De retour au Népal, nous y retrouvons nos amis Morten et Anita pour une randonnée épique dans la région de l'Everest
Novembre 2006
4 semaines
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Le passage de la frontière sino-népalaise est une délivrance. Le voyage au Tibet a été fatiguant et stressant avec toutes ces histoires de permis, de police et de militaires. Et puis nous sommes tellement heureux de retrouver Katmandu !!! What to do in Katmandu ? Don't worry chicken curry !

Cette ville nous avait littéralement charmés il y a 3 ans, nous sommes impatients d'y déambuler de nouveau, d'y respirer les odeurs d'encens (de poubelle aussi...), de s'imprégner de cette ambiance mêlant hindouisme et bouddhisme, peuples de l'Himalaya et peuples des vallées indiennes, qui fait de Katmandu une ville réellement unique sur la citrouille.

Boddnath 

Et puis, c'est que nous y connaissons du monde... Qu'est devenue notre petite "famille d'accueil" depuis tout ce temps ? Les filles vont-elles toujours à l'école ? Le papa travaille-t-il toujours au cinéma ? Nous aurons bientôt la réponse... Arrivés à Katmandu, nous prenons la direction de Thamel, comme 99% des étrangers de passage ici. C'est bruyant, bondé, plus cher qu'ailleurs, mais Thamel a le mérite de tout offrir : cafés internet, des restos pour tous les goûts, des boutiques de matos de montagne, des supermarkets où on peut même acheter des Vaches qui rigolent ou du Nutella... Et après 3 mois en Chine, ça fait du bien !

Première impression : Rien n'a changé ou presque, nous reconnaissons même les vendeurs de certaines boutiques. Du fait du cessez-le-feu en vigueur avec les maoïstes, il y a plus de touristes, mais c'est tout. Nous retournons dans les endroits qui nous avaient tant envoûtés : Pashupatinath, lieu de crémation des hindouistes et où l'on jette leurs cendres dans un des affluents du Gange; Boddnath, le plus grand stupa du pays et haut lieu de rassemblement des tibétains exiles; Swayambunath, aussi appelé "Monkey Temple", offrant une vue panoramique sur Thamel et la Vallée de Katmandu.

Les macaques de Swayambunath 

Nous décidons d'aller faire une petite visite-surprise à "notre famille" de Katmandu. Pour s'y rendre, rien de plus simple : à l'entrée de Thamel, lorsqu'on arrive du Palais Royal, il y a trois petits temples sur la gauche, et bien c'est là! La rue est toujours bondée, bruyante, envahie par les taxis et les rickshaws, les ordures de tout Thamel s'y entassent... Mais lorsqu'on passe la grille pour pénétrer dans la cour ombragée, c'est comme si tout à coup le b...azard ambiant s'évaporait. Les coups de klaxon se font lointains, et d'un coup d'un seul, on respire le calme! Le papa est là. Son sourire accueillant et quasi immédiat montre qu'il nous a reconnus. Pour la maman c'est plus long, mais lorsque l'étincelle se produit elle se précipite dans les bras d'Anne Laure en nous souhaitant à tous les deux de joyeux "Namaste, namaste!". Quant à Sushma, l'ainée des trois enfants, elle a du suspecter quelque chose car elle descend l'escalier en courant et s'écrie des qu'elle nous voit "I'm so happy!". Et nous aussi nous sommes heureux! Ils n'ont pas changé. Et comme avant, on s'assied tous en rond dans leur "small house but big compound", comme nous avions l'habitude de dire. La maman nous sert un délicieux thé noir parfumé à la cardamone. Et on discute comme si on s'était quittés la veille.

Sushma a maintenant 16 ans, est toujours aussi intéressée et ouverte, et ressemble a une vraie adolescente. Shrishti, sa jeune sœur de 14 ans, est toujours aussi jolie et réservée. Et le petit dernier, Binayak, 9 ans, parle maintenant l'anglais, a le regard malicieux, et nous fait mourir de rire avec ses tours de magie et ses devinettes! Il nous fait même la visite guidée du temple, nous expliquant comment prier et satisfaire chacune des divinités hindoues : certaines sont avides de sang alors on leur fait des offrandes, d'autres sont "très très puissantes" avec leurs nombreux bras; avec ses mots d'enfant c'est irrésistible! Mais ce ne sont pas les seules retrouvailles. Nous passons à l'agence de trekking (la même qu'il y a 3 ans), qui nous fournira guide et porteurs pour notre ascension de l'Island Peak. Nous souhaitons régler les derniers détails et rencontrer notre guide avant de partir. Nous avons demande à ce qu'il soit expérimenté en montagne en général, et en ce qui concerne notre sommet en particulier.

