Haute Route du Karakorum

Une traversée du nord Pakistan, de Lahore au Kunjerab Pass en passant par Islamabad, Peshawar et la vallée de Hunza.
Avril 2007
6 semaines
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Nos deux chauffeurs d'autorickshaw sont rigolos; ils sont jeunes, sikhs de religion, et quand je leur demande pourquoi ils ne portent pas le fameux turban, l'un des deux me répond en se passant la main dans les cheveux : "fashion"! Car nous n'avons pas un, mais deux chauffeurs d'autorickshaw pour nous conduire à la frontière indopakistanaise. Oui, la frontière. Non pas que nous ayons décidé de quitter l'Inde aujourd'hui, mais plutôt car la cérémonie quotidienne de fermeture est apparemment un événement à part entière. 17h, nous les laissons et rejoignons le flot de spectateurs en direction des tribunes. Carrément des tribunes! Et la cérémonie commence.

Mettez-vous dans l'ambiance :

Combien sommes-nous? 5000 peut être? De jeunes indiens fiers de leur patrie dansent au milieu, complètement déchaînes. Un chauffeur d'ambiance est la pour lancer des "Vindavan! Vindavan!" (vive l'Inde?) que le public reprend en chœur. Puis les militaires eux-mêmes se livrent à des performances vocales. Et à chaque acclamation indienne, répond un franc écho pakistanais; car leurs voisins sont juste en face, célébrant le même événement et tout aussi patriotiques. Seule différence que l'on peut distinguer au loin, les hommes et les femmes sont séparés. Il est difficile de qualifier cette cérémonie, à la fois officielle et orchestrée comme un show télévisé.

Quant aux militaires, ils adoptent des démarches pour le moins burlesques pour se présenter devant leurs homologues pakistanais : ils avancent vite, très vite et tête haute, montant les genoux jusqu'à mi poitrine, encouragés par les applaudissements du public. Le salut déchaîne la foule. Puis la grille s'ouvre, les "Vindavan!" reprennent, 2 soldats croisent les cordes qui servent à abaisser les drapeaux indiens et pakistanais, et la grille se referme à nouveau... jusqu'à la cérémonie de demain matin!

2

Poste frontière de Wagah. Ca y est, nous y sommes. Au Pakistan.

Les hommes sont habillés de longs ensembles tuniques pantalons amples et uniformes. On se salue : "Asalam aleikum" (que la paix soit avec toi), "Waleikum Salam" (qu'elle soit avec toi aussi). Ici la langue officielle est l'Urdu, mélange de persan et d'hindi. L'un des hommes nous proposent de changer nos roupies indiennes contre des roupies pakistanaises. Sur le trottoir, juste devant la banque officielle qui elle ne change pas les devises indiennes. Je suis amusée par la façon dont il sort cette énorme liasse de billets après avoir enfoui sa main dans sa tunique.

Ceci fait, on se dirige vers le bus pour Lahore.

Je suis invitée à monter devant, Pierre derrière. Car les hommes et les femmes ne voyagent pas ensemble. Dans la façon dont c'est agencé, c'est à première vue choquant pour moi. Une haute porte de fer sépare les deux compartiments. Mais une fois assise avec mes consœurs, je ressens une atmosphère tout à fait détendue, et beaucoup de respect de la part des deux seuls hommes tolères : le chauffeur, et le contrôleur! Les femmes sont vêtues du fameux shalwar kameez, cette tunique longue assortie d'un pantalon large et rehaussée d'un foulard. Les couleurs peuvent être chatoyantes et je trouve cet ensemble vraiment esthétique. Quant au foulard, la plupart d'entre elles en couvrent leur tête sans grande rigueur; d'autres, moins nombreuses, ne laissent apparaître que leur yeux; une enfin, s'est gantée les mains et, sous sa tunique, a recouvert chaque centimètre de peau grâce à un tissu blanc... Je suis surprise aussi par leur regard : certaines d'entre elles ont les yeux tellement clairs qu'ils ne sont ni bleus ni verts, mais presque transparents. Magnifique contraste avec le teint hale de leur peau.

Ces femmes me parlent, me sourient. De beaux sourires de bienvenue. Malheureusement, je ne comprends rien à toutes leurs questions, et pourtant qu'est ce que j'aimerais pouvoir leur répondre... Une lycéenne monte, charmante, et fait la traduction. Je suis impressionnée par son aisance en anglais. D'où viens-tu? Es-tu mariée ? As-tu des enfants? Cette dernière question, nous n'avons pas fini de l'entendre...!

Puis de jeunes écolières, plus timides celles-ci. Elles finissent par me dire leurs prénoms, et en descendant, l'une d'elles me tend son caramel. Je refuse comme je peux mais elle insiste tellement que je n'ai pas le choix! Le bus n'avance pas, nous nous arrêtons tous les 10 mètres et mettons presque 1h30 pour parcourir les 30 km qui nous séparent de Lahore. Oui mais pendant tout ce temps je n'ai fait que recevoir de magnifiques sourires de sympathie et de bienvenue : "Asalam Aleikum!"

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Écoutez cet extrait de musique récupéré chez un habitant rencontré au hasard de nos déambulations :

Lahore. Vieille Ville. Des rues étroites, abritées du soleil. Du monde qui se croise, se frôle, se frotte. Des bazars, plein de bazars. Mais contrairement aux apparences, ici c'est loin d'être le bazar. Chacun a sa place, son rang, sa fonction. Il y a le coin des couturiers, celui des bijoutiers, le coin des bouchers, celui des vendeurs d'épices (safran, cumin, cardamone) et de fruits secs (dates, abricots, amandes).

