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"Il n'en suffit pas d'un. Ni de dix. Les voyages se succèdent et ne se ressemblent pas. Chaque terre raconte une histoire particulière. Mais la Géorgie nous a touchés en plein coeur." Raphaël Bert
Du 23 décembre 2018 au 3 janvier 2019
12 jours
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Nous partions pour Tbilisi un dimanche après-midi

En pensant gagner sans peine cette contrée géorgienne,

Respectant sans rechigner un programme défini,

Conquérant des paysages, des châteaux et des vallées...


Et nous allions débarquer sans obstacle et sans naufrage?

Que nenni ! Le Génie des Météos ne délaisse un matelot !

Le vent s'est bien gardé d'oublier ses ennuis !

Ni une, ni deux, voyant notre bon train et nos grandes envies,

Il s'est pris de guider nos doux pas d'apprentis

Vers des contrées nouvelles que nous ne voulions pas...

Vers les cieux, ma parole ! Vers d'autres galaxies.

- Maître temps mon bon frère, humeur de nos journées

Avons-nous déclaré à notre majesté,

Abri des oiseaux fiers et des fourmis ailées,

Pouvais-tu épargner des pauvres voyageurs,

Qui en plus d'étrangers se font explorateurs?

Ils partent doucement pour des contrées lointaines

Sans maison sans repère, et sans d'autres mitaines

Que leur bon sac à dos et leurs souliers aux pieds !

Ils prennent après six mois de patients professeurs

Un joli temps de paix pour leur plus grand bonheur.

Sois gentil, mon ami, ne leur fais point de peine !

- Mes enfants croyez moi, je m'occupe de vous!

Reprit sitôt le Temps entre ses chaudes joues,

Avec délectation, je vous donne mes joies...

Il n'est pas de bonheur sans souffrir quelque joug!

Je ne peux vous laisser en vacances sans moi !

Un peu d'ennuis ici, un peu d'ennuis là-bas...

Voilà qui fait la vie et pourquoi je suis là !

Eh, ne rechignez pas, vous n'avez pas le choix !

Vous visitez le ciel, vous restez avec moi.

Je vous fais découvrir la porte du trépas,

Les espaces d'en haut avant d'aller en bas !...


Après quatre heures de vol, nous fîmes demi-tour

Pour s’épargner un vent des plus violents atours

Atterrîmes perdus, de nuit, à Aktaou

Repartîmes penauds pour je ne sais plus où

Rebroussâmes chemin jusqu’à case départ

Dormîmes épuisés sur des sièges étroits

Dans un aéroport lugubre odieux et froid.


Et au soleil levant sans qu’on ait fermé l’oeil

L’avion nous emporta en tuant notre orgueil

Cinq autres heures volantes las des sueurs froides

Par lesquelles on aura mérité nos balades.


Ce bon aéroport d'Almaty... si chaleureux et si accueillant !

Résumé en 4 secondes pour les non-bilingues en alexandrins:

(les autres -> photo suivante !)

nous sommes montés il y a 4 heures dans l'avion qui nous mène en Géorgie.... la vie est super belle... tout roule (tout vole), l'oiseau de méthane va atterrir d'ici 10 minutes... L'aventure Géorgie va commencer... Trop de chance, pas de violence, c'est les vacances !

A un petit détail près. Le capitaine à bord avait un petit quelque chose à partager avant l'atterrissage:

- Bonjour les copains, votre capitaine de bord... voilà, nous ne vous avions pas tout dit, tout petit changement de programme, on ne peut pas atterrir !

- Ah !

- Oui, voilà, nous sommes désolé. C'est la vie, des choses qui arrivent hein? Donc Retour à la frontière kazakhe.

- Quoi? Euh... On ne va plus en Géorgie?

- Oui mais non.

- Ah ! Mais Génial ! Nous n'avons pas visité la frontière Kazakh... c'est fou comme le destin nous emmène dans des lieux les plus incroyables! Et surtout un aéroport de nuit, c'est une opportunité évidente!

Une heure après, atterrissage à la ville d'Aktaou. Et là 2 heures passionnantes d'exploration de cette contrée millénaire, de son histoire, de ses ancêtres, de ses canyons et de ses maîtres. 120 minutes intense, denses, en trans, 120 minutes de vitamines, 120 minutes pleines d'adrénalines, fluides comme une cascade alpine, pour observer la noire lumière du ciel de miel à travers les hublots ovales comme le cristal et constater que le Kazakhstan aussi connaissait l'obscurité après 22h. Grâce à cette expérience, nous avons pu relire une douzième fois le magazine écrit en russe dont nous avions réussi à déchiffrer sept mots avec une fierté qui dépassait toute imagination, et se rendre compte enfin que la couleur de la chemise de l'hôtesse sur la dernière page du fascicule était plus ou moins la même que celle de la même chemise de la même hôtesse sur la première page du même fascicule.

Il serait hasardeux de dire qu'on nous a délaissés. Non, notre ami chef de bord a daigné prendre la parole, avec une sérénité qui marquait son courage dans ce moment de longue épreuve.