Nous avons fait exprès de ne pas demander à avoir le même guide qu'il y a trois ans, car bien que sympathique, au bout de 2 semaines de "vie commune" il commençait un peu à nous taper sur le système, et puis on ne le trouvait pas toujours assez sérieux concernant la sécurité en montagne. Et pourtant qui débarque dans le bureau??? Nawang, notre guide d'il y a trois ans... il y a comme un malaise, de son coté comme du notre. Car nous avons échangé des nouvelles de temps en temps, mais nous ne l'avons pas prévenu de notre arrivée. Mais une fois la surprise passée, nous sommes très contents de se revoir, de prendre des nouvelles, de voir qu'il est en parfaite santé et qu'il semble un peu plus "adulte" (la dernière fois il n'avait que 20 ans), et d'apprendre qu'il s'est marié il y a 7 mois déjà!

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Une fois n'est pas coutume, abordons l'aspect culinaire du pays!

Daal Bhat, Momos, ça ne vous parle pas? Et pourtant ce sont les deux plats phares de la cuisine Népalaise. Le premier surtout, qui est le plat national. Concrètement, ça veut dire que les népalais le "dégustent" midi et soir, sept jours sur sept!

Généralement présenté dans un plat argenté, son principal composant est le riz basmati (Bhat). Celui-ci est servi avec ses assortiments, chacun en petite quantité : soupe de lentilles (daal), légumes verts (épinards ou haricots), pickles (achar) qui peuvent être faits, entre autres, à partir de concombres, de pommes de terres ou de radis, et peuvent être très épicés! Les végétariens se verront souvent ajouter à leur set un curry de légumes ou bien une coupe de yaourt, tandis que les non végétariens apprécieront du poulet ou mouton au curry. Voilà en tous les cas une assiette bien colorée!

Et le daal bhat s'avère bien adapté si vous êtes affamé puisqu'on viendra régulièrement vous resservir (gracieusement) une grosse portion de riz ainsi que de petites quantités de chacun des assortiments.

Quant aux momos, ils sont au Népal ce que les raviolis sont à l'Italie, et les beignets à tant d'autres pays! La pâte (farine, eau) est fraîche et "maison", fourrée aux légumes ou bien à la viande (de Buffalo ou poulet en général). On leur donne une jolie forme de croissant de lune plisse avant de les cuire à la vapeur ou de les faire frire (nous on les adore frits!). Servis brûlants, ils sont présentés en rond dans un plat argenté, entourant leur sauce d'accompagnement (généralement épicée!).

Dans les rue de Katmandu et de ses environs 
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Nous étions un soir au restaurant avec Ramesh. Ramesh, c'est le jeune frère de la maman de notre "famille d'accueil" de Katmandu. Il a 29 ans comme nous et est comptable dans une banque, ce qui est un super boulot ici. Pour "bien gagner sa vie" au Népal, il faut bosser dans une banque, ou mieux encore, dans un des bureaux de l'administration Onusienne, ce qui est un comble tout de même...

Il nous annonce au détour de la conversation qu'il a rencontré sa femme pour la première fois il y a 4 ans... le jour même de son propre mariage ! "It sounds like a joke for you" nous dit-il... Tu m'étonnes !

Et nous apprenons avec surprise, qu'au Népal, les mariages arrangés représentent encore aujourd'hui l'immense majorité des unions... entre homme et femme, parce que pour les unions de même sexe, ce n'est même pas la peine d'y penser. Selon notre ami, les mariages d'amour ne peuvent tenir : Si la femme demande quelque chose d'insensé à son mari (ce qui est souvent le cas, même en France, il faut bien le dire...), celui-ci, amoureux, fera tout pour assouvir le désir de sa femme (ce qui est loin d'être le cas en France, il faut bien le dire aussi...), quitte à mettre l'équilibre financier du foyer en péril. Dans un mariage arrangé, c'est différent. La retenue et la distance existant entre le mari et la femme évite ce genre de problème (Il faut savoir qu'au Népal, excepté pour les travaux agricoles, les femmes ne travaillent pas et restent au foyer). L'interdiction d'avoir des relations sexuelles avant le mariage est une autre raison du clash des mariages d'amour. Les tourtereaux, pressés d'en découdre dans le lit conjugal, ont tendance à se marier un peu trop vite et l'euphorie fait rapidement place à la débâcle. Dans un mariage arrangé, les divorces n'existent pas. Les horoscopes des 2 conjoints (et les comptes en banques des deux familles) ont été choisis avec soin, de manière à ce que tout fonctionne pour le mieux. Et puis se séparer provoquerait un cataclysme. Les familles, dont l'honneur serait sali par l'affront, renieraient leurs propres enfants qui seraient vus d'un très mauvais œil par le reste de la communauté. Le poids du regard des autres et de la tradition, voilà finalement la clef du succès des mariages arrangés !

