Back road to Tibet

Du Yunnan au Tibet par la route des caravanes de thé le long de la rivère Nujiang.
Septembre 2006
4 semaines
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Pour vous téléporter au Tibet pendant la lecture c'est ici :

Si tous les chemins mènent à Rome, toutes les routes ne mènent pas à Lhassa, surtout pour les voyageurs indépendants. Pourquoi ? Parce qu'à l'heure actuelle, en plus du visa chinois, il faut se procurer un permis spécial pour entrer au Tibet et faire partie d'un groupe organisé. Les plus pressés prennent l'avion directement pour Lhassa, tandis que d'autres passent par la route, en jeep, avec un guide.

Inutile de préciser que tout cela coûte très cher et que nous aimerions trouver une autre solution, plus originale et plus "sauvage". Aussi, depuis le Sichuan ou le Yunnan, les dernières informations s'échangent entre les voyageurs sur la meilleure façon de passer la "frontière", sans permis et sans agence.

Sur les forums Internet, les rumeurs vont bon train... on peut passer par ici (sans permis), mais pas par là... quelqu'un a essayé et s'est fait attraper (lourde amende, puis reconduction à la "frontière")... un autre est passé sans problème... sans compter ceux qui sont passés par les agences mais n'ont jamais vu la couleur du fameux permis. Si vous allez voir ces agences, elles vous assurent qu'il y a des check-point tous les 50 km, gare à ceux qui n'ont pas leur permis! Bref, c'est le bazar le plus complet.

Toujours est-il que nous avons décidé de nous passer et du permis et de l'agence, car la tendance montre que de plus en plus de personnes le font sans rencontrer de difficultés particulières.

La route que nous avons choisie est très peu courue, car complètement ignorée des guides de voyage. Vallée parallèle à la route principale "Yunnan - Tibet Highway", c'est une des anciennes "routes du thé", empruntée par les caravanes de chevaux pour acheminer la précieuse herbe verte du Yunnan vers l'Asie Centrale puis l'Europe.

Nous longerons les gorges de la rivière Nujiang vers le Nord, sur plus de 450 km; en bus d'abord, puis à pieds, peut être aidés de mules pour porter nos sacs trop lourds. Nous rejoindrons ensuite la route principale vers Lhassa, en espérant que les postes de contrôle se trouvent derrière nous!

La rivière Nujiang, le long de la frontière birmane 
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Ces deux derniers jours, nous avons remonté la rivière Nujiang en minibus sur près de 350 km, entre Lushui et Gongshan. La route étroite suit de près les méandres de la rivière. Le courant est fort, et par endroits de puissants rapides forment de gros bouillons. Plus nous avançons vers l'amont, plus les gorges se resserrent. La rivière est prise au piège entre deux chaînes de montagnes dont nous ne pouvons apercevoir les sommets depuis la route.

La vallée du Nujiang est peuplée de plusieurs minorités ethniques : les Drungs (qui se tatouaient le visage pour ne pas être captures et vendus comme esclaves par les tibétains), les Nu (ayant la réputation de maîtriser le pouvoir de l'eau des montagnes par d'ingénieux systèmes de canalisation), et les Tibétains.

Aussi quelle n'est pas notre surprise lorsque nous découvrons, dressée dans chaque village, une église catholique...? La "faute" à des missionnaires français qui auraient usé de leur mystérieux pouvoir de conversion sur les populations reculées, il y a de cela une centaine d'années...

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Nous sommes arrivés la veille au soir en camion stop dans le petit village de Dimaluo qui, bien que nous soyons encore à 50 km du Tibet, est peuplé par des tibétains... catholiques! Nous y rencontrons un australien (premier "blanc" depuis 10 jours!) qui leur donne des cours d'anglais dans le cadre d'une ONG présente dans la région. Sa tâche est compliquée, car si lui parle un peu le mandarin, eux pratiquement pas. Ben oui, ils parlent tibétain!

Ce matin, nous partons la fleur au fusil à 10 h. Nous voulons rejoindre Chala à pieds, et Aluo, le chef de famille chez qui nous avons dormi, nous a indiqué qu'il n'y avait que 2 heures de marche. Le sentier s'élève doucement, les cimes des montagnes apparaissent ... grandioses.

Deux heures passent, et toujours pas de Chala. Nous atteignons Alu Laka, qui se trouve selon le plan dessiné par notre hôte au tiers du parcours!

