Nouveau pays, nouvelle monnaie (le ringgit (RMP), 5 RMP = 1 euro), nouvelles coutumes, un petit temps d'adaptation est nécessaire à chaque fois.

Bateau pour Langkawi 

Quatrième pays asiatique de notre périple, après le Népal, la Thaïlande et le Laos, je n'avais pas vraiment d'images en tête, mise à part les fameuses tours Petronas de Kuala Lumpur, presque aussi connues que notre Tour Eiffel. La Malaisie semble être un pays à part, avec la cohabitation de plusieurs communautés bien distinctes : Les malais (plutôt musulmans), les chinois (chrétiens ou bouddhistes), les indiens (hindous, chrétiens ou musulmans).

Nos premiers pas en Malaisie ne sont pas vraiment représentatifs du reste du pays. Langkawi est une île "station balnéaire" très touristique (beaucoup de russes en ce moment paraît-il) et propose des activités que nous n'avions pas encore vues jusque là, comme le jet-ski ou le parachute ascensionnel... Ou encore des spectacles de rue déroutant comme celui-ci :

Une différence frappante avec la Thaïlande toute proche : les gens parlent beaucoup mieux anglais, ce qui nous permet d'échanger plus facilement, nous espérons que cela se confirmera dans le reste du pays.

Une partie de l'île est assez bien préservée et protégée, une jungle au nord-ouest et des mangroves à l'est. Nous espérons y trouver un peu de fraîcheur, car nous "souffrons" de la chaleur depuis que nous sommes arrivés dans le sud de la Thaïlande, ce qui nous fatigue pas mal et nous limite dans ce que nous pouvons faire la journée.

Nous partons donc dans la jungle pour ce premier jour sur place, le but étant de remonter un cours d'eau et de se baigner dans des vasques. C'est la saison sèche, alors le débit est faible...

Cascade des "Steven wells"

L'endroit est agréable et les enfants s'amusent bien, d'autant plus que nous y retrouvons une autre famille franco-kazaque avec qui nous avons sympathisé. Sur le retour, nous observons une famille de langur dusky.

Le lendemain, nous partons en visite guidée dans les mangroves. La zone est protégée et classée au patrimoine par L'UNESCO. Les mangroves sont très utiles à de nombreuses espèces sauvages (poissons, mammifères marins, oiseaux...), en leur servant notamment de nurserie. Elles créent des zones tampons entre l'eau douce des rivières et la mer. Et elles offrent des protections naturelles et efficaces contre les Tsunami.

Mangrove de Langkawi

De nombreuses mangroves ont été détruites par l'homme, pour aménager le littoral et construire des complexes immobiliers, ou bien encore pour y exploiter le bois qui est transformé en charbon. Il est donc primordial aujourd'hui de protéger les mangroves qui restent.

Nous pensions y voir plus de faune, c'est que nous avons été mal habitués avec Chitwan, Khao Yai et Sam Roi Yot... Le macaque crabier, est une des rares espèces capable d'utiliser un outil, en l'occurrence un caillou, pour se nourrir (il s'en sert pour casser les coquilles de crabes et coquillages). Malheureusement, ceux-là étaient plus intéressés par les chips que leur envoient certains guides...

Macaque crabier

Il y a aussi deux types de rapaces. Le Milan sacré (1,3 m d'envergure max) est essentiellement un charognard, se nourrissant principalement de poissons et de crabes morts.

Il est facilement reconnaissable avec un plumage marron à l'exception de la tête et de la poitrine qui sont blancs et les pointes des ailes noires.

Milan sacré

L'autre rapace, beaucoup plus grand (jusqu'à 2,2m d'envergure), c'est le Le Pygargue blagre, appelé également Aigle pêcheur à poitrine blanche, Aigle pêcheur d'Asie ou Pygargue à ventre blanc. Il est capable de pêcher en attrapant des poissons avec ses serres en frôlant la surface de l'eau.

Aigle pêcheur
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Pour démarrer cet article, un petit aperçu de notre trajet depuis notre arrivée à Bangkok le 17 décembre 2022 (une éternité !). Un périple de 100 jours de plus de 4000 km, en bus, en train, en bateaux de toutes tailles, et parfois même en stop...

Notre itinéraire réalisé en Asie du Sud-Est

Pour rallier l'île de Penang, depuis l'île de Langkawi, nous avons fait un bel enchaînement : Taxi - ferry - taxi - train - ferry... Environ 200 km pour la modique somme de... 40 euros pour 4 !

Les îles de Langkawi et Penang

Nous voici donc à Georgetown, la plus grande ville de l'île. Nous avons l'impression de découvrir la "vraie" Malaisie, une société multiculturelle dans laquelle se croisent des malais, des chinois, des indiens, des musulmans, des hindous, des bouddhistes et des chrétiens.

Mosquée Kapitan Keling

Située au nord du détroit de Malacca, l'île de Penang est sur l'une des routes maritimes les plus importantes au monde. Si depuis plus d'un millénaire les marchands vont et viennent entre l'Inde et la Chine et font escale à Malacca ou Singapour, Penang reste une île déserte jusqu'au début du 18ème. Sous domination britannique, l'île a vu s'implanter une importante communauté chinoise qui mit la main sur le commerce local, dont l'opium. Les chinois, regroupés par clans, instaurèrent des sociétés secrètes (mafia) qui ont régné sur Georgetown jusqu'à la deuxième guerre mondiale.

La plus belle maison à visiter (Pinang Peranakan) est celle d'un chef mafieux. Elle a été magnifiquement restaurée puis conservée, si bien qu'elle sert aujourd'hui de décor pour les séances photos des jeunes futurs mariés.

Pinang Peranakan Mansion
Pour l'album de mariage

Tout aussi luxueux, les temples érigés par ces clans, sont parfaitement entretenus. Ils faisaient partie d'un complexe plus grand regroupant des habitations, des lieux de vie et de rencontre. Tout était mis en œuvre pour accueillir et intégrer les immigrants chinois (la plupart du temps, de la famille de ceux déjà arrivés). A l'époque, les hommes chinois se mariaient volontiers avec les femmes malaises et vice versa. Les cultures et religions s'imbriquaient entre elles. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, car si un chinois désire se marier avec une malaise, il doit obligatoirement se convertir à l'Islam et ne plus manger de porc; ce dernier point avait l'air problématique pour celui qui nous l'a expliqué.

Leong San Tong Khoo Kongsi

Vous faites quelques pas dans les rues adjacentes et vous vous retrouvez à New Delhi...

Boutiques de Saree

Ou bien encore, en plein cœur du Tamil Nadu avec ce temple vieux de 200 ans.

Sri Mahamariamman Temple

On trouve aussi, toujours dans le même périmètre, de nombreux bâtiments style "colonial". Ce melting-pot confère un charme fou à cette ville que nous avons beaucoup appréciée, malgré la chaleur écrasante en journée...

