Les rues de Laguiole étaient effectivement encore un peu trempées au matin au moment du départ. Je pris le temps de visiter, en montant d’abord à l’église se trouvant sur un promontoire avec un belvédère donnant sur la campagne. Au passage - notamment par la rue si bien nommée « Bombecul » - je photographie quelques-uns des nombreux magasins de coutellerie, en activité ou fermés. Mais la coutellerie reste ici une activité importante et un savoir-faire reconnu.
Je redescends dans la ville par des ruelles et arrive sur la place centrale du Foirail qui était hier si occupée. Au milieu trône la statue du Taureau, érigée en 1994, massive et tout à la gloire de la bête et de l’activité d’élevage, l’autre spécialité de la région.
Puis c’est la montée vers le plateau, comme à chaque fois. Le ciel est bas et gris, et de gros nuages ne sont pas loin. Va-t-il pleuvoir ? C’est la question qui taraude. Depuis le début de cette randonnée j’ai eu un temps excellent, malgré l’après-midi très chaud d’avant-hier. Mais s’il devait pleuvoir, voire y avoir de l’orage, ce serait une autre affaire. J’avance pour l’instant sur une petite route goudronnée, parfois dépassé par des véhicules type 4X4 qu’on voit beaucoup ici. Sûrement des éleveurs qui vont vérifier l’état du bétail après la nuit d’orage. Je ne reste pas longtemps seul car la cohorte qui m’accompagne depuis Aumont-Aubrac se reconstitue au fur et à mesure que chacun sort de son gîte, de son hôtel ou de son camping. Ce sont d’abord Patricia et Christian, puis les « vauclusiens ». Ah, les vauclusiens ! Ils sont une douzaine, en couples ; ils ont tous plus de 70 ans et se sont offert cette randonnée ensemble en faisant porter leurs bagages par un transporteur. Quand ils sont là, on les entend, avec leur parler méridional, même en marchant ! Bien sympathiques. Aux vauclusiens et à Patricia et Christian s’ajoutent encore deux couples, l’un qui vient des Vosges et l’autre que je ne connais pas encore. En revanche un aveyronnais avec lequel j’avais sympathisé aux Rajas semble avoir disparu alors qu’il m’avait dit faire lui aussi le Tour des Monts d’Aubrac. Peut-être a-t-il été rappelé chez lui pour une affaire urgente ?
Je force le pas pour dépasser le groupe des vauclusiens qui lambinent un peu et me retrouve sur la crête avec une vue sur les montagnes environnantes assombries par les nuages gris et épais. Au bord de la route, le jaune des genêts à tiges ailées (merci Plantnet) rehausse les couleurs alentour. Avant de rentrer dans le bois de Laguiole, une belle ferme semble avoir un œil fixé sur la vallée avec son oculus et contempler, contempler encore le spectacle du paysage.
La traversée du bois a perdu beaucoup de son intérêt car des coupes forestières ont dégagé les abords du chemin. Heureusement, un chemin botanique a permis de sauvegarder une bonne partie fort agréable à emprunter, la randonnée se faisant sous les pins et dans les mousses et fougères et autres plantes forestières. Tout à coup ce chemin arrive en lisière et une immense campagne se découvre. A perte de vue les herbages descendent en pente douce, puis remontent sur une colline pour redescendre encore après. Quelques troupeaux, de rares burons, des murets en pierres sèches. Voilà ce que la randonnée peut offrir, un moment de grâce pour s’être trouvé par votre seul effort à un endroit peu accessible. Je goûtais encore ce paysage quand Patricia et Christian sont arrivés, tout de suite scotchés comme moi. Je suis encore resté un petit moment et puis reparti sur un sentier longeant un muret. Cela devait durer longtemps car le GR passait dans les pâturages presque jusqu’au bout de l’étape. Et qui dit pâturage dit barrière pour parquer les animaux. Il y en eut beaucoup, qu’il fallait ouvrir et bien refermer, ce qui demande de la force car il faut tirer sur cette barrière faite de bois et de fil de fer bien rigide pour tendre suffisamment le tout et le raccrocher ! C’est aussi ça la randonnée.