Nous pourrions nous croire en Inde, mais si des odeurs et des tableaux nous sont familiers, l'ambiance est différente. Le regard des gens est moins pesant. Curieux comme les indiens, mais bien moins intéressé par notre porte-monnaie, les pakistanais sont les plus accueillants que nous ayons rencontrés jusqu'à maintenant. Cette Vieille Ville, il fait bon s'y promener, loin des pots d'échappement, des autorickshaws qui pullulent, loin du trafic assourdissant des grandes artères poussiéreuses et encombrées. De fabuleux trésors se cachent au détour des échoppes des nombreux bazars que compte la cite. Comme la Mosquée Wazir Khan, un joyau du 17ème siècle, témoin resplendissant de l’ère Moghol.

la Mosquée Wazir Khan 

Parfois notre ballade se transforme en tournée électorale. On serre des pinces, on discute de tout et de rien. "What is your country name?" entendons-nous le plus souvent. "France", s'en suit un "Ah" admiratif, "France is a good country". "Which city?" "- Paris" "Oh ! Beautifull city !"

En réponse à toutes leurs questions, nous n'avons que deux petits mensonges : oui nous sommes mariés, et nous sommes chrétiens. Dans cette société très traditionnelle où les mariages sont arrangés, les liaisons non officialisées sont impensables, et il est inconcevable de ne pas croire en Dieu.

On nous propose un tchai, un Pepsi, il est important pour les pakistanais que nous nous sentions bien chez eux : "You are my guest". Ils ont à cœur de nous montrer les bons aspects de leur pays (qui n'en manque pas), car ils ont conscience que le Pakistan jouit d'une mauvaise réputation en Occident. Ils en veulent aux médias. L'un d'eux nous dit même sur un ton ironique : "Alors, vous venez rendre visite aux terroristes ?". Sans haine, ils fustigent cette stupide guerre en Irak et cette foutue croisade contre les terroristes islamistes, qui stigmatise depuis l'Europe et l'Amérique l'ensemble du monde musulman. Ils nous rappellent que dans les années 80, ce sont les américains qui ont armé, entraîné et supporté les Talibans Afghans pour résister par la Guerre Sainte à l'envahisseur communiste russe. Puis les ont laissé tomber comme "de vieux mouchoirs usagés" une fois le conflit terminé.

Dans les ruelles de Lahore 

Après l'échange des adresses email, quelques photos pour immortaliser ce moment, nous replongeons dans la vie du Bazard, pour de nouvelles aventures et de nouvelles rencontres. Nous ne pouvons répondre à toutes les invitations, car sinon nous passerions une semaine dans la même rue ! Nous repartons souvent avec de petits cadeaux: un caramel offert par un commerçant, un cahier de classe de la fabrique dans laquelle nous nous sommes arrêtés quelques instants, une poignée de cacahuètes du vendeur que nous venons de prendre en photo...

Une autre fois, un homme, un bébé dans les bras, nous invite chez lui pour boire le thé. Voyant notre hésitation, il s'empresse de nous demander si nous avons une urgence. Ben non, pas d'urgence... Alors aucune raison de ne pas entrer ! Anne-Laure se fait rapidement embarquer par les femmes de la maison, à l'écart des hommes, tandis que je reste avec notre ami dans sa chambre. Nous nous échangeons des morceaux de musique via ma clé USB et son ordinateur. Il est fasciné par toutes les photos que nous avons des autres pays, du coup il les télécharge toutes ! Lorsque Laurette redescend 30 minutes plus tard, elle est couverte de bijoux ! Un collier, une bague et les boucles d'oreille assorties, plus au moins 20 bracelets ! Ainsi va notre découverte de ce fabuleux pays. Alors à très bientôt pour de nouveaux récits.

4

L'endroit est bondé. Une fois les chaussures enlevées, nous avons du mal à nous frayer un chemin et à trouver une place parmi la foule déjà assise par terre. C'est que les shows des frères Saeen sont réputés et l'espace ou ils se produisent en plein air, minuscule... Tous les jeudis depuis des lustres les deux frères et un ami viennent faire résonner leurs tambours de 22 heures à ...

Ici, comme très souvent dans les lieux publics, il n'y a que des hommes. Les seules femmes sont des étrangères.

Lahore, capitale historique et culturelle du Pakistan, est une ville pleine de vie. Nous découvrons ce soir la que c'est également la capitale du haschich! Plutôt que de rouler des "cônes" en collant plusieurs feuilles, au Pakistan la tendance est au "joint cigarette". Sans en déchirer le papier, le tabac est d'abord retiré de la cigarette, puis mélange avec du chite, avant d'être retassé dans la clope. Ça évite d'acheter du papier à rouler et c'est aussi beaucoup plus discret.

Les frères arrivent. Ils en imposent, de vrais colosses. Ils ont de gros tambours qu'ils maintiennent sur leur ventre en bandoulière. Du moment où ils commencent à jouer, ils ne s'arrêtent plus. Un type est là pour les éponger, un autre pour récolter leurs crachats dans un pot. Il n'y a pas de scène, ils jouent au milieu du public compressé d'où émanent des fumerolles "épicées". L'un des deux frères est sourd et muet, ce qui rend sa performance musicale d'autant plus impressionnante. Son père lui aurait appris le rythme tout petit, en tapant (pas trop fort non plus...) sur son dos; il ressentirait maintenant les vibrations grâce à son abdomen. Le rythme des tambours est frénétique, leur synchronisation plus que parfaite.

Concert des frères Saeen, au milieu des fumerolles 

Tentez vous aussi de rentrer en transe au rythme fou des frères Saeen :

Au bout de deux heures, un groupe d'illuminés arrive, il faut leur faire de la place. Ils se mettent à danser de manière hallucinante au rythme des percussions. C'est comme s'ils cherchaient à rentrer en transe. Le gourou reste droit comme un "i" et pivote la tête à 180 degrés de gauche à droite tout en gesticulant des bras. Un petit ébouriffé fait des bonds sur place en montant les genoux à la poitrine. Un grand maigre habillé tout en rouge marche de manière saccadée pour faire sonner les clochettes accrochées à ses chevilles. Assistons-nous à une expression du mysticisme islamiste des Sufis?

