La famille SePaLoJu a la bougeotte et neuf mois à dispo pour voyager. Entre la Thaïlande du nord et l'ouest des Etats unis: l'océan de tous les possibles s'ouvre à quiconque aime se laisser dériver.
Du 3 octobre 2024 au 28 juin 2025
269 jours
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La tiaffe!

Empilées avec les sacs sur le chariot à bagages, les filles sont rangées pour aller dégotter un taxi à la sortie de l’aéroport. Leurs cheveux blonds froissés par les heures de vol ne les empêchent pas d’attirer quelques regards admiratifs. Judith, 3 ans et demi, prenait pour la première fois l’avion. Elle sait qu’elle est partie pour un « Grand Voyage » au retour duquel elle aura tellement grandi qu’elle pourra commencer l’école. Naturellement, pour elle, regarder Nemo dans l’avion et dormir quelques heures sur Papa, c’était ça le Grand Voyage. A l’atterrissage, elle trouve qu’elle est devenue grande et se sent prête à commencer l’école. Louise, 9 ans, a déjà bien voyagé… et beaucoup oublié. Mais sa capacité d’adaptation est indemne et nous impressionne. Elle qui rechignait à partir, submergée par les appréhensions, semble être redevenue la petite fille douce, rêveuse et enthousiaste au moment où notre avion a transpercé la grisaille. Là, au-dessus d’un tapis de nuages orangés, le soleil tape contre le hublot. Louise est émerveillée, réjouie et tout son être exprime la joie de vivre ce moment… et finalement, ce voyage. La voir ainsi me touche.

Le taxi nous dépose à notre hôtel. La tiaffe. C’est le milieu d’après-midi. Tchieu la tiaffe. Fumer la première clope sur sol thaïlandais pendant que Seb fait le check-in. J’ai la clope qui colle aux doigts. La tiaffe. Judith pense que j’ai mis des paillettes sur mon visage… Je trouve que c’est une manière très glamour de décrire que sa maman est en train de suer comme un porc laqué. Mais la tiaffe. Vite, lançons nos sacs et sautons dans la piscine.

Nous avons passé 6 jours à Bangkok, le temps de nous immerger dans la ville et d’adopter notre nouveau rythme de vie. En vrac, voici un florilège de nos expériences:

  • Visiter les incontournables sites touristiques et avoir la confirmation que pour nous, ces lieux sont plutôt contournables… Le tourisme de masse, ce n’est pas notre kiff. Nous sommes tout de même allés voir le Wat Pho (Grand Bouddah couché) et avons cherché ses fesses, en vain. Le Wat Arun (autre temple célèbre) était recouvert de touristes asiatiques en tenues traditionnelles (couples, jeunes filles, lady-boys…) venus se faire tirer le portrait. Il y avait même un photoshooting des « Miss monde ». Nous avons donc assisté à une exhibition de corps parfaits, épaules dénudées, perchés sur des talons aiguilles, exposées tel l’étal de boucher sur un lieu de culte. Au même endroit et au même moment, moi, les pieds gonflés mais bien dans mes birks, je devais me rendre décente en recouvrant mon short Quechua seillant mon séant avec un bout de tissu. La vie est faite de paradoxes qui me dépassent.
  • Capter les ambiances, les sons, les odeurs en déambulant dans les quartiers. S’arrêter ici ou là pour manger une soupe dans une « carriole » de street food ou au Night Market de l’intense Chinatown. Mettre un pansement sur le pied de Louise, juste au-dessus d’une grille d’égout. Prendre note que c’est une mauvaise idée lorsqu’un rat pointe son nez pour renifler les orteils de la fille effrayée. La calmer, aller plus loin, voir un cafard, recommencer. Acheter des Jackfruits, madeleine de Proust de notre périple dans la Jungle de Sumatra.
  • Se réveiller au son des chants et percussions du temple voisin. Se réveiller au son de Judith qui vomit dans la chambre d’hôtel… Puis tester et approuver: le sol se nettoie très bien au désinfectant pour les mains, arôme lavande.
  • Avoir des rituels: se laver les mains le plus souvent possible, renoncer aux glaçons et à la salade, déjeuner puis aller nourrir quotidiennement les carpes du bassin de l’hôtel, aller acheter de l’eau dans l’échoppe de notre copain du quartier, le petit vieux édenté du bout de la rue. Il aime bien nous voir arriver dans son taudis, il m’a même montré la technique pour ouvrir le frigo sans que la porte me reste dans les mains. Hier, il m’a présenté son meilleur copain, ils étaient à l’école ensemble, ils ont 75 et 76 ans et ils complimentent chaque jour mes cheveux.
  • Déambuler dans les parcs, observer la verdure, le calme, les écureuils. Prendre garde à ne pas fumer et à respecter les règles. Prendre le métro pour aller côtoyer les varans et les gratte-ciels au Lumphini Park.
  • Faire des amplettes dans l’immense Chatuchak weekend market: acheter une banane North face absolument pas authentique. Puis, ailleurs, tomber sur un Décathlon: acheter des brassards de secours absolument homologués.
  • Boire un truc arc-en-ciel, manger un truc arc-en-ciel dans le décor arc-en-ciel du Unicorn café, recommandé par une connaissance d’origine Thaï.
  • Se déplacer en Grab (les Uber asiatiques), avec un tuktuk durement négocié pour faire plaisir aux filles, ou en bateau sur la Chao Phraya.
  • Faire du vélo à Bang Kachao (l’île verte au centre de Bangkok, parenthèse campagnarde au cœur de la ville). Pour s’y rendre, aller en Grab jusqu’au Klong Toey Pier (mini-embarcadère pour traverser la Chao Phraya jusqu’à l’île). A l’arrivée, possibilité de louer des vélos de toutes sortes avec tous types de sièges enfants. Louise a même eu droit au vélo Specialized stylé! Je vois qu’elle est heureuse… Elle aime le voyage, ça se sent. Sur le bateau, elle me murmure: « Je me réjouis de ce qui m’attend! »
  • Montrer aux filles la démesure d’un centre commercial de mégapole asiatique en allant passer la soirée à l’Icon Siam. Se partager à 4 un plat coréen qui nous coûte deux jours de budget bouffe. Être écœuré par la folie des grandeurs, les voitures de luxe, les prix (idem qu’en Suisse), se demander qui peut s’offrir cela ici. Détester. Choper un paquet de mangues séchées et des biscuits au chocolat pour que Judith retrouve l’appétit… puis se barrer au plus vite. Dehors, il pleut. C’est encore la saison des pluies et une partie du pays est submergée par des inondations historiques. Bangkok se prépare à encaisser les arrivées d’eau en provenance du Nord dans les prochains jours. Des milliers de personnes sont touchées. Nous sommes là, à la sortie d’un luxueux et écœurant symbole du consumérisme à l’occidentale, à observer la foule en délire se battre pour attraper sans se mouiller les baskets neuves le premier Grab qui parviendra à se tirer des embouteillages.

Le rituel qui a marqué notre quotidien à Bangkok, c’est le moment passé chaque matin avec les « copains poissons » de notre hôtel. Louise prend la plume pour vous raconter:

On déjeune, on file au bassin à poissons, on attend en leur chantant des chansons et en jouant avec eux, nous attendions qu’on nous donne le bol avec la nourriture des poissons et nous leur donnons à manger. On a donné des noms à deux poissons que nous reconnaissons bien : le premier, Minus, n’a plus que le bas de sa queue et se promène souvent tout au fond du bassin. Le deuxième, Bubule, a une croute sur le dos. Juju me disait « oh! Il pleure! » je lui ai répondu « mais non, patate pourrie, les poissons, ça pleure pas! ». Nous mettions une petite poignée de croquettes au même endroit et les poissons « s’attaquaient ». On a passé beaucoup de temps avec nos copains!

Notre séjour à Bangkok s’achève sur une balade autour des khlongs du quartier de Baan Silapin (autour de Artist’s house). C’est un super joli coin, au calme, rempli de ruelles, de canaux… et de poissons-chats.

Demain matin, nous quittons la capitale pour rejoindre Chiang Mai et les provinces du Nord… qui ne sont pas sous l’eau.

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Réveil matinal pour aller choper notre avion pour Chiang Mai. Y a rien qui va. Les filles sont d’humeur massacrante, les sacs sont beaucoup trop petits pour caser tout ce bordel, notre bilan carbone est anéanti car nous n’avons pas suffisamment anticipé pour faire le trajet en train de nuit plutôt qu’en avion… Oh, de toute façon les trains ont été supprimés, en raison des inondations. Et puis notre chauffeur pour l’aéroport conduit vraiment comme un pied, mais un pied bot atteint de Parkinson… Seb et Louise attrapent le mal de voiture. La journée s’annonce radieuse! Espérons que le pilote de l’avion conduira mieux que le Grab du jour.

A Chiang Mai, nous arrivons chez Paul, un copain Suisse établi en Thaïlande. Ces temps-ci, il occupe une jolie maison un peu en-dehors de Chiang Mai (Suthep), il a de la place et propose de nous héberger. Nous passerons quelques jours à cohabiter, puis Paul nous laissera les clés pour la fin de notre séjour, car lui part en vacances à la mer. Dans la maison, il y a un piano… Louise est ravie de pouvoir jouer et égaie la maison d’airs enfantins. Paul la met en garde: pas avant 10h le matin! Lui, c’est un noctambule. Nous aurons l’occasion de partager des repas du soir, mais en journée, chacun vit à son rythme et selon son horaire. Le nôtre est essentiellement calqué sur le degré de chiantitude des filles. Finie la lune de miel des premiers jours: désormais, elles sont démoniaques. A notre arrivée, Judith a croché la sangle du sac de Seb au mien… résultat: les crochets sont coincés l’un dans l’autre et nos deux sacs ont des sangles inutilisables. Le lendemain, elle a fermé la porte de notre chambre depuis l’extérieur (avec toutes nos affaires, mais personne à l’intérieur)… Au réveil, Paul a dû partir en scooter en ville chercher un serrurier pour crocheter la serrure. Super. Tout cela est sans doute lié à l’arrivée de « son copain monstre », son ami imaginaire apparu depuis que nous sommes en Thaïlande. Il est temps de vous le présenter: il est noir et blanc, a des bras en bouts de bois, habite dans un caca et chante comme Dean Martin.

Avec Paul, nous avons savouré les délices du Nord: le Khao soi (soupe de nouilles fraiches et frites dans un curry de coco), un curry de porc un peu « à l’indienne », la saucisse à rôtir locale farcie à la citronnelle, ail et piment, la sauce aux crevettes fermentées, du poisson grillé, des tonnes de fruits (papaye, fruit du dragon, fruit de la passion, des petites grappes qui ressemblent à des litchis, bananes…), des noix de cajou, une espèce d’effilochée de bœuf au riz grillé ULTRA pimentée et du thé bleu… Les filles se régalent de riz frit à l’ananas, de tempura, de pancakes à la noix de coco, smoothies et jus de fruits frais et parfois même, des frites. Du concert de rock psyché à la guitare d’ambiance du resto, Judith joue les groupies toute seule, tout devant. Elle est la coqueluche des Thaïs et amuse la galerie, avec ses bouclettes et ses yeux bleus. Elle me rappelle souvent: « t’as vu le lavabo (ou le savon, ou l’assiette, ou la chaise en plastique, ou le support à papier toilette vide, ou…), il est bleu comme mes yeux! »

Nous visitons quelques temples (au grand désespoir de Louise qui semble ne pas avoir encore intégré tous les préceptes zen):

  • Wat Phra Singh et ses éléphants dorés
  • Wat Chedi Luang, ses magnifiques fresques réservées aux hommes (parce que les femmes sont souillées)
  • Wat Pha Lat: Accessible à pied en environ 45 minutes de marche sur un joli sentier dans la jungle (Monk’s trail). En chemin, nous observons plein de papillons de toutes les tailles et toutes les couleurs.
  • Wat Umong: Situé à côté de la maison de Paul, ce temple semble moins attirer les touristes que les locaux. A part quelques hippies en Teva venus en retraite de méditation, nous n’avons croisé que des Thaïs. Pour le visiter, il faut parcourir les tunnels qui dissimulent des Bouddhas, des offrandes et des chauve-souris endormies (Judith les mime à merveille!). Ça sent les pieds et la vieille transpi. C’est joli.

Puis nous nous sommes rendus à deux marchés d’affilée:

  • Ton Phayom Fresh Market, conseillé par Paul, près de l’uni où il enseigne: arrivés à l’ouverture du marché, nous sommes seuls au milieu des étals. Nous faisons le plein de provisions pour les prochains jours: des fruits, du thé bleu, des chips de riz et de lard, de la saucisse. Mais non merci, pas les ténébrions grillés, ni les vivants, ni les sauterelles, ni tous ces machins rampants ou avec des pattes.
  • Sunday night market: Marché pour touristes en pantalons « imprimés éléphants » au centre de Chiang Mai (sur la carte de la ville, le carré au milieu). Entre les bougies en forme de lotus et les boucles d’oreilles en ailes de scarabée, les aveugles et les défigurés mendient.

Chaque jour, nous nous familiarisons un peu plus avec les habitudes culturelles. On ne touche pas la tête des enfants. On ne touche pas les moines lorsqu’on est une femme et on leur cède la place dans les transports publics, comme les vieux et les femmes enceintes. On ne montre pas la paume des mains. On évite de mettre ses pieds en hauteur ou de poser ses couverts sur la table. On se déchausse avant d’entrer. On fume seulement où c’est permis, c’est à dire uniquement aux terrasses où il y a un cendrier sur la table (vraiment pas partout). Fumer de l’herbe étant légal en Thaïlande, on trouve même parfois des coins fumeur « smoking weed » dans les restaurants, lorsque fumer un joint n’est pas permis à table. On n’achète pas d’alcool dans les commerces entre 14h et 17h, car c’est à cette heure-ci que la Thaïlande lutte contre l’alcoolisme.

Nous étions un peu inquiets de découvrir une Chiang Mai inondée. En réalité, une semaine après la dernière crue, le centre ville (touristique) est déjà bien nettoyé. L’eau redescend peu à peu même si certains quartiers d’habitations sont encore les pieds dans l’eau. Seul résidu visible de cette crue historique, les rues sont « poussiéreuses », recouvertes d’une couche de boue séchée. Sur les murs, la marque des eaux est encore perceptible, un mètre au-dessus du sol. Parfois, on croise une voiture sortie des eaux, remorquée avec les déchets qu’elle contient.

Bien que passer quelques jours dans une ville comme Chiang Mai nous apporte un confort occidental appréciable (comme trouver un énorme Décathlon pour aller racheter des sangles pour réparer nos sacs), elle nous laisse un petit goût de « Ville à touristes ». Elle nous rappelle Ubud, à Bali, ou deux villes semblent cohabiter en une: la ville des locaux et celle des touristes, où l’on sert des Burgers sur des terrasse à lumignons et où les bières s’ouvrent avec des décapsuleurs en forme de pénis. Nous avons aimé être accompagnés par Paul pour avoir accès au revers plus « authentique » du coin. Seb a suivi ses conseils et est allé se faire masser (comprenez par là: piétiner). Il n’aurait pas imaginer qu’un petit bout de femme prénommé Noî et pesant le poids d’une seule de ses cuisses aurait un effet aussi redoutable sur son corps.

Pour notre dernière soirée en ville avant de s’aventurer pour une dizaine de jours dans les montagnes, nous réservons une surprise pour le souper des filles. Louise vous raconte…

On est allé où on mange les meilleurs burgers de la ville. Papa a pris un burger à la viande de crocodile ( BEURK ) !!! Les burgers étaient encore meilleurs que ceux du Mac Do !!! Papa nous avait proposé un deuxième burger mais maman a désapprouvé et à la place on a mangé un pancake à la noix de coco.

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A bord de la voiture que nous avons louée pour les dix prochains jours, nous quittons Chiang Mai. « A gauche, à gauche, à gauche! » se répète Seb à haute-voix comme un mantra. C’est qu’il faut rapidement prendre le pli pour sortir de la ville: ici, la conduite se fait à gauche (et tout dans la voiture est donc à l’envers de nos habitudes).

Le Parc National Doi Inthanon

Première étape: Chiang Mai - Doi Inthanon (le plus haut sommet de Thaïlande). Pour rejoindre le parc national que nous avons rebaptisé « Doi Intyamon » (parce qu’on reste des gruériens jusqu’à l’autre bout du monde, tchieu!), nous avons roulé durant des heures sur des routes bien aménagées, bordées de forêts luxuriantes, de plantations et de fermes à éléphants. Pour voir des éléphants dans cette région, le concept est simple: pour beaucoup d’argent, tu peux faire des selfies avec des éléphants, nourrir au biberon un bébé singe kidnappé dans la jungle, promener les éléphants dans la jungle, prendre un bain de boue avec eux et un troupeau d’Américains en slip de bain qui éco-lodgent ici, ou simplement leur enfiler des bananes dans la trompe (aux éléphants… pas aux Américains) pendant qu’un gars surveille en regardant sa montre et en tirant la gueule. C’est cette option que nous avons prise: ça nous coûtait moins cher qu’un café sur place et on a quand même trouvé ça chou, de lui vider un panier de fruits dans les narines (en cas d’intérêt, vous pouvez faire ça ou juste boire un verre avec vue sur les éléphants au Chaï Lai Orchid).

Arrivés de nuit (ici le soleil se couche aux alentours de 17h30-18h) dans le Parc National, nous peinons à localiser notre Homestay. Le village semble tout endormi, les lumières se font rares, les poules sont rentrées. Au dessus des rizières que l’on devine, des cabanes sur pilotis se distinguent dans la pénombre. Peut-être que c’est là? Une vieille dame nous aborde, elle voit qu’on est perdu. On lui montre l’adresse mais elle ne sait pas lire… Encore moins parler anglais. Le jeune qui l’accompagne en scooter nous fait signe de le suivre: il sait où on va. C’est qu’il n’y a pas beaucoup d’étrangers ici, à cette saison. Nous nous installons dans notre cabane: un chien dort sous le banc, devant la porte. Les couvertures sont moches. Les toilettes sont cassées. La douche est froide et le pommeau est relié à un tuyau de 50 cm de long: parfait pour s’exercer au contorsionnisme en eau froide. Judith est heureuse: « Trop cool! J’ai jamais dormi dans une cabane moi! » Durant la nuit, elle n’entendra pas les rats qui se battent sur le toit en taule ondulée, ni les grenouilles qui croassent sous le plancher, ni les huit chiens errants qui font des aller-retours sur notre terrasse, ni les moteurs des deux-roues qui partent aux champs au lever du jour.

Chambre à Ban Sop Mae Klang - Elephant à Chaï Lai Orchid - Statuts d’éléphants au Doi Inthanon - Paysages des montagnes.

Région de Mae Hong Son

5h de route nous séparent de la ville de Mae Hong Son. Après un petit déj traditionnel (une soupe de riz et des tranches de pastèque en forme de cœurs) et un arrêt sur le fameux sommet, nous quittons le « Doi Intyamon ». En empruntant les routes de montagne, la vue alterne entre paysages de jungle (au vert plus vert que la Gruyère), villages traditionnels et champs de maïs. Presque tous les véhicules que l’on croise sont des pick-up, on dirait que c’est le dress-code de la route! On se nourrit de chips au lard (du lard trempé dans de l’huile) et on se demande si en mangeant cela, s’il faudrait directement prévoir un pontage coronarien pour toute la famille.

Nous dormons à Mae Hong Son, au Crossroads. C’est une vieille maison traditionnelle de plus de 80 ans, tenue par un indien, sa femme thaï et quelques woofers. Le boss nous fait visiter la chambre, muni de son spray fébrèze pour « rafraîchir » la pièce et de son parler « Indie-speed ». On ne comprend rien de ce qu’il nous dit mais il est super. Il enclenche les cinq ventilos. On passe de 42 à 40 degrés d’un coup. Durant les deux nuits passées ici, nous nous sommes bien gardés de dire aux filles qu’un « Tokay » (grand gecko assez flippant et capable de te croquer le doigt) logeait chaque nuit juste au-dessus de notre porte.

Dans cette région proche de la frontière avec le Myanmar, nous avons renoncé à aller voir les « femmes girafes » dans les villages Karen. Pour des raisons éthiques, il nous a paru malsain d’encourager cette attraction touristique sur le dos de réfugié.es birman.es qui en sont réduit.es à jouer les bêtes de foire. Nous avons préféré prendre les routes en cul-de-sac ou en terre battue pour découvrir où elles mènent (par ex: Ban Rak Thaï), nous avons passé et parfois repassé les nombreux check-points de l’armée, tout au long de la frontière. Nous avons marché seuls sur le Su Tong Pae Bridge au coucher du soleil jusqu’au temple (Wat Phu Samanaram) qui le domine, nous avons cherché des attractions ouvertes, en vain, car c’était un « Big Bouddha Day » (jour férié). Nous nous sommes baladés dans Mae Hong Son de nuit, autour du petit lac, pour nourrir les poissons avec un paquet de toasts acheté 20 Bahts (0.50 CHF) devant le temple en pleine cérémonie de lumières et de sons. Nous avons également nourri les poissons de la Fish Cave et (puis plus tard ceux de la grotte de Tham Lod). Nourrir les poissons, des carpes soro, semble être l’activité tendance en Thaïlande. Nous avons mangé une soupe aux boulettes et des chips de maïs, suspendus au-dessus des sommets à Pang Mapha. Nous avons cherché dans la jungle des grottes non balisées (Coral, Mae Lana et Diamond Cave) mais ne les avons pas trouvées. Dans notre quête à pieds, nous avons croisé des buffles, quelques vaches qui ont « le cou qui fait les coucou mamie! », dixit Louise. Nous avons échangé des « hello » à une petite fille affairée dans les champs, seule. Nous avons souri à un gamin de 8 ou 9 ans, qui transportait deux gros sacs de riz sur sa moto en rassemblant le troupeau…

Gecko « Tokay » - Wat Phu Samanaram - Pont de Su Tong Pae - Mae Hong Son - Carpes soro - Paysages - Femmes girafes -  Piments de B...

Région de Sop Pong - Pai

Nous passons la nuit au Cave Lodge, proche des grottes de Tham Lod. Au matin, nous allons visiter la grotte et son « site archéologique » (là où a été découvert le squelette de la « femme de Tham Lod »). A l’intérieur de la grotte, une villageoise nous guide à la lampe à pétrole: elle récite par cœur en anglais que telle stalagmite ressemble à une tête d’éléphant, ou encore celle ci à une dent. Certains passages se font sur des radeaux en bambou. On voit des chauve-souris endormies, des hirondelles, et… un serpent! Le machin mesure environ 2,5 mètres et s’appelle « Orthriophis taeniurus ». Il a fait paniquer notre guide qui est repartie en arrière, tétanisée. Elle tendait le cou en regardant Seb s’en approcher pour filmer!

Grottes de Tham Lod, son serpent-ratier, une espèce de couleuvre (Orthriophis taeniurus) et ses radeaux en bamboo.

A la sortie de la grotte, Seb part en repérage pour trouver le chemin d’une autre grotte, pour aller voir l’arrivée des hirondelles et la sortie des chauve-souris à la tombée de la nuit. Pendant ce temps, les filles se font des copines… Elles se balancent sur un tronc, jouent au ballon et font du toboggan sur les rampes d’escalier. Les petites Thaï sont en admiration devant les boucles blondes de la grande Louise. Moi, j’échange quelques gestes et sourires avec leur grand-mère, une toute petite vieille toute sèche, avec un magnifique visage tout chiffonné. Elle tire sur une immense clope en papier maïs mal roulée, accroupie sur un caillou. Nous y restons une partie de l’après-midi, puis partons « rouler au hasard » pour que Judith fasse une sieste. On s’arrête au milieu de nulle part, dans un surprenant café flambant neuf, climatisé, avec hôtesse d’accueil anglophone et WC propres. Après quelques semaines de voyage, le bonheur tient à peu de choses: un bon café et un rouleau de PQ.

Seb ayant repéré un parcours, nous nous rendons à l’entrée d’une des grottes à la tombée de la nuit pour observer l’arrivée des hirondelles et le départ des chauve-souris. Nous sommes seuls sur le petit sentier qui mène à la grotte. L’orage gronde et la pluie menace. Le ciel s’assombrit… et l’angoisse commence à m’envahir. Une quarantaine de minutes à pied dans la jungle nous sépare de notre voiture et je regrette déjà de m’être aventurée ici. Arrivés à l’entrée de la grotte, je ne parviens pas à apprécier le spectacle qui se déroule au-dessus de nos têtes… J’ai l’impression que des serpents vont surgir de partout et que des sangsues sont en train de me remonter l’échine. Je suis terrorisée dès que les filles font un mouvement de peur qu’elles ne mettent le pied sur un truc hostile. Je panique. Il pleut. La nuit tombe. Ce matin, dans cette grotte, j’ai vu un MÉGA serpent. Des milliards d’hirondelles tournoient (et chient) au-dessus de nos tête. Les serpents bouffent des oiseaux et là, y a plein d’oiseaux. Il faut faire demi-tour, vite. Seb abdique: il reconnaît que l’activité du soir est un peu « limite » et les conditions angoissantes. On rentre à la voiture, vite, sans s’arrêter. Trempés par la pluie et la sueur, nous prenons la route jusqu’à Pai.

Grotte de Tham Lod et le retour des hirondelles à la tombée de la nuit. La récolte traditionnelles des fientes d’hirondelles et de...

Pai est un point central pour aller explorer la région. Mais c’est surtout une ville de hippies expatriés qui semblent s’être totalement approprié les lieux de manière peu respectueuse. On y mange une pizza. On y déjeune dans une boulangerie bobo. On va voir son canyon. Puis quand le carillon de l’horloge retentit en imitant Big Ben, on se tire de cette colonie de sarouels.

Canyon de Pai. 

Région de Chiang Dao

En route pour Chiang Dao, nous nous arrêtons boire un café chez un producteur. Un youtubeur sud-coréen est présent et nous demande notre accord pour utiliser les photos qu’il a prises de Louise qui se baladait dans le jardin. J’ai pas pensé à lui demander son nom, pour toucher les royalties…

Ici, nous avons loué une jolie petite maison, avec « fibre optique et machine à laver qui lave vraiment ». On y est super bien et on en profite pour faire des grasses matinées. Seb nous fait des pancakes et des jus de fruits frais. Les filles jouent, lisent, se sentent un peu chez elles. Nous explorons la région en arpentant les routes et les glissements de terrain (conséquence des récentes innondations, les dégâts sont impressionnants dans cette région). On fait des photos, des vidéos, on enregistre le son des cloches des buffles. On sourit aux fermiers dans les champs, on zigzague entre les chiens, les poulets, les cochons et les enfants. On va voir la vue depuis le sommet, puis il pleut alors on ne voit rien. On mange une soupe et on recrache les tripes. On visite la grotte de Chiang Dao et le temple qu’elle abrite. On fait des dons pour payer les cercueils des moines dans une tirelire squelette qui parle, on glisse une pièce dans le nombril d’une autre pour qu’elle nous chante un verset. On revoit un serpent, le même en plus petit. Il y a des chauve-souris, des criquets et un car de chinois.

Chauves-souris dans la Chiang Dao Cave - le Bouddha géant - Un buffle à Mae Chaem - La route de montagne - Les offrandes. 

Paul (chez qui nous avons logé à Chiang Mai) nous rejoint pour nos derniers jours à Chiang Dao avec son amie Elisa. Nous partageons les repas du soir (un excellent italien cuisiné par une Thaï et un délicieux burger dans un bar à bières belges) et quelques découvertes. Paul est biologiste et spécialiste des abeilles. Il nous montre les ruches de certaines abeilles sauvages de la région, construites dans des troncs ou au pied des arbres et dans lesquelles elles entre grâce à une entrée qu’elles construisent en forme de trompette pour l’espèce Tetrigona apicalis ou de tuyau pour Trigona collina. On va aussi visiter un atelier traditionnel de teinture textile naturelle (Chiang Dao Blue). Paul étant également « dénicheur de lieux d’after improbables », il nous emmène dans ses coins… On se retrouve donc au Cave Bar, lieu insolite où deux piliers de bar expatriés, la tenancière thaï, quelques grenouilles et nous partageons l’espace. On joue au billard: 10 baht dans l’automate pour 20 minutes de lumière… Quand on sort fumer, on débranche la prise pour stopper le compte à rebours. Aux murs, les posters de Bob Marley se mélangent aux perruques, aux décos d’Halloween et à celles de Noël. La playlist passe à peu près en boucle Bonjovi, Metallica et Queen. Il y a des troncs avec des clous et des marteaux, pour faire le jeu du « plante le clou en presque pas de coups avec deux pour mille! ». Idéal pour occuper les filles lorsqu’elles fatiguent d’être là. Le resto belge propose du Kratom soda: une limonade faite à base de Kratom, une plante hallucinogène qui pousse dans le coin. Paul me la recommande: il n’y a pas d’alcool et tu te sentiras « un petit peu high ». Verdict: C’était pas très bon… Un genre de Kombucha au foin amer qui sent « la cage de hamster lavée », d’après Louise. Après avoir tout bu, j’ai tiré trois taffes sur un pétard… je ne saurai donc jamais ce qui m’a rendu « un petit peu high ».

Le Cave Bar - Entrée de ruche en tuyau et en trompette - Sèchage de tissus -  L’Indigofera tinctoria.

Retour à Chiang Mai

Réveil en panique pour notre dernier matin à Chiang Dao: nous sommes en retard pour ramener la voiture de location à Chiang Mai. Il faut encore s’arrêter poser les bagages en route et faire nettoyer la voiture dégueulasse dans une station de lavage. On se prend une gargouille en arrivant en ville, la jante est défoncée. On camoufle, on lave, on paie un supplément pour le polish, puis on ramène la voiture à bon port avec 3h de retard et un sourire forcé.

On mange une soupe de nouilles puis on passe l’après-midi à l’hôtel. Judith fait la sieste et nous on lit nos mails. Et paf, un mail d’Ebullition (le centre culturel dans lequel nous avons tous les deux été actifs durant des années) qui nous appelle à nous réunir en « séance de crise » face aux difficultés que la salle traverse. Y a plus de sous. Il s’agit de trouver des solutions pour survivre jusqu’en décembre. L’heure est grave. Nous sommes loin, mais à cet instant, comme à chaque tempête que la salle a traversé, nous ressentons le besoin d’être ensemble. Et on ne sait pas comment…

On rejoint Paul et Elisa, aussi de retour à Chiang Mai, pour une dernière soirée ensemble. On mange Birman. Puis on va boire un verre au Troubadour, un bar à concerts de blues tenu par un Genevois qui ressemble à Keanu Reeves. Le trompettiste est américain et a joué avec Eric Clapton et Madonna. Le batteur est suisse-allemand et vit ici avec sa mère. Elle assiste à tous les concerts. Eux sont français, l’autre est écossais. Les filles dansent… Moi je demande à Paul par où passer pour rentrer, pour éviter la rue des prostiputes-trans par laquelle nous sommes venus. Demain, Seb ira se faire couper les cheveux (le résultat au sortir du barbier est un mix entre la coupe de Ribéry et celle de Himmler) avant de quitter cet endroit pour rejoindre Chiang Rai et les montagnes de l’est.

De retour à l’hôtel, je fume une clope, pensive, sur le balcon face au temple. C’est tout de même étrange, ce monde parallèle d’expatriés… J’ai l’impression d’être dans le Truman Show, à ne plus trop savoir quelle est la réalité de cette ville. Devant, le temple scintille au clair de lune. Au loin, la musique d’un bar résonne, la foule fredonne: l’été Indien de Joe Dassin.

Le troubadour - Le coiffeur - Une ruelle de Chiang Mai. 
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De Chiang Mai, nous arrivons à Chiang Rai après près de 4 heures de bus. Au terminal, les tuk-tuks fourmillent, ils salivent à la vue des backpackers fraîchement débarqués (ou débusqués, vu que nous sortons d’un bus?). Les fesses encore endolories par le trajet, on grimpe sur les banquettes latérales et on colmate l’espace restant avec nos sacs… L’espèce de masse informe que nous sommes, nous et nos bagages, se fait larguer un kilomètre et demi plus loin, à notre hôtel. Nous y resterons deux nuits avant de repartir dans les montagnes avec une voiture louée.

Durant notre séjour à Chiang Rai, nous avons apprécié de découvrir une ville dont le cœur semble plutôt préservé du tourisme de masse. Alors, oui, on entend des italiennes parler très fort sur la terrasse d’un resto italien… et puis on croise un « tour organisé » d’Espagnols dans le night bazar… Mais le tourisme est assez « localisé » dans des petits quartiers ou autour des attractions principales. Ailleurs, et ce malgré la célèbre horloge de la ville, le temps est figé. Les maraîchers déroulent leurs étals de fruits colorés jusque sur la route. Les vieilles édentées et courbées attendent, assises sur un coin de trottoir, qu’on leur dépose notre sac de linge à laver au kilo. On aperçoit quelques mobilettes encrassées par la glaise, descendues à la ville pour livrer des fagots de basilic un peu flétri, ou acheter un nouveau ventilateur. Les rues sentent le plastique brûlé, la friture et le poisson pourri. Dans les carioles de streetfood, on trouve des œufs rose fluo (les œufs de cent ans) et des nouilles à tout-va. Les rats traversent la chaussée pour se nourrir dans les poubelles en pneus retournés (on en voit partout en Thaïlande, on dirait des chauderons) et les cafards titubent entre les claquettes-chaussettes. On y boit des trucs gluants aux couleurs de l’arc-en-ciel et des cafés fraîchement torréfiés. Le khao soi se mange à toute heure et la bouffe est au centre de la vie. Le samedi soir, la saturday walking street et sa grande place centrale où les chorégraphies colorées invitent à ne former qu’une seule masse.

Nous visitons quelques incontournables:

  • Le temple bleu (Wat Rong Suea Ten): Alors on ne va pas se mentir, y a pas mal de monde, donc beaucoup trop de pantalons aux imprimés éléphants. Mais ce temple est incroyable… et vraiment très bleu. Un joyau monochrome de kitch, de kawaï, de « néo-traditionnalisme» un peu barré. Rien n’est dans la demi-mesure, comme souvent en Thaïlande… Sauf peut-être la dimension spirituelle du lieu?
En bleu, le temple bleu.
  • La maison noire (Baan Dam Museum): Musée à ciel ouvert regroupant une quarantaine de bâtiments traditionnels conceptualisés par l’artiste Thaï décédé Thawann Duchanee. Ce lieu nous en a lui aussi mis plein les mirettes. En résumé: tout est noir, avec des animaux morts, des peintures macabres, des crânes, des cornes, du sang et des phallus (dit-on « un phallus, des phalli »?). Bref, tout ce qu’on aime. Les filles, quant à elles, ont particulièrement apprécié de jouer à « la chasse aux zizis».
En noir, le temple noir ou Baan Dam Museum.
  • Le temple blanc (Wat Rong Khun): Au palmarès des incontournables largement contournables, nous déclarons le temple blanc vainqueur! Sa construction, débutée en 1997, devrait s’achever en 2070. D’ici là, le lieu aura largement de quoi étaler sa folie des grandeurs… Alors oui, c’est blanc, ça brille, c’est beau… et un peu décalé (ex: des têtes de super-héros du cinéma pendus aux arbres, ou encore les WC entièrement dorés). Mais les hordes de touristes nunuches habillées en rideaux qui prennent la pose « bouche en cul-de-poule » absolument PARTOUT noircissent sérieusement l’image « immaculée du bouddhisme » que veut véhiculer le temple.
En blanc, le temple blanc et l’enfer des touristes. 

Notre premier hôtel de Chiang Rai (Connect Hostel) était assez basique mais nous en retiendrons toutefois deux choses positives: notre rencontre avec nos voisins de chambre belges (Le tour de cinq sur Instagram: Karim, Emilie, Sami, Mia et Léa qui voyagent en Asie depuis août) et… une machine à pancakes en libre-service pour le petit déj. Les filles sont heureuses de partager des moments de jeux avec d’autres enfants francophones. Nous, on apprécie d’échanger les bons plans et expériences, avec nos réalités familiales. Voyager en famille, cela implique des réflexions, des choix, des coûts, des adaptations assez différentes que lorsqu’on voyage seul. Là, on sent qu’on est sur la même longueur d’ondes. Par exemple: trouver des logements et moyens de transports adaptés (réserver deux chambres? ou une seule et s’entasser? louer une voiture est-il plus économique que quatre billets en transports publics?). Conclusion: les belges et les machines à pancakes, c’est vachement sympa.

Pour notre deuxième passage à Chiang Rai, nous logerons au Na-Rak O. A part l’incident de « la lentille de contact PAS jetable perdue dans les WC pendant que Judith posait l’immense et qu’on n’a pas retrouvée parce qu’on a préféré se dire que si elle était tombée sur le caca elle aurait flotté et comme y avait rien à la surface on a laissé tombé et on s’en fera envoyer une depuis la Suisse mais ça fait vraiment chier et ça a été le déclencheur d’une crise conjugale qui aura traversé la frontière laotienne sans avoir vraiment désigné un coupable»…sinon la nuit y fut agréable. On y a rencontré une famille française établie au Canada jusqu’à leur départ en voyage. Ils ont deux garçons de 6 et 2 ans et voyagent pendant 8 mois, avec plus ou moins le même itinéraire que nous jusqu’au sud du Vietnam. On échange nos emails car il y a des chances que nous routes se rejoignent à nouveau. La déco de l’hôtel est chouette et plait aux filles! Louise vous raconte. Je commence par la salle de bain : lavabo rose violet à paillettes, mini savon Hello Kitty, charlotte de douche pour jouer à charlotte culotte kawai, pour la déco du miroir, un sceau avec écrit dessus « lobster louie’s » … bibliothèque dans la salle de p’tit déj où je peux déposer pour un autre enfant qui passera par là le livre que je viens de finir (Momo des Bleuets)… un lit rien que pour moi qui est à côté de la Clim, assez d’espace entre les lits pour faire un tunnel-cabane en coussins plus une porte a l’entrée et ma montre servait de lampe de poche 🔦...TROP TROP TOP la chambre !!!

Durant notre deuxième périple en voiture louée avant notre retour à Chiang Rai, nous avons:

  • Sillonné les routes et paysages de la région du Triangle d’or, sans apercevoir un seul champ de pavot… soit ils sont bien cachés, soit les projets royaux de reconversion de l’agriculture locale fonctionne. Tout fout le camp!
  • Visité la Maison de l’Opium (House of Opium) et s’intéresser en détail à tout le processus, de la plantation à l’extraction de la résine, jusqu’au rituel nécessaire à sa consommation. En retenir que l’humain est doté d’un esprit très imaginatif en termes de processus complexes lorsqu’il s’agit de se péter la tronche et de générer des désastres.
Les poids utilisés pour peser l’opium et la récolte du pavot. 
  • Voulu souper au bord du Mékong un dimanche soir dans un bled peuplé de locaux et d’inscriptions en Thaï… Peu tentés par le poisson-chat grillé proposé sur les quais, nous sommes allés dans le seul resto ouvert. Le serveur parle un peu anglais et est complètement excité à l’idée de servir des étrangers! Il nous sort le grand jeu, nous fait ses recommandations et nous sert à la Thaï (on choisit plusieurs plats, on commande le riz à part et on partage). Lorsqu’il apprend que nous sommes Suisses, il me fait un ostentatoire signe de respect (ce truc que font les asiatiques, lorsqu’ils joignent leurs mains et inclinent la tête et le haut du corps)… Il m’indique fièrement le tableau poussiéreux et délavé cloué là, au centre du mur rose bonbon. Ce tableau représente pour lui et sa famille le « rêve Suisse » depuis trois générations. Réalisé par sa grand-mère il y a plus de trente ans, il est l’œuvre d’une vie… le vieux puzzle pastel du Cervin.
  • Regardé le soleil se coucher au-dessus d’une plantation d’hévéas pendant qu’à leurs pieds, des hommes et des femmes en « grillage d’apiculture » récoltaient le caoutchouc qui s’écoulait de leur tronc.
  • Chopé des gaufres à la noix de coco et au maïs pour le petit déj, à une gentille dame et son vieux four, devant le 7eleven.
  • Arpenté les routes de la région de Mae Salong au milieu des cultures de thé et café (les fameuses qui ont remplacé la culture du pavot). Nous nous sommes arrêté pour boire des cafés, toujours servis avec une dégustation de thés. La région sent un peu « l’exploitation chinoise » mais c’est pas dégueu. Les thaïlandais appellent cette région « la petite Suisse asiatique ».
La région de Mae Salong.
  • Pris du temps pour préparer la suite de notre voyage et notre passage au Laos (commande de visas en ligne: car les Suisses en sont exemptés uniquement si la durée du séjour au Laos est de moins de 14 jours)
  • Pesté contre le management, le personnel et la qualité médiocre d’un « luxueux » hôtel chinois pour lequel on avait eu une super offre. Puis permettre aux filles de faire du « patin-charlotte » sur le sol de notre immense chambre, avec les chaussons d’hôtel et les charlottes de douche.
  • Fait une pause, en roulant vers Fang pour aller voir des trucs au hasard… Une rangée de maisons emportée par la rivière lors des récentes innondations, un dragon en argent et une stupa psychédélique.
  • Mangé, en bord de route. Traduire avec Google les menus en thaï. Commander deux plats de nouilles aux légumes et un riz sauté au poulet (avec immitation magistrale du poulet par Seb à la serveuse, par sécurité!)… et recevoir deux plats de riz au « saucisson » de porc et 1 riz aux crevettes. Si on peut même plus se fier à Google et aux immitations de poulet…
Les traductions automatiques de Google.
  • Roulé à la recherche de points de vues sur les sommets… Bien qu’affichés sur la carte, ils sont souvent « aveuglés » par la végétation qui a repris ses droits ces derniers mois, quand la saison des pluies battait son plein.
  • Roulé pile sur la frontière birmane, au sommet des collines. Laisser se perdre notre regard au loin parmi les sommets embrumés et infinis du Myanmar… et s’en émouvoir. Passés le dernier check-point Thaï et le poste tenu par un soldat birman, quelques mètres, une tranchée et des barbelés nous séparent de ce pays que nous n’aurons pas l’occasion de visiter. Pas maintenant. Parce que tant que la junte est au pouvoir, nous ne cautionnerons d’aucune façon ce pays.
Les montagnes Birmanes.
  • A Fang, pris le petit déj et un, puis deux, excellents cafés dans un super bookshop et bar à chats. Regretté que tous ces beaux bouquins soient en Thaï, mangé un roulé à la cannelle, laissé Judith caresser les chats et regardé Seb (allergique) éternuer.
  • Tenté, puis retenté, mais sommes arrivés toujours trop tard pour voir passer les moines cavaliers au retour de l’aumône au Wat Tham Pa Archa Tong. Visiter les jardins et regarder les statues. « Tiens, les lions ont un trou de balle », nous fait remarquer Louise, toujours très observatrice des détails essentiels.
  • Louer pour deux nuits une chambre (avec piscine) dans un Homestay super bien côté, au milieu des montagnes. Le proprio, un sud-africain (mais je n’ai pas bien compris de quel pays) y est établi depuis 17 ans. Ses enfants vivent au Canada et en Australie et viennent le voir une fois par an. Pour eux, il a construit une grande maison sur la propriété. Comme c’est la période creuse, il nous propose de nous louer cette maison au lieu de notre petite chambre, moyennant un mini-supplément. On accepte! Puis on regrette… Le logement, bien que charmant, est inhabité par des humains depuis trop longtemps et visiblement, la faune sauvage a pris possession des lieux (comme souvent en Asie, la maison est toute ouverte). Nous sommes au milieu de la nature, entourés d’arbres, il n’y a ni murs, ni fenêtres, ni moustiquaires… C’est vraiment sale (des crottes de rats dans les lits et les douches, pour donner un chiffre!). Dommage, car le proprio et son employée était vraiment très serviables… On a pris sur nous pendant deux nuits (surtout Louise et moi) et puis bon… il y avait la piscine!
  • Fait une pause dans un village. Dans le village il y avait un café. Dans le café il y avait un piano. Au piano, il y avait Louise, heureuse de reprendre contact avec les touches... Alors on est resté un peu à l’écouter… Dehors, des balançoires en métal rouillé. Les filles étaient comblées.
Quelques images en vrac de l’étape. 

Le 2 novembre, nous dormirons de l’autre côté du Mékong… au Laos.

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En direct, à bord du slowboat sur le Mékong, entre Huay Xai et Pakbeng, nous avons une journée de navigation pour se plonger dans le récit de notre première semaine au Laos. Ce trajet en bateau sera raconté dans un prochain épisode…

Slowboat du Mékong 

Le 2 novembre, nous quittions Chiang Rai et la Thaïlande dans un bus à « climatisation naturelle » (les bus locaux: des tas de ferrailles sans fenêtres, avec ventilateurs multiples, horloges en panne, sièges en similicuir, chauffeur content, retour d’odeurs de gaz d’échappements et de poubelles fermentées). Environ deux heures plus tard, le bus nous dépose à un arrêt proche de la frontière. Le vent et la poussière ayant sculpté ma chevelure tout au long du trajet, j’ai désormais autant d’allure que Robert Smith en 2024. Un tuktuk nous attend pour nous emmener au check-out Thaïlandais. Une fois cette étape franchie, nous montons à bord d’un car à « climatisation traditionnelle » ( la clim asiatique: réglée à -12 degrés en permanence) qui nous fera traverser le Mékong (la frontière) par le Pont de l’amitié IV (un des passages possibles entre la Thaïlande et le Laos). On ne circule pas à pied, ni à la nage pour changer de pays… On suit le mouvement, on paie, on suit le mouvement, on paie, on ne comprend pas comment ça marche mais ça marche alors on suit le mouvement et on paie. Le car nous dépose au poste de l’immigration laotienne. Bien qu’ayant commandé nos visas par avance, nous arrivons en même temps que les personnes qui font leur visa à l’arrivée… et nous remplissons les mêmes formulaires. Le gars nous demande 50 bahts, on ne sait pas pourquoi, mais on suit le mouvement, on paie. Nous voici au Laos. Un tuktuk nous attend et nous dépose à notre hôtel à Huay Xai où nous passerons la nuit au son vacillant du Karaoké voisin.

Au matin, nous allons nous renseigner dans un bureau de la rue: nous voulons nous rendre à Luang Namtha dans la journée et voudrions connaître le meilleur moyen de s’y rendre. Un minivan est justement sur le départ, il attend devant l’office. On négocie un délai de 10 minutes, le temps d’aller récupérer nos sacs à l’hôtel et choper une carte SIM et on embarque. A bord, quelques femmes laotiennes, le chauffeur et nous. Quand le bus est plein, on ajoute des caisses de bières retournées dans l’allée et trois personnes supplémentaires peuvent s’ajouter au convoi. C’est le principe du nombre de places à « amortissement illimité »… comme pour la bouffe, tout ce qui rentre fait ventre! Les filles sont les vedettes du convoi! Deux femmes, une mère et sa fille, parlent un peu anglais et seront nos « coaches » durant le trajet de quatre heures (quand on n’a pas les codes, on ne sait pas toujours pourquoi le bus s’arrête, pour combien de temps, si on va manger, faire pipi, s’il nous dépose à un arrêt ou à notre hôtel…). Premier arrêt: le chauffeur descend la fenêtre et pousse une braillée à la femme qui tient le shop en bord de route… Elle rapplique avec une canne à sucre. Conseillé par les femmes avec qui nous voyageons, il en prend une autre, qui a meilleure mine. On repart. Deuxième au huitante-cinquième arrêt: ah, c’est rien… juste un nid de poule. On repart. Puis on s’arrête au «restoroute». Alors bon… le restoroute laotien (très semblable à ceux que l’on a fréquentés à Sumatra, sauf qu’ici la bouffe a l’air mangeable) c’est pas l’Autogrill du Val d’Aoste. Imaginez… Un grange en vieilles planches sur un sol en terre battue, quelques oiseaux exotiques capturés et mis en cages, des poissons chats dans des bassins saumâtres, des WC turcs à l’arrière des cuisines, puis la même eau saumâtre que dans les bassins qui s’écoule des robinets et remplit le sol… Sur le parterre du couloir, on enjambe deux hommes en train de découper un cochon en deux. Le chauffeur a mangé (pendant ce temps là, le moteur et la clim continuent de tourner et la porte latérale du minivan est grande ouverte, par principe), on peut reprendre la route. Elle est défoncée. Un motard tombe, juste à côté. Il n’est pas seul alors le chauffeur ne s’arrête pas. Le paysage est vert. La terre est rouge. Des rizières, des plantations d’hévéas, quelques jardins, des fermes et des villages «tressés» sur pilotis ponctuent le paysages. En arrière plan, des collines verticales couvertes de jungle. Judith est plus sociable, depuis que je l’ai recardée hier pour qu’elle arrête de répondre «Cacaboudinquipueducul» quand quelqu’un lui demande son prénom… Ou encore « Pas touche minouche, t’as pas mis ta couche! » en fronçant les sourcils lorsque quelqu’un lui attrape le bras avec affection. Aujourd’hui, Louise et elle font la conversation avec les dames du bus. Louise m’épate: après quatre semaines de voyage, elle se débrouille très bien pour parler anglais et maîtrise déjà tous les termes et formules de base utiles pour voyager. Elle n’est pas HPI, ni un génie, n’a pas fait Montessori, ni de crèche privée bilingue, ne parle pas le langage des signes et le mandarin depuis qu’elle a 6 mois et elle mange des graines de tournesol uniquement si elles sont très salées et pas bio… On arrête le chauffeur: nous y sommes. Zuela Guesthouse, à Luang Namtha.