Saint-Urcize arrive en vue. On découvre le village par le haut, ce qui donne toujours de belles prises de vue, ici du clocher en peigne avec ses quatre cloches bien en activité. Mais il n’est que 13H30 et ma chambre d’hôte n’ouvre qu’à 16H. Je m’installe alors pour déjeuner sur le côté de la jolie mairie sur le haut d’un petit escalier, à l’ombre. Une boulangerie tout près est ouverte et je me lève pour y aller. Je semble flotter ! Les quelques pas que j’ai à faire sont comme si j’étais en apesanteur et ma démarche est proche de celle d’un crabe ! Eh oui, lorsqu’on abandonne un sac de plus de 10 kilos sur son dos, il faut un petit temps pour que le schéma corporel intègre la nouvelle situation et que le corps pèse son vrai poids ! Et pour la sieste, une ruelle et les pierres plates d’un porche ont fait l’affaire. Ensuite j’ai visité cette petite cité où les curiosités ne manquent pas.
16H, je sonne et on vient m’ouvrir. Tout de suite - comme partout - des consignes sont données : enlever ses chaussures, poser ses bâtons (ah, les bâtons!)… L’hôte me montre ma chambre et après une bonne douche je me repose sur le lit en profitant de la tranquillité du lieu. 17H, les vauclusiens arrivent !… On sait qu’ils sont là ! Ils récupèrent tous leurs valises apportées par le transporteur et gagnent leurs chambres dans les étages. Évidemment, tout ça fait du bruit. On se hèle, on commente, on rigole, on interroge l’hôte sur la bonne chambre à trouver. Encore allongé sur mon lit j’entends cette équipée monter jusqu’à mon étage, le deuxième. Les premiers s’installent dans la chambre derrière la cloison de mon lit, et un de leur compagnon arrive sur le palier, interpellant les autres pour savoir où il doit aller. Un peu perdu, il ouvre ma porte et passe la tête, me voit, se confond en excuses…
Le dîner est prévu à 19H30. C’est d’abord un apéritif qui nous est offert, dehors, et qui ne durera pas très longtemps car la fraîcheur donna vite envie de rentrer s’installer autour de la grande table dressée. L’hôte mangea avec nous, tout en nous passant les plats, dont un pounti, terrine salée et sucrée, spécialité du Cantal où nous nous trouvions. Mais pas d’aligot ! A mes côtés, je retrouvai l’intrus de tout à l’heure, qui me présenta encore ses excuses. Les discussions avec lui au cours du repas furent sympathiques et le petit incident oublié.
Le repas s’éternisait un peu car l’hôte se montrait bavard, quoique très intéressant sur certains points d’histoire locale ou autre. Un peu moins sur sa conception de l’énergie nucléaire qui fut un des thèmes abordés, lié à celui des éoliennes, d’ailleurs peu présentes dans le coin. Les vauclusiens étaient en effet des retraités EDF et contestèrent les affirmations énoncées ! … Mais rien de bien méchant car on était en bonne compagnie et l’hôte passa à d’autres sujets, dont le tournage d’un film à Urcize au printemps et qui doit sortir à la rentrée. Il a accueilli dans son gîte toute l’équipe du tournage et nous conta quelques anecdotes. En matière d’anecdotes et de tournage de film, il en savait aussi un bout sur « Saint-Jacques … la Mecque » tourné au refuge des Rajas par Coline Serreau. Elle a dû, selon lui, y revenir à plusieurs reprises pour convaincre Mme Pignol ; certains acteurs ne restaient pas sur place entre deux prises, etc… Ah, les Rajas ! Notre hôte semblait intarissable sur la question, comme tous les autres hôtes chez lesquels je me suis arrêté, tant ce refuge est connu, décrié ou vanté pour son authenticité.
Après tout ça, une bonne nuit fut bien profitable.