Mes lettres persanes

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Prof de français au milieu des persans - et de "philo" pour les plus méritants - sous un Empire aux cents aller-retours, d'Avicène jusqu'à Amir Timour: dans le lycée français d'Ouzbékistan !
Du 20 août 2018 au 20 juillet 2019
335 jours
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Publié le 19 août 2018

Partir, c'est déjà partir ! -17 août 


Cette phrase très profonde, citée par Loa Tse et CheGuevara en 1962, m'est venue d'un coup d'un seul, subrepticement.


Partir, c'est déjà partir.

Quelle vérité. Quelle force. Et sans hésiter plus encore, je suis parti.

Vers un pays qui m'était inconnu. Vers les restes du Royaume mongole et la nation des rois barbares. Vers la Perse des mille et une nuits. Vers la terre des penseurs d'Iran et des premiers interprètes d'Aristote. Vers la terre de l'or et la terre du coton. Vers cette nation aux mille visages, unie aux tsars, à l'URSS, aux nuits froides et aux étés brûlants.

L'agitation des voyageurs et la traîne apprêtée des hôtesses, couverts par les voix successives des annonces de ce garage d'engins volants en action, m'ont plongé dans un univers fantasmé de voyageur aguerri. Fier comme un espion qui part pour un périple incertain mais trépidant, j'observais passivement les avions se suivre comme en armée sur ces pistes interminables, comme si mon esprit décollait avec chacun d'entre eux. Alignés sur ces routes bordées de savantes balises blanches, ils possédaient tous des noms d'enseigne, colorés, et exotiques, qui m' emportaient déjà dans le brouhaha des marchés brûlants ou des mosquées de vieilles pierres.

Dans cette attente rapide entre les murs des machines infernales et les contrôles mécaniques d’identité, chaque fonctionnaire, quoiqu’entraîné dans cette usine fastidieuse comme des robots, se montrait cependant à notre passage toujours plus avenant et courtois.

Arrivé à bout de ce tapis roulant, qui devait m’emmener aux pays des tapis volants, un jeune ouzbek de 25 ans s’est dirigé naturellement vers moi, avenant, curieux, avant que j’aie le temps de donner ma carte à l’embarquement, pour s’informer des raisons de mon voyage. Il avait habité depuis 3 ans en France. Cherchant simplement à faire connaissance, à sentir peut-être cette satisfaction d’être mon premier hôte pour le pays de son sang, il m’a proposé tous ses services. Quels bons augures!

Partir, c'est arrivé. Mais partir ce sera bientôt arriver. Écouter. Découvrir. Comprendre.

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18 août. Petit Matin.

Ô nuit dure, étirée, harassante, espérante, entre les quelques centimètres réservés aux fidèles passagers d'Uzbekistan Airways, tu ne laissas de répit qu'aux plus profonds dormeurs.

Les deux dernières heures d'avion, outre qu'elles n'achevaient pas mon impatience d'insomniaque fatigué, me donnèrent l'occasion presqu'ascétique de contempler quelques milliers de kilomètres d'un plat désert de sable... étendu à l'infini, monotone et interminable !... Ni vie, ni trace de vie, ni eau, ni montagne pendant des mois de marche... Surtout, ne pas s'y égarer ! J'ai cru être sur un satellite de Jupiter ou de Mars, survolant à distance une planète toute nue, brûlante, sans air. Mais les reliefs montagneux et des habitations dispersées çà et là, jaillissant petit à petit de terre comme des taupes de leurs galeries, achevèrent de me rassurer : nous n'avions pas quitté Soeur Terre.

Atterrissage... Applaudissements des passagers. Je baragouine à mon voisin quelques mots du bouts des lèvres en russe, me sentant plus cruche que russe, mais on semble se comprendre.

Quant au soleil, doux et clément après notre arrivée, ne s'est pas gêné pour nous tromper largement sur l’après-midi torride qu'il nous réservait. Quelques 40 degrés à l'ombre au moins !

Avec trois françaises en vadrouille dans cet aéroport aux allures soviétiques, encore vide en ce petit matin, nous avons pu échanger sur les superbes possibilités d'excursion entre le Kirghizistan et l'Ouzbékistan. Nous devrions nous retrouver à leur retour du pays nomade, pour un verre à Tachkent! L'aventure commence (très) bien !

Ni une, ni deux, je suis récupéré par un professeur de l'école française, et guidé comme un aveugle au travers de cette immense étendue d'immeubles et de verdure. Tachkent ! Ville majestueuse, propre, aux allures mélangées de Russie soviétique et d'Empire perse moderne, orchestrée autour de grandes avenues droites, aux immeubles imposants, pondérés tous les cent pas par des arbres, des fontaines, des statues ou des parcs. Tous les 30 mètres, un policier, une matraque colorée à la main droite, patient dans son uniforme clair et classe, nous assure de la sécurité en ce jour où Chavkat Mirzioïev, Président ouzbèke, accueille son homologue tadjike.

A la lumière claire de l'aube, déjà densifiée par un brin rougeâtre d'une chaleur d'été qui pointe, les immeubles sont beaux. Les voitures presque toutes identiques à quelques trois ou quatre modèles près, de couleur beige ou blanche, passent leur chemin, solennellement, dans cette ville immense et calme. On ne trouve pas un homme gisant, pas un coin de rue sale, pas un semblant de trace de misère, comme on pourrait l'imaginer pourtant. Peut-être la misère est-elle plus claire en province, peut-être se cache-t-elle ici, derrière des murs plus inaccessibles, ou dans des quartiers reculés. Mais il ne semble y avoir de gens délaissés ni d'exclus, c'est frappant. Les gens dans les rues se parlent, sourient, la vie s'anime comme une maison à l'unité cohérente, de gens qui se connaissent de par leur passé... du moins c'est l'impression qu'ils donnent. Ce qui est sûr est que l'on se sent bien dans cette ville paisible, majestueuse, dont les habitants mettent tout leur plaisir à communiquer avec vous, sur les 5 mots que vous avez en commun...

Taxi, accueil au Lycée, café, visite d'appartements, course dans le petit marché du quartier où je fais toutes mes emplettes pour 3 francs 6 sous (enfin, quelques dizaines de milliers de "sum" tout de même), mon guide pour aveugle continue son travail avec beaucoup de talent et de chaleur, tâchant d'anticiper tous les obstacles. J'ai donc un appartement, en plein centre, de 60 m2, propre, frotté à neuf,...un peu kitsch, mais qu'importe ! Au moins, j'y suis ! Et j'y dors comme un castor.

Un appartement en plein centre, propre, frotté à neuf... un peu kitsch mais qu'importe ! 

Kamila (comptable de l'école) me tape chaleureusement sur l'épaule, alors qu'elle fait les courses presqu'à ma place ! "Alors Raphaël, tu ne sais pas quoi prendre!". Et les vendeurs, amusés, imperturbables ou bien espiègles, me proposent leurs légumes avec une facilité de négociants éternels. Nous sommes servis pour 2 jours, alors "Спосиво, большое спасибо мадам!" (merci beaucoup madame!)

Чорсу бозор (Chorsu Bazar) 

(Les photos sont celles du grand marché de Chorsu, auquel j'étais le lendemain avec Céleste, en VIE à Tashkent)

Le soir même, après 5 ou 6 heures de sommeil du juste, je retrouve avec plaisir 3 jeunes français de l'ambassade, pour goûter au premier restaurant de cette ville mystère, et rejoindre la bonne tradition d'un verre de bière à l'Irish Pub. Dans le soir calme, le soleil étant mort depuis quelques instants sous le crépuscule satin d'été, les lumières de lampadaires mariés à un velouté de vent froid nous rafraichissent, soulagent notre peau humide, et donnent aux rues bordées d'arbres, une couleur de feu de joie dont les clartés se réverbèrent depuis le gigantesque Hotel Ouzbékistan jusqu'à l'architecture somptueuse du Palais des Congrès.