Car si Ramesh nous fait la "pub" des mariages arrangés, nous avons bien l'impression que ce n'est qu'une façade. Pour lui, ça a l'air de bien se passer. Selon le souhait de ses parents, il s'est marié, puis a fait un enfant et a l'air de bien s'entendre avec sa femme. Mais on se doute qu'il aurait bien aimé que ça se passe autrement, car il nous a dit avec une certaine résignation : "Tes parents ont toujours voulu le meilleur pour toi, alors pourquoi ne pas leur faire confiance pour choisir ta femme ?"

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Nous voyageons le nez collé au hublot, tels des gamins hypnotisés par leur Play Station. Nous sommes à bord d'un coucou canadien de 16 places et les paysages qui défilent sont spectaculaires. Sur notre droite, au nord, la chaîne de l'Himalaya et les sommets enneigés du Langtang puis du Khumbu; au sud, des collines verdoyantes sculptées en terrasses depuis des générations par les paysans népalais. Comme dans un jeu vidéo trop bien fait, les sensations sont également de la partie : Par endroit, l'avion frôle les crêtes et chacun craint qu'une bourrasque soudaine ne le fasse dévier de sa trajectoire... Lorsque après 45 minutes de vol nous apercevons la piste d'atterrissage, nous pensons tout d'abord qu'il en manque la moitié ! Mais l'expérience et la dextérité des pilotes permettent de poser l'appareil avec une précision chirurgicale.

Vol en coucou entre Kathmandu et Lukla 

Nous voilà à Lukla, 2800m, dans la région de l'Everest et point de départ de notre trek de 15 jours avec pour objectif majeur l'ascension de l'Island Peak, culminant à 6189 m d'altitude.Pour nos deux amis norvégiens, Morten et Anita, c'est le baptême du feu. Eux qui ne sont jamais montés au dessus des 2500m du Galopingen (sommet de la Norvège), la haute altitude de l'Himalaya est une des nombreuses découvertes de leur voyage au Népal. Ils nous ont rejoints à Katmandu il y a deux jours. C'était à la fois magique et irréel de se retrouver si facilement de l'autre cote du globe et de réaliser ce challenge que nous nous étions lancés en juin 2005 lorsque nous leur avions rendu visite au pays des vikings.

A peine arrivés à Lukla, nous entamons notre parcours, direction Phakding, à seulement 3 heures de marche. Peu avant d'arriver, nous apercevons un attroupement avant un pont suspendu. Des gens ont installé un bureau et on l'air de vérifier les permis de trek. Nous portons les nôtres au "comptoir", mais on nous explique que ce n'est pas de ça qu'il s'agit. Il faut payer la taxe révolutionnaire des Maoïstes ! C'est que depuis le dernier cesser le feu et leur entrée au gouvernement, les Maoïstes se croient partout chez eux. Ils collent des affichent dans Thamel (au cœur de Katmandu) et rackettent les randonneurs le plus tranquillement du monde sur le sentier de montagne le plus emprunté du Népal ! Les bougres demandent 100 Roupies (1 euro) par jour de montagne, ce qui nous ferait 15 euros par personne, une somme non négligeable au Népal. Vu qu'il est impossible de négocier le tarif, nous mentons sur la durée du trek et ne payons que 10 euros chacun, nous verrons bien au retour s'ils nous réclament quelque chose...