Luang Namtha

Luang Namtha est une petite ville, point de départ pour les treks dans les montagnes et la forêt primaire aux environs. La région est peuplée essentiellement par des Laotiens des tribus des montagnes (Khamu, Lanten et Hmong). Nous y séjournerons une petite semaine, durant laquelle nous partirons explorer les environs. Nous aurions aimé aller dans la jungle, à la rencontre de la faune et la flore. Mais ce type de treks n’était pas adapté aux familles: minimum 3 jours, à raison de 6-7h de marche par jour, avec nuitées sur feuilles de bananiers et porte ouverte aux serpents et sangsues. Non merci. Seb a donc été ok de lâcher l’affaire et nous avons opté pour la solution de repli: un trek de deux jours en « immersion culturelle ». Hormis « l’immersion » dans les cultures tribales qui était vraiment une sacrée expérience, nous avons été un peu déçus par le trek « immersion dans les cultures d’hévéas en pleine expansion grâce au marché chinois et les ravages de la déforestation pas conscientisée». Des heures de marche chiantes comme la mort… à écouter le silence.

Durant notre séjour ici nous avons:

  • Fait le tour des marchés (jour et nuit) de Luang Namtha pour découvrir les « habitudes » Laotiennes. Nous en retiendrons donc qu’au Laos « tout ce qui rentre fait ventre et tout ce qui bouge se bouffe ». Le Laos étant un pays beaucoup plus pauvre que la Thaïlande, cela se ressent jusque dans les habitudes alimentaires. Ici, peu de fruits, ou alors uniquement des fruits importés ratatinés car le pays en cultive peu, en raison de son climat peu propice. En revanche, on peut acheter plein d’herbes aromatiques, du poisson-chat, des grenouilles, des oisillons, des varans, des anguilles, des escargots, des pattes et museaux de buffle, des œufs de fourmis rouges, des têtes de canards et des œufs (avec ou sans poussin dedans), et parfois même du chien. Nous avons opté pour une pair de tongs (bleues!) pour Judith, puis pour les nouilles au boudin et les brochettes de saucisses multicolores et celles avec des morceaux de poulet (ou de rat, on a préféré rester dans l’ignorance).
Le marché de Luang Namtha 
  • Loué deux scooters et muni les filles de deux casques à vélo taille adulte, afin de partir explorer les villages alentours. Après un ou deux tours d’échauffement sur le parking de l’hôtel (Seb roule avec les deux filles, moi je préfère me tuer toute seule), nous partons slalomer entre les nids de poule. Je me surprends à aimer rouler (quand je ne reste pas collée à la poignée des gaz pour foncer droit sur les voisins dans leur échoppe). Nous logeons une rivière et les village qui la bordent, sur une route partiellement en terre battue. Les villageois nous sourient, les enfants nous saluent, les canards, poules, vaches, chiens et bébés stationnés au milieu de la route ne nous remarquent pas. On renifle partout cette odeur de « sauce Nuaoc Mam pourrie » qui semble planer très fort dans l’air des villages… on apprendra plus tard que c’est l’odeur du latex. C’est donc cela, le prix à payer de l’argent rapporté par le latex? Moi qui pensais que l’argent n’avait pas d’odeur.
  • Mangé des Phô (soupes de nouilles, de viande et d’herbes et condiments frais). Parfois ils sentent bon le Vietnam, la coriandre fraîche et le bouillon… Parfois, on y ajoute piment et citron vert, pour mieux avaler la couenne de poulet et le sang coagulé. Pendant ce temps, à la table d’à côté, la dame des soupes coupe les ongles des pattes de poulet qui remplissent sa bassine. Les rognures giclent jusque dans nos assiettes. Cela me fait penser: il faut que je coupe les ongles de Judith, tiens!
  • Acheté de l’ibuprofène à un gamin, le fils du pharmacien, car le pharmacien était endormi derrière le comptoir.
  • Regardé la série « Tschugger » pour se retrouver un peu en Suisse, une fois les filles endormies.

Durant notre trek, nous avons:

  • Passé deux jours à marcher avec Thong (nous étions bien en chaussures de marche. Thong, c’était notre guide!). Comme nous partions à la rencontre des tribus, Thong s’est fait accompagner pour le premier jour par un jeune khamu, dont le prénom signifiait « orange ». Et bien, celui-là n’avait vraiment que le prénom de vitaminé… et nonchalamment, lui, marchait en tongs.
  • Été consternés face à la déforestation massive au profit des plantations d’hévéas pour le latex à destination de la Chine. En 5 ou 6 ans, le prix au kilo de latex a décuplé, les fabriques se sont multipliées. Les sols se fragilisent, la biodiversité s’éteint. Lorsque nous avons réservé le trek, le tracé prévoyait un passage dans la forêt tropicale… Il semblerait que les tronçonneuses aient été plus rapides que la mise à jour de la page internet. Les locaux sont factuels: il faut s’aventurer de plus en plus loin pour apercevoir un singe ou un oiseau et le terrain s’effondre un peu plus à chaque saison des pluies. Mails ils ne semblent pas faire le lien de cause à effet, comme aveuglés par l’appât du gain immédiat. Lorsqu’on marche dans ce qui semble en apparence être une forêt, on découvre le néant. Le silence est assourdissant. Comme l’évoquait le livre « Silent spring », de Rachel Carson, il n’y a plus de printemps… pas un chant, pas un battement d’aile de papillon à des kilomètres à la ronde. Les bulldozers ont détruit la forêt originelle. Pour seule trace de survie dans cet environnement, les larmes de latex qui s’égouttent le long des saignées…
Les forêts silencieuses de production de latex avec ses millier hévéas. 
  • Galéré à marcher sur les sentiers boueux, les chaussures « ensabotées » par la glaise. Il n’y a eu qu’une sangsue sur le chemin… elle s’est glissée sur mon mollet, j’ai hurlé, Seb l’a retirée, j’ai juré, on a continué, on est tombé, tour à tour, même s’il n’y avait rien à voir.
  • Participé à la préparation des repas avec des recettes et méthodes traditionnelles. C’était délicieux et nous avons apprécié ces pauses gustatives et culturelles. Louise vous raconte… Nous avons préparé une ratatouille de courges (la forme d’une courgette ronde et le goût d’une courge) délicieuse, une soupe de courges (pas celle de chez nous, mais des morceaux de courges avec du bouillon et du gingembre), une sauce tomates trop bonne, le meilleur riz du monde (d’aaaaaaaaaccord, c’est juste du riz collant. Mais il avait à beaucoup de goût!), une soupe de poulet avec la moitié gauche (mangée sans poulet par Juju et moi, écœurées quand maman nous a dit qu’elle a vu la dame déplumer le poulet), une soupe de poulet avec la moitié droite le lendemain (mangée avec des cuillères en feuilles de bananier, dans un bol en feuilles de bananier, sur un plateau en feuilles de bananier), un poisson grillé dans du bambou, farci aux oignons frais, coriandre, citronnelle et chili (découpés au couteau suisse par maman), et une salade de fougères et tomates supermégagigapiquante. A votre grand étonnement, roulement de tambour! Je l’ai mangée! Il y avait aussi de la saucisse de porc aux vermicelles de riz. On s’est régalé! Sinon, pour ce qui n’est pas de « la bouffe », j’ai joué avec des algues, j’ai fait le portrait de papasparlor, un gars que nous suivons sur Instagram avec maman, qui fait des trucs cool avec des perles à repasser. Bref, trop cool le trek!
  • Passé la nuit au cœur d’un village de la tribu Lanten. Malgré mon sourire forcé à l’arrivée, tentant de dissimuler mon désarroi en découvrant les conditions « rustiques » dans lesquelles nous allions être hébergés, nous avons été touchés par cette expérience…
Préparation du dîner, le parcours sur 2 jours et des rizières. 

Au bout du chemin, les chants des coqs rompent le silence des plantations. Il est là, le village. Aucune route n’y accède. Les innondations de septembre ont emporté les derniers ponts et enseveli les accès. Le bled est coupé du monde. Une dizaine de petites maisons de bois et de paille tressée - poulaillers inclus - le composent. Les familles de cochons viennent à notre rencontre alors que nous évitons les bouses et les groins secs qui jonchent le sol en terre battue. Pas un être humain en vue. Thong part à la recherche du chef du village car c’est à lui qu’il faut s’adresser pour savoir dans quelle maison nous serons logés (une partie de l’argent que nous avons investi dans le trek revient aux villageois, par l’intermédiaire de la famille qui nous hébegera ce soir. Un tournus, géré par le chef, est organisé afin de désigner « qui se coltinera les touristes du jour dans sa cahute »). Le chef est au champs, comme la trentaine de personnes valides qui vivent ici… Ils reviendront à la tombée de la nuit. Grâce aux deux vieilles femmes restées ici à s’occuper des enfants, nous trouvons ce que Judith appelle notre « hôtel ». Dans la « grange » qui sert de pièce à vivre (foyer, dortoir et écurie), un homme nous libère trois paillasses (prévues pour la corpulence d’un Lanten adulte, ce qui équivaut à un lutin d’1,40m de haut, 28 cm d’épaisseur et 33kg) sur le lit communautaire (qui fait aussi office d’armoire, de pouf à linge, de niche, de garde-manger pour humains et animaux…). Les moustiquaires se confondent avec les toiles d’araignées, dans un doux mélange de dentelles. L’endroit est si poussiéreux que quand on s’y déplace, on se mouche tout noir… Les vieilles et les enfants entrent pour nous observer, nous scruter… on fait comme elles. Une des petites a les cheveux couverts de lentes. J’espère que ce n’est pas à elle qu’appartient la paillasse où l’on dort cette nuit. Au fond, dans l’obscurité, une chienne grogne, protégeant ses trois petits. Les cochons entrent et sortent. Les grenouilles aussi. « Pour les WC, c’est où vous voulez! Moi je vais me doucher! » nous lance Thong, en filant se baigner à la rivière. « L’endroit parfait pour m’enfiler une cup menstruelle! », pensais-je, sentant mes menstruations tomber à pic, à la vue de ces conditions sanitaires idéales.

Ambiance dans le village Lanten. 

Judith est heureuse. Elle se roule le cul par terre, entourée d’animaux, dont Peppa Pig et toute la clique. Le rêve. Lorsqu’on part se chercher un peu d’intimité au bord de la rivière, Louise ramasse des algues et des cailloux roses, violets, turquoises et en fait des œuvres d’art. Les filles jouent, on y reste un peu. Au moment de revenir au village, celui-ci est repeuplé. C’est la fin de la journée et le retour du travail aux champs. Les villageois s’empressent d’aller se laver, puis défilent à l’intérieur de notre hutte, curieux de venir dévisager en riant « les français », ou « longs nez », comme ils appellent tous les blanc-becs européens. On y rencontre des femmes: elles portent quotidiennement la tenue traditionnelle, une sorte de tablier-blouse teinté à l’indigo, avec des cordons qui pendent de chaque côté du cou. Certaines ornent leurs oreilles de boucles qu’elles ont fabriquées… Presque toutes ont cette expression si particulière sur le visage: lorsqu’elles sont mariées, les femmes lanten se rasent les sourcils. On s’observe, se sourit, se découvre, se comprend. Un tout petit monsieur (celui qui un jour, est parti couper un arbre et se l’est ramassé sur la tronche et qui depuis, parle sans que personne ne comprenne ce qu’il dit) est là aussi… il est content de nous voir. Seb sort discrètement ses micros et enregistre le moment. Thong nous traduit quelques bribes de conversation: « En juin, les éléphants se rapprochent. Cette année, ils étaient au portes du village. La tribu a eu très peur… C’est un vrai danger, de croiser un troupeau d’éléphants sauvage. Ils chargent tout sur leur passage! »

La femme qui nous héberge prépare le feu, son bébé d’un an est en écharpe dans son dos. C’est une petite fille, une sacré débrouillarde! Elle marche et mange son bol de riz toute seule, sans en perdre un grain. Le temps semble éternel. Les filles sont incroyablement patientes et adaptées à la situation.

Notre gîte pour la nuit. 

Intriguée par ce petit bout de femme de 54 ans (ou 45 mais le chiffre m’a été donné à l’envers??), j’ai envie de converser avec elle. Thong traduit. Je lui demande si elle a d’autres enfants que la petite, pleine de pipi, de sable et de moque, dans son dos… Continuant à manipuler la braise, sans détacher son regard de la lumière, elle me raconte. Elle a eu 5 enfants. Deux ados vivent avec elle ici, ainsi que la petite dernière. Deux des ainés, un garçon et une fille, elle les a donnés. Ils vivent maintenant plus heureux, dans une autre famille, loin de la vie pénible du village. C’est ce qu’elle croit, même si elle ne les a jamais revus. Elever cinq enfants, ici, c’est trop difficile… C’est normal de devoir en donner.

Nos regards de mères se rejoignent, je mets ma main sur mon cœur et lui sourit. Elle remplit la casserole de riz…

Plus tard, en y repensant, on essaie d’en rire… Alors entre nous, on ose: « Ils n’ont peut-être pas encore su tirer profit de tous les avantages du latex! »

Contre toute attente, nous aurons passé une bonne nuit au village et à ce jour, aucun pou n’a fait son apparition sur nos têtes. Les grognement des cochons à travers les fentes des parois ont semé une légère confusion avec les ronflements ambiants. Les demi paillasses sur lesquelles nous dormions ne nous ont pas définitivement coupé la circulation sanguine. Au moment du départ, Judith et la petite dernière de la famille jouent dans le sable, dehors. Leur tribu et la nôtre les contemplent en riant. Louise va chercher son Polaroïd et immortalise l’instant, sous l’œil curieux des villageois: les photos des deux petites (une Lanten et une « Français ») sortent de l’appareil. Louise les tend à la mère de famille… Celle qui ne reverra plus ses deux aînés pourra désormais se souvenir de sa petite dernière, a pensé Louise. La femme prend les photos, timidement émue… Elle les montre à son mari, à l’intérieur, puis les range, entre la pipe à eau et les sacs d’aliment.

Péppa pig au retour du trek. 
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Après notre semaine dans les montagnes du nord, nous revenons sur nos pas à Huay Xai. Cette ville frontalière avec la Thaïlande est le point de départ pour rejoindre Luang Prabang (la capitale du Nord) en bateau sur le Mékong. En slowboat (l’option que nous avons choisie, car c’est la plus sécure et la plus économique), le trajet prévoit deux jours de navigation avec une halte (généralement une nuit) à mi-parcours, à Pakbeng. Le départ du bateau est prévu à 9h au port de Huay Xai. Tout est calibré: nos billets sont réservés, nous avons bien déjeuné, pris des sandwiches à l’emporter à notre hôtel et le tuktuk qui doit nous déposer à l’embarcadère est presque à l’heure pour que l’on ne se retrouve pas à l’arrière du bateau, à côté des moteurs assourdissants. On a même pu choper les meilleures places (comprenez pas là, des sièges auto récupérés et posés sur le pont) en hauteur, à l’avant! Nos sacs sont rangés en fond de cale. Maintenant, il faut attendre que le bateau soit plein… 9h05: nous sommes une dizaine à bord, équipage compris (le bateau est prévu pour au moins 100 personnes, à vue de nez). 9h30: un premier car de backpackers monte à bord. Judith lâche un doudou sur la berge, un chevelu français en marcel-sarouel nous le relance à bord et nous fait le hangloose. 9h50: Arrivée en masse d’autres touristes. La cale est pleine de sacs à dos. 9h53: L’équipage vide la cale, ressort tous les sacs (on prend l’eau ou quoi?) et construit un mur de bagages, au centre du bateau. On entend le pccchhhht des premières bières qui se décapsulent. Le ton est donné: on est pas tous là pour admirer les paysages. 10h15: les derniers voyageurs arrivent, les poches et les bras remplis de bières. La condensation s’écoule de leurs sacs plastique sur nos pieds nus. De là, on la sent bien, leur vieille haleine de lendemain d’hier. Leurs fringues dégagent la transpi acide pas fraîche et l’after pas rangée. Ils ont plutôt la « mine » des longues soirées que la « mine » ensoleillée… 10h20: Judith lâche un deuxième doudou, dans l’eau cette fois-ci. On le récupère et lui suggère d’arrêter de jouer sur le bord de la barrière pour le reste de la journée. 10h30: on démarre. A part l’équipage et deux femmes qui ont l’air d’être des locales (cette déduction se base uniquement sur le fait qu’elles se râclaient la gorge et crachaient par dessus bord en regardant des vidéos au volume max), le bateau est rempli de touristes. Et de bières.

Des pêcheurs le long du Mékong et les slowboats. 

La descente du Mékong jusqu’à Pakbeng durera jusqu’à la tombée du jour. Les rives ensablées semblent inhabitées, à l’exception de quelques troupeaux de buffles et d’un pêcheur. Du sable, des arbres et des collines pour seuls reliefs à ce voyage en bateau lent… très lent. De temps en temps, notre embarcation acoste, le moteur s’arrête. On entend retentir quelques coups de marteau contre la coque ou la fonte, puis on repart. J’écris. Les filles jouent, mangent, lisent. Elles sont aussi tranquilles que le courant. A la surface de l’eau, des cailloux émergent… et des îlôts de déchets flottent, à perte de vue. Au bout de quelques heures, je me dirige vers l’arrière du bateau, pour fumer une clope. Plus j’avance vers « le fond », plus ce que je vois « touche le fond ». La vendeuse de café se fait encercler par une horde de fêtards défoncés, en slip de bain, musique à coin, peu srupuleux de s’adapter à la discrétion et à l’humilité coutumière. J’avance encore jusqu’aux tréfonds de l’humanité, situés aux abords du moteur, là où gisent et s’enivrent les arrachés de tous bords. La chaleur est étouffante, le bruit à peine supportable. Les regarder me soûle (le comble, moi qui suis sobre!), me fait honte… Je ne veux pas être assimilée à « ce tourisme », à la confluence du colonnialisme, du Springbreak et de la Platzspitz.

La nuit tombe sur le Mékong. 

Nous arrivons à Pakbeng avec les dernières lueurs du jour. Le ciel orangé fait ressortir les reliefs qui bordent le Mékong. Les tuktuks nous attendent à la sortie du slowboat. Ils sont à l’image des backpackers qui font escale au village pour la nuit: archibourrés! Nous, nous avons fait le choix de rester ici deux nuits, en pensant que deux journées de navigation consécutives seraient peut-être un peu pénibles pour les filles… Cela n’aurait pas été nécessaire, au final, car elles ont bien aimé le temps passé sur le bateau. En arrivant à la guesthouse, nous apprenons qu’il n’y a pas d’eau… des travaux ont provoqué une coupure dans tout le village. Les américaines siliconées sont scandalisées de ne pas pouvoir se doucher, les allemands repartent fâchés (probablement pour aller dans une autre guesthouse dépourvue d’eau elle aussi), les français hippies trouvent cela très authentique et nous, on va acheter un paquet de lingettes humides et une bouteille d’eau. Plus tard, la famille qui nous héberge (sensible au fait que nous voyageons avec deux enfants et que nous restons deux nuits) nous apportera des bidons remplis d’eau du Mékong. Expérience faite, avec beaucoup de savon, on ne sentait presque pas la vase, le plomb et les égoûts: Mouillé c’est lavé, sec c’est propre! Durant notre « escale » à Pakbeng nous avons:

  • Renoncé encore une fois à aller dans un sanctuaire d’éléphants, bien que celui-ci semblait éthiquement irréprochable et était situé en face du village. Au Laos (dit « le royaume au million d’éléphants) comme en Thaïlande, ce genre d’activités ne rentre absolument pas dans notre budget de 100$ par jour pour les quatre, tout compris. Nous nous sommes rabattus sur la version « Temu » de l’activité éléphants: on s’est réveillé au lever du jour pour essayer de les voir se baigner dans le Mékong à 6h du mat, depuis l’autre côté du rivage… On en a vu un sur la berge, puis on a déjeuné au village avec des muffins au chocolat et des smoothies, ça a fait notre journée.
  • Esquivé l’arnaque au moment d’échanger notre billet de bateau au port de Pakbeng pour retarder notre départ d’un jour, car notre billet initial ne tenait pas compte de notre escale de deux nuits et on a renoncé à essayer de se faire comprendre au moment du départ. Le gars voulait nous faire payer un supplément, on l’a envoyé péter (avec les yeux), on est reparti bredouille, on a niauché un peu en racontant ça à la guesthouse, puis nos hôtes sont gentiment allés échanger notre billet gratuitement.
  • Profité de la terrasse de notre logement, surplombant le Mékong. Nous étions seuls au village, après le départ des slowboats au matin. Nous avons fait des aller-retours entre la guesthouse et le village, pour s’occuper ou se sustenter… Nous avons découvert une autre facette de Pakbeng: le jour et la nuit. Les filles ont joué à cache-cache dans la maison et le magasin attenant, puis elles ont fait des sandwiches en pâte à modeler. Le jour, les poissons et les chilis sèchent au soleil, le long du chemin poussiéreux. Une petite vieille coupe du bois, accroupie devant sa cabane tressée. Les villageois nous reconnaissent, nous saluent, presque comme si on était des leurs… (ou est-ce parce qu’on est une famille et qu’on a l’air pas trop défragmentés?) Nous nous sommes baladés jusqu’au sommet de la colline, sommes rentrés par le marché, en passant par un petit sentier escarpé.
  • Mangé le meilleur curry du voyage, là où le panneau sur la devanture nous a fait sourire (voir photos).
  • Passé la soirée sur la terrasse de la guesthouse avec un couple de Bâlois en voyage d’un an. Lui est un jeune retraité de l’administration de la ville de Zurich et elle est une infirmière qui avait besoin d’un break. On partage nos expériences et bons plans, notre ennui du fromage et nos goûts musicaux (et là, en matière de goûts, tout un röstigraben nous sépare!).
L’arrivée au port de Pakbeng.

Pour notre deuxième journée de slowboat à destination de Luang Prabang, nous serons à bord d’un bateau plus petit, moins peuplé, moins alcoolisé, plus ponctuel. Derrière nous, un couple de français d’une septantaine d’années. Ils ont quitté Paris en train il y a quelques mois, ont traversé la Chine, puis un bout du Vietnam… leur objectif est de rejoindre Singapour, toujours en train (mais alors pourquoi sont-ils sur le bateau? Nous n’avons toujours pas élucidé le mystère). Durant cette journée de navigation, je suis pensive… Je me sens chanceuse de me trouver là, heureuse que l’on se soit accordé le temps de vivre cette expérience, tous les quatre. Depuis que nous sommes nous, les voyages sont notre moteur, notre équilibre. Tout n’est pas toujours rose, on s’engueule souvent, on se plante parfois, mais ensemble nous trouvons la confiance que l’on peut aller partout. Vivre en voyageant « longtemps » est une expérience à part entière, quel que soit le périple. C’est un ressourcement qui se distingue profondément de « partir en vacances ». Chaque voyage renforce mon envie de continuer encore et encore… et d’oser. Être ensemble. Découvrir. Rencontrer. S’oxygéner. Partager. Vivre. Saisir les opportunités. Lâcher prise. Profiter de l’instant présent, sans se laisser intimider par le superflu. Rencontrer d’autres voyageurs fait aussi partie de l’aventure. Je n’ai pas le besoin de me rapprocher de gens « comme nous » et ne fais rien pour provoquer la rencontre (comme beaucoup de « groupes » de francophones que nous rencontrons et qui organisent des regroupements via Instagram) mais j’accueille avec plaisir, parfois avec émerveillement, les récits et projets des autres. Aujourd’hui, j’ai un petit pincement au cœur: j’aurais bien aimé que nos proches nous rejoignent, qu’ils osent, eux aussi, se permettre de vivre ce shoot de plénitude.

Nous arrivons à Luang Prabang en fin de journée. Notre guesthouse est située juste à côté d’un resto italien, tenu par un Indien, qui fait des pizzas dignes d’un Napolitain! L’avantage, de débarquer dans une ville touristique, c’est qu’on y trouve le (ré-)confort nécessaire au bon moral des troupes. Aujourd’hui, Louise a eu un coup de blues: quand je lui ai demandé d’aller prendre sa douche, elle s’est projetée dans la douche de la maison, puis s’est souvenue que nous en sommes loin… et que d’autres gens vivent chez nous en notre absence. Elle était triste. Judith a enchaîné sur le fait que sa chambre et ses doudous lui manquent. Alors hop, une tournée de pizzas pour tout le monde et le sourire revient!

Durant notre séjour à Luang Prabang, nous avons:

  • Pris du temps à l’hôtel pour organiser la suite du voyage. Les filles apprécient ces moments car elles sont en roue-libre pour jouer dans la chambre, au calme!
  • Mangé une soupe chez un couple de petits vieux Laotiens. Lui avait un goître immense et parlait français parfaitement, sans accent (ah, les conséquences positives d’années de protectorat français en Indochine!).
  • Fredonné « 700 millions de chinois, et moi et moi et moi… » à longueur de journée (ah, les conséquences de la construction d’une voie ferrée reliant (et financée par) la Chine et les principales villes du Laos). Luang Prabang c’est joli, mais vraiment très touristique (3 millions de touristes en 2024). La vieille ville, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, est charmante, avec ses maisons coloniales. Mais elle ressemble plus à une ville européenne qu’à ce que nous avons vu du Laos. C’est troublant…
  • Visité le Palais Royal et trouvé ça bien nul. Nous avons juste aimé le fait que pour une fois, ce soit à Seb de porter une jupe pour cacher ses mollets impudiques.
  • Refait le plein de mangues séchées et de noix de cajou (les encas préférés de Judith) au marché.
  • Gravi les marches du Mont Phousi pour aller admirer le coucher du soleil et la vue sur la ville. Nous n’étions pas seuls, sur le Mont « Phousitoutlemonde »…Il y avait aussi 700 millions de chinois, les cramés du bateau, et un couple de français qui a acheté des oiseaux en cage pour les relâcher au sommet (et ainsi alimenter un business touristique dont on tenait les chinois pour seuls responsables). Arrivés au sommet, on n’a pas vu la vue, on n’a pas réussi à supporter les gens jusqu’à ce que le soleil se couche, et on est redescendu avant que nos « boutades antisociales » ne dégénèrent en actes de racisme ordinaire et d’incitation à la haine.
Coucher de soleil depuis le Mont Phousi à Luang Prabang. 
  • Improvisé une dégustation au Night Market. A tour de rôle, l’équipe « Seb-Louise » et « Pauline-Judith » allaient choisir un échantillonage de trucs à goûter. Ainsi, nous avons testé différents jus de fruits frais (et un classique jus de houblon fermenté nommé Beerlao pour Seb), des espèces de gros Dim Sum dans une pâte spongieuse, des raviolis grillés qui avaient le goût de rouleaux de printemps et des grandes pâtes de riz dans une sauce indéfinissable mais bonne (tous deux dénichés dans un stand coréen), différentes saucisses laotiennes, du riz et des mini pancakes à la noix de coco.
  • Bu un gin tonic (Seb) et un délicieux cocktail sans alcool à base de « mangoustan » (les gonzesses). Puis mangé des burgers dans un resto français.
  • Investi près de 2 francs dans des boucles d’oreilles pour Louise. Il leur a fallu moins de temps pour s’oxyder que pour parvenir à les crocher.
  • Fait le tour des bookshops à la recherche de livres en français pour les filles. Nous y avons déposé « Deux petites maîtresses Zen », de Blaise Hoffmann. Comme un juste retour aux sources pour ce livre qui a tant résonné (et raisonné) en nous. Et puis Seb est reparti avec un livre sur « l’agroforesterie », que les ingénieurs forestiers locaux, s’ils existent, feraient peut-être bien de lire, eux aussi!
Deux petites maîtresses zen contre l'agroforesterie. 
  • Voulu visiter l’Institut français (maison qui a vu grandir Pierre Desproges, dont le père était instituteur à Luang Prabang). Le site internet annonçait une programmation culturelle: aujourd’hui la diffusion d’un film pour enfants en français était annoncée. Que nenni! Apparemment, il y a un autre institut français à Vientiane… La dame française qui travaille ici a été catégorique: « Ici, il n’y a rien. Rien ne se passe. Je suis seule. Vraiment toute seule ». Et si on se fie à la sympathie de son accueil, elle n’avait pas envie de notre compagnie pour remédier à son sentiment d’isolement.
  • Visité deux temples: Wat Xieng Thong et Wat Sensoukharam. Ce dernier, proche de notre logement, peut désormais nous compter parmi ses fidèles car nous y avons passé pas mal de temps, à plusieurs reprises. une fête bouddhiste (je n’ai pas réussi à savoir laquelle) se déroulait sur plusieurs jours dans ce temple… Nous avons assisté à des danses traditionnelles, des cérémonies et une procession, avec des guirlandes de pognon partout.
Wat Xieng Thong et Wat Sensoukharam.
  • Jeté un œil au Musée sur les minorités ethniques du Laos (Traditionnal Art & Ethnology center). Intéressant mais pas bouleversant.
Détails des courbes et « pixels » des tenues de minorités ethniques Hmong, Akha et Khmou.
  • Arpenté les alentours en scooter. « Plus vite, papa, plus vite ». Seb s’exécute et met les gaz… si vite qu’il me sème. Après avoir roulé dans des directions inverses pendant plus d’une heure, en faisant des nomdedjeu, j’ai fini par trouver un resto à cars de chinois et son wifi pour passer un appel et retrouver ma famille. Enrichis par cette expérience de « séparation », nous avons désormais roulé plus serré… puis le scooter de Seb a crevé… puis on l’a fait réparer. L’opération nous a pris deux heures. Comme on était visiblement pas tombé sur « le couteau le plus aiguisé du tiroir » pour changer notre chambre à air (et qu’il avait la force musculaire d’un moineau qui s’est pris une vitre), Seb l’a aidé à dévisser un boulon grippé et a réussi à plier sa clef à tube avec le petit doigt. Nous avons fait une pause pour manger une glace au lait de bufflonne, puis nous nous sommes baignés dans les surpeuplées mais jolies cascades de Kuang Si. Les petits poissons qui venaient nous suçoter les orteils m’ont mise moyennement à l’aise… Nous nous sommes baladés dans le jardin des sens du Nahm Dong Park et au-delà, saluant au passage les gosses en uniforme, au retour de l’école.
Cascade de Kuang Si, le réparateur de pneus, Ficus altissima et le Nahm Dong Park.
  • Vu Madame Mille-pattes (scolopendre) traverser la route, elle était seule. Car ce n’est pas un endroit pour apprendre à marcher à ses enfants. D’ailleurs, Judith s’est encoublée au même endroit et s’y est raboté le genou. Par chance, elle n’a pas mille genoux!
Judith en transport après sa chute. 
  • Soupé séparément, entre yeux bruns et yeux bleus. Parce que c’était tendax. Puis en fin de compte, avoir apprécié d’avoir un petit moment privilégié, avec chacune de nos filles. Et réciproquement.
  • Visité le « UXO centre », le musée des bombes non-explosées, qui témoigne des terribles conséquences des bombardements subis par le Laos, notamment pendant la guerre du Vietnam. Le Laos détient un sordide record: celui du pays le plus bombardé au monde. C’est un secret longtemps bien gardé par les États Unis, mais entre 1964 et 1973, le Laos, frontalier avec le Vietnam et particulièrement la piste Ho Chi Minh, s’est ramassé 2 million de tonnes d’explosifs sur la tronche. Difficile à s’imaginer? C’est l’équivalent d’un raid toutes les 8 minutes, 24 heures par jour, pendant 9 ans. Durant cette période, les Américains ont largué une tonne d’explosif par habitant du Laos (sans compter les 1,8 millions de litres d’agent orange largués rien qu’ici). 30% des sous-munitions n’explosent pas au moment de l’impact. Elles se disséminent dans la nature, endormies sous la terre et la végétation, jusqu’à ce qu’un gamin ou un paysan venu labourer son champs y dépose une main innoncente. 30’000 Laotiens ont été tués durant la guerre et 20’000 depuis en raison de 80 millions de bombes non-explosées. La moitié des victimes sont des enfants. Cela vous fiche le tournis? A nous aussi. Et pendant ce temps-là, les USA se rachètent une conscience en co-finançant avec d’autres états, histoire d’apparaître dans les opérations de déminage et des projets de handicap international… et améliorent leur technique: en Irak ou en Afghanistan, les bombes larguées par les États Unis avaient l’apparence de jouets pour enfants. Louise a été marquée par ce qu’elle a découvert ici. Elle raconte: Je me suis rendu compte que même les petites bombes sont puissantes. Si t’as du bol, t’es juste handicapé. Genre… défiguré, borgne (aveugle d’un œil), perdu un ou des bras, des jambes, des pieds, des doigts. Il y en avait même une qui avait plus de coude! Simplement parce qu’ils jouaient dehors et qu’ils ont cru avoir trouvé une boule de pétanque… ou parce qu’ils ont allumé un feu 🔥 au mauvais endroit. Il y a même des villages construits sur un terrain de bombes 💣 sans qu’ils le sachent! Résultat, énormément d’enfants explosent en travaillant dans les champs. Ça m’a beaucoup choquée 😱 .
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Peu convaincus d’emprunter la fameuse ligne ferroviaire chinoise qui relie la Chine à Vientiane (inaugurée en 2021) pour rejoindre Vang Vieng, nous suivons les conseils de la dame de notre Guesthouse de Luang Prabang, un peu à contrecoeur, en réservant le train (1h de train versus 3-4h de minivan). Nous voulions éviter de prendre ce moyen de transport pour plusieurs raisons. Tout d’abord, car acheter des billets pour cette ligne de train controversée revient à financer et cautionner « l’envahisseur » chinois qui tient les cordons de la bourse (et le manche du fouet) face au Laos surendetté et totalement dépendant de ses voisins. Cette ligne de train est un désastre économique, écologique et social (destruction de rizières, atteinte à la biodiversité, déforestation, déplacement forcé de plus de 4400 familles qui vivaient le long du tracé…). L’autre raison est que le protocole d’embarquement (lui aussi imposé par la Chine) pour 1h de train nous semblait démesuré (contrôle des passeports et de sécurité, interdiction de voyager avec des couteaux, si bien que la plupart des voyageurs s’envoient leur opinel au prochain hôtel par courrier postal). La dame de la guesthouse insiste: un couteau suisse dans les bagages, ça passe!

Seb planque son couteau fétiche (celui de ses 18 ans, ultra-pratique pour le voyage) au milieu du sac de linge sale, au milieu de son sac à dos, au milieu d’un milliard d’autres affaires. Un autre petit couteau se trouve quelque part, dans le sac. C’est celui-ci qu’il tendra au personnel de la sécurité qui, évidemment, lui réclamera son couteau au sortir du tapis à rayons X. « Pas celui-ci. L’autre. » Seb a beau faire semblant de ne pas comprendre ou feindre l’étonnement du deuxième couteau dont il ignorait la présence, la jeune fille de la sécurité de démord pas: « Sortez le deuxième couteau de votre sac. » Seb insiste, argumente, menace, pleurniche. Sans ce couteau, nous ne prendrons pas le train! Qu’on nous rembourse! Je m’éloigne avec les filles et le laisse négocier avec les sbires et leur hiérarchie. Rien n’y fait. Il devra céder l’objet du délit. Je m’étonne même qu’il lâche l’affaire aussi facilement. Il nous rejoint, pose son sac à nos pieds, part aux WC. Dix minutes plus tard, il en ressort avec un petit sourire en coin et son couteau suisse en poche. Je n’ai jamais pu savoir ce qu’il avait dû faire dans ces toilettes pour récupérer son couteau, il a préféré ne pas en parler… Je découvrirai plus tard dans ses WhatsApp que « l’opération couteau » nous aura coûté 100,000 kips (environ 3 francs suisses) échangés dans les WC.

Vang Vieng:

Arrivés à la Gare de Vang Vieng, nous montons à bord d’un minibus pour rejoindre la ville, nous et une famille française avec leurs cinq (!!!) enfants. En voyage durant un an, ils sont frontaliers et lui travaillait… à Bulle!

Pour situer, Vang Vieng et l’un des lieux les plus touristiques du Laos. La plupart des gens qui « voyagent » dans ce pays visitent en réalité uniquement Luang Prabang, Vientiane et Vang Vieng. Réputée pour sa nature environnante (spectaculaires montagnes karstiques, rivières, grottes…), la région surnommée « Baie d’Ha Long terrestre », offre de multiples possibilités d’activités en plein air. Le triste revers de cette ville, c’est qu’en l’absence de tout contrôle, le tourisme a pris au fil du temps une drôle de tournure avec l’arrivée en masse de jeunes backpackers en mode « défonce ». En 2012, le gouvernement a sonné la fin de la récré et a décidé de faire le ménage, y compris au sein des autorités locales, complices de ces dérives. En théorie, aujourd’hui, la ville est rentrée dans les clous. Mais elle porte encore les stigmates bien vives d’années de débauche… Les tyroliennes à chinois et les rave partys encombrent les berges des rivières, les groupes de jeunes arpentent les rues en parlant fort, en bikini et sans (re-)tenue, bière à la main, même en plein jour. Les restaurants sont fades, les hôtels sont crades. Le sommet des karsts s’atteint sous kétamine. Les mots de Maurice Chappaz dans « Les maquereaux des cîmes blanches » résonnent de ce côté du monde. C’est universel: les beautés paysagères ont un prix, celui du business touristique. Quelques jours après notre départ de la ville, nous avons appris par la presse internationale que plusieurs jeunes touristes intoxiqués au méthanol lors d’une soirée à Vang Vieng sont décédés durant notre séjour.

Malgré l’environnement « artificiel », nous avons:

  • Fait du tubing sur la Nam Song (descente de la rivière en se laissant porter par le courant, en flottant dans des chambres à air de camion). De chaque côté de la rive, des gamins nous lancent des bouteilles en PET encordées, pour tenter de nous « remorquer » dans l’une des raves bruyantes qui bordent la rivière. Hormis la « pollution sonore » à droite et à gauche, les tyroliennes à chinois au-dessus, les chinois en kayak et les ricains avinés autour, on s’est senti seul au monde, au milieu de la nature. On a beaucoup rigolé et les filles ont adoré cette balade « cul dans l’eau ».
Les bâteaux à moteurs sur le Nam Song à Vang Vieng, les chinois en canoé en amont et la rue « piétonne » de Vang Vieng. 
  • Soupé avec des nouilles instantanées dans notre chambre d’hôtel, car on attendait que la pluie se calme dehors, et puis Judith s’est endormie, et puis la pluie continuait, et puis on n’avait pas envie d’avoir de l’eau jusqu’aux chevilles dans la rue, et puis la pluie est arrivée dans la chambre, en passant par la ventilation… elle a ruisselé le long des murs, puis a formé une flaque sous les lits. Alors on s’est couché, pour être à l’abri.
  • Loué des scooters pour aller passer la journée dans une lagune (Lagoon 3), au pied d’une falaise. Il y a des tyroliennes pour se jeter à l’eau dans une piscine naturelle et l’endroit est étonnamment calme. Seb et Louise se baignent, moi je reste au bord avec Judith (privée de baignade le temps que sa blessure au genou cicatrise). Seb et Judith parviennent à atteindre l’escarpé et périlleux viewpoint en empruntant les échelles verticales et horizontales, suspendues au-dessus du vide (Louise et moi avons fait demi-tour bien avant, couvertes de boue et d’écorchures, après avoir chacune chuté dans le ravin glissant).
Les environs de Lagoon 3. 
  • Mangé à « la Cigale », un resto tenu par un Marseillais, qui sert de la saucisse de Toulouse et des spécialités laotiennes. Au comptoir, les retraités français s’alignent pour boire, fumer et draguer des laotiennes qui pourraient être leurs filles. A ce dernier détail près, on se serait cru dans un PMU de la France profonde.
  • Donné la lessive à faire à une gentille dame qui proposait un tarif défiant toute concurrence. En récupérant notre linge lavé, nous avons remarqué que son local sentait le caca de chat et nos habits avaient pris l’odeur de la fumée de poubelle brûlée.
  • Pris un minivan payé beaucoup trop cher (nous avons réservé sur internet, il aurait fallu passer par une agence sur place) pour rejoindre la capitale, Vientiane.

Vientiane:

Cette ville, capitale du Laos, détonne parmi les capitales asiatiques. Plus petite, elle est aussi étonnamment paisible et facile d’accès (on fait pratiquement tout à pied au centre et il y a « peu » de circulation). En revanche, de part et d’autres de la ville, les projets immobiliers et de développement économique pullulent: des usines se construisent, des enseignes monumentales bordent les routes sur d’immenses pancartes publicitaires écrites en chinois, de gigantesques complexes scolaires ou hôteliers avec terrains de volley et green de golf se développent. En dehors du centre, on voit de belles villas, luxueuses parfois. Là encore, le « parrain » chinois semble avoir déjà pris ses quartiers, au détriment des commerces locaux et quartiers coloniaux français qui peu à peu disparaissent.

L’une des rues principales de Vientiane. 

Durant notre séjour à la capitale, nous avons:

  • Joué des parties d’échecs (Seb et Louise) dans un café où nous avions nos habitudes. Le café y était bon et le personnel ne parlant que Laotien, il n’y avait aucun témoin à nos engueulades familiales quotidiennes (Vientiane semble avoir été l’exutoire collectif du « trop plein » de proximité).
  • Fait le tour de la « Stupa noire », puis refait le tour, à la recherche d’un quelconque intérêt, en vain. En revanche, nous avons souri à la lecture de l’enseigne voisine: « Kuptif: le salon de votre beauté ».
Le Kuptif et la Stupa noire. 
  • Visité le Wat Sisaket, plus ancien temple de la ville. Il était joli, avec ses milliers de petits bouddhas dans des niches.
Le Wat Sisaket et ses milliers de Bouddhas. 
  • Marché le long du Mékong, surplombant une fête foraine qui a fait saliver les filles (devinez qui a financé le parc et les attractions qui s’y trouvent?). Ce lieu est devenu la carotte au bout du bâton de la sagesse pour les filles: « Si vous vous comportez mieux demain, peut-être aurez-vous droit à un tour sur le manège Pat’Patrouille! ». Trois jours plus tard, la Pat’patrouille n’était toujours pas passée à l’action pour retrouver obéissance et discipline auprès de notre progéniture et les filles ont raté leur tour de carrousel.
Carrousel le long du Mékong. 
  • Mangé au Night Market un « assortiment-découverte » concocté par nos soins (chacun a choisi des trucs pour composer le repas). Nous avons donc dégusté, avec plus ou moins de plaisir: des brochettes de porc à l’aigre-doux, des chips de patate, des aubergines grillées farcies au laab (salade laotienne de viande effilochée cuite au bouillon, avec oignons frais, ail, herbes, citron vert et piments), des boulettes japonaises de patates douces, des raviolis chinois, des pancakes choco-coco et… du durian (le fameux fruit qui pue). Pour ce dernier, les filles nous ont lâchés délibérément et n’ont pas voulu goûter. Seb (qui en avait déjà mangé et avait tout recraché par le passé) a revu son jugement: ce n’est pas aussi infâme que dans ses souvenirs. Moi (qui n’avais jamais eu l’occasion de goûter mais senti souvent leur odeur sur les marchés en Indonésie) j’ai trouvé que pour un fruit qui sent le compost et a la texture (et un peu le goût) d’un vieux camembert, ce n’était pas si dégueu qu’on le prétend.
Les étals du night market de Vientiane avec les poussins cuits dans l’oeuf. 
  • Fait un inventaire des éléments faisant partie des « standards » de l’hôtellerie locale. La plupart du temps, une chambre correcte comprend: un espace avec lit dont seuls les sols ont été nettoyés, parfois les poubelles vidées des déchets des précédents occupants, des prises électriques pas toutes fonctionnelles, de la moisissure, des carrelages moches et désassortis déclinés en un festival de couleurs et motifs dégueulasses, des travaux de rénovation entrepris mais jamais finis (ex: des scotchs de protection restent éternellement sur les cadres de porte alors que la dernière couche de peinture remonte à plusieurs décennies), un plafond qui gondole ou craquelle, des trous qui laissent passer l’air, la lumière et la vermine, un cairn de savons restés des clients précédents, la douche (souvent froide) à même le sol avec le pommeau qui fuit, l’absence de PQ et de lavabo (on crache le jus de dentifrice sur le sol) ou alors un lavabo bouché… le tout au 4ème étage sans ascenseur, dans un bâtiment peint en orange diarrhée, rose bonbon, bleu électrique et noir sombre qui pue la moiteur et la térébenthine. On se contente de peu: si les draps sentent la lessive, on est heureux! A Vientiane, le fumoir devant l’hôtel sert aussi d’hébergement aux clodos du coin et de lieu de racollage pour les punks à chiens vagabonds.
  • Marché le long des grands axes, marché à travers le marché du matin, marché dans les déchets, marché sur la route car les trottoirs défoncés sont encombrés de véhicules stationnés.
  • Visité le COPE Visitor Centre de l’ONG laotienne qui sert de trait d’union entre les fondations internationales et les besoins locaux. Elle fabrique des prothèses et offre des soins aux victimes des bombes larguées par les USA.
COPE Visitor Centre. 
  • Assisté au show de lumières et d’eau au coucher du soleil sous le Patuxai. Ce monument (sorte d’arc de triomphe local), construit à grands frais dans les années 60 (avec du béton américain destiné à la construction d’un aéroport), est commémoratif en l’honneur des morts des différentes guerres (ça c’est la version avancée par « le Routard). D’autres sources disent que c’est un symbole de l’indépendance du Laos par rapport à la France. Toute une foule est là pour assister au spectacle: l’Unicef et diverses ONG en grandes pompes, les médias, la TV, la police… Apparemment c’est un jour spécial en lien avec les droits de l’enfant. Nous assistons aux festivités en pôle position, avec Judith debout sur le bord de la fontaine pour pouvoir mieux jouer « aux pouvoirs d’Elsa » avec les jets d’eau lumineux durant toute la durée du show.
Les jets d’eau et la porte de Patuxai. 
  • Rencontré des retraités français en vacances. L’un d’eux a passé une partie de son enfance à Vientiane entre 69 et 74, alors que son père y travaillait pour l’ONU. Il n’y avait pas remis les pieds depuis… 50 ans se sont écoulés, et même si la ville a beaucoup changé, c’est avec nostalgie qu’il a retrouvé son ancienne maison, son lycée. Il n’en garde que des bons souvenirs, malgré que le contexte était particulier, en pleine guerre du Vietnam. Cette enfance « ailleurs » lui a forgé une ouverture d’esprit. Emu, il nous félicite d’offrir cette opportunité de voyage et d’ouverture à nos filles.
  • Pris le bus pour aller visiter le Bouddha Parc, à 25 km. Ce parc est l’œuvre d’un artiste un peu allumé qui avait pour ambition d’unir bouddhisme et hindouisme en une seule religion. Dans les années 50, il a réalisé 200 statues inspirées de cette aspiration pour créer le Bouddha Parc. C’est joli, mais on a faim, on a chaud, on est au milieu de nulle part et aucun lieu pour se sustenter à l’horizon. On se contentera d’un paquet de chips à 4 pour seul repas de la journée, ce qui n’adoucit pas nos humeurs du moment.
Statues du Bouddha Parc. 
  • Mangé des pains au chocolat « à la française », bu des smoothies dans des bars à fruits, mangé des pizzas et des pannacotas réconciliatrices chez un « vrai » Italien.
  • Loué une voiture à l’aéroport (la seule possibilité de location de voiture que nous ayons trouvée au Laos) pour aller faire la boucle des karsts de Khammouane, durant quatre jours. Nous reviendrons ensuite à Vientiane pour rendre la voiture et prendre un bus de nuit pour Paksé.


Boucle des karsts de Khammouane:

Formant une ceinture de 270km de long sur 40km de large, ce massif karstique donne naissance à des paysages spectaculaires: larges panoramas dominés au loin par les moutonnements de collines et pics calcaires, vallées perdues et cols entortillés, grottes, rivières souterraines, forêt et immenses plaines à cultures (riz et tabac). La boucle nous emmène sur près de 800 km (au départ de Vientiane) de beautés paysagères.

Paysages karstiques, la grotte de Konglor, de Tham Pha Nya, de l’éléphant sur la boucle de Khammouane.  

