Jakarta
Heureux de retrouver l’Indonésie pour notre dernier mois de voyage en Asie et déjà nostalgiques que notre séjour sur ce continent touche à sa fin, nous atterrissons à Jakarta, sur l’île de Java. Visas pour un mois, roupies et données cellulaires en poche, nous quittons l’aéroport aux alentours de 21h30. La ville semble s’étendre à l’infini: une cinquantaine de minutes de Grab nous sépare de notre guesthouse et nous avons à peine parcouru un centième de la surface (au sol et dans les airs) de la capitale. La vie y est si dense que la terre s’affaisse sous le poids de la mégapole. Bientôt, la mer reprendra ses droits sur le territoire de Jakarta. La cité va également céder son titre de « capitale » à une ville qui n’existe pas encore, actuellement en construction au milieu de Kelimantan (la partie indonésienne de Bornéo). Autrement dit: au milieu de rien. Encore une idée de génie! À croire que les dirigeants du monde actuel se sont lancés le défi de celui qui pissera le plus loin dans le domaine de l’absurde.
Les bonnes habitudes indonésiennes. Lors de notre premier voyage en Indonésie, nous n’avions pas fait halte à Jakarta. Nous profitons de notre escale pour nous y arrêter une journée cette fois-ci. Notre guesthouse se situe dans un quartier populaire, loin des gratte-ciel et de la ville moderne. A peine sommes nous arrivés que tous nos sens se réveillent, encore imbibés par les codes, les souvenirs, les repères. Les kitchenettes à roulettes jouent des coudes pour vendre du poulet frit entre les poubelles éventrées. Le bal des scooters et tuktuks reprend vie, comme s’il avait hiberné le temps d’une parenthèse à Bornéo. Tandis que les volûtes des Kretek (les clopes au clou de girofle) parfument l’air et les cages d’escaliers, nos chambres sentent le cendrier, les égoûts et la naphtaline. On s’encouble aux pavés des trottoirs défoncés, on respire les gaz d’échappement et le pneu chauffé. Nos fronts, comme les murs des maisons, suintent l’humidité jusqu’à pourrir. La clim est le saint-Graal, la barrière à la chaleur, à l’odeur et aux affaires mouillées. Nous rencontrons déjà les sourires, l’humour, la simplicité et l’humanité. Chère Indonésie, nous sommes émus de te retrouver.
Une ruelle populaire de Jakarta. Lorsqu’on se projète dans la suite de notre voyage aux États-Unis, nos sentiments sont ambivalents. Deux salles, deux ambiances. La claque capitaliste risque d’être violente et le contexte politique actuel totalement déroutant. Alors voyons notre périple aux USA comme un « nouveau voyage » et pas une continuité et attachons nous à ce qui nous réjouit dans le grand ouest. En attendant, vivons l’instant présent.
Durant notre mini-séjour à Jakarta, nous avons:
- Déambulé à pied dans notre quartier pour trouver de quoi nous sustenter. Nous avons longé la route en évitant la circulation et les trottoirs encombrés, puis marché dans le dédale des ruelles sombres de la classe very populaire… Celle qui vit le long des voies de chemin de fer, là où les trains frôlent la tôle des taudis et rase les gamins qui s’amusent à lancer des pétards sur les rails. On a visé entre les convois pour traverser les voies dans la pénombre, à l’aide des cris d’avertissement des habitants du quartier pour seule sécurité. Judith était terrorisée… On a acheté de l’eau à la vendeuse de rue, échangé quelques mots en Indonésien (pour le peu dont on se souvient). Les voisins nous ont pointé du doigt en riant, lançant l’alerte à la curiosité: « Bule! Bule! » (Bule, qui se prononce «boulé » est le terme indonésien pour désigner les touristes blancs. Littéralement, ça veut dire « albinos ». Pour eux, c’est amical et très répandu comme accueil réservé aux blancs-becs. N’essayez pas de reproduire cette façon de faire en Occident en hurlant « des noirs! Des noirs! »… Y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes.
- Passé des heures dans des Grabs, à essayer d’avancer dans un trafic totalement bouché. Nous n’avions pas de grandes ambitions pour « les trucs à visiter ». Nous nous sommes contentés d’aller dans deux marchés. Le premier est un centre artisanal pour les bijoutiers-grossistes, les orfèvres qui travaillent les métaux et les pierres précieuses. Seb et moi, on s’est offert des bagues, assemblées et ajustées sous nos yeux. Puis nous nous sommes rendus au marché « Mayestik » (marché à textiles) dans l’espoir d’y trouver des sarongs en batik. Là où nous étions, la spécialité semblait plutôt être la tenue synthétique complète pour musulmane pratiquante. N’étant pas vraiment intéressés à investir dans un niqab, nous n’avons rien acheté. Nous avons trouvé les machines à coudre, au dernier étage (c’est souvent là qu’on les trouve, dans les marchés asiatiques) pour faire « raccommoder » nos vêtements abimés et réajuster la taille de mon short à ma nouvelle silhouette amincie par le manque de fromage.
- Cru rater notre vol matinal pour Labuan Bajo (île de Florès et Komodo). Le Grab était en retard, conduisait comme un pied bot, a perdu un rétro sur l’autoroute et s’est trompé de terminal… Quelques Nomdedjeus plus tard, on a réussi à traverser les 85 km de couloirs de l’aéroport, chopé des cafés et pâtisseries à manger en vol (aucun problème ici pour passer la sécurité et entrer dans l’avion avec le petit déj!) et embarquer sans attente. Je n’ai en revanche pas eu le temps de m’arrêter dans l’un des innombrables fumoirs (un par café au minimum, standard pour un aéroport Indonésien, puisqu’ici, la cigarette est le sport national).
Labuan Bajo et le Parc National de Komodo
L’hôtel Bonne Nuit, où nous logerons à trois reprises à Labuan Bajo, est situé à quelques pas de l’aéroport. Nous nous y rendons à pied dès notre sortie de l’avion. L’endroit est calme, le personnel adorable et les chambres sont bleues comme les yeux de Judith. Une fois délestés de nos sacs, nous repartons vers le centre ville qui se trouve à une trentaine de minutes de marche.
