LUNDI 16 DÉCEMBRE
N86 36 E114 58
C'est l'heure de transférer les deux équipages. Nous organisons une chaîne humaine afin d'évacuer nos bagages vers la grue avant du Dranitsyn puis nous franchissons une dernière fois sa coupée afin de rejoindre notre vaisseau mère à pied.
Chacun s'affaire à prendre possession de sa cabine en essayant d'y caler ses innombrables combinaisons. J'y installe fièrement mon drapeau tricolore, le fanion du football club du Tholy et l'insigne de la SMLH. Je place ensuite au frigidaire le foie gras qui servira de cadeau de Noël, le chocolat et le pain d'épices à la mirabelle offerts par le collège de mon village juste avant mon départ. Quelle belle attention !!!
Sur le bureau, je coche déjà les jours passés : 24. Il en reste environ 120... Je change mon fond d'écran d'ordinateur avec une photo de famille.
Nous déjeunons en moins de quinze minutes puis le commandant nous souhaite la bienvenue en salle de cinéma avant un exercice d'évacuation obligatoire.
Le chef scientifique nous présente la dernière mise à jour de la carte de "Mosaic City". Sur la glace sont éparpillés une multitude de camps scientifiques qui dérivent chacun aléatoirement mais qu'heureusement, une balise GPS nous permet de retrouver.
"Met City" est la station météo, "Océan City" permet d'immerger toute sorte de capteurs, "Atmos City" sert à déployer Miss Piggy, un dirigeable orange volant jusqu'à 1500m retenu par un filin, "ROV City" est la tente de mise à l'eau du robot aquatique...
Presque chaque City est accessible par motoneige sur des sentiers balisés par des drapeaux verts. Un drapeau rouge signale un danger. En périphérie de trouvent d'autres sites d'exploration, uniquement accessibles par hélicoptère car maintenant trop éloignés ou séparés par une cassure de la banquise. Ils disposent d'une aire d'atterrissage de 20 m par 20 m constituée de piquets de bois surmontés de fanions et d'un feu d'éclairage que nous pouvons déclencher en vol. On nous y garantit 1 m d'épaisseur de glace. En- dessous, 4400 m de fond !
" Met City " & " Océan City " Une fois par semaine, nous devons nous poser sur ces sites afin d'y prélever les données et changer les batteries de la lampe salvatrice.
Le pôle Nord géographique se situe à 200 nautiques (360 km), soit 1h40 de vol et nous dérivons vers lui à environ 1 km/h. Théoriquement, nous devrions être au plus proche vers la mi-mars.
MARDI 17 DÉCEMBRE
N86 40 - E113 46
20h00 : puisque c'est le dernier soir en compagnie de notre ravitailleur russe, un match de foot est organisé sur la banquise.
Lutz, un chef de quart allemand du Polarstern installe les poteaux, muni d'une perceuse et vêtu de son maillot de l'équipe de Rostock tandis qu'un drone et une équipe télé se préparent à filmer la rencontre multinationale : russe, espagnol, canadien, australien, italien, américain ...
Coup d'envoi devant une quarantaine de personnes amassées autour du vin chaud près de la coupée.
Je marque dès les premières minutes... Mais hélas contre mon camp ! Afin de calmer les railleries, je rappelle que c'est la France qui est championne du Monde !
Il fait -20 degrés mais je suis si chaudement habillé que je deviens rapidement trempé. Avec nos "Moonboots", chacun d'entre nous a décidément le pied carré mais peu importe, c'est plutôt équilibré et les tacles glissés sont du meilleur effet.
Victor, mon assistant de vol, installé dans les cages, sauve notre équipe in extremis d'une majestueuse parade du bout du poing.
Après 30 minutes, la barbe blanchie et le souffle coupé, je cède ma place et rejoins la foule. J'y retrouve Carsten, le chef pilote quittant. J'ai glissé une bouteille de Rhum dans mon sac à casque et nous dégustons ce breuvage gelé en nous souhaitant mutuellement bon voyage.