Plus récemment, Georgetown s'est également fait connaître pour ses œuvres de "street art". Notamment grâce à un artiste lituanien, Ernest Zacharevic. Son style rappelle un autre artiste mondialement connu, si bien qu'on le surnomme ici le "Banksy malaisien". Les enfants ont à la fois beaucoup aimé chercher les peintures et ce qu'elles représentent.

En 10 ans, l'état de certains murs s'est nettement dégradé

D'autres artistes se sont pris au jeu, et il faut être attentif lors des promenades en ville, car il y en a partout !

Je trouve ça généreux de la part des artistes, leurs œuvres tombent directement dans le domaine public et chacun peut en profiter.

Voilà pour Georgetown, une belle découverte, assez inattendue.

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Pour cette dernière étape sur Penang, nous prenons la direction du parc national (Taman Negara), situé au nord-ouest de l'île. Sa dimension est modeste, mais il a la particularité d'avoir une plage où viennent pondre les tortues marines de la région. Nous espérons pouvoir en observer...

Ile de Penang , au nord-ouest de la Malaisie

La faune déborde toujours des limites d'un parc, surtout les oiseaux. Une petite balade près de l'entrée permet déjà de faire quelques "prises".

Stourne bronzé - Aplonis panayensis - Asian Glossy Starling

Une autre observation, la première de cette espèce de Martin pêcheur :

Martin-chasseur gurial (Pelargopsis capensis)

Ou encore ce jeune macaque et ce héron strié.

Le lendemain, nous nous levons de bonne heure pour démarrer la rando sous des températures "raisonnables". La jungle est dense, l'ombre des arbres nous abrite des rayons du soleil.

Notre première rencontre est un varan bien costaud, évoluant dans une mangrove.

Varan des marais

Nous atteignons la plage. Juste derrière se trouve un lac méromictique 🧐. C'est un lac qui est composé de deux couches d'eau distinctes qui ne se mélangent pratiquement jamais. Ici en l'occurrence une couche d'eau salée dense au fond, et une couche d'eau douce en surface. Il est asséché à cette période, alors le principe des couches reste théorique... 🤔

Ambiance Robinson Crusoé

Mais il y a pas mal de vie autour et nous pouvons observer un drongo à raquette, un faucon, des chauves-souris qui dormaient dans un arbre, des Langurs Dusky, et un couple d'aigles tournoyant dans le ciel.

Aigle pêcheur

Nous longeons la plage jusqu'au centre de préservation des tortues marines. Le principe est simple : en cette saison les tortues viennent pondre sur la plage. Elles creusent un trou à quelques dizaines de mètres de la mer et y déposent plusieurs dizaines d'œufs avant de les recouvrir de sable. Aussi, des patrouilles sont organisées pour repérer les "nids", y extraire les œufs pour les mettre en lieu sûr (un autre trou dans l'enceinte du centre, protégé par un grillage). Ce qui évite en premier lieu que des prédateurs déterrent les œufs pour les manger (l'homme, mais aussi les chiens errants, les varans, les mangoustes, crabes, etc ...).

Nous avons la chance de découvrir deux bassins remplis de petites tortues qui ont éclos la nuit dernière !

Bébés tortues vertes

Il y a aussi un aquarium plus petit avec des petites tortues imbriquées.

Bébé tortue imbriqué

Les tortues sont relâchées de nuit sur la plage au bout d'une semaine, on estime alors que leurs chances de survie sont plus élevées (sans aide de l'homme, le taux de survie est de 1/1000) car à ce stade elles sauront plonger et ne resteront pas en surface.

Sur les 7 espèces de tortues marines existantes, 4 sont présentes en Malaisie. Les 7 espèces sont en danger d'extinction. Le principal problème, comme à chaque fois, vient de l'homme (chasse, tortues prises dans les filets de pêche, ingestion de plastique, collision avec des bateaux, urbanisation du littoral qui diminue les possibilités de ponte sur les plages...).

Nous prenons le chemin du retour.

Lézard caché dans un tronc
Great Anglehead Lizard (femelle)

Cette partie de la forêt est encore moins empruntée. Les chemins sont difficilement praticables, à cause des troncs en travers, des herbes hautes... Nous passons sans prévenir sur le territoire de guêpes qui n'apprécient pas, si bien que trois d'entre elles piquent Maxime et Pierre... C'est douloureux, mais comme nous ne sommes pas allergiques ça passe dans la soirée.

Le lendemain, nous nous rendons dans un jardin botanique, l'occasion de faire quelques photos et d'en apprendre un peu plus sur les cultures de thé, café, cacao, épices... Il fait si bon à l'ombre des arbres et l'endroit est si agréable que nous y restons la journée entière.

Grenouille verte
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Vous avez été quelques-uns à vous inquiéter, euh non pardon, à nous poser la question de l'école en voyage. Alors c'est très simple : Pierre et moi avons terminé nos études il y a quelques années déjà, donc pas besoin de continuer l'école en voyage.

Ha? Vous parliez de Maxime et Solène ? Pardon! Dans ce cas c'est différent! Nous sommes même devenus "profs" pour un an, par la force des choses.

C'est en effet un sujet qu'il a fallu organiser et anticiper, au même titre que l'itinéraire, le budget, la santé, l'équipement.

L'objectif est d´assurer l´année de 5ème pour Maxime, et celle de 6ème pour Solène. Afin qu'ils puissent intégrer respectivement la 4ème et la 5ème à la rentrée prochaine.

Au premier coup d'œil, j'ai compris que nous n'utiliserions pas le CNED. Certainement très sérieux et complet, mais pas adapté à un rythme itinérant. Il aurait fallu renvoyer des devoirs selon un agenda assez strict, ce qui aurait supposé d'avoir toujours de bonnes connections internet, de quoi scanner... Une logistique qui aurait engendré beaucoup de contraintes et peu de flexibilité.

L'école dans un refuge au Népal

Donc pour préparer le sujet, je me suis rapproché des professeurs du collège avant le départ. La question était la même pour tous : quels sont les éléments importants à enseigner, à "ne pas rater", dont ils auront besoin l'année suivante ? J'ai ainsi eu l'occasion d'échanger et de recueillir quelques repères précieux pour les professeurs que nous ne sommes pas. Par exemple, les nombres relatifs et le calcul littéral sont des éléments nouveaux et importants en maths en 5ème. L'importance d'avoir un cahier de TD en français.

Aussi, la démarche expérimentale en sciences est développée dès la 6ème, et il est important de comprendre les ordres de grandeur. A ce sujet nous avons eu énormément de cas pratiques et concrets! Concernant les altitudes au Népal, les vitesses, les distances parcourues, les conversions d'une monnaie à l'autre, ... , j'en passe.

