Le trajet d’aujourd’hui débute dans l’Ain, en franchissant la rivière l’Ain. Du Bugey, je passe à la Bresse et entre dans le Revermont, région naturelle située sur les départements de l’Ain et du Jura. Le Revermont est considéré comme les premiers contreforts du Jura. Je suis donc bien en parallèle de la GTJ qui se trouve à une centaine de kilomètres environ à l’est. La route que je suis ce matin est très agréable, faite de petites montées et bien sûr de descentes ; c’est pour l’essentiel une route de crête. Un joli village, Rignat, offre une vue panoramique sur ces contreforts. La campagne est très belle, bocagère et destinée à l’élevage. Partout des haies faites d’épineux, de noisetiers, de buis parfois. Elles sont toutes taillées à hauteur d’homme, ce qui donne un aspect jardin à la nature. Julien Gracq l'écrivait déjà : " Dans la Bresse, les maisons, les arbres, les haies, les bêtes, coudoient la route plus familièrement qu'ailleurs, la traitent par moments en allée de jardin." (Carnets du grand chemin, Paris, José Corti, 1992, p. 32).
On aime beaucoup ici les ipomées dont on fait des guirlandes décoratives aux abords des maisons. Le sol s’y prête sans doute ? Les clochers sont souvent étonnants par les couleurs et les motifs donnés.
L'Ain à Neuville-sur Ain. La commune de Rignat et la vue sur la Bresse. Les haies et les ipomées.J’accélère un peu l’allure pour arriver à Saint-Amour, car je vois sur la carte qu’il me reste encore pas mal de route à faire et il est déjà 11H. Ce village est connu par le film de Gustave Kervern et Benoît Delépine, avec Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde, qui s’appelle justement Saint-Amour (2016). Je ne raconte pas ici le synopsis ; il faut voir ce film qui est l’histoire d’une itinérance, un peu spéciale, certes, mais sympathique. Je fais un petit tour dans la ville, et sur la place de la mairie je vois une plaque sur laquelle sont inscrits un prénom et un nom, et en dessous « Psychologue du travail ». La fenêtre est entrouverte et cette psychologue est présente. Elle m’entend lire sa plaque et se retourne. Je me présente et nous discutons un peu de sa pratique, car des psychologues du travail en libéral, c’est assez rare. Un peu plus loin, une immense fresque peinte sur un mur d’immeuble représente Lucien Febvre. Décidément, avant-hier, c’était Claudel, hier, Bichat ! Que de surprises non cherchées ! Lucien Febvre est un historien (1878-1956), né à Nancy mais décédé à Saint-Amour, qui enseigna au Collège de France. Il est tenu, avec Marc Bloch (1886-1944), comme le rénovateur de l’historiographie, dont la revue Les Annales, qu’il fonda avec Bloch, fut et est toujours la vitrine. Mon directeur de thèse, Georges Lantéri-Laura (1930-2004) à l’EHESS, se revendiquait de la méthodologie de Febvre dans son histoire de la psychiatrie. J’en ai bénéficié. Transmission, transmission…
La Bresse est une magnifique campagne, où les poulets sont bien élevés ! Les anciennes maisons ou les anciennes fermes ont toutes les mêmes détails architecturaux : une grande taille de longères, très larges, des toits en tuiles, dont un pan seulement est coupé à une extrémité, des murs en fines briques, et surtout des auvents tenus par des colonnes en fer ou en bois. Une dame fort sympathique qui m'a permis de photographier sa maison m'explique que ces auvents servaient autrefois à faire sécher le maïs quand la région en produisait beaucoup. Aujourd'hui, le maïs a presque disparu au profit de l'élevage, si je m'en tiens à ce que je vois.
De petites routes en petites routes bien agréables, j'arrive à mon hôtel. Mais, ici, pas de restaurant, et il me faut aller, à pied et sous une petite pluie, prendre mon repas dans le seul ouvert dans le coin, à 2 km. Lorsque j'y arrive, il n'y a encore qu'un seul client- un chauffeur routier - qui termine déjà de souper. Je sens une vraie joie de pouvoir être accueilli et qu'on me serve à manger ! Il faut peu pour être heureux lorsqu'on est loin de chez soi et qu'on a quitté sa zone de confort... Vive l'itinérance ! Un coucher de soleil lumineux m'accompagne jusqu'à mon hôtel pour mon retour.