Tour des Monts d'Aubrac

Par
Un classique de la randonnée, de beaux paysages en perspective et la sensation d'évasion attendue.
Ce carnet de voyage est privé, ne le partagez pas sans l'autorisation de l'auteur.
Juin 2022
10 jours
1

En publiant ce texte, je m'inscris dans ce que Martin de la Soudière dénonce, avec néanmoins de la bienveillance : randonner et raconter, comme tant d'autres (Arpenter le paysage. Poètes, géographes et montagnards. Petite bibliothèque Payot, coll. Voyageurs, 2022, p. 15–16). Mais l'écriture fait partie pour moi du plaisir de la randonnée, notamment lorsqu'elle est itinérante et suppose un dépaysement, un 'transport'. Toutefois, bien loin du niveau des écrivains-randonneurs reconnus (Robert-Louis Stevenson, Bruce Chatwin, Sylvain Tesson, Antoine de Baecque, Frédéric Gros, David le Breton, Axel Khan, etc.), il s'agit de petits récits d’un randonneur ordinaire qui relatent surtout des rencontres. Rien d’étonnant, car les rencontres sont le sel de la randonnée. Certes, il y a les paysages, le patrimoine, l’histoire, mais pour tout cela il y a les topo-guides et les ressources numériques. Je ne serai quand même pas sans les utiliser ici, mais ce ne sera pas l’essentiel. L’essentiel tient surtout à des surprises, à des imprévus, à des petits événements non programmés, à tout ce qui constitue une rencontre, entendue ici dans une sens large. La plus grande part de ces rencontres est toutefois celle d’un autre, randonneur ou pas.

Tout randonneur doit pouvoir retrouver dans ces récits quelque chose qu’il a vécu, expérimenté. Ils n’ont d’autre ambition que de poursuivre un partage qui s’effectue spontanément sur les chemins.

2

Voyage vers l’Aubrac

Le départ s’est fait très tôt ce matin, de Caen. En partant à une heure matinale, on a souvent l’occasion de voir de belles lumières et des paysages ou du patrimoine mis en valeur, et même de redécouvrir des lieux ou édifices qu’on connaît. En sortant du périphérique de Caen, la campagne, toute proche, mélangeait les couleurs, du jaune intense au vert bouteille, avec le soleil rasant. Mon trajet en fourgon aménagé est avant tout un moment où je regarde beaucoup, comme aujourd’hui, tout au long de la route. Et ne prendre que les départementales permet de traverser maints villages et campagnes qui, sinon, nous resteraient inconnus. Ce temps de voyage est déjà une partie de la randonnée que j’ai projetée.

Ce soir je me trouve à Durdat-Larequille, au sud de Montluçon, dans l’Allier, après avoir traversé l’Orne, le Perche, le Cher, le Berry, puis pénétré dans la région Auvergne-Rhône-Alpes en voyant surgir au loin les hauteurs boisées du Massif central. L’aire de camping-cars est toute récente et bien aménagée. La nuit devrait bien se passer. Un petit tour dans le village montre qu’il subit ce que d’autres communes rurales subissent : la désertification et la fermeture des commerces. Beaucoup de maisons sont closes et des entreprises sont en vente. Subsistent quand même une boulangerie et un tabac-presse, et Durdat-Larequille peut s’enorgueillir de sa belle église Saint-Martial remontant au XIIe siècle. Mais je lui ai préféré l’ancienne poste avec ses volets bleus…

3

L’arrivée à Aumont-Aubrac s’est faite sous la pluie, une pluie d’orage qui a commencé après St-Flour. Mais les prévisions annoncent une amélioration dès ce midi et du soleil demain pour ma première étape du Tour des Monts d’Aubrac.

Je suis garé en surplomb de la ville, avec d’autres camping-cars. Il faut que je me renseigne pour savoir si je vais pouvoir laisser mon fourgon pendant huit jours sur cette place. J’ai pris l’habitude de me signaler à la mairie et à la gendarmerie du coin en laissant mon numéro de portable et en ayant l’assurance que l’emplacement est autorisé sur un temps long.

Soudain une forte déflagration se fait entendre et le fourgon a un peu bougé !? Surprenant, car tout est calme maintenant. Quelqu’un me dira peut-être tout à l’heure ce qui s’est passé ? Un avion qui a franchi le mur du son ? Mais en faisant mes courses, je ne trouverai personne pour me donner une explication. En revanche, la mairie me confirmera que je peux rester sur ce parking.