MERCREDI 18 DECEMBRE
N86 40 - E113 01
14h30 : le Dranitsyn repart à Tromso en marche arrière afin de ne pas abîmer "notre nouveau jardin". Le chef de quart du Polarstern lance la musique de "Back to USSR" sur les hauts-parleurs extérieurs et l'équipage précédent, maintenant rassemblé sur la plage avant du Dranitsyn improvise une "Ola".
J'agite mon drapeau français en guise d'au revoir car il devra revenir en février avec une nouvelle équipe.Sans doute aura-t-il alors plus de difficultés à nous rejoindre en cette période en raison de l'épaisseur de la glace et de notre future position plus à l'ouest : noria d'hélicoptères en perspective ? Nous verrons ...
JEUDI 19 DECEMBRE
N86 41 - E113 00
Une diffusion sonore intérieure nous prévient de la présence d'un renard polaire à proximité : je cours en passerelle. Il est là, blanc immaculé et en pleine santé, reniflant la banquise sur le terrain de foot, puis il trottine autour de la proue, suivi de près par la caméra du veilleur d'ours.
Que peut-il bien trouver comme nourriture pour survivre à cette latitude ? Sans doute profite-t-il des restes d'un repas d'ours ou bien même de ses excréments ? Quelle improbable et magnifique rencontre !
L'équipage précédent nous a indiqué avoir statistiquement détecté un ours par semaine durant leurs trois mois. A surveiller donc ...
Lors du briefing du soir, j’apprends qu’il n’y avait pas un mais au moins trois renards polaires et que l’un d’eux a malencontreusement touché la barrière électrique, déclenchant alors une fusée éclairante. L’événement s’est avéré un très bon exercice pour l’ensemble des scientifiques présents sur la banquise et pour le chef de quart en passerelle, coordonnant leur repli.
VENDREDI 20 DECEMBRE
N86 41 – E112 39
Quelques chiffres :
Cloué au sol par le brouillard, je consulte la carte. Nous sommes à 2600 nautiques (4800 km) des Vosges, à 350 nautiques (650 km) des îles Sevenaya Zemlya et 440 nautiques (800 km) des îles Franz Joseph.
La température de l’air : -25°, l’eau : -1.5°.
Puis, déambulant au hasard d’une coursive du pont Echo, je découvre un laboratoire. Adela, roumaine, et Patrick, suisse allemand, m’y invitent et m’expliquent leurs travaux quotidiens. Ils analysent les composés chimiques présents dans l’eau et dans l’air depuis le Polarstern. Une heure d’analyse d’air puis une heure d’analyse d’eau de mer se succèdent presque automatiquement jour et nuit grâce à deux machines.
L’une d’elle est plutôt un prototype artisanal ancien, un coffre en aluminium d’un mètre sur cinquante centimètres bardés de tuyauteries, manomètres, réservoirs, jauges et pompes, semblant tout droit sortie d’un vieux film de science-fiction entre « Retour vers le futur », « La Mouche » et « Frankenstein ».
L’autre est un concentré de technologies plus modernes et informatisées.Les deux compresseurs et la batterie d’ordinateurs nécessaires font monter la température du local si bien que deux climatiseurs tentent d’expulser l’air chaud via un énorme tuyau jaune dit « boa ».
Chaque analyse est enregistrée informatiquement mais aussi manuscrite dans un épais registre noir. Ils comparent bien sûr les résultats des deux robots et ne constatent que très peu de différences. C’est donc que les analyses sont cohérentes et fiables.
Plus loin, dans l’entrepôt de matériel, entre traîneaux, équipements électroniques et cordages, je questionne Christian, affairé à entretenir son mini sous-marin : le ROV (Remote Vehicule).
LE ROV Il est mu par six hélices et est muni d’une pince hydraulique, d’une multitude de senseurs, phares et autres caméras. Christian est lui-aussi pilote blague-t-il… En raison de l’ouverture soudaine d’une faille de deux mètres de large jouxtant «l’algéco » de ROV City, une équipe logistique s’est empressée de rapatrier par motoneiges tout le matériel sensible et coûteux à bord du Polarstern et attend maintenant fébrilement l’évolution de cette cassure qui pourrait faire disparaître leur local éphémère.