Une paysanne à qui nous demandons notre route s'empresse de nous inviter chez elle. Sa maison, tout en bois et couverte d'ardoise est très simple. Comme dans le Xishuangbanna, les cochons vivent sous la pièce principale dans laquelle l'unique et minuscule fenêtre laisse entrer trop peu de lumière. De temps en temps, une poule ou un porcelet téméraire tente une incursion histoire de voir s'il n'y aurait pas quelques miettes ou grains à chaparder.

Notre hôte s'affaire autour de nos 2 tasses, on se demande ce qu'elle peut bien nous mijoter... Anne Laure rêve déjà du fromage blanc maison de Mongolie... mais lorsqu'elle trempe ses lèvres dans le breuvage, surprise, c'est de l'alcool de mais de derrière les épis!!! A peine nous en buvons une gorgée que notre hôte remplit immédiatement nos 2 verres à ras bord...

Lorsque nous repartons, les effets ne tardent pas à se faire ressentir... la cote est raide, et nous aussi! (enfin surtout Anne-Laure qui, trop polie ou trop assoiffée, s'est cru obligée de presque tout boire!) La descente qui suit est tout aussi terrible, d'autant plus que nous tournons en rond dans les champs de mais pour trouver notre chemin...

Nous arrivons à Chala à 18h30 exténués, après 8h30 d'efforts sous le soleil (800 m de montée, 1200 m de descente) au lieu des 2 heures initialement prévues...

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Aujourd'hui, nous passons au Tibet!

Partis à pieds ce matin de Qiunatong, dernier village du Yunnan, nous coucherons ce soir à Longbu, premier village tibétain à 30 km de là.

Après un petit détour à flanc de montagne pour avoir une plus jolie vue, nous rejoignons la piste qui longe le Nujiang 300 mètres plus bas. Je me répète, mais nous sommes littéralement impressionnés par la beauté de cette gorge. Nous aimerions vous envoyer des photos de paysages à 360 degrés et de 3 mètres sur 2 mètres, mais Internet ne le permet pas encore! Nous aimerions vous faire partager le bruit assourdissant de la rivière, les senteurs enivrantes des forêts, le vol des papillons et cette sensation vertigineuse de se sentir loin, mais alors très loin de tout. Nous sommes seuls sur cette piste, et nous marchons vers le Tibet!

16h30. Voilà sept heures et demi que nous sommes partis. Nous progressons en plein cagnard. La piste et la falaise réfléchissent les rayons du soleil, ça chauffe dur. Et pas un nuage aujourd'hui.

Enfin, nous apercevons un groupement de maisons, c'est sûrement Longbu! Devant nos mines déconfites lorsque nous apprenons que Longbu se trouve encore à 1h30 d'effort, les habitants nous proposent de partager le repas avec eux. Nous acceptons volontiers, nous aviserons mieux le ventre plein. Puis un type nous dit que son camion part justement pour Longbu et que nous pouvons profiter du voyage. Nous en avons plein les chaussettes, cette invitation est une aubaine!

Anne-Laure prend place dans la cabine (ils sont galants ces tibétains!), tandis que je grimpe derrière avec deux d'entre eux, dans la benne chargée de marchandises. Au premier coup d'accélérateur, je comprends que le trajet va être mouvementé et m'agrippe à tout ce qui me tombe sous la main. Le chauffeur connaît la route, alors il fonce. Voyant les roues passer à 50 cm de l'abîme qui nous mènerait tout droit a la baignade, je me surprends à implorer la clémence d'un éventuel dieu qui voudrait bien se pencher sur le destin de ce camion... Je pousse un "ouf" de soulagement lorsque je pose pied à terre à Longbu. Anne-Laure me confie qu'elle n'en menait pas large non plus...

Mais ça y est ! Nous sommes au Tibet!

Il n'y a pas eu l'ombre d'un contrôle, nous ne savons même pas exactement où nous avons passé la "frontière". Jusqu'ici, tout va bien...

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Il y a encore 30 km de piste aujourd'hui, pour rejoindre Tsawarong. Notre « road book » indique 8h de marche mais nous savons qu'avec nos gros sacs à dos il nous en faudra 10...

8h15. Après une bonne nuit de récupération, nous décollons.