En cours de route, nous avons:

  • Mangé des phô dans des « cantines » à routiers. Les nouilles, la viande émincée et les herbes ont toujours été à notre goût. Les morceaux coriaces de peau de buffle séchée qui trempaient dans le bouillon l’étaient un peu moins.
  • Admiré la vue spectaculaire sur « la forêt de pierres » depuis un Viewpoint, en direction de Kong Lor, avant que la nuit tombe.
  • Dormi au village de Kong Lor et visité son impressionnante grotte (qui a servi de planque aux villageois durant 90 jours, pendant la 2ème guerre d’Indochine). Sous la montagne, un tunnel d’environ 30m de large, 20 à 100m de haut et 7,5km de long, où coule une rivière. La traversée se fait en barque, dans l’obscurité quasi totale pendant environ 45 minutes (seuls certains passages se font à pied et sont éclairés afin de pouvoir admirer les stalactites et stalagmites). Retour à la lumière au bout du tunnel dans un joli paysage… C’est calme, apaisant. Sur la berge, des villageoises tiennent des « buvettes », on s’y installe pour une heure ou deux. Il n’y a que nous et une autre poignée de touristes. L’atmosphère est agréable, à ces heures matinales. On observe une femme couper des noix de cocos, accroupie sur le sol. Les canetons, friands d’en béqueter la chair (Louise vous exliquera ci-après) tournent autour du tronc, jonglant avec leur tête entre les coups de machette… Ouf, celui-ci n’est pas passé loin de la « guillotine « , je pousse un soupir de soulagement, la dame souffle à son tour. « Trop petit pour un magret de toute façon », a-t-elle sans doute pensé, en poursuivant sa besogne. On nous sert un Coca sorti d’un bac en sagex dégoulinant de glace déjà fondante. Les vaches et leurs veaux font partie du décor. Un petit chat s’assied sur notre table, on supplie Judith de ne pas le toucher car il sent les puces à plein nez. On n’entend presque aucun bruit de moteur. Les filles s’éclatent: un monsieur vient vers nous en disant: « les filles, il faut que vous essayiez ça, vous prenez une noix de coco et vous pouvez emmener les canards OU VOUS VOULEZ!!! » Donc on a promené les canetons et ils allaient tellement vite qu’on devait courir ( mais en marche arrière, c’est pas très pratique! ). Ensuite on a ouvert un resto 5 étoiles ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️ pour les canards 🦆 . Il y avait à boire, à manger et même des bancs ( en noix de coco retournées ) . Malheureusement, j’ai oublié de leur faire des toilettes 🚽 ça a fait « prout ! » et il y en a un qui a fait… vous savez quoi 💩 ! Du coup, notre plan B, c’était de déplacer le resto à coté du tas de noix de coco 🥥 qu’ils utilisaient comme place de jeux et de mettre des feuilles mortes 🍂 sur le sol, comme ça, en cas de crotte 💩, il fallait juste remplacer la ou les feuilles ( ça dépend de la taille de la crotte! ).
  • Roulé de nuit durant 2h30 là où l’itinéraire annonçait « le tronçon avec le plus beau panorama de la boucle ». Nous avons été bloqués pendant plus de 2h sur la route, à cause de travaux, puis quand la route a rouvert, il était 17h. Ici, le soleil se couche à 17h30. Il ne nous restait donc plus que les yeux pour pleurer le panorama raté… et dans la pénombre, viser entre les trous, les chiens (l’un d’eux dû laisser quelques poils sur notre pare-chocs), les troupeaux en tous genres et les scooters sans phares.
  • Dormi au bord d’un lac, dans des cabanes sur pilotis.
  • Roulé du lac jusqu’à Thakhek, en faisant des haltes pour visiter les environs. Nous avons vu la grotte de Tham Pha Nya In (contrairement au mec aveugle qui nous a fait payer le ticket d’entrée… si on le lui avait pas adressé un « Sabaideeeee », le salut laotien, on n’aurait même pu passer gratos, l’air de rien!). Ici, un autel, quelques fanions bouddhistes colorés et au loin, au fond d’un trou, un ruisseau souterrain. Puis nous avons dîné au bord d’une piscine naturelle (Lake Falang), en louant une cahute, comme tout le monde. Les voisins de cahute avaient réservé la leur pour leur Karaoké dominical. Quand on en a eu assez de leurs « miaulées », on a décampé. On a visité l’Elephant’s cave: il y avait des sculptures qui louchent, des « chourchouris dans la crotte » (= des chauves-souris dans la grotte, en langage de Judith) mais on n’a pas su trouver l’éléphant. Nous avons ensuite visité la Buddha’s Cave en empruntant la passerelle sur l’eau qui mène à la grotte. Découverte en 2004, cette caverne sacrée contient 229 statues de Bouddha en bronze, dont la provenance demeure un mystère. Ils étaient là, à la découverte de l’endroit. Rien n’a bougé, sauf peut-être la touche déco: des tapis de sol en mousse « alphabet » pour chambres d’enfant ont été ajoutés pour le confort des pieds.

Et pendant tout ce temps, nous, éternels indignés, avons pensé…

  • Au respect des droits humains dans un pays régit par un parti unique et largement corrompu qui exerce un contrôle absolu sur le pouvoir, les médias et internet et applique une politique de surveillance et de répression. (D’ailleurs, si le gouvernement Laotien n’a rien de mieux à faire que lire ces quelques lignes et m’emprisonner pour dissidence, qu’il soit prévenu: je suis meilleure en blagues qu’en discours révolutionnaires!)
  • Au respect des droits des populations autochtones et minorités ethniques.
  • A l’étroite relation entre entreprises de déforestation et pouvoir en place. Peut-être qu’avant de promettre des projets de « reforestation », il serait judicieux de freiner la « déforestation »? Je ne suis pas spécialiste mais bon… si par exemple je veux faire une réserve d’eau dans une baignoire, je commence par en fermer le bouchon.
  • A la liste des pays sous-développés qui se voient imposer des mesures de lutte contre le réchauffement climatique par les pays riches… Comment vous dire… Les gars, vous êtes déjà sortis de vos tesla pour aller faire un tour dans la vie réelle?
  • A l’état de dépendance économique (avec la Chine principalement) dans laquelle est enlisé le Laos. Et à quel prix? Une biodiversité sacrifiée, des droits humains bafoués, et un Mékong qui n’est déjà plus que l’ombre de lui même… coupé par 58 barrages (plus 46 en cours de réalisation et une centaine à l’étude) au profit de l’approvisionnement en électricité de… la Thaïlande et la Chine. Bientôt, nous pourrons raconter « Jadis, quand nous avions pris un bateau sur le Mékong, nous avons vu ces gens, qui vivaient de la pêche et de la culture sur sable… »
Route aux environs de Thakhek. 
8

Sur la route qui nous ramène à Vientiane pour y rendre notre voiture louée et prendre un bus de nuit, nous nous faisons arrêter deux fois pour excès de vitesse… Contrairement aux apparences, il semblerait qu’il y ait des règles implicites de circulation routière. Au premier arrêt, on règle l’affaire en glissant un bakchich à la flicaille corrompue. A l’arrêt suivant, le fait qu’on soit incapable d’échanger en laotien avec le flic qui ne parlait pas un mot d’anglais a suffi à ce qu’il nous laisse filer. Arrivés à la capitale, le timing est compté: nous devons faire laver la voiture, faire le plein, la ramener à l’aéroport et revenir à l’autre bout de la ville (1h de taxi aux heures de pointes) pour choper notre bus de nuit pour Paksé, en ayant si possible le temps de trouver un truc correct à se mettre dans le ventre. Contre toute attente, on arrive à temps. A la station des bus, on trouve des chips, des amandes et des sandwiches dégueulasses au tofu et morceaux coriaces de buffle séché. Seul Seb sera assez téméraire (ou affamé) pour venir à bout de l’infâme souper. Parmi la masse de bus « éclairés comme des sapins de Noël » (afin d’être plus visibles lorsqu’ils foncent à vive allure sur les routes sombres et défoncées, j’imagine), on trouve le nôtre. On vérifie sur le pare-brise: le dernier contrôle technique du véhicule a été effectué en 2020… Good quality! Nos « couchettes » se trouvent au fond, à l’étage. Deux petits lits, de chaque côté de l’allée centrale, séparés des autres par des sortes de cloisons à la tête et aux pieds. Louise a besoin d’aller aux toilettes mais les WC (enfin, le trou au milieu de la pataugeoire) du bus sont fermés avant le départ (car la fosse sceptique s’évacue directement sur la route, alors ce serait dommage de souiller l’arrêt de bus!). 20h: départ. 20h01: Extinction des feux, tout le monde dort. Alors on essaie de faire pareil… Les filles s’endorment rapidement, bercées par les nids de poules et le klaxon. Nous dormons aussi, par tronçons, lorsque les coups volant et les secousses ne nous propulsent pas hors du lit dans l’allée, ou que les sacs ne font pas un vol plané dans les sandwiches abandonnés au sol.

Le bus de nuit. 

6h: Nous arrivons à Paksé, avec 3h d’avance. On plie rapidement bagage en tentant de reconnecter avec notre vivacité d’esprit. On suit le mouvement et on monte dans un tuktuk en direction de notre guesthouse, située à 1,5 km. Arrivés à la guesthouse, Louise, qui a toujours un petit temps de décalage, réalise qu’elle a oublié sa montre (celle qui lui sert d’alarme pour éviter d’oublier des trucs) à l’intérieur du bus qui est déjà reparti… Il est 6h10. L’émotion est à son comble. Louise et moi nous embarquons pour un marathon matinal, à la course (oui oui, j’ai couru. Beaucoup couru. En schlaps. Vénère. Au réveil. A jeûn et la vessie pleine. J’ai même chuté lamentablement!) et sans réseau pour nous permettre de nous orienter dans la ville ou de pouvoir traduire en Laotien ce que nous cherchions. Et bien tout comme pour l’affaire du couteau, nous ne divulguerons pas les détails de notre épopée, mais 45 minutes plus tard, « montre en main », nous étions de retour à la guesthouse. Depuis, la montre ne quitte plus mon sac.

Après cette entrée en matière peu engageante, nous avons finalement adoré notre séjour dans le sud du Laos. Ce coin de pays nous semble plus préservé que le nord: les locaux sont adorables et prennent soin à valoriser et partager leur terroir et leur culture. Les touristes (beaucoup moins nombreux et pas chinois) que nous avons rencontrés sont respectueux, discrets et sympas! On se fait quelques « potes » du moment, qu’on retrouve à différents endroits: une famille belge avec leurs deux enfants de 2 et 4 ans, un couple de Parisiens, plein de francophones du Canada, de Belgique et de France, expatriés ou en voyage.

Ambiance à Paksé (ce n’était pas notre hôtel). 

Durant notre séjour dans le Sud, nous avons trouvé des occupations à Paksé (car il n’y a pas grand chose à faire en ville, mais c’est le point de départ pour aller visiter les environs). Nous avons passé une matinée dans un café « kids friendly » où les filles ont pu faire de la peinture et du trampoline. Nous avons loué des scooters chez « miss Noy » pour aller faire la boucle des Bolaven: on a eu droit à un briefing de groupe digne d’un stand-up mais très pertinent (explications sur l’itinéraire, les comportements et tenues à adopter ou à éviter quand on se rend dans un village, etc.) par Yves, le mari belge de Miss Noy (si vous allez un jour à Paksé, c’est un lieu incontournable!). Nous avons mangé Coréen à côté d’un Coréen qui nous a expliqué quoi et comment manger Coréen. Nous avons déjeuné deux fois à « la Boulange » une véritable boulangerie française, qui propose du bon café, des tartines de baguette croquante avec du vrai beurre et de la confiture maison de fruits de la passion. Une tuerie! Nous avons compté les enfants alignés en brochette sur un scooter qui faisait office de « bus scolaire »: il y en avait 6, plus la pilote. Cela a été l’occasion de parler de la scolarité au Laos avec le patron français de la boulangerie: ici, l’école est gratuite mais il faut payer l’uniforme. Les horaires d’école sont souples. Les enfants entrent et sortent de la classe comme bon leur semble! L’autre jour, des kids nous faisaient coucou à la fenêtre alors qu’on entendait la maîtresse donner son cours… La plupart arrête l’école en fin de primaire. Leurs connaissances scolaires sont alors basiques: ils n’ont aucune notion de géographie par exemple. Leur apprentissage se fait ailleurs que sur les bancs d’école. N’importe quel gamin est capable de reconnaître les plantes et le nom des oiseaux, réparer toutes sortes de machines, chasser, pêcher, cuisiner…

Boucle du Plateau des Bolaven

Munis des conseils de Miss Noy, de quelques slips propres et de deux scooters semi-automatiques (j’ai bientôt mes entrées chez les Hell’s angels, je suis désormais en mesure de piloter un engin à deux roues dont il faut changer les vitesses!), nous sommes partis pour quatre jours sur la boucle des Bolaven. Bien que les paysages de cet itinéraire ne nous aient pas laissé un souvenir impérissable (contrairement à la boucle des karsts que nous avions faite précédemment), les rencontres avec les populations locales et la découverte de leur mode de vie en vallaient la chandelle (ou devrais-je dire la bougie, pour parler comme une vraie passionnée de moto?). Durant notre périple nous avons:

  • Bu un café dans la plantation de Monsieur Vieng, un illustre personnage de la région. Nous n’avons pas fait la visite de la plantation avec le groupe de touristes arrivés avant nous et avons donc raté de peu le serpent tombé du toit dans le sac d’une de nos copines belge, à l’endroit même où nous avons dégusté un robusta et un arabica.
La torréfaction de café. Les différents stades de préparation du café et le séchage du fruit. 
  • Séjourné à Tad Lo deux nuits, dans l’adorable Samaki Guesthouse. Les chambres sont sommaires, avec de magnifiques moustiquaires faites à base de vieux draps de lits pour enfants. Mais l’accueil et la qualité des plats auxquels nous avons eu droit étaient de loin les meilleurs du Laos! Nous avons mangé une salade de fleurs de bananiers à la menthe fraîche, des « lao kebabs » de poulet, pains pots maison et une sauce au tamarin qui rappelle le vinaigre balsamique, des Nems Khao (une spécialité locale de nems à rouler soi-même dans des feuilles de choux), du beurre de cacahuète et de la confiture de mangue, et le meilleur « mango sticky rice » d’Asie du Sud-Est. Et puis nous avons bu différents thés froids à la citronnelle et à d’autres plantes du jardin (jardin que nous avons sauvé de l’intrusion d’une vache, venue se servir de salades à la nuit tombée!).
  • Marché jusqu’aux différentes cascades de Tad Lo et eu l’impression d’être dans Pocahontas. Puis nous sommes repartis pour laisser les villageois s’y laver et pêcher en paix.
Chute d’eau à Tad Lo. La deuxième est la même rivière mais sans l’eau qui passe dans un tuyau pour être entièrement turbinée.
  • Géré les coups de blues des filles: Judith, car ses parents indignes ont « oublié » sa lolette à Paksé, forçant ainsi sa destinée de « grande fille qui n’a plus besoin de la tutu! ». Louise, car après avoir reçu des nouvelles de sa classe, a réalisé que sa super copine Gabriela, avec qui elle est en classe depuis l’école enfantine, est repartie vivre au Portugal définitivement. Alors que notre aînée vit son premier « chagrin d’amitié », la seconde a franchi une étape de plus vers l’indépendance en abandonnant sa précieuse lolette. On n’a plus qu’à la donner en offrande à Bouddha!
  • Visité un village traditionnel, peuplé par une tribu animiste. Attention, on ne visite pas ces villages comme on visite un zoo… il y a certaines règles à respecter: payer un droit d’entrée et se faire accompagner. Ici, nous avons suivi le guide « Captain Hook », un habitant du village qui a appris l’anglais en lisant le dictionnaire. Il organise des visites de sa plantation de cafés, fruits et plantes médicinales et sensibilise les touristes aux coutumes et croyances de son peuple, avec beaucoup d’humour. Voici un florilège de ce que nous avons appris au sujet des « animistes »: ils pensent fermement que la terre est plate (c’est une évidence, on voit bien que ce sont le soleil et la lune qui tournent au-dessus de nos têtes et pas l’inverse!). Ils croient aux esprits: il est très mal vu de traverser un village sans s’y arrêter, car cela signifierait que nous sommes des esprits malins de passage. Ils refusent de se faire prendre en photo car ils ont l’impression que leur esprit va y être capturé. A leur décès, ils se font enterrer avec tous leurs biens (moto, TV, etc.) car leur esprit en aura sans doute besoin dans l’au-delà. Ils pensent que nous (les occidentaux) venons tous du même pays, que si notre peau est blanche, c’est parce que nous ne travaillons pas. Ils croient que nous disposons d’un apport en argent illimité, sans rien glander, qu’on débarque ici avec nos scooters et nos gros sacs à dos remplis de billets et qu’une fois vidés, on rentre faire le plein de pognon et on revient. Ils pensent que notre physionomie (grands blonds aux longs nez et aux yeux clairs) est liée à notre alimentation. Par exemple, nos cheveux clairs sont liés au fait qu’on ne boit pas d’eau mais du vin rouge. Les yeux bleus ou verts sont une conséquence de tous les sodas qu’ils nous voient boire. Notre grande taille (et celle de notre pif) est simplement due au fait qu’on ne mange pas de riz collant. Ici, fumer le tabac dans une pipe à eau est le sport national: on commence à fumer à l’âge de 3 ans. Captain Hook a eu beau « faire tourner », Judith a décliné son invitation à tirer une taffe sur l’engin… De même qu’elle n’a pas accepté sa demande en mariage. Dans ce village, on devient adulte lorsqu’on a des enfants et il n’y a pas de majorité sexuelle… une fille de 13 ans peut être mariée et enceinte, on la considère comme adulte. En revanche, son concitoyen de 40 ans (considéré comme vieux ici) qui n’a pas de progéniture est toujours un enfant. On croit en la médecine des chamanes, des gourous, des médiums et des plantes. On se fie aux lois et à la politique du peuple, et on a recours à la politique gouvernementale seulement en dernier recours.
Le plateau des Bolaven. 
  • Roulé quelques kilomètres pour aller voir la cascade de Tad Soung. On a parqué devant une habitation et pris soin de donner un sou à la maîtresse de maison afin qu’elle surveille nos bécanes (on nous a mis en garde: ne jamais laisser les scooters sans surveillance sur la boucle car chaque année, il y a 50 vols de scooters!). Elle demande à ses filles (10-12 ans) de nous guider jusqu’à la chute. On marche une quinzaine de minutes à travers les cultures, on salue les femmes et les enfants qui terminent leur journée aux champs. Les filles s’amusent avec Louise, puis elles sautent dans l’eau du haut de la falaise (3-4 mètres de haut), Louise leur emboîte le pas, comme elles, toute habillée. Nous l’avons interviewée: Quelles sont vos impressions? Et bien, je dois dire que je suis plutôt fière. J’ai sauté deux fois! Bon au deuxième saut, je me suis cognée le genou sur un caillou au fond de l’eau alors ça m’a un peu freinée. Avez-vous eu peur? Un petit peu au début mais après c’est bon quoi. L’eau était-elle froide? Alors là, pour être froide, elle était GLACÉE 🥶. En plus, pour rentrer sur le scooter avec le vent, ça faisait froid!… Sans surprise, sur le chemin du retour, puis à l’arrivée au scooter, les filles nous réclament de l’argent pour « service rendu ». C’est dur, mais on refuse. Le risque, en refusant, c’est qu’elles deviennent agressives, ça arrive… heureusement pas cette fois. Mais le risque, en cédant, c’est que l’info circule parmi les gosses du village… et qu’à coup sûr, dans quelques semaines, plus aucun d’entre eux n’ira à l’école car ils auront trouvé le filon pour un meilleur business: ils seront tous ici, avec un job de « guide touristique »… Est-il nécessaire de rappeler que le travail des enfants demeure interdit?
  • Répondu aux innombrables sourires et salutations des enfants et habitants au bord de la route. Puis nous nous sommes retenus de répondre à ceux qui nous adressaient des doigts d’honneur… Par contre, nous avons salué le fait que chaque « fuck » qui nous était destiné était accompagné d’un coutumier et lumineux sourire.
  • Passé une nuit en promo dans un « ressort » financé par des Thaïs, tenu par des bras-cassés et fréquenté par des vieux bourges. Y avait une piscine et une place de jeux à l’abandon. Cela a suffi au bonheur des filles. Le resto de l’hôtel ne proposant que de l’infâme bouffe surgelée hors de prix, nous avons roulé de nuit quelques minutes pour trouver une excellente cahute à soupes pour se sustenter.
  • Vu plein de lézards de toutes les formes et de toutes les tailles.
  • Passé du temps à la cascade de Tad Champee, l’une des « 4 sisters » de la région de Paksong. Pas loin, nous avons bu un café dans une plantation, mangé une magnum au chocolat belge et fait les gros yeux à deux chinoises qui arrachaient nos filles à leur balançoire pour les prendre en photo. Puis visité un hôtel abandonné durant le Covid, un spot d’Urbex pas folichon.
Cascade de Tad Champee. 
L’hôtel abandonné. 
  • Roulé à fond les ballons sur la route rectiligne qui nous a ramenés à Paksé, aux dernières lueurs du jour. En chemin, je me suis dit que ce serait chouette d’avoir un scooter, à mon retour en Suisse… Puis rapidement me rappeler que la météo y est peu propice, que transporter mes deux enfants ne m’y sera pas autorisé et que la seule personne que je connaisse qui pilote un tel engin à Bulle, c’est Cardi (un personnage emblématique de la « scène » locale).
Le retour vers Paksé en scooter. 

Champasak et le Vat Phou

Sur conseil de Miss Noy, nous avons « charterisé » un tuktuk pour nous emmener à Champasak (1h de route) y déposer nos affaires à la guesthouse, nous amener au Vat Phou (temple et palais angkoriens voisins de la ville) et nous ramener à notre chambre. Cette solution est la plus économique, en voyageant à quatre.

Le tuktuk « charterisé ». 

Champasak est une petite ville trèèèèès calme qui s’articule autour d’une seule rue en terre battue, au bord du Mékong. Quelques vestiges de villas coloniales nous indiquent que la ville a dû avoir son heure de gloire, à une époque ou les français qui vivaient ici ne se limitaient pas aux deux soixante-huitards expatriés que nous y avons rencontrés. Nous avons vu plein de crapauds et même assisté à une scène de sexe entre deux d’entre eux, sur le pas de notre porte de chambre.

Nous avons visité le Vat Phou, situé sur la route des temples khmers qui mènent à Angkor (Cambodge). Nous avons gravi les millards de marches escarpées jusqu’au sommet de la colline sacrée, par un cagnard de tous les diables… Nous avons lavé les mains terreuses de Judith à la source sainte, à côté de la vénérée empreinte de Bouddha sur un caillou. Nous avons contemplé la vue sur les impressionnantes ruines et les paysages alentours. Puis nous avons marché jusqu’au rocher de l’éléphant, qui surplombe l’ancienne table à sacrifices humains qui jadis a vu couler des hectolitres de sang de jeunes vierges.

Ambiance à Vat Phu, berceau de la culture Khmer. 

Les 4000 îles

A l’extrême sud du Laos, juste avant d’atteindre le Cambodge, la Mékong s’étire sur 10 km de largeur, laissant apparaître en son sein des milliers (on n’a pas compté pour vérifier si le compte était bon!) de petites îles. Trois ou quatre d’entre elles sont habitées, dont Don Det et Don Khone, où nous avons passé quelques jours. Pour atteindre cette région depuis Champasak, nous avons pris un tuk-tuk, une barque, un minivan, une barque, un tuktuk. Moi qui avais la chichi depuis quelques jours, je me félicite d’avoir eu la brillante capacité d’anticipation en ingurgitant un immodium pour le petit déj!

Le trajet en minivan a été épique. Il n’a pas fallu faire beaucoup de calculs pour résoudre le problème de départ: Si vous prenez un minivan de 15 places (chaque place étant prévue pour le format d’un Asiatique), duquel vous retirer un siège, à l’intérieur duquel vous devez placer 16 voyageurs munis de 2 sacs au minimum à chacun à qui vous avez vendu des billets, comment faites vous pour caser tout le monde? Et ben… le constat a été sans appel, ça ne rentre pas. On est ressorti, rerentré, on a essayé toutes les configurations d’humains et de sacs, mais c’est comme avec le rubik’s cube, on n’a pas trouvé la bonne combinaison. Les français ont eu beau râler, le chauffeur a eu beau gesticuler… il a fallu forcer. A un moment donné, j’ai mis fin aux discussions en proposant que nous prenions nos filles sur les genoux et en suggérant que les autres parents fassent pareil avec leur fille, quitte à se faire rembourser le billet par après. Visiblement, mon demi-moi « française-ronchon » les a convaincus. La France insoumise a continué à s’indigner jusqu’à l’arrivée, Seb a mis ses écouteurs, et les filles et moi on a mangé des bonbons. Personne n’a rien compris à ce trajet. A 30 minutes de la fin, nouveau problème à résoudre: quatre personnes ont dû descendre du bus pour monter dans un autre. De l’autre bus ont atterri chez nous quatre autres passagers. Quel était le sens de cet échange? Nous n’avons toujours pas la réponse. Les nouveaux passagers, furax de ce changement inutile, allaient au Cambodge. C’est donc naturellement que le bus a ajouté une heure à notre trajet pour faire le crochet et les déposer à la frontière… Une française cinglée a hurlé au scandale pensant qu’on l’emmenait de force au Cambodge, on l’a calmée, puis nous avons pris le parti d’en rire: au moins, on aura repéré les lieux pour dans trois jours, quand nous passerons la frontière à notre tour! A un moment, le bus s’est arrêté près d’un tuktuk, faisant signe à qui voulait l’entendre que l’un de nous avait commandé un tuktuk pour aller voir les cascades… Évidemment, il s’agissait d’une erreur. On referme les portes. Bref, après un retard conséquent et une expérience surréaliste, nous sommes arrivés à bon port… Ou presque. Parce qu’on a pris le ferry pour l’île de Don Khone, alors que notre guesthouse était sur l’île de Don Det… On avait pas bien regardé. Mais à ce niveau d’aberration , c’était un détail. Et voyons le côté positif: mon immodium a tenu ses promesses.

Les 4’000 îles et ce qu’il reste des dauphins de l’Irrawaddy disparus dans la région il y a 4-5 ans.

Sur l’île de Don Det, nous logeons chez Mama Pieng. Malgré quelques tentatives plus ou moins intentionnées de nous arnaquer de quelques centaines de milliers de kips, Mama Pieng s’est révélée être un personnage… authentique! Nous occupons deux chambres: celle de Seb et Judith n’a pas d’eau chaude, celle de Louise et moi n’a pas la clim promise. En mettant nos deux chambres ensemble, on a une suite de luxe avec moustiquaires rapiécées et hamacs en étiquettes de vêtements récupérés. On loue deux vélos pour aller voir le coucher du soleil avec les filles sur le porte-bagages: Seb a un pneu plat, moi je n’ai pas de phare et un seul frein fonctionnel, dont la poignée a été fixée à l’envers (je freine avec le pouce!). Le paysage est superbe et l’épopée nocturne rigolote! Mama Pieng a deux fils, âgés de 20 et 13 ans. Ils sont tous deux moines à Vientiane. Elle ne les voit qu’une fois par an, lorsqu’elle fait le déplacement. C’est un honneur d’avoir un enfant moine, alors deux, c’est quelque chose. Et puis, bon, financièrement, c’est aussi plus confortable ainsi. Surtout qu’elle doit encore s’occuper de « grand-maman Pieng » qui traîne toujours là, assise sur la paillasse, avec ses dents noires et son tabac à chiquer. Elle aime regarder Judith jouer avec le chat de la maison. Un matin, au réveil, j’ai trouvé un rat mort devant nos portes de chambre. La veille, Seb a écrasé un gros cafard dans la douche. J’appelle Mama Pieng à la rescousse, pour évacuer le cadavre… Celle-ci félicite le chat d’être un si bon chat, s’extasie face à la taille du rat, le chope par la queue puis le balance dans le Mékong. Elle saisit ensuite de la même manière un gecko mort dans la cuisine qu’elle me brandit fièrement sous le nez avant de le jeter dans un pot de fleur. Ceci étant fait, elle part nous préparer nos pancakes, sans se laver les mains. Ce même matin, alors que nous déjeunons, Mama Pieng et sa mère s’installent à la table voisine pour manger une soupe aux champignons qui sent (mais vraiment fort!) la vieille chaussette. C’est alors que Louise croque dans un truc, à l’intérieur de son pancake: un cloporte.

Mama Pieng prépare les champignons pour le déjeuner du lendemain. Un hamac en étiquettes de vêtements. 

Pour explorer cette magnifique région, nous avons:

  • Fait une excursion d’une journée en kayak autour des îles. C’était magnifique! Nous avons alterné entre les moments à pagayer, à marcher, à tuk-tuker, à se baigner… le décor est sublime. Arrivés à l’endroit où le Mékong s’étire de part et d’autre des frontières, on se croirait presque sur la mer tant l’étendue est vaste et les vagues puissantes. Il y a quelques années, on pouvait encore y voir une espèce en voie d’extinction: les dauphins d’Irrawady. A quelques centaines de mètres, les terres qui nous font front sont cambodgiennes. Nous avons vu des cascades (encore!) dont la plus importante en volume d’eau au monde (11’000 m3/s) et la plus large d’Asie du Sud-Est (10km). Au retour, juste avant de ranger les pagaies, nous sommes restés longuement au milieu de cette immensité d’eau, à flotter face aux nuances de rouges-roses-oranges du ciel qui s’éteint.
Les chutes du Mékong, Khone Phaphang et E-toud. 
  • Joué avec le sable pailleté d’or des rives du Mékong.
  • Fait le tour des deux îles à vélo sous un soleil de plomb. Avec Louise sur le porte-bagage, j’ai sué l’équivalent du débit record de la cascade! Nous avons fait une pause pour manger à mi-parcours, sur le vieux port français… Les filles ont joué avec les enfants du coin et on retrouvé les deux bébés chiens qu’on voit un peu partout sur les îles: Sunset et Kayak. Louise, qui n’est pourtant pas l’amie des bêtes, a un coup de foudre pour Sunset… Cette petite boule de poils lui rappelle Maya, notre chienne qui est au paradis des animaux. L’atmosphère des îles nous fait penser aux Gilis, en Indonésie… Mais en beaucoup plus calme.
  • Géré une diarrhée de Judith dans une toilette turque sans PQ ni eau, par 40 degrés de moiteur et d’odeur, à la tombée de la nuit, alors qu’une panne d’électricité sévissait sur l’île.
  • Pris du temps pour préparer nos premiers jours au Cambodge et réserver le bus qui nous y emmènera.

Au matin, nous quittons les 4000 îles pour passer la frontière et rejoindre notre prochaine destination: Banlung, au Nord-Est du Cambodge. Contre toute attente, le passage de la douane Cambodgienne et l’obtention de notre visa à l’arrivée s’est déroulé sans arnaque. En revanche, nous avons dû graisser la patte d’un douanier laotien corrompu au-moment du check-out, parce qu’on avait égaré un papier. La soumission au port de l’uniforme n’étant pas vraiment mon domaine de compétence… J’avoue avoir serré les dents pour céder à l’abus de pouvoir d’un probable complexé du képi qui m’aboyait dessus pour se mettre en poche une dizaine de dollars. J’en ai encore mal au cul à l’heure où j’écris ces quelques lignes (et ceci n’a rien à voir avec mon immodium). Mais comme Seb me le rappelle souvent: tenons-en nous à notre objectif qui est de passer la frontière, pas de combattre la corruption d’un pays qui en est gangrainé.

Le soir sur Don Det. 
9

Passés les quelques centaines de mètres de No man’s land à pied sur le béton brûlant, les sacs aussi chargés que Didier Castella à l’éthylotest, nous voilà désormais au Cambodge. Le transfert est rôdé. On s’amasse à l’ombre avec une poignée d’autres touristes et on attend les instructions pour la suite. Un premier minivan fait monter tout le monde, peu importe la destination. On embarque et on s’entasse (on a pris l’habitude de réserver trois places pour nous quatre pour économiser sur le prix des transports. Si on a du bol, il reste des places libres dans le bus pour asseoir Judith… Evidemment, la plupart du temps, le véhicule déborde de passagers et elle fait le trajet sur nos genoux). Après quelques heures de route, nous arrivons dans un restoroute, qui fait cantine, bureau de change, garage et centre de tri pour les passagers. Le chauffeur nous annonce 30 minutes de pause pour manger. En réalité, la pause aura duré 2h… Le temps qu’arrivent tous les autres en provenance de la frontière afin de redispatcher les gens, cette fois-ci par destination. La majorité vont à Siem Reap (Angkor), une poignée vont à Kratie… Nous et une vieille paysanne, nous montons dans le bus rouillé pour Banlung, qui n’est visiblement pas le hot spot touristique au Cambodge.

Banlung et le Parc national de Virachey

Une poignée de gibbons à joues jaunes (un primate en voie d’extinction, menacé par la déforestation et les coupes illégales de bois exotique) chante et se balance encore de branche en branche dans un coin de forêt du Parc national de Virachey. Les filles imitant à merveille le cri de ces animaux, nous faisons quelques recherches pour organiser un trek qui leur donnera l’occasion de voir et entendre dans leur habitat cette espèce qui ne leur survivra probablement pas. Si quelques touristes s’aventurent dans la région pour faire des treks dans la jungle, rares sont ceux qui s’intéressent à ces primates (une dizaine de groupes par année, d’après nos guides). L’offre est quasi inexistante et le prix est élevé. Par chance, nous avons déniché la perle rare! Le type de notre Homestay (Familly House & trekking) a pu nous organiser l’excursion pour un prix défiant toute concurrence (en fait, il n’y en a qu’une de concurrence!).

Le soir à Banlung. 

Nous logeons dans une jolie maison, la chambre est propre et fonctionnelle, l’hospitalité est incroyable… pour 4 dollars la nuit! Nous en profitons pour nous y installer quelques jours, avant et après notre trek. Durant notre séjour à Banlung, nous avons:

  • Fait le tour du lac volcanique voisin de la ville, à pied. C’était le matin, l’eau et l’atmosphère étaient paisibles, les arbres se reflètaient dans l’eau cristalline… Nous étions seuls: nous et un serpent qui nageait à la surface.
Autour du lac volcanique de Boeing Yeak Laom. 
  • Fait une cure familiale de bioflorin et carbolevure, siestant entre le hamac et la paillasse qui nous servait de matelas, déposant ça et là, tour à tour, les déjections de notre flore intestinale pour le moins exotique.
  • Trouvé un coiffeur capable de tailler le mullet de Seb. Au moins, l’un de nous deux n’a plus l’air d’un char à foin. En ce qui me concerne, je pourrai bientôt faire appel aux bulldozers du gouvernement pour déforester tous les poils et cheveux qui occupent mon corps. Ou alors on me retrouvera, ensevelie sous la jungle de ma pilosité, telle une cité angkorienne, dans quelques milliers d’années…
  • Éveillé tous nos sens en déambulant dans le dédale du marché. Nous avons rempli nos sacs de fruits de la passion, mangues sauvages, mini mandarines, gauffres et pâtisseries inconnues. On trouve une pile carrée, de la colle à lunettes, du lait de corps vitaminé et un puissant sac de tabac en vrac, tout cela chez le même type, qui vend aussi une jambe de bœuf, des trucs obscures d’origine animale qui trempent dans du jus et des lampes frontales. On salue les poissonnières, on sourit aux « fileuses » de nouilles… Un bébé dort dans le hamac en filet de pêche, suspendu entre le demi-porc et le poisson séché. Seb enregistre la broyeuse à noix de coco et la meule du bijoutier (son outil de travail, pas sa femme).
Ambiances colorées au marché. 
Ambiances noir et blanc du marché. 

Pour notre trek dans le territoire des gibbons, notre guide nous emmène en voiture une trentaine de kilomètres plus au nord. De là, nous traversons une rivière sur un « bac », assis entre les camions de sable et quelques autochtones. Tous les regards sont rivés sur nous. Le guide est formel: personne ici n’a jamais eu l’occasion de voir en vrai des enfants occidentaux, même pour lui c’est une première! Louise et Judith sont des pionnières: aucun autre petit blanc bec ne s’est jamais aventuré dans ce coin de jungle. En admiration devant nos peaux claires, les yeux bleus de Judith et les boucles blondes de Louise, les Cambodgiens nous vouent une fascination fidèle à beaucoup d’Asiatiques. Notre guide nous confesse s'être lui-même livré au tartinage de crème blanchissante pour le corps lorsqu'il était plus jeune. C'est aussi l'occasion de lui transmettre quelques notions de génétique afin qu'il ait une réponse rationnelle à sa question: pourquoi l'une de nos filles a les yeux bleus et l'autre bruns?

A la sortie du bac, des motos et leurs conducteurs nous escortent au check-in gouvernemental à l’entrée du parc, puis durant environ une heure sur les chemins chaotiques, dans les ornières de glaise durcie, à travers de grosses flaques d’eau, jusqu'à notre camp de base (la cabane des rangers).

En approche du territoire des gibbons

Sur place, une petite équipe est déjà là (un autre guide, deux rangers (les guides issus de la population locale, qui ne sont pas anglophones mais connaissent très bien la forêt, et quelques autres pilotes de moto). Ils accompagnent un autre touriste, Alain un français passionné de voyage et d’ornithologie, avec qui nous prenons les repas en l’écoutant longuement nous faire le monologue de ses exploits et connaissances supérieures. Malgré sa grande gueule, il est sympa! Secrètement, on l’a rebaptisé entre nous « Alain-Gilbert », en référence à « Gilbert, le garagiste philosophe », un ancien personnage de Couleur3, pour son phrasé et son verbe à s’y méprendre!

Dans l’après-midi, nous allons faire une balade d’entraînement dans la Jungle dense, car pour aller à la rencontre des Gibbons, nous devrons marcher de nuit: départ prévu à 4h du mat! Durant cette petite excursion, le ranger nous partage ses connaissances de la flore et un peu de la faune, mais là encore, on ne croise presque pas animal qui vive… le silence règne. A croire que tous les oiseaux ont fui la déforestation clandestine et la chasse à la glue ou que les hectolitres d’agent orange balancés pendant la guerre du Vietnam ont anéanti la biodiversité. Malgré tout, nous apprécions ce moment « ludique » où nous avons l’occasion de boire de l’eau provenant d’un tronc d’arbre (stockée naturellement pendant la saison humide et filtrée à l’intérieur du tronc), tester un stick pour les lèvres naturel (une racine avec un bouchon!), s’essayer au tissage de feuilles pour la fabrication de toitures traditionnelles, et observer la technique des arbres brûlés pour obtenir une résine qui sert à l’étanchéité des bateaux.

Pendant les repas, nous dégustons quelques spécialités, comme de la viande séchée grillée sur le feu (des espèces d’escalopes de bœuf très fines mais coriaces, marinées dans du miel et des piments puis séchée au soleil). Durant la soirée, l’alcool de riz coule à flot. Je trempe les lèvres pour faire honneur puis me rabat sur la tisane faite à partir d’une plante de la jungle qui a un goût de biscôme. Plus tôt, un chasseur de mygales est passé par là et nous a fait don d’une des bestioles. Nous l’avons caressée, elle était douce comme du velours (ils lui retirent les crochets qui contiennent le venin et elles ne sont pas urticantes)… puis nous l’avons mangée, grillée pour le dessert! Je ne me damnerais pas pour en remanger, la texture était un peu croquante (comme quand on mange une crevette avec l’exosquelette), mais le goût était assez bon: entre une chips et du poisson!

Judith avant de caresser le dessert. 

A 19h30, on va se coucher! On nous a installé une tente, sur une plateforme en béton. Cela nous a semblé être un campement de luxe, jusqu’à ce qu’on y soit installé… La tente fermée, posée sur le béton qui a chauffé au soleil toute la journée, fait l’effet d’un four! Mauvaise idée! Il doit faire 40 degrés à l’intérieur. On est trempés, impossible de dormir… Nous avons la sensation d’être une portion de raviolis cuits à la vapeur. C’est terrible. Judith, qui finit pas tomber de sommeil, se réveille régulièrement en hurlant, alertant tout le campement à chaque fois. Et pendant tout ce temps, nous entendons le son des tronçonneuses qui se déchaînent en pleine nuit, à l’abri des regards du gouvernement.

3h30: le réveil sonne. On s’habille, épuisés mais soulagés de sortir de la fournaise des enfers. On étend les sacs à viande détrempés par la sueur. Équipés de nos lampes frontales, nous partons pour 5km de marche nocturne. Arrivés dans une clairière qui ressemble à une savane, nous attendons en silence que le jour se lève… Vers 5h30, les premiers chants d’oiseaux se font entendre (preuve qu’il en reste quelques uns!). On entend quelques « Tokay », et le « croassement » des calaos, majestueux emblème volant des forêts d’Asie du Sud-Est (j’en ai un tattoué sur le bras, depuis notre voyage en Indonésie). Quelques instants plus tard, une première famille de gibbons se réveille, les cris sont perceptibles jusqu’à 6km à la ronde! Puis d’autres prennent le relai. Bientôt, face à nous, c’est une chorale de primates qui se produit aux premières lueurs du jour. Notre guide nous fait signe, il est temps de partir à la recherche des « nôtres », la famille de gibbons qui vit de ce côté-ci de la clairière. Un léger cri retentit au loin, on fonce à travers les ronces et l’obscurité de la végétation. Judith s’endort dans les bras de Seb. On marche, vite, très vite. De temps en temps on s’arrête pour lever les yeux vers la cime des arbres. Rien. On continue. Encore et encore. Après plus d’une heure de recherche, nous revenons au point de départ. Nos gibbons se cachent. Inutile d’épuiser les filles (et Seb qui porte toujours Judith endormie dans ses bras) à marcher en vain. Seb et les guides repartent « fouiller » la forêt pendant qu’elles et moi attendons dans la clairière. Plusieurs heures passent avant qu’ils ne reviennent bredouille. Le ranger est anéanti… Il est prêt à y retourner seul. Le guide se confond en excuses, en nous montrant des vidéos de ses anciennes excursions pour nous fournir les « preuves » qu’ils existent. Cela arrive extrêmement rarement qu’ils ne se montrent pas… et c’est tombé sur aujourd’hui! Ils nous proposent de rester une nuit de plus gratuitement et de retenter notre chance demain… mais vu la qualité de la nuitée précédente, nous déclinons l’offre. Un peu déçus mais conscients que c’est la nature qui décide, nous renonçons à nous acharner et rentrons au campement sous un soleil de plomb.

Plante carnivore du genre Nepenthes, fourmis et la zone clairsemée d’arbres qui est inondée pendant la saison des pluies. 

Dans l’après-midi, nous rejoignons Banlung en refaisant tout le protocole de transports à l’inverse (moto-bac-voiture). Un peu déçus, nous nous rattachons au souvenir de ce lever du jour animé par le chant des gibbons à joues jaunes.

Gibbons à joues jaunes (Namascus Gabriellae), le mâle en noir, la femelle et son jeune (Source: species360.com) 

Kratie et les dauphins d’Irrawady

Arrivés à Kratie (qui se prononce « Kratchié », comme en patois gruérien!) en minivan depuis Banlung, nous nous installons dans notre chambre avec vue sur le Mékong et puissante odeur de refoulement d’égoût (Silver Dolphin Guesthouse).

La ville ne paie pas de mine, mais elle est le point de départ pour aller voir sur le Mékong les derniers spécimens de dauphins de l’Irrawaddy. L’excursion en kayak est prévue pour demain. En attendant, nous avons:

  • Pris un apéro au prix « titanesque » dans un resto en forme de bateau.
  • Mangé des cordons-bleus dans un restaurant allemand à schnitzels, décoré de banderoles couleur « Biergarten », à côté d’un couple autrichien. C’était juste après avoir jeté un œil (pas au sens propre) aux stands de streetfoods, qui proposaient un large choix peu inspirant de crabes pas frais, grenouilles, larves et insectes en tous genres.
  • Galéré à trouver un déjeuner qui ne soit pas une soupe qui sent les pieds (là-dessus, je suis vraiment une de ces touristes insupportables… J’ai du mal à faire un effort pour adopter les habitudes locales, à jeûn au réveil). Après 2km de marche, on se surprend à apprécier un café passable avec des pains au chocolat précuits pas cuits.
  • Exploré la ville et son marché. Goûté au « pomelo », un agrume asiatique particulièrement réputé dans le coin. Il ressemble à un gros pamplemousse en forme de poire à l’extérieur. Sa chair est assez semblable au grapefruit, mais son goût très léger est plus proche du litchi. Adressé des centaines de sourires, reniflé des milliers d’odeurs… Passé de longues minutes avec Judith à regarder les poissons bouger, sur les étals des poissonnières édentées qui s’amusent de Seb, lorsqu’il enregistre leurs bavardages.
Quelques clichés du marché de Kratie. 
  • Pénétré dans une ancienne bâtisse coloniale, trouvée au hasard d’une ruelle du marché. A l’époque « française », le bâtiment abritait les bureaux du gouverneur. Un expat français les a désormais transformés en hôtel avec resto et terrasse en rooftop. Les locaux sont décorés avec goût et on y mange et boit des trucs de bobo excellents, comme des avocats et des œufs à l’huile de sésame, du jus de mangue fraîche et du bon café Laotien (le cambodgien est dégueu!).
Dans les bureaux du gouverneur. 
  • Soupé khmer au Mékong Mojo. Y avait aussi des trucs véganes, on a recraché la semelle de tofu frit et le reste était bon.

Pour aller observer les dauphins, nous avons réservé une excursion en kayak sur internet. Le gars s’appelle « Lucky » et il raffle tous les bons points sur Tripadvisor. Un tuk-tuk nous emmène 30km plus au nord. En route, un type nonchalant et peu avenant, vêtu d’un t-shirt de protection UV délavé et troué nous passe des sacs étanches (qui ont à peu près la même tronche que son pull). Plus loin, à l’arrivée, on réalise que le type en question n’est autre que le fameux « Lucky », notre guide pour l’excursion… ça promet.

Après une brève explication par l’antipathique personnage, nous enfilons les gilets de sauvetage (celui de Judith ne nous inspire pas confiance, on lui ajoute les brassards, par sécurité), puis embarquons sur nos kayaks. Judith est avec nous, Louise va avec Lucky et un gars semi-autiste, semi-psychopathe (ça c’est mon diagnostic basé sur plusieurs jours d’observation du personnage, qui était dans le même logement que nous à Banlung, puis dans le même bus jusqu’ici). La première partie du trajet nous emmène entre des petites îles et bancs de sable, puis à travers la mangrove. Lucky, rivé sur son téléphone tout le trajet, insiste pour qu’on le suive à la queue leu leu… Mais ça va tellement lentement que nous devons sans cesse freiner le kayak au lieu de pagayer. On se fait chier! Lorsque nous arrivons enfin au spot des dauphins, le Mékong s’élargit… Nous nous autorisons à prendre un peu de distance avec le groupe pour que Seb puisse immortaliser (en photos et en prises de sons) les animaux. Les dauphins apparaissent à la surface de part et d’autre de nos kayaks pour prendre de l’air. C’est magnifique! Lucky affirme qu’ils sont silencieux. Nous n’avons trouvé aucun enregistrement du chant de cette espèce sur le net. Seb immerge son micro et s’extasie, il détient une matière inédite: les dauphins d’Irrawady communiquent sous l’eau en émettant des sortes de ronronnements, comme des chants de baleine mais plus graves avec des sortes de claquements de langue. Seb les entend en direct dans son casque, et enregistre tout ce qu’il peut. Émus par cette découverte, nous en oublions de suivre le groupe qui s’est déjà bien éloigné. Au loin, Lucky gesticule, fâché par notre indiscipline. Quelques coups de rames nous propulsent pour rejoindre les rangs. On suit Lucky à la file indienne. Soudain, un tourbillon apparaît sur notre droite… On pagaie de toutes nos forces pour s’en éloigner, mais le courant est trop puissant. En une seconde, notre kayak se retourne et nous plonge à l’eau… Seb et moi refaisons surface, le kayak est à l’envers… et Judith ne réapparaît toujours pas. Il n’y a pas de temps à perdre, je fais le tour du kayak en hurlant son nom pendant que Seb tente de retourner l’embarcation. Des secondes qui nous semblent interminables défilent, un sentiment d’effroi jamais ressenti auparavant m’envahit, mon souffle s’arrête… Soudain, Seb saisit un petit pied et l’attire vers lui: Judith avait été aspirée et était coincée sous le kayak. Elle tousse, pleure, puis s’accroche à mon cou de toutes ses forces. Je ne la lâche plus, j’oublie tout le reste, même de reprendre mon souffle à mon tour. Tout est flou autour de moi, il n’y a plus qu’elle qui compte. S’il faut, je la ramènerai sur la berge à la nage. Pendant ce temps là, Lucky a daigné venir nous porter secours, en tirant la gueule et en secouant la tête. Le Kayak est remis dans le bon sens, Seb est dedans. Au moment où je lui passe Judith, je réalise que je peine à respirer, j’ai l’impression que mon coeur se déchire, que mes membres n’existent plus. Tout est silence. Il n’y a qu’elle est ses yeux bleus déjà consolés. Je me hisse machinalement à l’intérieur du kayak. Judith ne quitte plus les bras de Seb. Nous restons encore ici de longues minutes. Les dauphins dansent autour de nous, mais je ne les vois plus vraiment, trop concentrée sur mes esprits à retrouver. Je me souviens juste du geste affectueux d’un couple de Canadiennes qui étaient avec nous qui me félicitent d’être une bonne maman. Dans la chute, tout le matériel d’enregistrement de Seb ainsi que son appareil photo subaquatique ont sombré… Nous avons perdu les photos et les preuves sonores… et une rondelette somme d’argent. Seb a le seum. Moi, encore sous le choc mais reprenant peu à peu mon souffle, je veux juste partir d’ici. Lucky nous engueule encore un coup d’avoir « fait peur à notre fille », on l’emmerde. Lui et ses points sur Tripadvisor.

Pour t’éviter une recherche Google, voici le dauphin de l’Irrawaddy (source: WWF). 

Le soir, Judith semble déjà s’être remise de ses émotions. Louise n’avait pas pris la mesure de ce qui était en train de se passer sous ses yeux, elle était confuse mais elle va bien. Seb a déjà recommandé à neuf tout le matériel perdu, nous devrions le recevoir juste après Noël. Nous verrons par la suite si nous souhaitons refaire un crochet par Kratie pour refaire les enregistrements une fois le matos reçu (mais cette fois-ci, nous irons sur un bateau à moteur insubmersible). Quant à moi, dans la soirée et la nuit qui ont suivi l’évènement, j’ai commencé à ressentir de fortes douleurs à la poitrine et dans les bras. Toutes mes articulations me lançaient des coups de poignards brûlants, des aiguilles me piquaient le cœur. Après avoir googlisé les symptômes d’un infarctus, d’une embolie pulmonaire et de la dengue, j’en ai déduit que je souffrais d’un genre de syndrôme de stress post-traumatique. Je me suis soignée à l’ibuprofène et flashbacks et douleurs ont disparu en 24 heures.

Au lendemain de cette mésaventure, nous prenons un minivan pour rejoindre Siem Reap et la région des temples d’Angkor.

10

7h00: nous sommes au garde-à-vous, l’estomac vide mais à l’heure pile, postés devant notre guesthouse à attendre notre minivan pour Siem Reap. Le véhicule arrive… à 8h15. Difficile d’accéder avec enfants et sacs à dos aux quatre petites places restantes, tout au fond près du coffre en enjambant les sacs de riz et la populasse. Pliés en huit, nous parvenons à nous escamoter sur la banquette. Nous sommes 19 pour 15 places. Le coffre est plein de noix de Durian qui chauffent derrière la vitre. Heureusement, les deux scooters attachés à l’arrière leur font suffisamment d’ombre pour ralentir la « cuisson odorante» durant les huit heures de trajet. Nous faisons deux pauses: une pour les pipis-clope et l’autre pour attendre coincés dans le bus au soleil que les chauffeurs aillent manger. On grignote quelques bricoles trouvées dans nos sacs pour faire patienter nos ventres rugissant jusqu’à l’arrivée.

