Attention, attention, j’aborde la partie la plus compliquée à rédiger car c’est la plus touchy (dédicace à toi Luciole ;) ). Je ne prétends pas en quelques semaines être devenue une spécialiste et je n’ai pas la recette du bonheur des éléphants mais je vais vous présenter ici ce que j’ai appris grâce à la fondation, saupoudré des expériences de personnes rencontrées lors de mon volontariat et, pour couronner le tout, les fruits de ma réflexion. Bon… Beaucoup de questions trottent encore dans ma tête bien sûr.
La fondation ESAF (Elephant Sanctuary Asian Foundation) créée il y a quelques années regroupent plusieurs camps (Chiang Mai, Phuket et Kanchanaburi). Celui de Kanchanaburi "Elephant Care Thailand" où j'ai été accueillie en tant que volontaire a ouvert ses portes en novembre 2019 - voui il est tout nouveau. Ce projet a mis plus de 5 ans à voir le jour.
Bourtong, Wanvisa, Pompui et CherryPlongeons-nous dans l'histoire des éléphants, je vais vous expliquer comment ils ont été utilisés et exploités. Il y a plusieurs siècles (rappelons que la Thaïlande est une monarchie), les éléphants ont servi de machines de guerre. La puissance de leur trompe (pour attraper et projeter des hommes) et la menace de leurs défenses pour transpercer un autre éléphant, par exemple, constituaient des atouts non négligeables lors des batailles. Les mâles possédant de longues défenses étaient réquisitionnés. De plus, un éléphant en colère ça tape des pattes et ca piétine l’ennemi. Beaucoup plus efficace que nos chevaux n'est-ce pas ? À cette époque, beaucoup d'éléphants mourront.
Par la suite, au 20e siècle, nos chers pachydermes vont servir à l’exploitation forestière. Et pas n’importe quel type d'arbre le Maydeng, un des plus lourds, des plus denses qui pousse en haut des montagnes. Afin d’obliger les éléphants à monter chercher les troncs d’arbre, la technique ancestrale de dressage par anéantissement “phajaan” sera utilisée. L'éléphanteau est séparé très tôt de sa mère, trop tôt. Il est enfermé dans une toute petite cage en bois ou en bambou pour qu’il ne puisse pas bouger. Il va alors être tapé, piqué jusqu’à ce que son esprit soit complètement brisé et qu’il soit trop effrayé par l’homme pour lui désobéir. Allez, mon petit, va me chercher des troncs d'arbre maintenant. Lors de la saison des pluies, c’est encore plus dangereux. Des pluies diluviennes rendent les passages marécageux. Les éléphants s’enfoncent dans la boue, trébuchent, tombent et se font écraser ou briser les pattes par le tronc d’arbre qu’ils transportaient. Ils sont alors laissés sur place condamnés à mourir. Encore à cette époque… beaucoup d'éléphants mourront. À partir de 70, il est interdit d’utiliser l'éléphant pour l’exploitation forestière.
Au 20e siècle, on a pas laissé tranquille les petits néléphants. Moment bien triste de notre histoire… la seconde guerre mondiale. En 42, alors que toutes les plus grosses forces armées sont occupées principalement en Europe, l'armée japonaise en profite pour envahir l’Asie. Elle va décider de construire un chemin de fer de 415 km afin de relier la Thaïlande à la Birmanie. Il a été surnommé le chemin de fer de la mort. Explication ! La réalité était bien plus horrible que ce qui est décrit dans le film "le pont de la rivière Kwai" (Étonnant puisque le film date de 57, pas si éloignée de 42-43, années de construction du pont). 90 000 travailleurs asiatiques et 12 400 prisonniers de guerre (australiens, britanniques, néerlandais et américains) perdront la vie sur ce chantier de la mort. Après la visite du musée Hellfire Pass (créé en hommage aux victimes australiennes) les vidéos diffusées m'ont de suite fait penser aux conditions de vie des personnes enfermées dans les camps de concentration. Le Hellfire Pass est le passage créé dans les montagnes surnommé les feux de l'enfer du aux torches mises au fur et à mesure sur les flancs de la montagne (peut-être pas que…) .
Vous allez me dire c'est quoi le rapport avec les éléphants. Y en a un, je vous jure. Pour la construction du pont de la rivière Kwai, les éléphants vont permettre de poser les bastingues (énorme poutre en bois qu'on dispose avant les rails). Petite information, le pont d'origine en bois a été bombardé. Celui présent à Kanchanaburi qui est d'ailleurs en fer et non en bois a été reconstruit après la guerre.