Depuis hier et notre passage du Yunnan au Tibet, le paysage a radicalement change. Les forêts de pins, les torrents, la verdure, ont laisse place a des montagnes dénudées, arides, couvertes par endroits de "champs" de cactus. Les maisons en bois des villages du Yunnan ont laissé place aux grosses bâtisses rectangulaires en pierre, typiques du Tibet. Leurs toits sont aussi des terrasses qui servent à faire sécher les récoltes de maïs, principale culture de la région. Ces changements radicaux en l'espace de quelques kilomètres sont stupéfiants, car nous n'avons pas changé de vallée, et n'avons pas vraiment pris d'altitude (nous sommes à 2000 m).

12h30. Après 4 heures de marche sans avoir croise âme qui vive, nous tombons sur deux maisons posées au bord de la piste. Une dizaine de paires d'yeux, abritées sous l'unique parcelle d'ombre, nous dévisagent. On demande si on peut déjeuner et on nous propose des nouilles lyophilisées... Baaah, c'est pas bon, ça! En insistant un peu et en pointant les marmites sur le feu, on finit par obtenir le traditionnel bol de riz et des haricots verts (de la veille?) poses sur l'étagère. Cela suffit à nous régaler!

45 minutes plus tard, nous repartons dans la fournaise poussiéreuse.

14h. Un camion passe, nous ne pouvons laisser passer cette chance ambulante. Nous nous hissons sur la plate-forme arrière, debout, et nous agrippons aux arceaux. Anne-Laure qui a refusé de prendre place dans la cabine plus confortable, déchante vite. Les secousses du camion nous font faire des bonds, nous ballotant un coup à droite vers la falaise, un coup à gauche vers le précipice. Même si le chauffeur redouble de prudence, deux ou trois passages délicats ont raison des nerfs d'Anne-Laure, sous le regard amusé des gamins habitués à ce genre de manège. Nous demandons à descendre, et replongeons dans la fournaise pour 4 heures...

Arrivés à Tsawarong, tout poisseux et couverts de poussière, nous rêvons d'une bonne douche : "Meyo, meyo!". Y'a pas d'eau! Encore une fois, en insistant un peu, nous obtenons généreusement 5 litres que nous nous partageons tout nus dans le "jardin"!!!

Après trois jours de marche, nous sommes bel et bien au bout de la piste. Aucune route carrossable ne relie Tsawarong au reste du Tibet. Les échanges se font encore à l'aide des caravanes de chevaux qui empruntent les petits sentiers muletiers de montagne, ce qui donne à Tsawarong ses airs de Far West... ou plutôt de Far East!

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Nous nous accordons un jour de repos à Tsawarong. D'une part pour nous remettre de nos 80 km des trois derniers jours, et d'autre part pour préparer la suite de notre "aventure tibetaine".

Tsawarong est relié au reste du Tibet uniquement par des sentiers de montagne. D'un coté 3 jours de marche puis 140 km de "camion de la peur". De l'autre, 6 jours de randonnée à travers les montagnes jusqu'a Zayul, puis une route "normale". Nous choisissons la 2ème option, mais cette fois-ci pas question de faire la route seuls.

Reste à trouver un guide et des mules pour mettre nos gros sacs dessus. La nouvelle se répand vite dans le village, mais s'il est aisé de faire comprendre notre destination, il est plus difficile de discuter le prix, de connaitre le nombre exact de jours de marche... car nous ne trouvons personne qui parle anglais.

Soudain un petit bout de femme débarque : "Welcome to Tsawarong, may I help you?". "Of course!". C'est l'institutrice du village qui nous vient en aide!

Un attroupement se forme rapidement autour de nous et la conversation s'engage. Après quelques minutes, ça à l'air clair : nous partirons demain à 6h avec un guide, son fils et une mule, pour 100 Yuans (10 euros) par jour.

Le soir, lorsque nous essayons de nous endormir (très dur avec la télévision à fond juste en dessous jusqu'a 2h du matin), plusieurs sentiments nous envahissent : excitation, car cette randonnée va nous emmener vers des montagnes que peu d'occidentaux ont traversées, mais une certaine anxiété aussi face à l'inconnu. Où allons-nous dormir? Qu’allons-nous manger? Nous n'avons aucune information sur la route et ses difficultés, et ne savons pas si notre guide est un habitué ou pas de ce genre de périple...

Les maisons tibétaines du village de Tsavarong 
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6h du mat : rien.

7h du mat : rien.

8h du mat : toujours rien.

9h du mat : encore rien!