Dans une cabane perchée dans les arbres

En échangeant avec le professeur d'histoire, je réalise que le programme de 5ème colle bien à notre itinéraire : l'époque byzantine est au programme, et nous avons visité Istanbul, Sainte Sophie, ça tombe bien! La naissance de l'Islam est au programme également, et nous terminerons notre voyage dans le plus grand pays musulman du monde, l'Indonésie. D'ailleurs, je précise qu'au moment où j'écris, nous sommes en Malaisie, en période de Ramadan. Les repères sont fixés.

Les professeurs m'ont aussi recommandé des manuels à utiliser : manuels numériques je précise, car il était hors de question de porter 20 bouquins dans nos sacs à dos 😂.

Ainsi, en Espagnol, je suis le manuel "Estupendo", tout comme la prof de Maxime. Je le trouve bien fait, facile à suivre. Je suis super contente de me remettre à l'espagnol avec Maxime ! Peut-être plus enthousiaste que lui d'ailleurs 🤔?! Nous utilisons aussi l'application "Le Livre Scolaire", qui couvre quasiment toutes les matières du collège. Elle comprend les manuels de cours ainsi que les exercices. On n'a plus qu'à suivre. Téléchargée sur nos 2 mobiles, disponible sans connexion, c'est toujours à portée de main.

Pas toujours facile de se concentrer...

Je souhaite profiter de ce post pour remercier sincèrement les professeurs du collège pour leur temps accordé, leurs réponses, et leur approche très positive concernant notre voyage et tout ce que nos jeunes apprendront et comprendront pendant leur année "hors les murs".

Ensuite, pour peaufiner le sujet éducation, j'ai feuilleté les cahiers de Lila, élève de 5ème l'année dernière (merci Lila!) pour mieux comprendre ce qui a été fait en une année. Pour ce qui est de la 6ème, c'est simple, j'ai re-feuilleté les cahiers de Maxime. (Merci Maxime!) J'ai échangé avec une de mes cousines qui est prof d'anglais (merci Virginie!), Pierre a échangé avec une cousine également, qui pratique l' école à la maison. Merci Valérie !

Et maintenant ? On avance du mieux qu'on peut avec tout ça ! On fait l'école depuis la guesthouse la plupart du temps; il est arrivé aussi de faire l'école en bord de plage ou au café, dans le train. Une table, des chaises, une trousse commune et un cahier chacun suffisent.

Dans un café à Georgetown (Malaisie)

Résultat : on y passe beaucoup moins de temps qu'au collège, mais pour l'instant nous avons l'impression que cela suffit. Ils ont beaucoup progressé tous les deux en anglais. "On apprend en écoutant" comme dit Maxime. Ils vont avoir un sacré accent, entre celui de leurs parents, des népalais, des thaïs, ... !

Duolingo aide aussi à progresser en langues, à petites doses quotidiennes. On fait même des blagues en anglais maintenant, attention il y a du niveau :

Savez-vous comment une fourmi dit "attendez moi"?

--> Wait for me (Wait fourmi 🐜 🐜 🐜) !!!

Oui oui on se marre 😂 !

En parallèle de cela, ils ont chacun un carnet de voyage qu'ils tiennent (plus ou moins) à jour, afin de continuer à écrire ... et de fabriquer un beau souvenir !

Ils continuent aussi à lire sur les liseuses, et grâce à Aurélie et Matthieu nous avons une collection de Bob Morane qui ravit Solène. Merci à eux! L'inconvénient de la liseuse : on ne peut pas lire de BD. Ça leur manque. On a donc fait une session de rattrapage à la bibliothèque de l'Institut français de Vientiane. Session intensive.

Nous apprenons aussi régulièrement des choses sur la faune (experts en éléphants d'Asie maintenant, et bientôt en tortues marines !), la géographie, les coutumes, l´histoire des lieux. Naviguer pendant deux jours sur le Mékong au Laos a été, une excellente leçon de géographie.

En conclusion, ils apprennent beaucoup de choses. Pas exactement les mêmes que celles qu'ils auraient apprises au collège. Mais mieux ancrées il me semble. Car vécues, comprises, ressenties.

La suite, nous la connaitrons à la rentrée :-)

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Kuala Lumpur ou KL pour les intimes.

Nous arrivons en train. La Malaisie est un pays développé, où il est simple et confortable de voyager. Nous aimerions juste pouvoir accéder au réglage de la climatisation parfois, car ils ont tendance à la pousser à fond dans leurs moyens de transport. Il faisait 19°C dans le wagon, et nous avons ressorti les doudounes 😂 !

Nous laissons passer une énorme averse et descendons dîner dans notre quartier, Kampung Baru, où des maisons basses et des stands de nourriture de rue chatouillent les pieds de hautes tours.

Nous sommes en période de Ramadan. Les échoppes, dont le rideau est tiré presque toute la journée, ont rouvert en milieu ou fin d'après-midi, car chacun prépare maintenant sa rupture du jeûne : certains viennent chercher des plats à emporter, d'autres s'attablent au restaurant en famille ou entre amis. Les plats sont commandés, posés sur les tables, sous cellophane, et n'attendent plus que l'autorisation d'être dégustés. 19h24, la voix de l'Imam résonne dans les haut-parleurs, et libère les estomacs serrés.

Fin du repas, il fait nuit ; de retour à notre appartement, nous apercevons les tours jumelles Petronas illuminées. Nous sommes fascinés tous les quatre. Élancées, d'une beauté métallique, elles sont reconnaissables entre toutes.

Par la suite, à chaque fois que nous sortons, nous avons les yeux rivés sur elles. Toujours esthétiques, qu'on soit à leurs pieds ou plus éloignés. On ne pense KL 😉.

"d'une beauté métallique"

Tant et si bien que pour notre dernier jour à KL, nous tentons notre chance pour les visiter. En ligne, tous les billets sont déjà vendus. J'ai peu d'espoir de trouver un billet sur place, et pourtant ça fonctionne !

Nous aurons droit à notre tour à 11h15 pour visiter les tours jumelles les plus hautes du monde, c'est-à-dire 452 m de haut. La visite la plus chère à la minute depuis le début du voyage commence. 1 heure top chrono. Tout d'abord, 10 minutes pour admirer la ville au niveau du "pont aérien" à 2 étages. Il relie les 2 tours jumelles au niveau des 41ème et 42ème étages, mesure 58 m de long et pèse 750 tonnes, tout ceci à 170m de hauteur par rapport au niveau du sol ! Par ailleurs, il n'est pas vraiment attaché a la structure, mais est prévu pour coulisser entre les 2 tours, technique mise en place afin qu'il ne casse pas en cas de vents très forts.

