Non, non, je vous promets, quoique bercé par les dialogues d'ouvriers de campagne, je n'ai pas pris de carte au parti communiste !
Sensible à la critique sociale du travail à la chaîne, partisan d'un retour aux sources par un artisanat réalisé de la conception jusqu'à la réalisation finale, j'aurais pu vous laisser croire que je versais dans le marxisme, l'appel à la révolte, le syndicalisme de masse...
Non, rassurez vous, je n'ai pas de drapeau rouge encore sur les cases de mon camion !
Seulement, je marchais avec un marteau et une faucille, car je restaurais depuis septembre jusqu'à décembre le château de la Faucille, à Segré en Anjou !
Magnifique édifice du XVIIème siècle, il ressemble fort à Moulinsart, mais possède aussi des vestiges du XIVème siècle. On s'y promène volontiers, entre deux heures de sueurs, à travers son jardin à la française, son pigeonnier vieux comme l'Oudon (rivière qui traverse le domaine), son petit moulin en ruines et les belles bovines qui broutent le temps présent.
Regardez, vous pouvez en mirer les couleurs avant d'en goûter la saveur des mots !
Les charpentiers oeuvraient déjà à ressusciter le toit du château, depuis 1 an et demie avant mon arrivée.
Victoire remarquable : la restauration du pigeonnier médiéval. Cette charpente en chêne demande une maîtrise de trait croche* de la dextérité d'un Michel Ange, avec cette enrayure** qui retient la pointe du toit comme un cierge son abat-jour en soirée de procession.
Pour lever un tel chef d'oeuvre dans les air, pour déposer ce cône de plusieurs tonnes sur des murs si mince, notre grutier-charpentier, a dû travailler avec la minutie d'un marqueteur.
La charpente du pigeonnier remise à neuf Alors que le vent gelé de la fin d'après-midi nous secoue encore les oreilles, nous tenons debout sur ces échafaudages à 6 étages, dominant le jardin ensoleillé.
Concentrés et attentifs nous nous efforçons à tenir chaque chevron sur la ligne des cordeaux.
A côté de nous, en compagnons de labeurs, les deux couvreurs d'Herriot tutoient les ardoises comme des mineurs frottent un charbon, à l'aide de leurs marteaux aux allures de piolet. Ils alignent un rythme quasiment imbattable, cassant la matière, frappant les clous dans les voliges, et laissant résonner quelques échos feutrés lorsqu’ils déposent leurs outils et déambulent sur le toit.
Nous nous tenons debout sur ces échafaudages à 6 étages, dominant le jardin ensoleilléPour nous, c'est au chevet de la dernière aile du château que nous nous sommes mis à genoux.
Mon chef, Bertrand, charpentier depuis 44 ans à Perrault, avait déjà bien soulagé ce plancher de solivage* si étrange, que les années ont largement fait gondoler. Fait le plus étonnant, ce plancher a la bouille d'un pan de bois classique ! Mais un pan de bois, ou un colombage, est habituellement vertical, il compose un mur de maison ! Jamais un plancher.
Ici, vous le voyez tenir l'horizon comme on peut tenir ses abdominaux dans un exercice interminable de renforcement. La conséquence est évidente, après 4 siècles de gainage : son dos s'est courbé, et souffre de rhumatismes!
La charpente a vécu.
Comme les jours étirés et complexes d'un homme d'âge mûr, elle affronte tempêtes, fuites d'eau prolongées et bestioles nombreuses.
Sans oublier que les restaurations plus ou moins réussies, la maltraitent à la manière des charlatans. Notre toit semble nous compter une histoire inattendue : chaque poutre, chaque entrait et chaque assemblage souffre d'écarts et de traumatismes plus ou moins graves, et c'est en médecins que nous l'abordons prudemment. Parfois, c'est de l'ostéopathie qu'il nous faut réaliser, parfois, de l'acupuncture. Ici, de la chirurgie!
En effet, exemple de main de maître, mon chef d'équipe a réalisé une enture* à même l'emplacement, sans extraction. Accroupi, suspendu, c'est la tête en bas qu'il a du actionner son infernale scie circulaire, laissant les jets de copeaux neiger sur ses cheveux comme par vent d'hiver. Son pied de biche aidant, le marteau en épingle, il a dû ouvrir une brêche dans ce bois moisi, l'extraire, le raboter, le remplacer, l'enduire de résine, raboter à nouveau le tout, et lui offrir alors une greffe de bois comme quand on sauve un grand brûlé.
Pour ma part, ma principale activité fut la réalisation des lucarnes en sapin, puis de coyaux** en chênes. Ces coyaux participent au charme du toit, tout en adoucissant la pente de la pluie.
Les lucarnes, et les coyaux.Ailleurs, nous nous engageons aussi en chiropracteurs.
Notre beaux château vieux de 400 ans, a perdu un usage normal de ses hanches. Par les aléas et le poids des épreuves, les os se sont détachés et peinent à s'articuler. Il nous faudra tirer et tirer sans trop pousser vers le ciel cet entrait* déboîté de sa mortaise, pour venir attacher le tout avec une prothèse en métal.
Voici la belle prothèse que vos médecins préférés ont posés entre le poinçon et l'entrait, à l'aide d'un treuil lié au faîtage. Nous nous débrouillons pour que le toit soit entièrement plane (le latis), de sorte que les couvreurs n'ont plus à se soucier de rien, si ce n'est poser les voliges et les ardoises sans heurts sur la surface. Et ils déposent alors les ardoises sur le toit plat comme on étale des ricochets sur le lac d'Annecy un soir de temps calme.
Vous voyez bien les planches de chêne posés çà et là sur les chevrons pour redonner son plat à la pente.
Une princesse bretonne passe même me visiter sur les lieux (mon épouse), c'est vous dire la réputation du château dans l'Ouest!A quelques moments, pour remettre en place des échafaudages quelques peu désaxés, nous prenons des airs de montagnards sur un précipice. Impressionnés certes, maîtres de nous, plus que jamais, c'est l'occasion de surmonter nos peurs.
Concentration est Prudence donnent plus de garantie que douze baudriers.
Je vous laisse enfin admirer le travail fabuleux des couvreurs, qui ne lésinent pas en efficacité.
Leur oeuvre? Un talent de joaillerie. Sur les lucarnes et les noues*, le résultat me laisse admiratif.
La famille du propriétaire (Famille de Boberil) possède ce trésor depuis quatre siècles.
Grâce à M. de Boberil, heureux descendant, grâce aux architectes et aux artisans, le château a obtenu le grand prix régional des Vieilles Maisons Françaises.
Il nous enverra bientôt travailler sur la fameux Manoir du Boberil, plus ancien manoir habitable sur le territoire français : XIIIème siècle !
Merci de m'avoir suivi ! N'hésitez pas à me transmettre vos commentaires, conseils, ou questions techniques si tel ou tel aspect de notre drôle de médecine vous interroge et vous donne des idées pour chez vous! Qui sait !