Pas gêné, je me pointe à l'école pour expliquer à l'institutrice notre "problème". Elle laisse sa classe en plan et vient à notre rescousse. Lorsqu'elle arrive à l'auberge, le guide aussi... Enfin plutôt son fils, car son père le boucher à d'autres vaches à fouetter! 9h30, nous partons donc avec Tachi, Andu son copain, et deux belles mules.

Nous progressons pour la dernière fois le long du Nujiang. A flanc de montagne, le sentier est étroit, les paysages désertiques. Andu nous montre comment manger le fruit des cactus (figues de barbarie) ! Il arrache d'abord une branche d'un arbuste proche, et frotte le fruit délicatement pour en faire tomber les centaines d'épines invisibles qui le recouvrent. Ensuite seulement, il cueille le fruit, l'ouvre en deux et le croque à pleine dent ! Curieux, nous essayons, c'est doux et sucré, délicieux !

Plus loin, nous traversons un pont suspendu balloté par le vent et faisons nos adieux au tumultueux Nujiang que nous remontions depuis une dizaine de jours.

Nous pénétrons de nouveau dans une vallée où la végétation abonde. L'eau ruisselle des versants, les cactus disparaissent pour laisser place à une épaisse forêt que la lumière du soleil a du mal à percer. Cette fois-ci nous goûtons aux baies sauvages... Envoyées gentiment par des paysans perchés dans les arbres! Deuxième découverte culinaire de la journée.

L'heure tourne, bientôt 8 heures que nous marchons (et mangeons...), mais sans les sacs sur le dos, cela nous semble 100 fois plus facile. Où va t-on dormir ? Tentons-nous de faire comprendre à nos guides. A Nala nous répondent-ils. Il y aurait donc un village plus loin... Ca tombe bien car le temps commence à se gâter, nous sentons les nuages et l'humidité pénétrer la forêt.

Andu et Tashi nous font signe de traverser le torrent et nous mènent dans une petite clairière où des résidus de feux de bois jonchent le sol... C'est ça Nala ? Ben oui, c'est ça... Et le petit lit douillet qui nous attendait dans un village, il se trouve où lui ?! Qu'à cela ne tienne, nos deux tibétains sortent de sous la selle d'une mule une grande bâche en plastique et en moins de 5 mn dressent un abri de fortune. Pour le feu, idem. A l'aide de leurs couteaux grands comme des épées, ils fendent quelques bûchettes qui prennent malgré l'humidité ambiante. Et le plus fort, c'est qu'ils se taillent aussi leurs baguettes pour manger ! Une grosse marmite de riz, une autre de bouillon de viande font l'affaire. Depuis Nala et ses 3000 m d'altitude, il est temps de vous souhaiter bonne nuit et de vous dire à très bientôt !

Le campement de Nala (photo de gauche) 
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Nous nous réveillons après une nuit pas si mauvaise que ça sous la bâche! Comme le dîner de la veille, le petit-déjeuner est consistant : riz, bouillon de viande, et pain de thé effrité dans l'eau bouillante.

Nous levons le camp et continuons à monter dans cette forêt si verte et humide. Les mules sont à la peine ce matin, ce qui nous arrange bien pour l'acclimatation. 3 heures plus tard, nous passons notre premier col à 4200 mètres. Des dizaines de drapeaux de prière multicolores flottant au vent nous accueillent. Mais la brume nous empêche d'admirer le panorama réputé grandiose sur le Meili Snow Peak (6700 m), une des montagnes sacrées du Tibet.

Nous replongeons dans la forêt, sous la pluie et dans la gadoue! Une caravane de mules nous rattrape et nous escorte jusqu'au campement de Zaha (3400m). Ici encore pas de village, mais un campement de bâches en plastique. C'est ça la barrière de la langue : on s'imagine quelque chose, et à l'arrivée c'est mieux ou moins bien, mais toujours différent! Aujourd'hui, c'est moins bien, mais quand même mieux qu'hier! Il y a une "tente magasin" qui nous permet de nous ravitailler en gâteaux secs et de partager une bière avec nos guides.

Après le dîner (riz, bouillon de viande, ...) un petit vieux nous rend visite, entretient notre feu, et nous parle, nous parle, nous parle... Il nous est bien sympathique et on ne voudrait pas le vexer, alors on acquiesce de la tête et de temps en temps on répète un mot. Il repart comme il est arrivé, et nous ne tardons pas à nous coucher.

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Le lendemain est une folle mais belle journée.