- Nous ne pouvons toujours pas rejoindre Tbilisi. Or, passer la nuit dans ce trou tout paumé, il n'en est pas question! Pour rien au monde, nous ne vous ferons vivre ça ("pour rien au monde, nous pilotes précieux, nous ne dormirons dans un coin aussi cata"). Nous avons donc eu l'idée d'un aéroport digne de vous, l'aéroport ...d'Almaty ! Ca vous parle? On y était il y a pas si longtemps que ça!

- Génial!

Quatre heures de vol terribles dans une nuit qui n'en est pas, pour retourner joyeusement à la case départ. Nous arrivons à la capitale kazakh, et dans une joie immense, nous retrouvons notre bonne prison de boutiques et de recoins sordides. Les banquettes frémissantes appellent tendrement la venue de nos têtes fatiguées. Ces magnifiques banquettes violettes comme du sirop de mûres trop mûres ont été faites par un génie d'architecte d'intérieur prodigieux, puisqu'il les a parsemées à chaque coudée de magnifiques accoudoirs incurvés en métal indéboulonnables... (s'allonger, c'est mauvais pour le mental). Autant vous dire que durant cette longue nuit, notre sommeil fut serein.

Mais heureusement, M'air Astana veillait sur nous, Mère Astana pensait à nous, Mère Astana nous cajolait, Mère Astana nous comprenait. Oui, Mère Astana, c'est notre mère à tous. Le lendemain matin, nous avons eu un café GRATUIT! Quelle délicatesse!

A 10h du matin, après une nuit splendide et douce sur la moquette, nous repartons pour quatre nouvelles heures d'un vol qui tambourine dans mon cerveau plus violemment que les mouches ne s'écrasent sur les vitres de notre machine infernale. Quatre heures où je crois pleurer, rire, exploser, m'assoupir. Quatre heures où personne ne comprend plus rien de qui, ou quoi, ni pourquoi. On se souvient vaguement qu'hier matin nous étions là-bas loin, parti pour 5 heures de vol, et qu'après 15 heures on est toujours là-bas loin, mais un autre loin, et que les choses vont s'arranger.

En arrivant à Tbilisi, Mère Astana avait pensé à moi. Peiné d'avoir pu me peiner, elle s'est donné de la peine pour consoler mon bagage (poke Les Frangines) et le mettre de côté, lui donner un congé d'un jour supplémentaire dans leur ville préférée (Almaty) au cas où il n'avait pas pu visiter une boutique de l'aéroport, ou une splendeur de cette bonne vieille ville. J'ai bien sûr trouvé cette pensée délicate, et me suis senti léger !

Allez... on s'en fout, ça fait les pieds. Et maintenant, Tbilisi, on y est, Tbilisi, t'es ici, c'est le pieds ! Tbilisi, quelle beauté !

Tbilisi, on y est !
Tbilisi, t'es ici, c'est le pieds ! 
 Tbilissi, quelle beauté !
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Tbilisi.

Tu règnes toute belle au creux de ces montagnes

Aujourd'hui dans tes murs la paix au coeur nous gagne

On s'y glisse serein comme entre des lauriers

On s'y trouve si bien qu'on y voudrait rester

Qu'on ne pourrait penser qu'il fut encore vingt ans

Tu étais un repère de guerre et de brigands.


Tu as été sans doute en toute la Russie

De ces peuples les plus affolés et meurtris

Outragée par la guerre pendant cinquante années

Tu tiens ta grande histoire et ta foi inchangées.


Tes rues sont contrastées lorsqu’on y flâne un peu

Entre ce vieil immeuble hideux abandonné

Qui héberge sans âme l’angoisse des gueux

Et tes rues médiévales au charme enlevé


Qui pullulent de vie de commerce et de voeux

D’auberge de bon goûts de thermes de surprises

Ou tes ancestraux toits coniques des églises

Qui depuis l’an 500 se dressent en tous lieux


A nos humbles gosiers tu réserves toujours

Autant de dévotion qu’à nos yeux assoiffés

Tes plats et des boissons ont charmé notre amour

De même que tes monts, tes châteaux tes musées


Et s’arrêtant heureux après maintes réclames

Aux pieds d’un restaurant qui nous souriait trop

Nous oublions nos vies en surprenant ton âme

Qui en tes jolies filles offre un sourire si beau


Nous sommes en Géorgie depuis maintenant 4 heures, dont 3h 30 de sieste d'entrée de jeu (nous avons fait des rêves en géorgien, ça change à la frontière apparemment!). La messe de minuit va sonner d'ici quelques minutes. Les habitants, pourtant autant voire plus chrétiens que nous-mêmes, ne semblent pas s'apprêter à fêter Noël. Car pour eux, Noël sera encore dans quelques jours. On voit des églises orthodoxes jucher le pays comme des arbres dans une forêt, et au détour des rues, les habitants se signent et reprennent leur route.

Saviez vous que la Géorgie fut avec l’Arménie le premier Royaume chrétien du monde? Ses habitants ont connu la foi dès le 1° siècle grâce à saint André, mais aussi son royaume et ses rois devinrent officiellement chrétiens dès le IVème siècle, grâce principalement à Sainte Nino, patronne de tous les géorgiens. Au V° siècle, l'église géorgienne deviendra une église autocéphale (indépendante).

