Étant à l'arrêt au port (San Miguel à Ténérife), écrire chaque jour n'a plus le même sens pour moi. J'avais envie de partager mon récit journalier parce que j'imaginais vivre une vie différente, dans un espace restreint et en mouvement, jour & nuit. Cela fait presque deux semaines que nous sommes à Ténérife et, ce qui devait être une courte escale, s'est transformé en stand-by de durée inconnue. Nous voilà donc à attendre, au port. Et cette fois, nous avons une place pour plusieurs jours, le bateau devant être immobilisé.
Le vendredi 16 fait suite au jeudi festif qui mêlait déni et semblant d'adieu. César a perdu son téléphone, et c'est un miracle qu'il n'ait encore rien perdu avant d'ailleurs, mais un comble de perdre son moyen de contact lorsqu'il en a le plus besoin ! Hier on avait l'information que le convoyage devait s'arrêter. Aujourd'hui, on apprend (tant bien que mal, sans le téléphone de César) que le bateau peut être réparé ici à Ténérife. Génial ! Ça on n'y croyait pas du tout, à vrai dire on avait à peine envisagé l'option lors de nos multiples suppositions. Notre déception d'hier se transforme en espoir.
Tant qu'à être sur l'île, autant en profiter en attendant les nouvelles. Le samedi 17, on décide d'aller visiter une petite ville au nord, Garachico, en stop. On fait trois teams : Ali. Paupau et Martin. Lolo et moi. Ali, Paupau et Martin arriveront en même temps une heure plus tard. Lolo et moi on décidera de rester dans la ville dans laquelle notre première voiture nous déposera : Los Gigantes. Malgré nos journées éloignés les uns des autres, le "hasard" (rien n'arrive par hasard 😉) nous remet sur le même chemin en fin de journée : la même voiture nous ramène tous ensemble au bateau.
Dimanche 18, c'est matinée brunch et sortie en bateau (au moteur, devant le port) pendant laquelle César nous fait faire des exercices : homme à la mer et révision des nœuds de chaise. À 15h, la France dispute la finale de la coupe du monde. Le foot ne m'intéresse pas, je reste profiter du soleil au bateau pendant que les autres filent au bar. Le soir, on est invités à boire l'apéro sur le catamaran des voisins de port, deux suisses, Angélique et Christophe, qui ont tout quitté pour vivre sur l'eau. Est-il encore utile de mentionner que la soirée vire au karaoké ? 😀
Lundi 19, Angélique et Christophe nous invitent à passer la journée sur leur bateau, un Bali 4.8 (plus gros que le nôtre). Le nôtre est à quai et ne bougera plus car César profite de ce break pour faire un aller-retour en France. On a bien appris à faire quelques manœuvres, mais pas assez pour partir en excursion à la journée 😉
Mardi 20, c'est au tour de Lolo et Martin de prendre l'avion pour aller passer les fêtes dans leur famille. Ali, Paupau et moi, on fait ce voyage à la voile par envie mais aussi pour ne pas gonfler notre empreinte carbone. Ça n'a pas de sens pour nous de faire un aller-retour en avion, même si c'est la période des fêtes et que c'est tentant. Personnellement, je suis contente de me retrouver entre nanas pour quelques temps. Mine de rien, ça va faire un mois qu'on est tous ensemble sur ce bateau !
Ces jours-ci, je parle peu de mes ressentis mais pourtant c'est l'ébullition dans nos cerveaux. On est à l'arrêt dans le convoyage, on sait que le bateau doit rester à Ténérife et qu'il peut y être réparé. Mais on n'en sait toujours pas plus que vendredi. Dans ce voyage, j'ai le temps. Mais les filles sont pressées par le temps, elles recommencent à travailler le 1er février. Et si le bateau n'était pas réparé suffisamment vite ? Et si le problème était plus grave et qu'il fallait sortir le bateau pour le démâter ? Et si, et si, et si. Les fêtes approchent et c'est souvent un moment où tout est au ralenti.
À l'annonce de cette mauvaise nouvelle, jeudi passé, on avait chacune pris la décision de reposter une annonce de recherche de bateau. Les filles de leur côté. Moi du mien. Et si on trouve un bateau qui nous embarque toutes les trois, tant mieux ! Mais la priorité c'est leur départ.
En ce mardi, on reçoit un message de Rafik en réponse à nos annonces. Il vient d'arriver à Ténérife et veut partir rapidement vers les Antilles. Il a deux places. On décide d'aller à sa rencontre à Santa Cruz, à 1h au nord de l'île. On n'y est encore jamais allé et c'est l'occasion de visiter la ville. Rafik est sympa, il convoit un catamaran, veut partir dans deux jours et nous accepterait toutes les trois. Ce serait lui et nous. Waw, c'est clairement une proposition qui mérite d'être réfléchie. Autour de croquetas (bien-sûr) et d'un délicieux dessert à base de gofio, une explosion gustative. Il est 16h, on s'est (un peu trop) bien acclimatées à la vie espagnole. Rafik semble à l'antipode de César. Avec lui, ce sera bateau sec (= pas d'alcool), quart de 3h seul sans livre ni musique (il considère qu'on doit être à 100% disponible pour une veille visuelle et auditive permanente), four non utilisable (le bateau doit être livré le plus neuf possible, il a d'ailleurs recouvert chaque endroit possible de carton et protection), pas de musique (utilisation modérée des batteries + veille auditive permanente), et impossibilité de faire des séances de sport car le pont avant n'est qu'en filet. En réalité, on prend conscience de la chance et du luxe d'être sur notre bateau. On se rend aussi compte que, si Rafik semble un peu strict, César est peut-être un peu souple. Notre raison penche pour un départ avec Rafik mais notre cœur bat pour notre bateau et équipage.