Siem Reap et les temples d’Angkor

Siem Reap est la ville où il faut loger pour aller explorer, entre autres, les temples d’Angkor, situés à quelques kilomètres. L’étendue des vestiges de l’ancienne capitale de l’empire Khmer est telle qu’il est impossible de tout visiter en quelques jours. Fondée au XlVe siècle, la glorieuse cité aura vécu plus de 500 ans, avant d’entamer son déclin et d’être engloutie par la végétation. Livrée aux pillages, l’ancienne cité perd beaucoup de ses richesses… Il faut attendre le XlXe siècle pour qu’arrivent en Occident les premières images rapportées d’Angkor, faisant rêver des générations de voyageurs. Devenant alors le plus grand chantier archéologique du monde, le site d’Angkor, géré par les Colons français est repris aux mains des Siamois pour être rendu au Cambodge. Aujourd’hui, 287 temples sont recensés dans la région.

Nous avons réservé cinq nuits à Siem Reap, dans un hôtel avec piscine (et baignoire!), ce qui permet aux filles de mieux « digérer » le marathon des vieilles pierres. Nous optons pour le pass 3 jours pour la visite des temples et louons deux scooters (dont nous marchandons sévèrement le prix pour éviter la majoration touristique extrême) afin d’être autonomes dans nos excursions. La ville étant également réputée pour sa gastronomie, nous en profitons pour nous régaler. Ici, tout était bon! Louise vous décrit quelques spécialités khmer et autres plats que nous avons dégustés: fjowifjwofgihwio (parler des Amoks, loklak, chocolats à la cannelle, au chili à la lime et au kaffir…)

Durant notre séjour à Siem Reap nous avons:

  • Mangé deux fois chez « Best Mom », un resto choisi par les filles « parce qu’elles ont la meilleure maman du monde ». Un jour, Seb nous a aussi emmené manger chez « Madam Moch », alors que j’étais d’humeur massacrante… Quand la communication familiale fonctionne grâce à de subtils messages subliminaux!
  • Eté pris au cœur d’un important défilé mystère (le passage du roi, d’un député, ou événement religieux?) sur les routes d’Angkor. On nous arrête un moment en bordure de route, puis on nous indique un chemin alternatif, car la circulation va être bloquée longtemps. Il y a des policiers partout, des CRS, des gens en tenue traditionnelle et des moines en orange du dimanche. Une femme bien habillée, en amazone à l’arrière du scooter serre dans ses bras un bébé, vêtu de l’habit monastique. Peut-être va-t-elle le confier aux moines?
  • Trouvé un rayon bricolage dans un magasin pour expatriés. Nous y avons acheté de la toile isolante et un kit pour reboucher les piscines, afin d’étanchéifier un micro en remplacement du matos coulé.
  • Acheter un tas de pochettes et sacs au marché, faits à partir de jolis sachets d’aliments ou de ciment récupérés. Si on n’avait su sur le moment qu’on ne les trouve qu’à Siem Reap, on aurait pris tout le stock! On a aussi fait coudre des patches sur les sacs des filles et fait le plein de noix de cajoux et des ces délicieuses cacahuètes grillées à l’ail, au piment et au kafir.
  • Suivi une grenouille dans la pénombre, elle nous a emmenés chez deux petites vieilles. Elles avaient des clopes aussi âgées qu’elles à vendre: des Marlboro rouge de contrebande, dont le rouge du paquet était devenu saumon. Il n’y avait même pas de photo de poumons pourris ou d’embryon mort sur l’emballage ni d’avertissement de type « fumer tue! ». On a acheté un paquet, par courtoisie, qu’on a évidemment jeté après avoir tiré quelques lattes au goût de paille séchée. Ici, on fume ce qu’on trouve… Souvent, ce sont des « fausses » clopes de marques internationales, ou alors des clopes locales pas trop dégueulasses.
  • Ménagé le dos de Seb, endolori depuis quelques jours… Probable conséquence des heures de portage de Judith dans la jungle cumulées à l’inconfort des trajets ou des nuitées. Ah, les ravages de l’âge!

Bien que Louise soit en « overdose » de temples (Angkor et encore!), nous sommes parvenus à la trimballer durant nos trois journées d’exploration de vieux cailloux. Elle nous a fait le cadeau d’une étonnante bonne humeur et je crois qu’elle a même eu du plaisir… Voici un résumé de nos visites:

  • Angkor Wat: Symbole du Cambodge figurant sur son drapeau, c’est le plus grand, le plus connu, le plus majestueux des temples. Mais aussi le plus bondé de touristes! On a à peu près fait le tour de tous les bas-reliefs et troupeaux de chinois. On n’a pas vu Angelina Jolie (ambassadrice du lieu et plus largement du Cambodge) mais on a croisé quelques macaques.
  • Ta Prohm: Juste avant la tombée de la nuit, nous étions seuls dans cet endroit qui a définitivement notre préférence. Comme abandonné à son sort, le temple est envahi par la verdure et englouti par des arbres gigantesques dont les racines semblent couler autour des pierres. La mousse qui le recouvre lui donne une teinte magique, une atmosphère mystique. Autour de nous, il n’y a que le son de la forêt et ses habitants… Peut-être même quelques perroquets. Ta Prohm fut autrefois l’un des plus gigantesques temples d’Angkor abritant 260 divinités, servies par 12640 personnes vivant toutes dans cette enceinte de 60 ha (une enceinte de 60 ha, c’est une description de moi durant mes grossesses?).
  • Le Bayon (site Angkor Thom): Coiffé d’une immense forêt de têtes (37 tours restantes sur les 54 d’origine) regardant dans toutes les directions, le temple est construit en forme de montagne. Chaque tour représente une province de l’Empire Khmer. Elles sont chacune ornées de quatre visages censés illustrer les quatre vertus du Bouddha: la sympathie, la pitié, l’humeur égale et l’égalité. Soit à l’origine, 216 visages géants au sourire chelou qui irradient le royaume et nous observent fixement. A l’intérieur, c’est un vrai labyrinthe… et il y a beaucoup de monde.
  • Les portes Nord, Sud et Ouest d’Angkor Thom: Nous les avons franchies maintes fois par la route, en visitant les environs. Elles aussi, sont majestueuses, avec leurs têtes sculptées à leur sommet. Elles dominent la circulation et l’important réseau de canaux qui entoure la cité. L’eau semble endormie, sous sa couche verte de lotus et nénuphars en fleurs.
  • La terrasse des éléphants et la terrasse du roi lépreux: Grandes plateformes décorées de bas-reliefs qui permettaient aux souverains d’assister à des spectacles donnés sur la grande place en contre-bas. On n’a pas fait vieux, il faisait chaud!
  • Preah Khan: Ici aussi, la végétation s’est développée parmi les dédales de pierres. Presque désert, l’endroit est magnifique, avec de superbes bas-reliefs.
  • Bankay Srei: Situé à 1h de scooter de Siem Reap, ce temple est orné de sculptures et gravures d’une grande finesse. Sa conservation a été financée par la Suisse et ça se sent: tout est clean, bien aménagé et bien expliqué. C’est ici qu’André Malraux a volé un bas-relief et deux apsaras en 1923 pour éponger ses dettes… plus tard, cela ne l’empêchera pas de devenir ministre de la culture en France!
  • Quelques temples en vrac que nous avons encore visités: Ta Som (mais personne ne s’y est assommé), Neak Pean (un îlot au milieu d’une étendue de lotus), Banteay Kdei (et ses milliers d’apsaras), Phnohm Bakhèng (et sa cohue au coucher du soleil).

Un peu partout, on entend résonner les instruments traditionnels… Ce sont des victimes des mines qui jouent en faveur d’associations qui s’occupent d’améliorer leurs conditions de vie. Au Cambodge, le déminage du pays est plus avancé qu’au Laos… Mais chaque année, les bombes non-explosées font encore une quinzaine de victimes et une trentaine de blessés. On s’arrête pour les écouter et leur glisser un sou dans l’urne, posée entre les jambes de bois et les yeux qui louchent.


Du Tonlé Sap à Battambang

6h30: Avec une ponctualité fidèle à notre passeport rouge à croix blanche, nous sommes prêts devant l’hôtel de Siem Reap. Nous attendons le minivan qui nous amène à l’embarcadère pour rejoindre Battambang en bateau. Le trajet est plus long (8h) et plus cher que par la route, mais les paysages et l’expérience s’annoncent splendides. Le minivan arrive finalement à 7h20…

Nous embarquons sur un bateau à moteur en bois, prévu pour une vingtaine de passagers. Nous sommes une douzaine répartis sur des petites banquettes individuelles ou sur le toit. Le temps est radieux mais l’air est un peu frais. On emballe Judith dans un linge pour qu’elle puisse récupérer quelques heures de sommeil. Endormie sur mes genoux, elle est bercée par les flots et le bruit assourdissant des barques des pêcheurs. Nous rejoignons le Tonlé Sap (plus grand lac d’Asie du Sud-Est) par la rivière de Siem Reap. Le passage est étroit et entouré de sortes de roseaux. On croise des familles sur leurs bateaux et quelques pêcheurs. Sur le lac, c’est tout un monde qui s’ouvre à nous, entre la biosphère et les villages flottants. Les paysages sont splendides, des tantales indiens, des hérons, des cigognes, des cormorans et un tas d’autres oiseaux occupent le ciel. Je découvre avec fascination la vie des villages sur l’eau: des échoppes ambulantes construites sur des bateaux, des maisons aux couleurs vives (bleues ou vertes), faites de bric et de broc qui flottent sur des bidons rouillés, des restaurants, de la lessive et des poissons qui sèchent, un type qui fait son shampooing, à califourchon sur le rebord de sa maison, les jambes plantées dans l’eau bleu sombre, ou encore cet autre qui se peigne, torse-nu, en se regardant dans le rétro de son bateau. Les habitants s’approchent de notre bateau pour y charger des livraisons pour la ville, leur gagne-pain (du poisson, des filets, ou quelques sacs de riz). On achète des ananas joliment préparés, par un gamin de l’âge de Judith et sa mère… On se nourrit de soleil, de nature et d’humanité. Puis notre embarcation entame une longue trajectoire sinueuse, au fil des méandres et des filets de pêche de la rivière Sangker, peu profonde à cette période de la saison sèche. Nous observons les différentes techniques de pêche (des filets, des sortes d'entonnoirs géants à poissons-sauteurs, des nasses…). Notre bateau fend la mangrove tel un brise-glace, poussant délicatement la végétation qui recouvre les eaux et qui se déplace comme si elle dansait.

En fin de journée, notre bateau accoste et… les chauffeurs de tuktuk nous accostent. Ils sautent à bord du bateau pour ne pas laisser s’échapper la poignée de dollars quotidienne. La transition est un peu violente, de là où l’on vient, mais nous jouons le jeu et suivons Sokhe et son grand tuk-tuk bordeau. Il nous dépose à la Blue Guesthouse de Battambang, après nous avoir fait lire son livre d’or recensant les recommandations de ses clients et sa vieille photocopie laminée avec ses différentes propositions d’excursions pour le lendemain. Comme on y trouve notre compte, on réserve une excursion à la demi-journée au cours de laquelle nous avons:

  • Fait un trajet sur le « bamboo train », une ancienne ligne de train construite par les colons français afin d’acheminer du riz et d’autres denrées à Phnom Penh. Le principe actuel: des charriots en bambous, propulsés par des moteurs de tondeuse à gazon, où l’on assied des touristes (1 charriot par famille) pour leur faire faire un aller-retour de 4km (avec attrape-touriste à chaque bout) dans la cambrousse en plein soleil. Si nous avons trouvé ça moyen, les filles ont adoré! Pour elles, c’était Europapark!
  • Roulé dans les campagnes, en s’arrêtant au détour d’une plantation, ou d’un grill recouverts de rats embrochés. Pendant que nous admirions la vue sur les rizières et les sortes de grandes « vaches bossues » (un peu comme les vaches sacrées en Inde) que l’on voit partout au Cambodge, les filles ont piqué une sieste sur les banquettes du tuk-tuk.
  • Traversé à pied une longue passerelle suspendue branlante, puis nous l’avons repassée en tuk-tuk, en serrant les fesses et en retenant notre souffle.
  • Visité les différentes grottes et temples de la montagne Sampaeu. Au sommet se trouve la sinistre « killing cave », où les khmers rouges ont torturé et tué au moins dix mille personnes en les précipitant dans le vide depuis un trou en haut de la voute… ça fait froid dans le dos. Mais le lieu est assez emblématique de la capacité de résilience du peuple khmer face à toutes les horreurs qu’il a endurées. Au cœur du temple qui « redore » désormais l’atmosphère de la grotte, un macabre ossuaire rend hommage aux victimes. Un peu plus haut se dresse un vieux temple, d’où l’on peut admirer la vue sur la plaine et les collines, entouré par les nombreux macaques qui peuplent les lieux. Puis pour le grand final, nous redescendons au pied de la colline, là où une grande ouverture fend la roche… C’est de ce trou que sortent chaque soir à la même heure, 6 millions de chauve-souris. Nous nous installons aux tables qui font front à « la scène » et attendons que le spectacle commence. L’odeur des crottes qui plane dans l’air et les petits « sifflements » qui résonnent de l’intérieur de la grotte ne laissent pas place au doute: c’est là que ça va se passer. A l’heure prévue, on aperçoit une… puis deux… puis trois petites chauves-souris de la taille d’un poussin (les éclaireuses?) qui s’envolent. Alors d’un coup et sans discontinuer pendant une bonne trentaine de minutes, une colonne noire se forme entre la fente et les cieux, tournoyant dans le ciel orangé, formant des volutes dansantes. Le spectacle est incroyable, toute la famille est scotchée, comme devant un bon film!

Le reste du temps à Battambang, nous avons:

  • pris des repas dans les deux bons restos proches de notre guesthouse en pestant contre les prix qui prennent l’ascenseur, au Cambodge comme au Laos. Il parait que c’est à cause de l’inflation, mais je n’ai toujours pas compris ce qu’est l’inflation.
  • Trouvé la rue un peu tristoune, avec son quadrillage de rues poussiéreuses et de routes défoncées. Battambang est la deuxième plus grande ville du pays, mais elle semble figée… Comme si rien n’avait été entretenu depuis les colonisations. Dans notre quartier, rien ne se passe. Les stores des boutiques ferment à 19h30, les lumières s’éteignent, la rue s’endort.
  • Croisé au matin, au marché, un type avec un bonnet de père Noël… ça nous a fait sourire. Il était juste à côté du flic que nous observions avec dégoût, parce qu’il se curait puissamment le pif.
  • Pris du temps pour organiser (enfin comprendre comment organiser) la dernière partie de notre voyage: les USA. C’est un vrai casse-tête où tout demande à être planifié, anticipé de manière détaillée… Soit exactement le contraire de nous. Pas facile de changer du tout au tout, tout en étant là, ici et maintenant. Compliqué de se projeter dans cet univers radicalement différent. Après s’être pris la tête avec cela pendant presque une journée, nous allons manger, dépités. Nous faisons connaissance avec nos sympathiques voisins de table: ils viennent d’Alaska! Une rencontre qui tombe à pic pour nous réconcilier avec les États Unis.
  • Laissé les filles en roue-libre dans la chambre pendant que nous nous acharnions à essayer de réserver (en vain) l’emplacement 045 du camping 004 du Parc National du Grand Canyon… Elles se sont coiffées et grimées aux crayons de couleurs, nous ont préparé un pestacle et ont construit une cabane avec les coussins et les draps.
  • Récupéré avec soulagement la « fabrique à histoires » de Judith. Nous l’avions donnée à réparer à un type de la rue, qui vendait de l’électronique et avait un poste à souder… Comme les 250 autres types de la rue qui vendaient de l’électronique et avaient un poste à souder. On ne se rappelait plus à qui nous l’avions confiée. On s’y est repris à plusieurs fois, rassemblant les souvenirs de nos quatre cerveaux et on l’a retrouvé! Par contre, il n’a pas pu la réparer.
  • Accompli la mission secrète « Père Noël 2024 » en trouvant tout le nécessaire dans une station service.
  • Été attendris par Judith qui « voudrait teeeeellement retrouver sa maison parce qu’elle voudrait teeeeeeellement pouvoir jeter le papier dans les toilettes! ».

Après un petit déj chopé par Seb et Louise, nous prenons un minivan pour rejoindre la capitale: Phnom Penh.

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Phnom Penh

Après quatre heures de route, nous rejoignons Phnom Penh, la capitale du Cambodge. Notre chambre (sans fenêtre MAIS avec mezzanine et clim bloquée sur -12) à « Artist’s Residence » a un petit air de « Noël à la maison ». Nous sommes en plein centre, dans un vieux quartier animé par les marchands, les pagodes et les bars. Tout autour, il y a de grands boulevards rectilignes d’inspiration tout à fait marxisto-mahoiste, entourés de buildings et de chantiers chinois. La nuit venue, les rues s’animent et fourmillent, prêtant à « PP » une athmosphère de « Bangkok du pauvre ». Les expats en fête se mélangent aux mendiants, les gamins des rues, pieds nus sur les trottoirs défoncés et encombrés, ramassent dans les poubelles les restes des touristes en bonnet de père noël. Les restos gastronomiques jouent des coudes avec les enseignes khmers qui semblent avoir déjà capitulé et proposent désormais des soupes de nouilles à prix d’or. À Phnom Penh encore plus que partout ailleurs au Cambodge, c’est au moment de passer à la caisse qu’on se prend la claque de la fameuse « inflation ». Notre budget bouffe correspond à la moitié de nos dépenses dans ce pays. On ne sait toujours pas comment survivent les locaux face à une telle augmentation du coût de la vie… Quelque part, dans l’indécent fossé des classes sociales, se trouve sans doute la recette commune propre au peuple khmer pour faire face: résister à tout et avancer toujours.

L’histoire de ce pays a été rythmée par les invasions, les colonisations, les bombardements et les révolutions. Entre 1975 et 1979, le pays dont les cicatrices du passé sont encore béantes, ravive ses blessures à l’acide: les Khmers rouges prennent le pouvoir et plongent leur peuple dans un abominable bain de sang. En quatre ans, un tiers de la population cambodgienne est décimée (près de 3 millions de morts), persécutée, torturée, enrôlée, affamée et jetée dans d’innommables fosses communes par ceux qui étaient (et sont encore) leurs frères. La communauté internationale ayant attendu vingt ans avant de reconnaître et juger la culpabilité de Polpot et ses potes, ceux-ci n’ont à ce jour pas tous été condamnés. Ils ont coulé des jours tranquilles, planqués dans leurs jolies bicoques, niant pour la plupart jusqu’à leur mort leur responsabilité dans ce génocide qui n’a épargné aucune famille cambodgienne. Aujourd’hui, les rares survivants des camps de torture ont pour voisins certains de leurs tortionnaires. Plus rien ne permet de distinguer « les bons des méchants ». Le peuple se souvient, mais il avance, avec une capacité de pardon et de résilience qui nous dépasse. Durant notre séjour à Phnom Penh, nous avons visité la prison S-21 (Tuol Sleng) et les champs de la mort (Choeung Ek). Ces visites nous ont bouleversés. La « créativité humaine » lorsqu’il s’agit d’infliger la souffrance et imposer la mort systématique nous a hantée. Il y a un avant et un après: comme si tout ce que nous goûtions de ce pays après cela avait un arrière-goût de sang.

Tuol Sleng se trouve en pleine ville. Une ancienne école, entourée de murs et de barbelés… Rien n’a bougé (un coup de panosse sur les flaques de sang et d’excréments peut-être) depuis que les Vietnamiens sont intervenus. 20’000 personnes ont été interrogées et torturées ici, généralement jusqu’à ce que mort s’en suive. Les rescapés se comptent sur deux mains… L’un deux est ici lors de notre visite, il vend son livre, mal traduit en français avec Google translate. On le lui achète, se sentant porteurs maladroits de la décadence de l’humanité, comme un geste de « rachat » pour le désastre occasionné. L’endroit ne pourrait pas être plus explicite sur ce qui s’est déroulé ici: tout y demeure, même les âmes. Avant d’entrer dans les pièces, on checke si ce qui s’y trouve est « visible » par les filles… Judith est trop petite, elle ne comprend pas ce qu’on fait là. Louise semble d’abord insensible. Puis lorsque Seb lui explique, on comprend qu’il lui manque une donne essentielle: avec son regard insouciant d’enfant, elle ne peut pas comprendre ni même imaginer que l’humain puisse être aussi inhumain, ni pourquoi, ni comment.

Pour faire suite à cette visite « ambiance magie de Noël », nous nous rendons aux champs de la mort de Choeung Ek. Des centaines de fosses communes contenant environ 9000 victimes (arrivées par camion et exécutées ici) se trouvent sous nos pieds et autour de nous. Seule une infime partie des fosses a été « vidée » et mise à ciel ouvert… On déambule sur un terrain bosselé qui ressemble au pays des télétubbies, version gore. Depuis quarante ans, la pluie et le vent brassent la terre dont émerge en continu, les os et vêtements des victimes. Les gardiens les récoltent, mettent les petits os dans des bols, classent les crânes dans le stuppa central (par âge et cause de la mort, à savoir si on est plutôt sur du crâne défoncé au marteau, au bambou ou à la bèche…) et remplissent une vitrine avec les fringues. Depuis un ponton, on se surprend à fouiller du regard… Et sans effort, on les voit: le sweat à capuche marine en lin, le pull d’enfant tricoté ou le « krama » , traditionnel foulard khmer, refaisant surface, comme pour rappeler au monde que leurs âmes tourmentées ne seront jamais enfouies dans l’oubli. Et puis il y a cet arbre, dont le solide renflement du tronc servait autrefois à fracasser le crâne des bébés sous les yeux de leurs mères, juste avant que celles-ci ne soient décapitées et jetées à leur tour dans un trou. L’eau stagnante des marais voisins nous donne l’impression qu’on la renifle à pleins poumons, l’odeur de la mort. On fait ce qu’on peut pour répondre aux questions de Louise… Et pendant ce temps, Judith « joue au sable », s’en met dans les cheveux et retourne le sol. On abandonne de l’en dissuader, mais Seb et moi ne pouvons nous empêcher de penser qu’elle est en train de remuer le passé et pourrait bien tomber sur un os.

Le reste de notre séjour à Phnom Penh, nous avons:

  • Mangé des nouilles fraîches fabriquées sous nos yeux dans un restaurant Khmer.
  • Mangé des pâtes fraîches AU FROMAGE fabriquées sous nos yeux dans un restaurant italien. Il y avait aussi la patronne italienne qui parlait très fort avec un adorable accent, des panetone et des cartes de noël. Seb a pris son premier verre de vin rouge, le foufou.
  • Mangé Éthiopien le soir de Noël, car Seb a lu un truc qui l’a persuadé que Jésus était Ethiopien.
  • Fait quelques marchés de la ville. Nous avons bien aimé le marché central, dans son bâtiment art déco, vestige de l’époque coloniale. Il était hyper clean et les étals donnaient faim! Nous avons aussi aimé le marché russe, où on a fait recoudre nos « sacs à viande » qui étaient en lambeaux.
  • Pris des mesures concrètes pour me dépoiler: je suis allée faire la beauté. Elles s’y sont mises à deux (vu l’ampleur du désastre, ai-je pensé) et en vingt minutes, c’était poutzé. Une efficacité digne des Khmers rouges.
  • Regardé « Maman, j’ai raté l’avion » en attendant le passage du Père Noël.
  • Visité « l’île de la soie » pour montrer aux filles… Les cocons (jaunes au Cambodge, en raison du climat plus chaud qu’au Vietnam ou en Chine où les cocons sont blancs), les vers à soie, le filage et le tissage traditionnel, réalisé par les femmes. Chacune produit un motif qui est unique et propre à sa famille et se transmet de mère en fille, en l’apprenant par cœur.
  • Joué à la place de jeux voisine du Palais Royal (que nous n’avons pas visité, par principe… parce que filer du pognon à la royauté dans un pays qui crève la dalle, ça n’est pas notre genre). On s’est fait un copain trisomique et obèse d’une douzaine d’années, qui avait visiblement très envie d’être notre enfant. Collé-serré entre nous sur le banc, il a couché sa tête sur mon épaule, son bras autour du cou de Seb et me tapait joyeusement la cuisse en riant! Je n’ai pas su comment lui expliquer la distance sociale et les contacts physiques non-sollicités…
  • Dépensé du temps, de l’argent et de l’énergie à essayer de récupérer le colis de Seb (son matos!) bloqué au service des douanes de Phnom Penh depuis le 17 décembre. Si je suis admirative de la faculté des Asiatiques à contrôler leurs émotions et tout gérer avec le sourire, je suis consternée par leurs systèmes administratifs digne d’une caméra cachée de François l’embrouille! On a prolongé notre séjour, Seb est allé à deux reprises sur place pour faire avancer le bordel… et on a fini par renoncer en demandant à le faire réacheminer plus loin.
  • Assisté à mon lamentable « pétage » d’orteil contre ce « putaindepieddecanapéquidépasse ». On lui a mis de l’Arnica, ça ne l’a pas détordu mais ça a soulagé la douleur. Depuis, il part aux fraises. Il a une sale gueule mais il est drôle alors je l’ai rebaptisé « Guillaume Bats », mon orteil.

Kep et Koh Tonsay (Rabbit Island)

En dépit du colis qui traîne, nous avons décidé de poursuivre notre route jusqu’à la côte. Au pire, Seb fera un aller-retour sur deux jours pour le récupérer, au mieux, ils parviennent à nous l’envoyer à notre adresse à Kep, comme convenu dans les 212 échanges de mails avec 85 interlocuteurs.

Nous demandons au chauffeur de nous déposer au port de Kep, car nous avons prévu de passer quelques jours sur une petite île, juste en face: Koh Tonsay, surnommée « Rabbit island ». Au port, on nous vend un ticket pour un bateau privé qui est chargé de nous emmener sur l’île et venir nous rechercher lorsque nous voulons revenir à terre. L’embarcation ressemble à un bateau de pêche, pas vraiment adapté à braver des tempêtes (heureusement qu’on ne fait pas la traversée de l’Atlantique!). La mer d’huile que nous apercevons au port se révèle plus agitée qu’il n’y parait, une fois embarqués. La traversée secoue, secoue, le bateau penche, penche… puis on arrive. Ouf. Je réalise que l’incident en kayak a un peu ébranlé ma confiance dans les trucs qui flottent sur l’eau.

L’île, presque déserte, est aménagée uniquement d’un côté. Trois ou quatre guesthouse rudimentaires bordent la plage de sable, avec leurs bungalows sur pilotis. Nous logeons chez Simone. De l’extérieur, les bungalows rose pastel sur la plage sont vraiment jolis… Les filles sont au paradis! Par contre, le bungalow (cher payé pour une cabane en bois pleine de trous) est vraiment très spartiate: des merdes de gecko partout, des moustiquaires qui ressemblent à des passoires, pas de lavabo ni d’eau courante mais un bidon d’eau salée puante, électricité seulement entre 18 et 22h et évidemment, des draps sales et des linges de douche déterrés d’une pile de linge souillé et poussiéreux. Le matériel de snorkelling que Simone nous a loué était inutilisable… Pour couronner le tout, absolument tout ce que nous avons mangé ou bu chez elle était infâme. Nous avons passé quatre jours sur l’île, le bonheur des filles de se trouver à proximité de la mer nous ayant aidé à prendre notre « inconfort » en patience. Nous nous sommes rabattus sur la concurrence pour aller manger et nous nous sommes régalés de crabe au poivre de Kampot, de calamars, de crevettes et de jus de fruits. Nous avons longuement profité de la mer, de la plage et des hamacs. Nous avons essayé de partir à la découverte de l’île, mais il faisait trop chaud et on marchait sur un monticule de déchets. Un jour, depuis la fin d’après-midi jusque dans la nuit, un déluge s’est abattu sur Koh Tonsay! Le lendemain, des groupes de locaux sont arrivés en masse pour y passer le weekend et occuper chaque mètre carré avec des tentes, des grills à poissons et des karaokés assourdissants. Si nos dernières nuits ont été chahutées par la pluie, puis le bruit, la première soirée a apporté à Louise de la magie…

Alors, dans la chambre il faisait SUPER CHAUD 🥵… Papa, maman et moi on n’arrivait pas à dormir. Du coup, quand j’ai entendu le mot « pause clope », j’ai sauté du lit en me disant « dehors, il fait plus frais ». Je suis allée dehors avec mes parents et on a discuté. Et pis le sujet de la conversation a tourné au plancton bioluminescent (vous savez, comme dans Vaiana?!) car il y en a dans le coin! Et évidemment, on (papa et moi) est allé le voir. On a vite enfilé nos maillots de bain 👙, et on a filé dans la mer en pleine nuit. L’eau m’arrivait aux épaules alors qu’en après midi, j’en avais seulement jusqu’aux genoux! Je ne sais pas si j’aurais osé aller s’il y avait des poissons (on était dans un des seuls coins de l’île où il y a pas de poissons, d’après papa). Au bout de 2-3 minutes, on a chopé la technique: il faut battre des pieds hyper fort et vite… et la mer s’éclaire de petits pétales lumineux!

Bon, c’était pas EXACTEMENT COMME dans Vaiana, mais c’était quand même TROP TROP BIEN 🤩. Vaiana, c’est pas des conneries! C’est juste qu’en Asie, ça fait plutôt des paillettes et en Amérique, ça fait plus comme de la lumière. c’était MAGIQUE ✨.

De retour à Kep après une traversée agitée (les vagues nous ont trempés de la tête au pieds, en passant par les sacs!), nous rejoignons notre nouveau logement en tuktuk. L’accueil, l’hospitalité et la « bonne vibe » que nous ressentons dès notre arrivée à « Kep Melting Potes » contraste avec notre expérience dans les vieilles cabanes poisseuses de Simone! A peine arrivés, on se sent bien ici. Le patron est un Lyonnais et le staff Cambodgien est parfaitement anglophone et vraiment adorable. Il y a un billard, des kappla pour les filles et on mange des « tacos français ». On loue deux scooters et on part explorer la région entre Kep et Kampot. Durant notre séjour ici, nous avons:

  • Visité « La plantation », un domaine exemplaire qui cultive le fameux poivre de Kampott et d’autres épices. On aurait acheté la totalité de leur épicerie si on avait eu la place dans nos bagages! Seb a passé toute la dégustation avec une grenouille collée à sa jambe. Moi, en sérieux manque de fromage, j’ai trouvé que tous les poivres avaient un délicieux goût de fondue!
  • Mangé au marché aux crabes de Kep. Il y faisait vraiment très chaud et il y avait autant de monde que de crabes…
  • Roulé et admiré les jolies vues du Parc National de Kep, entre les collines de jungle qui surplombent la côte.
  • Passé à travers le quartier des maisons coloniales incendiées par les khmers rouges. Les décombres sont aujourd’hui colonisées par la végétation et les zébus qui broutent.
  • Roulé dans les marais salants des environs, en s’arrêtant pour admirer des « taureaux-zébus » . Leur propriétaire a eu l’air fier, qu’on les regarde ainsi. Les lumières étaient belles, au coucher du soleil. Et puis quand il y a eu trop de moustiques, on s’est tiré.
  • Pris du temps et pris nos têtes pour gérer nos problèmes existentiels de voyageurs: on va où après?
  • Mangé dans une boulangerie française, pour assouvir nos envies et pallier à l’ennui. J’ai pris un sandwiche au Comté et à la moutarde de Dijon… et j’ai senti chanter en moi le coq français de mes racines.
  • Reçu, au moment où nous quittions notre logement de Kep, le colis tant attendu! Puis reçu nos visas pour le Vietnam. Puis le tuk-tuk est arrivé pour nous emmener à notre prochain logement à Kampot. Tout est « tombé à Kep »!

Kampot

Nous arrivons à Kampot, à 30 km de Kep le 31 décembre. Ayant déjà pas mal exploré les environs lorsque nous étions à Kep, nous n’avons rien de prévu ici… Mais nous y avions réservé deux nuits pour assurer la réception de notre colis (comme ça on était pas trop loin s’il fallait revenir le chercher à Kep) et de nos visas pour passer au Vietnam le 2 janvier. Ces deux journées à Kampot nous ont permis de:

  • Profiter d’un autre super logement: Orchid 101, avec des proprios sympa et leur petite fille Bella, qui partage ses jouets avec les filles.
  • Planifier la suite de notre voyage au Vietnam, puis aux USA, puis réfléchir à toutes les possibilités de destinations entre les deux.
  • Souper au bord de la rivière, alors que les familles s’y groupaient pour passer la soirée du Nouvel An. Il y avait du monde, des feux d’artifice et des lumières kitches. Mais nous n’avons pas tenu le coup jusqu’à minuit, nous sommes rentrés regarder un « film de nouvel an » en famille.
  • Pleurer le désastre capillaire que Seb a causé à mes cheveux, le 1er janvier au réveil. « Fais-moi confiance, je sais couper des cheveux! » m’a-t-il dit, avant de saccager le peu d’allure qu’il me restait. J’aurais bien aimé le brancher sur des tutoriels pour apprendre à me tresser les cheveux pour camoufler, mais il a tellement sculpté que plus rien n’est tressable.
  • Imprimer nos visas pour le Vietnam dans le bureau à photocopies du quartier, là où le Monsieur remontait son pantalon en sortant des toilettes pour nous accueillir…
  • Nous balader dans la ville désertée le soir du 1er janvier. Les échoppes sont endormies, les locaux ont la gueule de bois… Les rares terrasses ouvertes ne servent qu’une poignée de touristes, comme nous, venus se nourrir. Les tuktuks insistent, font presque la manche, dans l’espoir de récolter suffisamment de riels pour leur portion de riz quotidienne…

Ces derniers jours, Louise et moi avions un peu l’ennui des nôtres. Et puis nous avons quitté le Cambodge pour retrouver un nouveau souffle et rejoindre le Vietnam par le Delta du Mékong.

12

Nous quittons le Camboge pour rejoindre la frontière Vietnamienne à Ha Tien, dans le Delta du Mékong. Après une heure de minivan, un Check-out, une marche sous le soleil de plomb du désormais traditionnel passage du No-mans Land inter-frontières, un Check-in avec prise de température corporelle (qui devait certainement indiquer 45 degrés, vu la parade en plein cagnard qu’on vient de se taper!), un autre minivan jusqu’à une station de bus, puis LE mini-van qui nous emmène à Chau Doc, nous arrivons dans notre première destination vietnamienne. Dans ce dernier véhicule, les sacs empilés dans chaque espace libre de l’habitacle forment une forteresse qu’il faut détruire et reconstruire à chaque arrêt… Il n’y a plus de place dans le coffre, car celui-ci est rempli de gros poissons morts qui s’égouttent de leurs sacs en plastique. On se rend compte que l’on devient « rôdé » au contact des autres touristes qui s’offusquent, râlent, s’interrogent, ne comprennent rien à ce qui se passe… Alors je joue la daronne pour tout le monde: je traduis les rares tentatives de communication du chauffeur (car il semblerait que je parvienne désormais à détecter des bribes de balbutiements en anglais sous les accents carabinés des locaux) et les guide dans l’anarchie du processus.

Chau Doc

Une fois déposés au bord de la route, nous gagnons notre logement à pied: le Cherry Homestay. Un couple de petits vieux adorable nous accueille. Ils ne parlent pas anglais, mais ce n’est pas nécessaire pour nous permettre de ressentir que nous sommes les bienvenus dans leur maison. Leur fille arrive peu après, débordante d’enthousiasme et manifestant une sincère envie de nous rendre service. Elle nous loue deux scooters, offre des autocollants « Labubu » aux filles et se montre disponible pour nous renseigner. Une fois nos quartiers pris, nous enfourchons nos scooters pour réaliser l’indispensable rituel d’arrivée dans un nouveau pays: trouver un ATM pour retirer des sous (ici les dongs) et se familiariser avec le taux de change, acheter une carte SIM dans un magasin de téléphonie (beaucoup plus économique que les E-sim que l’on peut acheter en ligne) et faire le plein des scooters (généralement fournis avec l’aiguille qui fait une plongée en apnée dans le bordeaux du compteur). Devant l’ATM, pendant que Seb retire les liasses de millions, un gentil gars m’aborde. On fait la conversation, il me renseigne sur les activités à faire dans le coin et les bons restos, me parle de Roger Federer et Stéphane Chapuisat, ses références de la Suisse. Il n’essaie pas de me vendre quelque chose, il est juste bienveillant et accueillant. Il y a à peine quelques heures que nous avons changé de pays et déjà nous nous sentons imprégnés par une atmosphère plus colorée, plus lumineuse, plus vivante, plus ouverte. Plus riche (ou disons plutôt moins pauvre) aussi, sans doute… c’est sûr que ça décrispe. Au resto, la serveuse est joyeuse, la tablée de petites vieilles en fête rit aux éclats. L’une d’entre elle me demande de les prendre en photo, elles se rassemblent et invitent (sans vraiment laisser le choix) tout le resto à se joindre à la pose, Seb et les filles compris! On a bien ri, elles, eux et nous.

Durant notre séjour à Chau Doc nous avons:

  • Regardé les gens qui regardaient Judith qui regardait le cours de danse traditionnelle qui se déroulait dans le garage, à côté de notre Homestay. On l’a même surprise à imiter discrètement certains mouvements, fléchissant les genoux ou courbant son bras comme le cou d’un cygne.
  • Observé que pour booster les ventes des forfaits internet aux données illimitées, la quantité de tissu disponible pour confectionner les jupes des vendeuses semble quant à elle très limitée.
  • Sursauté aux coups de klaxon systématiques et répétitifs des usagers de la route qui signalent leur présence à tout bout-de-champ. Puis, on s’est habitué, n’y prêtant plus attention, comme si on n’écoutait plus « crier au loup ».
  • Mangé des soupes dans la rue, recroquevillés sur des mini-chaises en plastique colorées qui font aussi mal au cul que le piment qu’on ajoute à la soupe.
  • Visité la Forêt de Tran Su, où poussent de magnifiques « cajeputiers » (aussi appelés cajuputs en anglais… ou cages à putes, entre nous). Ce sont des arbres au tronc mou qui s’épluche par couches, un peu comme du liège. Ils poussent dans les terrains humides. Pour s’y rendre, nous avons traversé des villages, des milliards de bannières communistes, franchi d’innombrables bras du Mékong par d’innombrables passerelles, longé des plaines et des rizières, salué les habitants des abris en tôle ou les fermiers abrités sous leurs « Non la » (i-)coniques. Nous avons fait une balade en barque dans les étangs, pour observer les lotus et les oiseaux (des aigrettes, des hérons, et des sortes de grosses poules bleues). Ridiculement coiffés de chapeaux traditionnels (dits « Non la »), bon public pour jouer le jeu du tourisme « d’appropriation culturelle » hyper tendance en Asie, on s’est laissé « embarquer » en se disant que déguisé ainsi, on aurait plus de risques d’être invité à la fondue chinoise annuelle du PLR gruérien que de se faire casser la figure par des extrémistes de gauche à la brasserie Loraine.

Can Tho

A bord d’un « sleeping bus » depuis Chau Doc nous rejoignons Can Tho, ville située au cœur du Delta du Mékong. Nous n’avons « que » quatre heures de trajet à faire, mais il semblerait qu’au Vietnam, les déplacements en train ou en bus, de jour comme de nuit, se font à « l’horizontale ». On ne va pas s’en plaindre, c’est plutôt confortable de voyager couché, dans des petites couchettes individuelles avec rideau, wifi, bouteille d’eau et place pour ranger le sachet à chaussures. Seul inconvénient: il n’y a pas de WC dans le bus et il faut parler vietnamien pour comprendre que quand il s’arrête en bord de route, c’est pour la pause toilettes. Judith en a fait les frais, en retenant douloureusement un pipi jusqu’à l’arrivée.

Après avoir déposé nos sacs au Welkom Inn, avalé une soupe au coin de la rue et fait le tour du quartier pour trouver un « bon » café, on se rend compte de l’étendue de la ville… Comme la plupart des zones urbaines en Asie, Can Tho est faite d’habitations basses qui se répandent et s’étirent sur des kilomètres infinis. Les transports publics sont anecdotiques et les voies piétonnes relèvent du parcours du combattant. Il est rare d’avoir à lever les yeux pour apercevoir des bâtiments de plus de deux ou trois étages. Inévitablement, il va nous falloir des scooters pour visiter la ville et ses environs… et du sang-froid pour s’engouffrer dans le trafic infernal d’une mégapole asiatique. Et puis, on s’y fait à rouler comme eux… On ferme les yeux, on serre les fesses et les dents, parfois on se perd de vue, on dépasse là où ça passe et on force le passage, en klaxonnant mais avec le sourire.

Durant notre séjour à Can Tho, nous avons:

  • Soupé au night market avec des trucs pas ouf et des fruits pas mûrs… Juste pour avoir la confirmation qu’au Vietnam aussi, les marchés de nuit sont des attrape-touristes.
  • Mis notre réveil aux aurores pour arriver avant le lever du jour au marché flottant de Cài Rang (le plus célèbre du Delta!). Et c’était… NUL! La seule chose qui flottait ici, c’était l’odeur ambiante de la pompe à fric touristique. Aucun « vrai commerçant » ni aucun « vrai client »… juste des « magasins de souvenirs pourris» où les bateaux à moteur nous déchargent parmi les groupes des tours organisés. On se pliera au mouvement pour aller déjeuner avec un ananas pas mûr, assis en tailleur avec le groupe des contemporains allemands de 1946, la famille Beauf au grand complet et les acheteurs compulsifs de souvenirs moches pour bars à putes. On remerciera avec ironie notre batelier pour son unique commentaire de la visite: « This is a floating market! », écrit sur son Google translate… On retentera l’expérience, encore plus tôt le lendemain matin avec un autre marché, plus loin, mais décrit comme plus authentique… Nous avons roulé longtemps dans la nuit et le froid de la ville encore endormie, reniflant les odeurs de thé au jasmin cuisant et des poubelles éventrées par les rats. Du bord de la route, on l’aperçoit: deux maigrelets bateaux vendent des bananes à un couple de touristes en barque. Cette image a achevé d’enterrer notre image fantasmée des marchés flottants du Delta du Mékong. Après quelques recherches sur le net, on est tombés sur un article datant de 2023, qui partageait nos constats à propos de la « mort de cette tradition ancestrale du Delta ».
  • Cherché en vain le fameux ticket de ferry qui devait nous emmener par voie fluviale et maritime sur l’île de Con Dao, où nous avons réservé quelques nuits. Là encore, les guides touristiques et sites internet ne sont pas à jour: la liaison n’existe plus! Comme souvent en Asie, l’aviation règne en maîtresse des modes de déplacement. C’est plus rapide, plus économique, et… je ne crois pas que le terme « écologique » ait déjà fait son apparition dans les consciences locales. Alors on s’assied sur notre bilan carbone et on réserve un vol pour aller dormir deux nuits sur l’île.
  • Fait le tour extérieur de quelques églises Caodaïstes aperçues sur la route (on n’a pas pu voir l’intérieur, elles étaient toutes fermées). Cette religion typique du Delta du Mékong est un fourre-tout de toutes les religions du monde! Cela donne lieu à des bâtisses ultra kitches, presque psychédéliques, flanquées d’un melting-pot de symboles religieux colorés.
  • Emprunté le plus grand pont à haubans d’Asie du Sud-Est, avec nos scooters. En gros, c’était le pont de la Poya puissance mille, avec une circulation plus dense et chaotique, moins de Sarine et beaucoup plus de Mékong.
  • Fait des haltes pour boire des cafés en bord de route. Comme il est de coutume ici, on grimpe sur les trottoirs avec nos scooters pour se parquer à même la table (ou parfois à l’intérieur des maisons). Un modèle de parcage de rêve pour les partisans du « toujours plus de places de parc toujours plus près de la porte au centre ville de Bulle »! Une fois, nous avons laissé nos scooters parqués quelques minutes, le temps d’aller faire des courses… À notre retour, mon bolide avait disparu. Après plus d’une heure de recherches dans le quartier, nous l’avons retrouvé: la police l’avait déplacé dans un autre parking à quelques centaines de mètres, mais n’a pas jugé utile de nous en informer. Je l’ai récupéré, furax, avec des ACAB qui me sortaient des yeux et un refus d’obtempérer explicite au flic qui me demandait de payer le parking (un simple « non, va chier! » en français, ça a passé crème).
  • Fait des amplettes au marché de Tan An. Il fallait faire attention à ne pas marcher sur un poisson suicidaire, échappé d’une bassine ou une crevette sauteuse qui avait fugué dans la rigole saumâtre… Heureusement, les vendeuses avaient vite fait de les récupérer dans la flaque stagnant sur le bord de la route pour les remettre à leur place.
  • Tenté de récupérer la carte Visa de Seb, engloutie par un distributeur dans une autre ville. Puis après des heures de débats et d’attente, nous avons abdiqué.
  • Visité la maison de « Binh Thuy », une villa traditionnelle qui a servi de décor pour le tournage du film « L’amant », de Jean-Jacques Annaud. Nous n’avons pas visité la maison du véritable « Amant » de Marguerite Duras, située à Sadec, car il y avait trop de kilomètres et de bras de Mékong à franchir.
  • Visité une ferme à cacao, dans le jardin d’un type qui a eu l’idée un jour, de planter une fève dénichée en Malaisie mais originaire d’Amérique du Sud. Avec une pierre pour la fabrication du tofu, une presse à huile d’olive italienne et un tonneau qui sert à torréfier le café, il s’est mis à bricoler… et produit désormais près de trois tonnes de cacao par an.
  • Acheté une pair de mules pour moi, car mes Birks avaient été dérobées du « parking à sandales » de l’hôtel depuis plusieurs jours (à croire que dans cette ville, je me fais tout voler dans les parkings!). Évidemment, lorsqu’on est rentré, mes birks étaient de retour, l’air de rien. La personne qui me les a empruntées aurait-elle retrouvé l’odorat et ainsi regretté son geste?
Le marché flottant de Cài Rang.
Église Caodaiste de Nhon-Ai. 
Le marché de Tan An. 
La maison de l’Amant (Binh Thuy) et la ferme à cacao avec sa fabrique de chocolat. 

Con Dao

Con Dao est une île située au Sud du Vietnam, réputée pour sa faune et ses paysages terrestres et aquatiques. Elle est aussi célèbre pour son passé « indépendantiste » et pour ses lugubres prisons. L’avion qui nous y emmène de Can Tho atterrit sur une piste qui semble couper l’île en son centre! La vue est sublime lorsqu’on survole l’archipel: une mer turquoise et agitée, de la jungle, du sable doré et des vagues dont l’écume vient lécher les rochers noircis, à flanc d’îles. L’idéal aurait été de pouvoir y faire du snorkelling, mais à cette période les courants sont trop forts et les vagues trop puissantes

Nous logeons à l’Hôtel de Condor, un peu en-dehors de l’unique ville de l’île. La déco est sympa, avec ses carreaux de ciment et son ambiance « vieux bistrot français ». Le personnel ne parle pas suffisamment anglais pour comprendre qu’on n’a pas d’eau chaude dans la douche mais nous parviendrons à leur louer deux scooters pour notre séjour (indispensables, vu notre emplacement).

Durant notre séjour à Con Dao, nous avons:

  • Fait une promenade à pieds jusqu’en ville, en longeant les barbelés des anciennes prisons et la longue plage de sable blanc, à marée basse.
  • Mangé plein de bons trucs dans différents restos (locaux ou touristiques): un délicieux curry de poulet, des crêpes aux fruits de mer, des yoghourts, jus de fruits et smoothies, des avocats ou du Banana bread avec nutella maison. Nous avons également testé les différentes spécialités de café vietnamiennes, en-dehors du traditionnel « café glacé » servi dans les cafés locaux (celui-ci est généralement dégueu, coupé au maïs, et servi avec beaucoup de sucre pour que ça passe), le Vietnam propose des café coco, café au beurre de cacahuète, café salé ou encore de délicieux « egg coffee ». Souvent, les boissons sont agrémentées de lait condensé sucré et toujours servies avec un peu de thé au jasmin.
  • Fait le tour de l’île en scooter, alternativement poussés, penchés ou freinés par des vents à décorner les buffles. Nous avons vu des macaques qui faisaient la manche et une grosse chauve-souris morte. Les paysages étaient splendides et assez différenciés selon les « coins ». Nous avons longuement profité de la grande plage à côté de l’aéroport, jouant dans les vagues ou le sable. Au moment de partir, il nous a frôlé le sommet du crâne, l’avion qui atterrissait. Les filles se sont éclatées et Louise raconte: Au début, Judith n’osait même pas ALLER DANS L’EAU 😰🙄!!!!!!! Mais après, elle s’est habituée. Si bien qu’après le dîner 🍲🍜, elle a voulu « faire les longueurs d’au moins 100 mètres même quand Loulou en avait marre💪🏼 »!!! Pour la motiver, je faisais super crevette 🦐 qui tapait dans les vagues 🌊et qui s’éclaboussait ou qui se cachait derrière papa en disant « Super crevette 🦐 va vous sauver! »! Quand papa n’était pas là, on faisait des châteaux 🏰. Le sable était trop sec et le mouillé avait trop de bouts de coquillages 🐚 donc on en a fait un deuxième✌🏽, mais cette fois, j’ai eu la BONNE idée 💡 de réutiliser les briques 🧱 qu’il y avait dans l’eau et j’en ai pris une pour tricher🙊! On a aussi ramassé les coquillages 🐚 pour décorer les châteaux 🏰. Ceux dont je suis la plus fière: celui avec un dégradé arc-en-ciel 🌈 et le blanc avec des rayures beiges. TROP TROP BEAU 🤩! On a réutilisé un sac 🛍️ plastique en « bombe de sable ». Bref, on s’est pas ennuyé sur cette plage 🏖️!
  • Visité les différents sites des sordides prisons de Con Dao (ou Bagne de Poulo Condor). Utilisée comme lieu de bannissement avant la colonisation française, la prison fut réutilisée par les français, puis les américains jusqu’en 1975. De nombreux opposants à la colonisation, puis des prisonniers politiques et des révolutionnaires y furent détenus ou y moururent dans des conditions d’une brutalité extrême. Les détenus étaient enfermés à 5 ou 6, accroupis dans des cages à tigres minuscules (la plupart d’entre eux en sont devenus paraplégiques) ou dans des cellules sans toit, dans ce qu’on nommait « les solariums ». Des mannequins ont été placés dans certains espaces pour que l’on puisse mieux « se projeter dans l’horreur ». Cette visite nous confronte une fois de plus aux atrocités dont l’humain est capable envers ses pairs. A un moment, alors que nous étions seuls à visiter l’immensité d’un camp à l’atmosphère chargée, une bourrasque de vent a chassé les feuilles mortes au pied des murailles et des barbelés. Alors que les feuilles tournoyaient en une danse macabre et légère, la lourdeur du lieu et des probables âmes errantes m’a poussée à m’éloigner, à m’évader.
  • Attendu notre avion dans l’unique hall, près de l’unique porte d’embarquement, de l’unique piste de l’aéroport de Con Dao. On a visité les trois cafés du hub: aucun n’avait de café (y a plus!) et les serveurs faisaient la sieste. Nous nous sommes repliés sur les « sièges à massages robotisés », alignés comme des pâtons, pour 8 minutes de pétrissage corporel. J’ai fumé une clope dans le minuscule fumoir avec cendrier central rouillé, puis quand l’endroit m’a rappelé les cages à tigres, j’en suis sortie, libérée. Dans l’avion, je suis comme une gamine… Je m’émerveille toujours à travers le hublot, au moment des décollages et atterrissages. Louise regarde avec moi les îles s’éloigner, nous survolons les vagues. Moins d’une heure après, nous nous extasions à nouveau en survolant l’immensité d’Ho Chi Minh, à perte de vue.