Entre les fumeurs de pétards (qui tirent jusqu'à 5 joints en même temps) et ces illumimés qui gigotent dans ce vacarme musical, il faut que je me pince pour être bien sur que je ne suis pas en train de rêver !

Les musiciens s'arrêtent à 1h45, soient après 3h45 de percussions sans 1 minute d'interruption, un vrai marathon. Le public évacue tranquillement, la tête dans les vaps. Nous prenons un petit tchaï pour la route et au dodo. Mes rêves de cette nuit ne pourront égaler le spectacle extraordinaire de ce soir.

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Islamabad, capitale administrative du Pakistan. C'est une ville récente, construite dans les années 60. Pas vraiment représentative des autres villes du pays, c'est aéré, vert et peu pollué.

Nous y rencontrons Ali. Son frère ainé tient un café internet. Sa famille est aisée, il n'a pas vraiment besoin de travailler pour vivre. Sa femme l'a quitté et vit maintenant en Angleterre avec ses 4 enfants... Si bien qu’Ali trouve le temps long. Autant dire que lorsqu'une occasion de se distraire se présente, Ali saute dessus. Et l'occasion c'est souvent les étrangers qui passent dans le café internet. Il nous propose de nous emmener faire un tour sur les collines d'Islamabad: Les Marsala Hill. Nous prenons un taxi qui nous conduit sur une petite route sinueuse à 1300 mètres d'altitude. Le week-end, c'est une retraite prisée de la bourgeoisie pakistanaise, mais aussi des diplomates étrangers qui viennent trouver un peu de fraîcheur sur ces petites montagnes parsemées de restaurants avec vue sur la capitale. Mais aujourd'hui, jeudi, c'est plutôt désert. Nous nous engageons à pied sur un sentier, Ali veut nous montrer une "monkey place", à un mile de la route. En fait, nous marchons 1h30 avant d'arriver à un temple soufi accroche à la pente, ou des pèlerins, surtout des femmes, viennent faire leurs prières. Les soufistes sont musulmans, mais vénèrent également les esprits et certains sages qui sont restés dans l'histoire pour des faits extraordinaires. Ils adorent les légendes et croient aux mythes. On nous dit qu'ici, tous les vendredis, un lion vient faire le ménage avec sa queue.

Le temple où nous nous trouvons ce matin est vénéré par les femmes ayant des problèmes de fertilité. Au Pakistan, la question qui vient juste âpres celle de savoir nous sommes maries, c'est celle du nombre d'enfants. Et quand nous répondons que nous n'en avons pas, les gens paraissent étonnés. Comment peut-on être marié et ne pas avoir d'enfant ? Ainsi, les femmes subissent une forte pression pour enfanter et c'est une malédiction si elles ne tombent pas enceintes dans les 2 ans du mariage. Ici, plutôt que de s'en remettre à la médecine, on se tourne vers Dieu. Une des femmes rencontrée sur le chemin nous montre fièrement son bébé qu’elle a eu après 13 ans d’attente !

Nous nous dirigeons vers un autre endroit, tout aussi sacré pour les Soufis. Bari Imam, un guide spirituel, y serait resté 12 ans immergé dans l’eau, sans que sa peau ne pourrisse et ne serve de nourriture aux poissons ! Nous n’avons pas bien compris si sa tête aussi était sous l’eau… Mais effectivement, c’est une sacrée performance...

Nous poursuivons notre route. Cette fois, Ali tient à nous emmener sur la tombe de ses parents. Nous nous éloignons du centre ville pour arriver sur un grand terrain vague, entouré de zones résidentielles et commerciales. Les tombes sont là, sur des terres qui appartiennent à la famille. Le père d'Ali était aussi propriétaire de tous les terrains autour, mais il a été contraint de les vendre à l’État pour une bouchée de pain. Il y a aussi un temple Soufi, et Ali s'empresse de nous présenter le maître des lieux. C'est un descendant direct du Prophète Mahomet ! A cet endroit, le temple a été érigé pour vénérer un sage qui serait reste 40 ans à méditer sur une seule jambe.Nous allons de découvertes en découvertes. Plus nous en apprenons sur ce pays, plus il nous intrigue, nous intéresse, et plus les questions surgissent. Que nous réserve la suite ? Peshawar et ses Pachtounes, à 50 Kms de la frontière afghane, se profile déjà à l'horizon.

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Peshawar est une des villes les plus conservative du pays. Contrairement à Lahore ou Islamabad, nous y voyons un nombre conséquent de femmes qui portent la burka. Toutes les femmes sans exception ont la tête couverte et la plupart se cachent le nez et le bas du visage. Même si le regard que nous portent les habitants est différent des autres cités, l'accueil est toujours aussi chaleureux. Nous nous précipitons dans la Vieille Ville et son bazar, et retrouvons les mêmes sensations, odeurs, couleurs qu'à Lahore. Ici nous prenons un thé chez un dentiste, là nous nous arrêtons discuter avec un couturier.

