- Where is you registration card ? Dans un petit poste-frontière, le douanier tadjike me demande un document que je n'ai pas et, imperturbable, refuse de me laisser sortir. Il insiste : - Come back to Kyzyl Art. Avec quelques mots de russe, et en jouant sur son orgueil, je parviens à le convaincre de me laisser passer. Je ne suis pas au bout de mes peines. De l'autre côté, la frontière ouzbèke. Dans un mélange de curiosité intéressée et de zèle, les douaniers fouillent mes bagages un à un, scrutent et vérifient chaque photo. Au terme de trois heures de palabres, alors que la nuit s'est installée dans la plaine, je quitte enfin la frontière et plante ma tente dans un champs de coton.
Je quitte définitivement la M41 pour bifurquer au Nord, vers les montagnes de Boysun. En ces journées caniculaires, le soir constitue le meilleur moment pour rouler.
En Ouzbékistan comme au Tadjikistan, j'attire la curiosité de populations davantage démonstratives. - D'où viens tu ? Où vas-tu ? Quel est ton travail ? Es-tu marié ? As-tu des enfants ? Je suis à nouveau invité à dormir dans une famille. Entre deux verres de vodka, les mêmes questions se répètent, en Russe. Après trois semaines de voyage, converser devient plus aisé et je me surprends à répondre sans difficulté à la majorité des questions. L'immersion reste de loin la meilleure école.
La route suit une vaste plaine dans laquelle les champs de coton laissent place aux usines de gaz. Dans un désert monotone, les dernières lignes droites d'une route bosselée filent jusqu'à Boukhara.
Située aux portes du désert, Boukhara déploie sa pléiade de coupoles nichées dans une multitude de trésors. Parmi les murs de briques et de pisé, les citadelles et les innombrables mosquées rappellent son prestige passé, jadis khanat et ville Sainte de l'Islam. Boukhara est encore bien vivante et ce malgré l'afflux de cars de touristes. En déambulant dans les ruelles silencieuses et oubliées, je passe d'un minaret raffiné à un bazar animé, de medersas en mosquées aux façades bariolés et aux dômes turquoise.
Boukhara devait être le terme de mon itinéraire, mon objectif initial. Mais je ne résiste pas à l'appel de la route. Le Voyage, ses rencontres, ses moments, ses surprises m'attirent plus encore que les villes, aussi grandioses soient elles : l'itinérance m'a toujours offert des instants aussi uniques qu'inattendus. J'ai encore du temps devant moi et décide donc d'effectuer un virage à 180° pour rallier Samarcande en deux jours. Le trafic devient plus dense. Le désert laisse place à nouveau aux vergers et aux champs de coton. Sur la route, les véhicules s'arrêtent : des escortes accompagnent les quelques convois matinaux de bus de travailleurs et révèlent les faiblesses d'une économie encore planifiée et dépendante de la culture cotonnière.
Au bout d'une vallée fertile et verdoyante s'étend Samarcande dont les dômes audacieux et les mosaïques à l'éventail de bleus rivalisent de splendeur. Samarcande est la ville de tous les superlatifs. Moins homogène que Boukhara, elle abrite pourtant des monuments d'une incroyable grandeur éparpillés entre larges avenues et ruelles intimes. Les immenses façades de la mosquée Bibi Khanoum côtoient ainsi le raffinement des portes surprenantes de l'allée de tombeaux qui jalonnent Chah-i-Zinda. Au coeur de la ville, dissimulé dans un parc ombragé, le Registan constitue l'un des plus beaux joyaux de toute l'Asie centrale et de l'ensemble du monde musulman. Capitale éphémère de l'empire de Tamerlan, Samarcande est une ville fascinante et contrastée. Une ville ouzbèke à l'âme résolument Tadjike.
Après plus de trois semaines d'un voyage intense, je prends le train pour Tashkent. A l'image de la capitale, l'Asie centrale change, évolue. Elle n'est aujourd'hui plus que le souvenir de l'ancienne Route de la Soie mais a su conserver les traces de son passé : un carrefour des idées, des échanges, des empires. Et dans ce mélange culturel et ethnique fascinant, le touriste demeure avant tout encore voyageur et visiteur.