Uzbekistan Hotel & Palace of International Forum 

Demain, mon voyage dans l'espace devient un voyage dans le temps. Dans une mosquée qui forme des imams depuis quatre siècles, en même temps que des cours d'arabe, d'ouzbek, d'astrologie, d'histoire, d'arts et d'autres choses encore, nous ferons un voyage plus intérieur, un voyage culturel.

La mosquée de Médersa est un internat coranique pour plus d'une centaine d'étudiants. Elle accueille aussi des artisans.
Les jeunes de l'Université coranique, mêlés aux habitants du quartier, semblent venir en continu dans cette mosquée, Khoja Akhrar.

Je suis heureux, ici. Lorsqu'en plus de passionner mon âme à comprendre un peuple qui est pour moi le même mystère qu'une photographie inédite d'espaces galactiques jusqu'ici ignorés, je pourrais épancher mon intelligence à tenter d'ouvrir celle de mes élèves aux beautés de la langue et de la philosophie, comment ne rendrai-je pas gloire à Dieu?

D'avoir créé un univers si diversifié. D'avoir permis des peuples aux langues entremêlées, et des peuples à la culture dense, au point qu'on ne la percera (qu'on ne la Persera) qu'après une longue et attentive étude, comme pour conserver l'enchantement, l'étonnement, l'empathie et nous garder de l'oubli de la recherche.

Mosquée Médersa Koukeldach - 16ème siècle - Tachkent
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Publié le 17 septembre 2018

Nous avons sauté !

...Plongés pieds et poings liés dans la masse, oubliant la lente habitude de nos journées bordées de repères franco-français pour se laisser submerger par ce tourbillon violent de civilisation.

Au départ, le coeur a battu plus vite, les nerfs se sont contractés, nos veines rétractées, et nos mains, resserrées, cherchant à se rassurer, tenaces et affolées, n'ont pu empêcher le vertige du vide et la folie d'une vitesse montante qui nous a poussés, jusqu'à une adrénaline intense, dans un saut long et glacial de nageurs en chute libre. Un saut sans respiration, quittant les littoraux ensoleillés de nos familles et contrées, tranquilles et répétitives, pour rejoindre les paysages sous-marins, ténébreux, éternels et pacifiques de la Perse. Nous absorbant maintenant dans un magma de vie bouillonnante et prospère, sans un sursaut, sans une onde de trouble, les Mille et une Nuits nous ont engloutis au coeur de leur Samsara coranique, avalés d'un seul coup par la malin génie d'Aladin.

La Minor Mosquee, commencée en 2013 et inaugurée pour l'Eid 2014. Construite dans les règles de l'art d'Orient!

On y entre par la bouche du génie de ses mosquées. On s'y déchausse, et l'on aperçoit un petit bout, par bribe, et par projection, de ce qui doit bien se passer dans la tête de ces adolescents et de ces camarades qui entrent sans broncher, un samedi, pour prier et repartir; de ces pères de famille, qui s'assoient là après leur labeur du jour, de ces mères aussi, accompagnées de leur fille, dans la première salle, en retrait. Au milieu de cette ville agitée mais sereine, la mosquée ne dénote pas...

Khazrati Imam Mosquee, au centre de Tachkent, censée posséder le plus vieux Coran du monde. 

Allant aux marchés, aux commerces, nouant des relations chaleureuses avec leurs hôtesses, leurs seigneurs, et leurs clients, saluant mes voisins ça et là, descendant et montant mes froids escaliers quotidiens, pensif et automate, descendant dans la gorge d'un métro aux joues de béton stalinien, me voici fortifié d'habitudes étranges et étrangères, devenues déjà pour moi coutumières... Je m'apprête entre ces rues brûlantes où se battent les chats vagabonds, où rient sans crainte les enfants du square ombragé, et où la trompette incessante des voitures dégringolantes nous abasourdit sans méchanceté. J'entends siffler hardiment les policiers, droits et endimanchés, au milieu de cette espèce d'autoroute sauvage où les voitures s'évertuent à faire chanter leur moteur comme en répétition, sans crainte d'être photographiés. Je traverse ces rues larges et rejoins la porte prometteuse du lycée français.

Le Lycée français depuis la cour de récréation 

Je serpente désormais chaque jour les murs vastes d'un monastère où les novices sont mes élèves, joyeux ou taciturnes, passionnés ou scpétiques, ouzbèkes, belges, français, espagnols, kazaks ou russes, et qui offrent à leur professeur un vrai plaisir; un monastère où les offices sont les leçons données à des oreilles dociles voire religieuses, les complies les heures du soir passées au chevet de cours encore très indigestes, et le cloître cette cour de récréation vivifiante où volent les ballons manqués et les cris riant des insolentes petites écolières, obéissantes ou pipelettes.

Le soir, lorsque les efforts de la journée ont fini de tendre la peau fatiguée des professeurs et d'étirer leur patience pédagogue, le soleil rouge qui adoucit son feu crépusculaire sur les feuilles éparpillées des métaséquoias et des tulipes, nous invite comme chaleureusement à venir nous reposer au coin d'un de ces restaurants si bon marché. Au creux de rues immenses, ils ne manquent pourtant pas de cachet et n'attendent que quelques sous pour nous abreuver, et nous faire profiter d'un temps de détente entre pauvres exilés de l'école française, de l'école américaine ou de l'ambassade.

"un temps de détente entre pauvres exilés de l'école française, de l'école américaine ou de l'ambassade" 

Pour finir, je vous livre une petite anecdote... dans un de ces taxis excellents qui nous accueillent si chaleureusement, passionnés par le premier français qu'ils ont vu depuis 4 ans. Je monte dans une voiture vieille de 10 ans mais brossée à neuf. Un homme de 50 ans m'accueille avec le sourire. Rapidement il me demande:

  • TAXI : tui amerikanets? (tu es américain?)
  • MOI : Niet, ya frantzuz (non, je suis français)
  • TAXI: Oh, tui frantzuz! France Champion ! Champion...
  • MOI : Da, da champion ! Tui smadrit' football? ( toi regarder foot?)
  • TAXI : Da.... France champion... Zidane ! Matterazi !
  • MOI : euh... niet, Mbappe, Mbappe !
  • TAXI : Ah franzuz... "Jacques Chirac" !!
  • MOI : ...

Après un temps de silence, j'ai hésité à lui dire "Tui Ouzbekistan ? Staline, Staline ?" Mais je voulais arriver à destination.

La Cathédrale où le pain partagé m'attend chaque dimanche, entre les soeurs de Mère Teresa, les franciscains et les paroissiens

Je vous envoie une nouvelle étape très rapidement ! La montagne m'a appelée ce samedi, et son appel m'a rappelé de vous épeler les lettres poétiques de ses contrées. Alors revenez très vite !

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15 septembre 2018

Une ascension dans les montagnes de l'Est, une douce poésie !

La montagne ouzbèke peinte par les artistes du Brodway park à Tashkent 

Alors que, comme un grondement perpétuel de métro parisien, les heures, les cours, les habitudes et les pensées commençaient à habiter continuellement mon corps et mon esprit, nous partons ce jour-là de bon matin, vers 7h, avec Nikolaï, deux de ses amis ouzbèkes et un biélorusse, pour nous aérer le corps et l'esprit dans les contrées des plus réputées du pays. 5 bons hommes enhardis, prêts à traverser l'Himalaya, la fleur au chapeau, les chaussures serrées, chantant comme des scouts. Après deux heures dans cette camionnette typique de Tachkent, nous avons mordu la montagne par un coin de tartine verdoyante qui, pour ma part, m'a semblé à la première bouchée, bien moins goûtue que je l'avais imaginée.

Nous partons ce jour-là avec Nikolaï, deux de ses amis ouzbèkes et un biélorusse, pour nous aérer le corps et l'esprit  !

