Carnet de voyage

Traversée des Vosges à pied

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12 étapes
4 commentaires
Par PLM
Une randonnée rêvée depuis longtemps !
Septembre 2019
12 jours
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Bientôt les Vosges !

Oui, je l’ai attendue cette randonnée ! Et en plus elle aurait pu ne pas se faire car j’avais d’autres fers au feu et il m’a fallu choisir de me donner ce temps pour entreprendre ce que je rêvais de faire depuis longtemps. Oui, du temps, il en faut pour réaliser ses rêves ! De la détermination aussi, car quand « on peut », un petit quelque chose vient instiller le doute sur la possibilité d’entreprendre l’expédition. Ne serais-je pas aussi bien chez moi et dans mon jardin qui réclame mes soins ? Le plus critique est donc de pouvoir consentir à laisser sa zone de confort et de s’exposer à de l’imprévu, à de l’inconfort ou à du risque. J’ai eu ces trois cas de figure pendant ma randonnée qui a duré 11 jours, ou plutôt 10 jours et une demi-journée. Je n’en donne ici que quelques aperçus car j’écris ces lignes alors que je suis revenu il y a bien longtemps maintenant. C’est d’ailleurs une façon de refaire cette randonnée, avec des mots et le flux de mes souvenirs. Et une occasion de saluer le travail d'aménagement et de fléchage des chemins du mythique Club vosgien, créé en 1872 à Saverne, là où j'ai débuté ma randonnée.

Compagnon de route

Le premier souvenir qui me revient est celui du début de mon parcours. Après avoir passé une nuit dans mon fourgon garé dans un lotissement de Saverne, je suis parti rechercher le GR 5 en traversant cette petite ville elle-même traversée par des canaux. A la sortie de la ville, une montée m’amène à un château médiéval que je longe dans les anciennes douves. A l’entrée, un attroupement de randonneurs. Manifestement c’est un club qui s’est donné là son rendez-vous pour sa sortie hebdomadaire. Je traverse ce groupe en saluant de-ci, de-là, et presse le pas car je n’ai aucunement l’envie d’être absorbé : cette première grande randonnée, je l’ai imaginée la faire en solitaire, évidemment. Mais une évidence qui va vite se dégonfler. Peu de temps après en effet j’aperçois un autre randonneur solitaire devant moi qui emprunte le même GR. Nous nous suivons à une petite distance l'un de l'autre assez longtemps, et ce n’est que vers midi que je le retrouve assis sous le porche d’une maison forestière. La conversation s’engage et nous découvrons que nous avons à peu près le même projet de randonnée, lui devant s’arrêter quelques jours avant moi. Nous avons d’ailleurs loué dans le même gîte d’étape le soir même. La soirée dans ce gîte fut fort sympathique, en compagnie d’une randonneuse qui nous a rejoints sur le sentier un peu avant d’arriver. Le lendemain, nous faisons tous trois le début du GR ensemble mais la randonneuse part de son côté au bout de quelques kilomètres. A deux à présent, nous continuons notre avancée. Il est midi et nous nous arrêtons au pied d’une forteresse du Moyen Âge au milieu des bois. Je sors mon repas acheté auprès du propriétaire du gîte de la veille et commence à manger. Je m’aperçois alors que mon compagnon ne mange pas, lui. Je l’interpelle et il m’avoue qu’il n’a pas fait ce qu’il fallait pour qu’on lui prévoie un repas à emporter… De bonne grâce, je partage mon sandwich. Nous sommes donc « copains » au pied de la lettre ! Mais le rapprochement ne va pas s’arrêter là, et c’est ce qui fait le sel de telles rencontres.