Dans nos souvenirs, Labuan Bajo était il y a six ans une petite ville qui s’articulait autour d’un axe principal. Quelques warungs (restaurants locaux), une poignée de tours opérateurs pour les excursions dans le Parc National et un centre de plongée (le Blue Marlin, qui existe toujours) jalonnaient la rue. La vue sur la baie et les îles était imprenable au coucher du soleil. A titre personnel, je n’avais jamais rien vu de si beau ailleurs. Les bateaux partaient d’une sorte de terrain vague en travaux perpétuels occupé par quelques poissonniers et des containers marins. Il y avait suffisamment peu de touristes en ville pour qu’on se reconnaisse et se salue lorsqu’on se croisait sur les îles.
Les bâteaux au large de Labuan Bajo, le port est sur la droite (hors champ). La ville que l’on redécouvre aujourd’hui s’est considérablement développée. Depuis que des vols internationaux en provenance de la Malaisie et de Singapour y atterrissent le gouvernement indonésien a sorti les grands moyens et les infrastructures ont suivi: un aéroport méconnaissable, un port tout neuf, un réaménagement du centre-ville, des enseignes florissantes, des bars à smoothie-matcha et des boutiques à souvenirs comme on en voit à Bali. Les warungs servent des nasi-goreng vegan dans de la vaisselle compostable et des mocktails avec des pailles en inox. Même notre ancienne guesthouse s’est faite ravaler la façade! La baie est désormais voilée par les constructions et le nouveau port. Bon, raisonnablement, même si la « hype » touristique a atteint Komodo, que les jeunes rastas à guitare à la recherche de jouvencelles à charmer se multiplient aussi vite que les complexes hôteliers, on reste sur une « masse touristique » tout à fait acceptable. Pour les locaux, ce renouveau est une aubaine. Nous, nous espérons que Labuan Bajo saura préserver son charme, la beauté de ses paysages et de son parc naturel malgré cet essor touristique. On retrouve la supérette où Seb avait acheté la casquette qu’il n’a cessé de porter depuis (jusqu’à ce qu’il l’égare pendant ce voyage, quelque part entre le Cambodge et le Vietnam). Dans le stock du moment, au fond à gauche comme à l’époque, ils n’ont que des casquettes rouges à l’effigie d’une marque de condiments. Pour le reste, rien n’a bougé. On boit des jus de fruits et des Bintang, on mange des brochettes satay, des tempeh et du Gado-gado. L’île de Florès étant majoritairement catholique, le son des minarets se mélange au silence des clochers sans cloches.
Judith s’étonne de ne pas encore apercevoir un « dragon » de Komodo voler dans le ciel… Elle enjambe les cafards et les mille pattes désormais sans broncher, ne détourne plus son chemin au passage des rats ou des chiens errants. Mais lorsque deux chats s’engueulent et miaulent de leur lugubre voix de bébé, elle les observe longuement, tentant de les rabibocher.
Durant nos trois séjours à Labuan Bajo, nous avons:
- Réservé une croisière de trois jours et deux nuits dans le Parc national de Komodo. Nous avons déniché la version « pour les pauvres », avec cabines et sanitaires partagés (mais comme on est quatre, on se partage une cabine entre nous). Marcelino, qui nous a vendu l’excursion, est adorable. Il a ce visage doux, cette timidité charmante et cette gentillesse naturelle, propre à beaucoup d’habitants de Florès. Dévoué, il nous enverra plusieurs messages et nous demandera des nouvelles à chaque fois que nous le croiserons en ville. Séb et moi avons eu la même pensée après notre rencontre: nous avons l’impression de déjà connaître Marcelino… Était-ce notre guide sur les îles, il y a six ans? Ça aurait fait une jolie histoire, mais après vérification auprès du principal intéressé, ce n’était pas lui.
- Loué des scooters pour se déplacer plus facilement depuis l’hôtel et aller explorer les environs. Remonter sur un deux-roues après quelques semaines (mais du côté gauche de la chaussée désormais) me rend heureuse et alimente notre projet d’achat d’une moto et de passer notre permis dès qu’on aura renfloué les caisses, à notre retour en Suisse.
- Pris du temps pour dégotter une voiture (sans chauffeur, ce qui n’est pas une option très répandue ici) pour aller parcourir l’île dans les prochains jours. Nous avons également planifié et réservé la fin de notre voyage en Indonésie, jusqu’à notre départ aux USA. Enfin, nous avons pu régler nos déboires juridiques avec une régie en Suisse (on s’est fait entuber, mais pas aussi profond que prévu). Sur le podium des professions de connards (ou connasses), je déclare les courtiers en immobilier vainqueurs.
- Fait un tour en scooter vers le nord de la ville, au bout de la pointe, pour admirer les paysages au coucher du soleil. Il y a pas à tortiller: cet endroit est splendide et ne ressemble à aucun autre sur terre. De même pour le lendemain, où nous avons pris la route vers le sud cette fois-ci. Les collines (vertes à cette période, plus sèches à partir de mai-juin) se dressent majestueusement sur les flancs de l’île, dans un contraste de couleurs éblouissant du fond des récifs jusqu’au sommet des collines. Nous avons traversé des campagnes, des rizières, bu un verre dans un « beach club » encore en construction, avec vue sur les îles de Rinca, Komodo et leurs frangines. Nous avons vu des chèvres (il y en a partout sur l’île et on ne sait toujours pas ce qu’ils font avec, car ne les mangent pas et ne les traient pas!), des vaches, des buffles, mais aucun dragon de Komodo malgré les panneaux de circulation nous avertissant de leur potentielle présence. Nous avons fait le plein à la « station service » d’un village (comprenez par là, vidé dans le réservoir deux bouteilles en PET d’eau minérale remplies d’essence achetées au bord de la route, à une dame qui faisait la sieste).