Mercredi 21 est une journée émotionnellement chargée. Je dois dire que j'admire le calme et la ténacité des filles. Si c'est elles qui ont tout géré hier avec Rafik, elles rebondissent encore sur une autre proposition aujourd'hui. Après plusieurs contacts avec Christophe, un autre skipper qui avait répondu à leur annonce, les filles lui demandent si on peut embarquer à trois. Il me tient à cœur qu'elles traversent au plus vite, pour vivre un maximum de la suite de leur aventure après la transatlantique, mais les filles ne veulent pas casser le trio qui s'est formé. Elles m'ont toujours accueillie au sein de leur duo, avec gentillesse et bienveillance. Elles sont adorables et ça me touche beaucoup qu'elles aient l'envie de poursuivre aussi avec moi. Christophe accepte ! On partagerait une cabine toutes les trois. Moi qui me plaignait d'avoir trop de confort sur notre bateau, voici le revers de la médaille. Il y a deux autres gars sur le bateau, ce qui nous replongerait dans le schéma mixte actuel : 3 filles 3 gars. Alcool, four et musique autorisés. Départ dans deux ou trois jours, le temps de recevoir une pièce pour le bateau. Carrément partantes ! On s'active, on range et nettoie le bateau, fait nos lessives et prévient César.
Il faut se rendre compte qu'énormement de gens cherchent à embarquer pour traverser l'océan. Certains déambulent dans les ports, d'autres attendent patiemment chez eux une réponse, d'autres abandonnent après des semaines/mois de recherche et d'attente, et d'autres encore ne trouveront jamais de bateau. Nous sommes moins d'une semaine après la mauvaise nouvelle, avec deux nouvelles propositions d'embarquement ! Je pense qu'on a toutes les trois une bonne étoile au dessus de nos têtes. On est chanceuses. D'avoir ces propositions. D'être sur ce bateau (sur lequel on veille, avec la confiance aveugle de César). D'avoir déjà vécu cette expérience exceptionnelle depuis un mois.
Mais l'ascenseur émotionnel reprend de plus belle. César nous rappelle : les travaux devraient être faits cette semaine, au plus tard lundi. Et il nous assure, nous promet, nous garantit un départ mardi ! Autant de synonymes pour appuyer son inébranlable certitude. Entre Rafik, Christophe et César, notre cœur balance (façon de parler Jojo et Matthieu 😀). Indéniablement, notre premier choix est de poursuivre sur ce bateau, avec cet équipage. En un mois, on a appris à se connaître, on a créé des souvenirs ensemble. Notre groupe fonctionne bien. Mais on reste dubitatives sur ces réparations. On a appris que plusieurs catamarans de cette série avaient demâté, et que deux autres seraient réparés début janvier seulement. Pourquoi le nôtre serait-il réparé plus vite ? En seconde position, c'est Christophe qu'on choisi. On prévient donc Rafik qu'on ne partira pas avec lui.
La journée est passée. Mais on n'est pas plus avancées. On attend que les dires de César se vérifient avec le passage du technicien agréé Catana pour être sûres à 100% de notre départ. Et on attend que Christophe reçoive sa pièce pour valider un potentiel départ avec lui.
(Anecdote : vous souvenez-vous du téléphone perdu de César ? Celui à cause duquel on peinait à recevoir plus de nouvelles de la situation. Et bien, on l'a retrouvé ! Ali, en tenant de le joindre via messenger, s'est retrouvée face à une voix féminine : "hola, tengo el movil de vuestro amigo". On éclate de rire, que de péripéties !)
Jeudi 22, on décide de jouer la carte de l'honnêteté (quoi d'autre !?) envers Christophe : si notre bateau est réparé en début de semaine prochaine, on reste. Si non, on le rejoint. Les choses se mettent finalement bien car Christophe est toujours en attente de la réception de sa pièce et il ne l'aura qu'en début de semaine prochaine, donc c'est ok pour lui qu'on le tienne informé dès qu'on en sait plus. Du côté de César, on attend toujours plus de nouvelles quant au passage du technicien agréé Catana. Dès qu'il sera passé, là on sera fixé sur le sort de ce bateau, et le nôtre.
Aujourd'hui, les filles partent en rando. Elles ont loué une voiture, qu'elles vont récupérer avant de faire cap (oui ok la navigation me manque) sur le volcan. Elles vont faire un petit repérage parce qu'on prépare une grosse rando demain.
De mon côté, je reste au bateau, seule. J'en profite pour continuer le grand nettoyage et la lessive. J'aime mes moments seule, je me ressource. Même si j'attends les filles avec impatience.
Il y a 1 mois, jour pour jour, on se rencontrait !! C'est fou comme le temps passe vite. Plus on passe de temps ensemble, plus on s'apprécie, se rapproche et se lie d'amitié ❤️ On a d'ailleurs passé la soirée à se replonger dans nos vidéos et photos. On était déjà nostalgiques de ces beaux moments partagés.