Noël à l'église catholique de Tbilisi 

Nous ne savons plus si nous sommes avec les bergers ou les rois mages, mais tout ce peuple mélangé de mille origines chante en coeur, et on s'y retrouve plutôt bien. Après avoir partagé le pain, et serré la main de quelques habitants sur le parvis rougi par les réverbères, nous prendrons la route du centre ville pour attraper un joli réveillon au coin d'un cabaret de vin et de khachapouris, adouci par les derniers clins d'oeil d'une lune qui dort. L'atmosphère des lampadaires bleuâtres qui font de l'ombre sur les chaussées de pierres médiévales donne à notre modeste Noël étranger un aspect quelque peu fantastique. Puis nous ne tarderons pas à aller assommer la bête dans les draps d'une auberge bien rustique, la maison Kazaban, tenue par une chouette famille géorgienne, descendante, à ce qu'ils nous disent, du trône royal de Géorgie, et dont le français, spécifique aux familles aristocrates, est épatant.

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Quelques bruits de camions arrêtés dans la rue adjacente au gîte raisonnaient à travers la fenêtre mal fermée de ma chambre. Deux ou trois rires saccadés d'adolescents aux tonalités arméniennes me sortirent doucement de mon sommeil lourd, comme un inconnu étrange et familier. Où sommes nous? L'avion d'Air Astana nous a-t-il encore gardé en otage? Non... quel bonheur, il y a des draps autour de moi. Pas de ceinture de sécurité, pas de barre dans le dos... C’est Noël et nous sommes dans une nouvelle galaxie. Les météorites ne sont que les bruits de ces camions affolés qui traversent sans peur la belle avenue de Marjanishvili, et le ciel noir ce plafond vieux de 300 ans qui a daigné nous inviter chez lui.

Comme un gosse de 8 ans s'est endormi en voiture sur la route du chalet familial, et se réveille en sursaut dans un lit chaud et neuf, je me laisse aussi domestiquer petit à petit par le silence du vent, et les cloches des troupeaux de voitures. Les rayons chauds du soleil glissent sur les sommets enneigés à la manière d'une flamme sur une cheminée, puis viennent réchauffer mon crâne encore ensommeillé.

Après trois mois de travail acharné, nous avons 10 jours complets de libres devant nous. Quelle liberté!

Josselin et Aude dorment encore. Je suis le premier levé. Je sorts attraper un instant l'odeur fraîche que nous prête l’hiver sur le parvis, et laisse errer mes yeux joyeusement sur la carte du pays comme un scout avide de trésors imaginaires. Remarquant surpris le désert de l'aube, je gonfle un instant mes poumons d'une fierté de soldat solitaire, comme lorsque enfant je me levais le premier, et gardais une maison dormante, par un silence de berger vigilant.

Les visages et les sourires d’atavismes variés revinrent à ma mémoire... la messe d’hier, les taxis, le réveillon, les carrefours. Puis d'un coup, ma carte me rappelle. Il faut planifier. Après avoir visité Tbilisi, nous partirons pour Sighnaghi, cité médiévale au coeur de la campagne Est du pays, au milieu de vignes mondialement réputées. Nous y dormirons une nuit, y visiterons des caves ancienne de 400 ans.

Avant de nous embarquer pour l'Est, nous nous donnons une première escapade d'éclaireurs sur les sentiers majeurs de la sainte capitale. Entre les rues tordues ou penchées se dessinent des habitations ornées çà et là de motifs précieux ou marquées de traces lugubres, des manoirs 17ème, de grands immeubles 19èmes ou des recoins d'habitation insalubres qui se rapprochent plus de la ferme abandonnée que d'un appartement de grande ville. Pourtant, au seuil de ces maisons lugubres, on voit pendre du linge tout fraîchement lavé, et quelques pains sur une table austère. Qui habite là? La pauvreté ne ment pas au premier passant.

Les recoins de Tbilisi...
...au hasard des trouvailles... 
...et des quartiers !

Bientôt nous rejoignons les hauteurs de la ville et apercevons la belle cathédrale, dont l'or scintille à travers les voitures qui passent impassibles, et se faufilent entre les fils maladroitement suspendus comme une guenille entre les laines. C'est donc une croix qui domine Tbilisi. Et sous elle, le toit brillant de la cathédrale dans le ciel bleu nous sourit comme une étoile qui ne se serait pas couchée hier. A l'intérieur, des fidèles, fervents, viennent y faire une prière, y déposer un souci, un voeu, un doux secret.

Montée à la cathédrale de l'Eglise autocéphale orthodoxe de Géorgie 
Balade au coeur de Tbilisi, et dégustation des premiers restaurants où se marient à merveille les kinkhalis et le vin semi-sucré. 