Ho Chi Minh

De l’aéroport, on prend un Grab pour rejoindre le cœur de la ville et trouver notre nouveau logement pour les prochains jours. Le taxi nous y dépose: Z Village, au-dessus du café Matcha. Merde, c’est pas le bon… Il se trouve que ça n’est pas le seul, et qu’apparemment, nous logeons dans un autre Z Village, situé au-dessus du café Matcha, et que le nôtre n’est pas répertorié sur Google Maps. On reprend un Grab et on trouve. Arrivé au café, on nous indique que nous allons recevoir un numéro de chambre par message, que ladite chambre se trouvera peut-être dans un autre bâtiment dont nous recevrons l’adresse par mail, que la clé se trouvera dans une boîte à clé dont nous recevrons le code sur WhatsApp… C’est surréaliste. On se demande si on est en train de participer à un escape game à notre insu et si on va pouvoir un jour déposer nos sacs, à l’ancienne, en ayant contact avec une personne humaine qui nous donne la clé. Au final, la chambre se trouvait là, au 3ème étage. Douze messages plus tard, on a trouvé le trésor de la clé. Et à part ça, il est peut-être temps de souligner qu’au Vietnam, le rapport qualité-prix des hôtels est incomparable avec ce que nous avons connu dans les pays précédents.

Notre logement se trouve dans une de ces ruelles d’Ho Chi Minh que j’affectionne. Dissimulées derrière les premiers immeubles qui bordent les grands axes, il y a des rues. Et derrière ces rues, il y a des ruelles. Des quartiers populaires, qui forment des labyrinthes au creux desquels on se croise à peine à pieds. Les constructions s’empilent et s’ajoutent comme des légos clandestins, là où il y a de la place. La vie grouille, la lessive pend, le voisinage se côtoie, comme une grande communauté. Le bruit du trafic urbain est feutré par les habitations rapiécées. Ici, les scènes de vie sont simples: un vieillard qui regarde la télé assis entre son scooter et son autel, des enfants qui jouent avec des chatons, des femmes en pyjama et un chien à la patte cassée. Des hommes boivent des bières en riant, attablés sur des chaises de camping. Le poisson sèche dans la poussière de goudron et les vieilles font des pâtisseries ou balaient devant leur porte.

A Ho Chi Minh, nous avons:

  • Pris des mesures de lutte pour nos indépendances respectives. Le poids du « vivre ensemble H24 depuis plusieurs mois en terrain hostile» a tendance à générer des tensions. Nous avons donc déployé des moyens comme: octroyer du temps de solitude à Louise pour qu’elle se recharge, acheter une carte SIM pour moi afin de minimiser mon lien de co-dépendance à Seb, par exemple pour m’orienter.
  • Encré nos peaux de souvenirs de voyage, en se faisant tattouer dans un super studio vietnamien (Easy Tiger) des motifs inspirés de l’art khmer, par un tatoueur espagnol (Andrian Desgracia). Le bilan carbone et économique est pas top, mais la rencontre humaine et artistique, le résultat et le processus sont super. Pendant qu’on se faisait tattouer à tour de rôle, Seb a emmené les filles au marché et moi, je leur ai offert un smoothie sur un toit. On a joué à « cherche et trouve » en essayant de repérer des scènes de vie dans le paysage urbain comme « trouve le monsieur qui arrose les plantes de son jardin, cultivé sur sa cahute en tôle, au sommet d’un immeuble! ».
  • Fait une balade de nuit dans la « Walking street » illuminée. C’est un peu le « Time Square » à touristes local, mais ça a plu aux filles. On y a aussi pris un cocktail et un souper en rooftop, sur la terrasse de « The View » pour admirer les gratte-ciel by night. Les serveurs se sont trompés et ont servi aux filles un cocktail alcoolisé… Louise a pensé être bourrée après deux gorgées, elle avait les jambes qui flageolaient et un débit de parole bien plus puissant que le wifi de l’hôtel!
  • Mangé des Phò, des bowls, des Nems et des glaces.
  • Visité le musée des vestiges de la Guerre, juste pour se rappeler les dégâts occasionnés. Puis ressortir de la pièce qui exposait les conséquences de l’agent orange sur l’humain, histoire de ne pas traumatiser les filles à tout jamais.
  • Visité le musée Fito (musée de la médecine traditionnelle vietnamienne). Construit dans une jolie bicoque traditionnelle, le musée est assez cool. Mais le jour de notre visite, les espaces sont envahis de jeunes venus se faire « photoshooter » en tenue traditionnelle pour la fête du Tèt (le nouvel an Vietnamien qui aura lieu fin janvier). Il y a des gens partout, des photographes, des maquilleuses et tout leur bordel. Des embouteillages se créent dans les couloirs minuscules, en attendant que les nunuches (gars et filles) prennent la pose… Pour nous, c’est chiant, ridicule et tellement égo-centré! On prend sur nous et on positive en se disant qu’on assiste à une « tradition authentique ».
  • Visité le Temple de l’Empereur de Jade, puis une multitude d’autres temples anciens et populaires, notamment dans le quartier de Cholon (quartier chinois). En cette période de « l’avant Tèt », les rues et les temples se chargent de décorations rouges et de fleurs colorées. Des dragons ornent les étals d’encens et les prières redoublent d’intensité. Les lanternes clignotent de plus belle, au point de rendre un aveugle épileptique. La fumée des bâtons et cônes d’encens jette un smog qui pique les yeux et fait tousser loin à la ronde. Il fait chaud, mais l’atmosphère est légère, bienveillante… de bonne augure pour la prochaine année lunaire.
  • Arpenté l’immensité des ruelles marchandes de Cholon, dans la fournaise des grills et d’un ciel orageux. Les étals de tissus et de chaises en plastique se déclinent en un arc-en-ciel infini…Nous avons mangé une soupe à l’ombre d’une bâche, les pieds dans le jus de poisson. Nous avons voulu acheter un truc au marché, à l’heure de la pause syndicale. Mauvaise idée en territoire communiste: personne ne déroge à l’horaire de sieste imposé.
  • Acheté deux bouquins pour les filles dans une libraire française, en réfrénant nos envies de dévaliser tout le stock de livres, faute de place dans les sacs.

Puis nous avons quitté Ho Chi Minh en bus, pour rejoindre la côte à destination de Mui Ne.

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Mui Ne

Mui Ne est un village de pêcheurs sur le littoral pacifique. Ses vagues puissantes et ses interminables plages et dunes de sable blanc ou or attirent désormais les adeptes de kite et de surf… mais aussi une foule de Russes venus se bronzer la sandalette. Pour atteindre cette destination depuis Ho Chi Minh, nous avons pris un taxi, un car à la climatisation foireuse pour sortir de la ville, puis un sleeping bus duquel nous avons été « jetés » sur le trottoir, à un kilomètre de notre logement. Chargés de nos bagages et enfants affamés, nous avons parcouru cette dernière distance à pied. Par chance, qui dit « village de surfeurs » dit aussi « corps sculptés par la houle »… euh non pardon. Qui dit « village de surfeurs » dit aussi « healthy food », nous avons rapidement pu remplir nos estomacs avec un « bowl en noix de coco aux graines de chia, banane sans huile de palme et protéines de panda vegan ». Puis nous nous sommes faufilés entre deux « coquilles rondes » qui servent de bateaux de pêche, pour jouer avec les dernières lueurs du soleil et les vagues qui lèchent violemment le rivage. Les filles étaient trempées, des miettes de coquillages piégées dans leurs tignasses… et elles riaient.

Durant notre séjour à Mui Ne, nous avons:

  • Mangé des souvlakis, du tsatsiki et de la salade grecque devant la déco de Santorin et la tablée de Russes qui remplissait l’espace sonore. Puis mangé un barbecue coréen dans un resto à Russes qui nous a coûté une somme « atomique ».
  • Déjeuné avec des trucs sains et des livres en anglais pour les enfants. On a cherché Charlie puis découvert que dans sa version anglaise, il s’appelait Wally. Malgré ce petit décalage culturel déstabilisant, nous l’avons trouvé sans peine, ce bon vieux Charlie-Wally.
  • Pris des scooters pour aller voir les dunes « blanches » et « rouges », aux alentours. Les blanches étaient « colorées » par les 4x4 et les quads à touristes asiatiques… On les a regardées de loin (les dunes, pas les nunuches en robe blanche) mais on n’a pas voulu aller faire « mumuse vroum vroum et perche à selfies » avec l’équipe. Ni monter à dos de chameau, comme proposé sur les immenses pancartes publicitaires, pour faire « comme si c’était le Sahara sans les berbères et avec une bosse en plus sur le dos du dromadaire ». On s’est trouvé un petit coin ailleurs, sous des éoliennnes, pour profiter des dunes « sauvages ». Au retour, nous sommes montés sur les dunes rouges pour rejoindre la guirlande humaine en attente d’un coucher du soleil un peu surcoté, au sommet. Finalement, c’est en reprenant la route que nous avons pu longuement admirer le ciel qui se parait de somptueuses nuances flamboyantes, se reflétant dans l’océan et laissant poindre par milliers, les silhouettes obscures des navires de pêche amarrés.
  • Roulé le long de la côte, vers le Nord puis vers le Sud, jusqu’à Phan Tièt. Le sentiment de liberté et de gratitude qui m’envahit à chaque fois que je suis seule au guidon, c’est ma manière de m’isoler, de prendre du recul sur ce que nous sommes en train de vivre. En chemin, nous avons vu d’immenses « parkings » à bateaux de pêche où l’air sentait la vieille moule. Nous avons observé un moment les kite-surfs, au loin, se disant d’une seule voix que ce serait un sport idéal pour Louise, qui aime tant être dans l’eau et faire danser son cerf-volant dans les airs. Nous avons rejoint la « pointe » de Mui Ne, au bout de la Péninsule, là où vivent les pêcheurs et où aucun touriste ne s’aventure. Là où l’on « jure » et « intrigue » dans l’authenticité de la vie locale. Des gamines à vélo nous abordent, on s’en réjouit et on prend le temps d’échanger quelques mots avec elles. Les occasions de parler avec des locaux sont rares, difficiles à provoquer, car très peu d’entre eux ont des connaissances en anglais, et notre maîtrise de la langue locale se résume à un « bonjour » ou « merci ». Souvent, on échange quelques sourires, quelques signes ou un bonbon, mais guère plus, faute de mots. Elles me manquent, les interactions avec d’autres.
  • Évité de se baigner, car les vagues étaient un peu grosses et nos tattoos un peu frais.
  • A Phan Tièt, nous avons visité un temple qui abrite un squelette de baleine, vénéré par la population locale. Puis nous avons visité le musée du Nuoc Mam (la sauce de poisson fermenté, ou « sauce vieux cul », comme nous l’appelons chez les Varga-Lauper). C’est à Phan Tièt que sont produites les meilleures sauces vieux cul du monde, avec pour recette de base: 3kg d’anchois pour 1kg de sel qui macèrent un an dans un tonneau.
  • Pris l’apéro sur la plage, en regardant le soleil se coucher sur les bateaux. Judith, émerveillée et un brin émue, nous a confié: « J’arrive pas à me retenir de rire tellement c’est beau et je suis heureuse! ». On se rend compte au quotidien qu’elle vit plein de choses, à son échelle. Elle a ses petites habitudes de voyage aussi: elle fait des doigts d’honneur aux drones (mais seulement aux drones, autrement c’est interdit!), refuse de parler aux gens qui ne parlent pas français et se montre même franchement antipathique! Elle s’amuse à interpréter tous les panneaux « interdit » qu’elle voit… Par exemple, la signalétique qui indique la sortie de secours, avec le bonhomme qui court vers une porte entre-ouverte… Selon Judith c’est « interdit d’aller à fond la caisse dans la porte! ».

Cat Tièn

Aucun transport en commun ne reliant Mui Ne au Parc National de Cat Tièn, nous faisons le trajet avec un chauffeur privé. Après quatre heures de route, nous arrivons au bled, dans notre homestay (Green Hope Lodge) au bord de la rivière. En face, sur l’autre rive, c’est le Parc National. D’ici, on voit voler les calaos et on entend chanter les gibbons du sanctuaire. Nous prenons l’après-midi pour nous installer, réserver un vol pour l’après-Vietnam, et prévoir les excursions dans le Parc. Le lieu est paisible, notre hôte est serviable et la bouffe est… dégueulasse. On aura quand même trouvé un plat passable, qu’on aura pris à tous les repas, par sécurité.

Durant notre séjour à Cat Tièn, nous avons:

  • Traversé le village endormi au son des coqs qui se répondent et de grenouilles qui coassent, puis la rivière (en bateau) à 4 heures du mat, deux matins de suite, pour aller voir les gibbons à joues jaunes « sauvages » (les mêmes que nous avions tenté de voir au Cambodge). Le premier matin, nous partons avec nos deux guides (deux femmes, ce qui est suffisamment singulier pour être précisé!) de nuit pour attendre au pied d’un grand fromager (l’arbre, pas celui qui fabrique le Gruyère). Nos guides nous donnent des recommandations et scannent et scrutent le sol et les branches avec leurs lampes en continu afin d’écarter tout risque: la nuit, les serpents, scorpions et mygales sortent de leurs cachettes. Nous apercevrons quelques mygales, une civette et le chant d’un hibou. Chaque feuille qui tombe ou branche qui frotte résonne de manière hostile à nos oreilles. Puis quand le jour se lève, les oiseaux s’éveillent et quelques gibbons crient, au loin… Malgré nos longues recherches à la course dans la jungle, nous ne parviendrons pas à les localiser ce jour-là: leurs chants se mêlent à ceux des primates du sanctuaire et du centre de soins, ce qui rend nos recherches plus confuses. Sur le chemin du retour, on se console avec quelques oiseaux aperçus sur des branches (comme des « dollar birds »), un phasme, des lianes interminables et des arbres majestueux. Nos guides nous proposent de retenter notre chance le lendemain. Rebelote. Cette fois-ci, elles nous emmènent sur un autre itinéraire, qui semble plus prometteur. Les filles, couchées dans les hamacs de la « buvette » déserte, prolongent leur sommeil en attendant le signal. Le jour se lève, les oiseaux piaillent, il est l’heure. Go, Go, Go, à la course dans la forêt! Après de longues minutes à foncer à vive allure, zigzaguant entre les épines et les branches, sautant par dessus les racines, avec Judith dans les bras pour aller plus vite, nous les trouvons! Au-dessus de nos têtes suintantes, une famille (mâle, femelle et bébé) chante et se déplace dans l’immensité des branches. Nous aurons pu les observer quelques minutes, deux, peut-être trois, avant que leurs longs bras ne les emportent hors de notre vue. Un peu « frustrés du peu » (ou définitivement blasés et insatiables depuis nos incroyables treks à Sumatra, où la densité de la forêt et de la faune observée n’a à posteriori pas son égal ailleurs), nous sommes quand même heureux de les avoir « enfin » aperçus!
  • Visité le centre de soins du Parc, où sont recueillis les animaux sauvages braconnés, domestiqués et plus généralement blessés. Certains réintégreront la nature à terme, moyennant peut-être un passage intermédiaire par le sanctuaire. La plupart, brisés à vie, finirons leurs jours ici. Nous y avons vu des Gibbons, ours, calaos, tortues, porc-épics, varans, un énorme python, des espèces de grosses poules sauvages et des paons, dont un qui a agonisé et est mort sous nos yeux.
  • Visité le « musée » du parc, qui présente des trucs obscurs dans des bocaux au liquide semi-évaporé, et des animaux mal empaillés qui louchent et ont l’air bloqués dans un trip au LSD. Il y avait aussi le squelette du dernier rhinocéros du Vietnam… un rhinocéros de Java qui a été retrouvé à Cat Tien, la corne sciée et des impacts de balle dans le corps (un doute subsiste sur la cause de la mort, paraît-il qu’il se pourrait que l’animal ait été braconné, mais aucun indice ne le prouve, selon le WWF…).
  • Bu un nombre beaucoup trop élevé de cafés ignobles, avec ou sans lait condensé sucré ( = avec ou sans lubrifiant).
  • Massé les muscles engourdis par la jungle (et le poids de Judith) de toute la famille avec l’huile de massage porte-bonheur Thaï que Paul nous avait offerte à notre départ de chez lui.
  • Echangé des sourires et des « Hello! » par dizaines aux villageois attendris par Judith « qui court à toute vitesse avec ses super baskets qui ont des pouvoirs ! »
  • Visité le centre de réhabilitation des primates où les principales espèces du Parc National (gibbons à joues jaunes, loris pygmées, doucs noirs, langurs de Germain et différents macaques) sont « traitées » dans l’objectif de réintégrer la vie sauvage. La plupart de ces animaux ont été braconnés, soit pour être domestiqués comme animaux de compagnie, soit pour être bouffés, soit pour être utilisés dans la médecine traditionnelle (ex: les os bouillis de gibbons contre le rhumatisme, la viande de loris pygmée consommée par les femmes enceintes pour prévenir les hémorragies…). Il y a quelques temps, une femelle gibbon en captivité au centre s’est amourachée d’un fringant mâle sauvage. Les deux amoureux ont fait frotté-frotta à travers le grillage et ils ont eu un bébé. Le personnel du centre ont alors « libéré » la femelle et son bébé, pariant sur le fait qu’ils pourraient s’appuyer sur les connaissances de la vie sauvage du mâle pour se débrouiller dans la nature. Et ça a fonctionné! La petite famille passe de temps en temps dans les arbres voisins, juste pour signaler qu’ils vont bien.
  • Marché une quinzaine de kilomètres (aller et retour) seuls dans la Jungle (sur un magnifique sentier bien balisé) pour rejoindre le lac où vivent une trentaine de crocodiles du Siam, une espèce en voie d’extinction. Des sacrées pièces, les bestioles! Depuis la cabane (où nous sommes seuls avec deux couples de touristes et les rangers) nous en observons longuement une petite dizaine, venus se ravitailler de têtes de poissons lancées sur la rive par le ranger en schlaps. On y observe aussi des hérons pourpres, des grandes aigrettes et d’autres oiseaux pas peureux de se faire bouffer. Les filles ont été admirables, encouragées à la marche (surtout Judith car Louise est une bonne marcheuse!) à coups de chansons, sucettes, bananes et mangues séchées! Au retour, nous sommes doublement récompensés de nos efforts. Louise et moi repérons un groupes de dix singes (probablement des langurs de Germain), quelques dizaines de mètres au-dessus de nos têtes. Alors on a traîné un peu là, pas juste en-dessous (un peu à côté pour éviter de se faire pisser dessus) tous les quatre, à regarder les singes, à écouter la forêt…Nous avons adoré cette balade pleine de surprises qui s’est achevée sur une glace au chocolat dénichée dans un vieux congel au port.

Puis nous avons quitté Cat Tièn pour rejoindre Nah Trang, selon la « procédure de transport idéale» recommandée par notre homestay. Nous avons donc partagé un minivan hors-de-prix avec un couple de touristes asiatiques jusqu’à Dalat, où nous pourrions (je cite) « sans problème monter dans un bus pour Nha Trang direct! ». Le trajet en minivan a duré cinq heures et une pause pipi-clope. Cinq heures de klaxons continus et de musique de merde. J’ai filé mes écouteurs aux filles après que Judith ait déclaré que « la musique du chauffeur elle me fait envie de vomir ». Cinq heures. Séb a ses AirPods et n’entend rien. Les filles écoutent des histoires. Moi, je subis pour la 14ème fois les mêmes titres en boucle de la compil de remix joués au clavier midi, volume à coin. Je crois avoir écouté toutes les versions possibles de la Lambada durant les trajets en bus en Asie du Sud-Est (Tiens, c’était pareil au Nicaragua, il y a quelques années. Il doit y avoir un truc entre ce titre et les chauffeurs de bus!). Cinq heures. Ma santé mentale est à l’agonie, mes oreilles saignent. Cinq interminables heures, puis l’on s’est fait déposer à la station des bus de Dalat pour choper un sleeping bus qui devrait nous permettre de rejoindre Nha Trang en quatre heures encore. Alors oui on a trouvé…pour trois heures plus tard. Trois heures à attendre dans un hall de gare les trois dernières places du dernier bus de la journée pour Nha Trang… les couchettes du fond, au milieu de l’allée, en-haut… celles qui sont plus petites que les autres qui sont déjà minuscules… celles où les secousses sont si fortes que Judith « a peur parque ça la tresse tellement ça secoue et qu’elle est presque tombée! »

Nha Trang

Arrivés au cœur de Nha Trang vers 21h30 après une journée de transport éprouvante, notre destin nous balance un « resto Grec Souvlaki » juste à côté de l’hôtel. Parfait pour requinquer toute cette troupe nourrie à la chips depuis notre départ ce matin. Un tzatziki et au lit!

Située sur la côte, Nha Trang est une ville au tourisme développé. On y trouve d’immenses plages, des spots de snorkelling, des poseuses de faux-ongles et des massages de pieds par milliers. Il y a aussi beaucoup de Russes, bourrés de botox, de tattoos moches et de vodka et principalement dénués de classe et de savoir-vivre.

Durant notre séjour à Nha Trang nous avons:

  • Fait une excursion « snorkelling » en bateau sur les îles, en face. Nous sommes super bien tombés, avec une équipe anglophone et compétente et du matériel de qualité. Nous étions deux familles (des Vietnamiens et nous) et un couple allemand à bord. En observant les autres « bateaux-disco-toboggan » bondés de monde, d’alcool et de décibels aux alentours, on se dit qu’on a vraiment eu un coup de chance en dénichant cette agence! Nous avons exploré deux spots de snorkelling (surtout Louise et Seb, car moi j’ai assez vite dû remonter à bord avec Judith qui avait froid et pas du tout envie de mettre un masque et regarder dans l’eau. Là encore, on a affaire à un spécimen bien différent de sa grande sœur!). Je spoile un peu… mais on est encore une fois un peu déçu d’avoir vu plus de sacs plastiques que de trucs vivants dans l’eau (et le site est répertorié comme l’un des plus beaux du Vietnam). Les plongeurs qui nous accompagnent trouvent cela splendide… Alors on se dit une encore que nos expériences subaquatiques indonésiennes nous en ont mis tellement plein la vue que plus rien ne nous surprend (les vieux blasés, le retour!). Louise a eu du plaisir et vous raconte son expérience sous l’eau: bon, l’eau était GLACIALE 🥶 mais c’était joli. Entre les coraux, les étoiles de mer ⭐️, les concombres 🥒de mer qui ressemblent à des serpents 🐍 , Dory 🐟 et L’INCROYABLE anémone rose, c’était trop cool! 🤩 Alors… Le décor: Des « MÉGAS GROS cailloux marins » occupent le sol entre deux sacs 🛍️plastiques; Des poissons 🐠 « normaux » jouent à cache cache; Quelques « coraux 🪸 qui ressemblent à des algues orange fluo et en fond sonore, de la musique nulle à coin!
  • Déjeuné à « Voilà », un resto dont le décor « Suisse » nous a surpris. Il est tenu par un Vietnamien, de retour au pays depuis un an après avoir vécu une vingtaine d’années à Genève. Il vend des fondues, mais on y a renoncé (Louise vraiment à contre-coeur), se disant que les « birchers » se prêtaient mieux à l’heure du petit déj.
  • Pris conscience que les locaux ne savent pas faire la différence entre les déchets biodégradables et ceux qui ne le sont pas… Jeter une peau de banane dans la nature peut être très mal vu, alors que jeter ses emballages plastiques dans la mer est plutôt commun (la famille Vietnamienne qui plongeait depuis le même bateau que nous le faisait impunément… Leurs gosses ont passé toute l’excursion rivés sur les écrans à bouffer des bonbons dont les papiers étaient balancés par dessus-bord par la maman, entre deux plongées).
  • Marché le long de la plage pour se faire un peeling des pieds en regardant les vieilles Russes se bronzer les fesses. Puis quand on a eu trop chaud et trop de fesses, on s’est trouvé une place de jeux.
  • Trouvé un marché pour s’acheter des culottes (note pour les Russes: si jamais, c’est par là qu’on trouve cet objet utile à se mettre sur le cul!).
  • Bu des cafés (des bons, ceux pour les touristes!) pour faire passer le temps en attendant notre bus de nuit pour Da Nang. Puis eu un gros coup de stress en ne parvenant pas à trouver notre bus à l’adresse donnée, à 10 minutes du départ. Après avoir frappé à toutes les portes des compagnies, demandé à toutes les agences, fait appel à un taxi, happé des locaux et leurs valises… compris qu’il faut attendre là, entre la station, le café, la route et le parking. Quelque part, le bus arrivera. En échangeant avec d’autres touristes aussi perdus et paniqués que nous, on comprend qu’en ce premier jour des vacances du Tèt, les transports sont surbookés car les gens se déplacent pour aller passer les fêtes en famille. Tous les bus sont en retards, certains billets sont annulés ou reportés. Il suffit d’attendre et on verra bien. Face à nous, une grand-mère nous sourit. Elle tient sa petite fille endormie en pyjama, couchée sur le siège du scooter, parmi les bagages faits de sacs plastique. J’imagine qu’elle espère un bus, pour rejoindre sa famille, et celle de la petite, probablement. Avec 1h30 de retard, notre bus de nuit grand luxe avec larges couchettes individuelles et toilettes à bord arrive! Les filles s’endorment vite… Quant à nous, on parviendra à gagner quelques heures de sommeil, par tronçons de micro-siestes, à partir de 3h du mat.

Da Nang

Le bus arrive avec près de 3h30 de retard à Da Nang. Mon pantalon, puis mon pied nu, se feront naïvement piéger par le ruisseau des pipis piégés dans la rigole des toilettes (ce que j’appelle un « mixed juice ») un peu avant l’arrivée. Je rince le tout au jet du bidet. La journée commence bien.

On a faim. Un taxi nous dépose (nous et mon odeur d’urine) à notre hôtel. Trop tôt pour récupérer une chambre (et une douche et un pantalon propre). On pose nos sacs dont on extirpe les maillots de bains, puis on part à la recherche de nourriture. Nous dénichons un joli petit café, à quelques centaines de mètres: il y a de bons thés aux fruits, des pains au chocolat et des chaussons aux pommes. Sur le comptoir, une alignée de statuettes de chats qui agitent la patte et des fleurs séchées. Ce lieu deviendra notre « stamm du déjeuner », chaque matin à Da Nang. Le ventre consolé, nous filons vers l’immense plage. Dans ce coin-ci, il n’y a pas grand monde… Nous sommes presque seuls sur l’étendue de sable blanc. On se change, à pélos derrière un palmier, les nibards qui débordent du tronc et la nouille au vent. On saute se rafraîchir dans les vagues. Les filles jouent longuement à enterrer des tongs et des noix de coco. Les pigeons viennent picorer les déchets, ça fait de l’ordre. Nous, on somnole, allongés sur le sable chaud, suffisamment longtemps pour que je me prenne un coup de soleil des pieds à la tête, recto-verso. Allongée sur cette plage, j’ai peur d’être confondue avec un vieux poulpe échoué.

En fin de journée, nous pouvons regagner l’hôtel et une hygiène corporelle acceptable. Lorsqu’on ressort, la température a chuté. Le ciel est menaçant. On prend des pulls, des vestes de pluie, et on va louer des scooters pour les prochains jours. Il fait sérieusement froid, 16 degrés peut-être. Et il pleut. Il roille. On est trempé, le froid et l’humidité nous transpercent. Perdre 20 degrés en 2h alors que nous ne sommes pas descendu en-dessous des 30 degrés depuis quatre mois, c’est carrément le choc thermique.

Durant notre séjour à Da Nang, nous avons:

  • Bu des chocolats chauds, des matcha chauds, des cafés chauds, des thés chauds, des soupes chaudes… et tout ce qui était susceptible de réchauffer nos entrailles.
  • Mangé des « Mi Quang », une soupe typique du centre du Vietnam, mi-soupe mi-salade, agrémentée de nouilles de riz plates, de viande (poulet et crevettes), d’œufs de caille, un peu de bouillon épicé au curcuma, des herbes, des fleurs de bananier émincées, des cacahuètes, une sorte de chips de riz et du citron vert. Un délice!
  • Attendu abrités sous une tente de jardin au bord de la rivière que le « Pont du Dragon » illuminé se mette à cracher du feu et de la vapeur d’eau, à 21h, un dimanche soir. Et on a bien fait, car c’est ce qu’il a fait! Après avoir compris qu’on n’était pas posté au bon endroit (on a confondu son cucul et sa têtête!) on a enfourché nos scooters et pris le pont à toute vitesse sous le déluge pour atteindre sa bouche cracheuse d’effets pyro-aqua-techniques. Arrêtés sur le côté de la route, le vent et la pluie nous flagellant le visage, nous avons dû nous résigner: le spectacle venait de se terminer.
  • Visité la vieille ville d’Hoi An et ses environs, en faisant le déplacement en scooter. Il faisait gris et froid, la mer était démontée. La ville est jolie, avec ses ruelles, ses boutiques à touristes et ses lanternes colorées... Loger à Da Nang sans aller voir Hoi An, c’est un peu comme passer des vacances à Bulle sans aller voir Gruyères… Joli, mais vraiment beaucoup trop touristique. Nous avons fait du shopping (Seb avait besoin de remplacer quelques fringues), mangé une soupe et une bonne glace au chocolat artisanal, puis on s’est évadé de la foule. Nous avons roulé dans la campagne environnante pour faire dormir Judith (elle adore faire la sieste sur le scooter, calée entre le dos de son papa et les bras de sa sœur), bu un café pour se réchauffer dans un troquet perdu avec un sol en cartons dépliés, puis on est rentré avant la nuit et la pluie.
  • Saturé des Klaxons incessants et déploré la nullité extrême des usagers de la route Vietnamienne. Même ma grand-mère sénile, sans permis et avec un bandeau sur les yeux conduirait mieux!
  • Cherché en vain un dentiste pour faire réparer l’appareil dentaire de Louise. Durant le Tèt, c’est peine perdue, tout est fermé! Rares sont les restos qui demeurent ouverts… Avec ce froid et une absence presque inquiétante de vie dans les rues, on se croirait à Romont un dimanche soir de novembre.
  • Fait le tour de la Péninsule de Son Tra et visité la jolie pagode de la statue de « Lady Bouddha ». Louise nous a fait marrer, quand on a compris qu’elle prenait les sculptures de fleurs de lotus pour des artichauts. Le jardin était étonnamment zen, malgré la foule et les macaques. Il y avait des jolis points de vue sur la ville et la mer, mais il faisait bien trop froid pour se baigner. Ce jour-là, je m’étais maquillée. Cela ne m’était pas arrivé depuis nos premiers jours de voyage. Ce jour-là, j’avais besoin besoin de me sentir « moins moche », avec mes cheveux gris, délavés et mal coupés et mon équipement de sportive sponsorisée pour Fashion week de la haute route. Ce jour-là, les filles n’avaient tellement plus l’habitude de me voir « pimpée », que dans leurs yeux et leurs compliments, j’ai eu l’impression d’être une bombe.
  • Trouvé un marché ouvert pour racheter un change de jaquettes aux filles et faire le plein de fruits séchés.
  • Marché en admirant les lumières kitsch de la ville, le soir. Ces éclairages plaisent tellement à Judith qu’elle voudrait « vivre ici pour toujours, tout en-haut d’une de ces grandes maisons qui brille de toutes les couleurs. Elle ferait pousser des petites plantes sur le toit et elle pourrait s’en occuper. Elle aurait un scooter aussi. » Et Louise valide. Elle aussi vivrait bien ici, à Da Nang, car il fait plus frais et elle aime ça. Et puis il y a la mer. Et pour le scooter aussi, elle en aurait un pastel, avec un casque saumon et des petites lunettes de pilote. Mais la famille lui manquerait alors elle préfère renoncer. Judith est d’accord et demande « Bon c’est quand qu’on peut sortir de ce grand voyage? »
  • Observé les familles (celles qui n’ont pas fermé boutique pour partir rejoindre les leur) qui se rassemblent, dans leurs habits du dimanche, parés de rouge et de chaussures qui claquent. Ils mangent, boivent, se racontent l’année écoulée et célèbrent le nouvel an lunaire. Certains boivent plus que de raison, on le mesure au nombre de canettes de bières écrasées sous les tables. D’autres invoquent un avenir plus prospère, en brûlant de faux billets de banque sur le trottoir, ou dans leurs foyers faits de vieux tambours de machines à laver.

Et puis nous avons quitté Da Nang en train, le jour du Tèt, pour rejoindre Hué, l’ancienne cité impériale.






14

Hué

Après un dernier petit déj dans notre joli café de Da Nang, nous nous rendons à la gare, bien en avance pour prendre le train pour Hué, l’ancienne cité impériale. Pendant que les filles et moi attendons dans le hall (elles, assises par terre face à la TV), Seb fait une énième tentative pour trouver un guichet Western Union ouvert (nous nous auto-versons de l’argent par ce biais-là, car chaque retrait en ATM nous pompe un montant énorme de taxes). C’est peine perdue, tout est fermé pour le Tèt.

Le train arrive en gare. Nos places assises se trouvent dans un wagon de deuxième classe. Disons plutôt la quatrième classe en vrai: après les cabines-couchettes à quatre, puis celles à six, puis le wagon climatisé, il y a le nôtre, celui dans lequel la populasse s’entasse là où il reste de la place. Nous parvenons à nous asseoir par deux, grâce à une gentille dame qui a proposé d’échanger son siège avec le mien, pour que je me rapproche de Louise. À travers les vitres encrassées et embuées, ce n’est pas la peine d’espérer voir les paysages défiler. C’est au-dedans que le voyage se passe, véhiculé par le brouhaha des écrans, l’odeur des Bàhn mi (sandwiches vietnamiens) au poisson séché et celle de la fosse sceptique. Derrière chacune des deux portes qui délimitent notre « voiture », des hommes se rassemblent pour fumer et se souhaiter la bonne année, cramponnés à la tôle ondulée, leurs pieds nus sur la plateforme extérieure. Le convoi avance au pas, la plupart du temps, balloté par l’irrégularité de la voie ferrée. Nous atteindrons Hué avec seulement une heure de retard. Il y fait gris, froid et tout est fermé. Au moment de parlementer avec les chauffeurs de taxi pour se faire emmener de la gare à notre hôtel, on est confronté à une situation récurrente: ils ne comprennent pas un mot d’anglais, ne savent pas lire l’adresse qu’on leur montre ni un plan Google Maps. On s’acharne mutuellement avec les microphones de nos traducteurs qui comprennent et restituent tout de travers, puis quand un chauffeur nous tend son écran avec traduit dessus « Sucer n’en vaut pas la peine », on bat en retraite en commandant un Grab. Depuis, cette phrase est devenue notre blague récurrente, la réponse adaptée à toutes les situations.

Durant notre séjour à Hué, nous avons:

  • Un peu « subi » le fait que tout est fermé pendant le Tèt. Les rues sont désertes et les restos ouverts se font rares: il faut parfois marcher longtemps, dans une ville presque fantôme, avec des trottoirs envahis de crottes de chien que plus personne n’est là pour balayer, pour dénicher un repas fade dans la rue à touristes. Puis nous avons mangé deux fois dans le seul resto ouvert à moins de deux kilomètres. La bouffe n’était pas terrible, le personnel criait trop fort et sur le mur à côté de notre table, il y avait cette dédicace: Fribourg-Gottéron, septembre 2023.
  • Déniché un peu d’animation et de gaieté en longeant les ponts et bords de rivières illuminés et colorés, le soir. On s’est acheté un moment de paix en offrant aux filles trente minutes de tours en voiturette électrique lumineuse sur les quais. Elles se sont éclatées (heureusement, pas dans un mur).
  • Regardé chaque soir les « chourchouris » sous le vieux pont de pierre des remparts de la cité, avec Judith. Si on ne prête plus vraiment attention aux rats ni aux chiens errants, Judith demeure l’amie des animaux au sein de la famille. En marchant sur le pont, elle me confie: « Tu sais je m’ai tordu la chenille parque je m’ai choupé! » (en français de Suisse, « s’achouper » signifie s’encoubler).
  • Visité la citadelle impériale, sans Louise, restée à l’hôtel en raison d’une crise familiale assez conséquente… La visite était sans doute intéressante, mais nos esprits étaient « englués » par l’abandon momentané de l’élément perturbateur du jour: notre pré-ado en manque de sommeil.
La cité impériale
  • Exploré les environs en scooter pour visiter deux des tombeaux impériaux: Le tombeau de Khài Dinh et son architecture minérale, puis l’immensité des jardins du tombeau de l’empereur Tu Duc (à prononcer comme « trou d’uk » avec l’accent vietnamien, pour un effet plus réaliste, d’autant plus que tous ces empereurs augmentaient les impôts du peuple pour se payer des tombeaux indécents). Puis s’arrêter là où la route nous mène, comme au Temple de la littérature, au coloré village de l’encens, le long de la rivière des parfums ou à la Pagode de la dame céleste. Presque partout (sauf à l’arène des tigres et des éléphants, où on a dû escalader la barrière), il y a du monde… beaucoup sont des familles Vietnamiennes, en tenue traditionnelle ou costard du dimanche, venues faire des photos. Ce sont les mêmes que l’on retrouve à balancer leurs déchets de nourriture sous les tables des restos locaux, leurs chaussures vernies dissimulées sous le monticule de détritus qui tapisse le sol… La classe à la Vietnamienne! On se concentre et on respire dans la circulation folle et bordélique (surtout le soir, dans les embouteillages) ou en dépassant les vendeurs de ballons de baudruche en scooter (qui ressemblent à la maison du film « Là-haut » sur deux roues, au milieu du trafic) pour ne pas se choper un Hello Kitty ou Spiderman gonflable dans le rétro. Et pendant ce temps, Judith chante à tue-tête pour couvrir le son des Klaxons.
Le temple de la littérature
 Le tombeau de l’empereur Khài Dinh
Le tombeau de l’empreur Tu Duc
 La Pagode de la dame céleste
Le village de l’encens
L’arène des tigres et des éléphants
La voiture de Thich Quang Duc qui figure sur la pochette de l’album éponyme des Rage Against The Machine
  • Mangé des glaces au « Sô co la » comme mentionné sur l’emballage. Elles sont meilleures que les gaufrettes au fromage de la marque « Castella », absolument pas made in Intyamon.
  • Atteint des sommets d’engueulades et de « divorces quotidiens ». Je l’évoque afin d’être totalement transparente sur la réalité d’une telle expérience: tout n’est pas toujours facile et drôle. Voilà quatre mois que nous explorons (en situation de voyage, ce qui n’est pas comparable à des vacances) les limites d’une dynamique à quatre qu’il faudrait pouvoir réguler à deux. Or, avec nos deux filles omniprésentes du réveil au coucher, nous manquons de moments de débriefing entre adultes. Si chacun de nous quatre parvient occasionnellement à s’octroyer un petit moment seul, il n’y a pas moyen de se retrouver en couple pour régler les couacs. Les tensions s’accumulent et en situation hostile, les nerfs sont à vif… Cela devient pesant pour tout le monde. Après une « séance de crise » en famille, à la table d’un café, chacun repart avec des clés de compréhension et de résolution pour la suite de l’aventure. Et on compte bien ne pas se laisser démonter pour si peu.
  • Accueilli avec politesse tous les trucs à manger que tout le monde offre aux filles, partout où on va. Même si cela signifie souvent devoir remplir son sac de galettes de Durian ou des pâtes de fruits au fromage, ou encore d’avaler sous les yeux de l’assistance, à jeûn et sans sourciller, 200g d’une obscure purée sèche, dense et collante au goût de haricot cru sucré, parce que Judith avait cru que le monsieur lui offrait un flan à la vanille pour le petit déj.
  • Pris un bus parti avec deux heures de retard pour rejoindre le Parc national de Phong Nha. Malgré un évident déficit d’organisation de la part de la compagnie de transports (tchieu le bordel!) où nous attendons le départ, nous parvenons à jouer des coudes et nous faufiler dans les trois dernières couchettes du bus rempli de backpackers.

Phong Nha

Lancés au bord de la route à 22h, nous nous trouvons au milieu d’un bled endormi, à 2,5 km de notre homestay, les sacs pleins et le ventre vide. Par chance, nous parvenons à contacter le gars de notre logement qui vient nous récupérer en voiture (un peu éméché, car il était en train de boire des binches avec ses potes sur la terrasse, mais c’est ok, il a pris les petites routes…). Il nous propose de nous cuisiner vite-fait une soupe, on n’aurait pas rêvé mieux. Dans la pénombre, j’aperçois au loin deux jeunes françaises avec qui nous avions échangé quelques mots, nous étions dans le même bus et elles ont l’air sympa.

Le lendemain, au petit déj, nous faisons plus ample connaissance avec le couple de Françaises. Elles s’appellent Daphné et Manon et sont Bretonnes. Elles ont terminé leurs études en Arts plastiques il y a deux ans. Depuis, elles ont travaillé comme saisonnières en station, puis dans un camping perdu en Corse. Elles ont mis un peu d’argent de côté pour s’acheter un camion, dans lequel elles vivront à leur retour de voyage. Elles sont parties pour trois mois. Au Vietnam depuis trois semaines, elles prévoient de rejoindre le Laos par Dhien Bien Phu, puis le Cambodge. On discute de ce que nous prévoyons d’explorer dans les environs, puis on décide d’y aller ensemble, pour se partager les frais… et aussi parce que le courant passe bien.

Durant notre séjour à Phong Nha, nous avons:

  • Visité les grottes de Phong Nha (en bateau puis à pied). La plus grande rivière souterraine du monde se trouve ici. Les grottes sont splendides, les cavités et concrétions sont impressionnantes. Daphné et Manon, qui partagent l’excursion avec nous et sont passionnées de grottes (chacun son kiff, on n’est pas là pour juger, et ça ne nous empêche pas de chercher les brocolis et les zizis ensemble parmi les stalagmites…) nous confirment que nous ne sommes pas « sur de la petite grotte standard ».
  • Fait un tour en scooter dans le Parc national, pour occuper la fin de journée. L’immensité du relief recouvert de jungle pour seul paysage nous a presque fait oublier le froid et le ciel qui se chargeait de gros nuages obscurs, tant la verdure emmitoufflée dans un cotonneux brouillard était apaisante à regarder. Ici, au détour d’un virage se dresse un modeste et discret monument, en hommage aux victimes de la piste Ho Chi Minh. Ce large passage qui reliait le nord au sud du Vietnam pendant la Guerre, longeant le Cambodge et le Laos, passait par ici, dans cette jungle pour seul paysage, pour seule protection.
  • Coaché Daphné et Manon pour leurs débuts en scooter, sous une pluie battante, durant toute une journée. La veille, on s’était mis d’accord pour aller ensemble à la grotte du Paradis. Le montant du taxi étant trop élevé même en se partageant les frais, nous escortons le scooter des deux copines, rassurées par notre présence et leçons de conduite. Ce jour-là, la météo avait vraiment décidé de nous mettre la misère… Mais une tempête de pluie n’arrête pas si facilement deux Bretonnes et quatre Gruériens: munis de splendides pèlerines en plastique par-dessus nos k-ways, nous avons bravé le pire, trempés mais le sourire et le style étincelants! La grotte est un vrai « paradis » et on y reste un long moment (en plus, ici on est au sec). Au retour, Seb doit s’arrêter plusieurs fois pour un problème de béquille (celle du scooter) qui tombe et qu’il finit par ficeler avec une liane.

Louise raconte comment elle et Judith ont « occupé » le trajet sous la pluie, inspiré par l'ambiance ténébreuse du brouillard et de la forêt: on a « croquisé » un… FILM 🎥! Et je vous le présente… Les scooters 🏍️ de la mort ☠️ (dans les grottes du paradis!): Dans le brouillard 🌫️, Judith, Louise et leur père, Sébastien roulent en scooter sur la route… DÉFONCÉE! Des arbres, des buissons et… DES MILLIERS DE COUSINS MACHINS LEUR COURENT APRÈS.

Le trio a beau rouler à fond les ballons, les cousins machins vont plus vite! Soudain, au bord de la route, une grotte. Aussi rapides que l’éclair au chocolat 😋, il se réfugient a l’intérieur. Malheureusement, la première chose (ou personne) qu’il voient, c’est… le diable 😈… AAAAAAHHHHH!!!!!!!! Hurlent ils en s’enfuyant plus loin. C’est ici qu’ils ont compris que c’était en fait la grotte de l’enfer. Louise est la première et reste scotchée devant ce qu’elle voit… une pique avec une tête…Ils courent. Plus vite que jamais. Quand soudain… ROOOOAAAARRR! Un ours surgit de nulle part.

Ils courent courent courent courent. Et soudain, tous les trois se réveillent avec Pauline… qui leur tire les oreilles!

  • Apprécié cette rencontre avec Daphné et Manon et les moments partagés qui nous ont oxygénés. Louise et Judith étaient même attristées que nos routes se séparent, au moment de se dire au revoir. Louise les a trouvées « vachement stylées » et « inspirantes », elle aurait aimé pouvoir discuter avec elles quelques jours encore.
  • Séché nos habits et chaussures au sèche-cheveux afin de les réempacter le lendemain, pas vraiment secs mais plus vraiment mouillés. Depuis et face aux frimas de l’hiver, Seb a développé une petite addiction… au sèche-cheveux. Chaque jour, il chauffe nos lits, nos vêtements, nos pyjamas… Du moment qu’il dégaine, aucun truc froid ne résiste à l’homme qui foehne plus vite que son ombre.

Ninh Binh, la Baie d’Halong terrestre

Il pleut. Il fait gris. Un temps parfait pour passer une journée dans un bus-couchette à destination de Ninh Binh (la baie d’Halong terrestre). Le bus nous prend avec une heure de retard: standard. Répartis dans deux larges couchettes du convoi VIP, nous profitons du trajet pour planifier un peu la suite de notre voyage au Nord du Vietnam, puis à Bornéo, où des amis nous rejoignent pour quelques jours. Le bus nous dépose à 1,5km du centre à 19h. Louise, fidèle à elle-même, oublie sa veste dans le bus qu’on réussit de justesse à intercepter lorsqu’il fait demi-tour pour récupérer l’objet oublié numéro 218.564… On fait le trajet en schlaps-chaussettes (nos baskets sont encore mouillées de la veille) jusqu’à notre Homestay: c’est jour de fête, notre chambre est équipée d’une clim réversible (on peut chauffer et finir de sécher nos affaires).

Durant notre séjour à Ninh Binh, et malgré une météo pourrie, nous avons:

  • Déjeuné avec des bowls et des jus détox qui nous ont coûté plus cher qu’une nuit d’hôtel.
  • Loué des scooters pour se balader dans les environs. Nous avons pu nous rendre à un guichet Western Union et retirer les millions qui devraient nous permettre de pallier à nos besoins financiers jusqu’à la fin du Vietnam. Contraints par la pluie, le froid et le brouillard épais, nous avons renoncé à faire les classiques excursions en bateau, sans doute splendides en période de beau temps. D’après les échos que nous avons eu des locaux, cette année l’hiver (au nord il y a quatre saison, contrairement au reste de l’Asie du Sud-Est qui est rythmé par une saison sèche et l’autre humide) est particulièrement rude, avec d’inhabituelles longues périodes de moche et de froid très froid.
  • Visité l’ancienne capitale « Hoa Lu », puis une réserve naturelle où nous avons roulé longuement sur une digue et à travers les campagnes à la recherche des oiseaux cachés dans la brume.
  • Roulé jusqu’à la plus grande pagode d’Asie du Sud-Est qui se dresse au loin dans le paysage karstique, transperçant le ciel par sa démesure. Nous ne l’avons pas visitée, car nous sommes arrivés trop tard. Sur la route, on regarde les paysans à l’œuvre dans les rizières, les panards plongés dans l’eau froide. Les préparatifs pour la prochaine récolte de riz vont bon train, les plantons verdissent sous les serres, les sols sont inondés et brassés à la force des motoculteurs, pilotés par des hommes « en tract-surf » sur un bout de planche. Les femmes en chapeaux coniques ont la plante des pieds gercés et le visage croûté par le climat. L’une d’entre elle s’accroupit pour pisser, le clair de lune dégagé au milieu de la plaine où il est impossible de se dissimuler. On fait semblant de ne pas l’avoir remarquée. Partout, on aperçoit des cimetières chrétiens, de grandes étendues de pierres tombales taillées dans le karst. Il y a des églises, que dis-je, d’indécentes cathédrales kitchissimes qui nous crèvent les yeux là où il n’y a rien à voir. Et au bord de la route, les cadavres de chèvres démembrées allongées sur des étals se vendent comme des petits pains. Certaines n’ont plus que la tête, ensanglantée avec la langue tirée… Cela donne faim à Seb qui optera pour une soupe à la chèvre parfumée pour souper.
  • Fait du lèche-vitrine (sans les vitrines) dans les magasins d’habits « tombés du camion » pour connards des Alpes ou touristes mal équipés pour le froid. Il faisait vraiment trop moche pour faire autre chose que se promener dans les magasins.
  • Mangé des crêpes et des gaufres et bu des thés au gingembre, à la citronnelle et au miel pour se réchauffer l’âme et soigner la crève de Seb.
  • Récupéré notre lessive: elle était propre et n’avait pas senti aussi bon depuis une éternité. Cela a fait le bonheur de toute la famille, défilant à tour de rôle pour se comparer l’odeur des chaussettes. Notre quotidien de vagabonds est up-gradé par ce genre de plaisirs qui « à la ville », nous paraissent insignifiants. Ceci nous évoque les propos de Sylvain Tesson dans une interview, à propos du « luxe de la relativité »: https://m.facebook.com/story.php story_fbid=1427548234444268&id=210014829436068
  • Pris un minivan dans lequel nous étions seuls avec un gentil Monsieur Vietnamien pour rejoindre Mai Chau, là-haut dans les montagnes, en quatre heures de routes embrumées.