Déposés comme en départ humanitaire à l'emporte pièce sur un rebord d'une route presque désertique, qui n'attirerait pas un bon touriste afghan du dimanche, nous avons grimpé une première prairie insipide, bordée de barbelés et jonchée d'une étrange botanique de sacs plastiques multicolores, qui ne me laissèrent pas un bout de verdure sans sa décoloration d'usine malvenue. Quel dommage ! Lorsque l'on contemple des sculptures de dizaines de millions d'années déposées dans ces alpes perses, commencer par un champs de deux cents quarante déchets vous enlève l'appétit de la course...

Mais heureusement, cela n'a duré que quelques instant et, quittant le monde des hommes, nous rejoignons des montagnes, silencieuses qui, reprenant leurs droits majestueusement, nous prennent largement dans leurs doux manteaux de soie et de ciel.

Avec un soleil matinal déjà envolé à l'azur comme un ballon, les rochers se baignent lentement dans des lumières dorées, et leur grise âpreté se fondent finalement dans une monnaie davantage frappée d'argent que d'or, alors que les sabres de l'ombre les découpent en lames régulières. C'est comme une succession de bougies sombres disposées çà et là sur des hauteurs de toits inaccessibles, dont les cires dégoulinantes descendraient aléatoirement, en fluides imprévisibles, pour dresser un tableau surréaliste, peint par la nature des années.

Immenses, les courants de roches prononcent leurs mouvements de tempêtes comme en concert. Derrière, alors qu'un amas de maisons dis-harmonieuses se perdent à la manière de méduses sur un rivage, la montagne s'élance magistralement et donne à l'ensemble de l'horizon un mouvement étrange et une inclinaison qui désoriente le regard. Elle-même sculptée de vaguelette successives à l'intérieur de son manteau de pierre, elle écrase sa houle aux pieds d'une roche de 3300m de haut, imposante, virile même, et dont les épaules fortes descendent jusqu'au sol pour montrer à qui voudrait bien les voir, ses veines enflées de vaisseaux nets sur des bras musclés, dont la peau rougie par le ciel tend au brun comme en retour de vacances bretonnes.

Immenses, les courants de roches prononçaient leurs mouvements de tempêtes comme en concert...  

Absorbés par ce spectacle, nous redescendons sur l'autre flanc du massif, quittant petit à petit le labyrinthe de pierres arides, et ces hauts totems de pierre trouées laissées en vadrouilles sur les hauteurs, par les dieux du mont Chimgan.

Petite oasis d'eau et de plantes ...jusqu'à la Cascade!

Généreux, un boulot d'âge mur avait penché un de ses deux bras épais sur le côté du sol pour que nous puissions y mettre notre postérieur, et reposer nos jambes tirées déjà par trois belles heures de marche alpine. Ne pouvant décliner une invitation si attentionnée et fort à-propos, nous y avons fait un apéritif de verdure en croquant déjà dans les fruits que les pommiers nous offraient. L'écoulement de la rivière qu'on approchait chantonnait au loin une sonate au clair de soleil, mariée aux sifflements dispersés des oiseaux et aux doux applaudissements des peupliers.

Revigorés bientôt par un plongeon dans l'eau glaciale, dans une baignoire naturelle digne des marbres du Palais d'Alexandrie, mais en pleine montagne, nous avons ajouté par nos éclats de voix aux tonalités russes et françaises, un petit supplément d'âme dans cette tornade de vie, et ainsi remercier du fond du coeur la pauvre nature foisonnante, en mal de paroles gratifiantes et de rires qui soient à la hauteur des siens.

"Revigorés bientôt dans une baignoire naturelle digne des marbres du Palais d'Alexandrie, mais en pleine montagne" 

Parvenus dans ce tunnel de longues falaises, où sifflotait cette fontaine fabuleuse et incessante, nous avons rejoint un tourbillon de pierre énormes au creux d'un gigantesque canyon et la rivière devint plus vivace... Je n'osais imaginer la scène qui avait pu amener ces deux énormes monstres ici... peut-être une espèce de big-bang (ou bien le génie d'Aladin, qui aurait alors vraiment existé) !

...Alors la chansonnette rafraichissante de l'eau se changea en chuchotement farouche de forces en chutes folles, souffletant son son éternellement fâché à nos oreilles enchantées...

Je n'osais imaginer la scène qui avait pu amener ces deux énormes monstres ici... peut-être une espèce de big-bang ! 
Un chuchotement farouche de forces en chutes folles, souffletant son son éternellement fâché à nos oreilles enchantées!

Sur le retour, nous nous arrêterons pour partager en cohorte, et même accompagné de notre bon taxi de 22 ans, bien accoutumé au groupe, un restaurant qui nous servira les excellents poissons du grand lac montagnard.



Seulement 8 jours plus tard, à l'heure du coucher de soleil sur la grande ville de Tashkent, nous monterons dans un train de nuit bondé de toute une population bien à la silhouette locale, pour tenter d'atteindre Boukhara au petit matin, en compagnie de deux amis de l'Ambassade. Boukhara est la plus importante cité médiévale ouzbèke, composée des plus anciens vestiges d'Asie Centrale, habitée par exemple par le philosophe et médecin Avicène au 10ème siècle. Alors rappelez vous de revenir lire ici quelques lignes et photos passionnantes, qui ne tarderont pas de tomber!

Boukhara !! 
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Publié le 15 novembre 2018
Celeste, Thomas et moi en partance pour Boukhara (je précise que je chante juste). 

Que ce soit Rahàzade, Zoroastre, Usbek ou un quelconque boukhariote, ce sont bien ces personnages mythiques et orientaux qui ont fasciné les villages de Gaule, depuis Astérix jusqu'à Nicolas Bouvier ou Sylvain Tesson, en passant par Maupassant et ce malheureux Voltaire, et, puisqu'il faut en venir, jusqu'à nous-mêmes, bons franchouillards perdus parmi les Madrasas.

Je ne sais pas bien qui est Astérix, qui est Assurancetourix et qui est Obélix entre Thomas, Céleste et moi, mais ce sont bel-et-bien trois irréductibles gaulois qui ont conquis les confins cette fois les plus perdus, les plus ancestraux ou les plus bucoliques de l'Ouzbékistan, entre les vestiges historiques d'une ville vieille de 2000 ans, et les montagnes majestueuses aux dents glacées et aux sapins brûlants. A court pourtant d'une potion magique viticole ou de viande de sanglier, mais avides d'une nouvelle édition d'aventures, ils ont parcouru les traces laissés à nos yeux ébahis par Mère Nature et Mère Culture.

Mère Culture a été vénérée en premier. Nous ne sommes pas pour rien fils de Racine et de Hugo.


Au creux du ciel parmi les Madrasas,

Sous des empires aux cent aller-retours,

Entre Avicène et puis Amir Timour,

Depuis mille ans se dresse Boukhara.



Alors que la fourmilière des voitures pressées et des piétons qui quittent leur bureau ou leur chantier s'activent paisiblement en cette fin de semaine, nous quittons nos pénates, pour attraper un bref dîner à l'ombre de l'auberge géorgienne, et, après quelques verres de vin bien trempés et 3 khinkalis, nous sautons dans un train aussi vieux que les tsars. Passant parmi les wagons remplis de visages aux traits asiatiques, nous discutons avec les uns, bousculons les autres par inadvertance, et pénétrons dans notre wagon alors que tous, enfants, mamans, contrôleurs, voyageurs solitaires ou collègues de chantier, se reposent déjà dans cette maison à roulette comme leur propre chaumière. Les ouzbeks, sont, il faut le dire, bien chaleureux ! Ils ont le sourire facile, et la langue déliée, et plus fluide que l'eau des montagnes. Ils nous abordent, nous questionnent et sont vite amusés par ces trois gaulois téméraires qui ne cachent pas leur identité au premier coup d'oeil. Ils ne semblent pas déçu d'être avec les champions du monde de foot. Nous non plus (d'être avec eux, mais aussi d'être les champions du monde de foot!).