« Réduisez votre vitesse lorsque vous traversez une zone de trafic animal », la pilote d’avion et les collines vers Labuan Bajo.- Confié à trois reprises notre lessive à « Bella Laundry ». La maison, dissimulée à l’arrière de la cour des poules et des déchets brûlés, appartient à une gentille famille. L’endroit ne paie pas de mine, quelques vêtements sèchent sur les cordes à linges, sous le soleil de plomb qui chauffe la terre battue. Les sourires de Bella et Fabian, son mari, m’accueillent comme si j’étais leur fille revenue d’un long voyage. On se fait des selfies, s’enquiert de la santé de nos enfants respectifs… Bella s’excuse par message de ne pas avoir été là pour réceptionner mon linge, un dimanche soir, alors qu’elle était à la messe. Ils sont adorables, m’appellent par mon prénom et font un travail irréprochable. A chaque fois que je leur amène un peu honteusement notre lessive qui sent la vieille patte à vaisselle, le vomi et la couenne de vacherin (l’odeur générée par l’humidité qui stagne et l’eau de mer dans le linge sale), elle nous revient immaculée, détachée, repassée et plastifiée. Un service digne de ma maman, Yolande, Docteure ès propreté et hygiène, Sainte-patronne du récurage excessif.
- Fait des apéros au « blue Marlin », pour profiter de leurs excellents jus de fruits et leur bibliothèque d’ouvrages sur les poissons et les fonds marins. Ils nous ont permis d’identifier les espèces photographiées par Seb lors de nos excursions en Snorkelling.
Clark’s anemonfish - Amphiprion clarkii / Pink anemonfish - A. peridaraion / False clown anemonfish - A. ocellaris- Essoré quelques orages et averses quotidiennes, en s’abritant dans les restaurants ou les cafés. Des pâtes siciliennes au poulet aigre-doux, nous avons toujours bien mangé. Les filles ont été choyées par toutes les personnes que nous avons rencontrées. Une incomparable gentillesse, ouverture d’esprit et tolérance règne en Indonésie, et particulièrement ici, à Florès.
Durant notre croisière de trois jours à Komodo, nous avons:
- Partagé la croisière avec une super équipe de touristes: une anglaise en attente de son VISA pour aller s’installer en Australie, une Zurichoise en voyage de trois mois, une jeune javanaise un peu décalée socialement, une quinqua globe-trotter de Los Angeles, un adorable couple d’Amsterdam (lui Allemand, elle Hollandaise) qui travaille dans le développement socio-économique pour leurs gouvernements respectifs. Ils sont ici en vacances, mais on ressent dans leur approche du voyage et des gens une intelligence et une humanité inspirantes. Nous avons eu beaucoup de plaisir à côtoyer ces personnes durant trois jours, même si nous sommes toujours des brèles en anglais et que la communication avec des anglophones au quotidien a renforcé notre frustration et nos complexes.
Les personnes avec qui nous avons partagé la croisière. - Bénéficié de prestations « bas de gamme », à la hauteur des frais engagés, de la part de l’équipage et plus particulièrement de notre guide « Franco et sa coupe afro ». Le gars était éclaté (à tel point qu’on en a tous déduit qu’il se droguait), désorganisé et inadapté. On a malgré tout pu compter sur l’intelligence collective et un sens de la dérision partagé avec le reste de l’équipe pour tirer profit de nos excursions. Et puis bon, la nourriture était bonne et les sanitaires à bord bien plus propres qu’espérés.
Notre bateau durant la croisière à Komodo. - Constaté le développement touristique des lieux au nombre de bateaux de tourisme présents sur les spots, ainsi qu’aux nombreux aménagements inexistants à l’époque. Je radote… et la comparaison est un peu « gnah gnah », comme ressasser les souvenirs d’un ex à un nouveau partenaire. Mais on ne peut pas s’en empêcher. On ne s’est pas dit « c’était mieux avant » car ce n’est pas le cas. Les paysages et les fonds marins sont toujours aussi somptueux. Mais le sentiment d’avoir eu un accès privilégié à l’un des plus beaux endroits de la planète n’est plus… Il faut désormais partager.
Paysage des îles vers Komodo. - Grimpé au sommet d’une petite île (l’île de Moringa), un classique des excursions à Komodo, pour admirer la vue. On était en schlaps, ça glissait, je suis redescendue pieds nus, courbée comme une petite vieille, en évitant de mentionner que j’habitais dans les Préalpes suisses (Seb avait honte). Après la grimpette, nous avons pataugé longuement avec des centaines de petits requins, dans les eaux peu profondes de l’île.
Vue depuis l’île de Moringa vers l’île de Flores. Requin à pointes noires - Blacktip reef shark - Carcharhinus melanopterus - Fait du snorkelling à différents endroits du parc, dans différents milieux. C’est indiscutable: la diversité des coraux et de la faune y est époustouflante. On ne se lasse pas d’observer le spectacle sous-marin, le plus longtemps possible, à chaque occasion. Nous avons abandonné l’idée de mettre un masque à Judith, qui préfère nager à nos côtés, où nous regarder depuis le bateau. Louise, lorsqu’elle est « bien tournée », est comme un poisson dans l’eau. Nous pouvons généralement évaluer son degré de motivation au temps qu’il lui faut pour enfiler ses palmes. Durant nos épopées masquées, nous avons vu des tonnes de poissons colorés, des tortues, dont une avec laquelle j’ai nagé longuement. Nous avons flotté au-dessus de grands requins, ils étaient impressionnants, un peu flippants mais intrigants. Nous avons nagé avec les raies (une manta que nous avons vu furtivement et une grande raie avec des points sur le dos). Et dans les eaux profondes, nous nous sommes tous fait attraper par ces saloperies de petites méduses qui font mal comme des puissantes orties ou des brûlures de cigarette sur la peau. La douleur ne dure pas, elles ne sont pas dangereuses, mais quand Louise s’est faite attraper à son tour, elle a paniqué.
Raie léopard ou Aigle de mer-léopard - Spotted eagle ray - Aetobatus narinari.Blacksaddle filfish - Paraluteres prionurus / Black boxfish - Ostracion meleagris - Été déçus par l’envol des chauve-souris (flying foxes) à la tombée de la nuit. Était-ce lié à la météo nuageuse? À la saison? Seuls quelques individus nous sont passés au-dessus du bateau, durant une dizaine de minutes… Mais rien de folichon. Les chauve-souris « c’était mieux avant », quand elles étaient des millards, à nous survoler sans discontinuer, comme un voile noir dans le ciel orangé.