SAMEDI 21 DECEMBRE
N8641 – E112 25
Poème du matin :
Polarstern
Embarqué sur un bateau,
Dont les moteurs sont coupés,
Tout autour je n’vois pas d’eau,
Car l’Océan est gelé.
Mais quel est donc ce Navire ?
Volontairement échoué,
Là où le Soleil n’est qu’un souvenir,
En cette période de l’année.
A bord de mon Vaisseau,
En plein cœur de l’hiver,
Je désespère qu’il fasse beau,
Pour mon premier vol Polaire.
Cet après-midi, j’ai rendez-vous sur la banquise avec Henning, le chef de l’équipe logistique, afin de réviser les règles de sécurité, le maniement puis le chargement de l’arme, jusqu’au tir à blanc, fusil que nous devons emporter à chaque vol. Ensuite, c’est au tour d’Hannes de nous expliquer le fonctionnement des 8 motoneiges disponibles, comment en changer les bougies, démarrer sur starter ou bien en tirant sur la courroie puis nous avons la joie d’effectuer quelques tours de piste.
Beaux jouets… Les scientifiques peuvent les emprunter, tractant des luges en remorque pour le matériel ou le personnel. Deux d’entre eux, les plus puissants, sont réservés pour les évacuations médicales de secours munis d’un traîneau civière couvert. Dès que les scientifiques quittent le navire vers leurs camps, généralement de 08h00 à 17h30, nous sommes nous-mêmes intégrés au dispositif de secours. Pour un sauvetage de vie humaine, nos minimas météorologiques pourraient être transgressés mais pour les vols programmés il nous faut respecter légalement plus de 1500 pieds de plafond et au moins 5 km de visibilité.
Ce soir, pour fêter le solstice d’hiver, nous sommes conviés à nous rassembler dehors, autour de deux feux de camps allumés dans des barils, et d’une fontaine de vin chaud installée sur un traîneau en bois. Ambiance chaleureuse par -30°C. Tout le monde s’émerveille de cette expédition même si nous sommes loin de nos familles en ces jours de fête.
DIMANCHE 22 DECEMBRE
N86 39 E112 58
Il faut voler ce matin car la fenêtre météo est courte. Lukas, indicatif «Tiger » vole le premier avec Jorn afin de déposer deux scientifiques et un veilleur d’ours sur le site "L2" afin de changer les batteries de la lampe et vérifier l’état des capteurs atmosphériques. La nuit est complètement noire car la lune est passée sous l’horizon jusqu’à mi-janvier. Après avoir roulé, ravitaillé et déplié D-HAPS par ce froid que même un canard ne pourrait endurer, je monte en passerelle afin de coordonner le vol.
Heureusement, la lampe du site, déclenchable en vol, fonctionne encore et TIGER parvient à s’y poser. L’équipe Météo me rejoint m’informant urgemment de l’arrivée de nuages bas par l’ouest et je parviens à contacter Lukas, posé sur la glace, qui demande alors aux scientifiques d’expédier leurs travaux afin de revenir à bord avant la dégradation. Première mission accomplie mais mon vol suivant est donc annulé.
LUNDI 23 DECEMBRE
N86 38 – E113 11 (tiens ? Nous dérivons au sud-est maintenant…)
Victor équipe Ashild, veilleuse d'ours, dans le hangar - il la briefe dans l'hélicoptère - Jörn me souhaite un bon 1er volC’est donc en cette veille de Noël que j’entreprends enfin mon premier vol avec Victor. Je garde mon indicatif « Anaconda » (se référer au mois d’août…), Lukas, « Tiger » est en passerelle. La mission : 2 vols : site L2 – Polarstern- ravitaillement – site L3, site L2, Polarstern, site L2, Polarstern avec divers scientifiques, matériels et veilleurs d’ours.
Après décollage, sans doute aveuglés par les 1000 feux du navire, nous volons dans la nuit la plus noire que je n’ai jamais rencontrée.