Montés rapidement dans une mashroutkas (taxi partagé) à même pas trois sous, nous contemplons les murs de cette capitale étrange par son mélange de beauté et d’immense pauvreté. Parmi les ruelles, les tâches brunes sur les murs, les chiens errants et les vagabondes au allures de romanichelles ne laissent pas de doute sur la simplicité de vie de ce peuple. Les marchés s’entassent sur les côtés des rues qui grouillent de piétons et sursautent chaque seconde de coups de klaxons, et, sur leur trottoir, de bonnes gens espèrent vendre un bout de poulet frais, des sacs d'amande ou quelques pâtisseries maladroitement pendues sur un pic. Ça et là, des vestiges magnifiques de Moyen Âge et des chapelles orthodoxes aux toits coniques sortent soudainement de terre telles des mirages au milieu du désert. Comme après un mauvais rêve, ces images se dissipent pour laisser place petit à petit à une campagne plate, verte et belle, où percent néanmoins au loin comme en feux d'artifice la vue impressionnante de sommets immenses et terrifiants. Parmi les passagers qui ne disent mot, une bonne dame ne peut s'empêcher de nous proposer ses mandarines et sa miche de pain, toute compatissante pour les trois voyageurs que nous - et qui doivent lui sembler un peu perdus. Sa générosité nous touche et nous laisse pensifs : aurions nous même pensé à notre voisin étranger, en France, dans un bus vers les Château de la Loire? Le bruit indomptable de notre moteur soviétique se marie plutôt bien avec le spectacle des vieilles carrioles staliniennes jonchées à gauche et à droites des routes, qui pourraient bien ne pas avoir bougé depuis que Krouchtchev se regardait dans son miroir de dictateur.

Nous débarquons dans un petit bijou de village touchant, fait de pierres de taille, de briques chaudes et d'ardoises avariées, et ces accessoires se fondent dans une éternelle élégance médiévale, où, dominant les vignes réputées de Kakhétie à perte de vue, une vieille église au clocher perché sonne chaque heure un nouveau mariage.

Une tradition a même fait de ce village la cité des amoureux, et des géorgiens font le voyage toutes les semaines depuis Tbilisi ou d'autres villes pour célébrer leurs noces dans sa belle église!

Au loin, une armée de colosses se dresse d'un coup depuis les vignes comme l'immense vague d'un tsunami. Pas de paniques, ce sont des vagues, mais des vagues immobiles, robustes et entassées, dont le chapeau pourrait être un service complet de meringues blanches, et les versant, le flanc brun et tamisé d'un tiramisu nappé de Van Houten. Ce vacherin qui semble ne terminer ni à l'Est ni à l'Ouest, donne à la ville de Sighnaghi la délicatesse d'un petit bijou sculpté. Dans ce succulent délice des yeux, nos papilles aimeraient plonger comme dans du beurre de cacao, mais nous n'y goûterons que demain matin en croquant généreusement les vignes de Kakhétie!

Ce vacherin qui semble ne terminer ni à l'Est ni à l'Ouest, ramène la vue de Sighnaghi à la délicatesse d'un petit bijou sculpté. 
Le crépuscule fait fondre les neiges dans ce mur de chocolat, et mariner ce bout de village dans un confit de caramel ensoleillé 

Avant d'aller apaiser notre appétit de baroudeurs joyeux, nous nous arrêtons aux devants des frontières du village, et contemplons le crépuscule naissant. Il fait fondre les neiges dans ce mur de chocolat, et mariner ce bout de village si charmant dans un confit de caramel ensoleillé. Cela nous donne de l'appétit. Après quatre minutes à gambader sur des ruelles de pavé gris, bordées de charrettes rustiques et de charpentes robustes, nous nous asseyons dans un restaurant qui n'avait pas vu un touriste depuis la dernière lune, mais trouvera bien quelques bouts d'omelette à nous servir! Il emprunte plus ses couleurs aux auberges d'Astérix et Obélix en périple qu'à un établissement de notre siècle. La voix de la jolie géorgienne qui nous sert ajoute aussi à ce doux sentiment de dépaysement... un petit supplément d'âme (supplément dame) qui ne nous déplait pas ! Quand les spécialités du pays sont livrées au détour d'une route perdue dans les vignes, par la main généreuse des enfants de ceux qui les ont faites, elles ne peuvent que prendre une saveur particulière!

La table de notre bistrot! Quelques-uns des éléments fondamentaux qui gagnent la sympathie spontanée d'un français pour la Géorgie

Dans une nuit mystérieuse, plus profonde encore que quand Adam fut confondu à l'Eden d'une torpeur intime, fatigués par l'activité du jour et le voyage de la veille, nous nous sommes effondrés en un clin d'oeil sur l'oreiller de la plus paisible campagne géorgienne. Au creux des roches, à l'ombre des pigeonniers et des monstres nocturnes que forment ces immenses montagnes enneigées, loin du brouhaha des routes et du tintamarre des marchés, proche de la petite fontaine roucoulante et douce, et des chiens errants qui chouffent entre les chênes, nous avons câliné notre doux lit douillet comme des baroudeurs téméraires épousent leur duvet après la marche. Le matin venu, auprès d'un petit déjeuner abondant d'omelettes au fromage, de pain de froment et de fruits apprêtés avec délicatesse par notre famille d'accueil, nous prenons la route du vin en compagnie du fils de notre hôte, qui nous conduit (merci à la maison Chez Maya, que je recommande sans hésiter !). Notre chauffeur est un gars du crû. La trentaine, vivant chez ses parents, il connaît ce patelin comme sa poche. Il y est né, il y a grandi, il y travaille et y chasse aussi la bécasse. Mais modestie oblige, il n'a jamais pu conquérir les sommets qui nous semblent pourtant si proches, parce que pour monter là-haut, il faut avoir un tout petit peu de moyens financiers. Jamais même n'a-t-il eu l'audace de quitter son pays pour un voyage ou une affaire.