Chemin faisant, nous parlons beaucoup, de nous, de nos vies, petit à petit, en cercles concentriques presque : la région d’origine, le métier, la famille, la pratique de la randonnée… J’apprends ainsi qu’il est depuis peu au chômage et qu’il était directeur d’une clinique chirurgicale dans la région ; il a pris ce temps de randonnée pour réfléchir à la suite à donner à sa carrière. Ce n’est pas un randonneur coutumier, me confie-t-il, et je le vois car il a dû retrouver son vieux sac à dos d’adolescent et chausse de vieilles Pataugas. Je lui explique ma situation de jeune retraité et d’ancien universitaire, ce qui l’intéresse car il a autrefois suivi une formation doctorale en sociologie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), sans soutenir son doctorat, mais son désir était de devenir universitaire. On s’aperçoit soudain que nous étions à l’EHESS presque au même moment mais pas dans la même discipline ! De mon côté, ce sont ses anciennes fonctions de directeur qui m’intéressent, et je lui demande (tout ça en marchant) s’il y avait un psychologue dans son établissement. Que oui ! m’a-t-il répondu, enthousiasmé. Il y avait précisément une psychologue, à temps partiel, qui l’a bien aidé dans la prise de décisions à de nombreux moments institutionnels. Il lui en est très redevable. Mais elle a dû partir, me dit-il, parce qu’elle venait d’obtenir un poste de Maître de conférences à Rennes. Rennes, répliquai-je ?! Ne serait-ce pas N. L. demandai-je ? Mais oui, c’est elle, me dit-il ! Nous voilà tous deux un peu interloqués par cette découverte et surtout par ce coup du hasard qui, aujourd’hui encore, quand j’écris ces lignes, me semble plus qu’étonnant. Mais il se trouve que quelques mois plus tôt j’avais eu la demande d’un collègue strasbourgeois de me renseigner auprès de l’équipe du département de psychologie de l'université de Rennes 2 concernant un poste de Maître de conférences en psychologie clinique mis au concours, car son amie voulait s’y présenter. Et peu de temps avant mon départ pour les Vosges, ce même collègue m’avait informé que son amie avait obtenu le poste. Quel curieux hasard donc de tomber justement sur celui qui a dû laisser partir celle qui le secondait si bien ! Et il n’y a pas autre chose à évoquer que le hasard, même si la probabilité était infime mais existait néanmoins si l'on regarde objectivement la situation. J’appelle cela des « croisements ». On peut ainsi s’apercevoir qu’en rencontrant quelqu’un qui nous était inconnu, il y a très souvent – pas toujours – des points de croisement avec lui, soit parce qu’il connaît quelqu’un que vous connaissez, soit parce qu’il a fréquenté les mêmes lieux que vous, etc. Ces croisements sont plus ou moins forts ou intimes. Parfois, il s’agit juste d’une ville ou d’un établissement, d’un intérêt commun, d’un professeur, etc. Mais parfois, comme ici, c’est plus « direct » je dirais, plus fort donc, et plus surprenant aussi, assez en tout cas pour provoquer un petit trouble... cognitif.

Nous nous sommes quittés quelques jours plus tard et j'ai continué seul mon périple. Les adresses mails ont été échangées et nous avons un peu correspondu par la suite. L'espoir d'une autre randonnée commune nous animait. Il faudrait y penser en tout cas, nous disions-nous. Mais, comme beaucoup de choses, le temps érode les sentiments comme les relations, et nous nous sommes oubliés. "Avec le temps/ Avec le temps, va, tout s'en va..." chantait Léo Ferré. Même les meilleurs compagnons de randonnée !

Le temple du Donon, lieu sacré et sacré lieu !

Une de mes plus grandes surprises fut le temple de Donon, un des sites de culte gaulois les plus anciens. On y arrive par les crêtes et il se situe à plus de 1000 m d'altitude. Cette construction imposante, colorée comme l'est la roche par ici, se dresse tout d'un coup devant vous. La rencontre a quelque chose d'irréel, après une rude ascension dans les bois où la vue était limitée. Ici, sur le parvis du temple, la vue est grandiose et dégagée. On comprend que les druides aient souhaité investir ce lieu qui domine. Dans une lettre du père de Victor Hugo écrite à son fils, il lui révèle qu'il a été conçu au sommet du Donon ! La puissance est en effet au rendez-vous.

