Nous en sommes au 6ème jour de blocage et de manifestations. Le quartier a été paralysé jusqu'ici. Aucune activité formelle. Université porte close. Supermarchés fermés. Ce n'est pas non plus un état de siège, mais certaines activités sont en stand-by depuis jeudi dernier.
Ce matin, miracle ! Mon voisin Michel-Ange vient me voir pour me dire que le supermarché non loin d'ici est ouvert ! Je vais directement trouvé mes voisins pour leur annoncer la nouvelle et nous partons tous les quatre pour nous réapprovisionner. Quelle surprise de trouver le lieu pris d'assaut. Certains rayons sont complètement vides, certainement dévalisées dans la matinée. Il y a ce qu'il faut tout de même ! Je recharge mes stocks de conserves, de yaourt et d’œufs, le principal. Je voulais acheter de la viande mais vous comprenez en voyant la photo que c'est compliqué. J'arrive tout de même à sauver un jarret de bœuf. Je verrais ce que j'en fais ...
En sortant, nous allons acheter des fruits aux femmes postées le long de la route. Je salive devant les bananes, les avocats, les ananas, pastèques, oranges, etc. Je repars avec un régiment de bananes, une énorme papaye et un avocat. Plus loin, une femme vend des œufs. Mes voisins en prennent deux plaquettes et je me retrouve avec une plaquette de 30 œufs ... je vais pouvoir en faire des omelettes !
Nous rentrons enfin. Je range mes victuailles et je reviens discuter un peu avec Fernando, mon gentil voisin qui m'aide beaucoup. Il est Colombien et a vécu 20 ans au Canada. Maintenant il travaille à Haïti en tant qu'ingénieur. Il vit à côté de chez moi avec un couple formée par une Vénézuélienne du nom de Joy et Umberto, un marin cubain de la Havane. Ils m'ont invité à boire l'apéro. Cela fait 1 semaine qu'on se croise (en réalité on habite dans la même maison, ils sont au rez-de-chaussée et moi à l'étage), qu'ils me disent que je peux venir quand je veux, mais que je n'ose pas les déranger.
Aujourd'hui on m'invite alors je me laisse porter, un petit rhum guatémaltèque pour finir la matinée en douceur. Alors que je m'apprête à partir pour aller me cuisiner un bon petit plat, Fernando me fait remarquer qu'il y a déjà quatre assiettes sur la table et que je suis conviée pour le dîner. Quel plaisir !!
Le repas est délicieux : pain pita, hummus, tomates, morceaux tendre de bœuf, épis de maïs grillé au four, servi avec la bière locale : Prestige (légère mais coriace). Mes yeux ne savent plus où donner de la tête. Je sauce mon assiette jusqu'à la dernière miette. Ce qui fait rire Fernando. Je lui répond en rigolant que mon père m'a appris à nettoyer mon assiette pour avoir moins de vaisselle à faire. En attendant le dessert, nous écoutons de la musique et nous discutons dans le salon. Je leur fais écouter les classiques du répertoire français en commençant par Aznavour, connu de Fernando. Ils me font découvrir les anciennes musiques d'Amérique latine. Le dessert est enfin prêt. Nous l'avons dévoré ! Une spécialité vénézuélienne préparée par Joy, très sucrée ! Ça rebooste pour l'après-midi.
Je rentre chez moi fatiguée mais heureuse. J'ai oublié de préciser qu'ils parlent espagnols entre eux et que j'essaie de suivre ce qu'ils disent en plaçant deux trois phrases de mon espagnol le plus nul. Sinon les échanges se font en anglais et comme je n'ai pas l'habitude de pratiquer, ça m'épuise assez vite ...
Cette journée m'aura appris qu'il n'y a pas de petit bonheur, que des moments simples, partagés avec des personnes formidables et accueillantes. Je n'hésiterais plus à aller les voir au besoin ou si l'envie me prend de discuter.