En route pour les grands espaces du Karakorum (Montez le son et fermez les yeux !) :
Cette histoire (ce conte devrais-je dire) commence à Chilas, une bourgade déprimante postée au bord de la KKH, la KaraKoram Highway. Dans les rues sales, il n'y a que des hommes, les femmes sont à la maison. Anne-Laure ne passe pas inaperçue. A Chilas, la télévision est interdite, ça vous donne une idée de l'ouverture d'esprit des dirigeants du coin... Cette partie de la Vallée de l'Hindus est inhospitalière. Les montagnes sont nues, minérales. L'hiver il y fait un froid de canard et l'été c'est la fournaise. A moins de longer les murs, il n'y a pas un arbre pour se mettre à l'ombre. L'hôtel est peu reluisant, les deux restos de la rue principale peu engageants. Nous sommes tout d'abord contrôlés par les militaires, puis par la police qui nous demande d'aller nous enregistrer au commissariat. Ils sont aimables et nous laissent même leur numéro de portable au cas ou...
Les camions pakistanais Même si avec le temps, nous avons appris à prendre un peu de recul sur les émotions que procurent les aléas du voyage, le moral peut monter aussi rapidement haut qu'il peut descendre bas. Là, il est bas. Mais il ne tarde pas à remonter un peu avec la rencontre de Malik. Malik travaille pour le gouvernement. Il forme des professeurs et travaille plus largement à un grand programme d'éducation sponsorisé par la Communauté Européenne (20 millions d'euros sur 5 ans) pour promouvoir la scolarisation des filles dans les régions du nord du Pakistan. Il nous explique que, même si les esprits évoluent tout doucement, sa tache n'est pas des plus facile à Chilas... C'est clair, ce n’est pas gagné.
Une heure trente de minibus le lendemain matin nous amène au point de départ d'une randonnée réputée : Le trek de Fairy Meadow, un belvédère qui offre une vue magique sur l'un des 14 géants de la planète, le Nanga Parbat (8125m). Nous louons une jeep pour gravir les 1300 mètres de dénivelé jusqu'au village de Jhel, le bout de la piste. Depuis Jhel, il nous restera 3 heures de marche et 700 mètres à grimper pour atteindre Fairy Meadow. Nous sommes le 10 avril et la saison de trekking n'a pas encore démarré. Nous nous renseignons donc sur la praticabilité de la route et surtout demandons si les refuges sont ouverts là-haut. Nous n'avons pas de tente, rien pour cuisiner, nous ne voudrions pas nous retrouver seuls à 3300 mètres sans rien pour dormir et manger. Pas de problème nous assure-t-on. Le temps est au beau fixe, nous grimpons... dans la jeep.
La piste pour monter à Fairy Meadow Laurette prend place à côté du chauffeur, et moi à côté d'elle, côté portière passager (qui est à gauche au Pakistan). Les trois premiers Kms de cette piste réputée effrayante me font doucement rigoler. C'est raide, caillouteux, mais pas de quoi écrire "hair rising" comme c'est indiqué dans les guides de voyage. Le chauffeur s'arrête une première fois pour remettre de l'eau dans le radiateur, nous repartons pour les 7 Kms restant. La jeep passe derrière la montagne et mes impressions changent rapidement. Nous nous retrouvons à flanc de précipice sur un chemin de la largeur du 4x4. Le canyon est de "mon" coté et lorsque je passe la tête à l'extérieur, je ne vois ni le fond, ni la pente, trop pentue. La piste est suspendue dans le vide, maintenue par des fondations en pierres sans ciment qui défient les lois de la gravité. Nous nous arrêtons une deuxième fois. Un mini éboulement a quelque peu recouvert la piste. Le chauffeur sort pour déblayer et aplanir la surface, mais voilà qu'un second éboulement se produit et qu'une roche d'un mètre de diamètre l'emporte dans le vide juste sous nos yeux !!! Non je déconne. N'empêche que nous préférons passer à pied ce passage délicat, laissant le chauffeur à la manœuvre. Nous regardons la jeep se pencher doucement du coté du précipice, elle (ils) passe(ent) sans problème.