Aumont-Aubrac est une bourgade sans grand charme, alors qu’il y a quelques jolis restes, dont l’église. Beaucoup de maisons sont recouvertes d’un enduit blanchâtre, aujourd’hui un peu sale, et qui cache des murs en pierre. Juste derrière le village passe l’autoroute qui se fait bien entendre… Heureusement, de nombreux petits potagers bien arrangés et clos de murets relèvent le tout. Et puis, Aumont-Aubrac est un noeud de GR mythiques : le chemin de Compostelle par la voie du Puy, le départ du chemin de Saint-Guilhem-le-désert, et le Tour des Monts d’Aubrac. Respect !

Demain, première étape, seulement de 18 km. Je vais prendre mon temps.

4

Voilà, la première journée de randonnée est finie, assez tôt du reste mais ce n'est pas plus mal pour se reposer un peu plus. Le corps fait mal et a subi un forçage mais il devrait s’adapter dans les jours suivants. Le sac à dos « pèse » en effet sur les articulations et les hanches mais aussi les genoux. Je sens que les muscles du bassin ont fait beaucoup d’efforts et sont encore douloureux après près de deux heures de repos. Le lever sera un test demain matin.

Le départ d’Aumont-Aubrac s’est fait dans la « foule ». Eh oui, même à 8H30 du matin la rue principale grouillait de randonneurs, en groupe, seul, en couple, avec âne… La boulangerie ouvre tous les jours à 6H30 pour assurer sandwichs et gâteaux pour la route à tout ce monde. Bonne initiative ! J’ai pris mon pain et un dessert comme les autres. Un couple attendait dehors pendant que je mettais tout ça dans mon sac. Réflexion de l’homme : « ce sac semble bien chargé! » Le sien était en effet assez peu rempli. Un compostellien comme je l’appris, qui voyage donc léger, son bagage étant d’une autre nature sans doute. Je confessai qu’il était un peu lourd mais ne dépassait pas les 12 kg conseillés pour quelqu’un de mon gabarit. Il parut dubitatif, mais accepta quand même la moitié de ma baguette dont je savais ne pas avoir besoin. C’est donc co-pains que nous nous sommes quittés.

A partir d’Aumont-Aubrac partent plusieurs GR comme je l’ai écrit hier, et presque tous font partie du « Compostelle », même s’il y en a un qui lui est consacré. Au début de mon périple je me suis vite retrouvé avec plusieurs randonneurs qui faisaient le « Chemin ». Trois femmes m’ont ainsi demandé si, moi aussi, je faisais « le Chemin » ? « Surtout pas! » fut ma réponse un peu vive et qui les laissa surprises, elles parties du Puy pour se rendre jusqu’à Compostelle en Espagne. J’aurais dû m’expliquer … mais il fallait que je les quitte pour suivre mon itinéraire. Je leur lançai donc un « Ultreïa » (que je prononçais Altréia!), qui suscita leur incompréhension : elles n’en avaient jamais entendu parler et ne savaient pas qu’il s’agissait d’un mot échangé entre pèlerins de Saint-Jacques depuis le Moyen-Age et qui peut se traduire par « Courage ! Allons plus loin ! » Mais quand même contentes d’avoir appris quelque chose, qu’elles pourront réutiliser en Espagne me dirent-elles !

La marche sur le sentier de mon itinéraire était plutôt facile sur une surface de sable tassé le plus souvent. Dans la campagne alentour dominent les genêts en fleurs d’un jaune éclatant, et les bords de route sont fleuris de fleurs sauvages : silènes, scabieuses, persicaires, gentianes bientôt en fleur, géraniums ou violettes. Tous les champs sont clôturés, soit par du fil de fer barbelé ou des murets en pierre. L’élevage est la principale activité agricole ici (moutons, vaches), même s’il y a quelques champs de céréales. Et bien sûr, de temps à autres, les hôtes caractéristiques de ce terroir : les vaches Aubrac, paisibles et posant pour la photo. Quant à l’habitat, beaucoup de vieilles maisons ne sont pas rénovées. On dirait qu’on préfère construire du neuf, du plus aménagé. Subsistent quelques restes d’un autre âge.

