Creston, fin août 2020. La saison des cerises est terminée et la soirée de départ a été bien arrosée. On a liqueur lourd et l'estomac en vrac. Ça fait bizarre de ne plus travailler la nuit, alors ce qu'on fait c'est qu'on dort jusqu'au petit soir. C'est à ne plus rien y comprendre ! On a beau mettre la main au panier, il n'y a rien qui se passe. Les arbres sont vides, on leur a tout pris, ils ont tout donné.
Le cerisier met un an pour créer ses fruits, le cueilleur met une heure pour les lui prendre. Après ça, il rentre en période d'hibernation. La sève fait demi-tour, l'énergie repart vers la terre. Les feuilles meurent et l'arbre est prêt à se reposer avant le printemps qui verra le monde s'émerveiller devant ses fleurs.
Pas sur de s'en remettre de sitôt de cette expérience hein !? Allez hop, tous en van et en route vers les Rocheuses !
FruitDom
Là c'est carrément la folie, on part en vacances qu'on a l'impression de vraiment mériter (parce que le travail rend libre c'est bien connu) avec un van qui tient la route et du temps pour en profiter. L'objectif c'est de remonter tranquillement jusqu'à la petite ville de Jasper en se frayant un chemin entre les montagnes, puis de redescendre doucement vers la vallée d'Okanagan où nous attend notre prochain travail dans le courant du mois de septembre (cueillette de pommes). Nous sommes au milieu d'une bonne période, celle qu'on appelle vertueuse et qui prédispose à faire des choses biens. On est content de ce qu'on a fait et notre programme est bouclé pour après. Entre les deux, quartier libre et glande assurée. L'âme en paix et l'esprit créatif. N'est-il pas là le meilleur moment pour profiter du moment present ?
Si coule la vie Alors c'est parti, allons découvrir un peu plus le Canada et ses montagnes, si petites sur la carte mais tellement imposantes dans l'image idyllique qu'on se fait du pays avant de le découvrir pour de vrai. Les Rocheuses sont clairement la destination touristique de l'ouest canadien et ses attractions grandeurs natures sont pour beaucoup la représentation typique du pays. Et heureusement pour tout ce petit monde, les plus beaux endroits sont accessibles par l'autoroute et il n'y a souvent qu'un pas à franchir depuis le parking pour vite accéder à un selfie mémorable. Nous voilà rassurés !
Mais avant tout ça, nous avons tranquillement pris la route vers le nord, depuis Creston, en traversant la région des Kootenay (la même où nous étions en quarantaine dans notre cabane). Un endroit superbe et sauvage, où le tourisme est loin d'être étouffant. Parfait comme premiers jours de liberté pour faire office de transition et retourner à une de vie normale et se remettre du rythme acharné des cerises. C'est avec une grande simplicité que l'on a sympathisé avec des canards sur la plage, vu des ours sur la route, visité des anciennes villes minières, traversé des lacs en bateau, déambulé dans la jolie ville de Nelson et puis aussi dormi des heures sans avoir besoin de mettre de réveil !
Luxe calme et oisiveté Et après quelques jours, nous sommes arrivés au parc national des Glaciers, notre premier rendez-vous avec les hautes montagnes canadiennes (nous ne somme pas encore dans les Rocheuses mais dans le massif Columbia). Une première rando marque le début d'une longue série et nous offre une entame des plus fracassante dans le monde des paysages à couper le souffle du Canada. Perley Rock Trail ou comment utiliser nos jambes pour atteindre le pied d'un glacier. 1200 mètres de dénivelé pour se chauffer et sueur froide à l'arrivée.
Illecillewaet GlacierIls auraient appelé cette randonnée "La Galerie des Glaces" que ça nous aurait pas choqué, au vu de l'incroyable decors panoramique que nous avons pu apprécier tout le long du chemin. Le problème c'est que pendant les dix jours suivants, chaques marches entamées ou presque nous a offert une vue plongeante sur un de ces gigantesque amas de glace millénaire. Des paysages de montagnes somptueux à tout bout de champ. Et comme il paraît que le bonheur n'existe vraiment que quand il est partagé, on s'est fait plaisir en vivant quelques-uns de ces moments avec des copains cueilleurs eux aussi en vacances dans le coin !