Après deux heures à rouler sur la plaine, nous abordons timidement le grand portail du site de Khareba. Attrapé par un bon guide (et vendeur de vinasse), notre parcours commence au mieux. Au menu, dégustation, dégustation et encore dégustation. Petit point particulier pour la fabrication de la tatcha ("ჭაჭა" pour ceux qui ne suivent pas) : en guise de tonneaux, on utilise des espèces de jarres creusées directement dans la roche, sous nos pieds. Une fois la fermentation réalisée, on va chercher la boisson à l'aide d'un immense bâton couronné d'une gourde trouée (voir la photo).

Le feu pour fabriquer la tatcha, les jarres sous-terrines où elle fermente, et enfin l'outil nécessaire pour plonger & l'extraire!

Le vin géorgien épouse nos lèvres comme un ruisseau les gorges du Verdon, et adoucit sans bruit notre palais tout juste éveillé, par une délicate attention. Sa robe opaque et sanguine, sucrée par des arômes de fruits rouges dont les saveurs remontent jusqu'au nez, nous redonnent un sourire de gosse, alors que nous commençons tout juste notre périple dans ce vieux pays chrétien.

Les bons verres font les bonnes humeurs, et les bonnes rencontres les beaux sourires ! Ici, les trois voyageurs avec leur guide ! 

Nous avons visité deux caves HIPS!, comparé les vins des méthodes géorgienne à ceux des méthodes légales européennes HIPS!, et je ne veux pas dire, mais la véracité du terroir et des méthodes patriotiques HIPS! ont davantage servi leur cause auprès de nos gosiers assoiffés HIPS!, par leur robe chaude de caractère et leur pointe sucrée et fruitée HIPS! que ne l'ont réussi les grands vins des principes de l'UE (HIPS!). Sans vouloir aucunement créer de polémhipses sur les problèmes nationalhipses hein! Ce qu'il faut retenir, c'est que c'était hipser alléchant !

L'une des caves, n'avait jamais cessé de produipse du vin depuis le 16ème siècle sans interruption... c'est vous dire si les géorgiens ne sont pas d'aujourd'hui alcoolhipses!

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Nous ne pourrions manquer cet office... après avoir honoré de nos gosiers le vin des hommes, il nous faut désormais vénérer de nos Avés le vin de Dieu. Car à moins de trois kilomètres de Sighnaghi, dominant la vallée comme une Madone, Sainte Nino a laissé ses reliques au petit monastère de Bodbé. Au coeur d'une église vieille de pierres polies par onze siècles et sublimées d'immenses fresques millénaires et noires, nous déambulons sur la musique des phrasés silencieuses de dames priantes. Au coeur de l'ombre, les hautes icônes laissent le présent lumineux d'un sourire ou d'un psaume, et cette architecture grave nous plonge dans la foi du passé. A quelques pas, dans une salle plus petite encore que l'autel courbé du Saint Sépulcre de Jérusalem, gît Nino, cette Sainte consacrée il y a 1600 ans, dont le zèle a fait du peuple géorgien et de ses rois un peuple de croyants.

une église vieille de pierres polies par onze siècles et sublimées d'immenses fresques millénaires et noires (photo noir & blanc) 
Le tombeau de Sainte Nino, et la dévotion des fervents habitants qui viennent y prier leur patronne et leur mère 

Son nom Nino signifie "chrétienne", du diminutif de christina en latin. Elle serait venu trouver le roi d'Ibérie au IV° siècle, et ayant trouvé la reine malade, elle l'aurait guéri. La Reine lui aurait alors proposé de l'or et des richesses, mais refusant, celle-ci lui aurait demandé sa conversion. Elle l'obtiendra et le roi Mirian fera de même.

Dehors, dans le vent fougueux d'une place qui dégage sa vue sur l'infini, nous laissons rafraîchir nos visages tant par la vigueur du vent que par la vue des cultures sur l'immense plaine; elles flottent sur l'horizon comme des vagues se fondent sur un océan. Au milieu de cette immensité vague, nous apercevons un navire immense, majestueux, et plus tenace que le Mont Blanc. C'est Sighnaghi, dont la voile est ce clocher pointu, et les maisons les matelots regroupés sous son refuge. La plaine est une mer sans fin, et les meringues des sommets se fondent dans les nuages pour nous éclabousser d'écume. La roche du village navigue comme en tempête, et nous aussi, du haut de cette tombe plus forte que les siècles, nous sommes comme sur la mer de Galilée, aux côtés du messie endormi. A nos côtés, des ouvriers rénovent cette barque de Pierre (de Nino) en taillant la pierre dans le chantier d'une église qui se veut plus belle. L'un d'entre eux est justement en train de sculpter des motifs sur le porche d'entrée.

"Je suis la porte des brebis"?, Jn 10.

Le panorama le plus divin du monde ! 
Nous apercevons ce navire immense, majestueux. C'est Sighnaghi, dont la voile est ce clocher pointu et les maisons ses matelots.
Des ouvriers rénovent cette barque de Pierre en taillant la pierre dans le chantier d'une église qui se veut plus belle !

