"Ne jamais vendre la peau de l'ours avant d'avoir franchi le col..."
Nous quittons Bichkek avec l'ami Francky en marshrutka (bus) en direction de Karakol, non loin du plus grand lac du Kirghizstan : Issykul (170 kms de long pour 60 de large). Près de Karakol, plusieurs petites vallées se prêtent bien à la randonnée, et malgré qu'il soit "encore un peu tôt dans la saison", nous planifions un trek de 3 jours avec le passage d'un col à 3800 mètres et une visite au lac alpin de Alakul (qui contrairement à ce que laisse entendre son nom, n'est pas si facile à atteindre!).
Le premier jour est une belle mise en jambe de 4 heures, sur une piste de 4x4 qui longe une rivière aux flots tumultueux. Le temps, brumeux au départ, se découvre peu à peu. Les montagnes sont parées de multiples variations de verts, en fonction qu'elles soient recouvertes de sapins, de prairies, d'arbustes... L'herbe est épaisse, bien grasse, on comprend pourquoi les bergers viennent y passer l'été avec leurs troupeaux. Nous arrivons à Altyn Arashan (2600 m), un hameau de 3 maisons. Des chevaux en liberté paissent paisiblement. Au fond de la vallée, nous pouvons apercevoir le mont Palatka recouvert de glace.
Nous plantons la tente à coté du chalet de Valentyn. Nous prendrons les repas chez lui. Altyn Arashan est réputé pour ces paysages, mais aussi pour ses sources d'eaux chaudes chargées en minéraux. Nous consacrons la fin de l'après-midi à faire trempette dans des bains à 40 degrés, idéal pour relaxer nos gambettes. Le soir, nous faisons connaissance de James et Charlie, deux australiens qui ont l'intention de faire le même itinéraire que nous. Confiture de myrtilles, parties d’échec devant un feu de cheminée, au dodo. Il pleut une bonne partie de la nuit et au matin le ciel est bien bas. Nous décidons sagement de différer notre départ et le passage du col d'une journée. Re : confiture, parties d’échec, bains bouillants.
Mais le lendemain matin, le ciel est encore bouché. Sagement, nous décidons de partir quand même en direction du col, en espérant que le temps se dégagera par la suite. Et notre intuition nous donne raison, du moins pour les 4 premières heures de marche. Nous avançons, doucement. Les nuages défilent, découvrant parfois les montagnes enneigées alentours. Nous profitons d’un rayon de soleil pour faire la pause déjeuner. Un torrent coule en contrebas, et des chevaux en liberté gambadent tranquillement. Nous savourons ces instants de plénitude, apprécions ces paysages, ce grand air, qui dans quelques temps risquent de nous manquer terriblement.
Nous reprenons notre progression. Avec l’altitude, nos deux australiens commencent à ressentir les premières gênes physiques : Léger mal de tête, souffle court… Ils sont à la traîne. Franck et Laurette les attendent pendant que je décrypte le relief pour trouver notre chemin à l’aide de la carte et de la boussole. Car ici, comme partout dans le pays, pas de sentier, pas de balise, aucune indication.
Vers 3400 mètres d’altitude, le temps se couvre, le vent se lève et il commence à pleuvoir. Très vite, la pluie fait place à la neige. Il faut prendre une décision et vite. Continuer alors que nous sommes au pied du col ? Il nous faut encore 2 bonnes heures de marche avant d’espérer atteindre le lac, de l’autre côté. Mais James et Charlie sont vraiment cuits et il est déjà 15 heures…
Faire demi-tour ? Cela revient à faire un trait sur notre itinéraire. Si demain le temps est meilleur nous pourrons franchir le col… et voir le lac ! Nous décidons de planter les tentes et de dormir là, à 3600 mètres. Cela nous laissera la possibilité de redescendre ou de continuer demain matin. A peine avons-nous installé les tentes que se trouvent déjà 5 cm de poudreuse sur le sol. Nous enfilons nos affaires les plus chaudes, et nous plongeons dans nos sacs de couchage. Maintenant, une seule chose à faire, patienter… Mais nos sacs regorgent de petits plaisirs transmis par les mamans et amenés par Francky. C’est comme ça que nous nous régalons de ballottines au foie gras et de fromage de brebis ! Régulièrement, nous tapons sur le double toit pour en faire tomber la neige qui s’accumule et qui fait plier les arceaux.
Vers 20 heures, nous passons le nez dehors. Il s’est arrêté de neiger. Le temps est un peu découvert. Il a neigé 15 cm et toutes les montagnes autour sont d’un blanc éclatant. A cours d’eau, nous faisons fondre un peu de neige pour remplir nos gourdes. La nuit tombée, nous retournons nous coucher avec l’espoir de nous réveiller sous le soleil… Je me réveille à 5 heures. Le bruit des flocons tombant sur la tente vient tout de suite à mes oreilles. Il neige encore ! Impossible de me rendormir, je ne tiens plus en place. A 8 heures nous décidons de plier les tentes et de redescendre sur Altyn Arashan, notre point de départ. Nous rangeons au maximum nos affaires à l’intérieur de la tente. Enveloppons nos pieds dans des sacs plastiques avant d’enfiler nos chaussures (un truc extra, conseil d’Anita made in Norway). Au « top départ », nous nous précipitons dehors et plions la notre abris le plus rapidement possible, avant d’avoir les mains congelées. Nous entamons la descente dans 30 à 40 cm de neige. Heureusement il ne fait pas trop froid, mais la visibilité est réduite. Sur mes souvenirs de la veille, je guide notre petit groupe. Nous retrouvons un à un les endroits traversés hier : un replat, la pause déjeuner, une tente de berger, le guet de la rivière… Après 6 heures de marche et 1000 mètre de descente dans la neige, nous arrivons enfin au refuge. Il pleut encore, mais nous savons ce qu’il nous attend : confiture de myrtille, bains bouillants et partie d’échec !
Et l’ours me direz-vous ? Ce n’est pas nous qui sommes tombés nez à nez avec l’animal, mais un couple de québécois qui a effectué la randonnée dans le sens inverse du notre…