Mai Chau

Mai Chau est le chef-lieu d’une région de montagne peuplée de minorités ethniques, principalement des « Tay ». Ici, ce sont plus précisément des Tay blancs, qui vivent de l’agriculture et du tissage traditionnel réalisé par les femmes. Tout comme les Hmongs (qui peuplent les montagnes un peu plus au nord), la plupart des femmes portent au quotidien l’habit traditionnel fait de couches de jupons colorés, de pompons flashy et de foulards tissés dans des teintes presque fluo. Ils habitent des maisons en bois sur pilotis qui ressemblent à celles que nous avons pu voir dans les tribus du Nord du Laos. Nous logeons chez l’habitant, qui nous « surclasse » dans une chambre avec vue sur les rizières et salle de bain privative. On se les pèle: 15 degrés dans la chambre. Evidemment, aucune maison n’est chauffée, mais surtout ce sont de vraies passoires faites de bambous et de tressages… On mange dehors, sous l’abri, en superposant les couches d’habits pour lutter contre le froid humide qui nous transperce. Heureusement, on peut toujours compter sur Seb et sa foehnomanie au moment d’enlever les doudounes et se glisser au lit!

Les plantons de riz attendent sous les tunnels en plastique 

Nous nous sommes rendus à Mai Chau en espérant y trouver des transports pour poursuivre notre route à travers les montagnes Vietnamiennes. Or, il n’y en a pas (des routes il y en a, mais pas des bus). Toutes les liaisons se font au départ d’Hanoï. Pour être « autonome » dans les déplacements, les rares touristes qu’on a croisés ont loué des motos ou voyagent avec un guide local et chauffeur privé. Assez rapidement convaincus que le trip à moto n’est pas vraiment « météo-famillo-compatible » et n’ayant ni les moyens ni l’envie d’être guidés par un « Golum » local, nous trouvons une solution alternative. A la fin de notre périple à Mai Chau, nous descendrons à Hanoï, avant de reprendre la route le lendemain avec une voiture louée.

Durant notre séjour à Mai Chau, nous avons:

  • Apprécié la qualité des plats qui nous ont été servis par la famille sur un grand plateau à se partager. C’était agréable de ne pas avoir à choisir et que tout soit une bonne surprise. Des rouleaux de printemps, nuggets de poulet, porc caramélisé, émincés de poulets à différentes sauces, légumes, omelettes, salades et riz: tout était bon. Seb a même eu droit à quelques verres à limonade de « Happy water » (l’alcool de riz), servis en guise de bienvenue, du premier au dernier soir.
  • Demandé à louer deux scooters. Deux types en bottes embourbées ont rappliqué des champs pour nous emmener chez le loueur de deux-roues, Seb et moi. Les filles ont attendu sagement une trentaine de minutes devant le Homestay, à côté du métier à tisser, qu’on vienne les rechercher depuis l’autre côté de la vallée.
  • Roulé jusqu’à un lac dont on n’a renoncé à faire le tour tant on était frigorifié. On a préféré aller voir la cascade, car il y avait des marches à descendre et à remonter pour se réchauffer.
  • Visité le village traditionnel de « Lac Village ». Les rues sont bordées d’échoppes dans lesquelles les femmes vendent leur tissages (et les classiques gadgets touristiques). Depuis quelques temps, je ressens un peu la nostalgie de certains gestes de mon premier métier (tapissière-décoratrice d’intérieurs). Certains tissus confectionnés par ces femmes me tapent à l’oeil et ravivent mon envie de ressortir mes outils et vieux fauteuils, à mon retour à la maison. On repère certaines pièces, qu’on reviendra négocier le lendemain. De retour dans la rue de notre Homestay, nous allons voir des villageoises, affairées à leurs métiers à tisser, hors du passage touristique. Nous leur achetons quelques lés de tissus aux motifs ethniques colorés… puis l’une d’elle prend du temps pour s’asseoir face à l’ouvrage avec Louise. De ses mains qui ont l’air plus vieilles que son visage, elle lui apprend à tisser un morceau à quatre mains… Voici tout ce que j’ai appris: D’abord, que préparer le métier à tisser est plus dur que de tisser! Puis elle m’a montré comment tisser. Il y a un genre de planche en bois 🪵 qui tient les fils écartés pour pouvoir passer/lancer un machin en bois qui tient une bobine qui se déroule (maman m’a dit que ça s’appelle une navette) et du coup, ça tisse. MAIS pour pas que ça fasse un caca boudin, il y a un AUTRE truc en bois accroché aux fils (comme un racloir) qu’il faut faire glisser d’un coup sec plusieurs fois pour coller le fil 🧵aux autres. Après, il faut appuyer sur une des deux pédales (en bois, elles aussi) qui servent à inverser les fils de chaîne (c’est les fils qui vont dans le sens de la longueur du tissage). Le fil qu’on lance avec la navette pour former les motifs s’appelle le fil de trame.
  • Fait le marché du dimanche matin à Mai Chau. Au milieu du rassemblement de paysans des montagnes environnantes, nous étions les seuls étrangers. Sur les étals, les têtes, boyaux et queues de boeufs font concurrence aux serpents de rizières qui tortillent du cul dans les bassines. Les écailleuses nous sourient, timidement. On achète des pantalons de rechange pour les filles et des clochettes à bétail chez le ferrailleur. Seb en aura sûrement l’utilité, lorsqu’il s’agira de donner vie à un projet musical construit autour de ses enregistrements sonores (les premières compos prennent forme, et une forme plutôt cool, je trouve!).
  • Marché à travers les rizières pour rentrer au Homestay, après avoir rendu nos scooters à Lac Village. A mi-chemin, au milieu des champs, il y a une super place de jeux, avec trains à crémaillère, tyroliennes, bob suisse et… obus rouillés décoratifs (probablement ceux qui ont été déterrés du terrain au moment de construire la place de jeux). Une belle métaphore à l’éducation positive: l’obus sur mineurs.
  • Planifié notre itinéraire pour une semaine de road-trip dans les montagnes, réservé des logements et négocié la réservation de la voiture. Puis au matin, nous avons pris un minivan avec chauffeur nullissime pour rejoindre Hanoï.

Arrivés à midi dans la capitale avec la nausée du transport et la crève grandissante de Seb, nous avons profité du reste de la journée pour faire des trucs utiles:

  • Nous avons fait changer les verres des lunettes de Louise car elle a la vue qui a baissé. Cela nous a pris 30 minutes et coûté une somme dérisoire pour deux verres (40 balles pour la qualité supérieure, made in Japan, bien mieux que les verres chinois, d’après la vendeuse!)
  • Nous avons donné l’appareil dentaire de Louise à réparer chez une dentiste spécialisée dans la pose de couronnes… On l’a laissé là-bas (l’appareil seulement, sans la bouche de Louise, elle, on l’a prise avec nous!) le temps de faire notre tour dans les montagnes, et si tout va bien nous le récupérerons dans une semaine, réparé et transformé en princesse (avec une couronne).
  • Nous avons laissé Seb rentrer se reposer et se soigner à l’hôtel. Pendant quelques heures, les filles et moi nous sommes baladées en ville, avons bu un thé, repéré une boutique pour se racheter des pulls puis sommes passées dans deux agences afin de récolter des informations sur les croisières dans la baie d’Halong. Enfin (selon Judith qui a eu vraiment peur de ne jamais revoir son papa), nous avons récupéré un Seb tout ressuscité grâce à sa sieste et ses panadols à la caféine. Il nous a offert une tournée générale de pulls chauds puis des pizzas pour souper…en prévention. Car dès demain, là-haut, dans les bleds de montagne, on ne sait pas ce que qui viendra remplir nos estomacs.
15

En direct d’un transat en rooftop, sur un bateau de croisière dans la baie d’Halong, ici Pauline. Le reste de l’équipe ayant déclaré forfait face à la fatigue, il sieste deux étages plus bas, dans la cabine avec vitrine sur mer. Je suis seule au sommet du navire. Seule, entourée par les rochers en collerette et le paysage de carte postale. La grisaille et le froid prêtent au lieu des airs de fjord norvégien. Plongée dans mon carnet de notes (à défaut de l’eau de la baie qui me paraît bien trop froide), une clope au bec, je me mets bien. Il fait froid, mais je me suis emballée dans ma doudoune et j’ai mis des chaussettes dans mes Birks. Et puis, surtout, il n’y a personne ici. Les conditions pour écrire sont idylliques et suffisamment rares pour être savourées. Je sors l’i-pad de sa housse, le déplie avec le clavier face à moi, prends une grande inspiration d’air marin, et déverrouille l’écran… Plus de batterie. Merde.

Cugnée contre Louise, une demi-fesse sur le matelas, j’ai pu brancher l’engin. Je m’y remets. Face à nous, la baie (vitrée) avec vue sur la baie (d’Halong), agrémentée de nos fringues qui sèchent, accrochées à la tringle à rideaux et au ventilo. Mais avant de m’attaquer au récit d’ici, je vais raconter ce que nous avons fait là-bas, dans les montagnes du nord.

De Cao Bang à Sa Pa, roadtrip dans les montagnes

Après avoir passé une nuit à Hanoï (pour rappel: afin d’y louer une voiture pour repartir pour une semaine sur la route dans les montagnes), nous nous réveillons avec le ventre qui se tord et le caca qui presse. Rien d’affolant. On est à 5/10 sur l’échelle de la diarrhée. A ce stade, on ne parle pas de tourista, mais plutôt d’un coup de mou. Disons qu’on est plus sur du traitement préventif au carbo-levure que sur la fermeture complète des vannes à l’immodium. Le roadtrip devrait bien se passer.

Une heure plus tard, un Grab nous dépose à l’adresse que nous a filée le loueur de bagnoles. On décharge nos sacs et le Grab s’en va. Merde, c’est pas la bonne adresse. Merde bis, mon téléphone a glissé de ma poche et est resté dans le Grab. Merde, Seb rappelle le Grab, puis rappelle le loueur de bagnoles, tous deux ne parlent que Vietnamien. Le loueur de bagnoles renvoie la bonne adresse. Seb GUEULE parce que ça commence à faire beaucoup à gérer en même temps avec trente kilos sur le dos. Le Grab reviendra dans trente minutes avec mon téléphone, Seb arrête de gueuler, le Grab revient, le Grab est libre, on réouvre le coffre pour remettre nos sacs, on referme la popoche de la veveste pour ne plus y perdre le téléphone et on reremonte dans le Grab pour rereretourner à l’autre bout de la ville, chez le loueur de bagnoles... Ok, ça n’a pas super bien commencé (plus tard dans la journée, j’oublierai et retrouverai également mon sac, resté une trentaine de minutes peinard sur le dossier d’une chaise d’un café). Cependant, relevons le positif: nous sommes en Asie, les vols sont inexistants et les gens sont sincèrement bienveillants. Et puis surtout, pendant tout ce temps, aucun d’entre nous n’a eu besoin de chier.

La remise des clés de la voiture prend des plombes. Seb est en lutte contre les injustices des taxes banquières et le loueur (ou plutôt son banquier) va nous prélever des frais sur le dépôt pour la bagnole. Après deux heures de débat stérile via Google translate, Seb abandonne l’idée de lui faire un cours d’économie d’entreprise pour premières années d’école de commerce. On va pouvoir aller découvrir notre automobile… et pas des moindres, puisqu’il s’agit d’un pick-up Chevrolet Colorado, couleur « rouge pute de mauvais goût ». Celui dont les pneus font deux fois la taille de Judith. Celui avec lequel on devrait facilement pouvoir remorquer le Titanic pour l’extirper du fond de l’Atlantique. Rapidement, on l’a baptisé Donald, le pick-up. Parce qu’il écrase tout sur son passage…

Nous quittons enfin Hanoi à bord de l’engin, en direction des montagnes. Ci-dessous, un résumé de notre itinéraire, jour par jour.

Jour 1: Hanoi - Cao Bang: Louise et moi profitons du trajet pour avancer le récit. Puis lorsque la route commence à faire suffisamment de lacets pour nous filer la gerbe, notre regard se détache de l’écran. Nous longeons des rizières en terrasse, encore en jachère à cette période de l’hiver. Tout le vert est gris et l’asphalte est « embojalé» par la glaise saisonnière. Les buffles et les chèvres paissent, se contentant des dernières brindilles à mâchouiller avant que le brûlis ne s’abatte sur les sols. Des habitations sommaires, faites de bric, de broc, de tôle et de sacs d’aliments trahissent la rudesse de la vie dans les montagnes. Et au milieu de la grisaille percée par quelques rayons du soleil couchant, elles nous apparaissent: les premières jupes colorées des femmes en tenues ethniques qui rentrent du travail aux champs. Nous passerons la nuit dans la cabane en bambou d’un Homestay dont le confort repose sur… des couvertures chauffantes.

Jour 2: Cao Bang - Dong Van: Après un déjeuner dégueulasse et le pire café du monde, notre mal de ventre est bien réveillé pour reprendre la route. Trois virages plus tard, Judith me rejoint à l’avant pour faire passer le mal des transports… Je me retrouverai finalement reléguée à la banquette arrière, pendant que Juju joue les co-pilotes. Les lacets se resserrent et les montagnes se raidissent au fur et à mesure que nous avançons. Il y a du monde sur les routes aujourd’hui: on dirait bien que c’est le jour du passage du camion-maïs (le camion qui achète le maïs pour le descendre en plaine). Nous croisons beaucoup de villageois (Hmongs, Tay, ou autres ethnies), à pied ou sur leurs deux-roues, vêtus de leurs habits traditionnnels et de leurs bottes en caoutchouc. Nous nous arrêtons boire un café ignoble chez un couple de petits vieux, dans une sorte de « chalet d’alpage » avec tapisserie en papier journal jauni et parfum d’intérieur arôme vieille gnôle et pipi de chat. Plus loin, nous nous arrêtons sur le bas-côté, afin de pique-niquer sur la ridelle du pick-up, comme des vrais rednecks. Le cul posé sur « la ridelle à Donald », on philosophe et on s’inquiète de la tournure qu’est en train de prendre le monde. Le cul posé sur la ridelle, en mangeant des Pringles au cœur des montagnes du Vietnam du Nord, nous les sentons si proches, les fantômes des bombardiers… Le capitalisme a encore frappé. Et dans deux mois, nous y serons parachutés. Pour l’heure, difficile de s’en réjouir, alors profitons encore un peu du brouillard, ici, à l’écart de tout.

Jour 3: Dong Van - Hà Giang: La pluie s’abat et ruisselle, zébrant la carrosserie encrottée, au moment de charger nos sacs dans le cul de Donald et s’abriter dans l’habitacle. Le taux d’humidité ambiant est à 3000 pour cent. Un brouillard à couper à la tronçonneuse nous blanchit la vision au-delà du capot. On roule au pas, fendant le mur de coton, durant une trentaine de minutes… Jusqu’à ce qu’on réalise que Louise a oublié sa liseuse à l’hôtel. Demi-tour pour la récupérer, puis demi-tour sur la route embrumée. Dans l’épaisseur de la « peuf » surgissent de temps à autre le foulard et les jupons colorés de femmes Hmongs, œuvrant à leur habituelle besogne. Ce jour-là, nous avons aperçu un sommet, peut-être deux, tout au plus. Cette région est « touristiquement » célèbre pour une boucle que l’on peut faire en moto. Conscients de la météo qui nous attendait, nous avons opté pour le confort de Donald pour faire cet itinéraire. Ce n’est pas le cas des troupeaux de motards bâchés dans du plastique que nous avons croisés. Les voir ainsi en groupes, à la file indienne et transis de froid nous conforte dans le choix que nous avons fait en louant une voiture. Quitte à ne rien voir, autant le faire en se déplaçant au sec! En route, nous nous arrêtons boire un thé au gingembre chez une femme Hmong. Son sourire ramène le soleil dans nos esprits. Elle nous apporte un ananas et regarde avec nous les filles qui s’amusent sur la balançoire. Plus tard, nous mangeons un Phò immonde (à se demander si la viande n’est pas du chien!) dans un relais routier crasseux, puis nous dormons dans deux chambres d’hôtel en se les répartissant de manière équitable: Seb prend la chambre sur le toit, « passoire à air froid » non-chauffée et qui ne ferme pas. Les filles et moi occupons la chambre à clim réversible (=qui peut chauffer) avec salle de bain glaciale ouverte sur l’extérieur et sans eau chaude.

Jour 4: Hà Giang - Bac Hà: Nous reprenons la route, avec une météo aussi mauvaise que le déjeuner de ce matin (des nems fourrés à rien et deux verres d’eau chaude). Le brouillard est épais comme un titre de Sunn O))) et il pleut des seilles. Le teint rougeâtre de Donald vire de plus en plus au « brun caca de bébé », il a de la merde dans les phares, mais il fait le job. Sans rien apercevoir des paysages, nous nous rendons à Bac Hà pour le marché ethnique qui a lieu le lendemain. Il n’y a rien d’autre à faire là-haut (ou alors admirer les paysages, mais comme on n’y voit rien…). En route, nous réalisons que nous nous sommes plantés: aucun marché n’a lieu à Bac Hà demain. Qu’à cela ne tienne, nous en dénichons un autre, à Can Cau (une trentaine de minutes de route depuis Bac Hà) qui semble plus authentique et moins fréquenté par les touristes. Nous passons la fin de journée dans notre chambre (un lit double pour les quatre, histoire de se tenir chaud!). Le Homestay est joli et la famille qui nous loge est très gentille. Les chiens et chats en demande de caresses font le bonheur de Judith et la bonne nourriture nous réconcilie avec nos estomacs.

Jour 5: Bac Hà - Can Cau - Sa Pa: Nous y sommes. A droite de la route, une femme avec ses trois buffles repart du marché, la fumée s’échappe des étals, les fripes côtoient les fruits, les dames ont revêti leurs plus belles broderies. A gauche, derrière le fossé, c’est le parking. Après un court temps d’observation, nous imitons la technique de parcage des autochtones: Donald traverse le fossé en roulant sur les vieilles palettes et s’enfile entre un tas de cailloux et quelques scooters. On ne croise que des habitants des villages: les quelques touristes que l’on aperçoit sont accompagnés de leurs guides. On échange pendant un moment avec l’un deux, qui s’étonne que des étrangers s’aventurent ici seuls. Selon lui, c’est plutôt inhabituel et courageux, sans connaître les codes ni la langue. Nous reconnaissons qu’il serait parfois confortable d’avoir un guide, ne serait-ce que pour pouvoir plus aisément communiquer et comprendre les gens et les coutumes. Mais ce gars et nous sommes d’accord: c’est un luxe qu’on ne peut pas se payer en voyageant comme des vagabonds. Touché par notre démarche de découverte de sa région, il nous conseille une activité pour le lendemain: une fête qui rassemble l’ethnie des Taïs noirs, dans les environs de Sa Pa. Nous passons plusieurs heures dans le marché. Nous y achetons des jupes Hmongs pour les filles (appropriation culturelle bonjour!), des semences de maïs noir et rose, du papier à dessin et des mini-mandarines. Nous traversons la « cantine » où de grandes tablées rondes se régalent d’une sorte de ragoût de cheval. Le sol est jonché de déchets et de mâchoires d’animaux, ça sent la mort et la vie à la foi. Nous restons longuement à observer les hommes qui achètent et vendent des oiseaux en cage: il faut être patient, attendre et écouter les chants… l’occasion d’une transaction semble plus sociale que pécuniaire, le rendez-vous hebdomadaire des mâles, l’équivalent de l’apéro à la déchèterie de Ferpicloz le samedi matin. A côté, compressés dans des mini-cages ou emballés dans des sacs d’aliments, les chiens, poulets et cochons se vendent avec moins de délicatesse que des petits pains.

Les filles sont bouleversées par les hurlements des porcelets, empoignés par les pattes arrières, et lancés d’un sac à l’autre… C’est l’occasion de thématiser de la condition animale, ici ou chez nous, de calmer la révolte de Louise en la confrontant à un « tu préfères » (tu préfères voir un cochon tenu par les pattes quelques minutes, une fois dans la semaine, qui passe sa vie en liberté autour d’une ferme de montagne, ou voire des milliers de cochons enfermés à vie dans une porcherie surpeuplée, sans jamais apercevoir la lumière du jour et le bout de leurs sabots immergés dans une marre de merde?). Puis avant que notre fille ne vire à l’anti-spécisme, on s’accroupît pour pisser derrière Donald et on s’en va pour Sa Pa.

Jour 6: Sa Pa et Ta Van Village: Nous avons passé la nuit en-dehors de Sa Pa (la ville, c’est un peu la Gstaadt ou Zermatt motorisée du coin). Notre incroyable chambre (Sapaxa Spring Ecolodge) avec écran-beamer et lampe à poulets pour se chauffer le cul dans la douche nous a coûté une bouchée de pain. Les prix sont bradés, à cette saison où il est inutile d’espérer voir un coin de rizière en terrasse à travers la brume. Nous y avons réservé deux nuits et n’avons jamais eu de literie aussi confortable de tout le voyage. Un luxe inespéré pour profiter de nos deux soirées «home cinéma »! Au réveil de notre premier matin ici, le soleil fait une apparition quelques heures. Nous nous rendons à Ta Van Village, où a lieu le rassemblement de Taïs noirs dont nous a parlé le guide rencontré hier. Sur la route, c’est le gros bordel. Les glissements de terrains encombrent la chaussée à de nombreux endroits et les villageois des environs se déplaçant en masse pour se rendre au même endroit que nous (en appliquant le code de la route vietnamien, c’est à dire mal conduire, klaxonner et forcer jusqu’à bloquer complètement le trafic). Personne ne régule la circulation et personne ne semble avoir suffisamment d’esprit pour débloquer la situation. Pour une fois, c’est Seb (et pas moi) qui perd son sang froid. Lui qui conduit, il se questionne sur les éventuelles défaillances cognitives liées à la consanguinité dans les tribus… Il s’énerve, se déplie et sort de Donald, furax comme un de ces kékés en bagnole tunée dont le bas de caisse a frôlé le gendarme couché de la rue de la Condémine, au moment où un malheureux scootériste râcle la carrosserie en voulant forcer.

Une fois Donald parqué, nous suivons la foule et descendons à pied, à travers les rizières en terrasse endormies. A nos côtés, les buffles broutent les déchets et les herbes flétries par l’hiver. En-bas, nous apercevons la « place de fête », sorte de bénichon campagnarde. Les champs se teintent de noir, comme pixelisés par les Taïs en habits traditionnels qui grouillent comme des mouches sur une bouse, formant une masse obscure, de part et d’autre de la rivière. On nous sourit parfois, nous ignore la plupart du temps, trop occupé à tirer des balles dans des canettes pour tenter de remporter une boisson énergisante. Les locaux mangent du cheval, de la saucisse sucrée ou du poussin grillé, festoient autour des jeux de kermesse ou du spectacle « scène ouverte » au milieu du patchi. La musique est assourdissante, la foule oppressante, la fumée des grills suffocante. Lorsque je me mets à l’écart un instant pour reprendre mon souffle, la vieille dame en charge du ramassage des poubelles vient s’asseoir à mes côtés. On échange quelques balbutiements d’anglais, on s’observe. Elle porte de grandes boucles d’oreilles en argent martelé et a la peau des pommettes poncée par le climat. Ses mains sont tâchées d’indigo, comme toutes les autres mains rencontrées ici. Les jeunes gars coiffés au bol se rassemblent pour frimer autour des pipes à eau pendant que les gonzesses gloussent en sirotant des « Bubble Tea » fermiers (un espèce d’obscur jus blanc dans lequel flotte des cubes gluants et fluos). On dirait bien que la fête est une des rares occasions de « dater », pour les jeunes des villages: les femmes mariées portent leur chignon bien haut sous leur coiffe, les autres sont des cœurs à prendre. Nous quittons la fête dans l’après-midi, pour aller boire un chocolat chaud Signature au Starbucks de Sa Pa, les pieds endjilés après avoir crapahuté pour remonter les rizières.

Jour 7: Sa Pa - Hanoï: Nous quittons Sa Pa au matin pour rejoindre Hanoï. Le trajet se passe comme d’hab: il pleut, il y a du brouillard, on ne voit rien et les gens roulent comme des culs. Nous aurons parcouru près de 1400 km dans les montagnes, d’un bout à l’autre du Vietnam, en longeant la frontière chinoise. Nous aurons bénéficié d’une bien belle météo de merde, du début à la fin. Nous nous y attendions, et avons donc axé notre roadtrip sur la rencontre ethnique plutôt que sur la découverte des paysages. Et avec un pincement au cœur, nous avons restitué Donald, sans qui nous n’aurions pas pu vivre cela.

Hanoï et la baie d’Ha Long

Après de longues minutes à galérer à trouver notre appartement, à la queue leu leu dans le dédale des ruelles derrière les ruelles entre les ruelles derrière les rues, nous posons nos sacs pour une deuxième round à la capitale. Durant ces quelques jours à Hanoï, nous avons:

  • Mangé de la streetfood, de la friture ou des soupes, recroquevillés sur des tabourets en plastique entre un trottoir et la chaussée. Ou mangé d’excellents plats Vietnamiens chez MET, une chaîne de restos que l’on retrouve dans plusieurs coins de la ville. Ou encore déniché des « burgers or the Beast », pour un montant de 666’000 dôngs.
  • Laissé du temps aux filles pour qu’elles puissent jouer dans leur espace, à l’étage de l’appart. Cela fait longtemps qu’elles n’ont pas eu « leur » chambre pour étaler leurs jouets ou faire du dessin. Elles nous ont même octroyé deux soirées d’affilée, ou Seb et moi avons pu régler des trucs administratifs sans interruption.
  • Dormi par pairs, sur des matelas durs comme de la pierre à même le sol… Un matin, j’ai cru devoir faire appel à une grue pour pouvoir me lever!
  • Fait des empruntes pour la réparation de l’appareil dentaire de Louise, car celui-ci n’a pas encore pu être réparé, contrairement à ce que l’on espérait. On ne se comprend pas (la dentiste parle trois mots d’anglais, mais pas le reste du personnel) et les échanges sont surréalistes.
  • Fait du shopping de souvenirs et d’articles tombés du camion pour envoyer en Suisse, avec le reste des affaires dont on souhaite se délester. Nous avons été étonnés de ne rencontrer presque que des vendeurs vraiment antipathiques et pas commerçants… J’ai par exemple dû faire cinq ou six magasins avant d’en dénicher un qui accepte (tout en me faisant bien comprendre que je demandais la lune) que j’essaie un jeans avant de l’acheter. C’est la première fois que nous sommes confrontés à une telle attitude en Asie (des gens pas sympas qui veulent absolument ne PAS nous vendre des trucs), c’est déconcertant et incompréhensible.
  • Ressuscité de nos désastres capillaires: Seb est allé chez le barbier, et moi dans un salon de coiffure qui à mon grand étonnement, a assuré avec ma tignasse! J’ai rajeuni et retrouvé un peu d’estime de mon apparence. J’ai découvert les cache-oreilles anti-taches de coloration, le bac de lavage en position couchée sur un vrai matelas et m’étonne qu’aucun coiffeur en Suisse n’ait eu cette idée de génie.
  • Sursauté aux coups de Klaxons lorsque nous circulons sur la route (puisque les trottoirs sont impraticables, encombrés par les scooters, les étals, restos et la vie quotidienne). Puis sursauté aux innombrables râclages de gorges et crachats provenant des abysses de l’humanité. Nous avons décliné poliment les milliards de propositions de « massage-massage », miaulées de part et d’autre de la vieille ville, et plus généralement dans tous les endroits touristiques d’Indochine. Et au milieu de la fourmilière urbaine, nous l’avons observée avec tendresse, la petite souris pieds nus qui se frottait la moustache.

Croisière à Lah Nha Bay (voisine de la baie d’Ha Long)

Un car nous chope à 7h du mat au coin de la rue pour nous emmener à la baie (environ 3h de route jusqu’au Port de départ des croisières pour Lha Nha Bay). La baie d’Ha Long étant l’un des endroits les plus touristiques au monde, nous avons opté pour une alternative plus calme et moins fréquentée, la baie de Lah Nha. De À à Z, on sent que l’excursion est huilée, tout est facile et accompagné, un véritable « déplacement pour les nuls »… Pour nous qui n’avons pas l’habitude d’être guidés et pris en charge, on se sent comme des enfants dans un camp de vacances! Alors on se prend volontiers au jeu de « la croisière s’amuse », sous la guidance de notre tour opérateur « Nemo » et son improbable look mullet déniché dans Stranger things. Nous avons réservé trois jours et deux nuits à bord. La vingtaine d’autres personnes qui partagent notre embarcation ne restent que pour une nuit. Nous avons donc un programme différencié pour le deuxième jour. Durant notre croisière, nous avons:

  • Partagé des repas avec une famille de Toulouse en vacances au Vietnam. Tout avait plutôt mal commencé avec eux, puisque le premier jour, Judith nous a foutu la honte en refusant catégoriquement de s’asseoir à côté du Monsieur « parke il a un nez de sorcière ».
  • Mangé de bons repas composés d’huîtres cuites, de crabes, de crevettes, d’une délicieuse soupe de courge et tout un tas d’autres spécialités de la baie. Bu des apéros sur le pont, en jouant au UNO.
  • Fait du kayak à deux reprises, histoire de remettre le pied à l’étrier après notre incident au Cambodge. Le temps était gris, l’eau était froide, les bancs de poissons volants qui jouaient à « saute kayak » avec notre embarcation ont fait hurler Louise, mais tout s’est bien passé. Judith s’est même endormie, couchée sur les jambes de son papa… Faut croire qu’elle n’est pas traumatisée! Louise vous raconte son aventure: « mamaaaaaannnnn? » dis-je. « Oui Louiiiiiiise! » « j’ai besoin de faire pipiiiii! 🟡 » dis-je. « Bah euh… ou peut aller là-bas 👉 où il y a papa! » me répond maman. Une fois là-bas, on se rend compte que « là-bas », c’est une plage EN COQUILLAGES 🐚 !!!!!!!!!!! 100% DE COQUILLAGES!!! A part 3cm de terre. « Tiens, prends mes tongs🩴! » me dit maman. Donc, je me lance. Soudain… suite au prochain épisode! mais non! je blague! donc… Soudain… une schlap glisse. j’arrive à tenir sur un pied pendant 3 secondes. Manque de bol (et d’équilibre), à cause de la panique 😱 et de mon « un pied🦶 » par terre, je tombe. Par réflexe, je me retiens en mettant mon pied par terre, sur les coquillages tranchants. Je lâche des « ayoyiyouyaaaah! ticitaaaaa! doudidoudaaaAAAAA! » en marchant vers le kayak 🚣🏼‍♂️. Quand je peux voir mon pied, je m’aperçois que j’ai CINQ COUPURES! en serrant les dents, 🦷je réussis à rejoindre le bateau 🛥️. Par chance, 🍀 une infirmière française est à bord. Elle est super sympa et elle me met des « pansements 🩹 de dépannage ». Ils tiennent pas très bien, mais ça joue.
  • Participé et remporté le cours/concours de cuisine où il s’agissait de rouler le plus beau Nem. J’ai gagné! Suivie de près par Seb. Quelle fierté que d’être et avoir si bien roulé!
  • Pêché des calamars, avec plus ou moins de succès (le premier jour, Louise a chopé le plus gros!) depuis l’arrière du bateau, les soirs après souper.
  • Participé au Karaoké par l’intermédiaire de nos dévouées filles, qui n’ont pas rechigné à interpréter plusieurs titres. Le deuxième soir, nous avons partagé le repas avec un groupe de copines Canadiennes (anglophones) en voyage. Elles étaient hyper cool avec les filles (jusqu’à chanter avec elles la Reine des Neiges au karaoké) et très tolérantes avec notre niveau d’anglais. Avec elles, Judith a enflammé le dancefloor et ambiancé la soirée.
  • Fait coucou au laveur de vitres qui nettoyait les fenêtres de notre cabine depuis un petit bateau. Heureusement, tout le monde était décent au de son passage.
  • Fait une excursion pour rejoindre un autre bateau de touristes dans la baie d’Ha Long, le deuxième jour. A bord, nous rencontrons plein de gens sympa, des français pour la plupart ainsi qu’une famille d’Indiens. Ce jour-là, Louise épate tout le monde, en suivant le mouvement de deux ou trois types peu frileux… Elle raconte: Quand j’ai vu les autres sauter à l’eau depuis le toit du bateau, ça m’a drôlement donné envie. J’avais une voix qui m’encourageait tandis que l’autre me disait l’inverse: « allez Louise, ton pied te fait moins mal, tu peux le faire. Rah! Mais non! L’eau 💧est froide 🧊 et l’air l’est encore plus. Tu vas crever de froid 🥶! Non mais Louise, je t’ai connue plus courageuse que ça! » etc… finalement (au bout de dix minutes au moins) , j’opte pour celle qui m’encourage. Je file me changer avec l’aide de maman, et environ 6-7 minutes plus tard, je m’apprête à enjamber la barrière pour sauter sans me péter la jambe. J’ai assez de bobos comme ça! Sans frimer, je trouve que c’est moins haut que ça en a l’air quand les autres le disent. Sous les « allez ma Loulou d’amour!💕 » de Judith, je me lance. J’ai un moment de panique dans les airs🌫️ parce que vu que je dois sauter loin, j’ai sauté en mode « écureuil 🐿️ volant (c’est à dire, presque couchée dans les airs) » et j’ai eu peur 😨 de me prendre un plat. Finalement, tout s’est bien passé, j’étais très fière (autant que j’avais froid) même si les pansements 🩹 s’étaient fait la malle.
  • Fait un petit tour à vélo « groupal » sur l’île de Cat Ba. Nous y avons visité une ancienne maison traditionnelle, avons traversé quelques villages et fait un arrêt dans un bassin à poisson bouffeurs de pieds, dont Seb et les filles ont profité des chatouilles.

Puis surtout, nous avons profité du splendide panorama, malgré une météo qui ne lui rendait pas honneur. Le dernier soir, nous avons même eu droit à une éclaircie, nous laissant ainsi profiter du premier coucher de soleil visible sur la baie depuis les deux derniers mois.

Retour à Hanoï

Nous sommes de retour pour un troisième et dernier séjour à Hanoï avant de quitter le Vietnam. Il nous reste quelques trucs pratiques à y faire (à commencer par l’appareil dentaire de Louise à récupérer) et à visiter. Ainsi, durant nos derniers jours à la capitale, nous avons:

  • Marché dans à peu près chaque rue de la vieille ville. Le quartier est organisé par « corps de métiers », on y trouve donc la rue des merceries, la rue des graveurs de tampons encreurs, la rue des quincaillers, la rue des ferrailleurs, la rue des couturiers-selliers… Et ainsi de suite. Nous, on loge à l’interesection de la rue des clopes et celle de l’alcool.
  • Bu un café un samedi soir dans la touristique « Rue du Train ». Cette rue est célèbre car les bâtiments et terrasses longent une voie de chemin de fer encore « active ». Nous avons assisté au passage du train et avons trouvé ça plutôt cool. Lorsque le convoi approche, une alarme préventive retentit dans toute la rue: les cafetiers libèrent alors les voies, plient les tables et chaises qui dépassent, nous somment de rester bien en place contre le mur pour éviter tout genou qui frotte. Le train surgit, siffle et nous frôle littéralement. On retient notre souffle et nos enfants afin qu’elles ne se transforment pas en Jamel Debbouze (ce serait dommage de ne pas pouvoir applaudir après le passage du train). Le train s’en va et les terrasses se vident jusqu’au prochain passage.. Nous suivons le mouvement, marchant en équilibre sur la voie ferrée, puis en chantant sous la pluie jusqu’à notre hôtel du vieux Hanoï.
  • Visité le Musée des Arts du Vietnam. Seb a joué les profs d’histoire de l’art en permettant à Louise d’analyser ses tableaux préférés… Les laques, gravures sur bois et sur laque étaient superbes. Beaucoup d’œuvres exposées ici racontent l’histoire du Vietnam d’avant la colonisation française jusqu’à la période Covid, en passant par les guerres.
  • Visité le Temple de la Littérature, ancienne école prestigieuse pour enfants Bourgeois ou HPI.
  • Visité une maison tube traditionnelle de la vieille ville. Jadis, les propriétaires payaient des montants d’impôts proportionnels à la largeur que leur maison occupait le long de la chaussée. Ainsi, les maisons historiques sont extrêmement étroites, comme un long couloir étiré sur la profondeur.
  • Pris du temps pour réserver des hôtels, vols et excursions pour la suite de notre voyage, afin de pouvoir profiter pleinement de la compagnie de nos amis durant notre première semaine à Bornéo.
  • Préparé notre paquetage pour la Suisse, en passant par la Poste Vietnamienne. La dame de la Poste nous aide à faire notre paquet et en contrôle le contenu en même temps. Pendant ce temps, les filles se courent après dans l’immense hall… et un type ronfle, endormi sur une table.
  • Mangé accidentellement du poisson-chat grillé en nous enfilant au hasard dans un resto sans carte, qui semblait proposer une sorte de charbonnade. Les filles se sont contentées de l’aneth et des nouilles. Quant à moi, le deuxième morceau gélatineux au goût de vase m’a tellement fait tendre le cou qu’il a eu raison de mon appétit. Seb a eu beau se donner du mal pour ne pas laisser de restes, lui aussi a abdiqué.
  • Mangé le souper le plus cher du voyage, dans un resto de rue, le cul sur un tabouret bancale (parce que posé sur une grille d’égoût recouverte d’un carton mouillé, sur lequel s’écoule le tuyau d’évacuation du jus de vaisselle) avec 3000db de techno dans l’oreille.
  • Cherché notre sommeil durant quelques nuits, hantés par quelques contrariétés liées à notre vie laissée en Suisse.
  • Fait laver les doudounes en espérant bien ne plus en avoir besoin avant d’être aux États-Unis.
  • Rendu visite à un vieux temple de quartier, dans lequel Judith a fait offrande de sa « tutu » à Bouddha. Ce geste symbolique auquel elle tenait beaucoup nous était sorti de la tête, jusqu’à ce que nous retombions sur « la réserve secrète de lolettes » en vidant nos sacs. Afin d’être certains de ne pas commettre une offense en déposant ledit objet sur l’autel, nous interrogeons la dame du temple, avec Google translate. Touchée par la démarche, la dame accepte et nous accompagne pour déposer la tutu à l’endroit approprié.
  • Visité le Musée de la femme Vietnamienne. Seb est scandalisé par si peu de considération du rôle et des droits des femmes dans la société Vietnamienne. Un étage est consacré aux femmes qui se sont battues durant la guerre… Un semblant de reconnaissance, pour sauver les apparences. Car en réalité, ces femmes n’ont jamais été reconnues au même titre que leurs homologues masculins. Au contraire, leur patrie les a totalement abandonnées à leurs vies sacrifiées, après la guerre.
  • Visité la Prison de Hoa Lo. Construite par les colons français afin d’y emprisonner les Vietnamiens opposés au système, la prison fonctionnait dans la digne lignée des autres que nous avons visitées, comme à Con Dao. Les détenus y étaient humiliés, torturés, et parfois même guillotinés. Durant la Guerre du Vietnam, les lieux ont été recyclés pour y enfermer les pilotes et parachutistes américains attrapés au vol. Le musée met en avant le côté « club med » des conditions de vie dans la prison pour les Américains, avec des photos de détenus fêtant Noël, jouant au basket ou faisant du dessin… Mythe ou réalité?

Puis nous avons quitté Hanoï aux aurores, pour prendre notre vol pour Kota Kinabalu, à Bornéo. Dans quelques heures, nous aurons retrouvé un climat tropical après un mois de mochitude hivernale. Après deux mois au Vietnam, nous nous réjouissons de changer d’horizon et surtout, de retrouver nos amis Benoît et son fils Alec!

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Troisième au classement des plus grandes îles du monde (après le Groenland et la Nouvelle-Guinée), Bornéo est partagée entre les états malais (Sabah et Sarawak), l’Indonésie (Kalimantan) et le Brunei (qui est un sultanat). C’est dans la partie «malaisienne » de l’île, dans la région du Sabah, que nous commençons notre exploration. Après deux avions (dont un dans lequel nous avons été témoins du malaise en vol de la femme assise derrière nous), un transfert sur les chapeaux de roues (à Kuala Lumpur), une journée de transport aérien avec Air Asia (chez qui le billet est presque donné, mais tout le reste se monnaie au prix fort, du microgramme de bagage à la bouteille d’eau servie par l’hôtesse de l’air), nous atterrissons à Kota Kinabalu.

Kota Kinabalu. 

Nos amis venus nous rejoindre pour quelques jours, Benoît et Alec, son fils de 5 ans, ont dû atterrir un peu avant nous. On le sait car durant notre escale à Kuala Lumpur (KL) nous avons réalisé qu’ils s’y trouvaient aussi, au même moment, avec le même chrono pour un transfert digne d’un sprinter Kényan. Si proches et pourtant si loin: 2,3km séparaient nos portes d’embarquements et nos vols respectifs pour Bornéo… Même pas moyen qu’on se fasse coucou par le hublot! On se remet en « mode avion » pour quelques heures avant d’être enfin réunis à la sortie de l’aéroport de « KK ». Nous sommes si heureux de retrouver nos potes et eux, sans doute si fatigués de leur long voyage depuis la Suisse. On trouve un coin fumeur (car en Malaisie, la politique anti-tabac est très stricte. La fumée est interdite à peu près partout, sauf dans quelques zones autorisées et bien délimitées où les fumeurs sont « parqués ». En cas d’infraction, l’amende peut s’élever à plusieurs milliers de dollars!) puis un taxi pour rejoindre notre appartement commun au centre ville. En chemin, les différences significatives d’avec nos dernières semaines de voyage s’imposent déjà, en commençant par le retour des températures tropicales. Il fait chaud et humide. L’odeur nous rappelle celle de l’Indonésie, sans la crasse. Les rues sont propres, calmes, silencieuses… Les chauffeurs savent conduite et les voitures roulent uniquement dans le sens normal et juste de circulation (ici on roule à gauche). Il n’y a presque aucun scooter sur les routes. Les gens semblent discrets, accueillants et… parlent tous anglais (merci à l’envahisseur britannique). On s’installe dans l’appartement où nous passerons les deux prochaines nuits, avant de partir pour une escapade de trois jours dans les montagnes, puis d’y revenir pour la fin du séjour avec Alec et Benoît. On va manger une morce chez le Chinois d’à côté, puis faire les courses à la supérette… Le Ramadan commençant dans deux jours (on est vraiment les Kings du timing!), il vaut mieux s’assurer d’avoir quelques binches au frais.

La diversité des origines ethniques, religieuses et culturelles de la population de Bornéo se constate au contact de ses habitants et… en se fiant aux panneaux qui indiquent les mosquées, églises, temples et pagodes. La population de l’île (hormis les dernières tribus primitives qui survivent encore au cœur de ce qu’il reste de jungle) est souvent originaire d’Inde, des Philippines, de Chine, d’Indonésie ou d’ailleurs. La Malaisie a cette richesse particulière que son peuple soit aussi mixte qu’un plat de « Nasi Lemak ». Les quelques touristes que l’on croise viennent principalement d’Asie (Chine, Corée, Japon, Vietnam). Rarement, on aperçoit quelques blancs-becs aux abords des « resorts » ou des cars de tours organisés.

Avec Benoit et Alec, nous nous sommes évadés trois jours de KK pour rejoindre le Parc national du Kinabalu, où nous avons logé tout près de Ranau. Pour nous y rendre, nous avons loué une voiture. Seb est parti la chercher à l’aéroport pendant que Benoît et moi on paquetait bagages et enfants. Puis Benoît a rejoint Seb qui avait oublié son permis, son passeport et sa carte de crédit (bienvenue dans mon quotidien de proche aidant pour déficients d’attention!). Cette fois-ci, on a chopé une bagnole de vieux, avec le replat sur le coffre. On l’a appelée « Claudy », parce que quand on a démarré, elle nous a annoncé que « today the weather is cloudy ».

Notre homestay dans la cambrousse est idéalement situé pour contempler d’en-bas le Mont Kinabalu, le plus haut sommet de Malaisie (dont l’ascension à laquelle nous avons renoncé est possible en deux ou trois jours). Nous logeons chez une pasteure protestante, qui a convié tout un groupe de collègues et copines d’église pour une retraite chantante dans la maison, en même temps que nous y séjournons. Ambiance céleste dans la cuisine partagée (ouverte sur l’extérieur et les insectes en tous genres, y compris les limaces qui viennent se planquer au fond des tasses qui sèchent sur l’égouttoir). Lorsque nos colocataires chantent les louanges matinales à Jésus, chorégraphie à l’appui, Benoît (béni soit-il), le « Benedictus de la plonge » nettoie la vaisselle au produit de douche pendant que je rends grâce au seigneur avec le balai… Une atmosphère religieuse qui nous sied à merveille.

Durant notre séjour dans les montagnes, nous avons:

  • Roulé à gauche, sauf une fois, quand Seb a oublié…
  • Voulu faire une balade dans la jungle, au départ d’un village à flanc de coteaux. On a trouvé le village, on a trouvé des chemins, mais on n’a pas trouvé la jungle. Alors on a admiré la vue depuis le « Poyet », puis quand tous les chiens ont commencé à nous aboyer, on s’est tiré.
  • Remarqué beaucoup de voitures abandonnées, comme si elles avaient été brûlées. On a demandé pourquoi à Chat GPT qui n’a pas su nous renseigner de manière fondée. Alors on a demandé à Seb GPT, qui a émis l’hypothèse qu’elles n’étaient pas brûlées, mais rongées par une sorte de mousse noire due à l’humidité. Conquis par sa légendaire perspicacité, on a validé.
  • Mangé des burgers au « beefcon » dans un resto musulman, le premier soir du ramadan. C’était au milieu d’une sorte de quartier commercial désaffecté, aussi peu rassurant que les normes d’hygiène du resto où l’on a soupé. Il y avait nous et trois chiens errants sur le parking. L’un d’eux avait les hémorroïdes qui rayaient le bitume… Seb a pensé que la fin du repas était le bon moment pour nous partager sa pensée: si ce chien a le trou de balle en chou-fleur, c’est probablement parce qu’il se nourrit exclusivement des poubelles du resto dans lequel on vient de manger. Inch Allah! Tout le monde a bien digéré.
  • Refait le monde avec Benoît, pendant que les filles et Alec jouaient ensemble. Leur présence a été un réconfort contre l’isolement, une bouffée de lien social revigorante. Louise a pu « décharger » ses émotions et se confier à son parrain, lorsqu’ils marchaient tous les deux. Il a su comment l’écouter, l’apaiser quand ses nerfs étaient à vif, la consoler. Nous avons parlé de la vie, de nos vies… Et échangé des trucs et astuces utiles comme « comment se torcher avec le jet, pour faire comme les locaux, sans se mouiller le slip ou le fond du short? »
  • Marché dans le parc national, entre le jardin botanique et différents sentiers dans la jungle… Au total, on s’est baladé sur environ 5km, mais comme on a emprunté des bouts de tous les trails qui figuraient sur le plan, on a laissé croire aux enfants exténués qu’on avait fait les cinq trails. On les a ravitaillés aux « Farmer et Blévita » apportés par Benoît pour les féliciter de leur bravoure. Puis on a voulu les récompenser en allant se baigner aux sources d’eau chaude… mais quand nous sommes arrivés, tout était fermé, sauf les baignoires publiques où viennent se laver les locaux (ces culs ferment à 14h mais se clament ouverts jusqu’à 17h sur Google maps). On a géré le drame en leur offrant un burger dans un bus aménagé en resto, ça a passé crème.
  • Observé une grenouille qui ressemblait à une feuille morte, des sangsues agrippées aux baskets de Benoît dans le gazon du homestay, des plantes carnivores (Nepenthes), et des insectes gigantesques comme un scarabée de la taille d’une main d’ex-bûcheron, un papillon de nuit, des scarabées et des sauterelles gonflées aux prot’, ainsi qu’une mante religieuse noire, venus nous rendre visite à la cuisine.
  • Grimpé au sommet de la colline du village, d’où il y avait une jolie vue sur le mont Kinabalu et les plantations environnantes. En-haut, les enfants ont fait de la balançoire et moi, reine de la souplesse en milieu hostile, j’ai pissé sur mes baskets.
Le Mont Kinabalu. 
  • Fait une croisière au coucher du soleil dans la mangrove (Tembara River Cruise) là où la rivière se jète dans la mer, à 45 min au nord de Kota Kinabalu, sur le chemin du retour en ville. Nous avons attendu que le soleil se couche sur la mer, en jouant sur le banc de sable blanc. Il a fallu sauver des « poissons suicidaires », déportés par les courants et échoués sur le rivage. Puis à la « deuxième volée », l’équipage du bateau (affamé par la fin de journée à jeûner pour le ramadan) a décidé de les ramasser pour leur souper. A la tombée de la nuit, notre bateau a remonté la rivière par un autre bras, tentant d’éclairer un éventuel crocodile qui passerait par là… Et dans les arbres qui bordent la rivière, on commence à distinguer le clou du spectacle: des milliers de lucioles éclairent la végétation, comme les guirlandes des sapins. « Ici, c’est tous les soirs Noël! » nous annonce l’équipage. Les enfants sont émerveillés. Judith pense que ce sont des fées! Alec trouve que c’est trop bien le bateau, surtout parce que lui, il n’oublie jamais de nous rappeler que ce qu’il préfère, c’est la mer. Délicatement, on s’amuse à les attraper, les lucioles… elles forment des lanternes au creux de nos mains, puis repartent comme des étincelles, le feu au cul, pour rejoindre leurs semblables.