Mésaventure au Markstein

Je raconterai ici un autre épisode, celui de l’étape qui devait me mener au Markstein, cette ferme-auberge où j’avais déjà séjourné autrefois. Après quelques chemins en campagne, je devais traverser une forêt, le Markstein se trouvant de l’autre côté, sur les crêtes. Il était 2H de l’après-midi. Après une heure de marche environ, la pluie s’est mise à tomber. Je me guidais avec Visorando comme d’habitude. Mais à une fourche, j’hésite, explore un peu un chemin qui me semble n’aller nulle part, repars sur un autre et reviens à la fourche. Sous la pluie, mon portable, pourtant réputé étanche, fonctionne très mal et je n’arrive pas à utiliser l’application. Je décide donc de prendre une direction Est, un peu au jugé. Ma progression me semble rapide et je pense arriver à cette auberge pas trop tard. Je passe à un moment près d’une maison forestière entourée de voitures 4X4. Des chasseurs ? Des bucherons ? Je ne vois personne et continue ma route. Bientôt la forêt s’éclaircie et une faible pente me fait descendre un chemin bordé de talus et visiblement emprunté par des véhicules, dont ceux que j’ai vus plus haut. Il est maintenant presque 4H de l’après-midi et je suis heureux de bientôt sortir de cette forêt épaisse. Mais au moment où je me retrouve dans une clairière, avec un bâtiment sur la droite et l’entrée d’un camping au fond, je reconnais soudain les lieux ! C’est mon point de départ avant de rentrer dans la forêt ! J’ai tourné en rond pendant 2H ! Vite, il faut décider quoi faire, prendre la route ou retraverser la forêt ? Il me reste 3H bonnes heures avant que la nuit ne commence à tomber. La pluie, elle, tombe toujours et je me réfugie sous un préau du bâtiment. J’essuie mon portable et réussis à voir qu’un chemin part derrière le préau où je me trouve et remonte vers la ligne de crête, que je n’aurai ensuite qu’à suivre jusqu’au Markstein. Je dois y être pour 19H au plus tard. Il est maintenant 16H30 mais il y a encore 11 km à faire ! Il faut donc se presser, et c’est en courant, comme un militaire à l’entrainement avec son sac à dos, que je m’engage sur ce chemin qui monte en lacets. Je suis quand même un peu inquiet car je sais que je vais être isolé pendant un certain temps dans cette forêt, et surtout qu’il ne faut pas que je me trompe de direction une nouvelle fois sous peine de devoir passer la nuit dehors. Ma course et mes réflexions sont tout à coup rompus par un bruit de branches cassées sur ma gauche, en haut du talus qui surplombe le chemin. Je m’arrête net et laisse passer juste devant moi un cerf magnifique et imposant qui dévale de l’autre côté du chemin. Belle surprise ! Mais il faut repartir et continuer à se presser. Enfin j’arrive aux crêtes et sors de la forêt. Je ne suis pas encore au Markstein ; il reste 5 km et il est près de 18H. Et il va falloir compter avec la brume maintenant ! J’aperçois encore des vaches à quelques mètres, mais l’horizon se bouche et la lumière baisse. Heureusement, je peux utiliser Visorando qui m’indique que la ferme-auberge est quelque part sur ma gauche. Je crois à plusieurs reprises y être tout près, mais non, il faut poursuivre. Un panneau signale enfin « Ferme-Auberge du Markstein » ! Au bout d’un assez long chemin en descente, j’aperçois une fenêtre éclairée et reconnais le bâtiment où j’ai logé trois fois déjà. C’était à une autre époque… J’entre et le nouvel hôte m’accueille, soulagé de me voir car il s’inquiétait lui-aussi que je ne sois pas arrivé plus tôt. Il me dit qu’il aurait appelé les secours si nécessaire. J’ai donc bien vécu une saventure dans mon aventure vosgienne ! Après un plantureux repas, j’ai passé une bonne nuit dans une des chambrées où j’avais dormi autrefois. Rien n’avait changé, rien n’avait été rénové, et j’y retrouvais même un reste de cette odeur douce d’étable qui en faisait le charme il y a 30 ans maintenant, lorsque c’était véritablement une ferme et une auberge, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Randonner le long de ce qui fut l'horreur

Au jour 4, j'ai approché le village de Natzwiller. Le soleil brillait de tous ses feux et chauffait le chevet de l'église en cette mi-septembre. Bientôt j'aperçus des panneaux indiquant un lieu que je n'étais pas si préparé à voir compte tenu de l'émotion qu'il a suscité en moi : le camp de concentration du Struthof. Construit en 1941 pour exploiter une carrière de granit rose du Mont-Louise, 52 000 prisonniers y ont séjourné ; des milliers sont morts des conditions inhumaines de travail et de nourriture, de pendaison - la potence est encore visible - d'exécution par balle ou pour avoir été gazés, en plus de ceux qui sont morts (5000 !) lors des "marches de la mort" lorsque le camp a été évacué en 1944 devant l'avance des forces alliées.

En contrebas du camp, tout le village étant étagé, un bâtiment porte une plaque sur laquelle on peut lire "Chambre à gaz de l'ancien camp de concentration de Natzwiller-Struthof". Ce bâtiment est devenu "Monument historique". Je n'ai pas pu entrer, tétanisé, crispé, alourdit par ce qui se précipitait dans ma tête. J'ai repris le GR 5 et remonté jusqu'à l'entrée du camp et sa porte grillagée. J'allais à pas lents sur le GR qui longe le camp en montée vers la forêt, découvrant ce que je n'avais jamais vu en vrai : les barbelés, les miradors, les baraques, la potence... Arrivé au sommet de la colline qui domine le camp, le Mémorial de la Déportation se détache de l'ensemble dans la chasuble blanche qui le recouvrait alors pour des travaux de restauration. Tout autour sont des croix, blanches elles-aussi. Puis je m'enfonçai dans la forêt.