Comme la ferme où je me trouve ce soir. Après avoir quitté Puiséjols où j’ai mangé et siesté, à la belle mairie pavoisée, il a fallu seulement une heure pour arriver ici, au château de la Baume, vieille bâtisse un peu austère dans sa façade nord mais avec du charme dans celle du sud puisqu’on l’appelle le « Versailles d’Aubrac ». Cette partie est privée et je n’ai pu la voir. La propriétaire de mon gîte m’avait prévenu que la réservation n’était pas dans le château mais derrière. En effet, le château cache cette ancienne ferme composée de trois longères dont une a été restaurée pour des gites. Je n’étais pas tout à fait sûr que ce fût bien là lorsque je suis arrivé au portail. Il y avait un adolescent d’environ 13-14 ans qui désherbait un parterre au milieu de la cour, ce qui était déjà surprenant… Je l’interpellais pour avoir confirmation. « Oui, oui, répondit-il avec l’accent du coin, c’est bien là. Il va vous falloir toquer à cette petite porte pour qu’on vous montre votre chambre. » Que c’était bien dit et tellement raccord avec l’esprit du lieu ! Je toquai et une femme vint m’ouvrir pour m’accompagner jusqu’à une partie de ce long bâtiment restauré où se trouve ma chambre d’où j’écris ces lignes. Un couple était déjà installé dans une autre et prenait le frais sur le seuil de cette ancienne grange. Des profs, de physique et de biologie, juste à la retraite et qui viennent d’emménager près de La Rochelle, en provenance d’Abbeville. Discussions de profs évidemment, sans oublier la randonnée quand même. Nous allons nous suivre pendant trois jours.

5

Après un petit-déjeuner un peu juste, servi avec le minimum (café, pain, confiture d’orange), je me suis donné le temps de partir et ai repris ma marche qu’on peut qualifier « à l’économie ». Les muscles des cuisses ont tout de suite commencé à faire mal et à la base du genoux gauche la tendinite menaçait, comme hier. Donc j’ai marché plus lentement pour éviter des torsions trop vives. Au bout d’une heure environ les différentes douleurs se sont atténuées, voire ont disparu, sans doute sous l’action des endorphines libérées (apparentées aux opiacés : morphine endogène). Je continuai néanmoins à marcher avec prudence ; l’étape d’aujourd’hui était annoncée à 21 km.

Le premier tronçon du trajet s’est fait sur la route, peu fréquentée à cette heure matinale, sauf par les artisans ou livreurs divers qui donnent toujours l’impression d’une urgence tant leur vitesse est excessive. Quand ils passent, il vaut mieux s’arrêter et se mettre sur le bas-côté, la chaussée étant très étroite. En contrebas de la route, j’aperçois un moulin qui a été restauré de belle façon. Puis c’est la montée vers les hauteurs sur un chemin ensablé. Les petits hameaux se succèdent, dont l’un au nom pittoresque de « Chantegrenouille ». Oui, elles chantaient !

Mais bientôt le paysage change et devient plus désertique. La propriétaire du gîte d’hier m’avait d’ailleurs dit que « là-haut, c’est le désert ! ». Le chemin est bordé de grosses pierres, les unes disposées par les hommes et les autres qui semblent comme tombées là. Soudain c’est un vaste plateau herbeux qui se découvre, avec de loin en loin des troupeaux de vaches et de rares bâtiments de ferme. Les croix en granit sont nombreuses et balisaient autrefois ces lieux pour les rendre plus sûrs aux pèlerins et habitants de ces contrées inhospitalières. Aujourd’hui, elles font un décor.

Le chemin s’est poursuivi à travers une forêt de pins. Une grande partie avait été brûlée et des plantations nouvelles ont été réalisées. Petit à petit les arbres se sont faits moins rares et bientôt c’est un paysage de haute montagne qui est apparu, avec ça et là seulement des bouquets d’arbres.

J’approchai de mon gîte, le fameux gîte de la Rajas connu pour avoir été un lieu de tournage du film de Coline Serreau « St Jacques… la Mecque ». Un long chemin empierré y menait serpentant dans le paysage. J’y retrouvai le couple de hier soir arrivé depuis une demi-heure. D’autres randonneurs étaient là aussi, mais la porte du gîte restait fermée et tout le monde attendait que Mme Pignol, la propriétaire, vienne l’ouvrir, mais ça tardait et les randonneurs ne cessaient d’arriver. La cause ? Une panne de gazinière ! Un réparateur était à l’œuvre mais ça durait. On a attendu comme ça au moins une heure, sous le soleil et dans l’attente d’une bonne douche. Comme dans le film, il fallait aller sous le petit chêne pour pouvoir téléphoner… Enfin la porte s’ouvrit et Mme Pignol, liste en main, fit un appel et nous fûmes invités à rentrer groupe après groupe, couple après couple, et enfin pour ceux, comme moi, seuls, en duo ! A chacun fut désigné sa place dans les dortoirs, après avoir laissé chaussures et bâtons en bas. Mme Pignol menait tout ça avec rigueur, vérifiant et revérifiant sa liste, qui comportait aussi les informations sur le paiement, les arrhes versés, etc. Au repas, frugal - pas d’aligot ! -, après nous avoir tenu un petit discours sur l’historique du buron transformé en gîte d’étape et donné les consignes pour le petit-déjeuner du lendemain (« ici le pain, là le café, là le beurre, et si vous voulez d’autres confitures, il faut aller ici dans la réserve...), elle demanda à tous de passer la voir pour régler la note. Ce fut fait pour les 22 randonneurs !