Dans la mosquée Mahabat Khan nous faisons la connaissance d'un étudiant en théologie. Il nous apprend que Peshawar accueille de nombreuses écoles coraniques (madrasah) réputées. Par curiosité et par désir d'en savoir plus sur l'enseignement prodigué dans ces écoles, nous décidons de rendre visite à l'une d'elles. L'école où nous arrivons fait partie intégrante d'une mosquée. Un homme nous invite à entrer dans une petite salle de prière. Il y a une caméra, 2 journalistes, et une dizaine de personnes. On y célèbre une "petite victoire" de l'Islam sur la Chrétienté. Un homme de confession chrétienne vient en effet de se convertir à l'Islam, sous les flashs des journalistes. Ce sont ses voisins musulmans qui l'ont accompagné ici, ils nous expliquent à plusieurs reprises que cet homme a fait ce choix de son plein gré, en toute connaissance de cause, ce dont nous ne doutons pas un instant. Nous posons la question au journaliste si ce genre de conversion est fréquent, "très fréquent" nous répond-il. "Et dans le sens inverse ?" "Jamais !" nous affirme t'il. On nous demande ce que nous pensons de la décision de cet homme. Nous répondons que c'est son choix et espérons qu'il sera très heureux en tant que musulman.

S'ensuivent 20 minutes de discussion visant à nous rassurer sur la religion musulmane: "L'Islam est une religion de paix", "Allah condamne le meurtre de tout innocent, même si celui-ci n'est pas musulman". "Les chrétiens sont nos frères, nous les respectons". "La femme a les mêmes droits que l'homme, je te considère comme ma sœur"... Car systématiquement (à cause de l'actualité sans doute) les gens que nous rencontrons ont besoin de se justifier par rapport aux bonnes intentions prêchées par l'Islam. Nous n'en avons jamais doute.

mosquée Mahabat Khan 

Sauf qu'aujourd'hui, le discours glisse peu à peu vers l'extrémisme radical, voire fanatique au fur et à mesure que nous visitons la madrasah. Nous apprenons qu'elle accueille 1000 Talibans, des étudiants en religion. Ils sont en congé et ne reprendrons les cours que demain. Tout est "free of coast": Ils sont logés, nourris et instruits par l'institution qui vit à l'aide des donations de riches fidèles. Ces élèves sont âgés de 12 à 30 ans et sont souvent issus de milieux extrêmement pauvres dont les parents n'ont pas les moyens de soutenir leurs études dans les écoles publiques où il faut payer certains frais comme la nourriture, l'uniforme, le matériel scolaire. Nous demandons au responsable des lieux sa position sur le voile des femmes, si un simple foulard suffit ou s'il faut que les femmes portent le hijab (foulard couvrant les cheveux mais laissant apparaître le visage) ou la burka (pièce de tissu couvrant la femme des pieds à la tête, et lui cachant également les yeux). La réponse est claire, c'est la burka pour toutes les femmes. Il explique même que selon lui la tenue d'Anne-Laure est "illégale" car ses avants bras ne sont pas couverts. Ne portant pas la burka mais juste un voile sur la tête, elle n'est de toute façon pas conforme. Tout cela dans le but de protéger la Femme, qui nous vous le rappelons a les mêmes droits que l'Homme, toujours selon ce Monsieur. "Mais pourquoi l'Homme ne se couvre pas de la même façon ?" demande t'on naïvement. La réponse est claire :"l'Homme c'est l'Homme, la Femme c'est la Femme!"

Le journaliste nous explique que ces étudiants et leurs responsables militent pour l'application de la charia au Pakistan. Une charia basée sur le même modèle que celui mis en place par le régime des Talibans en Afghanistan en 1996. Les femmes à la maison, des écoles coraniques uniquement... Pour eux la religion a réponse à tous les problèmes du monde et de la société, il suffit de suivre les enseignements du Coran, avec l'interprétation bien particulière que lui donnent les Talibans. Lorsque nous demandons pourquoi les femmes ne peuvent pas travailler, la réponse est maligne. Pour lui, les femmes n'ont pas besoin de travailler, l'Etat Islamique se charge de pourvoir à ses besoins si son mari ne le peut.

"Cette vie est un test". C'est comme cela que nos interlocuteurs conçoivent leur passage sur Terre. Le lien avec eux et les kamikazes qui se font sauter en Afghanistan, en Irak et ailleurs coule vite de source. Tout est bon pour ce faire une place au Paradis. Si l'on peut comprendre qu'ils ne supportent pas la présence américaine au Moyen-Orient et qu'ils luttent contre avec les moyens qui sont les leurs, nous sommes interloqués par la réponse qu'ils nous apportent sur le déchirement entre Sunnites et Chiites dont l'Irak est l'effroyable théâtre en ce moment : "Les chiites vénèrent des saints, ils sont polythéistes ! Ce sont des infidèles, ce ne sont pas des musulmans."

Nous ressortons de la Madrasah un peu abasourdis par ce que nous venons d'entendre. D'autant plus que cet endroit est situe en plein milieu de la ville, que cette mosquée est forcement connue des services du gouvernement. Il faut dire que le Pakistan traverse actuellement une crise d'identité religieuse. Tous les jours, nous lisons dans le journal des articles qui prônent un Islam modéré. L'immense majorité des pakistanais ne se reconnait pas dans ce discours extrême, mais certains d'entre eux finissent pas y basculer par désespoir ou par colère. Toutes les madrasah du pays sont loin de prôner une telle vision, et d'ailleurs les habitants sont fatigués de l'amalgame "madrasah = école à terroristes" qui est sans cesse fait en Occident. Mais force est de constater qu'il existe bien des lieux comme cela.

Le bombardement en août 2006 par l'aviation américaine d'une madrasah pakistanaise faisant 82 victimes dont bon nombre d'enfants ne fait qu'attiser la haine et ne résout en aucun cas le problème. Il faudrait en revanche développer des écoles, faire des efforts gigantesques pour l'éducation des enfants (et surtout les défavorisés) afin que leurs familles aient une alternative aux écoles coraniques non gérées par le gouvernement. Musharraf, le "Président" (général arrivé au pouvoir par à un coup d'Etat), a aujourd'hui le cul entre deux chaises : D'un côté les religieux conservateurs l'accusent d'être un pantin manipulé par les américains, de l'autre, les américains qui le soutiennent encore, lui reprochent de ne pas être assez ferme avec les intégristes du pays. Un peu plus de diplomatie et de dialogue face à moins de violence devraient un jour permettre à toutes les parties de s'entendre...