Le pilote automatique fonctionne bien et nous stabilisons à 500 ft en route vers le premier site. En approche finale, Victor actionne la télécommande de la lampe : contact visuel.
Les phares de l’hélicoptère nous donnent ensuite de bons repères de défilement et de hauteur par rapport à la banquise, ridée par de multiples aspérités. En pilotant nos phares, les fanions de l’aire de poser sont maintenant visibles, et je choisis une approche plate, jusqu’à un atterrissage légèrement glissé afin d’éviter le « white out », phénomène de soulèvement de la neige faisant perdre le contact visuel avec le sol.
Victor m’indique l’arrivée de ce souffle blanc dangereux sur son travers et nous « alunissons » avant qu’il ne nous rattrape, sans doute aidés par les 10 nœuds de vent de face.
La veilleuse d’ours, Ashild, sort la première et charge son fusil, puis les deux scientifiques la rejoignent. Enfin seuls, Victor et moi nous congratulons alors mutuellement d’avoir réussi notre première mission nocturne et polaire !!!
Nous enchaînons les sites et sur l’avant-dernier trajet, je découvre, devant nous, la création d’une splendide aurore boréale verte. C’est la première fois que je me délecte de cette radiation magnétique solaire grandiose. J’ai la sensation d’être en orbite autour d’une autre planète. Quelle incroyable aventure nous vivons !!!
Après 3h30 de vol, nous appontons chez nous, sans oublier personne… Ravitaillement, pliage, roulage dans le hangar : je ne sens plus mes doigts malgré mes gros gants protecteurs. Il est 15h et nous n’avons pas déjeuné mais TIGER a géré et nos assiettes nous attendent au Mess 1. Nous y débriefons le vol. C’était réellement le plus beau cadeau de Noël que j’espérais…
MARDI 24 DECEMBRE
N86 38 – E113 49
Tiger décolle ce matin afin de scanner la banquise autour du navire à l’aide d’un laser installé dans le « coffre » arrière de l’hélicoptère. Une fenêtre a été ajoutée spécialement sur l’une des portes « papillon ». Il ratisse ainsi une zone de 10 km de diamètre centrée sur le Polarstern pendant 2h, à une altitude de 1000 pieds (300 m).
Repas de Noël ?
Le dîner, toujours à 17h30, est malheureusement très simple : 2 saucisses « Knacky » sur une salade de pommes de terre. J’en regrette mes réveillons à bord des frégates de la Marine Nationale sur lesquelles j’aurais sans doute dégusté du foie gras avec un Gewurztraminer, vieilles vignes, suivi d’une langouste flambée au Cognac pour finir par une farandole de desserts sur coulis de framboise avec flûte à champagne. Une autre culture donc…
Mots du commandant puis du chef scientifique 20h00 : nous sommes rassemblés, tous et toutes vêtus de nos plus belles tenues ou uniformes, dans le salon «bleu» autour du sapin. Le commandant nous formule solennellement ses vœux, hélas en allemand, puis Christian Haas, le chef scientifique, nous gratifie d’un très beau discours, en anglais cette fois, mêlant humour et émotion, rappelant la signification religieuse de Noël, et se réjouissant que notre petite communauté internationale œuvre dans un sens commun avec un bel élan d’enthousiasme, de fraternité et de paix, valeurs ô combien chrétiennes.
Mots du commandant puis du chef scientifique
Udo, veilleur d’ours allemand au physique particulièrement adapté, fait alors irruption dans la salle en tenue de père Noël charriant deux énormes hottes remplies de cadeaux. Nous chantons. Chaque équipe vient successivement « poser sur ses genoux » puis pioche l’un d’eux au hasard. La veille, chacun a livré secrètement ses propres cadeaux : j’y ai placé du foie gras bien français.
J’ouvre mon colis : il s’agit d’un mini ventilateur branchable sur son téléphone dont la notice dit ceci : « le MiniFan vous permet de rester au frais (keeps you cool) pendant les heures chaudes d’été… ». Excellent !