Nous devons passer le col le plus haut de notre route vers Zayul. La montagne se dénude avec l'altitude, nous marchons maintenant sur un vrai petit sentier de montagne qui nous rappelle Névache et les Hautes Alpes. La bonne humeur est de mise, et la randonnée se transforme en un cours croisé d'Anglais - Tibetain. Nos deux amis sont ravis d'apprendre les mots de notre quotidien (fire = mi, beer = pichou, drink tea = tsa tong, rice = dje, et bon appétit!)

Peu avant le col, nous nous arrêtons déjeuner sous le soleil à 4400 mètres d'altitude, au bord d'un petit torrent. Le passage de ce dernier à 4660 mètres s'avère un peu difficile pour le souffle, mais contrairement à la veille le panorama est sublime. Pour la première fois, nous contemplons lacs turquoise et émeraude, glaciers et neiges éternelles.

La vue depuis le col à 4660 m 

Une "course-poursuite" s'engage dans la descente pour rejoindre nos guides qui ne se sont pas attardés à contempler le panorama, ce qui nous mène à Tcheume, un véritable petit village Suisse au Tibet.

Enfin nous sommes hébergés dans une vraie maison, celle du papa d'Andu. D'ailleurs il n'y a que des hommes dans cette baraque, et la propreté et le rangement s'en ressentent fortement! Où sont les femmes?! L'heure du dîner approche; c'est le moment choisi par le Mal de l'Altitude pour entrer en scène. Qui est-ce qui est encore malade? Qui est-ce qui ne tient pas un petit col à 4600 mètres? C'est Pierrot, toujours lui... Il se couche, la tête dans un étau, dégoûté de ne pouvoir accompagner Andu et Tachi à la « discothèque » du village.

Minuit, le Mal est parti, et Pierrot accueille avec appétit le souper d'après-discothèque. Plus de peur que de mal, tant mieux car demain la route sera encore longue...

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C'est notre dernier jour de marche et nous sommes impatients d'arriver à Zayul ! D'abord parce que nous avons été bloqués une journée par le mauvais temps sous une bâche en plastique dans un campement sans grand intérêt, et ensuite parce que nous croyions qu'il n'y avait que 6 jours de marche pour rallier Zayul, alors qu'il en faut 7 en réalité... encore la barrière de la langue ???

Aujourd'hui ne devrait être qu'une formalité, la route ne fait que descendre. Nous nous joignons avec Tashi à une caravane d'une vingtaine de mules et partons l'esprit tranquille. Dans quelques heures nous serons à Zayul, prêts à dévorer autre chose que des nouilles lyophilisées ou du riz blanc, impatients de pouvoir prendre une bonne douche réparatrice. Les mules aussi ont l'air pressée d'arriver, elles sont nerveuses et imposent au groupe de tibétains que nous accompagnons un rythme soutenu.

La piste suit une rivière en contrebas, les montagnes sont parées de forêts de pins denses, dont les branches sont recouvertes de lianes moussues qui pendent sur plusieurs mètres. Le temps, couvert et humide, diffuse dans ce décor surnaturel une lumière uniforme, on se croirait projeté dans un film fantastique...

"on se croirait projeté dans un film fantastique"

13h. Nous longeons une caserne militaire. Deux sentinelles impassibles nous regardent passer ; que peuvent-ils bien faire là en pleine pampa ?

13h30. Nous avons la réponse. 25 uniformes kaki nous rattrapent en courant. Le commandant bedonnant arrive en dernier complètement essoufflé. On pense d'abord qu'ils veulent contrôler la caravane, mais non, ils laissent filer les tibétains et ne retiennent que nous... Et nos sacs alors ?! Ils sont accrochés à une mule 500m plus en avant. Le chef envoie 2 soldats les chercher, nous nous retrouvons seuls face à un bataillon rangé face à nous... Si on pensait que notre aventure tibétaine allait s'arrêter là en pleine forêt...!

Dans un anglais hésitant l'interrogatoire commence : D'où venez-vous ? Où allez-vous ? C'est limite philosophique comme question...

Entre temps les deux bidas reviennent avec nos sacs sur le dos. Ça aurait bien valu une photo mais ce n'était pas vraiment le moment... On nous remonte à la caserne, mais on nous arrête devant, top confidentialité oblige. Celui qui parle anglais demande à Anne-Laure "Vous savez qui nous sommes ? PRA". Croyant que faire la couillonne donne des airs d'innocence, elle lui demande si c'est bien son prénom... "No ! PRA !" (Armée de République Populaire...).