L’île de Padar. - Fait l’ascencion sur Padar (l’île de la photo instagramable qui apparaît dans le moteur de recherche quand on tape Komodo) au lever du soleil, à la file indienne avec la masse. La vue est incontestablement belle. Mais il faut faire abstraction de la foule, des touristes asiatiques pimpées comme des boguets pour se faire tirer la photo de profil, des russes qui abreuvent les biches avec des noix de cocos, et des connards. Là, en redescendant du sommet de notre misérable humanité, alors que la foule agglutinée sans discontinuer sur le chemin scinde la montagne en deux, deux biches s’appellent, de part et d’autre du sentier. Il n’y a pas besoin d’être biologiste-comportementaliste pour comprendre (mais visiblement nous sommes les seuls chez qui ça percute): elles veulent se rejoindre mais en sont empêchées par la file humaine ininterrompue. Telles Gandalf s’adressant au Balrog avec assurance, Louise et moi nous dressons face à la foule qui arrive en amont: « Vous ne passerez pas! STOP! » La foule obéit, à une pétasse près. Une fois le passage ouvert, l’animal rejoint les siens, aidé par Seb qui lui met une pichenette aux fesses pour lui indiquer le top départ.
- Profité de la plage de Pink Beach (qui n’a de rose que les photos retouchées sur les pancartes publicitaires). Judith a fait des châteaux de sable et des doigts d’honneur aux drones (ce geste lui ayant été inculqué par ma faute, comme principe éducatif de base: les drones tu peux, les autres, on évite le majeur). Il y avait des bières, et au milieu des bières, il y avait un cerf. Un cerf de plage, quoi. Normal, tant que ce n’est pas le cerf qui les sert, les bières.
Pink Beach. - Rendu visite aux dragons, à Komodo Village. Il y a six ans, nous les avions vu sur les îles de Rinca et Komodo. Là on est à Komodo, mais pas sur le circuit « habituel ». Il y a moins de touristes, c’est moins le cirque, l’animal nous semble traité avec un peu plus de respect et d’humilité par les habitants qui font office de rangers et cohabitent au quotidien avec l’animal. Pour eux, le danger est bien réel. Pour preuve, ils n’hésitent pas à exhiber un enfant qui passe par là, à qui il manque un bras. Le malheureux se le serait fait croquer par un dragon, alors qu’il allait s’occuper des ruches, il y a quelques mois.
L’île de Komodo. Les dragons de Komodo sur l’île éponyme. L’infrastructure touristique et le village sur l’île de Komodo. - Joué sur un banc de sable au milieu de la mer, à marée basse. Judith conversait avec les escargots et étoiles de mer, pendant que Louise a généré un match de foot avec les guides, en sortant le ballon.
L’île de sable et l’œil de l’escargot de mer. - Essuyé une grosse pluie qui a « inondé » le bateau. Il a fallu tout abriter, puis étuver avec les pieds. On a gentiment fait comprendre au guide que non, le moment n’était pas vraiment opportun pour l’activité « chill on the beach » prévue dans son programme. Je crois que c’est à ce moment-là qu’on l’a définitivement perdu, Franco le Toxo… On a mis de la musique, on a dansé, chanté et dessiné. Louise a perdu une dent (décidément, elle perd tout, même ses dents!) puis quand la pluie s’est calmée, trempées pour trempées, elle et les copines de croisière se sont amusées à sauter du toit du bateau.
Vermiculated angelfish - Chaetodontoplus mesoleucus / Mirrorspot butterflyfish - Chaetodon speculum. Black-backed butterflyfish -Chaetodon merlannotus (2x) / Sunburst butterflyfish - C. kleinii / Ester trianglefish - C. baronessaLagoon triggerfish - Rhinecanthus aculeatus - Titan triggerfish - Balistoides viridescens. Une espèce de sole et un poisson cardinal (Spotgill cardinalfish - Ostorhinchus chrysopomus)Scrawled filefish - Aluterus scriptus / Sheephead parrotfish - Chlorurus strongychephalus Non-indigenous fish species - Paulinus kallipygos et Louisa puella.À la découverte de l’ïle de Florès en voiture
Carte avec le parcours du roadtrip en noir à travers Florès. Jour 1: De Labuan Bajo à Ruteng
Avant de prendre la route, petit arrêt café-caca à Labuan Bajo pour Judith, petit être extrêmement productif, qui nous y a déchargé un semi-remorque de merde. La patronne du café, originaire de Java mais installée ici depuis des années, prend le temps de nous partager ses coins préférés de l’ïle et des alentours, là où elle aime se rendre avec ses enfants. Elle aussi, un jour, elle rêve de partir voyager en famille.
C’est dans la région de Ruteng, dans « la grotte des hobbits » qu’ont été découverts les « vieux restes » de l’Homme de Florès (une espèce humaine de petite taille, probablement en raison du phénomène de nanisme insulaire, qui vivait ici il y a plus de 60’000 ans). Un population « pygmée », née du même phénomène, peuplerait encore certains villages de la région (mais nous n’avons pas joué les chasseurs de créatures pour aller vérifier). Sur la route, nous nous arrêtons pour admirer les rizières « en toile d’araignée », une autre spécificité du coin. Notre itinéraire est bordé de paysages de montagnes recouvertes de jungle, de villages, de cultures, d’églises au toit de tôle ondulée rouillée et de sourires bienveillants. On achète des bananes au coin d’un des (trop) nombreux virages… Puis on s’installe pour une nuit dans notre homestay « Hobbit hill », un peu en-dehors de la ville. Le logement est très basique mais propre (en-dehors de Labuan Bajo, les logements sont rudimentaires, à l’image du niveau de vie de la population). On n’est pas compliqué, on se contente de peu de confort. On a juste eu du mal à avaler notre souper et notre petit déj, cuits à l’huile de vidange usagée (véridique! Une partie des gens utilisent les vieilles huiles ou de l’essence, de peur de cuisiner au gaz et que leur maison n’explose). Même la pastèque arôme gaz d’échappement-plastique brûlé, c’était moyen.