Le débat se lance : qui va se sacrifier, le gros lourd, le moustachu ou le barde, pour aller camper entre les toiles d'araignée sur la planche du goulag, là haut, entre ces deux murs au troisième étage d'une vielle armoire à pain, pour y passer la nuit? Suspense... comme Céleste semble se dévouer d'une générosité féminine, je dois prendre le pas et respecter la galanterie (et l'orgueil) masculins. Je fus donc l'heureux élu pour l'armoire solitaire. L'espace d'une nuit, nous sommes devenus patates dans trois casseroles à chauffe, et ça dépote !

6 heures passent...

Voilà l'équipe ! 

A peu près un fou-rire toutes les heures et demie.

Le tissu gratte, les pas se gâtent entre les rails qui se flattent de nous avoir cassé le dos. Quelques fumées d'une poussière des plus amères rappellent à ma gorge en colère que j'ai bel et bien dormi dans un cachot ou le parterre d'une étagère, je ne sais trop, mais que résistant à la pente insolente, j'ai dû durement sauver ma peau de cette loi d'attraction vers la terre ! Et j'étais haut... Les voix se mêlent aux bruits et aux secousses sèches du frein, tandis que quelques premiers rayons chauds de l'aube viennent réveiller délicatement nos joues encore rouges de sommeil, pour nous inviter enfin à venir visiter le Moyen-Age oublié et les mosaïques des pères califes. Notre machine à remonter le temps ne nous a pas menti, et nous sommes arrivés à bon port, Boukhara!

La muraille a été re-consolidée à plusieurs reprises depuis un millénaire 

Boukhara...

Cette ville est vieille de plus de 2000 ans. Indienne, grecque, perse, barbare, arabe, elle a, pourrait-on dire, tout connu... Construite sur une riche oasis, elle attirera à elle tous les rois ! D'abord sous domination des rois perses 4 siècles avant JC, elle est conquise ensuite par Alexandre le Grand, ainsi que toute la région de Sogdiane, et restera grecque jusqu'au 1er siècle ap. JC. C'est à ce moment là - je suppose - que se transmettent jusqu'ici les écrits des grands philosophes grecs (Aristote ...) qui marqueront l'histoire intellectuelle de Boukhara. Elle deviendra après le I° siècle une cité indienne (kouchane) jusqu'au IVème siècle, mais sera ensuite rattachée aux Huns blancs, appelés Héphtalites, peuple proche du royaume d'Iran, réputé terrible, dont le seul nom faisait trembler les habitants des autres régions iraniennes. Leur ethnie est liée au peuple d'Attila. Enfin, elle sera conquise par les troupes arabo-musulmanes sous le califat des Omeyyades au VIIème siècle. Boukhara restera musulmane, rapidement reprise par la domination perse, mais s'impose comme un grand site culturel, où germeront en particulier au X° et XI° siècle, les grands penseurs comme le philosophe et médecin Avicène, le magnifique poète "fondateur" du persan moderne Rudaki, le grand mathématicien et savant al-Biruni et d'autres érudits de relativement grand renom.

On aperçoit derrière, la cité médiévale le Po-i-Kalian dont le minaret date du XII° et la Medarsas du XVII° siècle

Nous y tapissons les rues majestueuses de nos regards amoureux, car les tapis magiques tissés d'images se toisent sur les murs des impasses où nous nous ruons sagement. Nous découvrons des couleurs d'automne en plein été, et des douceurs détonnent en volupté. Car parmi les clairs parfums d'histoire que livrent généreusement les pierres, adoucis par la fraîcheur des pavés et le vent vif entre les voutes, nous allons vagabondants, entre les vendeurs de soie, les céramistes et les galeries de forge où scintillent subtilement les épées de Damas, inondés facilement d'un soleil qui n'a pas laissé son éclat aux étoiles. Mais la douceur prend les devants et se fait reine lorsque, par chance, nos doigts amerrissent sur un tapis de soie: le chant du vent et les clins d'oeil hardis des minarets s'arrêtent alors un instant pour nous faire goûter la saveur des doigts, et caresser des yeux des couleurs vives et feutrées. Ces fabuleux tapis ont été tissés pendant six mois au moins par les agiles mains d'un même artisan de Boukhara ou d'alentour, dans le savoir faire millénaire de la Route de la Soie.

Nous allons vagabondants, entre les vendeurs de soie, les céramistes et les galeries de forge 
Mais la douceur prend les devants et se fait reine, lorsque, par chance, nos doigts amerrissent sur un tapis de soie 

De Medarsas en Medarsas, nous pérégrinons inconsciemment... parmi les grandes murailles de la citadelle, des ruelles étranges, la Synagogue (oui !, on ne vous a pas tout dit, Boukhara possède une communauté juive qui n'a pas délogé depuis plus de 2000 ans, probablement depuis l'empire Perse), des Mausolées magnifiques que le temps n'a pas délaissées, datant du haut Moyen-Âge, mais parmi aussi les places et les fontaines.

Nous sommes ici devant de la Medersa Pol-i-Kalian (XVII°), puis dans sa cour intérieur. En haut à gauche le Tchor Minor .

L'hôtel où nous dormons ne lésine pas en générosités. Au milieu de cette vieille cour de pierres, et ces poutres de chênes, qui donnent l'impression d'une pause en chaumière normande, une veille dame de 80 ans, dont il ne reste que quelques dents (en or bien-sûr!), viendra nous poser mille questions et nous servir un thé dont les senteurs se marieront bientôt avec la fraîcheur de la nuit tombante et le bonsoir des merles. Après quelques discussions arrosées, et des éclats de rire, nous allons laisser notre esprit se reposer de ce voyage dans le temps. Au petit déjeuner, nous aurons droit à une abondance de plats qu'Obelix aurait aimé savourer plus longtemps, mais tandis que je vais partager la cène dominicale avec l'Eglise orthodoxe, Thomas et Céleste se dirigent vers le fort de l'Ark, bâtisse qui date de l'Empire Héphtalite (Huns blancs), et qui fut reconstruite par les sultans pendant les mille ans qui ont suivi. Je les rejoins pour visiter la Mosquée principale de Boukhara (Bolo Haouz), rattachée à l'Emir de la ville depuis le XVII°. Des milliers de fidèles y viennent chaque vendredi.

 Douce soirée de repos à l'ombre de l'hôtel Breshim, aux recoins pleins de cachet entre deux tasses de thé noir au citron!
Le petit déjeuner était d'une telle abondance, qu'Obélix en a eu des sueurs froides
Cette citadelle de l'Ark a été construite au Vème siècle, puis reconstruites plusieurs fois. Le fort actuel date du XVI°!
la Mosquée principale de Boukhara (Bolo Haouz), rattachée à l'Emir le XVII°, où des milliers de fidèles viennent chaque vendredi. 

Je les rejoindrai là bas avant que Zamira, une jeune Ouzbèke boukhariote que nous avons rencontrée à la sortie du train, ne nous rejoigne sur la place d'un bistrot de la ville, où nous discutons paisiblement. Zamira travaille dans une entreprise américaine de consulting à Tashkent, seulement en retour au pays pour le week-end. Elle y travaille durement. Elle voit les choses positivement, et semble mettre un point d'honneur à nous accueillir ici dans sa ville natale avec le plus de délicatesse possible. C'est apparemment une chance pour elle, dit-elle, d'avoir des amis français, mais c'est réciproque! Elle s'investit jusqu'à prendre sa voiture, nous ramener à l'hôtel, nous faire visiter, et nous déposer au train !

Avec elle, nous partons visiter le Mausolée de Bahaouddin Naqshbandi, tombeau d'un ancien Imam réputé saint dans le soufisme, qui est devenu un lieu de pélerinage important. Nous nous y arrêtons avec notre guide attentionnée et charmante, y faisons silence entre 4 femmes et 3 enfants qui, joignant les mains et récitant une sourate, se sont assis près du tombeau. Etrangement, ce lieu magnifique n'attire pas un seul touriste, mais bel et bien des promeneurs ouzbèkes, qui viennent y faire un tour ou une dévotion.