Le Mont Sainte-Odile

Après une énième traversée de forêt, avec comme surprise une homme couché dans son hamac tendu entre deux arbres, j'arrive devant l'entrée du sanctuaire du Mont Sainte-Odile. Du monde se presse déjà pour y pénétrer et je suis le flux. Mais à l'intérieur, autour de l'abbaye du Hohenbourg et du couvent, l'espace est suffisant pour pouvoir visiter en paix. Le lieu y incite d'ailleurs. Des tombes mérovingiennes sont exposées qui rappellent que la fondation par Odile de l'abbaye eut cours sous les rois mérovingiens. Mais, comme partout ici, les celtes et les romains ont investi le mont pour y construire des fortifications. La place paraît en effet inexpugnable. Quand je redescendrai, je longerai un vieux mur d'enceinte défensif, qu'on a cru érigé par les celtes, appelé "mur païen", mais qui date du VIIè siècle.

La vue de la terrasse à l'extrémité du site est exceptionnelle sur la plaine d'Alsace. Au loin, on aperçoit la flèche du clocher de la cathédrale de Strasbourg ! L'Allemagne est tout près. Le tout est baigné dans une lumière éclatante. On est un instant hors du temps.

Une seule ombre au tableau, le souvenir de la catastrophe aérienne du 20 janvier 1992 et ses 87 morts. On en parle comme l'accident du Mont sainte-Odile mais l'Airbus A320 s'est en fait écrasé sur les hauteurs boisées de La Bloss.

Fin et retour

Le lendemain, mon étape était la dernière et vers midi j’ai repris le train pour remonter vers le nord et retrouver mon fourgon. Une dernière surprise m'attendait. Les roues du côté de la rue où il était garé avaient des traces de peinture orange. Je n'ai compris que plus tard qu'un véhicule qui ne bouge pas pendant un certain temps, variable d'ailleurs selon les mairies, est signalé à la police qui vient le marquer ainsi pour savoir s'il s'agit d'un véhicule "ventouse" ou non. J'aurais pu retrouver mon fourgon à la fourrière !

Au moment où je découvrais ces marques, une grosse Mercédès est arrivée avec toute une famille dedans. Elle s'arrêta devant le portail de l'autre côté de la rue, presque en face du fourgon. Le conducteur - sans doute le père - me lança un regard où se mêlaient la réprobation et le soulagement. Enfin j'allais le débarrasser de ce véhicule qui gênait un peu la sortie de son propre véhicule. C'est sans doute lui qui avait averti la police. Mais, en fin de compte, ce petit incident m'a donné à réfléchir et par la suite j'ai cherché d'autres types de stationnement pour mon fourgon, comme une place dans un camping. Et j'ai toujours pris soin de prévenir la gendarmerie ou la police locale si je le laissais sur un parking par exemple. Jusque-là, pas d'autre incident à signaler. Pourvu que ça dure !

Ce fut une très belle randonnée qui a tenu toutes ses promesses. Les traversées de forêt furent longues et le plus souvent en montées qui pouvaient durer 2 à 3 H. Mais les vues, arrivé aux crêtes, ont été fantastiques. La plaine d'Alsace miroitait sous le soleil la plupart du temps, ses villages parsemant les vignobles. J'en ai traversé quelques-uns, sous le charme de leurs couleurs et de l'architecture des maisons à pans de bois. Pour peu, je me prenais pour le joueur de flûte de Hamelin et imaginais une foule de rats à ma suite, ensorcelés par la musique ! De ces crêtes, on pouvait voir jusqu'aux rives du Rhin côté Allemagne, et on devinait le massif de la Forêt-Noire dans le trait noirâtre qui barrait l'horizon. Les châteaux et forteresses sont en nombre et dominent la marée verte des forêts comme des phares. Celui du Haut-Koenigbourg, ce "haut-château du roi", est sans doute le plus connu, surplombant en majesté la plaine d'Alsace. Sa couleur rosée, et sa splendeur due à sa rénovation au début du XX siècle, en font l'un des sites les plus visités.

Le souvenir de cette randonnée m'accompagne depuis et s'ajoute aux autres, s'y mêlant et préparant déjà une place pour ceux à venir.

Place maintenant aux images !

Le train du retour