Les rizières en toile d’araignée de Cancar. La carrière et le village de Cancar. Jour 2: De Ruteng à Bajawa
Nous prenons la route en direction du volcan Inerie et des villages traditionnels construits sur ses flancs (Bajawa étant la ville principale. Soudain, le GPS nous signale de probables perturbations du trafic liées à un tremblement de terre de magnitude 6… Après vérification auprès du type chez qui nous avons mangé une excellente soupe de nouilles, personne n’a senti la terre trembler ici. Le séisme s’est produit au large de l’île de Sumbawa et il n’y a pas d’alerte au tsunami. Ouf. En Indonésie, mieux vaut ne pas regarder de trop près la situation sismique, car ça tremble et ça « érupte » au quotidien, tout autour de nous. Les personnes que l’on croise sont toutes tellement gentilles que Seb se méfie au début, à tort. Les gens sont sincèrement adorables, sans rien attendre en retour, comme nous aurons pu le vérifier à de nombreuses reprises. Nous nous engageons sur la petite route côtière pour rejoindre Bajawa en passant par les villages ethniques de Bena et Luna. Là, au trou du cul du monde, à la sortie d’un village sans nom (30 min à l’est d’Aemere), on a crevé. Le loueur de voiture nous a filé une roue de secours, mais pas la clé imbus qui va avec. Je pars à pied chercher du secours: les deux réparateurs de pneus du village sont fermés (c’est les vacances de la fin du ramadan, même pour les cathos!). Personne ne parle anglais. Je montre une photo de pneu crevé à une femme: sa cataracte carabinée l’empêche de voir l’image. Je persévère avec une autre passante, qui arrête un motard, qui m’emmène dans un garage et repart sans rien demander, me plantant là seule et sans réseau pour pouvoir traduire… Je ressors ma photo de pneu plat et entame un long processus explicatif devant tous les jeunes hommes du village réunis pour l’évènement (car ils sont persudés que je suis une jeune étudiante célibataire et que y a moyen). Seb, resté à la voiture avec les filles, commence à être cerné par le reste des villageois qui ont dû faire le téléphone arabe. Je parviens à rappliquer avec le garagiste, son camion, et quelques uns de mes prétendants (qui déchanteront un peu à la vue de mon mari et mes deux enfants). Nous sommes désormais une petite trentaine à contempler le pneu en fumant des clopes, chacun y va de son grain de sel, mais personne n’a la solution ni la bonne clé. On nous apporte des noix de coco (dont on ne sait pas vraiment quoi faire), les filles jouent avec les enfants… Au bout d’une heure, un type emmène Seb (contre les frais d’essence) dans quatre garages différents jusqu’à trouver quelqu’un qui nous prête la fameuse clé imbus de 12 (une denrée rare, car ici, les jeux de clés s’arrêtent au numéro 10). Peter, le seul anglophone du village, débarque sur « la scène de crime » alors que les filles et moi attendons toujours auprès du véhicule. Il nous invite à prendre le thé chez lui! On le suit, et toute la troupe de gamins viennent avec. Peter vit avec sa femme et ses enfants dans une maison en dur, dont nous restons sur le seuil. Il y a un banc, dehors, au milieu du tas de sable et de cendres. C’est là qu’il nous reçoit. Sa fille partira bientôt étudier à l’université, les plus reconnues à proximité se trouvant à Bali ou au Timor. Lorsque je lui demande à pouvoir utiliser les toilettes pour emmener Judith, il semble gêné de me guider à travers la porcherie. Il nous laisse finalement utiliser les toilettes à l’intérieur de sa maison vide. Pas de meuble, rien. Quatre mur, un wc turc sans porte, un creux du feu, à l’arrière, à côté des cochons. Peter est de ceux qui ont « réussi ». Il a été chauffeur à Bali pendant quinze ans. Désormais, il a un business de location de tentes pour les mariages et intervient auprès de la « commune » lorsqu’il y a besoin de quelqu’un qui parle anglais. À Florès, le village est une grande famille que l’on chérit. Nul besoin d’une table pour recevoir ni même d’un lit pour dormir. La vie se déroule dans la rue, sur le seuil des maisons, ou au bord de la route lorsque les « bule » au pneu crevé viennent animer la journée. Nous aurons passé près de quatre heure au cœur de cette communauté jusqu’à ce que notre pneu soit changé. Chacun a aidé, sans vraiment aider, sans rien réclamer, sans rien accepter. Juste par souci « d’aider son prochain ». Lorsque nous quittons le village, il est trop tard pour passer par les villages ethniques. Nous rejoignons Bajawa munis de notre roue de secours, par la route principale et les forêts de bambous. Nous y passerons la soirée, dans un bar ambiancé par un très bon chanteur de reprises de rock, puis la nuit, au Cinnamon homestay.
Une partie de l’’équipe de soutien pour la réparation du pneu, à droite notre pilote de moto et Peter à l’arrière.Le versant nord-ouest du Gunung Inerie, depuis les hauts d’Aemere. Le versant nord du Gunung Inerie depuis Beja, proche de Bajawa. Jour 3: De Bajawa à Moni
Réveil aux aurores pour avoir le temps de visiter le village traditionnel de Bena (celui qui était prévu pour hier), sur la route pour Moni. Le village est peuplé par l’ethnie « Ngada », qui vit selon des coutumes et rites ancestraux. Désormais catholique, la population demeure en partie animiste. Les crânes de buffles et mâchoires de porcs suspendus en guirlandes sur le fronton des cahutes en paille témoignent des sacrifices animaux qui y sont encore pratiqués. Les femmes tissent, accroupies devant leurs huttes. Elles nous vendent leurs ouvrages et un fagot de bâtons de vanille. Elles nous sourient, de leurs bouches « sanguinolentes », les dents rougies par la chique. Devant chaque maison, sèchent et craquellent au soleil, les muscades et bétels. Une vieille et son voisin s’engueulent, un monstre chnabre qui ne fait réagir que nous. La vieille finit par se rasseoir, le vieux reprend la taille de ses bambous pour en faire des balais. La vie au ralenti se poursuit. On entend à nouveau le silence du village, le chant du coq et le craquement des noix qui sèchent.