Le Mausolée de Bahouddin Naqshbandi n'attire pas un seul touriste, mais des promeneurs ouzbeks qui viennent y faire une dévotion


Tandis que le bonheur des amitiés forgées et des grandes découvertes remplissent la mémoire, nos yeux ont gardé imprimé sur la rétine les beaux motifs orientaux de ces vestiges tant exotiques qu'ancestraux, et nous donnent l'impression d'avoir vécu quelques heures dans une cité intemporelle.

Bientôt, alors rentrés à Tachkent depuis 3 semaines, nous regagnerons les routes de l'inconnu avec un lever plus hardi que ceux des moines, pour conquérir avec Astérix et Assurancetourix, non la cité des hommes mais cette fois-ci celle des cieux, entre les forêts jaunissantes, les monts enneigés et les cascades vertigineuses. 3h30 du matin sonne. 2 voitures nous attendent. Tashkent dort. L'inquiétude s'endort. En avant !

A bientôt pour la saisons 5 Visiter les monts du Nord! ...un week-end en Datcha !

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Sans empêcher les questions du coeur qui ne se taisaient pas, sans éteindre cette musique obsessionnelle qui à chaque instant frappe en nos têtes martelées une inquiétude étrange, nos yeux se laissèrent sans doute largement déconcerter et apaiser par ces espèces de rameaux blancs immenses aux allures de noces, nés plutôt je crois dans le monde des galaxies et des mirages du temps que des forêts terrestres... Ils sont majestueux et calmes, plus étonnants que la netteté du soleil dans la poussière, aussi bouleversants que les bras accrochés d'une fille aimante, plus saisissants que l'envergure féline d'un albatros qui à coup de lourdes plumes tue la lune lumineuse d'un ciel glacé. Leurs veines coulent régulièrement jusque dans les eaux sombres dont le bleu semble un ciel de sang, et ils trônent, imperturbables et forts, comme les Seigneurs du soir reculé.

Leur blancheur est pareilles à la colombe et tromperait un inconnu sur leur pureté acquise pourtant en une humble journée de neige...

Ils nous coupent le souffle, et laisse au vent le loisir de nous souffler la coupe. Avant que nous soupions à la coupe des dieux, pour réchauffer nos coeurs coffrés, électrifiés de froid, en mal aussi d'un peu de réconfort terrestre et quelque peu perdus par ce désert glacial, ils nous ont appelés ; leur paix silencieuse a crié jusqu'à l'intérieur de nos recherches sourdes. La fraîcheur revigore nos visages fatigués, les reliefs les raffermissent comme en les massant par touches de lumière inédites sur nos rétines sèches et assoiffées. Alors quelques vers griffonnés sont venus de mon oreille à l'encre de mon cahier:

Quand l'Ouzbékistan te fascine, comme le ciel qui te dessine, c'est un crayon venu d'ailleurs pour te croquer de l'intérieur.

Le lac de Tcharvack 

Les voilà, les montagnes de Tcharvack, sous leurs habits de noces éternelles. Elles nous ont détrôné de nos sièges d'hommes où nous ne trônions plus assez, dans cette nature où l'harmonie dénote avec nos avarices et renoue avec nos sacrifices. Ce sont eux, ces monts ouzbeks glacés à la frontière kirghize, qui tendent nos yeux irrémédiablement saisis à se gargariser de plaisir... voir. Saisir, être saisis. Contempler, être attiré. Comprendre même peut-être, c'est-à-dire embrasser (comprehendere). Sommes nous appelés à autre chose? Y a-t-il en nous un seule chose qui ne contemple pas? Un seul organe qui ne se taise pour dire tout ce qu'il voit? Tous les silences de nos sens eux-mêmes d'ailleurs ne parlent-ils pas vraiment? Nous grandissons à mesure que nous nous laissons bousculer, que nous laissons la place au mystère.

Le signe ne dit-il pas toujours ce qu'il montre?

Nos mains ne font-elles pas, ne donnent-elles pas et ne transmettent-elles pas aussi? Nos yeux ne voient-ils pas, ne contemplent-ils pas, n'aiment-ils pas, n'admirent-ils pas? Quand ils pleurent même, n'est-ce pas comme pour laver ce qui sur la rétine faisait obstacle à la contemplation, ou pardonner l'absence d'une lumière, d'un regard juste qui n'avait pas été donné à temps? Notre nez sent et estime, lui aussi. Il reçoit, comme tout le reste de notre corps. Notre oreille n'écoute-elle et n'attend-elle pas, le prochain bruit, toujours? Notre langue goûte et savoure, à son tour, quand on lui laisse un peu d'amour. Notre peau caresse et apaise, et cet apaisement dit de lui-même, bien plus que tout ce que diront Aristote et Anselme. Si elle s'apaise en caressant, elle se hérisse en attaquant, elle se dresse quand on l'ignore, c'est pour qu'on la caresse encore. Alors, pourquoi manquer ce réconfort?

Notre corps aime, et il est des temps pour qu'il se le rappelle. Ces montagnes immenses nous crient silencieusement comme des chiens fidèles en mal d'affection qu'elles ont besoin d'être caressées... Par elles, nos sens sont élargis, étirés, raffermis et sortis de leur isolement pourrissant... et nous nous rappelons que nous n'avons d'autre raison d'être que d'être petitement des récepteurs imperturbables d'air, de grandeur, de lumière et de bonheurs.

Ce jour là, nous ne serons pas repartis sans avoir un peu grandi.

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Les monts de miel sont aussi doux et sucrés, lorsque leur île flottante n'a pas encore été battue en neige... Crêtes croustillantes ou bonnes à croquer, prêtes à se livrer au simple regard qui leur prête un peu de son temps avare... Les immenses houles de vagues d'airain sont mystérieuses dans leurs sables fin. On y croit baigner inondés de pierres comme un aigle plane sur l'atmosphère, on y croit régner en bon randonneur cramponné au vent et aux chemins creux, on s'y croit drainés sans vague et sans noeud comme l'eau se traîne en des plis rocheux.

Je ne pourrai pourtant pas raconter toutes les excursions que j'ai déjà pu faire, mais je vous en laisse goûter quelque peu en images. Nous nous levons tôt, parfois très tôt. Le plus tôt fut 3h30 du matin, et nous quittons hardiment Tachkent pour rejoindre les terres montagneuses qui nous attendent avec fureur et malice. Les traits tirés de sommeils, la tête secouée, les chaussures serrées, parés comme des soldats à la porte de l'hélico, nous nous retrouvons près de têtes étrangères au seuil d'un vieux taxi au repos, à l'ombre des lampadaires de la ville qui dort. Les lumières sont pâles, les chats s'étirent et s'éloignent, aucun travailleur en vue, car le coq n'a pas encore chanté. Nous roulons deux à trois heures sur des routes plus chaotiques que le chemin d'Orphée vers les enfers, et le relief se manifeste davantage sous nos pieds qu'à l'horizon, jusqu'à ce que la lumière de l'aube vienne nous rassurer vite sur la raison de notre folie.

Pourquoi ne pas remercier les montagnes par un joli moment passé en tête à tête? Elles ne demandent que cela pour nous combler.
Laisser les montagnes marquer notre rétine davantage encore que notre appareil photo. 

Le coeur élevé et le sang chaud, excités d'avoir rompu si vigoureusement nos fatigues d'hommes paresseux pour s'envoler dans l'inconnu des cieux nomades, nous débarquons dans un coin de verdure, entourés souvent de bergers passifs et fiers, plus humbles encore que les charrettes qu'ils poussent, et qui laissent à la nature et à leurs bêtes tout le loisir de leur donner en un clin d'oeil le prestige qu'ils ne cherchent plus.

Dans un village de vieilles pierres, qui siège ici, dit-on, depuis les temps d'Alexandre le Grand et de ses armées en guerre, aux pieds de hauts sommets aux teintes de désert et d'immensités polaires, travaillent, bienveillants et espiègles, ces familles de paysans que la solitude ne semble pas gêner. Ils bénéficient de cette "douce indifférence du monde".