Dans la vieille ville de Peshawar 
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Depuis Peshawar, nous voulons rejoindre Chitral à 300 Kms plus au nord. Apres Lahore, Islamabad, Peshawar et leur lot de pollution, il nous tarde de retrouver le grand air et les contreforts de l'Himalaya. Chitral est connu pour abriter dans 3 de ses vallées le peuple Kalache, une éthnie qui est parvenue, malgré le prosélytisme de l'Islam, à conserver ses propres croyances, langues et traditions. Les Kalashas, c'est un peu Astérix contre les Romains. La légende dit que ses habitants sont les descendants d'Alexandre le Grand... Malheureusement, le Lowari Pass, unique porte d'entrée dans le district est fermé. De fortes chutes de neige ont coupé la route et pire encore, des avalanches ont emporté des maisons et la vie de 50 personnes.

Nous décidons d'aller patienter dans la vallée de Swat, le col sera peut être ouvert dans quelques jours. Nous nous retrouvons donc à Madyan, dans la guest House tenue par Fida. Ce n'est pas lui qui nous accueille, mais son fils et Ali. Ali est policier. Depuis que des randonneurs ont fait quelques mauvaises rencontres, il est charge par le gouvernement d'accompagner les touristes qui veulent faire des ballades dans la région. "It's my duty" comme il dit. Le Pakistan a déjà assez mauvaise réputation comme ça alors les autorités font tout pour que les visiteurs passent un bon séjour, jusqu'à leur coller des escortes militaires pour traverser certaines régions...

Fida et son fils, et Ali le policier 

Nous partons donc avec Ali et son fusil des le lendemain pour 5 à 6 heures de marche dans les petits villages alentours. Nous sommes surpris de voir à quel point chaque petite vallée est habitée, chaque parcelle de terrain cultivée. Il y a des maisons jusque sur les arrêtes, des champs en terrasse ont été parfois façonnés dans des pentes très raides. Nous mesurons aussi la pression exercée par l'homme sur l'environnement. Ce qui était autrefois recouvert de forêts a été littéralement transforme par les habitants pour qu'ils puissent y développer leurs cultures et se nourrir. La population continuant à augmenter, les paysans doivent monter toujours plus haut et déforester encore plus. Les conséquences sont parfois désastreuses car cette situation favorise les glissements de terrains et les avalanches.

L'accueil des gens est chaleureux, empreint d'une certaine curiosité. C'est souvent que les familles se retrouvent sur les toits plats de leurs maisons à nous observer passer. Nous faisons des signes de la main, les enfants nous répondent timidement. Lorsque je regarde les femmes, elles détournent la tête ou se cachent le visage avec leur voile. Si c'est Anne-Laure qui les regarde, elle a droit à de grands sourires !

Ali se trouve être un excellent guide. Il connait sûrement mieux la vallée que le fonctionnement de son fusil dont il n'a jamais eu à se servir. Sa compagnie est agréable et enrichissante, il parle bien anglais et on peut discuter de tout. L'invitation à boire le thé ne tarde pas à arriver. C'est un vieil homme à la barbe et aux cheveux blancs. Il est beau, élégant. Deux traits noirs de khôl soulignent la profondeur de son regard. Il nous fait entrer dans sa maison, nous présente sa femme qui s'empresse de serrer Anne-Laure dans ses bras. Accrochée à la pente, leur maison d'une grande rusticité est très bien tenue et décorée. Le panorama est bucolique : un torrent en contrebas, des champs en terrasse, des montagnes aux sommets enneigés. Ali fait l'interprète. Il échange avec notre ôte (dont la langue maternelle est le kohistani) en pashto, la langue régionale. Peu de gens savent lire et écrire. Les enfants, lorsqu'ils vont à l'école, dépassent rarement le stade de l'école primaire. Le collège est bien trop loin et ils sont plus utiles à aider leur famille dans les champs. Pour les files c'est encore pire, elles sont entre 60 et 70% à être illettrées sur l'ensemble du territoire.

Les rencontres dans la vallée de Swat 

Nous reprenons notre chemin. Nous nous relevons encore, sur un sentier à flanc de montagne. Peu avant de plonger vers la route principale, nous sommes de nouveau invités pour une pause. Nous n'avons pas fait 500 mètres et pourtant les coutumes de cette famille sont compléments différentes. Impossible de voir les femmes, elles restent cloîtrées dans leur maison. Seule Anne-Laure aura la chance d'aller furtivement leur serrer la main.

Nous passons ainsi 3 jours de village en village autour de Madyan. Mais il est bientôt l'heure de repartir vers de nouveaux horizons. Le Lowari Pass étant toujours fermé, nous rejoindrons plus tôt que prévu la célèbre Karakoram Highway, la route vers la Chine. Nous découvrirons les Kalasha Valley une autre fois. Désormais, un géant nous attend : Le Nanga Parbat et ses 8125 mètres.

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En route pour les grands espaces du Karakorum (Montez le son et fermez les yeux !) :

Cette histoire (ce conte devrais-je dire) commence à Chilas, une bourgade déprimante postée au bord de la KKH, la KaraKoram Highway. Dans les rues sales, il n'y a que des hommes, les femmes sont à la maison. Anne-Laure ne passe pas inaperçue. A Chilas, la télévision est interdite, ça vous donne une idée de l'ouverture d'esprit des dirigeants du coin... Cette partie de la Vallée de l'Hindus est inhospitalière. Les montagnes sont nues, minérales. L'hiver il y fait un froid de canard et l'été c'est la fournaise. A moins de longer les murs, il n'y a pas un arbre pour se mettre à l'ombre. L'hôtel est peu reluisant, les deux restos de la rue principale peu engageants. Nous sommes tout d'abord contrôlés par les militaires, puis par la police qui nous demande d'aller nous enregistrer au commissariat. Ils sont aimables et nous laissent même leur numéro de portable au cas ou...