Le village de Bena peuplé par les Ngada. Ambiance dans le village de Bena. Nous reprenons la route à travers les campagnes, les montagnes et volcans, la jungle et les plantations, puis la ville d’Ende, distinguant parfois la mer et les plages de galets turquoises. On regarde les buffles qui se baignent et les poulets qui détalent, les vaches qui ruminent et les chèvres qui trottinent. Puis nous arrivons chez Rago’s homestay, à Moni, au pied du volcan Kelimutu. Nous sommes accueillis comme des membres de la famille par John et son épouse Maria. Nos filles jouent dans le jardin avec les leurs, nous partageons les repas du soir avec eux et les pièces rapportées (famille, amis, clients). Nous avons de longues conversations, notamment avec John, qui est très ouvert à nous parler de son pays, de sa culture, de son lien à l’animisme, de sa vie. Nous avons adoré être ici, comme à la maison, comme si on se connaissait depuis toujours alors que nous évoluons dans des réalités difficilement comparables.
Sur la route avec les durians et toujours le Gunung Inerie depuis Bena avec sa poche de nuage. Les amoureux se sont connus à Bali, sur un dancefloor, un de ces soirs où le Arack (alcool de riz) leur avait un peu trop chauffé le gosier. Comme beaucoup de jeunes de Florès, ils étaient partis travailler « en ville » (Bali, Java ou Lombok dans le cas de John), puis sont revenus sur leurs terres au moment de fonder une famille. Tous deux se considèrent comme chanceux, ils ont pu faire des études: John était infirmier et Maria enseignante. Aujourd’hui, Maria est la sécurité financière de la famille, avec son poste « haut-placé » dans une banque. Elle déteste son travail, mais elle ne pourrait pas rêver meilleur salaire (le personnel du gouvernement et celui des banques ont les plus hauts revenus de l’île). Son activité permet de subvenir aux besoins de John et des enfants (deux filles que le couple a recueillies et adoptées, plus tous les autres gosses dont ils s’occupent afin qu’ils aient accès à une scolarité) les mois où le tourisme est moindre, au homestay. John ne se plaint pas, il fait partie de ceux qui ont un bon niveau de vie. Ici, à la campagne, ce n’est pas comme dans les villes, il n’y a pas besoin de beaucoup: « avec quelques graines, un jardin et des poules, tu as à manger tous les jours. » Si aucun d’eux n’exerce plus le métier qu’il a étudié, c’est parce que sur Florès, un infirmer, tout comme une enseignante, doit se contenter d’un salaire mensuel (mais versé tous les trois mois) de 650’000 IDR (environ 30 CHF)! C’est indécent, même ici. Pour donner un chiffre… Lorsqu’un couple veut se marier, la famille de l’homme doit réunir « suffisamment » de cadeaux pour convaincre la famille de la femme d’accepter l’union: buffles, chevaux, poulets, bananiers, cocotiers, bijoux…. Lorsque nous étions chez John et Maria, ils se sont absentés le temps d’une nuit pour participer à une de ces cérémonies des offrandes… La famille de la mariée a récolté pour environ 80 millions IDR (soit 3000 balles de bétail et des bananiers!)
Nous avons eu un coup de cœur pour cette famille et ce logement qui restera l’un de nos meilleurs souvenirs du voyage. En plus des bons moments partagés, John nous a aidé à faire réparer notre pneu (comme ça si on recrève, on pourra remplacer la roue de secours, à condition de trouver la clé!). Il nous a lavé notre linge gratuitement et filé plein de bons plans. Nous avons adoré son humour, sa sensibilité et son intelligence émotionnelle. Nous avons été touchés par leur histoire, le rayonnement de ce couple solaire.
Le réparateur de notre pneu crevé. A profiter du moment présent, nous n’avons pas pris de photo de John et Maria. Durant notre séjour de deux nuits à Moni, nous sommes montés au sommet du volcan Kelimutu, un lieu sacré pour les habitants de la région. Il est facilement accessible en une trentaine de minutes de marche sur un petit sentier. De là-haut, on peut admirer sa particularité: trois lacs de cratères aux couleurs distinctes (un vert, un bleu et un turquoise) s’y sont formés. La couleur des eaux évolue et change au fil des années (en raison des oxydes de fer et de souffre qui les teintent), ce qui prête au lieu une aura mystique. Nous sommes restés un peu à regarder, l’odeur du souffre dans le nez et le goût du fer en bouche… On a joué le jeu de la « pose » photo avec les locaux, on a observé les macaques faire les poubelles, puis quand on en a eu marre d’être sur toutes les photos de famille on s’est barré. Pendant la descente, Louise nous a donné ce précieux conseil: « Les Indonésiens avec les photos, c’est comme les macaques: faut pas les regarder dans les yeux ni leur sourire sinon ils attaquent! »
Le Gunung Kelimutu. Les macaques et les selfies au sommet du Kelimutu.Jour 5: De Moni à Maumere
Une cimetière chrétien sur la route. Sur la route de Maumere, nous faisons halte à « Koka beach », une plage qui a la réputation d’être la plus belle de l’île… Et c’est probablement vrai! Puis nous avons rejoint Maumere où nous passons deux nuits, en bord de mer, dans la maison de Susie (une locale) et son mari hollandais (qui fume comme 8 indonésiens et planque des bouteilles de Arack sous sa liquette!). Susie est adorable, elle joue avec les filles dans le jardin, leur fait des petits déj à la confiture d’hibiscus et au cacao maison, leur montre comment préparer le chocolat à partir des fèves… Une vraie « maman »! La ville n’a pas vraiment d’intérêt touristique, nous avons eu du mal à dégotter un resto qui ne serve pas de la couenne de lard, ou un lieu dont les commentaires Google nous ont inspiré confiance. L’un d’entre eux nous a particulièrement fait douter: « Ici, le pénis est délicieux. »