La passerelle du 41ème étage

Les 10 minutes sont passées, cap au 86ème étage !Juste sous les pinnacles. A 370 mètres de hauteur. Nous avons droit à 15 minutes cette fois-ci. Nous n'avons jamais été aussi hauts (en ville !). Nous prenons beaucoup de photos, de selfies, cherchons nos repères, comparons les plus belles piscines sur les toits des beaux hôtels, c'est un autre monde. J'ai toujours aimé voir les villes d'en haut. Retour à l'ascenseur pour le dernier arrêt, au 83ème étage cette fois-ci. On peut rester un peu plus longtemps pour admirer la vue, boire un expresso, marquer un but entre les 2 tours, ou acheter un souvenir dans la petite boutique :-).

Et voilà, la visite est finie! Pour compléter, une petite explication sur le motif sur lequel les tours sont bâties : il faut imaginer 2 carrés imbriqués, qui forment une étoile à 8 pointes. Il s'agit d'une forme islamique géométrique appelée le Rub el Hizb, qui décrit des principes islamiques d'unité, d'harmonie, de stabilité et de rationalité. C'est conformément à ce motif que l'architecte argentin César Pelli a dessiné ces tous jumelles.

Vous l'avez compris, nous regagnons le plancher des vaches, fascinés par cette visite, mais le paradoxe ne me quitte pas. En effet ces tours sont à 100% le fruit de l'empire du pétrole. Détenues aux 3/4 par Petronas, le quart restant par d'autres compagnies "d'oil and gas". D'un côté on admire, de l'autre on déplore l'effet dévastateur de cet empire en termes d'empreinte carbone sur notre planète. De plus je me demande vraiment ce que deviendront ces tours dans 15, 20, 50 ans (elles ont été inaugurées en 1998)...

De façon générale, j´ai aimé Kuala Lumpur, mais pas que pour ses tours. Cette ville est moderne et arborée à la fois, du moins dans le centre. Il reste même un petit bout de jungle dans laquelle nous avons croisé une famille de macaques. En plein cœur de la capitale c'est cocasse ! Ou encore ce tupaia, croisé dans un grand cimetière musulman, situé à 5 mn à pied des tours... Petronas.

Tupaia

Malais, chinois et indiens y cohabitent; immigrés et expatriés s´y installent. La capitale multiculturelle. On y a d'ailleurs trouvé un beau plateau de fromage ! et du bon pain! C'est peut être un détail pour vous, mais pour nous ...

Et je me suis même permis une petite échappée à une exposition d'art moderne, sans homme ni enfants (eh oui, pour ceux qui lisent jusqu'au bout, ce n'est pas PA qui écrit cette fois 😉). Galerie Ilham , dans une tour (encore), qui m'a permis de découvrir une artiste malaise, Yee I-Lann. Elle expose autour du "tikar" - un tapis traditionnel tressé - l'objet lui-même mais aussi une vidéo qui le met en scène, ainsi qu'une autre vidéo de danse moderne, où 7 danseurs sont articulés sous un chapeau pour 7 têtes.

Bref, entre culture, tradition et modernité, cette capitale ne manque décidément pas de charme.

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100 km au nord-est de Kuala Lumpur, nous voici dans la petite station d'altitude (1200m) de Fraser's Hill. Cette forêt pratiquement intacte, humide et pluvieuse (200 jours par an) et donc luxuriante, a été construite par des britanniques vers 1917 qui en sont littéralement tombés amoureux. Il faut dire que c'est sûrement le meilleur endroit pour s'extirper de la chaleur étouffante du reste du pays, et que le climat ne va pas sans rappeler celui de l'Angleterre.

La tour de l'horloge

Tout y est : les cottages et constructions dans le style "anglo-normand", les jardins entretenus, le parcours de golf et même les vieilles cabines téléphoniques !

Sous un crachin britannique

La température de 20°C en journée était bien agréable, cela faisait bien longtemps qu'on n'avait pas mis une petite laine en soirée 😊 !

Cet endroit est mondialement réputé pour les passionnés d'ornithologie et j'ai découvert son existence lors de la lecture de ce blog : les obsrêveurs. Nous allons donc essayer d'immortaliser quelques-unes des 275 espèces de volatiles répertoriés ici... Et vous allez voir que la réputation de Fraser's Hill n'est pas usurpée. Maintenant que l'introduction est faite, si vous n'en pouvez plus de voir des oiseaux (ou autre animal) alors surtout quittez cet article et reprenez une activité normale 😊.

D'ailleurs, je ne vais pas commencer par les oiseaux, mais par les mammifères. Malheureusement, pas d'ours malais, de Tapir ou de Gibbon Semang, qui sont toutes trois des espèces en danger peuplant la région, mais un sanglier curieux qui ressemble bien à ceux de nos contrées européennes.

Sanglier à l'orée de la forêt

Les arbres ne sont pas seulement peuplés par les oiseaux, on y trouve au moins trois espèces d'écureuils.

Il y a aussi quatre espèces de singes 🐒. Voici une nouvelle espèce que nous ne connaissions pas : le semnopithèque du Siam, assez peu farouche.

Semnopithèque du Siam

Nous sommes aussi tombés sur cette peluche, un(e) jeune Langur dusky.

Langur dusky (jeune)

Avec un peu de chance, je suis tombé sur ces deux magnifiques cigales.

Un petit aperçu de la forêt, avec des dizaines d'espèces de fougères différentes, certaines de plusieurs mètres de haut.

Bon, ils sont où les oiseaux ? Mais c'est qu'ils se cachent bien ! Il faut user de patience, être particulièrement silencieux et immobile. Alors, parfois, la magie opère et on a l'impression de se voir offrir un beau privilège. Comme ce barbu malais qui m'a tourné autour pendant un moment avant de se dévoiler entièrement...

Barbu malais

On en trouve des tout petits, qui parfois chantent bien plus fort que les "gros", comme cette Petite Brachyptère.

Petite Brachyptère

Non loin de là, se trouvait un couple de Niltava d'Orient, en bleu sombre le mâle, en marron la femelle.

Niltava d'Orient

J'en profite pour préciser que toutes les photos présentées ici ont été réalisées sans aucune aide, c'est-à-dire sans appât de nourriture ou appât sonore. J'ai croisé des groupes avec guide ou des individuels qui ont recours à ce genre de technique. D'une part, il est formellement déconseillé (voire interdit) de nourrir les animaux sauvages quels qu'ils soient (singes, requins, oiseaux, etc...). Cela les rend dépendants de l'homme et change complètement leur comportement. Et d'autre part je trouve que cela fausse complètement le jeu. Exemple avec ces trois photos prises à un endroit où des vers venaient d'être déposés :

Ici les oiseaux ont été "appâtés"

Reprenons notre chemin. Voici un oiseau très original d'apparence : Eurylaime psittacin. On dirait qu'il porte un casque...

Eurylaime psittacin

Au même endroit, la Pirolle verte qui ressemble à un bandit masqué.

Pirolle verte ou Pirolle de Chine

Très commun en Malaisie, le shama dayal, déjà vu au Népal et en Thaïlande.

