C'est notre dernier jour de marche et nous sommes impatients d'arriver à Zayul ! D'abord parce que nous avons été bloqués une journée par le mauvais temps sous une bâche en plastique dans un campement sans grand intérêt, et ensuite parce que nous croyions qu'il n'y avait que 6 jours de marche pour rallier Zayul, alors qu'il en faut 7 en réalité... encore la barrière de la langue ???
Aujourd'hui ne devrait être qu'une formalité, la route ne fait que descendre. Nous nous joignons avec Tashi à une caravane d'une vingtaine de mules et partons l'esprit tranquille. Dans quelques heures nous serons à Zayul, prêts à dévorer autre chose que des nouilles lyophilisées ou du riz blanc, impatients de pouvoir prendre une bonne douche réparatrice. Les mules aussi ont l'air pressée d'arriver, elles sont nerveuses et imposent au groupe de tibétains que nous accompagnons un rythme soutenu.
La piste suit une rivière en contrebas, les montagnes sont parées de forêts de pins denses, dont les branches sont recouvertes de lianes moussues qui pendent sur plusieurs mètres. Le temps, couvert et humide, diffuse dans ce décor surnaturel une lumière uniforme, on se croirait projeté dans un film fantastique...
13h. Nous longeons une caserne militaire. Deux sentinelles impassibles nous regardent passer ; que peuvent-ils bien faire là en pleine pampa ?
13h30. Nous avons la réponse. 25 uniformes kaki nous rattrapent en courant. Le commandant bedonnant arrive en dernier complètement essoufflé. On pense d'abord qu'ils veulent contrôler la caravane, mais non, ils laissent filer les tibétains et ne retiennent que nous... Et nos sacs alors ?! Ils sont accrochés à une mule 500m plus en avant. Le chef envoie 2 soldats les chercher, nous nous retrouvons seuls face à un bataillon rangé face à nous... Si on pensait que notre aventure tibétaine allait s'arrêter là en pleine forêt...!
Dans un anglais hésitant l'interrogatoire commence : D'où venez-vous ? Où allez-vous ? C'est limite philosophique comme question...
Entre temps les deux bidas reviennent avec nos sacs sur le dos. Ça aurait bien valu une photo mais ce n'était pas vraiment le moment... On nous remonte à la caserne, mais on nous arrête devant, top confidentialité oblige. Celui qui parle anglais demande à Anne-Laure "Vous savez qui nous sommes ? PRA". Croyant que faire la couillonne donne des airs d'innocence, elle lui demande si c'est bien son prénom... "No ! PRA !" (Armée de République Populaire...).
Bon, maintenant que vous savez d'où on vient et où on va, on peut y aller ? Il pleut, il ne fait pas trop chaud... Non c'est pas le moment. Deux militaires reviennent avec 2 chaises, c'est pour nous et on est priés de s'asseoir. Deux autres militaires debout nous tiennent un parapluie, c'est assez cocasse. Et les questions continuent : "Vous avez un appareil photo ? Alors on veut voir les photos". L'ambiance se détend. Ils comprennent que nous avons voyagé à pieds, alors ils sont impressionnés. "Vous voulez manger ? Non merci, on a encore de la route à faire..." Mais 5 mn plus tard 2 bouteilles de jus de raisin et des paquets de gâteaux atterrissent dans nos bras. C'est que ça s'éternise cette affaire là... Et ils ne nous ont toujours pas demandé le fameux permis touristique que nous n'avons pas...
Ils veulent nous prendre en photo, peut-on refuser ? Mais quand on leur retourne la question, le non est catégorique. Puis le chef s'absente, il attend les ordres par téléphone. Alors les soldats (qui doivent avoir une vingtaine d'année) se lâchent ! Ils défilent un par un pour se prendre en photo avec nous...
Le chef de retour, nous avons apparemment l'autorisation d'aller à Zayul, rassurant. Mais nous sommes pressés de repartir, il nous reste 2 heures de marche avec nos gros sacs à porter... "Si vous vous voulez une voiture, pas de problème, mais c'est 60 Yuans... Non merci c'est trop cher on préfère marcher !" ils ont l'air surpris. "50 Yuans alors ? Non, non, c'est trop cher..." Finalement on aura une voiture et gratuitement, mais il faut encore attendre...
16h. Nous avons assez poireauté, nous décidons de marcher. On nous fait comprendre poliment mais fermement que ce n'est pas une bonne idée. Puis Tashi notre guide arrive tout essoufflé. Il avait sauté dans un camion pour descendre plus vite à Zayul; le reste de la caravane a du l'informer de notre "arrestation" spectaculaire. Le pauvre ne doit rien comprendre, et en plus nous ne l'avons pas encore payé... Une jeep arrive, cool, on va pouvoir y aller ! Mais non, quatre supers inspecteurs en civil descendent et rebelote ! Passeports, itinéraire, appareils photos, fouille des sacs. On sort notre linge sale de randonneur qui ne s'est pas lavé depuis une semaine... Un peu d'ironie mais pas trop non plus...
En fait nous finissons par comprendre que la présence de cette caserne s'explique du fait que nous sommes en zone sensible à la frontière de la Birmanie (Myanmar) et de l'Inde. Nous ne savions pas que nous étions si proches de l'Inde, car nous avions "étudié" une carte chinoise qui ne tient pas compte des frontières internationales. L'Inde se trouve en réalité toute proche, et les deux pays ne sont vraiment pas d'accord sur la délimitation...
18h. Nous montons enfin dans la super jeep. Trente minutes de piste tout confort et nous rigolerons bientôt de cette après-midi stressante. Mais non, c'était trop beau ! Arrivés à Zayul, on nous remet dans les mains de la police... Comme ils n'ont eu aucune info de la part des militaires, on recommence tout depuis le début, le grand chelem ! Ils remontent même notre itinéraire jusqu'en Mongolie ! Puis la sanction tombe : "Vous avez bien un visa en règle, mais avez-vous un permis ? - Un permis ? On ne voit pas très bien de quoi vous voulez parler...? - Vous vous trouvez en zone militaire interdite aux étrangers, pour rentrer à Zayul, il vous faut un permis spécial délivré par les autorités militaires de Chengdu... Vous devez quitter la zone le plus rapidement possible ! - Mais on ne demande que ça Monsieur le commissaire !".
On s'en tire à bon compte. Nous n'avons pas d'amende et personne ne nous a demandé le fameux permis touristique. Et Zayul ressemblant à une ville chinoise sans âme, nous serons contents de déguerpir demain à la première heure. Les deux flics nous accompagnent ensuite à l'hôtel, puis au resto, ils sont vraiment sympas. Lorsqu'on s'aperçoit qu'ils ne commandent rien à manger, on comprend que nous sommes en fait sous surveillance rapprochée... Il faut dire qu'avec nos têtes d'espions indiens birmans il est normal que les mesures de sécurité soient renforcées.