Drôle d’expérience que de se retrouver dans une chambrée aux lits superposés, pour moi comme pour d’autres, qui rappelle des souvenirs d’internats scolaires ou autres. Allait-on bien dormir ? Comment faire avec cette promiscuité qui obligeait à mettre un peu de côté son désir d’intimité, surtout que les chambrées étaient mixtes. Chacun en prit son parti et la nuit ne se passa pas si mal. Mais c’était sans compter sur les randonneurs matinaux qui commencèrent à s’agiter dès 6H, parlant fort, laissant tomber quelque chose sur le plancher au-dessus de notre chambrée. Antoine de Baecque a écrit quelque chose là-dessus : "Une chambre, une douche, des toilettes, un lit, une table à moi sont les meilleurs antidotes au collectif du dîner et du dortoir, devenus, au fil des marches, des épreuves assez pénibles, quand il faut partager les conversations de table et mon sommeil en compagnie de ronfleurs-pisseurs toujours en décalage avec mon propre rythme. » (Ma transhumance. Carnet de routo, Arthaud Poche, 2021, p. 113). Pas possible d’espérer continuer à dormir dans ces conditions et le lever devint la seule option. Imaginez maintenant comment 22 personnes se sont organisées pour prendre le petit-déjeuner (une seule cafetière, deux auraient fait sauter le circuit électrique alimenté par des panneaux solaires, et Mme Pignol avait prévenu que la réparation demandait un expert qui viendrait des Landes et que ça prendrait du temps !), se laver, faire leurs besoins naturels dans les deux seuls W.C. (dimension dont il n’est jamais question dans les récits des écrivains-voyageurs!... Il m'a fallu attendre les bois...). Eh bien, ça se fait, pas d’une manière optimale sans doute, mais sans accrocs et avec respect de chacun. Une culture de la randonnée !

Je fus l’un des premiers à partir, sur les coups de 8H, laissant là des personnes que je ne reverrais jamais mais qui, le temps d’une étape en gîte, paraissaient les plus proches du monde car nous partagions alors la même joie de l’itinérance. Oui, cette joie de sentir qu’on fait quelque chose de particulier, que peu en fait pratiquent, qui nous fait vivre sans attaches et dans la succession des rencontres éphémères. Le contraire de la vie sociale habituelle quoi.

6

Assez vite je me suis retrouvé sur le plateau. Le soleil était filtré par des nuages bas. Tout était paisible, l’air, la lumière, les vaches… Le regard se portait à 360 ° et scrutait cet océan de vert moutonnant. Mais hop ! Un passage difficile : de la tourbe encore gorgée d’eau et des vasières. Il faut trouver le bon passage sur les touffes d’herbacées, assez solides pour porter le poids du corps et du sac. Voilà, c’est passé, on continue. Au loin une tache blanche qui semble être un véhicule. Un camping-car est en effet stationné au milieu de nulle part et paraît bien minuscule dans cette immensité herbeuse. Je passe à côté quelque temps après et constate que ses occupants dorment encore. Ils auront tout à l’heure le plaisir de prendre leur petit-déjeuner en ayant l’impression, sans doute, d’être seuls au monde.

Le chemin se poursuit sur une route de crête et arrive près d’un lac, puis bifurque à gauche dans une prairie. De l’autre côté du versant sur lequel je me trouve on aperçoit, assez loin, la commune d’Aubrac, point de passage du chemin de Compostelle vers Conques. Je n’y passerai pas, le circuit du Tour des Monts d’Aubrac passant plus à l’ouest. Dommage, car il s’agit d’un village assez typique, et il n’y en a pas tant que ça à voir car l’Aubrac est peu habité.