Les camions pakistanais 

Même si avec le temps, nous avons appris à prendre un peu de recul sur les émotions que procurent les aléas du voyage, le moral peut monter aussi rapidement haut qu'il peut descendre bas. Là, il est bas. Mais il ne tarde pas à remonter un peu avec la rencontre de Malik. Malik travaille pour le gouvernement. Il forme des professeurs et travaille plus largement à un grand programme d'éducation sponsorisé par la Communauté Européenne (20 millions d'euros sur 5 ans) pour promouvoir la scolarisation des filles dans les régions du nord du Pakistan. Il nous explique que, même si les esprits évoluent tout doucement, sa tache n'est pas des plus facile à Chilas... C'est clair, ce n’est pas gagné.

Une heure trente de minibus le lendemain matin nous amène au point de départ d'une randonnée réputée : Le trek de Fairy Meadow, un belvédère qui offre une vue magique sur l'un des 14 géants de la planète, le Nanga Parbat (8125m). Nous louons une jeep pour gravir les 1300 mètres de dénivelé jusqu'au village de Jhel, le bout de la piste. Depuis Jhel, il nous restera 3 heures de marche et 700 mètres à grimper pour atteindre Fairy Meadow. Nous sommes le 10 avril et la saison de trekking n'a pas encore démarré. Nous nous renseignons donc sur la praticabilité de la route et surtout demandons si les refuges sont ouverts là-haut. Nous n'avons pas de tente, rien pour cuisiner, nous ne voudrions pas nous retrouver seuls à 3300 mètres sans rien pour dormir et manger. Pas de problème nous assure-t-on. Le temps est au beau fixe, nous grimpons... dans la jeep.

La piste pour monter à Fairy Meadow 

Laurette prend place à côté du chauffeur, et moi à côté d'elle, côté portière passager (qui est à gauche au Pakistan). Les trois premiers Kms de cette piste réputée effrayante me font doucement rigoler. C'est raide, caillouteux, mais pas de quoi écrire "hair rising" comme c'est indiqué dans les guides de voyage. Le chauffeur s'arrête une première fois pour remettre de l'eau dans le radiateur, nous repartons pour les 7 Kms restant. La jeep passe derrière la montagne et mes impressions changent rapidement. Nous nous retrouvons à flanc de précipice sur un chemin de la largeur du 4x4. Le canyon est de "mon" coté et lorsque je passe la tête à l'extérieur, je ne vois ni le fond, ni la pente, trop pentue. La piste est suspendue dans le vide, maintenue par des fondations en pierres sans ciment qui défient les lois de la gravité. Nous nous arrêtons une deuxième fois. Un mini éboulement a quelque peu recouvert la piste. Le chauffeur sort pour déblayer et aplanir la surface, mais voilà qu'un second éboulement se produit et qu'une roche d'un mètre de diamètre l'emporte dans le vide juste sous nos yeux !!! Non je déconne. N'empêche que nous préférons passer à pied ce passage délicat, laissant le chauffeur à la manœuvre. Nous regardons la jeep se pencher doucement du coté du précipice, elle (ils) passe(ent) sans problème.

Nos posons pied à terre (enfin) à Jhel avec soulagement, après 1 heure de piste. Nous nous promettons de redescendre à pied ces 10 Kms vertigineux, ce sera bien moins impressionnant. La rando peut commencer. Il fait beau, chaud, le sentier est facile. Des sapins couvrent les montagnes, le Nanga Parbat immaculé est imprimé en toile de fond. Après une heure de marche, nous croisons deux paysans qui descendent du bois au village. La discussion s'engage et ils nous apprennent vite que tout est fermé plus haut (merci les gars d'en bas...), mais qu'ayant leur propre refuge ils sont prêts à nous ouvrir une chambre et à nous préparer à manger. Quelle chance, nous aurions eu l'air bien malin tous seuls à Fairy Meadow. Nous convenons d'un prix pour 2 nuits et reprenons notre route. Notre nouvel ami nous rejoindra dans quelques heures après avoir descendu son bois et préparé les provisions. Nous atteignons Fairy Meadow à 15 heures. Effectivement, il n'y a personne. Nous entamons nos maigres provisions (1 chapati, 1 concombre et 1 pomme) devant un panorama splendide en rêvant au bon dîner de ce soir.

17h. Notre homme n'est toujours pas là.

18h. Non plus. Nous décidons de faire un feu et repérons quelques endroits ou nous pourrions dormir au cas ou... Un refuge en construction pourrait faire l'affaire. Il n'a qu'un toit ouvert aux 4 vents. Deux tables en bois pourraient nous servir de lit.

19h. La nuit tombe, c'est clair, il ne viendra pas. Le dîner est frugal : re-chapati, re-concombre, re-pomme. Demain, Inch Allah, nous serons obligés de redescendre faute de provision. La température chute, mais le feu dégage une chaleur agréable. L'ombre du Nanga Parbat se découpe dans la nuit étoile. Nous enfilons notre laine polaire, notre bonnet, une deuxième paire de chaussettes et nous glissons dans nos sacs de couchage déplumes...