A gauche, le pont de la rivière Kwai du film en espérant qu'ils se soient bien renseignés sur la construction du pont originalFin de la guerre, fin des atrocités. Tout le monde rentre chez soi. Ou quasiment. Certains vont rester sur place et fonder une famille. Une vie sociale va reprendre petit à petit. Que faire donc de nos chers éléphants ? Au début, des friandises (maïs, concombres, bananes…) vont être données à l’éléphant sauf que ce n'est pas assez pour notre ami qui pèse entre 2 et 3 tonnes. Il doit consommer par jour 10% de son poids c’est à dire entre 200 et 300 kilos. L’idée des balades à dos d'éléphants vont commencer ici. Pour le plus grand plaisir des visiteurs, l’éléphant de l'époque des grandes batailles allait reprendre vie. Il sera d’abord monté à cru mais ce n’est pas très confortable, l’éléphant a des poils drus sur tout le corps. Des poils sensitifs qui lui permettent de sentir ce qu'il se passe autour de lui. En plus de la nacelle faite en Maydeng (ce fameux bois rouge bien lourd), l'éléphant sera décoré. Il va être peint (une peinture faite avec de l'essence) de toutes les couleurs, orné de perles, drapé d'étoffes…
Désormais, le tourisme autour de l’éléphant s'est bien développé: nacelle pour monter l’éléphant, les spectacles les plus ridicules les uns que les autres… (non je ne porte aucun jugement): match de foot, reconstitution de batailles, danse, peinture (oui un éléphant a peint le portrait du roi).
Défilé pour le roi de son éléphant albinos, match de foot et peintureAu delà de la cause animale qui est à défendre on peut se rendre compte qu’il y a un combat caché celui de la condition des mahouts. Il faut aussi considérer cet homme derrière qui en prend soin 24h/24 et 7j/7. Pas de week-end, pas de jour férié, pas de vacances pour lui. S'il est absent, qui s'occupera de l'éléphant ? Le mahout ou cornac va le nourrir, en prendre soin, lui permettre de se balader… Beaucoup sont des birmans ou originaires de pays limitrophes qui ont des cartes d’identité qui les limitent à une région. Ici, par exemple, ils ne pourront jamais aller au delà de la ville de Kanchanaburi ou devront payer des papiers hors de prix pour leur petit salaire (entre 4000 et 5000 bahts - entre 115 et 145 euros).
S'occuper d'un éléphant coûte cher et c'est l'engagement d'une vie (la longévité d'un éléphant est la même que les humains). Ce ne sont bien sur pas les mahouts qui sont propriétaires de l'éléphant, ce sont les thaïlandais. Chaque éléphant a un dossier vétérinaire et une puce. Des vétérinaires ordonnés par la police animalière viennent souvent contrôlés l'état de santé des éléphants et si un éléphant meurt il faut le justifier sinon il y a de lourdes sanctions. Lorsque l'on coupe les défenses d'un éléphant (ça peut arriver si elles sont trop aiguisées, ça pourrait blesser un autre éléphant), il faut faire une photo avant/après pour preuve.
Arriver avec sa vision européenne de la situation est chose facile. Mais est-ce qu'il ne faudrait pas s'intéresser réellement au sujet avant d'émettre une opinion ? Quelles solutions ? C'est pas si facile..!
La nacelle ? Cela concerne tout être animal (y compris nous les petits humains, on enlève juste les fourmis et scarabées), on ne peut supporter plus de 10% de son poids. Notre corps n'est pas fait pour ça (quand je me dis que je me balade en Asie avec un sac qui fait un tiers de mon poids… Haha). Une nacelle va peser entre 20 et 30 kilos, les couvertures un peu plus, on ajoute une personne et on peut dire que pour l'éléphant les 10% sont respectés.
Je tente de trouver une vraie étude prouvant que les nacelles brisent le dos des éléphants. Et pour le cheval? Je vous laisse faire les recherches et le calcul… mais vous vous doutez de la réponse. Tout camp qui fait de la nacelle ne maltraite pas forcément ses éléphants. Pour créer "Elephant Care Thailand", ce sont des propriétaires de camp qui font monter leurs éléphants qui ont le plus participé financièrement. Eux aussi ont envie que ça change. J'irai d'ailleurs jeter un œil en avril au camp d'une des fondatrices. Le problème de la nacelle est qu'on ne découvre pas l'animal. Comment on pourrait ? On est sur son dos. Il n'y a rien de plus beau que de voir un éléphant évoluer dans la nature et de s'amuser à ramasser des feuilles pour lui tendre. Dans ses beaux yeux marrons aux longs cils, il semble nous remercier. Selon moi, on ne devrait pas monter sur l'éléphant comme on ne devrait monter sur aucun animal.
