Nous partions pour Tbilisi un dimanche après-midi
En pensant gagner sans peine cette contrée géorgienne,
Respectant sans rechigner un programme défini,
Conquérant des paysages, des châteaux et des vallées...
Et nous allions débarquer sans obstacle et sans naufrage?
Que nenni ! Le Génie des Météos ne délaisse un matelot !
Le vent s'est bien gardé d'oublier ses ennuis !
Ni une, ni deux, voyant notre bon train et nos grandes envies,
Il s'est pris de guider nos doux pas d'apprentis
Vers des contrées nouvelles que nous ne voulions pas...
Vers les cieux, ma parole ! Vers d'autres galaxies.
- Maître temps mon bon frère, humeur de nos journées
Avons-nous déclaré à notre majesté,
Abri des oiseaux fiers et des fourmis ailées,
Pouvais-tu épargner des pauvres voyageurs,
Qui en plus d'étrangers se font explorateurs?
Ils partent doucement pour des contrées lointaines
Sans maison sans repère, et sans d'autres mitaines
Que leur bon sac à dos et leurs souliers aux pieds !
Ils prennent après six mois de patients professeurs
Un joli temps de paix pour leur plus grand bonheur.
Sois gentil, mon ami, ne leur fais point de peine !
- Mes enfants croyez moi, je m'occupe de vous!
Reprit sitôt le Temps entre ses chaudes joues,
Avec délectation, je vous donne mes joies...
Il n'est pas de bonheur sans souffrir quelque joug!
Je ne peux vous laisser en vacances sans moi !
Un peu d'ennuis ici, un peu d'ennuis là-bas...
Voilà qui fait la vie et pourquoi je suis là !
Eh, ne rechignez pas, vous n'avez pas le choix !
Vous visitez le ciel, vous restez avec moi.
Je vous fais découvrir la porte du trépas,
Les espaces d'en haut avant d'aller en bas !...
Après quatre heures de vol, nous fîmes demi-tour
Pour s’épargner un vent des plus violents atours
Atterrîmes perdus, de nuit, à Aktaou
Repartîmes penauds pour je ne sais plus où
Rebroussâmes chemin jusqu’à case départ
Dormîmes épuisés sur des sièges étroits
Dans un aéroport lugubre odieux et froid.
Et au soleil levant sans qu’on ait fermé l’oeil
L’avion nous emporta en tuant notre orgueil
Cinq autres heures volantes las des sueurs froides
Par lesquelles on aura mérité nos balades.
Résumé en 4 secondes pour les non-bilingues en alexandrins:
(les autres -> photo suivante !)
nous sommes montés il y a 4 heures dans l'avion qui nous mène en Géorgie.... la vie est super belle... tout roule (tout vole), l'oiseau de méthane va atterrir d'ici 10 minutes... L'aventure Géorgie va commencer... Trop de chance, pas de violence, c'est les vacances !
A un petit détail près. Le capitaine à bord avait un petit quelque chose à partager avant l'atterrissage:
- Bonjour les copains, votre capitaine de bord... voilà, nous ne vous avions pas tout dit, tout petit changement de programme, on ne peut pas atterrir !
- Ah !
- Oui, voilà, nous sommes désolé. C'est la vie, des choses qui arrivent hein? Donc Retour à la frontière kazakhe.
- Quoi? Euh... On ne va plus en Géorgie?
- Oui mais non.
- Ah ! Mais Génial ! Nous n'avons pas visité la frontière Kazakh... c'est fou comme le destin nous emmène dans des lieux les plus incroyables! Et surtout un aéroport de nuit, c'est une opportunité évidente!
Une heure après, atterrissage à la ville d'Aktaou. Et là 2 heures passionnantes d'exploration de cette contrée millénaire, de son histoire, de ses ancêtres, de ses canyons et de ses maîtres. 120 minutes intense, denses, en trans, 120 minutes de vitamines, 120 minutes pleines d'adrénalines, fluides comme une cascade alpine, pour observer la noire lumière du ciel de miel à travers les hublots ovales comme le cristal et constater que le Kazakhstan aussi connaissait l'obscurité après 22h. Grâce à cette expérience, nous avons pu relire une douzième fois le magazine écrit en russe dont nous avions réussi à déchiffrer sept mots avec une fierté qui dépassait toute imagination, et se rendre compte enfin que la couleur de la chemise de l'hôtesse sur la dernière page du fascicule était plus ou moins la même que celle de la même chemise de la même hôtesse sur la première page du même fascicule.
Il serait hasardeux de dire qu'on nous a délaissés. Non, notre ami chef de bord a daigné prendre la parole, avec une sérénité qui marquait son courage dans ce moment de longue épreuve.
- Nous ne pouvons toujours pas rejoindre Tbilisi. Or, passer la nuit dans ce trou tout paumé, il n'en est pas question! Pour rien au monde, nous ne vous ferons vivre ça ("pour rien au monde, nous pilotes précieux, nous ne dormirons dans un coin aussi cata"). Nous avons donc eu l'idée d'un aéroport digne de vous, l'aéroport ...d'Almaty ! Ca vous parle? On y était il y a pas si longtemps que ça!
- Génial!
Quatre heures de vol terribles dans une nuit qui n'en est pas, pour retourner joyeusement à la case départ. Nous arrivons à la capitale kazakh, et dans une joie immense, nous retrouvons notre bonne prison de boutiques et de recoins sordides. Les banquettes frémissantes appellent tendrement la venue de nos têtes fatiguées. Ces magnifiques banquettes violettes comme du sirop de mûres trop mûres ont été faites par un génie d'architecte d'intérieur prodigieux, puisqu'il les a parsemées à chaque coudée de magnifiques accoudoirs incurvés en métal indéboulonnables... (s'allonger, c'est mauvais pour le mental). Autant vous dire que durant cette longue nuit, notre sommeil fut serein.
Mais heureusement, M'air Astana veillait sur nous, Mère Astana pensait à nous, Mère Astana nous cajolait, Mère Astana nous comprenait. Oui, Mère Astana, c'est notre mère à tous. Le lendemain matin, nous avons eu un café GRATUIT! Quelle délicatesse!
A 10h du matin, après une nuit splendide et douce sur la moquette, nous repartons pour quatre nouvelles heures d'un vol qui tambourine dans mon cerveau plus violemment que les mouches ne s'écrasent sur les vitres de notre machine infernale. Quatre heures où je crois pleurer, rire, exploser, m'assoupir. Quatre heures où personne ne comprend plus rien de qui, ou quoi, ni pourquoi. On se souvient vaguement qu'hier matin nous étions là-bas loin, parti pour 5 heures de vol, et qu'après 15 heures on est toujours là-bas loin, mais un autre loin, et que les choses vont s'arranger.
En arrivant à Tbilisi, Mère Astana avait pensé à moi. Peiné d'avoir pu me peiner, elle s'est donné de la peine pour consoler mon bagage (poke Les Frangines) et le mettre de côté, lui donner un congé d'un jour supplémentaire dans leur ville préférée (Almaty) au cas où il n'avait pas pu visiter une boutique de l'aéroport, ou une splendeur de cette bonne vieille ville. J'ai bien sûr trouvé cette pensée délicate, et me suis senti léger !
Allez... on s'en fout, ça fait les pieds. Et maintenant, Tbilisi, on y est, Tbilisi, t'es ici, c'est le pieds ! Tbilisi, quelle beauté !