Bon, maintenant que vous savez d'où on vient et où on va, on peut y aller ? Il pleut, il ne fait pas trop chaud... Non c'est pas le moment. Deux militaires reviennent avec 2 chaises, c'est pour nous et on est priés de s'asseoir. Deux autres militaires debout nous tiennent un parapluie, c'est assez cocasse. Et les questions continuent : "Vous avez un appareil photo ? Alors on veut voir les photos". L'ambiance se détend. Ils comprennent que nous avons voyagé à pieds, alors ils sont impressionnés. "Vous voulez manger ? Non merci, on a encore de la route à faire..." Mais 5 mn plus tard 2 bouteilles de jus de raisin et des paquets de gâteaux atterrissent dans nos bras. C'est que ça s'éternise cette affaire là... Et ils ne nous ont toujours pas demandé le fameux permis touristique que nous n'avons pas...

Ils veulent nous prendre en photo, peut-on refuser ? Mais quand on leur retourne la question, le non est catégorique. Puis le chef s'absente, il attend les ordres par téléphone. Alors les soldats (qui doivent avoir une vingtaine d'année) se lâchent ! Ils défilent un par un pour se prendre en photo avec nous...

Le chef de retour, nous avons apparemment l'autorisation d'aller à Zayul, rassurant. Mais nous sommes pressés de repartir, il nous reste 2 heures de marche avec nos gros sacs à porter... "Si vous vous voulez une voiture, pas de problème, mais c'est 60 Yuans... Non merci c'est trop cher on préfère marcher !" ils ont l'air surpris. "50 Yuans alors ? Non, non, c'est trop cher..." Finalement on aura une voiture et gratuitement, mais il faut encore attendre...

16h. Nous avons assez poireauté, nous décidons de marcher. On nous fait comprendre poliment mais fermement que ce n'est pas une bonne idée. Puis Tashi notre guide arrive tout essoufflé. Il avait sauté dans un camion pour descendre plus vite à Zayul; le reste de la caravane a du l'informer de notre "arrestation" spectaculaire. Le pauvre ne doit rien comprendre, et en plus nous ne l'avons pas encore payé... Une jeep arrive, cool, on va pouvoir y aller ! Mais non, quatre supers inspecteurs en civil descendent et rebelote ! Passeports, itinéraire, appareils photos, fouille des sacs. On sort notre linge sale de randonneur qui ne s'est pas lavé depuis une semaine... Un peu d'ironie mais pas trop non plus...

En fait nous finissons par comprendre que la présence de cette caserne s'explique du fait que nous sommes en zone sensible à la frontière de la Birmanie (Myanmar) et de l'Inde. Nous ne savions pas que nous étions si proches de l'Inde, car nous avions "étudié" une carte chinoise qui ne tient pas compte des frontières internationales. L'Inde se trouve en réalité toute proche, et les deux pays ne sont vraiment pas d'accord sur la délimitation...

18h. Nous montons enfin dans la super jeep. Trente minutes de piste tout confort et nous rigolerons bientôt de cette après-midi stressante. Mais non, c'était trop beau ! Arrivés à Zayul, on nous remet dans les mains de la police... Comme ils n'ont eu aucune info de la part des militaires, on recommence tout depuis le début, le grand chelem ! Ils remontent même notre itinéraire jusqu'en Mongolie ! Puis la sanction tombe : "Vous avez bien un visa en règle, mais avez-vous un permis ? - Un permis ? On ne voit pas très bien de quoi vous voulez parler...? - Vous vous trouvez en zone militaire interdite aux étrangers, pour rentrer à Zayul, il vous faut un permis spécial délivré par les autorités militaires de Chengdu... Vous devez quitter la zone le plus rapidement possible ! - Mais on ne demande que ça Monsieur le commissaire !".

On s'en tire à bon compte. Nous n'avons pas d'amende et personne ne nous a demandé le fameux permis touristique. Et Zayul ressemblant à une ville chinoise sans âme, nous serons contents de déguerpir demain à la première heure. Les deux flics nous accompagnent ensuite à l'hôtel, puis au resto, ils sont vraiment sympas. Lorsqu'on s'aperçoit qu'ils ne commandent rien à manger, on comprend que nous sommes en fait sous surveillance rapprochée... Il faut dire qu'avec nos têtes d'espions indiens birmans il est normal que les mesures de sécurité soient renforcées.