Nos posons pied à terre (enfin) à Jhel avec soulagement, après 1 heure de piste. Nous nous promettons de redescendre à pied ces 10 Kms vertigineux, ce sera bien moins impressionnant. La rando peut commencer. Il fait beau, chaud, le sentier est facile. Des sapins couvrent les montagnes, le Nanga Parbat immaculé est imprimé en toile de fond. Après une heure de marche, nous croisons deux paysans qui descendent du bois au village. La discussion s'engage et ils nous apprennent vite que tout est fermé plus haut (merci les gars d'en bas...), mais qu'ayant leur propre refuge ils sont prêts à nous ouvrir une chambre et à nous préparer à manger. Quelle chance, nous aurions eu l'air bien malin tous seuls à Fairy Meadow. Nous convenons d'un prix pour 2 nuits et reprenons notre route. Notre nouvel ami nous rejoindra dans quelques heures après avoir descendu son bois et préparé les provisions. Nous atteignons Fairy Meadow à 15 heures. Effectivement, il n'y a personne. Nous entamons nos maigres provisions (1 chapati, 1 concombre et 1 pomme) devant un panorama splendide en rêvant au bon dîner de ce soir.
17h. Notre homme n'est toujours pas là.
18h. Non plus. Nous décidons de faire un feu et repérons quelques endroits ou nous pourrions dormir au cas ou... Un refuge en construction pourrait faire l'affaire. Il n'a qu'un toit ouvert aux 4 vents. Deux tables en bois pourraient nous servir de lit.
19h. La nuit tombe, c'est clair, il ne viendra pas. Le dîner est frugal : re-chapati, re-concombre, re-pomme. Demain, Inch Allah, nous serons obligés de redescendre faute de provision. La température chute, mais le feu dégage une chaleur agréable. L'ombre du Nanga Parbat se découpe dans la nuit étoile. Nous enfilons notre laine polaire, notre bonnet, une deuxième paire de chaussettes et nous glissons dans nos sacs de couchage déplumes...
20h. Le vent se lève. La nuit étoile se pare de nuages. Puis la neige tombe. Des bourrasques en projettent sous "notre toit". Impossible de mieux s'abriter. Sortir du sac pour se refroidir et congeler sur place ? Le feu de bois n'est plus qu'un vieux souvenir. Ce sont d'abord mes pieds qui picotent. Puis mes épaules, le bas du dos, les articulations. Je souffle dans le creux de mes mains, pour tenter de réchauffer ce qui peut l'être. Mais doucement le froid fait son œuvre. Il endolorit, tétanise, anesthésie. Je me sens partir, lentement, sans heurt, sans douleur...
Je suis réveillé par quelque chose de chaud et humide. Lorsque j'ouvre les yeux, je manque de pousser un cri de terreur : c'est un loup qui me lèche ! Est-il en train de goûter son dîner ? J'ai un mouvement de recul. Puis je me rends compte que c'est une louve. Elle est grise-argentée, son regard est doux, paisible. Elle fait ça pour me réchauffer! Deux louveteaux sont en train de lécher le visage de Laurette qui est tout bleu. Elle dort profondément. Je m'extirpe de mon duvet, et ravive le feu. La louve s'en va se rouler en boule autour de Laurette qui a retrouvé des couleurs, tandis que les deux louveteaux viennent se pelotonner dans mon sac de couchage. Je me rendors, serein.
Au petit matin, le soleil irradie le sommet du Nanga Parbat. Une sensation étrange d'avoir fait un drôle de rêve... La neige de la nuit a disparu. Seul un névé subsiste devant notre abri. Un névé sur lequel on peut deviner des traces... de loups !
Le Nanga Parbat