Nous atteignons Namche Bazar (3400m) le lendemain. Ce gros bourg, peuplé de Sherpas, avec ses grosses bâtisses de pierres aux contours des fenêtres peints en trapèzes noirs, nous rappelle fortement les villages tibétains traverses quelques semaines plus tôt. D'ailleurs, des marchands tibétains passent régulièrement la frontière avec leurs caravanes de yacks pour y vendre toutes sortes de chinoiseries à leurs voisins népalais. Mais bientôt vient l'heure du dilemme. Car depuis Namche Bazar, deux routes s'offrent à nous. La première, un peu plus sauvage (mais juste un peu), part vers la vallée de Gokyo et ses lacs turquoises. Cette route offre également des vues splendides sur le Cho Oyu (8201m) et l'Everest depuis le petit sommet Gokyo Peak (5350m). Pour finir elle présente l'immense avantage de pouvoir faire un itinéraire en boucle, bien plus intéressant qu'un simple aller/retour, car elle rejoint l'autre vallée par le col enneigé du Chola Pass (5420m). Bref, elle a tout pour plaire ! La deuxième est belle aussi bien sur, mais suit un chemin que l'on pourrait qualifier d'autoroute en cette période très courue du mois d'octobre.

Le seul problème de la route de Gokyo, c'est qu'elle présente un inconvénient majeur : certains guides de voyage la surnomment "La vallée de la mort" et nos amis norvégiens s'étant bien renseignés sur le parcours sont un peu terrorisés par cette appellation sinistre qui nous afflige. Oui, des randonneurs sont morts d'être montés trop rapidement sur cette route, sans prendre le temps de s'acclimater correctement à l'altitude. Oui, il y a des gens qui sont imprudents et qui, malgré toutes les recommandations qu'il est impossible d'ignorer, ne tiennent pas compte des règles de base. Est-ce une raison pour céder à la panique ? L'important est de finalement bien se connaitre et de savoir où se situent ses propres limites. Si nous commençons à bien connaitre les réactions de nos organismes à la haute altitude, ce n'est effectivement pas le cas de Morten et Anita. On vous passe les détails, mais il nous aura fallu quelques heures de discussions acharnées pour finalement les persuader de nous accompagner dans la vallée des lacs de Gokyo... Nous sommes heureux de voir que nos amis finissent par faire confiance à notre expérience et au planning d'ascension prévu qui est un des plus lent et qui devrait donc convenir à tout le monde.

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Dole, 4040m. Voilà deux jours que nous avons quitté Namche Bazar. Nous progressons tranquillement dans la Vallée de Gokyo. Alors que nous prenons de la hauteur, l'ambiance haute montagne s'accentue de jour en jour. Le temps magnifique nous permet de découvrir les sommets qui nous entourent et qui étaient bien cachés dans les nuages depuis le départ. Certains sont recouverts d'énormes calottes de glace; d'autres, trop abrupts, présentent des arêtes rocheuses effilées.

A l'arrivée de chaque étape, Anita souffre de maux de tête traduisant les difficultés de son corps à s'adapter à l'altitude. Pour Morten, ça va bien, et pour nous aussi. Ayant passé 1 mois au Tibet à des altitudes comparables, nos corps sont déjà acclimatés. Comme Anita se sent bien le matin, nous décidons à chaque fois de réaliser la courte étape du lendemain. C'est ainsi que 4 heures de rando facile nous amènent de Dole à Machhermo, 4450m. Le chemin en balcon offre des panoramas exceptionnels. Nous tutoyons les sommets de 6000m de la vallée, dont l'impressionnant Chola Tse, qu'un alpiniste écossais rencontre un jour plus tôt s'apprête à grimper. A peine nous arrivons à Macchermo que les ennuis commencent pour Anita. Elle est prise d'un violent mal de tête et, élément nouveau, se met à vomir... Les symptômes sont plus graves que les jours précédents, et si son état ne s'améliore pas rapidement, il va falloir penser à faire demi-tour et redescendre, car c'est le seul vrai remède contre ce mal.

"Par chance", suite aux différents accidents survenus dans le coin, des anglais ont eu la bonne et généreuse idée d'ouvrir un poste de secours à Macchermo il y deux ans. Des médecins bénévoles s'y relaient pour donner des informations aux randonneurs sur le MAM (ce n'est pas le diminutif de notre Ministre de la Défense, mais l'abréviation de Mal Aigu des Montagnes), proposent des consultations aux touristes à 50 US Dollars qui permettent de soigner gratuitement les porteurs dont certaines agences de trekking ne prennent vraiment pas soin du tout... Nous décidons de remettre la décision de rebrousser chemin à l'avis du stéthoscope du médecin. Et nous faisons bien ! Au lieu de nous dire de redescendre, il prescrit du DIAMOX jusqu'à la fin du trek à Anita. Cette drogue lui change la vie. Finis les maux de tête, les nausées... Anita peut enfin profiter pleinement de toutes les journées de marche et ne ressent depuis plus aucune douleur.