Avant de vous quitter, et de vous laisser méditer sur les trésors généreux d'une nature foisonnante, je vous partage un petit moment de plaisir donné le soir où nous fêtions Noël avec l'Ecole Française: une des danses données par nos fougueux élèves !


Merci les amis de votre attentive lecture. N'hésitez pas à me donner de vos nouvelles et de réagir à mes récits. Revenez vite ici, les aventures n'ont qu'à peine commencer, et la vie nous réservent des surprises toujours plus abondantes... la preuve...

Dans 8 jours départ pour la Géorgie ! Noël dans ce pays chrétien aux ancêtres templier, pourtant aussi terre mère de Staline, bercée de hautes montages à couper le souffle au bords de la mer Caspienne ! En avant...

Dès que possible, petit détour par la magnifique cité médiévale de Khiva ! Pour beaucoup, c'est le plus bel endroit d'Asie Centrale (et en Ouzbékistan). Alors revenez en janvier, vous allez voyager, contempler avec vos oreilles!

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Khevek ! "Comme elle est bonne !"

Votre grand héros devant la cité éternelle de Khiva, porte d'Ouest ! 

C'est ainsi que se seraient exprimés le Sem, le fils de Noé, lorsqu'il aurait débarqué dans ce pays il y a plusieurs milliers d'années, et aurait découvert un puis d'eau claire et profonde au lieu de l'actuelle Khiva ! Cette eau miraculeuse aurait eu un goût si unique et une fraîcheur si douce, qu'il se serait exclamé "Qu'elle est bonne!", soit en ouzbèke "Khevek" et aurait ensuite construit une grande ville parée de remparts, dont la forme inspirée de l'arche de son grand-père a donné sa silhouette à l'actuelle cité.

Oui, ne vous en faîtes pas si vous n'y croyez pas, mais c'est la beauté des terres perdues que d'avoir aussi dessous leurs plis de pierres, quelques pages d'histoires, un peu saugrenues certes, faites de mots qui leur donnent bonne consistance !

Il serait difficile de rentrer de ce beau séjour solitaire sans le coeur chaud et l'âme nostalgique de cette terre de Khoresme, la mémoire toute pleine de boîtes à musiques et de contes pour enfants. Car Khiva est peut-être à Tachkent ce que la cité de Carcassonne est à Paris. A l'autre bout du pays, somptueuse, ancienne, toute parée de murailles solides, plus belle encore que le Pont neuf ou le style précieux de la Conciergerie, car sa force guerrière, ses pierres sobres et robustes, comme un coffre précieux qui garde nos conquêtes d'antan, est un refuge de temps et de virilité austère, un lieu où le courage a fait ses preuves plus que l'esthétique passagère et les combats de mots placés. Pour le travailleur fatigué des routes et des banques, pour le jeune ouzbek trop contraint des tensions financières et d'un quotidien exigent, pour l'étranger qui débarque çà et là de Chine, de l'île nippone, d'Inde ou d'occident, ce lieu magnifique joue sans tare sa mission de consolateur, par ses ombres et ses lumières, ses murailles millénaires, ses tourelles, ses chimères, et ses minaret bleus ou verts. Il nous conte à sa façon l'histoire de ses grand-pères.

On y parvient par la route d'Ourgentch, par le train de Samarkand et Boukhara, ou, pour les plus chanceux, par l'avion de Tachkent. Quelques kilomètres en taxi avec un bon diable de chauffeur têtu et pourtant rieur et loquace. Les routes s'enchaînent dans ce pays moitié désert, moitié habitations, entre les vieilles carrioles à gaz, les piétons habillés de tabliers d'ouvriers, les beaux écoliers en veste impeccable ou jupe bleue, les uns sortant de leur taxi, les autres marchant péniblement, salis par le sable volant, sous les enseignes souvent vieillissantes des petites boutiques et des garages qui grouillent de travailleurs apprêtés... Mais majestueusement, comme une montagne blanche surprend subrepticement un randonneur au sortir d'une forêt épaisse, d'immenses rempart s'imposent soudainement devant nous, de couleur marron-grise, étendant leur longs bras sur quelques kilomètres, et laissant apercevoir entre leur créneaux de soldats perspicaces, des hauts mausolées et minarets aux allures mythiques.

Le sourire des étudiantes qui passent dans les rues, les rides paisibles et la coiffure hardies des fières septuagénaires assises au bord des boutiques ou des troquets, la ténacité des chauffeurs qui traquent les clients sur les routes encore trop désertes en ce matin de morte saison, le sourire espiègle des guides quadru-lingues qui nous attendent à la grande porte de la ville sous les tours blanches et sculptées, espérant nous faire voyager dans le temps contre dix dollars, donne à l'ensemble de la ville une impression de civilisation paisible et vivante, une vie bouillonnante et modeste. Cette vie du quotidien ne dénote pas avec l'atmosphère étonnante que dégage ces grandes murailles pluri-millénaires, dont les pierres aux aspects de magnificences ont été fabriquées de vieux torchis de boue et de foin.

 Les mosaïques antiques aux carrelages bleutés, marrons ou verts reflètent un feu solaire qui y glisse comme une étoile filante 

Conforté par la chaleur de l’accueil que me réservait déjà ma chambre d’hôte, tenue par le climat familial de deux frères et de leurs familles respectives, je commence mes vacances assuré d’attentions prévenantes et de rires d'enfants, et m’en vais le coeur (et les bras) légers, comme un gamin parti dans un fort de jeu pour faire les chevaliers.

Nous sommes surpris dès l’arrivée par la palette des couleurs éclatantes qui se dessine, relevé par la royauté du ciel qui envoie un clin d’oeil au bleu des carrelages. Les mosaïques antiques au-dessus de carrelages bleutés, marrons ou verts reflètent un feu solaire qui y glisse comme une étoile filante.. Les nuages narguent aussi les quatre portes blanches pourtant nettes de clarté, et les murs de torchis vieillis semblent se serrer les uns contre les autres, travaillés çà et là par de beaux motifs de créneaux chevaleresque aux aspects d’héraldique templière, malgré ses courbes déroutantes de mosquées marocaines.

On se prête à s’y promener en gardien depuis les hautes tours de surveillance sur les chemins dessinés par les créneaux... 

Qu’on les prennent d’en bas en humble hôte d’une ville imposante, ou qu’on se prête à s’y promener en gardien depuis les hautes tours de surveillance sur les chemins dessinés par les créneaux, l’ensemble de ces bâtiments de caractère révèlent vingt siècles d'histoire tout à la fois.

Nous sommes les soldats zoroastriens coiffés de hauts tissus et armées de lances immenses, prêts à sévir pour défendre le territoire de Korezm face aux prétentions indiennes et perses avant et après le I° siècle, nous sommes du VIII°au XIII° siècle les soldats musulmans du Khan de Khiva qui veulent défendre leur cité face aux prétentions des califats de Boukhara ou de Kokhan, nous sommes au XIV° siècle les fidèles de Tamerlan, fiers d’avoir conquis tous les territoires depuis la mer Caspienne jusqu’à Kokhan, depuis Moscou jusqu’à l'Afghanistan, et guettons la bonne identité des soldats qui ont osé s’approcher, nous sommes les gendarmeries des Khans respectifs des 18 et 19 èmes siècles qui faisons la police sans vergogne, mettons en prison tout énergumène qui fait honte à la cité, l’enterrons vivant pour sentence de mort, le jetons du haut du minaret de 20 mètres pour verdict de vol, le lapidons sur la grande place de dalles blanches. Enfin, nous sommes les soldats du tsar qui ont aboli les cruautés de punition des dernières polices locales, mais aussi les officiers du KGB qui rapporteront rapidement un autre genre de peloton d’exécution sur la place. Que de monde a passé par ses murs !