Un de mes coups de cœur, le Bulbul de McClelland, avec sa coupe impeccable.

Bulbul de McClelland

A l'ombre, dans les sous-bois, les conditions de lumière sont difficiles, mais on peut faire de belles rencontres 😍.

Pic à nuque jaune
Gobemouche à face rousse
Notodèle à queue blanche
Drongo

Parfois, il suffit également de rester dans le périmètre de la résidence. Il y a des arbres avec des fleurs à nectar dont viennent se nourrir de nombreuses espèces, comme ce Souimanga sombre.

Souimanga sombre

Ou bien le Sibia à longue queue qui se déplace toujours en groupe de quatre ou cinq individus.

Sibia à longue queue

Sur les arbres juste à côté, de magnifiques Phasianelle à tête rousse (de la famille des pigeons).

Phasianelles à tête rousse

Déjà observés en Thaïlande, ces deux bulbuls.

Bulbul goiavier et Bulbul à huppe noire

En vrac, quelques oiseaux supplémentaires qui méritent leur place dans cet article. Avec en haut à gauche, un Drongo à raquettes qui en a perdu une. Et qui a été bagué. J'en ignore la raison.

Drongo à raquettes
Grand Arachnothère

Pour finir en beauté, voici la star du coin. Le Trogon à tête rouge. Un très bel oiseau. Ici avec son dîner dans le bec, une cigale. Très fier de son butin, il s'était posé si près de moi, que je n'ai pu l'avoir en entier dans le cadre...

Trogon à tête rouge

Deux jours plus tôt, j'avais rencontré cet autre spécimen au même endroit.

25 espèces d'oiseaux différentes 😍 en dix heures de balades, un vrai régal pour les yeux, aussi je comprends pourquoi ce site a acquis une renommée mondiale.

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Localisation du Parc National de Malaisie 

Depuis Fraser's Hill, nous rejoignons le Parc National de Malaisie (littéralement "Taman Negara Malaysia"), la plus grande zone protégée du pays avec une superficie de 4300 km². C'est 4 fois plus grand que Chitwan au Népal ou 2 fois plus grand que Kao Yai en Thaïlande. Ou encore, c'est comme si 1/3 de l'île de France était recouvert d'une forêt primaire intacte. Et contrairement aux autres parcs que nous avons visités, aucune route, aucune piste de 4x4 ne le traverse. L'autre particularité concerne le type de forêt. C'est une jungle épaisse, sans prairie. Aucune zone dégagée, même le long des rivières la végétation s'aventure jusque dans l'eau. Aussi, l'observation de la faune est très difficile, car le regard ne porte jamais bien loin.

Si le rhinocéros a officiellement été déclaré éteint en 2000, de nombreuses espèces sont recensées, comme des éléphants, tigres, tapirs, pangolins, calaos, pythons... La liste est longue.

L'entrée du parc national se trouve dans le petit village de Kuala Tahan, au bout d'une route de 50 km parfaitement asphaltée bordée de plantations de palmiers à huile. Une monoculture intensive, dont la Malaisie est le deuxième producteur mondial (25% du total), derrière l'Indonésie (60%). Les palmiers donnent des fruits 3 ans après avoir été plantés, et sont coupés à l'âge de 25 ans (car ils sont trop hauts pour récolter facilement les fruits). On récolte les fruits tous les 15 jours, qui sont pressés sur place, dans des raffineries construites au milieu des plantations. Une plantation de palmiers à huile présente un rendement exceptionnel, de plus de 3,5 tonnes par hectare, alors que c'est plutôt entre 0,5 t et 1,3 t pour les autres huiles (colza, tournesol). La production d'huile de palme a été multipliée par 6 entre 1990 et 2020 ce qui pose de nombreux problèmes environnementaux, notamment parce que les plantations remplacent le plus souvent des forêts primaires réservoirs d'une très forte biodiversité et l'habitat d'animaux emblématiques comme les Orang-outan, gibbons, éléphants, tigres, rhinocéros... tous en danger d'extinction.

Route bordée de palmiers à huile

Arrivés à la Guesthouse, nous retrouvons la chaleur écrasante. Nous faisons un premier tour dans le village en cherchant l'ombre de la végétation. Maxime, grâce à ses yeux de Lynx, localise un nouvel oiseau et réussit de belles photos :

Eurylaime rouge et noir

Le lendemain, nous démarrons de bonne heure avec l'idée de rejoindre une grotte. Le sentier est mal tracé, avec beaucoup de végétation, il ne semble pas être très emprunté. Une vingtaine de minutes plus tard, vaincus par les sangsues, nous décidons de rebrousser chemin. Pas facile de chercher de la faune, lorsqu'on a les yeux rivés sur ses chaussettes à vérifier qu'elles ne soient pas prises d'assaut par des mini vampires assoiffés de sang 😵‍💫!

Nous apprendrons plus tard que ce sentier n'est plus utilisé depuis le Covid, ce n'était donc pas la meilleure des idées de s'y aventurer...

Nous empruntons alors des sentiers aménagés sur des pilotis posés à travers la jungle, c'est moins aventureux mais ça permet à chacun de retrouver ses esprits 😂 !

Sentier sur pilotis

Comme prévu, il est difficile de localiser et d'observer la faune, craintive, qui sait parfaitement se dissimuler dans le milieu. On entend souvent des oiseaux chanter, mais impossible de les distinguer dans le feuillage. Cependant, vous pouvez les écouter ici :

Plus loin, des feuilles s'agitent au sol, je viens de déranger un serpent 🐍 qui se trouvait au bord du chemin. Il va tranquillement s'installer sur une branche un mètre plus loin.

Dendrelaphis cyanochloris

On trouve aussi quelques papillons...

Nous empruntons un sentier de canopée, ce qui nous permet de changer de point de vue puisque nous nous retrouvons à une quarantaine de mètres de haut... Mais nous n'avons guère plus de chance dans nos observations.

"Canopy walk"

De retour sur terre nous croisons des arbres gigantesques, certains faisant 70m de haut. Les racines ne pouvant aller en profondeur du fait de la roche sous-jacente, elles s'étalent parfois sur plusieurs dizaines de mètres à l'horizontale.

75 m et 450 ans pour celui-ci
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Nous nous rattrapons dans nos observations en arpentant les abords du village. C'est que nous sommes devenus "exigeants"... Et nous sommes un peu frustrés de nos premiers jours ici. Et en même temps, c'est le jeu des espaces naturels. Nous l'acceptons bien volontiers car les animaux évoluent dans leur milieu de prédilection, à nous de faire quelques efforts pour les trouver 🧐.

Écureuil palmiste se régalant de papayes
Souimanga à gorge brune (femelle à gauche, mâle à droite)
Hirondelle de Tahiti

Nous décidons de recourir aux services d'un guide pour passer une nuit dans la forêt, en haut d'une tour de guet. Pour la rejoindre, nous prenons une pirogue afin de remonter la rivière sur quelques km.