Balu Pass Trail Et puis avant d'entamer la route qui deviendra plus tard une des plus belles qu'on ait emprunté dans notre vie, on a fait un arrêt aux lacs les plus connus du Canada : Le Lac Louise et le lac Morraine. Si réputés qu'il faut carrément se lever à 5 heures du matin pour avoir une place aux parkings (Pourtant gigantesques !) Il est toujours plus facile de se demander après coup : "est-ce qu'on a bien fait de venir pour ça ?", mais l'homme est ainsi fait. On a beau savoir qu'un lieu attire beaucoup de monde au détriment de son charme et de sa beauté, on a décidé d'y aller quand même...
Lake Louise Mais on n'a pas été déçu du voyage. Le Lac Louise ne nous aura pas fait une énorme impression (la météo n'ayant pas aidé) et son immense château-hotel de 8 étages et près de 600 chambres ne nous aura pas tenté plus que ça. Le Lac Morraine restera notre préféré ! Vue plongeante sur le lac, comment ne pas succomber à cette eau couleur émeraude aux apparences irréelles ? On aurait presque envie de payer 100$ pour une petite heure de canoë, non ? Bon ok partons plutôt marcher vers le Col des Sentinelles et sa vue imprenable sur les 10 pics qui l'entoure. Majestueux !
Lake Morraine & Sentinel Pass TrailEt cette fois-ci on est bien dans les Rocheuses. Nous sommes dans le parc national de Banff, en Alberta, à quelques kilomètres de Canmore, où nous étions 6 mois plus tôt.
Bref nous continuons notre route et partons un peu plus à la découverte de la nature canadienne. Depuis Lake Louise (la ville du même nom que le lac), nous empruntons la route 93 vers le nord, ou la Promenade des Glaciers comme elle s'appelle, et censée nous mener jusqu'à Jasper 230 kilomètres plus loin.
Et c'est précisément à partir de ce moment que notre road trip s'intensifie quelque peu. Nous voici sur une route spectaculaire aux allures de rêve éveillé, qui chaque jour nous en offre un peu plus au point de ne pas avoir envie de la quitter. Nous y passerons une petite semaine, marchant tous les jours et naviguant entre les montagnes et les glaciers, omniprésents tout le long du chemin. Ils sont les gardiens légendaires d'un secret à la valeur infinie, celui qui traverse les âges et les années, et qui en quelques temps seulement se mettent à fondre à vitesse grand V. De l'âge de glace à l'Anthropocène, nous voici les témoins de leur derniers instants, avant qu'ils ne disparaissent à jamais...
En attendant ce jour si déprimant, nous avons profité de la gaieté du lieu pour se gaver de randos et s'en mettre plein les yeux ! Malgré quelques averses, de la neige et des températures parfois négatives la nuit, nous n'avons pas pu nous empêcher de marcher, en quête de tranquilité.
Wilcox Pass, Helen Lake & Mount Edith Cavell Et puis un matin au petit jour du soleil levant, nous avons croisé des Mouflons Canadiens, qu'on appelle Big Horn Sheep en anglais (Moutons avec des grosses cornes), et qui entre nous sonne beaucoup mieux. Le genre de rencontre qu'on sait apprécier quand elle arrive et qui sans mauvais jeu de mot ce jour-là nous a laissé completement bouche bèèèèèè ! On a relevé qu'il n'y avait que des mâles dans le troupeau, qui paraît-il vivent en célibataires toute l'année et qui retrouvent les femelles que pour la période d'accouplement (novembre/décembre), où s'établit à ce moment-là une hiérarchie entre les béliers, dont la taille des cornes (qui poussent toute leur vie et ne tombent jamais) détermine la victoire des aînés. En cas d'égalité, il y a bataille ! Mais en attendant ils profitent du soleil et de leur liberté et se laissent facilement observer par quelques randonneurs chanceux qui se trouvent sur leur sentier.
Big Horn Sheep Mais revenons à nos moutons et continuons la visite. Nous voici maintenant dans le parc national de Jasper, dont nous approchons de la ville du même nom. En un siècle, cette ville a vu la région changer et le tourisme s'incorporer dans la vallée. Comme un peu partout au Canada son histoire est la même, au départ il n'y avait que des Indiens vivant de chasse et de pêche dans ces plaines verdoyantes, et puis un jour les européens ont tout chamboulé. Pas facile de traverser les Rocheuses à cette époque, mais ils ont su y arriver, etablissant un poste de traite de fourrures à Jasper. La demande de fourrures explosant en Europe et dans le monde, cette période a vu le Canada s'impliquer de toute part dans la chasse au castor. 250 ans de massacre laissant les hommes se déchirer et les animaux disparaître de manière dramatique. Les Rocheuses n'ont pas été épargnées.