Notre Homestay à Maumere avec Susi et sa pâte de cacao frais. Sur la route vers Maumere… Pour aller explorer les îles au large de Maumere, nous nous rendons à 40 minutes de route à l’est, où nous attend le bateau de pêche en bois. Nous sommes seuls à bord avec le capitaine et son fils. Une bonne heure de navigation nous emmène au large. La colonne de fumée au sommet du Lewotobi (toujours en éruption) est bien visible d’ici. Soudain, un émouvant spectacle nous accueille. Louiser la route raconte: On discute de tout et de rien, banalement. Tout d’un coup, maman a failli faire chavirer tout l’équipage en hurlant « LÀ, DES DAUPHINS!!! DES DAUPHINS!!!!!!! » Je tombe presque dans l’eau pour voir les dauphins. ET IL Y AVAIT UN BANC ENTIER DE DAUPHINS!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!🤩Je saute a l’avant du bateau pour mieux les voir. J’entends des ploufs de tous les côtés du bateau! En fait, il y en a plusieurs groupes, tout autour de nous. Même papa et maman n’en ont jamais vu autant, pendant aussi longtemps. Il y en a plein qu’on voit nager à moins d’un mètre du bateau ⛵️!! Il y a même une maman avec son bébé 👶🏼! Au total on en a vu entre une trentaine et une quarantaine! (Autrement dit, à peu près quatre pods—> un de dauphins truc muche, on ne sait pas le nom… et trois de dauphins géants -Tursiops truncatus.) je sais pas combien de microbes 🦠 j’ai aspiré tellement je gardais la bouche ouverte 😮😜… Je n’étais pas « aux anges », j’étais carrément « aux Dieux » tellement j’étais émue de voir ça! D’après Susie (qui nous a réclamé toutes les photos et vidéos quand on lui a raconté), nous sommes chanceux car normalement les dauphins se montrent seulement en mai et en novembre. Et ils sont rarement autant! Selon elle, c’est un signe que nous sommes de bonnes personnes, qu’ils aient voulu nous rencontrer et rester près de nous.
Deux espèces de dauphins différentes, en haut le Dauphin à long bec et en bas le Grand Dauphin.Durant cette journée, nous n’avons croisé aucun autre touriste. Nous avons visité plusieurs spots de snorkelling qui nous ont également apporté leur lot de surprises et d’émotions. Bien que j’aie perdu mon masque au fond de l’eau dans le feu de l’action (alors que je tentais de remporter un combat de catch aquatique contre Judith qui refuse de rester en sécurité dans la bouée, me bouche le tuba ou me bloque le bout des palmes), les fonds marins se sont révélés impressionnants. Un grand banc de thons vient remuer la surface, comme un bouillon, au moment où je saute à l’eau. Ouf, ils sont suffisamment loin pour que je ne me retrouve pas à « l’épaule » avec la foule d’agités du bocal. Mais Louise prend peur et renonce à nous rejoindre ce coup-ci. Alors qu’elle reste au bateau avec sa sœur, Seb et moi longeons la faille sous-marine (causée par un séisme en 1992, qui a généré un important tsunami dans la région). C’est splendide! On dirait que les coraux et les poissons jaillissent des entrailles de la terre. On a l’impression de longer la frontière entre la plaque tectonique et le néant, le bord du gouffre au dessus du royaume abyssal. Le capitaine saute à l’eau à son tour et nous indique de le suivre en criant « Manta! Manta! ». Je repère des raies, dissimulées sous le sable… Je peine à y croire, mais ce sont bien des raies Manta. Tout à coup, disposées en losange comme des avions de chasse en plein meeting aérien, quatre raies majestueuses défilent en tournoyant juste au-dessous de nous. Elle n’ont pas de fumigènes aux couleurs nationales qui leur sortent des fesses, mais le spectacle est à couper le souffle!
Ray léopard - Spotted eagle ray - Aetobatus narinari.Latticed butterflyfish- Chaetodon rafflesi / Melon butterflyfish- C. trifasciatus - False Clown Anemonfish- Amphiprion ocellarisNous terminerons la journée sur la plage de Babi island. Bordée de cabanes de pêcheurs, l’étendue de sable et de coraux blancs est déserte. Seb ronfle sur le pont du bateau, alors que les filles et moi nous amusons à pêcher les plus beaux coquillages, enfouis entre les déchets. Deux gamins du village viennent à notre rencontre, perchés sur un gros bout de sagex flottant, qu’ils utilisent comme embarcation, pagayant à l’aide d’une tige en bambou. Ils jouent longuement avec nous, se prêtant au jeu des fouilleurs de fond, apportant à notre trésor les plus beaux spécimens nacrés.
Le village de pêcheurs sur Pulau Babi et les chercheuses de coquillages.Au loin, à une trentaine de kilomètres vers l’est, le volcan Lewotobi encore en éruption lors de notre périple. Jour 7: De Maumere à Riung (Parc national des 17 îles)
Nous quittons Maumere par la route côtière, une piste défoncée, sur laquelle on avance au pas pour éviter les nids de poule et les précipices. Les sept heures de trajet à serrer les fesses et à croiser les doigts pour ne pas crever à nouveau en valent la chandelle: nous sommes récompensés par une nature somptueuse, des villages reculés à la jungle, des falaises qui dominent les eaux turquoises aux collines épluchées par le vent. On fait une pause « pop mie » (les soupes instantanées indonésiennes) sous un abri, entre nulle part et le trou du cul du monde. Rapidement, un rassemblement de curieux se forme autour de la guinguette. Dans ce coin, il ne doit pas souvent y avoir de « Bule » qui passent. On regarde les buffles qui se baignent et les fidèles qui se rendent à la messe, missel à la main, endimanchés dans leurs plus beau sarong. On pisse, pas vraiment cachés derrière la voiture, à côté d’un serpent mort que l’on soupçonne de ne pas l’être vraiment. Puis on atteint notre guesthouse à Riung, où nous passerons les deux prochaines nuits.