Après avoir bu la tasse des caves, nous prenons une douche froide dans les hauteurs. Mais nous naviguerons bientôt à nouveau deux heures sur cette plaine qui tangue, pour amarrer au grand port de Tbilisi, endormis du mal de terre, et ivres de joie.

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Vous avez bien entendu... il s'agit bien de Mtskheta ! Je ne doute pas que vous vous serez repris à trois fois avant de pouvoir offrir une tentative de prononciation correcte, mais ne vous inquiétez pas, je crois que pas un seul français normalement constitué n'a réussi depuis le début de l'histoire humaine à le prononcer sans se mordre d'abord la langue ou la gencive une ou deux fois. Vous savez que le géorgien peut sembler indigeste dès la lecture, puisqu'il s'offre un alphabet unique! Géorgie s'écrit საქართველო, et Tbilisi თბილისი. C'est esthétiquement joli, on ne peut le nier, mais il est malheureusement vrai qu'il faut avoir une foi digne de Sainte Nino pour se mettre à l'apprentissage de ces 33 jolies lettres, qui ne vous serviront plus dès la douane du retour passée.

Cette ville de moins de 8000 habitants existe depuis 2300 ans. Elle fut la capitale du Royaume d'Ibérie entre le III° siècle avant J-C et le V° siècle après Lui. C'est donc ici que s'est passée la majeure partie de la conversion du peuple au christianisme.

Cette cathèdre plus ancienne que la France donne ainsi son nom au Patriarche de l'Eglise géorgienne "Archevêque de Mtskheta et de Tbilisi, Catholicos-Patriarche de toute la Géorgie" (vous noterez que Mtskheta est avant Tbilisi, quelle classe ! Sujet de réforme : on ne dit jamais "Archevêque de Saint-Cloud et de Paris"... et pourtant on pourrait, il faudrait en parler aux autorités compétentes...).

 Le triomphe de murailles templières qu'accompagnent de vieilles chaumières faites de colombages asséchés par les siècles.

Après quelques instants à flâner entre les boutiques de quelques commerçants de vin et de souvenirs, nous sommes vite assiégés par le triomphe de murailles templières qu'accompagnent modestement de vieilles chaumières montagnardes, faites de pierres de taille et de charpentes au charme traditionnel. La montagne et ses hauts sommets étaient tout saupoudrés de sucre de glace à notre arrivée, et cette immensité sauvage donnait au site de Mtskheta l'impression d'une forteresse de contes chevaleresques, où l'on attendrait presque sans sursaut l'arrivée impromptues de légion d'elfes, ou encore le cor de Rolland nous parler depuis les monts.

 Cette immensité sauvage donnait au site de Mtskheta l'impression d'une cité fortifiée d'elfes perdus dans le temps.

Nous ne sommes pas arrivés ici seulement en randonneurs. Nous passons le pas de cette haute porte de pierres, bordée de tours, couronnée de créneaux, en tout premier lieu en pèlerins. L'Eglise qui nous attend date du VII° siècle, et l'on ne nargue pas 13 siècle de foi sans recul, ou bien on joue avec le mystère divin, comme un alpiniste avec le précipice. On souhaiterait que tous ces gentils touristes qui vienne y photographier avec bon goût les peintures antiques comme Champollion découvrait les hiéroglyphes, soient un peu plus saisis par ce qu'il s'y passe: non pas en saisissant les pierres comme une foi passée, mais en saisissant la foi présente, passée et saisissante de chaque pierre, celle de Pierre précisément. Car les géorgiens sont toujours au rendez-vous. Familles, jeunes étudiants, pères de famille, ou vieillards assagis, tous comblent de résonances pieuses les hautes voutes, et de prières secrètes ces murs noircis dont les icônes rénovées relève la couleur. Quelques prêtres à l'entrée nous tendent d'ailleurs la main, attendris par notre français, et nous saluent d'un sourire joyeux du haut de leur vieillie soutane noire, sous leur barbe abondante.

L'Eglise de Mtsketa, datée du VII° siècle 
L'église du VII° SIÈCLE accueille chaque années des millions de touristes et pélerins. Elle domine la cité antique de Mtskheta ! 

Nous faisons ensuite un détour pour rejoindre un autre haut clocher d'ermitage dominant Mstkheta depuis qui 13 longs siècles, où vivent encore des prêtres qui veillent sur la ville comme des anges gardiens. Nous l'atteignons, non sans peine, en bravant le froid ardu qui nous donne la mine d'esquimaux en vadrouille... mais comment le regretter après un tel spectacle !

La vue sur Mtskheta et ses monts 
Les deux affluents sont marqués par une couleur d'eau extrêmement différente, fait rare. 