Embarquement

Cette manière de découvrir la jungle, au ras de l'eau est une expérience intéressante et surtout peu fatiguante 😊... Embarquez avec nous !

Nous rejoignons ensuite l'abri. Comme ça, de loin, il a l'air plutôt sympa.

Tour de guet

Il a été construit devant une prairie : un espace qui a été déboisé, et qui permet, en principe, d'observer plus facilement les animaux de passage. Au milieu se trouve une marre boueuse dans laquelle se roulent les mammifères pour se débarrasser des parasites. Il y a aussi une roche affleurante (salt lick), que les animaux viennent lécher pour récupérer des minéraux.

La prairie

Concernant l'intérieur, c'est moins reluisant... Il y a peu de passage et l'endroit n'est pas entretenu. La nature reprend vite le dessus. Nous partageons notre logis avec une grenouille et une chauve-souris qui squattent les toilettes, un Gekko smithii est installé sur les poutres, une grosse araignée (inoffensive) s'est posée sur le lit de Solène... Et notre guide découvre dans chaque recoin des nids de guêpes...

Gekko smithii (25 cm env.)

Nous nous postons à la fenêtre, et l'attente commence. Nous avons trouvé des crottes d'éléphants dans les environs, nous rêvons de les voir... On attend, on attend... D'ailleurs, savez-vous qui est jaune et qui attend ? Jonathan...

Pour patienter avec nous, je vous glisse quelques photos prises pendant la journée, on est loin des tigres et des éléphants 😏:

La pénombre tombe. Première alerte, un Calao à casque rond passe au loin. On peut s'estimer chanceux, cette espèce est en "danger critique d'extinction"... Le stade suivant c'est "éteint à l'état sauvage"... Cette espèce de Calao porte une fine couche d'ivoire rouge sur le bec très prisé de certains collectionneurs, ce qui encourage le braconnage de cet oiseau magnifique.

Calao à casque rond

Seconde alerte, un drongo à raquettes, que les lecteurs de ce blog connaissent maintenant parfaitement 😊 !

Drongo à raquettes

Puis la nuit tombe vraiment, le noir s'installe, et la fatigue arrive. Les enfants vont se coucher, et nous ne tardons pas à faire de même avec Anne-Laure. Le guide (Aa, de son prénom) décide de veiller, il nous préviendra s'il voit quelque chose.

A minuit et demi il me tapote l'épaule, j'émerge complètement dans les vapes, il faut faire vite, il y a une bête au pied de l'abri. Je saisis l'appareil et photographie pour la première fois une Civette malaise. Anne-Laure, alertée par l'agitation profite du moment, alors que nous n'avons pas le temps de réveiller les enfants qui dorment bien profondément. Cet animal est assez répandu, mais comme il est nocturne, on l'observe rarement.

Civette malaise

La Civette malaise fait partie de la famille des viverridés, qui regroupe plusieurs espèces de civettes et de genettes. En France, nous avons la genette commune.

Le guide, heureux de sa trouvaille, part se coucher, alors que de mon côté, boosté par cette belle rencontre, je reste à veiller jusque 3h30 du matin... pour rien mais en profitant d'un magnifique clair de lune. 🌙😂

Avec Aa
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Selamat pagi ! Je m'appelle Moly, je suis une tortue verte, l'une des sept espèces de tortues marines peuplant les mers tropicales et tempérées de notre petite planète bleue.

Moly la tortue verte (merci Mathis pour la belle photo)

Il y a 25 ans, je suis née sur la plage de Juara, sur l'île de Tioman, en Malaisie. J'ai d'abord passé trois jours dans le sable, à m'extraire du nid creusé par ma maman, il y a 50 jours... Ensuite, avec ma centaine de frères et sœurs, nous avons filé vers la mer. Heureusement, il faisait nuit, aucun oiseau ne nous a attaqué, mais des dizaines d'entre nous se sont fait attraper par des requins, des barracudas, et autres poissons carnivores qui traînaient dans le coin...

Nous avons nagé tout droit, frénétiquement, pendant 7 jours pour rejoindre le large. A ce stade, je me nourris d'œufs de poissons, de petits crustacés, un régime carnivore que je vais abandonner plus tard. Je passe ainsi plusieurs années à errer en haute mer, avant de revenir vers les zones côtières pour brouter sur les herbiers des récifs coralliens. Depuis la Malaisie où je suis née, je peux ainsi me retrouver en Australie, aux Philippines, à plusieurs milliers de km.

A 25 ans, j'ai enfin atteint ma maturité sexuelle. Ma carapace mesure environ 1 m de long et 90 cm de large. Je pèse plus de 100 kg. Grâce au champ magnétique terrestre, j'ai "imprimé" l'endroit exact où je suis née, et c'est sur cette même plage que je vais retourner pondre.

A partir de la fin du mois de mars, de nuit, à marée haute, je vais ramper sur le sable jusqu'en haut de la plage. Je vais d'abord dégager un large espace pour disposer mon corps.

Tortue dans l'ombre creusant son nid

Puis, grâce à mes nageoires postérieures, je vais creuser un puits de 70 cm de profondeur pour y déposer une centaine d'œufs. Je recouvre le tout, me déplace de quelques mètres et creuse un puits factice pour tromper les prédateurs...

Ponte sur la plage de Juara

Je retourne ensuite dans l'eau avant de revenir environ 15 jours plus tard pour faire un nouveau nid, et ainsi de suite 6 à 8 fois dans l'année. Dans 2 à 3 ans, je reviendrai, sur la même plage pour perpétuer un cycle vieux de plus de 100 millions d'années 😊.

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île de Tioman, au sud-est de la Malaisie péninsulaire (point bleu sur la carte ci-dessous).

Malaisie et un bout de Sumatra (Indonésie)

Depuis Teman Negara Malaysia, nous mettons le cap vers l'île de Tioman. Nous avons décidé de passer une semaine en tant que volontaires dans un sanctuaire de conservation des tortues marines. L'ONG Juara Turtle Project a été créée en 2006, et poursuit trois grands objectifs :

Le premier, le plus important, concerne la préservation des deux espèces de tortues marines qui viennent pondre sur l'île, entre mars et octobre.

Le deuxième est un programme de restauration des récifs coralliens, en recyclant notamment les bouteilles de verre collectées sur l'île. L'ONG gère le recyclage du village de Juara à travers 6 points de collecte (verre, plastique, boîtes de conserve, canettes).

Le dernier vise la sensibilisation du public (scolaires, touristes) à la préservation des tortues, de l'océan, du recyclage et de ses limites.

Tortue verte remontant à la surface pour respirer

Quatre femmes malaises sont employées à l'année, elles sont aidées par des volontaires qui restent de une à quelques semaines. L'association dispose de peu de moyens et l'apport des volontaires, ainsi que des touristes qui viennent "adopter" des tortues ou des nids est indispensable pour son financement. Aussi, l'absence de visiteurs pendant le Covid a été compliquée à gérer.