MERCREDI 25 DECEMBRE
N86 37 - E115 22
16h00 : à mon tour d’effectuer le vol LASER. Le vol n’a rien de passionnant, constitué de multiples branches parallèles à 1000 pieds et 90 nœuds (160 km/h), mais l’apparition d’une nouvelle aurore boréale, encore plus belle et colorée que la première, me rappelle combien notre position géographique est unique.
JEUDI 26 DECEMBRE
N86 40 – E116 00 (on a dérivé vers le nord-est)
Tiger, Lukas, effectue un point fixe (mise en route des moteurs sans décollage) avec Léopard, Jörn. Viper, le nouveau surnom que j’ai trouvé pour Victor, inspiré de Top Gun, monte armer le canon à mousse tandis que je me charge de brancher et débrancher D-HARK sur le pont.
Il fait -30°C mais nous disposons d’un tableau indiquant le taux de refroidissement d’une surface (telle notre peau) influencé par le vent : c’est l’effet Windchill ou appelé « température ressentie » par nos journalistes. Cet indicateur permet de vérifier l’occurrence d’engelures en fonction du temps d’exposition. Par exemple aujourd’hui, ce tableau précise :
- Sans vent : danger si exposition 10 à 30 minutes ;
- Vent de 10 nœuds* : -45° ressentis : danger si exposition entre 5 à 10 minutes ;
- Vent de 20 nœuds : -47° ressentis : danger si exposition entre 5 à 10 minutes ;
- Vent de 30 nœuds : -50° ressentis : danger si exposition entre 2 à 5 minutes ;
- Vent de 40 nœuds : -52° ressentis : danger si exposition entre 2 à 5 minutes.
*10 nœuds = 18.52 km/h
En dessous de -55°C ressentis, un temps d’exposition inférieur à 2 minutes suffit à vous geler dangereusement vos doigts ou vos joues si vous n’étiez pas protégés. Sous le souffle du rotor de notre hélicoptère en stationnaire, le vent atteint 40 nœuds. Il est donc indispensable de se protéger avec gants, lunettes et cagoule. J’enlève tout de même subrepticement un gant le temps de prendre une photo et mesure ainsi toute la véracité de ce diagramme pas seulement théorique !!!
VENDREDI 27 DECEMBRE
N86 40 - E115 46
-30°C : vol LASER. Tiger démarre ses deux moteurs et se prépare à décoller quand soudain, un brouillard épais nous envahit. Nous annulons.
SAMEDI 28 DECEMBRE
N86 40 E115 42
-30°C : re-vol LASER car l’idée est de construire une piste d’atterrissage au moins pour un petit avion en cas de nécessité d’évacuation médicale. Tiger vole 1h30 ce matin mais la température du laser est trop froide (-12°C) si bien qu’ils doivent le couper. L’après-midi, il visite les sites L1, L2, L3. Le vent est nul et il me rend compte que les conditions d’atterrissage sur la neige sont difficiles : sans vent, la neige soulevée diminue fortement voire totalement notre perception du sol.
LE ZILLERTAL BAR
Ce soir, le bar est ouvert et je sonne courageusement la cloche suivant scrupuleusement une vieille tradition de la Marine : « si tu passes dans le journal, tu payes ta tournée générale ». En effet ce jeudi, l’écho des Vosges a publié un très bel article sur notre aventure. Je trinque avec mon compatriote Éric Brossier, aventurier et navigateur, vivant avec sa femme et ses deux filles sur son voilier, le Vagabond, aux côtés des populations inuites, menant également divers projets scientifiques. Lien : Vagabond.fr
A minuit précisément, nous chantons l’anniversaire de Tercio, logisticien portugais fêtant ses 31 ans.
Dimanche, seule de la maintenance sur D-HARK est programmée.