Pendant cette même période (19ème siècle), deux sociétés de chemin de fer se font la course et cherchent à tout prix à rallier l'est à l'ouest du pays. Les hommes troquent leurs pièges à castor contre des pelles et des pioches pour aller creuser et tailler la pierre. Les Rocheuses, rempart imprenable dans la conquête de l'ouest canadien et passage compliqué pour la création d'un chemin de fer transcontinental. Un chantier titanesque qui se continuera jusqu'à la fin du 19ème siècle et dont l'issue changera l'histoire du Canada à tout jamais.
Jasper Town Nous retrouvons nos amis chiliens Constanza y Benjamin qui viennent eux-aussi de finir leur périple sur la Promenade des Glaciers. Le matin même, ils ont vu des wapitis sur leur chemin ! Rencontre idyllique au bord d'un lac à l'écart de Jasper. C'est une période de l'année où les animaux se rapprochent des villes pour se protéger des prédateurs (lynx, loups), les chances d'en croiser sont augmentées et nous avons nous aussi eu le plaisir d'en observer de très près !
Elk C'est la période de rut et les mâles sont impressionnants avec leur bois qui à ce moment de l'année atteignent leur taille maximale avant de tomber pour l'hiver. Des animaux au charisme imposant qu'il vaut mieux éviter d'approcher de trop près et ne surtout pas se retrouver entre un mâle et une femelle ! Mais quelle montée d'adrénaline incroyable en présence d'un de ces géant... Avec Conna & Benja on se lance dans un concours photo, et puis on passe notre temps à ne parler que de nature et d'animaux. On a déjà eu beaucoup de chance d'en croiser plusieurs mais on en veut toujours plus. La sérénité que procure une rencontre avec un animal sauvage est intense. Nous partageons quelques photos et quelques bières, et puis nous décidons de nous retrouver au lac Maligne, un autre trésor naturel du parc national et situé à quelques kilomètres seulement de Jasper. Nous n'avons à cet instant aucune idée des rencontres encore à venir...
Maligne Lake D'après Wikipédia, le lac Maligne est situé dans le parc national de Jasper (jusqu'ici tout va bien), dans la province de l'Alberta (toujours ok), à l'ouest du Canada (ouf on est bon !). Il mesure environ 22,5 kilomètres de long et sa profondeur moyenne est de 35 mètres. Quelques informations sur son histoire, sa géographie et sa faune, mais pas plus que ça. Et pourtant ! Septembre est décidément une belle période pour se balader dans les Rocheuses et pour voir des animaux, et avec un peu de chance le rendez-vous n'a pas été manqué.
Bois de velours
Nous avons, avec Conna & Benja, eu l'incroyable chance d'observer ensemble le plus grand animal de la famille des cervidés, j'ai nommé l'orignal ! (Ou élan si on préfère). Récit :
Lac Maligne, 8h00 du matin. La nuit a été très froide (en dessous de 0°C) et la bonne odeur du café se disperse dans Blue Jay (notre Van). Les copains chiliens sont partis faire un tour, et reviennent euphoriques en nous indiquant où voir des orignaux, une femelle et son petit tranquille au bord de la route. En y allant, on tombe sur un mâle biiiim ! Carure imposante et bois démesurés, le voilà qui, le pas tranquille et léger, se dirige vers le lac. Rien que la vue de cet animal procure une dose suffisante d'adrénaline pour se mettre à trembler. J'attrape mon appareil et nous voilà tous les deux sur ses traces, dans le respect d'une distance suffisante pour ne pas le déranger, qui nous mèneront jusqu'au bord du lac. La suite n'est qu'un pur moment hors du temps. Nous longeons le sentier pour observer l'animal mangeant des algues dont il est si friand. Conna & Benja nous ont rejoint, quelques personnes sont là aussi, tous témoins d'un instant de cet incroyable moment.