Les milliers de lucioles.

Durant notre séjour avec Benoît et Alec à Kota Kinabalu, nous avons:

  • Acheté nos cartes SIM dans un magasin « Orange », en pensant qu’ici, « Orange » n’était pas encore devenu « Salt »… Or, « orange » n’a rien d’un opérateur de téléphonie… ils vendent des chips au Durian, des peluches de singes nasiques qui ressemblent aux 7 nains, et avec beaucoup de peine et d’application, deux cartes SIM qui nous dureront presque aussi longtemps que le temps qu’ils ont pris à nous les installer. Pendant ce temps, Benoît tente de « contenir » les gosses qui jouent à cache-cache dans les allées…
  • Déjeuné avec les pancakes de Seb (plus ou moins réussis selon le type de farine que l’on est parvenu à dénicher) tartinés de Nutella à l’huile de palme, ayant une forte co-relation avec la déforestation massive en Malaisie et à Bornéo. Pardon Bruno Manser, de ne pas avoir fait honneur à ton louable et inspirant parcours sur ce coup-là… On avait des gosses à satisfaire.
  • Fait le tour des marchés, à la découverte des saveurs locales. Nous avons été étonnés par l’ordre, l’hygiène et l’organisation qui y régnait… Hormis un rat qui fuit les coups de machette des bouchers derrière les étals de volaille, rien de dépasse. On voit (et on sent) beaucoup de poissons séchés, rangés en snacks dans des paquets propres, dans le marché Philippin. On prend une botte de citronnelle et du gingembre, pour se faire du thé. On achète des fruits: des ananas, des papayes, des fruits du jacquier trop mûrs, des « calamondins » (petits citrons verts à la chair orangée que l’on trouve en Asie), et des mangues jaunes qui semblent abonder en cette saison. Alec rechigne à manger des fruits, lui ce qu’il veut, c’est aller à la mer!
Night market de la plage de Tanjung Arun. 
  • Profité de la plage de la ville « Tanjung Arun » et de son coucher du soleil. Le long de l’immense bande de sable, la mer est à nous. Des mini-crabes sculptent le sable en le roulant en boulettes qu’ils disposent comme des mandalas. On dirait de la dentelle! On joue avec les vagues, on fait des châteaux de sable grâce aux jouets miniatures dénichés par Benoît au stand « t-shirts moches, schlaps et boissons halal » et on profite de l’eau chaude jusqu’aux dernières lueurs du soleil flamboyant. Puis on a mangé des brochettes satay et du maïs grillé au night market de la plage. Les gars ont bu une bière, servie en scred, dissimulée dans un sac plastique.
Crabe barboteur ou bulleur des plages de Bornéo. 
  • Validé la bouffe malaisienne (proche de la nourriture indonésienne, mais aussi Thaï, avec des plats inspirés de la cuisine indienne, chinoise ou singapourienne…). Nous avons tout trouvé bon, de la soupe de bord de route au resto à touristes.
  • Fait une excursion d’une journée de snorkelling autour des îles voisines de Kota Kinabalu (principalement autour de Gaya, la plus grande). Nous avons vu des tortues marines, des baracudas (un banc et un gros solitaire), des étoiles de mer bleues et des oranges, des coraux en forme d’amphores et des milliers de poissons colorés (dont Nemo, évidemment). A la surprise générale, Alec est à l’aise « comme un poisson dans l’eau »… Il enfile le masque de Judith et ne le quitte plus, il nous suit partout et n’a même pas peur. A la non-surprise générale, Judith refuse toujours catégoriquement de porter un masque pour regarder ce qui se passe sous l’eau… Elle me grimpe sur le dos et fait de l’hypocampe pendant que je m’émerveille du spectacle subaquatique. Au retour, depuis le bateau, nous avons même vu des singes nasiques (ceux qui ont le nez en forme de bite) se planquer dans les arbres. Bilan des coups de soleil pour le clan des « blonds de peau »: le dos de Benoît ressemble à un hexosquelette de langouste, et Judith et moi avons les fesses rôties.
  • Chillé une journée sur la plage de l’île Manukan. L’eau était transparente, le sable blanc, la plage ombragée par de grands arbres. Un décor vraiment « dégueulasse » pour ne rien foutre d’autre que surveiller les enfants qui jouent. Alec, fidèle à son masque-tuba, va chasser les coraux morts au fond de l’eau, pour décorer le château que Louise est en train de construire. Judith navigue entre l’un, l’autre et quelques clichés volés par les touristes asiatiques qui traquent et dégaînent plus aisément qu’ils pataugent un souvenir de ses yeux bleus.
  • Géré la nostalgie que nos retrouvailles s’achèvent déjà. Alec et Judith en ont été bouleversés. Alec exige que nous rentrions tous en Suisse, MAINTENANT. Judith ne comprend pas qu’ils ne restent pas avec nous jusqu’à la fin du voyage. Au moment de leur adresser un dernier au revoir de la main, en regardant leur taxi pour l’aéroport s’éloigner, Judith éclate en sanglot… De grosses larmes ruissellent sur ses joues, attirant les miennes à leur tour. A cet instant, j’ai l’ennui… Pas le mal du pays, je ne suis encore pas mûre pour rentrer au bercail. Mais je prends conscience qu’il y a encore un bout de temps à attendre avant de retrouver ceux qui nous manquent.

Après le départ de nos potes, nous sommes restés deux jours de plus à KK. Nous avons trouvé un appart plus petit, dans une résidence avec piscine. Comme nous avons un peu « flambé » le budget ces derniers jours, la pluie tombe à pic pour calmer nos élans (c’est la fin de la saison des pluies au nord de Bornéo, mais il pleut encore chaque jour). Nous profitons de ces deux journées pour régler des emmerdes helvétiques, ressasser nos tracas et planifier la suite. On alterne avec l’activité « piscine » quotidienne, les sorties au centre commercial IMAGO pour manger au sec et une balade dans la mangrove de KK, où nous avons vu un de ces « poisson-batracien qui vit dans la vase » (Periophtalmus), des Anhinga roux et quelques aigrettes. Les jolis oiseaux colorés, comme le Martin-pêcheur ou ces espèces de pigeons arc-en-ciel sont restés planqués sous le déluge. Au centre commercial, Seb offre à Louise le short en jeans de ses rêves, à condition qu’elle résolve le calcul du taux de change, en lui donnant son prix en francs suisses (c’est comme cela, qu’on fait l’école en voyage!). Dans l’entrée principale du luxueux mall, on assiste à une démonstration de danse tribale traditionnelle, avec des types en slip et pagne, couronnés de plumes gigantesques, qui dansent sur des bambous au rythme des percussions et des cris de guerre. C’était plutôt cool à voir, fallait juste faire abstraction de la vitrine Christian Dior en arrière plan… On s’est dit que ça devait être l’équivalent des joueurs de cor des Alpes au marché folklorique de Bulle pour les touristes Malaisiens.

Les danses tribales dans le centre commercial IMAGO. 
Mangrove de KK et poisson grenouille ou periophtalmus. 

Grâce à la piscine de la résidence pendant deux jours, et peut-être aussi parce la date de son anniversaire approche et que bientôt elle sera une « grande » de quatre ans, Judith a fait d’énormes progrès en natation. Louise raconte les exploits de sa sœur… Bon, d’abord, le commencement… on arrive à la piscine 🏊 et quand on se rend compte qu’on a oublié les manchons, on est déjà trempés. Dès qu’on l’annonce a juju, elle hurle « je veux les manchoooonns! LES MAN-CHONS! LES MANCHOOOOOOOOOOONNNNNNS!!!!!!!!!»! Finalement, papa l’oblige à aller dans l’eau💦. Elle pleure 😭 MÉGA FORT (en faisant des cris qui ressemble plutôt a des cris de cochon 🐷, comme sur les marchés de bétail au Vietnam!). Au bout de « je-ne-sais-plus-combien » d’encouragements du style « juju, tu as bientôt 4 ans! Tu es une grande ! », elle accepte d’aller SAUTER!!! Elle monte l’échelle, 🪜puis, une fois que papa est prêt, elle saute. Papa la rattrape et Judith rigole. Elle est fière, moi aussi. Un peu après, papa lui dit « maintenant, tu essaies de nager 🏊🏼‍♀️». Après quelques secondes d’hésitation, elle se lance, parvint a garder la tête dehors de l’eau 3 demi-secondes, puis, elle lâche sa tête qui tombe dans l’eau. Elle la ressort en refaisant des cris, avant de parvenir aux bras de papa. Quand je vois qu’elle ne sait plus où est le haut où est le bas, je l’imite et elle éclate de rire 😂. Et je tiens aussi à raconter mon exploit!: je me hisse sur les mains de papa, le compte à rebours commence… « 3…2…1… » je me lance en l’air, papa me pousse et me fait tourner, et j’atterris dans un gros « PLOUF! » . J’ai réussi mon premier salto arrière presque parfait (enfin, presque parfait, le meilleur quoi!)! J’en refais 3 tout autant bien. Je suis TROP FIÈRE!

Puis nous avons rejoint l’Est du Sabah jusqu’à Sandakan par avion (parce que c’est quasi le seul moyen de se déplacer dans l’île lorsqu’on n’a pas de voiture, pour un tarif dérisoire et une durée de trajet qui étouffent instantanément toute conviction écologique).

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Attention. Le pavé qui va suivre ne fait pas rêver. Cela n’engage que notre perception en visitant une infime partie de la Malaisie. Au risque de passer pour des niauches, on n’avait déjà pas trop kiffé Kuala Lumpur à l’époque, et on n’a pas aimé Bornéo.Nous avons eu besoin de passablement de lignes pour expliquer pourquoi mais nous avons essayé de rendre le texte moins chiant que notre quotidien ici.

Le Mont Kinabalu depuis l’avion et à droite, une bombe dans l’avion. 

Quarante minutes après le décollage, nous atterrissons à Sandakan, à l’Est du Sabah. Un transport aérien totalement aberrant pour nos consciences d’occidentaux attentifs à l’environnement, mais l’unique moyen de se déplacer pour les longues distances sur l’île… Il semblerait que les voyageurs solitaires trouvent parfois le moyen de se faire emmener d’un bout à l’autre de la province, voire même jusqu’au fond du Sarawak en montant dans un véhicule qui fait le trajet, mais c’est plutôt rare et à quatre, c’est une autre affaire! Nous logeons au « Backpackers hôtel » de Sandakan, une sorte d’auberge de jeunesse qui sent la naphtaline et la vieille transpi (l’odeur provient de l’humidité ambiante, de la tuyauterie douteuse des sanitaires partagés ou des deux quinquas « hippie-alcoolo » qui traînent leur gueule de bois et leurs sarouels sales dans les parages). Il y a des graffitis « souvenirs » sur tous les murs, alors Louise et Judith prennent leurs crayons pour laisser une trace à leur tour, sur les parois moisissantes de notre chambre.

Des crottes et des écrits de Judith et la catacarotte de Louise 

Elles font un parcours avec les altères et les tapis de gym du « fitness » aménagé dans le couloir, pendant que Seb et moi, on profite de l’atmosphère « féérique » des lieux pour organiser les prochains jours.

A Sandakan… 

Première étape: trouver un bon plan pour louer une voiture, sans quoi, nous serons vraiment limités dans nos déplacements. Puis dès le lendemain, rejoindre la rivière Kinabatangan et la dernière bande de Jungle qui la borde. Dans cette ultime parcelle de forêt originelle, quelques éléphants pygmées, des singes nasiques, des oiseaux (dont plusieurs espèces de calaos), et une poignée d’orangs-outans survivent, encerclés par les palmeraies, et se prêtent au jeu de la pose photo pour les touristes et ornithologues du dimanche, de passage en barque sur la rivière.

Le safari aquatique sur le fleuve Kianabatangan.

Nous réalisons que Bornéo n’est pas une région adaptée à un mode de voyage pour « backpackers indépendants à petit budget ». On croise assez peu de voyageurs au long cours, encore moins des familles, sans doute parce que visiter Bornéo « à bas prix » demande pas mal de débrouillardise et de concessions. Soyons clairs: c’est mission impossible. Par exemple, pour se rendre à notre prochaine destination « la rivière Kinabatangan », les cars attendent les touristes en vacances à la sortie de l’aéroport pour les emmener dans leurs « eco-lodges » luxueux, avec croisières-safari, excursions guidées dans la région et pension complète. Cette formule, organisée en amont, est impayable pour des voyageurs comme nous et il existe peu (ou pas, dans la plupart des endroits) d’alternative. Dans ce cas, nous avons trouvé un logement à prix correct dans le village de Sukau (Sukau Backpackers BnB) où nous pouvions manger (aucun resto dans la région en-dehors de notre logement et des quelques resorts, surtout en plein ramadan) et organiser nos excursions « à la carte ». Avec notre voiture louée pour 13 jours à Sandakan, dégotée chez un concessionnaire local (et pas les agences internationales qui demandent 50 balles la journée pour une poussette sans coffre), nous pouvons nous déplacer « librement » sur le territoire. Ici, la circulation est calme, les routes sont plutôt en bon état et les gens sont polis. De manière générale, les habitants que l’on rencontre semblent sur la réserve au premier abord, mais se montrent serviables, accueillants et sympathiques dès que l’on échange quelques mots. On en profite pour sonder la population locale à propos du danger subsistant à se rendre sur les îles au large du Sabah (à cause du risque important de kidnapping par les pirates philippins et de ne s’y rendre que pour des urgences, c’est ce que l’on peut lire sur tous les sites officiels qui recommandent vivement d’éviter la zone). Tous s’accordent à dire que le danger a été écarté il y a quelques années, en renforçant la sécurité sur et autour des îles jusqu’à venir à bout du chef des pirates. Cela suffit à nous convaincre de faire fi des recommandations périmées du DFAE pour aller explorer les fonds marins découverts par ce bon vieu Cousteau. Nous rejoindrons Semporna et les îles de la mer des Célèbes après quatre jours à Kinabatangan.

Le soleil se lève sur le fleuve Kinabatangan. 

Avant de faire le récit de nos deux semaines à l’est du Sabah, autant le dire tout de suite: nous avons déchanté chaque jour un peu plus de ce voyage à Bornéo malgré nos efforts à se concentrer sur le positif. Plus nous essayons de planifier la suite de notre voyage sur l’île, plus nous sommes confrontés à une incompatibilité de valeurs économiques, écologiques et sociales. Nos sentiments mitigés vis-à-vis du tourisme en Malaisie se confirment à regret: les images que l’on voit sur internet d’îles de rêve et d’une jungle luxuriante à la biodiversité rare sont de la poudre aux yeux, dissimulant (à qui veut bien refuser de la voir) une réalité accablante. Chaque jour qui passe ici nous file un peu plus la nausée, renforce notre « malaise » face à l’hypocrisie. Une omerta malsaine règne autour du désastre des palmeraies. Et puis, face aux conséquences irrévocables de son « développement économique », le pays se donne bonne conscience en « réservant » quelques tacons de forêt afin d’y maintenir un tourisme réservé aux « naturalistes » friqués prêts à débourser 300 dollars la nuit dans un resort qui a privatisé toute la réserve. Seb, qui a ressenti le besoin de décharger sur papier des observations documentées apporte en synthèse, quelques précisions forestières et des chiffres:

Les palmeraies à perte de vue. 

Dans la partie indonésienne de l’île, le wwf parle de 56% des forêts tropicales protégées qui ont été déboisées. Toutefois les chiffres sont confus. Sur l’île, il y a trois pays différents, comprenant chacun des régions et surtout… il y a « forêt » et « forêt ». Sans entrer dans les détails, il faut distinguer la forêt primaire de la secondaire. La secondaire a subi l’intervention de l’homme et ne remplit généralement plus toutes les fonctions de la première. Précisons sur les dimensions d’échelle spatiale dont on parle: en 20 ans, juste au Sabah (nord de l’île qui représente presque deux fois la surface de la Suisse et seulement 10% de tout Bornéo), c est une forêt primaire de la surface du canton de Vaud et Genève qui a été rasée pour une palmeraie. On ne parle pas d’une forêt secondaire qui elle, représente la destruction de la moitié de la Suisse. Les palmeraies ne sont pas un problème en soit, c’est leur ampleur et leur monoculture intensive qui sont une catastrophe.

Il y a également l’identité, l’habitat et la connaissance de certaines communautés qui disparaissent avec la forêt, comme pour les Dayak… Ou encore l’utilisation de produits phytosanitaires néphastes pour l’environnement et la santé. Le sujet est vaste et complexe à traiter avec des chiffres qui diffèrent selon les points de vue.

Avec une biodiversité hors du commun qui s’est mises en place sur des millions d’années d’évolution, il a fallu à l’homme quelques dizaines d’années pour l’anéantir. Aujourd’hui, il ne reste que quelques morceaux de puzzle sur une grande table jadis couverte par l’illustration d’un équilibre construit sur des milliers de générations d’animaux, de végétaux et d’hommes. Les dernières pièces du puzzle sont plus difficiles ou impossibles à exploiter pour l’huile, alors on les place sous tutelle de réserve forestière, montrant ainsi l’engagement pour protéger provisoirement les miettes. Ces derniers vestiges de la plus vieille communauté animale et humaine sont aujourd’hui entourés de palmiers prêts à avaler le reste.

Le bassin versant du fleuve Kinabatangan et sa plaine alluviale que nous avons visités est actuellement composé principalement de palmiers à huile. Les animaux se sont réfugiés sur une bande de forêt relictuelle plus ou moins étroite, le long de cette rivière. Les Orang-outans, éléphants, nasiques, calaos ou aigles se sont réfugiés sur ce dernier milieu naturel, qui à l’évidence est trop petit pour une conservation de la plupart de ces espèces à long terme. En attendants qu’elles disparaissent, elles font le plaisir des touristes en « traque ». Sans que cela puisse me rassurer sur l’avenir, ces touristes sont également l’un des dernier remparts à la préservation de ce reste d’Éden.

Il n’aura pas fallu longtemps pour nous mettre d’accord: nous ne nous sentons pas à notre place ici. À notre deuxième jour sur la rivière Kinabatangan, nous réservons un vol pour se tirer en Indonésie dès que possible. Tant pis pour le Sarawak, le Brunei et même Kalimantan, où la saison des pluies bat son plein et où tout semble être aussi merdique, voire pire. Nous consacrerons les douze jours restant à visiter ce qu’on pourra dans l’est du Sabah, en essayant assidûment d’y trouver du positif.

Ambiance sur le fleuve Kinabatangan et ses affluents. 

Durant notre séjour à Sukau, au bord de la rivière Kinabatangan, nous avons:

  • Fêté l’anniversaire de Judith! A son réveil à Sandakan, elle était émue de réaliser que cette fois-ci, elle avait quatre ans pour de vrai, car cela concrétise pour elle qu’au retour en Suisse, elle commencera l’école. Elle se sent soudain plus grande et prête à initier cette nouvelle année de sa vie. Après un long trajet à travers d’interminables et monotones palmeraies, nous nous installons dans notre bungalow sur pilotis à Sukau dans l’après-midi. Le confort de la chambre est très basique, mais le grand jardin avec vue sur les macaques qui se chipotent, écureuils et chiens galeux fait le bonheur de Jubilette la jubilaire. Pour célébrer cette journée, nous embarquons à bord de la croisière de 16h. Après quelques minutes de navigation sur un bras sinueux du cours d’eau, au cœur d’une végétation splendide, nous tombons « nez à trompe » avec un troupeau d’éléphants! C’est incroyable! Il sont une quinzaine, avec un bébé, des femelles et des gros mâles. Ils mangent pépère, à deux mètres de nous… De temps en temps, on sursaute à leurs « cris » lorsqu’ils s’appellent (ou se disent que cette bande de trous du culs en barquette ferait bien de les laisser brouter tranquille) et Louise n’est pas du tout à l’aise à l’idée qu’ils soient si proches. C’est vrai que pour des « éléphants pygmées » qui ont la réputation d’être les plus petits du monde, on est quand même sur du calibre plus proche du pachyderme que du pygmée! Les filles ne sont pas hyper emballées par la suite de la croisière sur cette barque qui tangue et dont les bancs nous font mal aux fesses. Mais nous aurons tout de même encore observé quelques spécimens: des macaques à longue queue, des nasiques, des aigles, des aigrettes et un éléphant mâle solitaire avec les défenses qui partent aux fraises dans un champs de bananes. Pour ma part, je me sens extrêmement chanceuse d’avoir vécu cette rencontre avec des éléphants « sauvages » dans leur habitat « naturel », encore plus en ce jour spécial. La journée d’anniversaire de Juju s’est conclue après le souper, avec un gâteau-roulade écœurant et des bougies, dégottés dans une boulangerie de Sandakan par Seb ce matin. Nous lui avons offert un affreux faux chat qui miaule qui la faisait tant rêver dans les attrape-touristes au Vietnam. Elle l’a appelé « Chat-pître » et pour l’instant, il miaule encore bien plus que de raison. On avait aussi prévu de lui offrir un chapeau conique Vietnamien miniature pour « son copain monstre », mais on n’a pas encore retrouvé dans quelle poche on l’avait si bien caché (le chapeau, pas le copain monstre… lui, il réapparaît toujours!).
  • Fait une balade jusqu’à la grotte de Gomantong. On a eu beau scruter les arbres le long du sentier, on n’a pas vu d’orang-outan. La grotte était remplie de guano et de cafards gigantesques (et pas qu’un peu! Des millions d’insectes grouillaient dans l’obscurité putride). L’odeur infecte et les bestioles nous ont rapidement fait rebrousser chemin, aux filles et moi. On a attendu Seb dehors, au pied de l’hibiscus, à jumeler un singe (macaque ou nasique) qui s’abritait de la pluie. Et puis on s’est abrité à notre tour, sous la cabane des gardiens des lieux (qui surveillent la grotte du braconnage de nids d’hirondelles en écoutant Céline Dion). Au retour, le chant enroué d’un calao nous accompagne jusqu’à la sortie de la forêt. Puis, comme s’il nous avait suivis, il prend la pose sur une haute branche, dévoilant sous les ramages, son magnifique plumage… et son improbable bec qui n’a sans doute jamais tenu de fromage.
La grotte Gomantong, ses hirondelles, ses chauve-souris et ses milliers de cafards. 
  • Évité de justesse un varan (Monitor lizard) de taille tout à fait honorable, qui piquait une sieste enroulé sur la route, au milieu des déprimantes étendues de palmiers à huile. Nous avions déjà failli en shooter un en Indonésie, lors de notre précédent voyage, alors qu’il avait bondi sous les roues de notre scooter. La monotonie des paysages de palmeraies aurait-elle une influence sur le taux de suicide chez les varans?
  • Fait deux autres croisières sur la rivière Kinabatangan, l’une au lever du jour, puis l’autre à nouveau en fin d’après-midi. Lors de ces croisières, nous avons vu des nasiques (beaucoup, et parfois d’assez près), un bébé crocodile, un varan qui roupillait sur une branche, plein de calaos, et le fameux troupeau d’éléphants. En fait, il est « assez » facile de les voir puisque les bateliers les traquent et s’entassent au plus près de leur passage pour contenter les touristes, au détriment d’un évident sentiment de persécution des pachydermes. Nous ne sommes pas très à l’aise, partagés entre l’envie de savourer cette proximité, et l’impression d’avoir eu à chercher « un troupeau d’éléphants dans une botte de paille ». Les autres touristes semblent totalement insensibles à «l’arnaque », ne voyant pas le problème au-delà de leur petite valise à roulette, bien rangée dans la suite de leur Eco-lodge 5 étoiles. La démonstration d’ignorance se poursuit au moment où l’on aperçoit, fuyant dans la palmeraie, un premier orang-outan. Pour les bateliers, le souci est de préserver les plantations des éléphants et orang-outangs. Lorsque l’on distingue enfin une femelle et son jeune, tout en-haut d’un arbre lointain, le clou du spectacle finit de m’achever. Une touriste interroge le guide pour savoir « quels sont les prédateurs des orang-outans »… M’accrochant au fait qu’il n’y a pas de question bête, je mise tout espoir en l’humanité sur le fait qu’elle demande cela par « provocation » juste pour voir… Le guide lui répond alors sans sourciller que le prédateur de l’orang-outan, c’est… « the crocodile and the big cat » (big cat = la panthère nébuleuse dont la population est en forte diminution avec une densité de l’ordre de 3-4 individus/100km2 de forêt en bon état). Naturellement, tout le monde se contente de cette réponse abjecte, écartant toute responsabilité humaine dans ce désastre planétaire.
  • Constaté les conditions précaires dans lesquelles vit la population rurale, employée à la manne des multinationales, devenue esclave d’une industrie qui tient le pays par les bourses. Pulvérisés par les pesticides et engrais chimiques, ils sont désormais à la solde du mal, au péril de leur environnement et de leur santé sans retour possible. Leurs conditions de travail sont désastreuses (travail forcé, travail des enfants, pratiques abusives et dangereuses)… et tout cela pour une agriculture d’exportation, qui bénéficie à une minorité: les investisseurs. Nous avions déjà constaté cela, dans une moindre mesure, lorsque nous étions à Sumatra. Mais la population locale semblait consciente de « l’erreur de jugement », de l’importance de miser sur un tourisme durable pour préserver leur condition et ce qui reste. Ici, il n’y a plus rien à sauver. La conservation des espèces est un leurre, bien rangé dans des zoos-vitrines de soit disant réhabilitation (réhabiliter quoi et où au juste?) pour montrer patte blanche à ceux qui pensent encore que la situation est rattrapable… Si vous voulez encore voir des orang-outans sauvages, n’hésitez pas, c’est à Sumatra que ça se passe. Il faut y aller maintenant. Et si vous voulez faire un geste, je suis au regret de témoigner que selon moi, consommer de la « nocciolata » sans huile de palme de la Migros ne suffira pas à éviter leur inexorable extinction.
  • Passé du temps sous le patio de notre bungalow, abrités de la pluie ou du soleil, tour à tour. Nous avons rédigé des mails en regardant les écureuils, chassé les chiens galeux qui se couchaient dans nos tongs et les macaques qui voulaient nous piquer nos tartines. Écrit nos pensées, au son des tronçonneuses qui s’abattent sur les alentours.
Notre bungalow à Sukau et ses habitants galeux 
  • Fait nos courses quotidiennes à l’Agromarket, le seul commerce à la ronde, en face de la mosquée. Il y avait du monde, au coucher du soleil, et personne en journée. Dans la file exiguë qui mène à la gentille caissière, des hommes en bottes de pêche, des femmes voilées qui achètent des pains à burgers, et moi et mon paquet de pattes à cul « Libresse ». Parce que dans ce coin de campagne, « la libresseté » d’une femme repose sur le fait de pouvoir se payer ce genre de luxe de première nécessité.
  • Fait une balade sur la route qui mène à la grotte (aucun autre sentier dans les environs). Nous avons entendu des grognements (orang-outan ou autre primate?), vu des calaos et un tas de macaques. Au retour, nous nous sommes arrêtés dans une palmeraie, là où il n’y avait pas de barrière de sécurité bien gardée, avec checkpoint et mirador. Un immense troupeau de zébus et de vaches (environ 500) broute au pied des palmiers. Les hérons leur grimpent sur le dos, tournoient au-dessus du bétail. Une scène de vie qui nous fait oublier quelques instants le paysage de mort dans lequel nous nous trouvons.
  • Pris la route vers Semporna. Quatre heures de route nous séparent de la ville côtière. Quatre heures de paysages de… palmeraies à 360 degrés.

Nous avons choisi de séjourner quelques jours à Semporna, afin de nous rendre dans le parc marin « Tun Sakaran », dans la mer des Célèbes. Séjourner sur l’une des îles étant absolument hors-de-prix (assez comparable aux Maldives: des resorts construits sur l’eau tout autour d’une sorte d’atol aux eaux turquoises). Nous logeons en ville, dans une sorte de collocation de jeunes guides de plongée. Ils louent quelques chambres dans leur appart, partagent les espaces communs et les sanitaires, et proposent des excursions en plongée ou en snorkelling sur les îles. Le lieu est hyper cool, l’équipe aussi. Dans la colloc, il y a aussi le chien Mokka (qui a bouffé un brassard de Judith qui séchait sur le balcon) et le petit chat Mika (qui fait le bonheur de Judith, même si elle a un peu tendance à le malmener en voulant tout le temps l’enfermer dans sa cage et le promener).

Durant notre séjour à Semporna, nous avons:

  • Mangé des gâteaux au chocolat en regardant notre linge tourner au Laundromat, Judith et moi. A côté de nous, des types siestent en attendant leur lessive. Il fait extrêmement chaud et lourd… Judith doit faire caca. On s’enfile dans les WC turcs délabrés et sales du resto délabré et sale d’à côté. Je revis une séance intensive de « gainage musculaire et olfactif » en maintenant l’enfant déféquant à l’abri de toute souillure liée à l’environnement externe, tout en parvenant à extraire de mon sac à dos avec brio, un paquet de mouchoirs salvateurs. La ville est calme dans ce coin, presque déserte, en plein après-midi de ramadan. Quelques enfants passent par là et attirent mon regard… parce qu’ils sont seuls, sales, livrés à la rue et à la mendicité. Sur le chemin du retour, la misère se fait de plus en plus visible de ruelle en ruelle. Des gamins, pour la plupart, et quelques femmes qui s’activent à notre passage, parfois juste pour complimenter Judith, souvent pour me demander un sou. Bien qu’il ne soit pas inhabituel d’être confronté à la pauvreté et à la mendicité en Asie, ce que j’observe à ce moment-là, cette atmosphère bizarre, n’a rien d’habituel… Plus tard dans la soirée, lorsque nous sortons pour manger en famille, une petite fille avec un bébé dans les bras nous poursuit longuement pour nous réclamer de l’argent. Nous restons fermes. Au moment où elle daigne enfin nous « lâcher », c’est tout un groupe qui nous attend… Voyant que nous ne céderons pas, ils se contentent de nos sourires et nous laissent filer. Nous commençons tout juste à prendre la mesure de ce que nous allons découvrir les jours qui suivent.
  • Mangé des « Roti » (sortes de crêpes fourrées à la viande ou aux légumes, accompagnées d’une sauce épicée) chez « Bismillah ». Les épices et le contexte sentaient le Maroc… mais rien à voir avec le rôti du dimanche et son gratin dauphinois qui nous manquent tant et sont inscrits sur notre « liste des trucs qu’on veut remanger dès qu’on pourra à nouveau cuisiner ».
  • Partagé le bateau, lors de notre première journée d’excursion dans les îles, avec une bande d’apprentis plongeurs malaisiens surexcités. Il est 8h30, la pop asiatique est à coin dans les enceintes et eux connaissent tout le répertoire. Ils HURLENT dans nos oreilles en chantant et en riant, se couchent sur nous sans scrupule pour se prendre en photo sous toutes les coutures, occupent tout l’espace visuel et sonore. L’une d’entre eux nous les brise particulièrement, je comprends pourquoi son mari a choisi de la mettre en sourdine en lui faisant faire de la plongée sous-marine…
  • Elucidé le mystère de la « mendicité massive » à Semporna (et ailleurs sur la côte, comme constaté par la suite). C’est en nous rendant à l’embarcadère pour notre première excursion sur les îles que nous avons découvert « Bangau Bangau ». Cette « ville » dans la ville, ou plutôt en marge de la ville, est un immense quartier flottant (environ la moitié de la surface de Semporna, d’après la vue satellite sur Google Maps). Construite illégalement par les immigrés clandestins arrivés par la mer des Célèbes (pour la plupart des Philipins, considérés désormais comme apatrides puisqu’ils n’existent pas officiellement aux yeux des gouvernements), Bangau Bangau (et les autres quartiers environnants) est un bidonville bâti sur l’eau. Le labyrinthe de passerelles et d’abris de fortune sur pilotis repose désormais sur une décharge à ciel (et eau) ouvert, des montagnes de déchets flottants et d’immondices dans lesquels gauge un nombre incalculable d’être humains oubliés. L’atmosphère est irrespirable. La pauvreté est extrême. Jamais nous n’avons été confrontés à une telle misère. Sous nos yeux, des types se défoncent à la colle ou en inhalant les vapeurs destructrices d’une sorte de liquide jaunâtre, assis sur le passage qui mène à l’école… le passage que nous empruntons, nous, et sûrement d’autres touristes, au départ de notre excursion sur les îles paradisiaques. Une femme lave ses enfants à l’eau stagnante, devant le tas de planches qui leur sert d’abri. Leurs corps nus laissent apparaître leurs côtes saillantes et leur ventre rebondi par la malnutrition. Des visages édentés, protégés du soleil par une épaisse couche de vase disposée en masques nous fixent. On sourit, poliment, lorsque la situation s’y prête. Brayden, qui nous accompagne, nous presse car le danger de se faire détrousser est bien présent. Les junkies rôdent et titubent comme des zombies, mais nos tronches de porte-monnaie pourraient bien leur faire retrouver leurs esprits. Quand je questionne notre guide (qui bien que stressé par l’environnement, semble totalement insensible à la situation, parce que c’est comme ça depuis toujours selon lui), il me répond que c’est compliqué pour le gouvernement… car officiellement, ces gens « n’existent pas ». A croire que nous sommes les seuls à avoir traversé ce quartier pour nous rendre aux différents embarcadères. Sur les îles voisines pour vacanciers en quête de photos instagramables, et aux yeux du reste du monde, il semble effectivement que « ces gens n’existent pas ».
  • Eté déposés en première étape sur l’île « Mabul », moyennant une coquette somme (pour l’excursion en bateau et le droit d’entrée sur l’île, certainement tombé directement dans la poche des propriétaires du business: un Resort). Pas de plage, pas de baignade possible, pas de café où poser ses fesses. Rien. Un véritable repère à Chinois. On ne nous l’avait pas vendue comme ça, la pause sur l’île… Juste un « ponton à selfies » sur lequel viennent tortiller du cul une masse de touristes asiatiques pimpés comme des boguets, en quête perpétuelle de clichés égocentrés. Un décor de rêve: des eaux cristallines, peu profondes. Du ponton, on aperçoit des milliers d’étoiles de mer qui tapissent le fond marin. Passé cette vision, il suffit de lever la tête pour contempler la réalité, depuis le « côté des riches ». Face à nous se dresse ce qui s’apparente à un « bidonv-île », peuplé par des gitans des mers (Sea gypsies). Leur « campement », construit sur l’eau et la plage est un dépotoir… À peine nous sommes nous aventurés dans leur « quartier » que nous avons dû rebrousser chemin, car nous marchions sur un tapis de déchets flottants (et encerclés par les gamins venus mendier vers nous, puisque nous sommes les seuls à être allés « chez eux », à avoir marché au-delà du ponton et franchi la barrière entre les « êtres supérieurs et le bas peuple »). Nous avons fait le tour de l’île à pied en 15 minutes, seuls, à la recherche d’un coin de sable pour occuper les filles… Rien. Nous avons observé un pêcheur en galère, qui étuvait sa pirogue aussi vite qu’elle se remplissait. Nous avons regardé « les pauvres », vus d’en-haut, qui naviguaient sur leurs « bateaux-caravanes » aménagés en lieu de vie, à douze dans une petite barque, abrités par une bâche. « Les pauvres » rament sous « les riches », le visage recouvert de boue, pour faire écran-total. Les « pauvres » qui restent en-dessous, réclamant quelques sous, contre un homard brandi fièrement.
  • Les « pauvres » à qui l’on glisse honteusement un billet entre les planches, sans se mouiller les pieds, lorsqu’une femme récupère la tong de Judith, tombée de notre piédestal. Et du côté des « riches », ça pose la bouche en cul-de-poule, l’objectif bien orienté, pour ne pas laisser dépasser le contraste saisissant.
Une aigrette sacrée - Egretta sacra sur un bidon flottant, le resort, le village et la plage des gitans des mers 
  • Fait du snorkelling sans palmes. Puis râlé pour avoir des palmes. On nous dit que c’est interdit, partout en Malaisie. Alors on insiste un peu, parce qu’en réalité, ce n’est pas une interdiction, mais un principe, pour éviter que les coraux ne soient saccagés par les snorkelleurs chinois (la grande majorité des touristes qui viennent ici sans faire de plongée) qui ne savent pas nager et ne respectent rien (c’est les spécialistes qui le disent, pas nous). Nous, on les a « subis » et on ne peut que confirmer que c’est un désastre… Les voyant patauger en panique, amassés autour des bouées de sauvetage piquées à Judith ou bloquant l’échelle parce qu’ils y restent tétanisés, ou se mettre du gloss quand les vagues tabassent, juste avant d’enfiler le tuba, ou encore vomir sur le voisin à chaque arrêt du bateau… je suis pantoise. Je m’interroge: Si tu as le mal de mer, que tu ne sais pas nager et que tu as aussi peur de l’eau que de ne pas porter de mascara… À quel moment te vient l’idée de génie (collective, puisque vous êtes 25 spécimens identiques sur ce bateau) d’aller faire une sortie snorkelling en pleine mer? Pourquoi tu t’infliges ça? C’est quoi l’argument, à part NOUS EMMERDER BORDEL DE CAQUE? Bref. Nos collocs plongeurs ayant pu constater que nous ne sommes ni mauvais nageurs, ni irrespectueux, ni Chinois, ils ont fini par céder et nous ont prêté leurs palmes pour la prochaine excursion.

Vu des paysages sous-marins somptueux et une faune aquatique impressionnante lors de nos épopées masquées, notamment aux alentours de « Pulau Mataking Cecil » et « Timba Timba Island ». La densité et la diversité des animaux présents dans l’archipel (liées à un courant marin unique qui fait converger une faune exceptionnelle dans le coin) fait du parc « Tun Sakaran » l’un des plus beaux lieux de plongée au monde. Louise raconte ce qu’elle a le plus aimé dans cette expérience et fait des recherches pour déterminer les trucs qu’elle a observés: alors, allons y par catégories. OK?

Sortes de poissons:

On a vu deux bancs de poissons licorne 🦄 qui ont une petite corne, qui font environ 30-35 cm, qui sont gris turquoise et qui ont des super pouvoirs… JE NE ME SUIS MÊME PAS ÉTOUFFÉE EN HURLANT SOUS L’EAU!!!!!!! In-croy-able!

Une dizaine de « poisson capitaine » (surnommé ainsi parce que dans nemo, c’est le capitaine) dont le vrai nom est un « idoles des maures » et le nom scientifique est « Zanclus cornutus » (merci wiki!).

Idole des Maures - Zanclus Cornutus ». 

Deux fois, on a vu a peu près 4 nemo (poissons clown) dans des anémones.

Poisson-clownesque ocellé - Amphiprion ocellaris 

Nous avons aussi vu des « poissons chaussettes », surnommé ainsi parce qu’ils ont des motifs qui ressemblent a ceux des chaussettes… le vrai nom est « Poisson-ange duc » et le nom scientifique est « Pygoplites diacanthus ».

Poisson-ange duc - Pygoplites diacanthus et à droite le poisson-ange empereur - Pomacanthus imperator. 

Des « poissons super-héros » appelés ainsi en raison de leur masque de super-héros. Pour les couleurs, c’est les mêmes que le poisson chaussette. Le vrai nom est « Poisson-ange empereur » et le nom latin « Pomacanthus imperator ».

Papa a vu un poisson « coffre » violet avec des points jaunes fluo. Il est TROP BEAU (pas papa, le poisson, papa je m’en fous, il a d’autres qualités…)

Je suis la première à avoir repéré l’un des plusieurs « platax à longues nageoires » qu’on a vus. Heureusement qu’ils restent loin! Sinon, j’aurais pas survécu, tellement ils étaient proches.

On a aussi vu pleins de poissons bleu-violet foncé avec une queue en forme de fourchettes a deux piques.

Les noms des autres trucs qui ne sont pas des poissons:

On a vu trois 🐢 vertes dont une qui devait faire ma taille… et qui avait au moins l’âge de grand-maman Agnès!👵🏼

Tortue verte - Chelonia mydas. 

1 étoile de mer normale, 2 bleues et une petite centaine de blanches avec des poins noirs.

Poissons-papillons - Chaetodon sp. 

Une française nous a dit à papa et moi « si vous allez quelques mètres là-bas, vous pouvez voir une grosse murène. ». Elle avait a peine eu le temps de finir sa phrase que j’ai failli faire couler papa pour ne surtout pas y aller. En lui hurlant avec le tuba encore dans la bouche « gon! On ha qua ha bas! Heulait haha! He hais houhir! » (traduction: non! On va pas là-bas! s’teuplait papa! Je vais mourir!). Du coup, on a continué le snorkelling sans se faire bouffer les fesses.

Tout ça a donné envie à Judith d’essayer le masque… mais seulement sur le bateau parce que « j’ai peur d’avoir de l’eau dans les yeux et je sais faire le requin sous l’eau sans le « max » (=le masque). Je me bouche le nez, je gonfle mes joues, je mets la tête sous l’eau et… j’ouvre les yeux 👀 » 🙄, décidément, je ne la comprendrai jamais!

Poisson trompette de l’Indo-Pacifique - Aulostomus Chinensis / La venimeuse rascasse volante - Pterois coltinas.

Autres trucs que j’ai aimés qui n’étaient pas des bestioles:

Un des guides (qu’on aurait pu confondre avec un baby-sitter tellement il s’occupait de nous) me faisait des bulles, comme des cerceaux d’air sous l’eau et j’essayais de m’enfiler dedans même si c’était compliqué avec « Pamela » (notre bouée orange fluo accrochée à ma taille, que je me tape à chaque fois qu’on fait une activité en pleine mer). On va sur une plage pour dîner 🥘. On a 2 heures avant de manger. Moi et juju, on en profite pour aller sur la plage. On commence un château de sable quand les deux guides viennent nous aider. On commence une rivière quand Brayden (un des guides) arrive avec notre mini seau… rempli de bernards l’hermite! Il les verse dans le château! Je me dépêche de finir la rivière, mais c’est compliqué parce-que les bernards l’hermite arrivent à grimper. Une fois la rivière (qui s’est transformée en chemin pour les bernards l’hermite) terminée, je creuse une petite piscine pour qu’ils soient bien. Je vais dire un truc à maman, et quand je reviens, la petite piscine est… 900’000’000’000’000’000’000 FOIS PLUS GRANDE (j’ai mis assez de zéros?)!!!!!!!!! Les guides ont creusé avec les mains! Enfin, les mains, ils en ont jusqu’aux coudes! J’essaie de vider l’eau avec le seau, et ça marche! Le premier bernard l’hermite arrive. Il tombe dans la piscine à l’envers… je le ramène au château en attendant que j’aie fini la rampe. Je la finis et… ça marche! Pile au moment ou les autres guides nous appellent pour aller dîner. Quand on a tous fini, je dois aller faire la vaisselle des jouets de sable. Quand je regarde dans le seau, je le lance en hurlant… il y avait… UN BERNARD L’HERMITE!!!!!!!!!!! Brayden éclate de rire, moi aussi, maman et papa aussi. J’ose plus toucher le seau! C’est maman qui doit le rincer.

Juju et moi on était fatiguées, mais on a adoré cette journée.

L’animal énigmatique, l’ascidie cœur de bœuf - Polycarpa aurata. 
  • Pris la voiture pour tenter de trouver quelque chose à visiter, une alternative aux activités aquatiques. Y avait un truc: un musée archéologique qui présente un site néolithique découvert sur une colline de la ville. On signe le registre et on remarque qu’on est les deuxièmes visiteurs de la journée. Et aussi de la semaine. Peut-être du mois. On n’y fait pas long feu, car la clim est en panne, ils ont mis deux bidons pour récupérer l’eau qui s’en égoutte. Les bidons débordent. On transpire. Il y a la flaque sur le plancher. Pas sûr que ça vienne des bidons. On découvre que les pirogues néolithiques sont identiques à celles des gitans des mers qu’on a vus hier, identiques à celle du pêcheur qui prenait l’eau. On apprend que les hommes qui vivaient ici durant la préhistoire empruntaient, à bord de ces embarcations fragiles, une voie maritime qui les emmenait à travers le nord de l’Indonésie, jusqu’en Papouasie et en Polynésie. On est content d’avoir appris quelque chose aujourd’hui. Et puis on rentre à l’appart, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire.
  • Occupé comme on pouvait nos journées « off », sans sortie en mer. Nous avons traîné à l’appart pour rester à l’abri du déluge quotidien. Nous avons fait des courses en ville, poursuivis jusque dans les commerces par les mendiants à qui on finit par faire les gros yeux ou hausser le ton pour qu’ils s’en aillent. Nous avons salué plusieurs fois par jour le couple de petits vieux qui tiennent l’épicerie en-bas de notre logement… parce qu’à chaque passage ils ont un regard tendre pour les filles et un « hello » accueillant de bon voisinage qui nous donnerait presque envie de leur acheter une de ces gelées fluo en bonbon dégueulasse, juste pour leur sourire. Nous avons été l’attraction des locaux (et pas seulement de ceux qui en voulaient à notre pognon). Un peu partout, les gens nous observent, nous sourient, nous complimentent… Parfois de manière un peu déstabilisante, comme des femmes, à plusieurs reprises, qui s’arrêtent à ma hauteur dans la rue pour me dévisager… Je retiens mon souffle (ne sachant jamais si j’ai commis un impair culturel), puis à leur « Waouh! » je comprends juste qu’elles sont « admiratives » de voir une femme blanche, en vrai, et pas dans la télé (ou alors elles ont bon goût et me trouvent vraiment bonnasse).

Après notre départ de Semporna, il nous restait des jours à combler, avant de rendre la voiture et filer. N’ayant pas trouvé de logement qui ne soit pas « abusif » dans une des « touffes » de jungle qui restent (Danum Valley ou Réserve de Tabin), nous dégottons deux nuits à Lahad Datu (une ville glauque et moche, à l’image de toutes les villes glauques et moches que nous avons vues de ce côté du Sabah, située entre les deux forêts). Nous espérons pouvoir rayonner depuis ici et dénicher une balade en nature. Puis nous passerons les trois derniers jours à Sandakan, d’où part notre vol pour Jakarta.

Durant notre séjour à Lahad Datu, nous avons:

  • Logé dans un hôtel pourri, collé à la mosquée (= réveil à 5h du mat assuré). Les couloirs sentaient le Durian et notre chambre, la clope froide. On ne se voyait pas dans le miroir de la salle de bains parce qu’il était crépis de vieux crachats de dentifrice, mais aussi parce qu’il n’y avait ni ampoule, ni fenêtre pour s’éclairer. On s’est douché à la frontale et on a apprécié de pas pouvoir se regarder les rides.
  • Recherché en vain l’accès à une balade dans la jungle. Après quelques kilomètres sur l’unique route qui mène au cœur de la Danum Valley, on est stoppé par une barrière et un checkpoint qui annonce la couleur, avec toute la démesure que l’on reconnaît à la Malaisie: si vous franchissez cette barrière sans autorisation, même à pied, vous aurez à payer une amende pouvant aller jusqu’à 10’000 dollars et/ou 3 ans de prison. Voilà. La forêt est entièrement privatisée. Pour y accéder, le seul moyen est d’avoir réservé dans un Resort (minimum deux jours une nuit, il n’y a pas d’excursion à la journée). On fait « pfffff » et on rebrousse chemin. On repère une petite route, qui mène à une tour d’observation, de laquelle part un sentier. On s’arrête au checkpoint. On peut entrer, mais il faut payer, sachant que la tour est inaccessible et le sentier fermé. On fait « repfffffff » et on rerebrousse chemin. On cherche un café, mais y a pas de café. Y a jamais de café ou ils sont tous fermés. Le temps de chercher un café qu’on ne va de toute façon jamais trouver il est l’heure d’aller dîner. Et comme en-dehors des villes, y a aucun endroit pour dîner puisque y a pas de café, on rererebrousse chemin et on rentre à Lahad Datu, sous une pluie qui va beaucoup trop vite pour les essuie-glaces. 13h: Tout espoir de faire quelque chose de notre journée est abandonné. On rentre regarder passer le temps dans notre chambre borgne.
  • Réservé un repas dans une table d’hôte, qui valorise les produits de son jardin et de la région en proposant une cuisine régionale de qualité. On a eu la bonne surprise de « tomber » chez un Lucernois marié à une Malaisienne. Ils étaient adorables, le repas était délicieux et les filles ont même eu droit à un extra: des pâtes sauce tomate et supplément de « fromage suisse »! On s’est réconcilié avec Bornéo, le temps d’une soirée, en misant sur un très bon investissement gastronomique. Nous nous sommes régalés du thé bleu à la lime du jardin de Simon, des chips de patates douces avec du sambal maison, des champignons japonais panés à la noix de coco, d’une soupe au gingembre et au melon d’hiver, des tempeh aux légumes, d’une salade concombre-ananas-menthe, d’un émincé de poulet au curry sec et à la mangue, des maquereaux en papillote de curcuma, du riz brun du mont Kinabalu et pour le dessert, d’un tiramisu glacé aux spéculos, mousse de thé et « Karamel täffeli », le tout servi avec accent Schwizertütch et gentillesse.

Malgré une lassitude évidente et un sentiment de « perdre notre temps » ici, nous avons essayé de tirer profit de nos derniers jours à Sandakan. Nous avons loué un appartement aseptisé au 17ème étage d’une tour, dans une résidence isolée, avec vue sur la mer et le quartier de villas d’Edouard aux mains d’argent.