LUNDI 30 DECEMBRE
N86 38 E116 50
D6HARK et son équipement laser Victor et les techniciens du Laser ont rajouté une petite résistance qui permettra de limiter son refroidissement en vol. Nous prévoyons ce matin 2 h de passages très précis en position, vitesse et altitude. Les météorologues nous ont prévenu que la visibilité oblique sera diminuée par de la poussière de glace qu’ils appellent : « diamonds cristal falls » et qui ne présente pas de danger aéronautique autre. Victor et moi décollons dans ce ciel de paillettes en suspension. Elles défilent rapidement maintenant et sont tellement scintillantes dans le halo de nos trois phares que nous pensons tout deux passer dans une autre dimension, tel l’hyper-espace de Star Wars. Mieux vaut les éteindre donc.
D’ailleurs nous coupons aussi tous nos feux de signalement (anti-collision et de position) et une annonce est transmise au personnel sur la banquise afin ne pas lever les yeux vers l’hélicoptère, le laser présentant des dangers oculaires. Décidément, les vols ici sont si singuliers, presque surnaturels.Le laser scanne la banquise en haute définition. Après l’extraction et la compilation des lourdes données du vol, les images de notre balayage (20 km sur 10), permettent de zoomer jusqu’à une résolution de 50 cm. Impressionnant.
MARDI 31 DECEMBRE
N86 35 E117 10
Quelques points de situation :
Inauguration de NEW ROV City :Le nouvel emplacement de l’Algéco du R.O.V., souvenez-vous en perdition la semaine dernière par l’ouverture de la banquise, est maintenant pleinement opérationnel, le trou creusé, le palan mis en place, le chauffage et l’électricité connectés.
La dérive :
Nous dérivons en spirale, espérant atteindre le pôle Nord. La position initiale d’arrêt des moteurs a été méticuleusement choisie après avoir analysé 5 ans de dérive de la banquise polaire afin de dériver au plus proche de ce point géographique symbolique. Les mouvements des plaques sont essentiellement influencés par le vent et tournoient donc au gré des passages successifs des dépressions. La lune montante ou plutôt descendante influe sur la marée et ces périodes semblent être les plus critiques en termes de formation de rift ou de chevauchement de plaques.
Saint Sylvestre
Ce soir, le dîner est servi à 18h00 dans le « Wet Lab » où des tables de camping sont dressées. C’est un local au pont en bois, dont les murs sont décorés pour l’occasion des drapeaux de chaque pays participant et où les inévitables pompe à bière et sono sont provisoirement installées. Personne n’a fait d’effort vestimentaire particulier et je suis le seul en cravate. Cochon de lait et pommes de terre sous aluminium. C’est très bon mais, sans doute à cause de ma culture française, je ne considère pas ce repas à la hauteur de l’événement. Nous plions ensuite les tables pour laisser place à la piste de danse et lançons la sono.
Après quelques pas de «disco » et beaucoup de bières, l’équipe hélicoptère est chargée de tirer nos 28 fusées de détresse périmées aujourd’hui à minuit, le hasard faisant bien les choses. Je sors sur la plate-forme hélicoptère habillé de ma robe congolaise et d’une perruque pour embraser le ciel : la plus mauvaise idée de l’année !!!
Avec le vent, la température extérieure ressentie est de -48°C.
Tout le monde est rassemblé en passerelle et le son grave de la corne de brume retentit : il est minuit, le signal pour « déchaîner les enfers » (« Gladiateur »). Victor, Jörn et moi déclenchons joyeusement nos lance-fusées. Ma perruque rose ne couvre hélas que trop partiellement mes oreilles et j’enlève mon gros gant de la main droite pour faciliter mes tirs. Après dix minutes de show pyrotechnique du plus bel effet, mes lobes ont doublé de volume et je ne sens plus ni mon pouce, ni mon index droit comme si je m’étais brûlé.Le lendemain, mes sensations ne s’améliorant pas, je consulte le « doc » qui m’explique qu’il n’y a rien à faire sauf à attendre deux jours en restant au chaud… Je lui jure que l’année prochaine, je mettrai un bonnet d’âne !!!
BONNE ET HEUREUSE ANNÉE 2020
BONUS
Cet aéroglisseur est resté 13 mois en Arctique en 2014, déposé par le Polarstern.
Respect aux 2 membres d'équipage : Yngve Kristoffersen et Audun Tholfsen