Moose Les algues contiennent d'excellents nutriments, et les élans (ou orignaux on se comprend) sont très bons nageurs et n'hésitent pas à plonger jusqu'à 5 ou 6 mètres pour aller chercher leurs plantes préférée. Ce jour-là, nous aurons également la chance de voir la maman et son petit, nager et entamer une traversée pour rejoindre l'autre côté !
Mais la cerise sur le gâteau arrive dans la soirée. Avec Zuzana nous partons pour une balade autour du Lac de l'Orignal dont le nom inspire forcément l'envie d'aller s'y promener :
Le lac est encore au soleil, et on aperçoit de l'autre côté une femelle entrain de se nourrir dans l'eau. Un peu loin malheureusement pour prendre des photos mais au moins on se dit qu'on aura vu quelque chose (on y est aussi allé la veille et rentré bredouille). Peu de temps après, et comme sorti de nulle part, un mâle apparaît ! C'en est trop il faut qu'on s'approche ! Le soleil vient de se cacher, et nous on reste discret. L'animal se lance dans l'eau puis rejoint ensuite la berge. Longeant le lac sur un sentier en hauteur, nous sommes aux premières loges pour l'observer. On partage tout ça avec un autre couple qui n'en reviennent pas eux non plus, subjugués.
Moose Lake Fabuleux non !? On en tremble encore. Il était là, tout prêt, et on était assez haut pour ne pas le déranger. Plus incroyable encore, après vérification sur les photos on s'est rendu compte que c'était le même que celui aperçu le matin ! On a d'abord cru qu'il s'était battu en voyant beaucoup du sang sur ses bois, mais on a appris plus tard qu'il s'agit en fait d'une étape naturelle qui ne leur arrive qu'une seule fois dans l'année. Les bois de l'orignal mâle poussent pendant l'été, à raison parfois de 3 centimètres par jour, et en septembre pendant la période de rut, ils perdent leur velours... En 24 heures seulement. Moments rares pour deux privilégiés. En novembre, c'est toute la coiffe qui tombe, allégeant la tête du mâle de près de 40 kilos. Le voilà plus tranquille pour passer l'hiver... Dans les bois.
Le road-trip touche à sa fin, mais on aurait envie que ça se prolonge un peu. On a vu tellement d'animaux en quelques jours qu'on voudrait que ça continue. On aimerait bien voir des ours d'aussi près ! Ceux qu'on a vu un peu partout dans la province, mais uniquement depuis la route. (Sauf pour Zuzana qui un jour en a croisé deux en marchant, dans la vallée d'Okanagan). Mais la nature est ainsi faite, la rencontre avec un animal ne se programme pas. Certaines agences propose des tours, promettant le meilleur. Le tourisme dans les Rocheuses est maintenant hyper développé, et en été la route qu'on vient d'emprunter est bondée. Festival de pick-up géants pour tourisme démesuré. Septembre nous aura permis d'éviter un peu tout ça, et la randonnée de pouvoir facilement s'évader.
Nous entamons notre retour vers Okanagan. On a encore un peu de temps, on en profite pour une dernière rando autour du plus haut pic des Rocheuses, le mont Robson et ses 3954 mètres de rochers. Impressionnant !
Mount Robson Et pour finir en beauté, la nature nous offre un dernier spectacle avant de rentrer. L'automne est la période de ponte des saumons. Après avoir passé 4 ans dans l'océan, leur horloge interne les poussent eux-aussi à rentrer. Une incroyable migration de plusieurs milliers de kilomètres a lieu tous les ans et les poissons reviennent au lieu exact où ils sont nés. Les plus costauds iront le plus loin, mais beaucoup n'auront pas là force de tout remonter. Une fois arrivés, les femelles pondent leurs œufs à l'abri du courant, et les mâles se battent entre eux pour pouvoir les féconder. Et quand le travail est fait, les saumons meurent, épuisés. Une nouvelle génération verra le jour au printemps et commencera sa migration vers l'océan.
Au parc provincial de Clearwater, nous avons la chance d'observer des saumons sauter dans la rivière. Nous sommes à la cascade de Baileys, celle qui marque la fin du périple pour certains. Le courant étant trop fort, les saumons tentent en vain de continuer.
Oh Montagnes canadiennes, que vous nous aurez fait Rêver
Soleil d'automne pour Nature abondante
Rayons de Bonheur et de Félicité
Spectateurs isolés sur chemins de Détente
Belles Aventures et souvenirs Dorés