On a pu se faire à manger et vivre « comme à la maison » pendant quelques jours. Puis, nous avons agrémenté nos journées de visites, comme:

  • Une ferme à crocodiles. Il y avait des « tas » de crocodiles avachis dans des enclos humides, des moustiques, des poissons à nourrir, une autruche déplumée, des chèvres en cage et des lapins à caresser. Des conditions de « détention animale » typiquement asiatiques et assumées.
  • Le centre de réhabilitation des orang-outans de Sepilok… et on a trouvé ça pitoyable. D’abord parce que sur le principe, on ne sait pas à quoi sert un centre de réhabilitation ici (à part se redorer la face aux yeux du monde), puisqu’il n’y a plus aucun endroit où réhabiliter qui que ce soit (d’ailleurs, le centre ne donne aucun chiffre, aucune preuve de réhabilitation). Ensuite, parce que payer le prix d’une entrée dans un zoo en Suisse, pour voir trois orangs-outans nourris sur une plateforme, depuis une salle vitrée climatisée, ça ne ressemble à rien d’autre… qu’un zoo. Oh et puis tout le reste est une arnaque: aucune information sur la destruction de l’habitat des orang-outans, surtout, ne pas pointer le lobby de l’huile de palme, on ne met aucunement en cause l’humain, on ne donne aucune explication scientifique ou objective sur rien. Notre sensibilité est probablement exacerbée par notre expérience incomparable auprès des orang-outans de Sumatra… On ne pouvait qu’être déçus ici, on s’y attendait… Mais en vrai, c’était pire.
  • Le centre de réhabilitation des ours Malais, ou Seb s’est rendu seul avec les filles, pendant que moi je me consacrais à mes écrits. Il pleut des seilles. A l’entrée, les gardiens leur annoncent qu’ils ne pourront pas voir les ours, car ceux-ci sont cachés au milieu de la forêt… Ils y renoncent, pas vraiment à contre-cœur. A la place des ours, les filles ont eu droit à une pizza.

Enfin, nous avons tourné les talons et tiré un trait amer sur ce que nous avons vu de la Malaisie. Impatients de retrouver l’Indonésie, nous ferons halte à Jakarta pour deux nuits (parce qu’il fallait faire halte à quelque part et que nous n’étions pas encore allés dans la capitale, alors pourquoi pas y passer en coup de vent). Ensuite, si l’éruption actuelle du volcan Lewotobi Laki-Laki ne nous empêche pas d’y atterrir, nous rejoindrons l’île de Florès pour notre dernier mois en Asie.

18

Jakarta

Heureux de retrouver l’Indonésie pour notre dernier mois de voyage en Asie et déjà nostalgiques que notre séjour sur ce continent touche à sa fin, nous atterrissons à Jakarta, sur l’île de Java. Visas pour un mois, roupies et données cellulaires en poche, nous quittons l’aéroport aux alentours de 21h30. La ville semble s’étendre à l’infini: une cinquantaine de minutes de Grab nous sépare de notre guesthouse et nous avons à peine parcouru un centième de la surface (au sol et dans les airs) de la capitale. La vie y est si dense que la terre s’affaisse sous le poids de la mégapole. Bientôt, la mer reprendra ses droits sur le territoire de Jakarta. La cité va également céder son titre de « capitale » à une ville qui n’existe pas encore, actuellement en construction au milieu de Kelimantan (la partie indonésienne de Bornéo). Autrement dit: au milieu de rien. Encore une idée de génie! À croire que les dirigeants du monde actuel se sont lancés le défi de celui qui pissera le plus loin dans le domaine de l’absurde.

Les bonnes habitudes indonésiennes. 

Lors de notre premier voyage en Indonésie, nous n’avions pas fait halte à Jakarta. Nous profitons de notre escale pour nous y arrêter une journée cette fois-ci. Notre guesthouse se situe dans un quartier populaire, loin des gratte-ciel et de la ville moderne. A peine sommes nous arrivés que tous nos sens se réveillent, encore imbibés par les codes, les souvenirs, les repères. Les kitchenettes à roulettes jouent des coudes pour vendre du poulet frit entre les poubelles éventrées. Le bal des scooters et tuktuks reprend vie, comme s’il avait hiberné le temps d’une parenthèse à Bornéo. Tandis que les volûtes des Kretek (les clopes au clou de girofle) parfument l’air et les cages d’escaliers, nos chambres sentent le cendrier, les égoûts et la naphtaline. On s’encouble aux pavés des trottoirs défoncés, on respire les gaz d’échappement et le pneu chauffé. Nos fronts, comme les murs des maisons, suintent l’humidité jusqu’à pourrir. La clim est le saint-Graal, la barrière à la chaleur, à l’odeur et aux affaires mouillées. Nous rencontrons déjà les sourires, l’humour, la simplicité et l’humanité. Chère Indonésie, nous sommes émus de te retrouver.

Une ruelle populaire de Jakarta. 

Lorsqu’on se projète dans la suite de notre voyage aux États-Unis, nos sentiments sont ambivalents. Deux salles, deux ambiances. La claque capitaliste risque d’être violente et le contexte politique actuel totalement déroutant. Alors voyons notre périple aux USA comme un « nouveau voyage » et pas une continuité et attachons nous à ce qui nous réjouit dans le grand ouest. En attendant, vivons l’instant présent.

Durant notre mini-séjour à Jakarta, nous avons:

  • Déambulé à pied dans notre quartier pour trouver de quoi nous sustenter. Nous avons longé la route en évitant la circulation et les trottoirs encombrés, puis marché dans le dédale des ruelles sombres de la classe very populaire… Celle qui vit le long des voies de chemin de fer, là où les trains frôlent la tôle des taudis et rase les gamins qui s’amusent à lancer des pétards sur les rails. On a visé entre les convois pour traverser les voies dans la pénombre, à l’aide des cris d’avertissement des habitants du quartier pour seule sécurité. Judith était terrorisée… On a acheté de l’eau à la vendeuse de rue, échangé quelques mots en Indonésien (pour le peu dont on se souvient). Les voisins nous ont pointé du doigt en riant, lançant l’alerte à la curiosité: « Bule! Bule! » (Bule, qui se prononce «boulé » est le terme indonésien pour désigner les touristes blancs. Littéralement, ça veut dire « albinos ». Pour eux, c’est amical et très répandu comme accueil réservé aux blancs-becs. N’essayez pas de reproduire cette façon de faire en Occident en hurlant « des noirs! Des noirs! »… Y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes.
  • Passé des heures dans des Grabs, à essayer d’avancer dans un trafic totalement bouché. Nous n’avions pas de grandes ambitions pour « les trucs à visiter ». Nous nous sommes contentés d’aller dans deux marchés. Le premier est un centre artisanal pour les bijoutiers-grossistes, les orfèvres qui travaillent les métaux et les pierres précieuses. Seb et moi, on s’est offert des bagues, assemblées et ajustées sous nos yeux. Puis nous nous sommes rendus au marché « Mayestik » (marché à textiles) dans l’espoir d’y trouver des sarongs en batik. Là où nous étions, la spécialité semblait plutôt être la tenue synthétique complète pour musulmane pratiquante. N’étant pas vraiment intéressés à investir dans un niqab, nous n’avons rien acheté. Nous avons trouvé les machines à coudre, au dernier étage (c’est souvent là qu’on les trouve, dans les marchés asiatiques) pour faire « raccommoder » nos vêtements abimés et réajuster la taille de mon short à ma nouvelle silhouette amincie par le manque de fromage.
  • Cru rater notre vol matinal pour Labuan Bajo (île de Florès et Komodo). Le Grab était en retard, conduisait comme un pied bot, a perdu un rétro sur l’autoroute et s’est trompé de terminal… Quelques Nomdedjeus plus tard, on a réussi à traverser les 85 km de couloirs de l’aéroport, chopé des cafés et pâtisseries à manger en vol (aucun problème ici pour passer la sécurité et entrer dans l’avion avec le petit déj!) et embarquer sans attente. Je n’ai en revanche pas eu le temps de m’arrêter dans l’un des innombrables fumoirs (un par café au minimum, standard pour un aéroport Indonésien, puisqu’ici, la cigarette est le sport national).


Labuan Bajo et le Parc National de Komodo

L’hôtel Bonne Nuit, où nous logerons à trois reprises à Labuan Bajo, est situé à quelques pas de l’aéroport. Nous nous y rendons à pied dès notre sortie de l’avion. L’endroit est calme, le personnel adorable et les chambres sont bleues comme les yeux de Judith. Une fois délestés de nos sacs, nous repartons vers le centre ville qui se trouve à une trentaine de minutes de marche.

Dans nos souvenirs, Labuan Bajo était il y a six ans une petite ville qui s’articulait autour d’un axe principal. Quelques warungs (restaurants locaux), une poignée de tours opérateurs pour les excursions dans le Parc National et un centre de plongée (le Blue Marlin, qui existe toujours) jalonnaient la rue. La vue sur la baie et les îles était imprenable au coucher du soleil. A titre personnel, je n’avais jamais rien vu de si beau ailleurs. Les bateaux partaient d’une sorte de terrain vague en travaux perpétuels occupé par quelques poissonniers et des containers marins. Il y avait suffisamment peu de touristes en ville pour qu’on se reconnaisse et se salue lorsqu’on se croisait sur les îles.

Les bâteaux au large de Labuan Bajo, le port est sur la droite (hors champ). 

La ville que l’on redécouvre aujourd’hui s’est considérablement développée. Depuis que des vols internationaux en provenance de la Malaisie et de Singapour y atterrissent le gouvernement indonésien a sorti les grands moyens et les infrastructures ont suivi: un aéroport méconnaissable, un port tout neuf, un réaménagement du centre-ville, des enseignes florissantes, des bars à smoothie-matcha et des boutiques à souvenirs comme on en voit à Bali. Les warungs servent des nasi-goreng vegan dans de la vaisselle compostable et des mocktails avec des pailles en inox. Même notre ancienne guesthouse s’est faite ravaler la façade! La baie est désormais voilée par les constructions et le nouveau port. Bon, raisonnablement, même si la « hype » touristique a atteint Komodo, que les jeunes rastas à guitare à la recherche de jouvencelles à charmer se multiplient aussi vite que les complexes hôteliers, on reste sur une « masse touristique » tout à fait acceptable. Pour les locaux, ce renouveau est une aubaine. Nous, nous espérons que Labuan Bajo saura préserver son charme, la beauté de ses paysages et de son parc naturel malgré cet essor touristique. On retrouve la supérette où Seb avait acheté la casquette qu’il n’a cessé de porter depuis (jusqu’à ce qu’il l’égare pendant ce voyage, quelque part entre le Cambodge et le Vietnam). Dans le stock du moment, au fond à gauche comme à l’époque, ils n’ont que des casquettes rouges à l’effigie d’une marque de condiments. Pour le reste, rien n’a bougé. On boit des jus de fruits et des Bintang, on mange des brochettes satay, des tempeh et du Gado-gado. L’île de Florès étant majoritairement catholique, le son des minarets se mélange au silence des clochers sans cloches.

Judith s’étonne de ne pas encore apercevoir un « dragon » de Komodo voler dans le ciel… Elle enjambe les cafards et les mille pattes désormais sans broncher, ne détourne plus son chemin au passage des rats ou des chiens errants. Mais lorsque deux chats s’engueulent et miaulent de leur lugubre voix de bébé, elle les observe longuement, tentant de les rabibocher.

Durant nos trois séjours à Labuan Bajo, nous avons:

  • Réservé une croisière de trois jours et deux nuits dans le Parc national de Komodo. Nous avons déniché la version « pour les pauvres », avec cabines et sanitaires partagés (mais comme on est quatre, on se partage une cabine entre nous). Marcelino, qui nous a vendu l’excursion, est adorable. Il a ce visage doux, cette timidité charmante et cette gentillesse naturelle, propre à beaucoup d’habitants de Florès. Dévoué, il nous enverra plusieurs messages et nous demandera des nouvelles à chaque fois que nous le croiserons en ville. Séb et moi avons eu la même pensée après notre rencontre: nous avons l’impression de déjà connaître Marcelino… Était-ce notre guide sur les îles, il y a six ans? Ça aurait fait une jolie histoire, mais après vérification auprès du principal intéressé, ce n’était pas lui.
  • Loué des scooters pour se déplacer plus facilement depuis l’hôtel et aller explorer les environs. Remonter sur un deux-roues après quelques semaines (mais du côté gauche de la chaussée désormais) me rend heureuse et alimente notre projet d’achat d’une moto et de passer notre permis dès qu’on aura renfloué les caisses, à notre retour en Suisse.
  • Pris du temps pour dégotter une voiture (sans chauffeur, ce qui n’est pas une option très répandue ici) pour aller parcourir l’île dans les prochains jours. Nous avons également planifié et réservé la fin de notre voyage en Indonésie, jusqu’à notre départ aux USA. Enfin, nous avons pu régler nos déboires juridiques avec une régie en Suisse (on s’est fait entuber, mais pas aussi profond que prévu). Sur le podium des professions de connards (ou connasses), je déclare les courtiers en immobilier vainqueurs.
  • Fait un tour en scooter vers le nord de la ville, au bout de la pointe, pour admirer les paysages au coucher du soleil. Il y a pas à tortiller: cet endroit est splendide et ne ressemble à aucun autre sur terre. De même pour le lendemain, où nous avons pris la route vers le sud cette fois-ci. Les collines (vertes à cette période, plus sèches à partir de mai-juin) se dressent majestueusement sur les flancs de l’île, dans un contraste de couleurs éblouissant du fond des récifs jusqu’au sommet des collines. Nous avons traversé des campagnes, des rizières, bu un verre dans un « beach club » encore en construction, avec vue sur les îles de Rinca, Komodo et leurs frangines. Nous avons vu des chèvres (il y en a partout sur l’île et on ne sait toujours pas ce qu’ils font avec, car ne les mangent pas et ne les traient pas!), des vaches, des buffles, mais aucun dragon de Komodo malgré les panneaux de circulation nous avertissant de leur potentielle présence. Nous avons fait le plein à la « station service » d’un village (comprenez par là, vidé dans le réservoir deux bouteilles en PET d’eau minérale remplies d’essence achetées au bord de la route, à une dame qui faisait la sieste).
« Réduisez votre vitesse lorsque vous traversez une zone de trafic animal », la pilote d’avion et les collines vers Labuan Bajo.
  • Confié à trois reprises notre lessive à « Bella Laundry ». La maison, dissimulée à l’arrière de la cour des poules et des déchets brûlés, appartient à une gentille famille. L’endroit ne paie pas de mine, quelques vêtements sèchent sur les cordes à linges, sous le soleil de plomb qui chauffe la terre battue. Les sourires de Bella et Fabian, son mari, m’accueillent comme si j’étais leur fille revenue d’un long voyage. On se fait des selfies, s’enquiert de la santé de nos enfants respectifs… Bella s’excuse par message de ne pas avoir été là pour réceptionner mon linge, un dimanche soir, alors qu’elle était à la messe. Ils sont adorables, m’appellent par mon prénom et font un travail irréprochable. A chaque fois que je leur amène un peu honteusement notre lessive qui sent la vieille patte à vaisselle, le vomi et la couenne de vacherin (l’odeur générée par l’humidité qui stagne et l’eau de mer dans le linge sale), elle nous revient immaculée, détachée, repassée et plastifiée. Un service digne de ma maman, Yolande, Docteure ès propreté et hygiène, Sainte-patronne du récurage excessif.
  • Fait des apéros au « blue Marlin », pour profiter de leurs excellents jus de fruits et leur bibliothèque d’ouvrages sur les poissons et les fonds marins. Ils nous ont permis d’identifier les espèces photographiées par Seb lors de nos excursions en Snorkelling.
 Clark’s anemonfish - Amphiprion clarkii / Pink anemonfish - A. peridaraion /  False clown anemonfish - A. ocellaris
  • Essoré quelques orages et averses quotidiennes, en s’abritant dans les restaurants ou les cafés. Des pâtes siciliennes au poulet aigre-doux, nous avons toujours bien mangé. Les filles ont été choyées par toutes les personnes que nous avons rencontrées. Une incomparable gentillesse, ouverture d’esprit et tolérance règne en Indonésie, et particulièrement ici, à Florès.

Durant notre croisière de trois jours à Komodo, nous avons:

  • Partagé la croisière avec une super équipe de touristes: une anglaise en attente de son VISA pour aller s’installer en Australie, une Zurichoise en voyage de trois mois, une jeune javanaise un peu décalée socialement, une quinqua globe-trotter de Los Angeles, un adorable couple d’Amsterdam (lui Allemand, elle Hollandaise) qui travaille dans le développement socio-économique pour leurs gouvernements respectifs. Ils sont ici en vacances, mais on ressent dans leur approche du voyage et des gens une intelligence et une humanité inspirantes. Nous avons eu beaucoup de plaisir à côtoyer ces personnes durant trois jours, même si nous sommes toujours des brèles en anglais et que la communication avec des anglophones au quotidien a renforcé notre frustration et nos complexes.
Les personnes avec qui nous avons partagé la croisière. 
  • Bénéficié de prestations « bas de gamme », à la hauteur des frais engagés, de la part de l’équipage et plus particulièrement de notre guide « Franco et sa coupe afro ». Le gars était éclaté (à tel point qu’on en a tous déduit qu’il se droguait), désorganisé et inadapté. On a malgré tout pu compter sur l’intelligence collective et un sens de la dérision partagé avec le reste de l’équipe pour tirer profit de nos excursions. Et puis bon, la nourriture était bonne et les sanitaires à bord bien plus propres qu’espérés.
Notre bateau durant la croisière à Komodo. 
  • Constaté le développement touristique des lieux au nombre de bateaux de tourisme présents sur les spots, ainsi qu’aux nombreux aménagements inexistants à l’époque. Je radote… et la comparaison est un peu « gnah gnah », comme ressasser les souvenirs d’un ex à un nouveau partenaire. Mais on ne peut pas s’en empêcher. On ne s’est pas dit « c’était mieux avant » car ce n’est pas le cas. Les paysages et les fonds marins sont toujours aussi somptueux. Mais le sentiment d’avoir eu un accès privilégié à l’un des plus beaux endroits de la planète n’est plus… Il faut désormais partager.
Paysage des îles vers Komodo. 
  • Grimpé au sommet d’une petite île (l’île de Moringa), un classique des excursions à Komodo, pour admirer la vue. On était en schlaps, ça glissait, je suis redescendue pieds nus, courbée comme une petite vieille, en évitant de mentionner que j’habitais dans les Préalpes suisses (Seb avait honte). Après la grimpette, nous avons pataugé longuement avec des centaines de petits requins, dans les eaux peu profondes de l’île.
Vue depuis l’île de Moringa vers l’île de Flores. 
Requin à pointes noires - Blacktip reef shark - Carcharhinus melanopterus 
  • Fait du snorkelling à différents endroits du parc, dans différents milieux. C’est indiscutable: la diversité des coraux et de la faune y est époustouflante. On ne se lasse pas d’observer le spectacle sous-marin, le plus longtemps possible, à chaque occasion. Nous avons abandonné l’idée de mettre un masque à Judith, qui préfère nager à nos côtés, où nous regarder depuis le bateau. Louise, lorsqu’elle est « bien tournée », est comme un poisson dans l’eau. Nous pouvons généralement évaluer son degré de motivation au temps qu’il lui faut pour enfiler ses palmes. Durant nos épopées masquées, nous avons vu des tonnes de poissons colorés, des tortues, dont une avec laquelle j’ai nagé longuement. Nous avons flotté au-dessus de grands requins, ils étaient impressionnants, un peu flippants mais intrigants. Nous avons nagé avec les raies (une manta que nous avons vu furtivement et une grande raie avec des points sur le dos). Et dans les eaux profondes, nous nous sommes tous fait attraper par ces saloperies de petites méduses qui font mal comme des puissantes orties ou des brûlures de cigarette sur la peau. La douleur ne dure pas, elles ne sont pas dangereuses, mais quand Louise s’est faite attraper à son tour, elle a paniqué.
Raie léopard ou Aigle de mer-léopard - Spotted eagle ray - Aetobatus narinari.
Blacksaddle filfish - Paraluteres prionurus / Black boxfish - Ostracion meleagris 
  • Été déçus par l’envol des chauve-souris (flying foxes) à la tombée de la nuit. Était-ce lié à la météo nuageuse? À la saison? Seuls quelques individus nous sont passés au-dessus du bateau, durant une dizaine de minutes… Mais rien de folichon. Les chauve-souris « c’était mieux avant », quand elles étaient des millards, à nous survoler sans discontinuer, comme un voile noir dans le ciel orangé.
L’île de Padar. 
  • Fait l’ascencion sur Padar (l’île de la photo instagramable qui apparaît dans le moteur de recherche quand on tape Komodo) au lever du soleil, à la file indienne avec la masse. La vue est incontestablement belle. Mais il faut faire abstraction de la foule, des touristes asiatiques pimpées comme des boguets pour se faire tirer la photo de profil, des russes qui abreuvent les biches avec des noix de cocos, et des connards. Là, en redescendant du sommet de notre misérable humanité, alors que la foule agglutinée sans discontinuer sur le chemin scinde la montagne en deux, deux biches s’appellent, de part et d’autre du sentier. Il n’y a pas besoin d’être biologiste-comportementaliste pour comprendre (mais visiblement nous sommes les seuls chez qui ça percute): elles veulent se rejoindre mais en sont empêchées par la file humaine ininterrompue. Telles Gandalf s’adressant au Balrog avec assurance, Louise et moi nous dressons face à la foule qui arrive en amont: « Vous ne passerez pas! STOP! » La foule obéit, à une pétasse près. Une fois le passage ouvert, l’animal rejoint les siens, aidé par Seb qui lui met une pichenette aux fesses pour lui indiquer le top départ.
  • Profité de la plage de Pink Beach (qui n’a de rose que les photos retouchées sur les pancartes publicitaires). Judith a fait des châteaux de sable et des doigts d’honneur aux drones (ce geste lui ayant été inculqué par ma faute, comme principe éducatif de base: les drones tu peux, les autres, on évite le majeur). Il y avait des bières, et au milieu des bières, il y avait un cerf. Un cerf de plage, quoi. Normal, tant que ce n’est pas le cerf qui les sert, les bières.
Pink Beach. 
  • Rendu visite aux dragons, à Komodo Village. Il y a six ans, nous les avions vu sur les îles de Rinca et Komodo. Là on est à Komodo, mais pas sur le circuit « habituel ». Il y a moins de touristes, c’est moins le cirque, l’animal nous semble traité avec un peu plus de respect et d’humilité par les habitants qui font office de rangers et cohabitent au quotidien avec l’animal. Pour eux, le danger est bien réel. Pour preuve, ils n’hésitent pas à exhiber un enfant qui passe par là, à qui il manque un bras. Le malheureux se le serait fait croquer par un dragon, alors qu’il allait s’occuper des ruches, il y a quelques mois.
L’île de Komodo. 
Les dragons de Komodo sur l’île éponyme. 
L’infrastructure touristique et le village sur l’île de Komodo. 
  • Joué sur un banc de sable au milieu de la mer, à marée basse. Judith conversait avec les escargots et étoiles de mer, pendant que Louise a généré un match de foot avec les guides, en sortant le ballon.
L’île de sable et l’œil de l’escargot de mer. 
  • Essuyé une grosse pluie qui a « inondé » le bateau. Il a fallu tout abriter, puis étuver avec les pieds. On a gentiment fait comprendre au guide que non, le moment n’était pas vraiment opportun pour l’activité « chill on the beach » prévue dans son programme. Je crois que c’est à ce moment-là qu’on l’a définitivement perdu, Franco le Toxo… On a mis de la musique, on a dansé, chanté et dessiné. Louise a perdu une dent (décidément, elle perd tout, même ses dents!) puis quand la pluie s’est calmée, trempées pour trempées, elle et les copines de croisière se sont amusées à sauter du toit du bateau.
Vermiculated angelfish - Chaetodontoplus mesoleucus / Mirrorspot butterflyfish - Chaetodon speculum. 
Black-backed butterflyfish -Chaetodon merlannotus (2x) / Sunburst butterflyfish - C. kleinii /  Ester trianglefish - C.  baronessa
Lagoon triggerfish - Rhinecanthus aculeatus - Titan triggerfish - Balistoides viridescens. 
Une espèce de sole et un poisson cardinal (Spotgill cardinalfish - Ostorhinchus chrysopomus)
Scrawled filefish - Aluterus scriptus / Sheephead parrotfish - Chlorurus strongychephalus 
Non-indigenous fish species - Paulinus kallipygos et Louisa puella.

À la découverte de l’ïle de Florès en voiture

Carte avec le parcours du roadtrip en noir à travers Florès. 

Jour 1: De Labuan Bajo à Ruteng

Avant de prendre la route, petit arrêt café-caca à Labuan Bajo pour Judith, petit être extrêmement productif, qui nous y a déchargé un semi-remorque de merde. La patronne du café, originaire de Java mais installée ici depuis des années, prend le temps de nous partager ses coins préférés de l’ïle et des alentours, là où elle aime se rendre avec ses enfants. Elle aussi, un jour, elle rêve de partir voyager en famille.

C’est dans la région de Ruteng, dans « la grotte des hobbits » qu’ont été découverts les « vieux restes » de l’Homme de Florès (une espèce humaine de petite taille, probablement en raison du phénomène de nanisme insulaire, qui vivait ici il y a plus de 60’000 ans). Un population « pygmée », née du même phénomène, peuplerait encore certains villages de la région (mais nous n’avons pas joué les chasseurs de créatures pour aller vérifier). Sur la route, nous nous arrêtons pour admirer les rizières « en toile d’araignée », une autre spécificité du coin. Notre itinéraire est bordé de paysages de montagnes recouvertes de jungle, de villages, de cultures, d’églises au toit de tôle ondulée rouillée et de sourires bienveillants. On achète des bananes au coin d’un des (trop) nombreux virages… Puis on s’installe pour une nuit dans notre homestay « Hobbit hill », un peu en-dehors de la ville. Le logement est très basique mais propre (en-dehors de Labuan Bajo, les logements sont rudimentaires, à l’image du niveau de vie de la population). On n’est pas compliqué, on se contente de peu de confort. On a juste eu du mal à avaler notre souper et notre petit déj, cuits à l’huile de vidange usagée (véridique! Une partie des gens utilisent les vieilles huiles ou de l’essence, de peur de cuisiner au gaz et que leur maison n’explose). Même la pastèque arôme gaz d’échappement-plastique brûlé, c’était moyen.

Les rizières en toile d’araignée de Cancar. 
La carrière et le village de Cancar. 

Jour 2: De Ruteng à Bajawa

Nous prenons la route en direction du volcan Inerie et des villages traditionnels construits sur ses flancs (Bajawa étant la ville principale. Soudain, le GPS nous signale de probables perturbations du trafic liées à un tremblement de terre de magnitude 6… Après vérification auprès du type chez qui nous avons mangé une excellente soupe de nouilles, personne n’a senti la terre trembler ici. Le séisme s’est produit au large de l’île de Sumbawa et il n’y a pas d’alerte au tsunami. Ouf. En Indonésie, mieux vaut ne pas regarder de trop près la situation sismique, car ça tremble et ça « érupte » au quotidien, tout autour de nous. Les personnes que l’on croise sont toutes tellement gentilles que Seb se méfie au début, à tort. Les gens sont sincèrement adorables, sans rien attendre en retour, comme nous aurons pu le vérifier à de nombreuses reprises. Nous nous engageons sur la petite route côtière pour rejoindre Bajawa en passant par les villages ethniques de Bena et Luna. Là, au trou du cul du monde, à la sortie d’un village sans nom (30 min à l’est d’Aemere), on a crevé. Le loueur de voiture nous a filé une roue de secours, mais pas la clé imbus qui va avec. Je pars à pied chercher du secours: les deux réparateurs de pneus du village sont fermés (c’est les vacances de la fin du ramadan, même pour les cathos!). Personne ne parle anglais. Je montre une photo de pneu crevé à une femme: sa cataracte carabinée l’empêche de voir l’image. Je persévère avec une autre passante, qui arrête un motard, qui m’emmène dans un garage et repart sans rien demander, me plantant là seule et sans réseau pour pouvoir traduire… Je ressors ma photo de pneu plat et entame un long processus explicatif devant tous les jeunes hommes du village réunis pour l’évènement (car ils sont persudés que je suis une jeune étudiante célibataire et que y a moyen). Seb, resté à la voiture avec les filles, commence à être cerné par le reste des villageois qui ont dû faire le téléphone arabe. Je parviens à rappliquer avec le garagiste, son camion, et quelques uns de mes prétendants (qui déchanteront un peu à la vue de mon mari et mes deux enfants). Nous sommes désormais une petite trentaine à contempler le pneu en fumant des clopes, chacun y va de son grain de sel, mais personne n’a la solution ni la bonne clé. On nous apporte des noix de coco (dont on ne sait pas vraiment quoi faire), les filles jouent avec les enfants… Au bout d’une heure, un type emmène Seb (contre les frais d’essence) dans quatre garages différents jusqu’à trouver quelqu’un qui nous prête la fameuse clé imbus de 12 (une denrée rare, car ici, les jeux de clés s’arrêtent au numéro 10). Peter, le seul anglophone du village, débarque sur « la scène de crime » alors que les filles et moi attendons toujours auprès du véhicule. Il nous invite à prendre le thé chez lui! On le suit, et toute la troupe de gamins viennent avec. Peter vit avec sa femme et ses enfants dans une maison en dur, dont nous restons sur le seuil. Il y a un banc, dehors, au milieu du tas de sable et de cendres. C’est là qu’il nous reçoit. Sa fille partira bientôt étudier à l’université, les plus reconnues à proximité se trouvant à Bali ou au Timor. Lorsque je lui demande à pouvoir utiliser les toilettes pour emmener Judith, il semble gêné de me guider à travers la porcherie. Il nous laisse finalement utiliser les toilettes à l’intérieur de sa maison vide. Pas de meuble, rien. Quatre mur, un wc turc sans porte, un creux du feu, à l’arrière, à côté des cochons. Peter est de ceux qui ont « réussi ». Il a été chauffeur à Bali pendant quinze ans. Désormais, il a un business de location de tentes pour les mariages et intervient auprès de la « commune » lorsqu’il y a besoin de quelqu’un qui parle anglais. À Florès, le village est une grande famille que l’on chérit. Nul besoin d’une table pour recevoir ni même d’un lit pour dormir. La vie se déroule dans la rue, sur le seuil des maisons, ou au bord de la route lorsque les « bule » au pneu crevé viennent animer la journée. Nous aurons passé près de quatre heure au cœur de cette communauté jusqu’à ce que notre pneu soit changé. Chacun a aidé, sans vraiment aider, sans rien réclamer, sans rien accepter. Juste par souci « d’aider son prochain ». Lorsque nous quittons le village, il est trop tard pour passer par les villages ethniques. Nous rejoignons Bajawa munis de notre roue de secours, par la route principale et les forêts de bambous. Nous y passerons la soirée, dans un bar ambiancé par un très bon chanteur de reprises de rock, puis la nuit, au Cinnamon homestay.

Une partie de l’’équipe de soutien pour la réparation du pneu, à droite notre pilote de moto et Peter à l’arrière.
Le versant nord-ouest du Gunung Inerie, depuis les hauts d’Aemere. 
Le versant nord du Gunung Inerie depuis Beja, proche de Bajawa. 

Jour 3: De Bajawa à Moni

Réveil aux aurores pour avoir le temps de visiter le village traditionnel de Bena (celui qui était prévu pour hier), sur la route pour Moni. Le village est peuplé par l’ethnie « Ngada », qui vit selon des coutumes et rites ancestraux. Désormais catholique, la population demeure en partie animiste. Les crânes de buffles et mâchoires de porcs suspendus en guirlandes sur le fronton des cahutes en paille témoignent des sacrifices animaux qui y sont encore pratiqués. Les femmes tissent, accroupies devant leurs huttes. Elles nous vendent leurs ouvrages et un fagot de bâtons de vanille. Elles nous sourient, de leurs bouches « sanguinolentes », les dents rougies par la chique. Devant chaque maison, sèchent et craquellent au soleil, les muscades et bétels. Une vieille et son voisin s’engueulent, un monstre chnabre qui ne fait réagir que nous. La vieille finit par se rasseoir, le vieux reprend la taille de ses bambous pour en faire des balais. La vie au ralenti se poursuit. On entend à nouveau le silence du village, le chant du coq et le craquement des noix qui sèchent.

Le village de Bena peuplé par les Ngada. 
Ambiance dans le village de Bena. 

Nous reprenons la route à travers les campagnes, les montagnes et volcans, la jungle et les plantations, puis la ville d’Ende, distinguant parfois la mer et les plages de galets turquoises. On regarde les buffles qui se baignent et les poulets qui détalent, les vaches qui ruminent et les chèvres qui trottinent. Puis nous arrivons chez Rago’s homestay, à Moni, au pied du volcan Kelimutu. Nous sommes accueillis comme des membres de la famille par John et son épouse Maria. Nos filles jouent dans le jardin avec les leurs, nous partageons les repas du soir avec eux et les pièces rapportées (famille, amis, clients). Nous avons de longues conversations, notamment avec John, qui est très ouvert à nous parler de son pays, de sa culture, de son lien à l’animisme, de sa vie. Nous avons adoré être ici, comme à la maison, comme si on se connaissait depuis toujours alors que nous évoluons dans des réalités difficilement comparables.

Sur la route avec les durians et toujours le Gunung Inerie depuis Bena avec sa poche de nuage. 

Les amoureux se sont connus à Bali, sur un dancefloor, un de ces soirs où le Arack (alcool de riz) leur avait un peu trop chauffé le gosier. Comme beaucoup de jeunes de Florès, ils étaient partis travailler « en ville » (Bali, Java ou Lombok dans le cas de John), puis sont revenus sur leurs terres au moment de fonder une famille. Tous deux se considèrent comme chanceux, ils ont pu faire des études: John était infirmier et Maria enseignante. Aujourd’hui, Maria est la sécurité financière de la famille, avec son poste « haut-placé » dans une banque. Elle déteste son travail, mais elle ne pourrait pas rêver meilleur salaire (le personnel du gouvernement et celui des banques ont les plus hauts revenus de l’île). Son activité permet de subvenir aux besoins de John et des enfants (deux filles que le couple a recueillies et adoptées, plus tous les autres gosses dont ils s’occupent afin qu’ils aient accès à une scolarité) les mois où le tourisme est moindre, au homestay. John ne se plaint pas, il fait partie de ceux qui ont un bon niveau de vie. Ici, à la campagne, ce n’est pas comme dans les villes, il n’y a pas besoin de beaucoup: « avec quelques graines, un jardin et des poules, tu as à manger tous les jours. » Si aucun d’eux n’exerce plus le métier qu’il a étudié, c’est parce que sur Florès, un infirmer, tout comme une enseignante, doit se contenter d’un salaire mensuel (mais versé tous les trois mois) de 650’000 IDR (environ 30 CHF)! C’est indécent, même ici. Pour donner un chiffre… Lorsqu’un couple veut se marier, la famille de l’homme doit réunir « suffisamment » de cadeaux pour convaincre la famille de la femme d’accepter l’union: buffles, chevaux, poulets, bananiers, cocotiers, bijoux…. Lorsque nous étions chez John et Maria, ils se sont absentés le temps d’une nuit pour participer à une de ces cérémonies des offrandes… La famille de la mariée a récolté pour environ 80 millions IDR (soit 3000 balles de bétail et des bananiers!)

Nous avons eu un coup de cœur pour cette famille et ce logement qui restera l’un de nos meilleurs souvenirs du voyage. En plus des bons moments partagés, John nous a aidé à faire réparer notre pneu (comme ça si on recrève, on pourra remplacer la roue de secours, à condition de trouver la clé!). Il nous a lavé notre linge gratuitement et filé plein de bons plans. Nous avons adoré son humour, sa sensibilité et son intelligence émotionnelle. Nous avons été touchés par leur histoire, le rayonnement de ce couple solaire.

Le réparateur de notre pneu crevé. A profiter du moment présent, nous n’avons pas pris de photo de John et Maria. 

Durant notre séjour de deux nuits à Moni, nous sommes montés au sommet du volcan Kelimutu, un lieu sacré pour les habitants de la région. Il est facilement accessible en une trentaine de minutes de marche sur un petit sentier. De là-haut, on peut admirer sa particularité: trois lacs de cratères aux couleurs distinctes (un vert, un bleu et un turquoise) s’y sont formés. La couleur des eaux évolue et change au fil des années (en raison des oxydes de fer et de souffre qui les teintent), ce qui prête au lieu une aura mystique. Nous sommes restés un peu à regarder, l’odeur du souffre dans le nez et le goût du fer en bouche… On a joué le jeu de la « pose » photo avec les locaux, on a observé les macaques faire les poubelles, puis quand on en a eu marre d’être sur toutes les photos de famille on s’est barré. Pendant la descente, Louise nous a donné ce précieux conseil: « Les Indonésiens avec les photos, c’est comme les macaques: faut pas les regarder dans les yeux ni leur sourire sinon ils attaquent! »

Le Gunung Kelimutu. 
Les macaques et les selfies au sommet du Kelimutu.

Jour 5: De Moni à Maumere

Une cimetière chrétien sur la route. 

Sur la route de Maumere, nous faisons halte à « Koka beach », une plage qui a la réputation d’être la plus belle de l’île… Et c’est probablement vrai! Puis nous avons rejoint Maumere où nous passons deux nuits, en bord de mer, dans la maison de Susie (une locale) et son mari hollandais (qui fume comme 8 indonésiens et planque des bouteilles de Arack sous sa liquette!). Susie est adorable, elle joue avec les filles dans le jardin, leur fait des petits déj à la confiture d’hibiscus et au cacao maison, leur montre comment préparer le chocolat à partir des fèves… Une vraie « maman »! La ville n’a pas vraiment d’intérêt touristique, nous avons eu du mal à dégotter un resto qui ne serve pas de la couenne de lard, ou un lieu dont les commentaires Google nous ont inspiré confiance. L’un d’entre eux nous a particulièrement fait douter: « Ici, le pénis est délicieux. »

Notre Homestay à Maumere avec Susi et sa pâte de cacao frais.  
Sur la route vers Maumere… 

Pour aller explorer les îles au large de Maumere, nous nous rendons à 40 minutes de route à l’est, où nous attend le bateau de pêche en bois. Nous sommes seuls à bord avec le capitaine et son fils. Une bonne heure de navigation nous emmène au large. La colonne de fumée au sommet du Lewotobi (toujours en éruption) est bien visible d’ici. Soudain, un émouvant spectacle nous accueille. Louiser la route raconte: On discute de tout et de rien, banalement. Tout d’un coup, maman a failli faire chavirer tout l’équipage en hurlant « LÀ, DES DAUPHINS!!! DES DAUPHINS!!!!!!! » Je tombe presque dans l’eau pour voir les dauphins. ET IL Y AVAIT UN BANC ENTIER DE DAUPHINS!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!🤩Je saute a l’avant du bateau pour mieux les voir. J’entends des ploufs de tous les côtés du bateau! En fait, il y en a plusieurs groupes, tout autour de nous. Même papa et maman n’en ont jamais vu autant, pendant aussi longtemps. Il y en a plein qu’on voit nager à moins d’un mètre du bateau ⛵️!! Il y a même une maman avec son bébé 👶🏼! Au total on en a vu entre une trentaine et une quarantaine! (Autrement dit, à peu près quatre pods—> un de dauphins truc muche, on ne sait pas le nom… et trois de dauphins géants -Tursiops truncatus.) je sais pas combien de microbes 🦠 j’ai aspiré tellement je gardais la bouche ouverte 😮😜… Je n’étais pas « aux anges », j’étais carrément « aux Dieux » tellement j’étais émue de voir ça! D’après Susie (qui nous a réclamé toutes les photos et vidéos quand on lui a raconté), nous sommes chanceux car normalement les dauphins se montrent seulement en mai et en novembre. Et ils sont rarement autant! Selon elle, c’est un signe que nous sommes de bonnes personnes, qu’ils aient voulu nous rencontrer et rester près de nous.

Deux espèces de dauphins différentes, en haut le Dauphin à long bec et en bas le Grand Dauphin.

Durant cette journée, nous n’avons croisé aucun autre touriste. Nous avons visité plusieurs spots de snorkelling qui nous ont également apporté leur lot de surprises et d’émotions. Bien que j’aie perdu mon masque au fond de l’eau dans le feu de l’action (alors que je tentais de remporter un combat de catch aquatique contre Judith qui refuse de rester en sécurité dans la bouée, me bouche le tuba ou me bloque le bout des palmes), les fonds marins se sont révélés impressionnants. Un grand banc de thons vient remuer la surface, comme un bouillon, au moment où je saute à l’eau. Ouf, ils sont suffisamment loin pour que je ne me retrouve pas à « l’épaule » avec la foule d’agités du bocal. Mais Louise prend peur et renonce à nous rejoindre ce coup-ci. Alors qu’elle reste au bateau avec sa sœur, Seb et moi longeons la faille sous-marine (causée par un séisme en 1992, qui a généré un important tsunami dans la région). C’est splendide! On dirait que les coraux et les poissons jaillissent des entrailles de la terre. On a l’impression de longer la frontière entre la plaque tectonique et le néant, le bord du gouffre au dessus du royaume abyssal. Le capitaine saute à l’eau à son tour et nous indique de le suivre en criant « Manta! Manta! ». Je repère des raies, dissimulées sous le sable… Je peine à y croire, mais ce sont bien des raies Manta. Tout à coup, disposées en losange comme des avions de chasse en plein meeting aérien, quatre raies majestueuses défilent en tournoyant juste au-dessous de nous. Elle n’ont pas de fumigènes aux couleurs nationales qui leur sortent des fesses, mais le spectacle est à couper le souffle!

Ray léopard - Spotted eagle ray - Aetobatus narinari.
Latticed butterflyfish- Chaetodon rafflesi / Melon butterflyfish- C. trifasciatus - False Clown Anemonfish- Amphiprion ocellaris

Nous terminerons la journée sur la plage de Babi island. Bordée de cabanes de pêcheurs, l’étendue de sable et de coraux blancs est déserte. Seb ronfle sur le pont du bateau, alors que les filles et moi nous amusons à pêcher les plus beaux coquillages, enfouis entre les déchets. Deux gamins du village viennent à notre rencontre, perchés sur un gros bout de sagex flottant, qu’ils utilisent comme embarcation, pagayant à l’aide d’une tige en bambou. Ils jouent longuement avec nous, se prêtant au jeu des fouilleurs de fond, apportant à notre trésor les plus beaux spécimens nacrés.

Le village de pêcheurs sur Pulau Babi et les chercheuses de coquillages.
Au loin, à une trentaine de kilomètres vers l’est, le volcan Lewotobi encore en éruption lors de notre périple. 

Jour 7: De Maumere à Riung (Parc national des 17 îles)

Nous quittons Maumere par la route côtière, une piste défoncée, sur laquelle on avance au pas pour éviter les nids de poule et les précipices. Les sept heures de trajet à serrer les fesses et à croiser les doigts pour ne pas crever à nouveau en valent la chandelle: nous sommes récompensés par une nature somptueuse, des villages reculés à la jungle, des falaises qui dominent les eaux turquoises aux collines épluchées par le vent. On fait une pause « pop mie » (les soupes instantanées indonésiennes) sous un abri, entre nulle part et le trou du cul du monde. Rapidement, un rassemblement de curieux se forme autour de la guinguette. Dans ce coin, il ne doit pas souvent y avoir de « Bule » qui passent. On regarde les buffles qui se baignent et les fidèles qui se rendent à la messe, missel à la main, endimanchés dans leurs plus beau sarong. On pisse, pas vraiment cachés derrière la voiture, à côté d’un serpent mort que l’on soupçonne de ne pas l’être vraiment. Puis on atteint notre guesthouse à Riung, où nous passerons les deux prochaines nuits.

Paysage sur la côte nord de Florès. 
Ambiance du roadtrip sur la côte nord de Florès entre Maumere et Riung. 

Arrivés à la tombée de la nuit, nous avons organisé notre excursion sur les îles le lendemain. Puis nous sommes sortis manger dans l’un des deux restos du bled. Au nombre de français qu’on y croise, on devine que celui-ci doit sans doute être recommandé par Le Routard. Paul, notre hôte, a le souci de bien nous accueillir, mais on n’est clairement pas sur du logement « haut-de-gamme ». On déjeune avec des pancakes pas cuits (en réalité, les pancakes indonésiens sont toujours des sortes de crêpes pas cuites), dans l’arrière cuisine qui fait office de poulailler, embrumés par la fumée de Kretek pendue au bec du cuisto. On nous propose de nous faire notre lessive, sans préciser qu’elle sera faite à la main, donc rendue sale, puante et détrempée au moment de notre départ. Vu l’effort fourni et la gentillesse qui l’accompagne, on n’a pas le cœur de leur avouer qu’on va devoir tout faire relaver ailleurs.

Sur le bateau pour les 17 îles avec notre capitaine et ses moussaillons. 

Lors de notre excursion aux 17 îles (pas certaine qu’il y en ait vraiment 17), nous partageons le bateau avec une Italienne, de Turin, au comportement atypique et solitaire que je situerais en plein centre du spectre autistique. Le jugement et le diagnostic étant désormais posé par mes soins, nous pouvons poursuivre notre journée en essayant de décrocher un sourire à la dame. Nous avons exploré trois spots de snorkelling « classiques », avec des coraux et des poissons de récifs et une tortue aperçue par Seb (deviendrait-on blasé de ne pas trouver l’endroit si exceptionnel?). Nous avons mangé du très bon poisson grillé (thon rouge et redsniper) sur une île, comme des Robinson Crusoé. Mais le moment de la journée que nous avons préféré est celui où le bateau nous a approchés de l’île aux chauves-souris. Se dévoilant comme des feuilles calcinées suspendues à toutes les branches de la mangrove, des millions de « renards volants » dorment tête en bas. Nous sommes si proches que nous distinguons toutes leurs conversations (oui, elles parlent en dormant!). La « marée noire » pendue à la verdure est impressionnante! À notre retour au village, nous nous rendons au port à la tombée de la nuit, pour les voir s’envoler et arriver jusqu’ici. Y a pas foule dans le « firmament » (mot désormais utilisé par Judith lorsqu’elle évoque le ciel), mais on voit quelques « Batman » se dessiner au-dessus de nos têtes avant que le ciel ne sombre dans l’obscurité.

Le repas de midi sur l’île de Tembang, l’une des 17 îles.
Une colonie de Rousette de Malaisie ou Renard volant - Large flying fox - Pteropus vampyrus - qui ne mange que des fruits.
Phantom Bannerfish - Heniochus pleurotaenia / Peacock grouper - Cephalopholis argus
Surgeonfish - Acanthuridae sp. / Oriental sweetlips - Plectorhinchus vitrâtes 
Green chromis - Chromis viridis /  une espèce de poisson Cardinal
Reticulate dascyllus - Dascyllus reticulatus / Whitetail dascyllus - Dascyllus aruanus 
Benitier (bivalve) laissant sortir son manteau bleuté. Deux espèces de tuniciers, dont une ascidie cœur de bœuf en bleu-jaune.
Coraux, gros plan sur une étoile de mer, éponge tubulaire en bleu et anémone.

Jour 9: De Riung à Ruteng

Aujourd’hui, nous embarquons Nico et Margaux, un couple de jeunes français rencontrés à Riung, qui cherchaient désespérément un moyen de se rendre à Ruteng. Lui est boulanger, elle pâtissière. Ils ont vécu deux ans en Australie où ils exerçaient leurs professions. Là, ils voyagent quelques mois en Asie, à la recherche de leur prochain lieu de vie. On partage les frais de location de la voiture et les tips gastronomiques pour « bien réussir son pain au levain ». Les discussions me donnent tellement faim! On se contentera de saliver à l’idée de croquer dans un bout de baguette et on se rabattra sur des chips et un paquet de biscuits à la vanille chimique comme repas de substitution. On dépose nos compagnons de route à leur homestay et on convient de les reprendre le lendemain, pour le trajet retour jusqu’à Labuan Bajo.

Nous retrouvons le « hobbit Hill homestay » (celui de la bouffe à l’huile de vidange) où nous passerons la nuit. Mais on ne nous aura pas deux fois, on file souper dans une excellente pizzeria.


Jour 10: De Ruteng à Labuan Bajo

La lessive mal lavée parfume le coffre de son odeur de mort. On planque « le cadavre » sous les sacs, avant d’aller chercher Nico et Margaux. Cinq minutes après avoir quitté notre homestay, on crève. Merde. Je retourne à pied chercher de l’aide au homestay, j’en reviens avec une clé (la mauvaise). En chemin, deux scooters me proposent de me déposer, reflétant cet incroyable esprit de solidarité, particulièrement marqué à Florès. Lorsque je rejoins Seb et les filles au véhicule accidenté, deux types se sont déjà arrêtés pour aider. L’un d’eux emmène Seb acheter la fameuse clé (trouvée dans un garage poids-lourd), l’autre attend un moment près de nous. En quarante minutes, l’affaire est poutzée, le pneu changé! Nous repartons et imprégnons nos mémoires de quelques clichés locaux, aperçus au passage, comme cet assemblage d’étais qu’on croirait construit avec des cure-dents, cette « pom-mini », une pompe à essence sortie d’un autre temps, ou ce type accroupi dans sa maison, adossé à sa seule possession, le bien le plus précieux qui meuble son cœur de mélomane: une pair de monstrueuses enceintes (pas des meufs en cloque, mais bien des colonnes pour se faire saigner les oreilles à fond les ballons!). On embarque nos deux français et on trace la route jusqu’à Labuan Bajo, poursuivant nos conversations alléchantes sur l’art du croissant ou du mille-feuilles.

Les étais locaux, plus proche du cure-dents mais dont la tenue est surprenante. 

Puis nous avons passé notre dernière nuit à l’hôtel Bonne nuit, avant se s’envoler pour quelques jours de surf entre Lombok et Bali.