20h. Le vent se lève. La nuit étoile se pare de nuages. Puis la neige tombe. Des bourrasques en projettent sous "notre toit". Impossible de mieux s'abriter. Sortir du sac pour se refroidir et congeler sur place ? Le feu de bois n'est plus qu'un vieux souvenir. Ce sont d'abord mes pieds qui picotent. Puis mes épaules, le bas du dos, les articulations. Je souffle dans le creux de mes mains, pour tenter de réchauffer ce qui peut l'être. Mais doucement le froid fait son œuvre. Il endolorit, tétanise, anesthésie. Je me sens partir, lentement, sans heurt, sans douleur...

Je suis réveillé par quelque chose de chaud et humide. Lorsque j'ouvre les yeux, je manque de pousser un cri de terreur : c'est un loup qui me lèche ! Est-il en train de goûter son dîner ? J'ai un mouvement de recul. Puis je me rends compte que c'est une louve. Elle est grise-argentée, son regard est doux, paisible. Elle fait ça pour me réchauffer! Deux louveteaux sont en train de lécher le visage de Laurette qui est tout bleu. Elle dort profondément. Je m'extirpe de mon duvet, et ravive le feu. La louve s'en va se rouler en boule autour de Laurette qui a retrouvé des couleurs, tandis que les deux louveteaux viennent se pelotonner dans mon sac de couchage. Je me rendors, serein.

Au petit matin, le soleil irradie le sommet du Nanga Parbat. Une sensation étrange d'avoir fait un drôle de rêve... La neige de la nuit a disparu. Seul un névé subsiste devant notre abri. Un névé sur lequel on peut deviner des traces... de loups !

Le Nanga Parbat 
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"C'est un petit peu tôt dans la saison, vous savez. La meilleure saison c'est de juin à août". Cette phrase, au Pakistan, nous l'avons entendue presque tous les jours, ou du moins à chaque fois que nous avons émis l'idée de planifier de longs treks en montagne. Nous avons donc vite abandonné cette idée, les sentiers étant encore recouverts de neige au mois d'avril, ce qui les rend impraticables. Mais nos envies de grands espaces ne s'arrêtant pas là, nous nous sommes rabattus sur des randonnées à la journée.

Depuis Gilgit, on quitte la KKH et après 3 heures de route, nous arrivons dans la vallée d'Astor. Notre idée est de marcher jusqu'au lac de Rama, réputé magnifique. A peine descendus du minibus, un policier nous accueille et nous demande nos intentions. "Le lac de Rama? Oui, bien sur, vous pouvez y accéder à pieds sans problème de neige; oui, bien sur, vous pouvez aussi y passer la nuit, les hôtels sont déjà ouverts la haut, et vous n'avez même pas besoin de réserver en cette saison". Nous voilà enchantés. Entre temps, un attroupement s'est crée; notre policier discute avec quelques locaux, et en cinq minutes le discours change : "euh, non, en fait les hôtels sont fermés. Il vous faudra donc faire l'aller-retour à pieds dans la journée". Tant pis, nous sommes un peu déçus, mais au moins nous savons à quoi nous en tenir. Nous partirons donc demain matin tôt, pique niquerons au bord du lac, et redescendrons à Astor pour la nuit. Mais après notre mésaventure du Nanga Parbat, nous préférons tout de même avoir un deuxième avis, et nous en referons à "l'assistant ingénieur", fonctionnaire chargé d'informer et d'aider les touristes dans leur séjour. Nous sommes chaleureusement reçus avec le traditionnel tchaï (thé au lait) et des biscuits. Lui aussi nous confirme que nous ne pourrons pas dormir au lac, mais aucun problème pour aller y passer la journée.

Nous quittons donc Astor à pieds le lendemain matin, et nous relevons doucement en haut du village, au milieu des cultures en terrasse. Il fait déjà chaud, et lorsque deux paysans en tracteur nous proposent de monter pour un bout de route, nous ne refusons pas! L'un d'eux, souriant, pousse la chansonnette en conduisant; j'aime cette image de douceur de vivre, au milieu des montagnes. On les remercie, "choukriya choukriya", et on continue dans la forêt de pins. Au fond, les montagnes enneigées nous promettent un panorama magique. On suit le sentier, mais rapidement de la neige apparaît. Ca nous rend plutôt joyeux au début. Mais dans l'ombre des pins la neige abonde de plus en plus, et ça devient vraiment difficile d'avancer : on s'enfonce jusqu'à mi-cuisses à chaque pas! A quelle distance se trouve le lac? Encore une heure de route d'après le plan. Il faut se rendre à l'évidence, il y a bien trop de neige pour pouvoir l'atteindre. On est obligés de renoncer pour cette fois. Mais la compensation est tout de même belle : on pique nique au soleil, dans une petite clairière au milieu de la forêt de pins et de la neige, seuls dans le calme absolu. Lorsque tout à coup on entend du bruit, et on voit un homme couper du bois. On se fait des signes de la main, et tout de suite il nous invite à prendre un thé dans l'hôtel adjacent qu'il entretient, malgré qu'il soit fermé et recouvert de neige! Il nous confirme que c'est en effet impossible d'aller plus loin... "Un peu tôt dans la saison" nous dit-il. Oui, oui, on sait... On redescend au village tous les trois.

Si nous n'avons pas vu le lac, notre visite à Astor nous permet de revoir Malik, rencontre précédemment à Chilas. Il nous présente à ses collègues, et grâce à cette joyeuse équipe nous passons un agréable moment à nous balader, à boire du thé (oui c'est un sport national!) et nous avons même la chance de rencontrer des musiciens traditionnels de Hunza, qui jouent un échantillon de leur répertoire spécialement pour nous.