La plage et le couvoir à œufs de tortues

Le premier jour, nous sommes rapidement mis dans l'ambiance. Les enfants balayent la salle commune pendant que je ratisse les feuilles avec Anne-Laure. C'est important de ne pas les laisser s'accumuler autour des espaces communs, sinon les fourmis rouges, scorpions, serpents et autres visiteurs indésirables s'y camouflent.

L'après-midi, nous faisons la tournée des points de collecte (une manière élégante de parler de poubelles 😂), et constatons que, comme en France, les consignes sont parfois très mal appliquées... Nous nous retrouvons donc à retirer des sacs de tout venant, crevés et débordants d'asticots, d'un bac qui ne devrait contenir que des bouteilles de verre... Avec la chaleur ambiante, l'odeur est pestilentielle... SVP, respectez les consignes de tri et pensez un instant à l'environnement et à ceux qui ramassent les poubelles 😊!

Le lendemain, nous décidons d'améliorer la signalétique en rajoutant des précisions sur les panneaux.

Séance de peinture

Maintenant que les bacs contiennent ce qu'il doivent, direction le centre de recyclage. Les bouteilles de verre sont passées au broyeur. Les granulats sont utilisés comme matière première (à la place du sable) pour faire des parpaings de béton sur lesquels seront fixées des branches de coraux morts. Ils seront immergés plus tard pour restaurer le récif corallien.

Broyage du verre. Lunettes et tongs de sécurité...

Pour le plastique, les bouteilles sont séparées des bouchons et triées par matière (PET, PVC, PP). Les bouteilles et flacons sont renvoyés sur le continent, alors que les bouchons sont broyés, fondus, puis injectés dans des moules : une fabrication artisanale de porte-clés ! La machine a été conçue et réalisée par des élèves ingénieurs néerlandais pour l'association, chapeau. Les porte-clés sont ensuite vendus aux visiteurs du centre de conservation.

Tortues en plastique recyclé

Pour les canettes en alu, elles sont compressées avant, elles aussi, d'être renvoyées par cargo sur le continent pour recyclage.

Compression des canettes

Comme vous pouvez le voir sur les photos, Maxime et Solène ont pris part avec beaucoup d'enthousiasme à toutes ces activités. Ils ont fait leur part, comme des "grands".

Lors de nos temps libres, nous profitons de la plage, du kayak à disposition, et surtout, nous rendons visite à deux tortues qui viennent brouter l'herbe marine d'un rocher juste en face du centre.

Tortue verte

Un peu plus loin, autour d'une pointe rocheuse, on trouve d'autres curiosités.

Requin pointe noire
Raie pastenague à taches bleues
Seiche

L'île abrite la roussette malaise (appelé aussi Renard volant), un mammifère de grande dimension, jusque 1,70m d'envergure, dormant accroché aux branches des cocotiers. Exclusivement frugivore, l'espèce est protégée.

Mère et son petit
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L'activité phare du volontariat à Juara Turtle Project (JTP) consiste à patrouiller sur les plages, de nuit ou bien au petit matin, pour trouver des tortues ou les traces qu'elles ont laissées. L'objectif est de récolter les œufs avant les prédateurs (lézards, crabes, braconniers...), 6h maximum après la ponte, et de les mettre à l'abri dans une "couveuse".

Traces de tortue imbriquée sur la plage de Penut, île de Tioman

En Malaisie, la période de ponte s'étale de fin mars à mi-octobre. S'il existe 7 différentes espèces de tortues marines dans le monde, deux seulement viennent pondre sur l'île de Tioman : les tortues vertes (green turtle en anglais) et les tortues imbriquées (hawskbill, ce qui veut dire "bec de faucon"). Si toutes les tortues marines sont en danger d'extinction, les tortues imbriquées sont en situation particulièrement critique. Les magnifiques écailles de leur carapace sont recherchées pour faire des bijoux et autres décorations.

En l'espace de 70 ans et l'avènement des sociétés industrielles et de consommation, le nombre de tortues marines a chuté drastiquement. Les causes sont multiples : aménagement du littoral (➡️de moins en moins d'endroits pour pondre), surpêche (➡️prises dans les filets les tortues se noient), diffusion du plastique à grande échelle dans les océans (➡️les tortues prennent les sacs plastiques pour des méduses et broutent les filets de pêche tombés sur les herbiers), braconnage (➡️chassées pour leur viande, ou "vol" des œufs)... L'horizon des tortues est bien sombre.

Des initiatives naissent partout dans le monde, du Mexique au Cameroun, de Mayotte jusqu'à la Malaisie, mais cela semble bien peu par rapport à l'ampleur du désastre, une goutte d'eau dans l'océan... Les tortues atteignant la maturité sexuelle vers 25 ans, vouloir les sauver s'inscrit sur le long terme. JTP, en 23 ans d'existence, a permis de mettre à l'abri 90 000 œufs. Avec 80% d'éclosion, cela donne 72 000 bébés tortues. Avec un taux de survie de 1/1000, on arrive à 72 tortues 😏. Trop jeunes pour l'instant, aucune d'elle n'est revenue pondre sur la plage.

Plage de Juara

Cela fait 5 jours que nous sommes ici, et pas de tortue à l'horizon. Mais ce soir, nous en attendons une de pied ferme. Elle est déjà venue hier soir sur la plage, mais dérangée par des enfants, elle a fait demi-tour sans faire son nid... Mislina, la responsable, nous explique que d'expérience, la tortue verte revient systématiquement le lendemain si elle n'a pas pondu lors de son premier passage. Toute l'équipe est attablée au restaurant, et la nuit est tombée. Maxime ne tient plus en place et décide d'aller faire un tour sur la plage. Deux minutes plus tard il revient me voir et me glisse à l'oreille "Papa, viens voir il y a du sable qui vole sur la plage !" Je pars avec lui vérifier et oui, c'est bien une tortue qui est en train de faire son nid dans la pénombre, elle dégage le sable autour d'elle à grands coups de nageoires ! Branle bas de combat !

Collecte des œufs pendant la ponte

En respectant les consignes données par Mislina, nous nous installons derrière la tortue et attendons qu'elle ait fini de creuser son nid. Ensuite, lorsqu'elle se met à pondre, nous pouvons nous rapprocher pour voir l'événement de plus près, en restant bien silencieux et dans la pénombre.

Pa Kassim (Tonton Kassim) intervient alors pour prélever les œufs au fur et à mesure qu'ils tombent. Originaire du village, il travaille avec l'association depuis le début. Il est le seul habilité à prélever les œufs du nid. Les œufs sont disposés dans une boîte et directement amenés à la couveuse. On creuse un nouveau nid à la main et on remet les œufs en les comptant (110, un beau score !). Pendant ce temps, la tortue est mesurée (carapace de 99cm de long et 91cm de large) et prise en photo, pour être identifiée dans une base de données mondiale. Comme les empreintes digitales pour les humains, le dessin des écailles de la tête est propre à chaque tortue.