Paysage sur la côte nord de Florès. Ambiance du roadtrip sur la côte nord de Florès entre Maumere et Riung. Arrivés à la tombée de la nuit, nous avons organisé notre excursion sur les îles le lendemain. Puis nous sommes sortis manger dans l’un des deux restos du bled. Au nombre de français qu’on y croise, on devine que celui-ci doit sans doute être recommandé par Le Routard. Paul, notre hôte, a le souci de bien nous accueillir, mais on n’est clairement pas sur du logement « haut-de-gamme ». On déjeune avec des pancakes pas cuits (en réalité, les pancakes indonésiens sont toujours des sortes de crêpes pas cuites), dans l’arrière cuisine qui fait office de poulailler, embrumés par la fumée de Kretek pendue au bec du cuisto. On nous propose de nous faire notre lessive, sans préciser qu’elle sera faite à la main, donc rendue sale, puante et détrempée au moment de notre départ. Vu l’effort fourni et la gentillesse qui l’accompagne, on n’a pas le cœur de leur avouer qu’on va devoir tout faire relaver ailleurs.
Sur le bateau pour les 17 îles avec notre capitaine et ses moussaillons. Lors de notre excursion aux 17 îles (pas certaine qu’il y en ait vraiment 17), nous partageons le bateau avec une Italienne, de Turin, au comportement atypique et solitaire que je situerais en plein centre du spectre autistique. Le jugement et le diagnostic étant désormais posé par mes soins, nous pouvons poursuivre notre journée en essayant de décrocher un sourire à la dame. Nous avons exploré trois spots de snorkelling « classiques », avec des coraux et des poissons de récifs et une tortue aperçue par Seb (deviendrait-on blasé de ne pas trouver l’endroit si exceptionnel?). Nous avons mangé du très bon poisson grillé (thon rouge et redsniper) sur une île, comme des Robinson Crusoé. Mais le moment de la journée que nous avons préféré est celui où le bateau nous a approchés de l’île aux chauves-souris. Se dévoilant comme des feuilles calcinées suspendues à toutes les branches de la mangrove, des millions de « renards volants » dorment tête en bas. Nous sommes si proches que nous distinguons toutes leurs conversations (oui, elles parlent en dormant!). La « marée noire » pendue à la verdure est impressionnante! À notre retour au village, nous nous rendons au port à la tombée de la nuit, pour les voir s’envoler et arriver jusqu’ici. Y a pas foule dans le « firmament » (mot désormais utilisé par Judith lorsqu’elle évoque le ciel), mais on voit quelques « Batman » se dessiner au-dessus de nos têtes avant que le ciel ne sombre dans l’obscurité.
Le repas de midi sur l’île de Tembang, l’une des 17 îles.Une colonie de Rousette de Malaisie ou Renard volant - Large flying fox - Pteropus vampyrus - qui ne mange que des fruits.Phantom Bannerfish - Heniochus pleurotaenia / Peacock grouper - Cephalopholis argusSurgeonfish - Acanthuridae sp. / Oriental sweetlips - Plectorhinchus vitrâtes Green chromis - Chromis viridis / une espèce de poisson CardinalReticulate dascyllus - Dascyllus reticulatus / Whitetail dascyllus - Dascyllus aruanus Benitier (bivalve) laissant sortir son manteau bleuté. Deux espèces de tuniciers, dont une ascidie cœur de bœuf en bleu-jaune.Coraux, gros plan sur une étoile de mer, éponge tubulaire en bleu et anémone.Jour 9: De Riung à Ruteng
Aujourd’hui, nous embarquons Nico et Margaux, un couple de jeunes français rencontrés à Riung, qui cherchaient désespérément un moyen de se rendre à Ruteng. Lui est boulanger, elle pâtissière. Ils ont vécu deux ans en Australie où ils exerçaient leurs professions. Là, ils voyagent quelques mois en Asie, à la recherche de leur prochain lieu de vie. On partage les frais de location de la voiture et les tips gastronomiques pour « bien réussir son pain au levain ». Les discussions me donnent tellement faim! On se contentera de saliver à l’idée de croquer dans un bout de baguette et on se rabattra sur des chips et un paquet de biscuits à la vanille chimique comme repas de substitution. On dépose nos compagnons de route à leur homestay et on convient de les reprendre le lendemain, pour le trajet retour jusqu’à Labuan Bajo.
Nous retrouvons le « hobbit Hill homestay » (celui de la bouffe à l’huile de vidange) où nous passerons la nuit. Mais on ne nous aura pas deux fois, on file souper dans une excellente pizzeria.
Jour 10: De Ruteng à Labuan Bajo
La lessive mal lavée parfume le coffre de son odeur de mort. On planque « le cadavre » sous les sacs, avant d’aller chercher Nico et Margaux. Cinq minutes après avoir quitté notre homestay, on crève. Merde. Je retourne à pied chercher de l’aide au homestay, j’en reviens avec une clé (la mauvaise). En chemin, deux scooters me proposent de me déposer, reflétant cet incroyable esprit de solidarité, particulièrement marqué à Florès. Lorsque je rejoins Seb et les filles au véhicule accidenté, deux types se sont déjà arrêtés pour aider. L’un d’eux emmène Seb acheter la fameuse clé (trouvée dans un garage poids-lourd), l’autre attend un moment près de nous. En quarante minutes, l’affaire est poutzée, le pneu changé! Nous repartons et imprégnons nos mémoires de quelques clichés locaux, aperçus au passage, comme cet assemblage d’étais qu’on croirait construit avec des cure-dents, cette « pom-mini », une pompe à essence sortie d’un autre temps, ou ce type accroupi dans sa maison, adossé à sa seule possession, le bien le plus précieux qui meuble son cœur de mélomane: une pair de monstrueuses enceintes (pas des meufs en cloque, mais bien des colonnes pour se faire saigner les oreilles à fond les ballons!). On embarque nos deux français et on trace la route jusqu’à Labuan Bajo, poursuivant nos conversations alléchantes sur l’art du croissant ou du mille-feuilles.
Les étais locaux, plus proche du cure-dents mais dont la tenue est surprenante. Puis nous avons passé notre dernière nuit à l’hôtel Bonne nuit, avant se s’envoler pour quelques jours de surf entre Lombok et Bali.