Un peu plus haut, un monastère perdu nous en dit plus encore sur la foi de ce peuple. Nous grimpons tant bien que mal à travers un sentier étroit où coulent goutte à goutte les sueurs silencieuses des neiges en fin de vie. A gauche, à droite, des arbres fatigués sous le poids des flocons tombés; en haut, d'immenses roches où gisent çà et là des grottes mystérieuses, et où vivent peut-être saintement une ou deux robes brunes qui attendent un retour messianique. Entre les monts et nous, il est là, silencieux, aussi discret qu'un rocher parmi d'autres, comme une edelweiss inattendue sur une via ferrata: le monastère de Chio-Mgvime. Nous montons à pas de loup sur la neige coton, et sans oser mot dire pour ne pas gâcher ce silence polaire, nous pénétrons petit à petit sous les toits mystérieux de cette âme séculaire et accueillante.

Nous parvenons enfin aux bouts de nos efforts, au seuil d'une haute porte de bois dont le lent grincement ne saurait laisser présager les antres de l'extase. Pouvait-on penser voir un aussi grand spectacle ici alors que nous marchions, penauds, perdus, pensifs en ces plis rocailleux? Non, personne ne peut croire cela. La chapelle Saint Ignace de Rome, les peintures de Raphaël sur les hauts plafonds du Vatican et les merveilles de Michel Ange à la Sixtine n'ont qu'à bien se tenir, car ces splendeurs-ci ne s'offrent qu'aux plus téméraires des randonneurs, et dans le plus inattendu des sursauts. Quelle splendeur !

La grande chapelle principale où prient chaque jours plusieurs dizaines de moines de l'Eglise géorgienne.
La petite chapelle, sur le côté gauche de l'abbaye, presqu'inaccessible, où les frères viennent prier en ermites fidèles. 

Quelques frères sortent du réfectoires, ils sont jeunes. 25, 30 ans tout au plus. Souriant, ils nous font un signe de la tête, et semble échanger à notre sujet en riant. Je revis sans le vouloir le souvenir d'une récréation du séminaire, où encore pensif du cours de liturgie et des débats d'éthique, nous nous vannions entre frères, amicalement, tout en attrapant un bout de pain servis pour le goûter, ou en nous apprêtant aux offices de vêpres qui approchaient. Peut-être ces jeunes sont de ces novices qui se préparent au sacerdoce. Ou non peut-être sont-ils ermites, exorcistes... pénitents, ou qui sait, de futurs patriarches?

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Nous avons vu déjà le plus beau, ou presque.

Mais je vous laisse tout de même les clichés de notre petit passage dans un site troglodite qui sort de l'ordinaire: Ouplistsikhé, datant du 6° siècle avant JC. Parmi les traces que nous avons ici, il y a d'antiques cités troglodites, où les habitants cultivaient déjà des vins dans des cuves de pierres! Cette cité s'est développée jusqu'à l'arrivée du christianisme et même encore davantage. Elle fut aussi une étape de la route de la Soie au Moyen-Âge, puis fut détruite par Tamerlan (l'ouzbek, toujours lui !), et fut de nouveau habitée jusqu'au début du 20ème siècle. Plus de 700 grottes ont été reprises et aménagées.

Entre deux salles creusées... 
La cité troglodyte avec ses 700 grottes (cette photo-ci n'est pas de moi).
Les antiques jarres sous-terraines, pour la fermentation du vin 

Impressionnant n'est-ce pas?

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Puis ce sera direction Gudauri, pour rejoindre, après 5 jours de découverte du pays, des amis qui par hasard venaient skier au même endroit que moi. Quelle chance ! Ils m'y accueillent avec chaleur et générosité!

Alors le sport fut fabuleux, sous un soleil chaud et coquin, nous avons glissé sur des poudreuses onctueuses de par nos pieds chaussés, et de par nos yeux amoureux sur des panoramas sublimes. Lorsque le soir venait, nous profitions de bons petits plats préparés aux creux d'un petit appartement perché sous 2 mètres de neige, non loin d'un vieux clocher conique qui siègeait sur la bosse, pour nous rappeller le temps d'un regard que nous ne skiions pas à Arc 2000.

Quelle beauté ! 
Ce n'est pas moi, moi je prend la photo ! (Et, je skie beaucoup mieux! )
J'abandonnais mon esprit à la vue des chefs d'oeuvres de la nature, si efficace à nos yeux endormis.

M'arrêtant souvent au détour d'une piste, restant perché sur le rocher d'un hors-piste solitaire ou la terrasse d'un café, partant plus tôt, à l'aube pour essayer de capter quelques douceurs venues du ciel, j'abandonnais mon esprit à la vue des chefs d'oeuvres de la nature créative, si efficace à nos yeux endormis, même le temps d'un instant. Ils sont aussi beaux et fugaces qu'un bouquet de lys donnés à une épouse: inattendus, éphémères et... leur fugacité leur donne un goût d'éternité.

Quatre jours étaient passé.

Les roues du bus livraient à la neige un ronronnement sourd, et l’on sentait, avec les musiques tchétchènes partagées par notre aimable chauffeur, une atmosphère de mélancolie et de contemplation timide gagner nos âmes fatiguées, tandis-que nous quittions le village de Gudauri en ce lundi matin, dans une brume opaque, à travers des routes couronnées de neige grisâtre, au bord d’un ruisseau noir, entre les champs de nuages et les chênes morts. Nous prenions part à une photographie en noir et blanc, et les heures passées aux consommations et aux loisirs se transformaient inconsciemment en une sorte de lourdeur intérieure, car nous n’avions pas été à la hauteur des beautés livrées par le ciel. Les montagnes étaient tristes, le ciel était lourd, et il fallait qu’ils nous le fassent sentir. Nous aurions dû ouvrir davantage nos regards, davantage nos pupilles assoiffées, davantage nos coeurs. Elle se sont données abondamment, elles ont livrées leur sang blanc et leur étendards de paix, mais nous sommes parfois passés devant elles sans les voir, trop préoccupés par la vitesse des plaisirs et l’adrénaline du ski.

