"Si au milieu du gué tu as un doute, sors ta boussole et trace ta propre route" Proverbe citrouillen
Nous voici à Tsertserleg, la capitale de l'Aimag (région) de l'Arkhangai, 430 kms à l'Ouest de Oulan Bator. Bien décidés à rencontrer les mongols plutôt que leurs agences de voyage, nous partons à pied pour Ikh Tamir, à 22 kms de là.
A nous les montagnes ! A nous les grands espaces, vides de touristes "parqués" dans des camps impersonnels, pales copies des habitations traditionnelles, si loin de "l’Âme Mongole". Peut-être aurons nous la chance d'être invités sur le chemin dans une ger pour y boire le thé ? Et peut être plus, qui sait ? Il faut parfois provoquer le destin, les rencontres.
En marche pour Ikh Tamir Après 3 heures de marche et le passage d'un petit col, nous débouchons dans une large vallée d'où nous pouvons déjà apercevoir au loin Ikh Tamir. Des gers sont disséminées, toujours espacées de quelques kms, des troupeaux de yacks et de chevaux en liberté paissent paisiblement. Une voiture s'arrête et nous propose de nous emmener au village. Préférant y arriver à pied, nous refusons poliment.
Finalement, avant d'arriver à Ikh Tamir, nous décidons de tenter notre chance dans une ger au bord de la rivière. Une petite fille nous a repérés, elle va directement chercher son ballon, trop heureuse d'avoir trouvé deux nouveaux compagnons de jeu. Le père de famille arrive à notre rencontre, souriant, il nous invite à entrer pour boire le thé. Personne ne parle anglais ici, alors la communication est assez sommaire. Chacun se regarde, s'observe, se sourit... Un autre homme arrive, puis un autre, la ger se remplit peu à peu de curieux voulant voir les étrangers. L'un d'eux bredouille trois mots d'anglais, la conversation s'engage.
"Où voulez-vous aller ?" nous fait-il comprendre. Nous sortons la carte et pointons Tariat et le Lac Tsagaan Nuur, à 180 kms à l’Ouest. "Vous voulez des chevaux ?" L'éventualité de rejoindre le lac à cheval nous avait déjà traversé l'esprit, l'occasion est trop belle, nous acquiesçons. Mais nous avons besoin d'un guide aussi ! Et un cheval pour nos deux sacs à dos. Pas de problème, nous partirons dans 2 jours avec 2 de nos ôtes et 5 chevaux pour 7 jours de rando, le tout pour 200 dollars, soit un voyage peu cher pour nous et une sacrée rentrée d'argent pour nos 2 fermiers s'improvisant, sûrement pour la première fois, guides pour voyageurs en mal d'authenticité.
Marché conclu avec notre “famille d’accueil" d'Ikh Tamir, nous partirons à cheval en direction du lac Tsagaan Nuur après-demain, le temps de préparer selles et chevaux. Mandakh, le chef de famille, nous fait comprendre que nous pouvons rester chez eux en attendant. Nous sommes ravis! C’est l’occasion rêvée de passer une journée “à la ger”! Ici et comme partout en Mongolie, les gens vivent en famille, partageant tous la même ger. Pas de place pour l’intimité.
Notre "famille d'accueil" Notre petite tribu se compose de Mandakh, de sa vieille maman, de sa sœur et ses deux enfants : Namon, 8 ans, et Namon Tsetg, 4 ans, ainsi que d’un adolescent, dont l’habileté à cheval nous a subjugués. Six heures, le réveil est matinal. Pas de montre bien sur, mais le jour est déjà levé. Seuls les petits dormant encore à poings fermés. La mère rallume le feu du poêle, et prépare le premier thé (prononcez “tsa”) de la journée. Unique boisson mais consommée sans modération, il est préparé au dessus du poêle central. On y fait bouillir une grande quantité d’eau, à laquelle on ajoute du thé noir, du lait, et une pincée de sel. On le boit brûlant, si possible en faisant beaucoup de bruit en aspirant! Petit déjeuner rapide, on étale de généreuses couches de beurre fermier (orum) sur le pain fait maison. Mmmm… le meilleur qu’on n’ait jamais mangé, parole de Français! Puis chacun vaque à ses occupations.
Mandakh, habile cavalier, prend soin de ses chevaux, les rassemble et les emmène boire a la rivière. Pendant ce temps, la mère et la grand-mère se chargent de la première traite de la journée. Vaches, chèvres, brebis, femelles yacks, la famille ne manquera pas de lait. Par la suite, il sera d’ailleurs savamment transforme. Sur un poêle en plein air, la grand-mère fait bouillir une cuve entière de ce lait fraîchement tire, qui au fur et à mesure de l’ébullition forme de petites boulettes. Celles-ci sont séchées et dorées au soleil, et deviennent de petits morceaux de fromage sec.
Pendant ce temps, la mère s’affaire dans sa “cuisine”. Hormis la farine, le sucre et le sel achètes au village, la famille vit en autonomie complète en ce qui concerne la nourriture quotidienne. Bien entendu, le menu est immanquablement le même chaque jour : pâtes fraîches et viande de mouton (parfois agrémentés d’oignons et de pommes de terre). Seul le mode de cuisson diffère : frit ou en soupe!
La matinée est avancée et les enfants pointent leur nez dehors. Ils ont droit eux aussi à leur bol de thé et tartines. Une fois leur petite frimousse débarbouillée, les voilà bien enjoues et ils s’amusent comme des petits fous à courir après les biquettes et à chatouiller les vaches! La grand-mère, entre 2 cigarettes roulées dans son papier journal, couvre de baisers le petit dernier. Sa tendresse est tellement touchante…
Tout à coup tout le monde file dans la ger : la mère de famille sort de sous son lit le fameux fromage blanc. Mélange a du sucre, c’est un savoureux en-cas rafraîchissant en cette chaude matinée. Puis chacun repart à son poste.
La maman de Mandakh Cette fois-ci, la mère se charge de laver le linge de toute la famille, pendant que l’adolescent fabrique une des selles pour le lendemain. Une poche de cuir, dans laquelle il fourre 3 ou 4 épaisseurs de tissu; il coud le tout avec du gros fil, et le tour est joue. Puis il fait rougir une pointe de fer dans les braises, afin de perforer les lanières de cuir qui formeront mes futures rennes!
La journée suit ainsi son cours sous le ciel bleu, tranquillement mais sans oisiveté. On scie le bois, on trait une 2ème fois, on attelle les yacks pour aller chercher de l´eau à la rivière, on court après les chèvres en agitant les bras pour les faire rentrer dans l’enclos.
Lorsqu’un visiteur se présente, le rituel du thé s’enclenche ; et si de nouveaux voisins nomades décident d’emménager non loin de la, on les aide spontanément à monter leur ger.
A chaque jour suffit sa peine ; la nuit est tombée et il est temps de se rendre dans les bras de Morphée. Le dernier tableau est joli : la grand-mère partage son petit lit avec sa petite fille, tandis que la mère fait de même avec son fils.
Et demain matin le soleil brillera sur cette verte vallée de l’Arkhangai ...