Gokyo 

La suite ? Un enchaînement de longues et belles journées de trekking qui nous permettent de grimper au Gokyo Peak (5360m), de passer sans encombre le Chola Pass (5420m) et d'aller admirer l'Everest de plus prés depuis le Kala Pattar (5550m). Nous sommes de plus en plus confiants pour l'ascension de l'Island Peak prévue dans quelques jours car tous les voyants sont au vert : Le temps est bon et a l'air d'être stable, surtout en mâtinée, et nous ne ressentons pas de difficulté particulière à dépasser la "barre" des 5000m.

Chola Pass 

Mais c'était sans compter sur un invité de dernière minute : La TOURISTA !!! Et patatra, voilà la tourista !!! Enfin, elle ne visite que Morten, mais le pauvre est complètement hors du coup 2 jours avant la tentative de sommet. Il se traîne, passe ses nuits dans les toilettes... Un léger mieux au camp de base nous laisse espérer qu'il sera de la partie. Plus que quelques heures, et nous partirons "grimper" notre premier 6000 !!

Paysage depuis Gokyo Peak 
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5100 mètres. Camp de base de l'Island Peak, ou Imja Tse.

00h28, soit 2 minutes avant l'alarme du réveil, Pierre-Antoine déjà prêt me murmure qu'il est l'heure de se lever. Pas facile pour moi de m'extirper de la tiédeur du sac de couchage... Comme prévu, nous réveillons Morten et Anita mais le verdict est terrible : Morten a passé ce petit bout de nuit à courir entre sa tente et les "toilettes". A son grand désespoir, il est trop faible pour tenter quoi que ce soit aujourd'hui, et Anita a décidé de s'occuper de lui. Voilà donc notre équipe réduite de moitié...

Et pour nous tout commence maintenant. On se rend dans la tente de notre guide Nawang et de nos deux porteurs Nima et Pasang pour le petit déjeuner. Nous sommes accueillis par un thé brûlant, qui contraste agréablement avec le froid ambiant. De toute évidence, on n'a pas grand appétit à une heure si matinale, mais nous savons que nous aurons bientôt besoin de brûler ces calories!

01h40, 5100 mètres. Emmitoufles dans nos deux paires de chaussettes, bonnets et moufles, nous voilà partis, éclairant la pente à la lueur de nos lampes frontales. Je suis la plus lente alors c'est moi qui donne la cadence, rythmée par les indications de Nawang sur les directions à prendre dans l'obscurité la plus complète. Le rythme est bon; les pauses sont courtes mais régulières, de façon à s'économiser et à reprendre ce souffle qui a tendance à être court avec l'altitude. Régulièrement, Pierre nous donne l'heure et l'altitude à laquelle nous nous trouvons.

02h30, 5350 mètres. Ce n'est qu'une ébauche de ce qui nous attend, puisque notre but du jour s'élève à 6189 mètres, soit encore presque 900 mètres de pierres et de neige à gravir, puis évidemment autant à redescendre! Nous sommes les premiers mais déjà nous pouvons apercevoir derrière nous des points lumineux qui progressent lentement.

05h, 5750 mètres. On grimpe toujours régulièrement, mais le "sentier" se fait de plus en plus escarpé; nous avons maintenant besoin des mains à chaque pas pour nous accrocher à la roche. Et on aimerait bien voir le soleil pointer ses premiers rayons; d'une part car cette obscurité est pesante, d'autre part car mes pieds et mains commencent sérieusement à souffrir du froid. Puis tout s’enchaîne très vite.

05h45, 5850 mètres. Les premières lueurs du jour apparaissent en même temps que nous atteignons l'endroit où fixer les crampons; car la fin de la progression va se faire maintenant sur le glacier. On enfile chacun notre baudrier auquel est suspendu tout un cliquetis de mousquetons et de jumars. Il s'agit maintenant pour moi de chausser ces grosses bottes de plastique semblables à des chaussures de ski et d'y fixer les crampons d'acier qui permettent de bien accrocher sur la neige. Mais pour être honnête, ce sont plutôt Pierre et Nawang qui s'y collent; car une fois mes pieds congelés pris au piège de ces grosses péniches, je suis bien incapable de fixer mes crampons, matériel archaïque loué à Katmandu... Et la tâche n'est pas aisée pour eux non plus, si bien que nous passons des premiers arrivés... aux derniers repartis!