La prochaine fois, nous battrons moins la large piste de poudreuse damée, c'est promis, mes soeurs enneigées, pour battre davantage la pente ascendante, à la recherche de conquêtes plus éternelles !

La cité médiévale d'Ananouri 

Les vieilles pierres médiévales d'Ananouri ne dénotent pas au milieu de cette immensité polaire. Les chrétiens orthodoxes de Géorgie y viennent depuis des siècles, et nous nous y sommes arrêtés quelques temps ce matin sur le chemin de Tbilisi, en partance de Gudauri! Comparable en beaucoup de points à Mtschketa, mais en plus petite, cette petite cité a son histoire à elle, bien ancienne, perdue depuis des lustres dans les montagnes. Une fois de plus, on se croirait volontiers dans une terre de France, où tous les recoins de campagne ont des histoires anciennes et fabuleuses à nous compter. Il y a des ressemblances entre nos deux pays.

Ces sapins brûlant de neige nous secouent le regard avant que le vent ne secoue leurs branches et ne les déshabillent de leurs robes de mariée.

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Quelques photos de Tbilisi sous les feux d'artifice.

Tbilisi, sous les lumières du soir, et les feux que reflètent abondamment les roches.
Tbilisi le 31 décembre dans la nuit! 

Ca y est. Le tour de l’aventurier montre explicitement sa fin. Le panneau d’affichage publicitaire du hall fait défiler machinalement ses deux annonces toutes les 8 secondes avec un bruit qui me laisse déjà ahuri et tendu, alors que les passagers patients d’Air Astana attendent l’embarquement à venir en regardant ce que leurs écrans doivent bien pouvoir leur livrer d’aussi exaltant... Vous n'y trouverez certainement pas le quart des merveilles que la Géorgie vous a livrées.

Ce ne serait que le commencement du périple que je le croirais volontiers. Les visages, les longues rues de pierres soviétiques hachées de lampadaires obscurs, les magnifiques forteresses médiévales, les coins de restaurants soudains où l’ombre des outres sur le mur de colombage vous repose l’esprit autant que le goût sucré du vin, les sommets immenses où se perdent les soleils blessés au matin comme au soir, il me semble que la terre des géorgiens n’a qu’à peine pu commencer à me conter son histoire. Elle m’a livré son amour, j’y ai habité comme un enfant du pays, comme un fils des templiers ou un héritier des moines, et non comme un hôte ou un étranger. C’est certain, les familles que j’ai rencontrées font parties d’une génération de cousins éloignés que je n’avais encore jamais rencontrés, mais qui avaient toujours été de ma famille. Ils ont du combattre aux côtés de mes ancêtres pendant une bataille. Ils ont du participer aux mêmes Conciles à Antioche, Constantinople, Ephèse ou quelque autre conclave. Ils ont du porter des habits semblables, des blasons de même héraldique ou habité des chaumières de même vertu. Il n’y a pas d’autre solution possible. Peut-être que l’explication est qu’ils sont tout simplement frères de foi, et que leur culture s'est construite dessus depuis autant de temps que nous, même davantage, mais leur proximité est d’ordre de l'évidence.

Il me semble que les amitiés à peine entamées sont surpris par mon départ comme si personne ne l’avait envisagé. On n’a même pas pu garder contact, tant les échanges étaient naturels et quotidiens. On est partis comme des frères s’en vont faire leurs courses, mais une fois la douane passée, une fois mon esprit reposé dans cette machine infernale à changer d’univers et d’époque, mon esprit s’est arrêté et j’ai compris que je ne partais pas seulement pour un tour. Peut-être ne reverrai-je jamais ces amis que dans un autre monde. Et alors, j’ai compris une chose définitive et certaine : je crois en l’éternité.

Comme une cathédrale s’élève vers le ciel, comme un miracle évident de connaissance mutuelle. Les vitraux se répondent et les lumières s’éclairent pour faire naître un mystère de forces harmonieuses. De même, que nous le voulions ou non, toutes les cultures un tant soit peu charnues et faites de cornes d’homme consistantes et réelles ont une atmosphère de cathédrale, même s’il s’y trouvent de temps en temps quelques trous dans les murs. Seule une civilisation absolument libérale, abstraite et individualiste ne ressemble à rien d’autre qu’un malheureux champ de bataille où les cadavres jonchent le sol les uns à côté des autres. Les civilisations, traditionnelles, fussent-elles moins enrichies, moins techniques, moins conformes aux normes modernes, sont toujours plus solidaires, parce qu’elles n’ont pas oublié la modestie qui sied à une vie commune, l'amour de Dieu et le culte des morts.

Tbilisi depuis le beau sommet du jardin botanique où je me suis égaré à la nuit tombée!

Adieu Géorgie!