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La route continue le long de la Karakorum Highway... Prochaine vallée, un peu à l'écart de la KKH, celle de Chalt. On se fait déposer sur la route, et on marche vers le petit village, à 3-4 kilomètres de là. Parmi les vallées qui nous entourent, nous choisissons celle de Chaprot pour aller nous balader. Le village de Chaprot est à une heure de marche, et nous sommes régulièrement salués. Les sourires fusent. Les femmes dans les champs ou depuis leurs toits, les hommes sur le pas de leur porte. En tant que femme, j'ai un rapport privilégie avec mes consœurs. Je les prends en photo, et de jeunes écolières m'emboîtent le pas, timides et intriguées. Elles sont en uniforme scolaire : une tunique bleue ciel et un voile blanc. Quand elles se mettent à courir toute ensemble, on dirait de petits fantômes qui s'envolent!

Quant à la vallée, elle est magnifique. Autour de nous tous les arbres fruitiers en fleurs, les maisons de pierre aux toits plats, les marmites sur le feu dans les jardins, le chemin guide par les murets de pierre, et au fond, tout au fond, la blancheur du Rakaposhi. Et toujours des sourires. La première invitation pour un tchaï ne tarde pas : un homme qui travaille avec ses enfants, ils fabriquent des parpaings. Lorsqu'apparait un policier essoufflé avec son bâton. Il va nous accompagner, nous dit-on. Une nouvelle directive du gouvernement. On ne se sentait franchement pas menacés, mais si le gouvernement l'a décidé ... nous n'avons pas le choix! Il prend son thé lui aussi, puis on continue tous les trois, le long d'une des nombreuses et ingénieuses canalisations d'eau qui irriguent toute la vallée, pour donner plus tard abricots, pêches, cerises et noix. La ballade sous le soleil est longue : on prend de la hauteur, on traverse un névé, on rattrape le sentier précédemment écroulé, on passe de l'autre cote de la rivière, et on se fait à nouveau inviter pour un thé. Après nos sept heures de marche, Suuliman, notre policier, a l'air épuisé!

Dans la vallée de Chaprot 

La prochaine étape est Minapin, une heure de route vers l'Est, le long de la rivière Hunza, quelques kilomètres au-dessus de la KKH. Le gérant de la guesthouse veut nous offrir un thé de bienvenue, mais nous sommes impatients d'aller marcher, pour atteindre plus haut un point de vue sur le Rakaposhi. Il nous met donc sur la bonne "route", même si nous ne pourrons atteindre que le point de vue et pas le camp de base nous dit-il, car il y a trop de neige. C'est encore un peu tôt dans la saison. Oui, on sait! Une première heure de marche nous conduit à une verte prairie où broutent tranquillement des vaches. On continue à monter jusqu'à une autre prairie, parsemée de petites bergeries en pierre. La fin du sentier est difficile à trouver en effet, à cause de la neige. Il faut évaluer le passage "à vue", mais j'ai un guide particulier qui fait ça très bien! Après 4 heures de grimpette, nous voilà complètement époustouflés devant le spectacle qui s'offre à nous. Brutalement, car on ne devinait rien jusqu'à ce fameux point de vue. Un des plus beaux panoramas qu'on n'ait jamais vus. Le Rakaposhi se dresse, noble, à notre droite. A ses pieds une mer de glace, parcourue par des crevasses bleutées. Des pics dirigés vers le ciel, sculptés par le vent et la pression du glacier, monstre de blancheur qui avance tout doucement. J'ai une pensée étrange, je me dis que c'est le genre de paysage à rendre fou. Mais le vent glacial qui souffle sur ce beau point de vue nous pousse à redescendre après une demi-heure de contemplation. Dommage, car je crois qu'on aurait pu admirer ce spectacle pendant très longtemps...

Le Rakaposhi et sa mer de glace 
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Le long de la rivère Hunza avec au fond le sommet du Rakaposhi (7788 m) 
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Nous ne voudrions pas quitter le Pakistan sans dire un très grand "choukria" à Jamshed et à sa famille si sympathique. Nous avons rencontré Jamshed un jour que nous marchions dans la rue à Taxila, non loin d'Islamabad. Il était chez son ami médecin. Nous voyant passer, il nous interpella prétextant que le médecin voulait discuter avec nous. En fait, c'était Jamshed qui voulait nous parler, nous n'avions plus qu’à l'écouter. Jamshed est Professeur à l'Université et prépare actuellement une thèse sur "Les changements dans la politique extérieure du Pakistan depuis les attentats du 11 septembre 2001". Vaste programme.

Visite des environs de Taxila avec Jamshed et 3 de ses enfants 

Une heure plus tard, le cabinet fermant ses portes, Jamshed nous proposa de continuer la discussion chez lui autour ... d'un thé (pour la bière bien fraîche, il faudra attendre la Chine!). Le lendemain matin, il envoya ses enfants nous chercher pour passer prendre le petit déjeuner. Puis il se transforma en guide pour nous faire visiter en voiture les environs de Taxila et ses excavations de sites bouddhistes. Nous avons apprécié son ouverture d'esprit, sa curiosité et l'accueil chaleureux que nous a réservé sa famille.

C'est le moment aussi de dire un grand Choukria à tous les pakistanais qui nous ont ouvert les portes de chez eux pour un thé, une discussion, un moment de partage.

Voilà comment nous avons été reçus dans un pays qu'il est formellement déconseillé de visiter si l'on consulte le site internet du Ministère des Affaires Étrangères. Il y a eu des attentats à Bangkok, à Madrid, à Londres. Des dizaines de touristes disparaissent chaque année en Inde, déconseille t-on pour autant de visiter ces pays ? Non bien sur ! Certes, la situation intérieure du Pakistan n'est pas des plus stable, mais les touristes sont rarement pris pour cible. Il est important d'être prudent, de respecter quelques règles de bon sens, et de ne pas s'aventurer dans certaines zones qui sont de toute façon interdites.

Allez au Pakistan, c'est le seul conseil que nous pouvons donner à tous les voyageurs, vous ne serez pas déçu !

Khunjerab pass (4693 m), frontière entre le Pakistan et la Chine