Winy est mesurée après avoir pondu

Nous sommes, tous les quatre, bien émus par cette magnifique expérience, et ne tardons pas à nous coucher avec des étoiles... euh non, des tortues plein les yeux. 😊

Tortue verte retournant à la mer après avoir pondu (©Mathis)
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Lever de soleil ☀️  sur Juara

Ce matin nous partons avec Maxime et Pa Kassim en patrouille maritime pour vérifier la présence de nids sur deux plages de l'île accessibles uniquement par la mer. Nous espérons avoir plus de chance que l'équipe de la veille qui est malheureusement arrivée après les braconniers qui ont pillé l'intégralité du nid.

Une centaine d'œufs revendus 2 euros/pièce au marché noir, une somme rondelette pour le pays... Ça fait mal d'être confronté en direct à cette réalité 😳.

Au lever du soleil, nous filons dans une barque motorisée sur une mer calme et translucide.

Après 10 mn de navigation, nous arrivons en face de la première plage, et Kassim nous dit apercevoir des traces de tortue... Nous sommes à la fois super contents et déjà un peu inquiets de ce que nous pourrions trouver ou pas sur la plage... De plus, il n'y a qu'une seule trace. Or les tortues en laissent deux : une à la montée, et l'autre à la descente pour le retour à la mer. Ce qui voudrait dire que la tortue se trouve encore sur la plage, à une heure déjà avancée, voilà qui est bizarre... Dernier point intrigant, la marée est très basse et de nombreux rochers sont émergés devant le sable, ce qui empêche la tortue de retourner à la mer... Une drôle de situation qui pique bien notre curiosité 🧐!

Nous débarquons sur les rochers :

Puis remontons les traces sur le sable :

A la recherche de la tortue...

Arrivés en lisière de végétation nous nous attendons à trouver la tortue, mais rien ! Les traces sont plus difficiles à suivre et semblent indiquer que la tortue est redescendue derrière, dans le lit d'une petite rivière qui vient se jeter dans la mer en contournant la plage. Je longe la rivière jusqu'à la mer pensant tomber sur la tortue, mais rien, elle est déjà repartie... Pendant ce temps-là, Pa Kassim cherche le nid. Pour nos yeux peu exercés, il n'y a rien d'évident, mais Pa Kassim, après 3mn seulement, le localise et commence à creuser prudemment. Après quelques centimètres, les premiers œufs apparaissent, c'est comme si nous avions trouvé un trésor de pirate 🤩! Une à une, les 154 balles de ping-pong sont extraites.

Extraction des œufs d'un nid de tortue imbriquée

Un coup d'oeil en vidéo :

Nous repartons avec notre butin, tellement heureux de ce qui vient de nous arriver 🥳!

Retour au bateau

Nous rentrons au centre de conservation et nous précipitons pour réveiller Mislina. Nous allons l'aider à relocaliser les œufs dans la couveuse. Il faut faire le plus vite possible. Comme une maman tortue imbriquée, Maxime fait un puits de 50cm de profondeur pour 10 de largeur. Il élargit ensuite la base du puits de manière sphérique. Puis on redépose les œufs un par un.

Dans la couveuse

On recouvre le tout de sable, dont quelques poignées de sable prélevé du nid de la tortue, car le "liquide amniotique" de la mère a des propriétés anti-bactériennes. Pour finir, on identifie le nid en renseignant le nom de la plage, le nb d'œufs, l'espèce et la date de ponte. Si tout va bien, dans une cinquantaine de jours, un beau paquet de petites tortues sortira du sable !

A l'entraînement pour creuser un nid
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Les jours se suivent et ne se ressemblent pas à JTP. Nous devions rester 6 jours, mais l'endroit, le projet et l'équipe nous ont tellement plu que nous avons décidé de rester 6 jours de plus 😊.

Hier soir, j'étais pour la première fois de patrouille tardive (minuit - 3h). Cela fait tout drôle de se balader à pas d'heure en bord de mer. C'est marrée basse, pas forcément le meilleur moment pour voir débarquer une tortue. Mais nous attendons Moly. Elle est venue il y a plus de 10 jours, donc selon les règles immuables des tortues vertes (depuis des dizaines de millions d'années), celle-ci est censée revenir pour sa deuxième ponte de l'année.

Mais pour l'instant, à part des crabes et des chats qui traînent sur le sable, calme plat.

Il est 2h15 lorsque je termine ma deuxième patrouille, je vais prendre à droite pour rejoindre la base de vie, et mon lit 😴. Et là, comme par magie, apparaît devant moi une belle trace de tortue ! Moly ! Elle a eu la bonne idée de venir juste en face du centre 😂. Elle est encore dans sa phase de "remontée de la plage". Je vais prévenir Mislina, Anne-Laure et les enfants.

Les traces de Moly

Lorsque nous revenons, Moly s'est s'installée en plein milieu du chemin qui mène à la base... Elle passe environ une heure à creuser lentement son nid, mais butant sur des racines, elle finit par changer d'endroit et rentre un peu plus loin dans le centre de conservation, l'endroit même où il y a tous les panneaux explicatifs de la visite guidée. Ayant été me coucher, je n'ai pas assisté à toutes les pérégrinations de Moly, mais Anne-Laure a continué de veiller. Moly a démarré 8 nids en tout, sans déposer un seul œuf ! Au petit matin, alors que le soleil était déjà levé, elle a fini par retourner à la mer.

Moly retourne à la mer sans avoir pondu

Pas de souci, nous savons qu'elle reviendra demain soir.

Le lendemain, sachant que c'est notre dernière soirée, nous sommes sur le pied de guerre... Maxime dort dehors avec Pa Kassim, sur un rocher de la plage. Mais Moly se fait attendre. Elle débarque finalement à 4h du matin, la coquine 😏... Quasiment au même endroit qu'hier, mais le premier nid est le bon. Pour notre dernière nuit, nous assistons à la ponte de Moly, 77 œufs bien ronds. Elle repart au lever du jour. Nos dernières images de Tioman, et de la Malaisie.

Moly, de retour à la mer après avoir pondu !

Merci à toute l'équipe de Juara Turtle Project, pour son accueil, et bravo pour son action au quotidien pour la préservation des tortues marines, nous avons appris tellement de choses pendant notre séjour ici.

Avec l'équipe et d'autres volontaires

Merci à vous, de nous avoir suivi dans ce pays que nous avons vraiment apprécié. Nous prenons la direction de Malacca, la ville, pour prendre le ferry et traverser le détroit du même nom, pour la dernière destination de ce périple en famille : l'Indonésie.