Nous sommes maintenant tous les trois encordés : Nawang est le premier, je le seconde et Pierre boucle la marche. Mais ces premiers pas encordés sur la neige sont pour moi terribles : je suis à la fois tirée en avant par notre guide qui va trop vite pour moi, et clouée au sol par ces poids suspendus à mes pieds qui me rendent plus que gauche et malhabile! Je suis folle de rage! Je me sens en pleine forme, ce ne sont quand même pas ces chaussures de m...alheur qui vont m'empêcher d'atteindre le sommet!!! Nous franchissons les derniers rochers qui nous séparent de l'immense étendue blanche, puis la magie opère. Un lac d'altitude vert émeraude s'offre à nos yeux en contrebas, dans la pureté de ce paysage.

Il a neigé ces jours-ci et le manteau blanc qui recouvre la montagne est lourd et épais, étouffant les bruits (des autres cordées!) et nous procurant cette sensation grisante de haute montagne. C'est la première fois que je me retrouve dans un tel environnement; je suis bluffée par la vue de la glace bleutée et des crevasses alentours...

07h30, 6000 mètres. On progresse toujours sur la neige, jusqu'à atteindre le fameux "mur". Une corde est fixée en haut de ces 200 mètres de pente. De ma main gauche j'y fais coulisser le jumar, tandis que ma main droite accroche la neige dure à l'aide du piolet. Comme cette pente raide est impressionnante! Je commence à me prendre pour une alpiniste et j'ai l'impression d'être sur une vraie pente verticale, mais Pierre m'assure qu'elle ne fait "que" 45-50 degrés... bon... Toujours est-il que nous avons maintenant besoin de reprendre notre souffle très régulièrement, mais tout s’enchaîne à merveille et je suis de plus en plus excitée par la vue si proche du sommet : pas a pas, coup de crampons après coup de piolet, nous finissons par atteindre le haut de ce mur.

08h30, 6150 mètres. Quelques pas de plus, et il ne nous reste plus maintenant que l'arête finale à franchir. Last but not least! Car comme d'habitude ce sont toujours les derniers pas les plus éprouvants. Déjà des groupes descendent du sommet et nous sommes censés nous croiser sur cette arête large d'un mètre, entourée par le vide des 2 côtés, et encore une fois c'est Pierre qui m'assiste en accrochant ou décrochant mon mousqueton lorsque c'est nécessaire.

09h, 6189 mètres. Nous y sommes! J'ai envie de pleurer... jamais je ne me serais crue capable d'un truc pareil...! Je suis euphorique; on se sert fort dans les bras, on se félicite, on se prend en photo, on s'enregistre! Bien sur la vue pourrait être bien meilleure, car il se met à neiger maintenant et ce ciel cotonneux nous bouche le panorama sur le Lhotse "cache juste en face", quatrième plus haut 8000m de la chaîne de l'Himalaya qui culmine à une altitude de 8511 mètres. Tant pis, nous avons réussi et c'est bien le principal pour aujourd'hui. Mais la journée est loin d'être terminée; il se met à neiger de plus en plus et nous avons encore toute la descente à effectuer, plus la marche jusqu'au village de Chukung ou nous passerons la nuit. Apres ces minutes de joie intense nous voilà donc repartis.

Et si je n'ai pas été impressionnée par la montée, il n'en est pas de même pour la première descente. Très raide, je me retrouve un peu tétanisée le long de la corde pour quelques mètres. Heureusement pour la suivante (le fameux "mur"), la technique est différente : grâce au descendeur, je peux me laisser aller en rappel et j'apprécie plutôt cette façon de glisser dans les airs! On ne s'attarde plus. Chemin inverse sur la neige, on déchausse les crampons, on redescend la "bavante" que nous avons grimpée de nuit, et à 13h nous sommes au camp de base. Nos adorables porteurs nous ont préparé du thé et un curry de légumes, nous avons juste le temps de le déguster puis il faut démonter le camp, et encore marcher 3 heures avant de rallier le village de Chukung.

17h, nous sommes à Chukung. Anita et Morten nous attendent autour du poêle; le malade va mieux mais le repos était nécessaire. Petit résume de notre coté : entre 13 et 14 heures de marche dont 4 de nuit, une ascension de presque 1100 mètres de dénivelé positif, puis 1500 mètres de dénivelé négatif... Alors... n'est ce pas le jour le plus long?