Un retour à la nature ? Un éléphant qui a toujours vécu en captivité ne saura pas ce qui est bon pour lui dans la nature. Une plante, qui le constipe, va lui créer un bouchon, ses organes à l'intérieur vont mourir et l'éléphant sera perdu en 72 heures. Une autre plante peut aussi lui donner la diarrhée. L'éléphant va se déshydrater et mourir en 48 heures. Une française a voulu sauver deux éléphants. Elle les a loués (car les étrangers ne peuvent rien posséder en Thaïlande) et les a relâchés dans la nature. Ils sont morts au bout de 2 mois.
Ne pas les enchaîner ou pas d’enclos ? La chaîne ne doit pas vous choquer car si elle est longue cela peut permettre à l'éléphant de se nourrir dans la nature et ça lui laisse plus de liberté qu'un enclos. Il faut tout de même sécuriser l'animal. On ne peut pas laisser l'animal erré n'importe où, c'est bien trop dangereux pour lui. Il y a longtemps, la responsable du staff du camp et son mari ont eu deux éléphants. Le mahout s'est endormi et avait oublié de les attacher. Ils ingérés de l'insecticide et sont morts en quelques jours… c'est triste à dire mais il faut les protéger des dangers venant de nous les humains. L'idéal serait un parc clôturé sur plusieurs centaines d'hectares (tout dépend du nombre d'éléphants - un éléphant a besoin de 10 hectares). Mais tous les camps n'ont pas levés des milliards de fonds comme Lek à Elephant Nature Park. Sa famille a toujours été dans le business des éléphants. Elle a choisi de faire différemment et a créé le premier sanctuaire pour les éléphants maltraités et fatigués afin d'améliorer leurs conditions de vie. Elle a d'ailleurs créé les premières prothèses pour éléphants. Une grande dame !
LekPas de crochet ? J'en ai parlé dans mon article précédent. Ici, il n'est pas utilisé mais, quand il est présent, il va seulement être montré à l'éléphant pour qu'il obéisse. Ça peut en effet être dangereux quand on est sur la route s'il s'amuse à gêner le passage. Il ne sera réellement utilisé sur l'animal que s'il devient incontrôlable et qu'il y a danger pour lui, un autre éléphant ou tout être humain. Ici ils essayent de le remplacer mais en vain…
La relation avec le mahout ? Yanwit un des fondateurs m'expliquait que c'était compliqué de trouver un bon mahout. Selon moi, le bien-être de l'animal va passer avant tout par sa relation bonne ou mauvaise avec son mahout. Je me suis dit qu'il fallait peut être encourager une relation plus fusionnelle. Mais en fait non. Mauvaise idée. Dans un camp, un éléphant avait une relation vraiment fusionnelle avec son mahout. Au bout de quelques années, il a eu une proposition plus intéressante dans un autre camp. Lorsqu'il est parti, l'éléphant a failli se laisser dépérir. De justesse, un nouveau mahout l'a requinqué.
Comment est-ce qu'on élève nos animaux en France ? J'ai appris que pour faire danser un cheval, le dresseur va imbiber un coton d'acide et le mettre tout autour du sabot. Il piétinera et dansera et quand le dresseur le retirera, le cheval sera tellement reconnaissant qu'il continuera de danser. C'est hallucinant ce qu'on a pu faire pour dresser nos animaux (pourquoi est ce que je mets cette phrase au passé ?)
Ce serait peut-être bien de balayer devant notre porte avant de débarquer dans un pays critiquer librement sans connaître le contexte et prétendre connaître la solution qui est siiii simple à mettre en place … mais bien sûr! Oui parfois il n'est pas facile d'exposer tout cela aux touristes qui ont réponse à tout.
Un petit conseil si vous passez en Thaïlande ? Ne fuyez pas les camps d'éléphants où ils font de la nacelle. L'animal n'est coupable de rien. Mais allez-y et au lieu de monter sur l'animal, achetez lui à manger et donnez lui. Quelques personnes, en effet, ça n'aura pas d'impact. Mais si on est de plus en plus. Le propriétaire verra que ça n'intéresse plus les touristes de monter sur l'éléphant. On peut tous être acteur du changement même à petite échelle.
SI vous souhaitez réagir, poser des questions, je serai ravie de vous renseigner davantage ou d'échanger sur les conditions de nos chers éléphants. Je pourrai encore en tartiner des pages mais j'ai déjà sûrement perdu des gens au milieu de l'article 😂.
De mon côté, je continue de creuser le sujet en étudiant le rapport de World Animal Protection sorti en juillet 2019 sur les conditions de vie des éléphants d'Asie ( https://www.worldanimalprotection.org/news/taken-ride-thousands-elephants-exploited-tourism-are-held-cruel-conditions)
Merci à Sébastien, un des fondateurs français d'Eléphant Care Thailand qui en très grande partie m'a donné toutes les informations pour nourrir cet article.