La vue sur les murailles et le grand minaret depuis les hauts du fort de Khounia Ark 

Au détour de trois céramistes et d’un vendeur de chapka en peau de renard du désert, un couple d’américains accueillants (elle est professeur à Almaty!) me propose de rejoindre leur visite. Nous découvrons quelques musées disposés sagement (et assez maladroitement) entre les photos les plus anciennes de la ville, les céramiques parfois vieilles de plus de 1500 ans, la propagande sur la grandeur du pays et de ses dirigeants exceptionnels, et les habits traditionnels des noces ouzbeks. Notre guide est de Khiva depuis plusieurs générations. Elle est elle-même née ici, dans une des maisons intramuros qu'elle nous désigne habilement du doigt… Nous découvrons, entre autre, la richesse des instruments de musiques traditionnels et les forêts de charpentes sculptées pour réaliser une humble mosquée de tout de même 200 piliers.

Nous découvrons une haute diversité d'instruments de musique 

Nous pénétrons enfin sous les mosaïque d’un vieux mausolée du XIV et XVIII° siècle, où est enterré Pakhlavan Makhmoud, vénéré comme saint parmi les soufis depuis le XIV° siècle ici, et serait devenu (...300 ans plus tard) "saint patron de la ville", après qu'on lui a dressé à ce moment-là un mausolée à son nom. Réputé bien au-delà de Khiva, il a donné son nom à de nombreux ouzbeks, comme plusieurs de mes élèves ("Makhmuda" pour les filles).

Fils du Khorézm de son époque, Pakhlavan Makhmoud était un poète et philosophe réputé. Mais sa passion principale était la lutte. La légende raconte qu’au XIV° siècle, il aurait été réputé dans toute la région comme un athlète strictement invaincu. La seule défaite qu'il aurait connue aurait été choisie délibérément, pour épargner le fils unique d'une veuve.

Le mausolée de Pakhlavan Mahmoud, édifié au XVIIème et élargi au XIXème.

En sortant, nous tombons sur un magnifique mariage ouzbèke. Je vous en partage le cliché, qui en dit plus que mes commentaires! Il est une tradition de venir au mausolée de Makhmud pour une bénédiction, et pour boire au puis qui donne, dit-on, la fécondité aux femmes!

La belle mariée vient vénérer le mausolée de Pakhlavan Makhmum pour demander la fécondité

Après quelques pas, je me laisse séduire par un groupe fait d’un jeune indien et de deux japonaises, avec qui je passe le reste de l’après midi sous un soleil qui transperce heureusement la fraicheur du vent. Goulûment assoiffés d’aventures, ils ont eux aussi quitté leurs contrées maternelles, et se sont rencontrés dans le train. Nous parcourons les rues et contournons les pâles pierres d'un cimetières centenaire où reposent les anciens habitants de Khiva, discutant inconsciemment et sans but un anglais dont les tonalités font probablement un concert cacophonique, entre les pointes nasales des japonaises enjouées, le roulement exceptionnels des rr indiens et ses fins de mots pincés dans des voyelles souriantes et mon accent à moi tout à fait parfait (bien-sûr).

Puis nous nous laissons attirer par les abîmes du ciel, en tournoyant dans le très haut minaret de 27 mètres, devenant en un sursaut l'Imam prêt à aller chanter la prière du Vendredi. Nous nous réjouissons que le grand soit fermé au public, et que l’architecte ait renoncé le siècle dernier à le faire monter aux 100 mètres planifiés. Nous y aurions laissé notre santé.

Nous passons devant la Medarsa Amin Khan, réalisée pour accueillir 260 étudiants des études coraniques, mais devenue aujourd'hui hôtel d'accueil des vacanciers. Nous nous arrêtons sur la place des supplices, où un trou bien mis en évidence servaient il y a encore quelques 100 ans à déverser le sang des condamnés.

Deux jolies japonaises sur la place des supplices. Je n'arrive pas à leur communiquer le lieu où elles se trouvent. Tant mieux ! 

Encore trop attachés à leurs écrans et selfies, mes nouveaux compagnons de route ne décollent pas vraiment le nez de leurs habitudes ennuyeuses, ce qui pourrait pourtant leur permettre d’être submergés de beautés colorées. Ennuyé à mon tour de leur ennui, je leur passe le bonsoir et continue ma promenade du soir, au bord des pierres de torchis et aux pieds des mosaïques émeraudes sur les dômes. Dans le soir calme, les vendeurs fatigués et leurs artisans de tout âge, accompagnés souvent des cris colériques ou heureux de leurs petits écoliers rentrés de l’école, rangent une à une leurs jolies décorations et leurs petits bouts de bois grattés.

Les artisans du cuivre, de la soie ou du bois, m'accueillent joyeusement pour un instant prolongé d'observation. 

Le soir venu, la promenade que nous avons faites en haut des remparts comme des soldats sur leur tour de garde, et le thé trop sucré pris auprès des chameaux endormis sur la place des supplices, me donnent un envie de repos. C'est le rêve cette fois qui précède le sommeil qui pointe. Les souvenirs du jours sont des souvenirs des siècles. L'architecture persique de cette cité infinie a préparé nos mémoires pour un rêve loufoque au scénario inattendu. L'imaginaire a travaillé dur, il faut qu'il se repose un peu. Sur ma petite bicyclette plus dangereuse que la corde d'un funambule, je déambule sans scrupule en laissant aux roues le plaisir de grincer des dents comme la rouille d'une pendule, et au hasard des routes la responsabilité de ne pas me ramener amoché au bercail.

La maison Laliopa m'attend calmement. L'écolier qui récitait sa leçon sur le canapé brun s'est envolé comme un lapin devant les chasseurs, lorsqu'il m'a vu débarquer sur ce palier de tapis boukhariote. Il a rejoint sa mère à l'étage, et sa soeur l'appelle dans son dialecte, entre les escaliers de bois et la cour salie par le sable volant. Mes hôtes me servent un thé chaud et citronné, s'empressant dans un anglais impeccable de m'aider à organiser la suite de mon voyage.

Avec Jabil, un indien en vadrouille qui partage le dortoir, nous partirons demain à l'aube pour rejoindre les très antiques forteresses d'Ayaz Kala, de Taprak Kala et de Kizil Kala, qui du 6°au 3°siècle avant Jésus-Christ ont été construits par les civilisations du territoire de Khiva, la tribu de Korezm, pour se défendre de l'ennemi perse ou indien. Ces immenses forts, construits sur les forces habiles de roches naturelles, y ont ajouté avec un talent étonnant une organisation qui est celle d'une ville toute entière. On y voit encore nettement les murs des maisons ainsi que les voutes grisâtres qui couronnaient tout le tour destiné aux soldats et gardes de la cité. Le grand fleuve passait à l'époque non loin d'ici, d'où cette installation qui nous paraît aujourd'hui quelque peu cocasse en plein milieu du désert, loin des plantation, des points d'eau et du bétail. La seule chose que l'on aperçoit, c'est une étendue de sable et de buisson crépu dont la couleur turquoise donne à l'horizon l'atmosphère étrange d'une authentique mer de corail. D'après les historiens, c'est le changement de cours du fleuve expliquerait aussi la désertion de cette ville.

Les forts de Toprak Kala, Kizil Kala et Ayaz Kala.  
Perdu dans l'immensité du désert, quelques yourtes et un abri dorment à l'ombre du fort vieux de 2500 ans. 

Nombreux sont les archéologues qui se sont passionnés pour ces sites incroyables, qui nous livrent des secrets sur des civilisations vieilles presque d'il y a trois mille ans. Mais malheureusement, dans la modestie de cette terre ancienne qui jouit aujourd'hui d'une douce indifférence du monde, le mépris des grands a parfois délaissé la richesse d'une culture. Alors que leur terre était occupée par les soviétiques, les forts du désert de Korezm qui se comtent par plusieurs dizaines ont laissé leurs trésors d'histoire réputés (céramiques vieilles de 2500 ans, oeuvres d'art, etc...) déportés jusqu'au Musée d'Histoire de Saint Pétersbourg où ils siègent toujours, etc... alors qu'ils auraient toute leur place dans un musée à Samarkande, Tachkent, Khiva ou Nukus pour le plus grand bien d'un pays qui peine à faire décoller son tourisme.

