Samedi 7 juillet
C’est la première fois depuis mon départ du Puy en Velay que j’arriverai à la fin d’une étape avec la mine défaite et une boule au ventre ...
Après l’étape un peu speed de la veille en terme de cadence, je pars de Cornellana avec Francesco (Italien). Francesco n'est pas encore habitué au rythme du chemin , Il souffre de courbatures. C’est sa seconde journée à pied sur ce camino car juste avant, il avait réalisé le camino de la Plata en vélo. C'est un chemin qui part de Séville et rejoint Compostelle.
Nous traversons Salas, petite ville sur l’étape.
A 12h30 Francisco souhaite qu’on s’arrête pour manger sur une table au milieu de la campagne. Je lui indique un village proche à 15 minutes où nous pourrons boire un coup et prendre un café dans un bar. Nous poursuivons le chemin jusqu’au village.
En passant vers les premières maisons, le chemin est légèrement en contrebas par rapport aux terrains des maison, il y a juste ma tête qui dépasse du chemin côté droit.
Tout à coup, J’aperçois un Pépé de 75 ans environ, à genoux dans une cour. Ma curiosité me pousse à regarder ce qu’il fait là à genoux tout en continuant de marcher. Soudain, j’aperçois un autre homme allongé à même le sol et le Pépé qui lui tient le bras au milieu d’une marre de sang . Je cours , je jette mon sac tout en appelant Francesco qui était quelques dizaines de mètres en arrière et qui se demandait bien ce qu’il m’arrivait.
L’homme venait de se couper le bras avec sa tronçonneuse à bois et le Pépé lui faisait un garrot avec un morceau de ficelle qui traînait parterre pour contenir l’hémorragie.
J’appellerai de toute voix « Emergencia, Emergencia » pour attirer du monde à l’aide. Un voisin avec sa femme viendront . Je leur fais comprendre qu’ils gèrent l’appel des secours, que la femme attende les secours vers la grande route pour les conduire au plus vite vers nous. Entre temps , la grand mère viendra aussi en pleurant et hurlant...J’ai peur qu’elle tombe sous le choc... Étant secouriste, je m’aperçois que Francesco lui aussi connaît les gestes à faire. Nous contiendrons l’hémorragie comme nous pourrons. Les secours n’arrivent pas, le temps presse ... je demande au jeune homme de rappeler, rappeler ... il me fait signe qu’un hélicoptère va venir. Il faut rappeler . Cela va durer plus de trente minutes avant de voir arriver une ambulance, l’hélicoptère, un pompier. Pendant tout ce temps nous resterons au chevet de cet homme sans relâche et sans perdre notre sang-froid en tenant le garrot et en surveillant son état .
Avant que de reprendre le chemin, tous les voisins sont venus voir ce qu’il se passait, nous remercier, La Grand mère voulait me donner quelques pièces de monnaie ce que je refusai catégoriquement. En faite ce sont toutes les voisines qui me diront « Offerta Santiago » c’est là que je compris qu’il s’agissait d’une offrande à déposer à la cathédrale de Santiago de Compostela. J’ai promis à la Grand-mère que je déposerai celle-ci avec toutes les intentions qui vont avec.
Je vous passe les détails, mais plus d’une heure passée au secours de cet homme, il est presque 14h, la pression retombe. Avec Francesco, nous n’avons plus envie de manger , de boire . Nous reprenons nos sacs et durant tout l’après-midi, nous marcherons sans dire un mot, des images trop fortes dans la tête : avons-nous fait les bons gestes, la peur de voir partir cet homme dans mes bras ... C'est très dur , d'autres Pèlerins ont passé mais n'ont pas prêté attention à ce qu'il se passait entre nos mains.
Dans l'après-midi, Francesco me dira simplement qu’il n’a plus mal aux jambes après cet événement.
Arrivé à l’albergue de Tineo, je retrouve Alain et Catherine , couple de Français avec qui nous marchons ensemble depuis quelques jours. Complétement dépité, je leur raconte notre histoire . Alain est médecin en retraite et me rassure en me disant que tout ce que nous avions fait avec Francesco était très bien... j'insiste auprès d'Alain sur le fait que nous avons tenu cette hémorragie à l'aide d'un garrot, que cet homme va peut être perdre son bras ? et alors me répond Alain, si nous n'avions pas été là et fait nos premiers geste de secours , cet homme serait sans doute mort dans sa cour. Qu'on se rassure.
La nuit ne sera pas très bonne. J’aimerais avoir des nouvelles de cet homme mais difficile dans le contexte où nous sommes d'appeler car nous ne parlons pas espagnol.
A noter que j'avais parfaitement mémorisé la date, le lieu , nom du village et en point significatif , une station service REPCO à quelques centaines de mètres du lieu de l'accident ...
En septembre soit plus de 2 mois après cet événement douloureux vécu avec Francesco, j'avais toujours des images en tête de cet homme blessé et l'envie de savoir ce qu'il était devenu. Je cherchai dans Google Maps la commune et station service REPCO. Je retrouvai facilement les lieux avec en complément le n° de téléphone de la station. J'ai demandé à Michel un copain habitant Dijon et qui parle très bien l'espagnol, d'appeler la station REPCO pour avoir peut être des nouvelles. Au bout de quelques jours Michel me rappellera après avoir eu un contact avec le Gérant de la station qui se souvenait très bien de cet accident et de la victime car c'est son voisin. L'homme en question a survécu à ses blessures, il n'a pas été amputé de son bras et devrait reprendre son activité professionnelle dans quelques jours. Quel soulagement pour moi depuis cette excellente nouvelle.
Après cet événement, je vais mettre quelques photos plus joyeuses du chemin.