Puis revenus de cette escapade qui inspirerait un prochain Indiana Jones, nous ne résistons pas au bonheur d'aller flâner quelques heures sur le soir mourant, et de se laisser mordre encore une fois en centre ville par les douces dents faits de créneaux de pierres. Cette fois, avec Jabil, nous ferons une balade dans les appartement du Khan de la vieille cité, au palais de Tosh-Khovli, perdus comme dans des labyrinthes infinissables.

A l'intérieur du palais de Tosh-Khovli, les murs recouverts de marjoliques entourent pour ce roi l'enceinte de son harem.

D'un appartement à l'autre, dans les murs du palais, nous semblons ne jamais toucher la fin. Ill s'agit des appartements du harem que ce prince, il y a deux cents ans, avait mis à sa meilleure disposition près de son palais. Quelle santé! "Ils savaient vivre à cette époque" me lance ma guide! Quelque cent femmes pour lui tout seul, il ne manquaient pas d'audace à cette époque... Tous les murs sont recouverts d'une magnifique céramique dite "marjolique", qui ressemblent à des carrelages ou mosaïques. La technique de l'époque étaient si efficace que les pierres bleutés nous restent souvent intactes, tandisque que les tentatives de copies des artisans contemporains ont déjà des traces de détérioration. Un artisan arrivera-t-il un jour à reproduire le savoir-faire des céramiste du 18ème et 19ème siècle?

Nous y croisons quelques petites bandes d’adolescents jovials qui, au milieu de leur rires insolents, ne peuvent s’empêcher de venir taquiner les deux étrangers que nous sommes, pour montrer leur fierté par trois ou quatre mots anglais.

Nous y croisons quelques petites bandes d’adolescents jovials 

Le soir a livré son testament, et dans les lueurs rougeâtres qui brûlent les dalles sur les hautes murailles, on entend l'adieu des lumières, qui ont déjà colorié ses murs chaque jour depuis déjà des siècles entiers. Elles nous laissent dans une paix de croisés qui termineraient une journée de marche au désert, abrités à Saint Jean d'Acre avant de reprendre la route de Jérusalem. Les nuages couvrent petit à petit le ciel, comme des coussins sur un lit, si bien qu'on aimerait sauter d'un minaret pour y atterrir comme dans du coton. Nous nous arrêtons un instant à la "Terrasse" près de la porte Ouest, avant d'aller rejoindre nos frères de l'auberge.

Les nuages couvrent petit à petit le ciel, comme des coussins sur un lit... 

Le lendemain, après avoir flâné et profité de tous les recoins possibles de Medarsas, d'ateliers de bois, de cuivre, de forge, de soie et d'assiettes en porcelaine je reprendrai la route de Tachkent...

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Publié le 26 août 2019

Après une année dense en bienfaits, en épreuves et en apprentissages, je quitte ce beau pays.

Cette fin d'année a été marquée par une pièce de théâtre magnifique que mes élèves ont joué après 8 longs mois de travail. Plus de deux heures de jeu et de texte... Cette pièce parlait de Paris, de Russie, de langue française, de Samarkand et de Boukhara ! Tovaritch, de Jacques Deval (1935), que je n'ai choisi que pour sa réputation et son nombre de comédien, mais qui s'est avéré avoir été tout simplement écrite pour nous !

Je vous laisse découvrir les vidéos qui vous montreront la fraîcheur des comédiens.

les deux teasings de la pièce Tovaritch, jouée par mes élèves du théâtre

Petit détour par la grande ville de Samarkand, cité emblématique de l'Ouzbékistan et reconnue par l'UNESCO comme carrefour du Culture et site du patrimoine mondial, cité habitée parmi les plus vieilles de toute l'Asie. Cité conquise aussi par Alexandre le Grand, ayant connu aussi les conquêtes des Huns, des Turcs, des mongoles et des arabes, elle sera surtout la capitale du grand conquérant Tamerlan (Amir Timour pour les Ouzbeks) et peut se vanter aujourd'hui d'être un foyer reconnu pour une grande diversité de religions, du bouddhisme à l'hindouisme en passant par le zoroastrisme, le judaïsme, l'Eglise d'Orient et bien-sûr l'Islam.

La beauté du Registan, datant de Tamerlan (début XV°), est saisissante par sa largeur denses, son architecture aux courbes taquines et millimétrées, et ses couleurs éclatantes. Ses motifs sembleraient plus brodés en dentelles de coton que dans des murs de pierres et de mosaïques. La Mosquée Bibi-Khanym est un exemple parmi d'autres des richesses architecturales de la ville, qui dans son ensemble est une grande étendue moderne de plus de 400 000 habitants.

Le Registan et la Mosquée Bibi-Khanym 

Trois belles semaines à Boukhara m'ont permis de finir en beauté un séjour d'hôte au coeur des paysages morcelés de monts, de sables volants, d'étendue sèches et de rochers vermeils . Trois semaines au coeur de la paroisse franciscaine de cette vieille ville millénaire, pourtant pondérée chaque kilomètre de présence musulmane et d'héritages perses, soufis, sunnites ou tadjiks. J'ai pu côtoyer les trois ou quatre modestes familles chrétiennes de la ville, dont la foi déplace les montagnes dans ce désert de sable et de pierres; chaque jour, à la messe apprêtée en fin d'après-midi par les frères, ils se retrouvent plus assoiffés du sang du Christ Sauveur que des gouttes d'eau pourtant si nécessaires à leurs gorges mourantes, en ces 44 degrés à l'ombre.

J'ai passé trois magnifiques semaines  sous le soleil de Boukhara avant de quitter définitivement l'Asie Centrale

J'y ai réappris peut-être la docilité qui sied à un chrétien. Celui qui reçoit tout, n'a rien à revendiquer, rien à prétendre et tout à remercier. Pauvres, sans voyages et sans frères. Oubliés dans le vent chaud des sillons de l'Islam, loin de tout, obéissant encore à leurs pères, à leurs mères, à leur modeste condition quotidienne, incapables de décoller de leurs ville natales, ils ont pourtant gardé la joie que n'ont même pas, parfois, ceux qui ont tout, des moyens de partir à l'autre bout du monde aux loisirs les plus dépensiers, des grandes libertés de choix individuels jusqu'à nos émancipations des moeurs de révoltés. Ils ont la foi, un prêtre, des sous pour le souper, la messe avant le soir, une vie bien cadrée, obéissante, peut-être ringarde même, huit ou neuf amis, quelques 30 frères croyants. Ils n'ont rien. Ils ont tout.

La paroisse de Boukhara, avec ses 30 fidèles, et ses 2 franciscains. 

Je vous annonce aussi mon départ pour la Tunisie, où je viens de commencer une belle et nouvelle mission. Professeur en 6ème- 5ème à l'école française de Djerba, j'ai aussi la joie de fonder le collège comme proviseur, après deux ans d'existence du primaire là-bas. Donc continuez à suivre mes périples : les prochaines destinations seront plus africaines! Djerba, cette île paradisiaque où serait passé Ulysse dans les pérégrination que lui prête Homère, Tunis où est mort notre bon roi Saint Louis pendant la VIIIème croisade, l'Algérie, les montagnes kabyles où mon grand père a laissé son sang, les traces de Charles de Foucauld à Tamanraset, et, si j'en ai le temps, certainement les roses des sables qui brillent au Sahara.

Djerba, île d'Ulysse, île douce de mer et de vents, aux habitants si accueillants, me voici ! 

Merci de m'avoir suivi, lu, encouragé, appelé.

Merci d'avoir prêté quelque peu votre attention, vos yeux, vos oreilles et surtout votre curiosité imaginative pour parcourir un peu avec moi un bout de ciel ou de terre.

A bientôt, je l'espère.

Raphaël Bert