C’est dans une forêt de feuillus que je continue ma randonnée, une forêt de hêtres essentiellement. Sa traversée va prendre près de deux heures, avec des hésitations sur la direction à prendre car les marques rouge et jaune du GR de pays qu’est le Tour des Monts d’Aubrac n’apparaissent plus, remplacées par celles du GR 60. Mais parfois elles manquent… Il faut alors chercher, être attentif à chaque bifurcation. Dans cette situation j’ai été aidé, bien indirectement, par les traces du charriot portant bagages du couple que j’avais rencontré le premier soir à la ferme du château de la Baume. Deux lignes parallèles dans le sable, et hop! on suit. En espérant quand même qu’ils ne se sont pas trompés.

Après une marche sur une ancienne voie romaine aux gros cailloux disjoints rendant la progression laborieuse, la dernière partie de ce tronçon en forêt fut elle aussi un peu pénible. Le chemin suivait en effet une longue allée forestière exposée au soleil. L’ombre des arbres était difficile à trouver et la poussière, chassée par le vent, vous enveloppait. La sortie de la forêt fut comme un miracle (bien que pas sur le Compostelle!). Tout d’un coup tout s’ouvrait, un paysage immense se découvrait de chaque côté du chemin bordé par des murets de pierres. Une sorte d’éperon, quelques centaines de mètres plus loin, permettait d’embrasser tout ça, et il était difficile de s’en détacher, tout en cheminant et descendant maintenant vers Saint-Chély d’Aubrac. Les pauses pour admirer furent nombreuses et je pouvais comprendre que Julien Gracq, traversant l’Aubrac, ait pu ressentir « un vertige horizontal » en embrassant un tel paysage. Dans la campagne, en contrebas, apparaissaient une église et une tour. Le tableau était magnifique.

Une voiture était stationnée sur le chemin, porte gauche ouverte et son conducteur, un homme sans doute de 80 ans, admirait lui-aussi le paysage. On discuta et il me dit que par temps clair on pouvait voir la cathédrale de Rodez! Mais il me dit aussi que si aujourd’hui il y a du plaisir à passer par ici, bien souvent à d’autres moments il y en a moins avec le mauvais temps. Cependant il confirme qu’il n’y a plus autant de neige qu’auparavant. Il a pu voir ici jusqu’à 1, 50 m ! Mais aujourd’hui, plus beaucoup de neige et les stations de ski vont sans doute fermer. Les informations que j’entendis quelque temps après à la radio allaient dans ce sens : une étude montre que dans les Alpes, à 1700 m et plus, il n’y a plus de neige, et de la végétation et une faune s’installent sur ces nouvelles aires. Trois ans nous ont dit les experts du GIEC, trois ans pour espérer inverser le processus, perceptible donc à l’échelle d’une vie, celle de cet homme.

Après un détour par Bonnefon pour voir l’église et la tour que j’apercevais là-haut, l’arrivée dans ma chambre d’hôte à Saint-Chély fut appréciable. La maison se trouve près d’une rivière qu’un pont médiéval enjambe, construction destinée aux pèlerins. Deux couples arrivèrent après moi et nos discussions à table confirmèrent encore que l’itinérance permet ces échanges intenses car éphémères et basés sur un idéal commun. Je constatais aussi que dire que l’on est breton amène toujours des compliments sur la Bretagne. Mais bien sûr que j’en suis fier !

7

La traversée de Saint-Chély fut assez rapide pour gagner le GR. C’est un petit village aux maisons en basalte resserrées autour de l’église. Cependant il accueille maints randonneurs et surtout ceux faisant le Compostelle. Dès que je suis sorti de mon gîte j’ai croisé un flot de randonneurs se dirigeant en sens inverse, gagnant le fameux pont médiéval et empruntant le GR 65. Déjà beaucoup d'entre eux avaient franchi ce pont et grimpaient vers le bois surplombant Saint-Chély. Je m’efforce toujours de dire bonjour au randonneur venant de face, et, sauf rare exception, j’ai un bonjour en retour. Mais là, presqu’aucun de ces compostelliens, comme je les appelle, n’a répondu. Ils semblaient ne pas me voir, le regard déjà vers l’avant ou discutant entre eux. Mépris ? Indifférence ? Effet de groupe qui exclut les individualités ? Je ne sais trop quoi en penser, mais d’autres randonneurs avec lesquels j’en ai parlé ont également eu ce sentiment que ces compostelliens étaient entièrement immergés dans leur cheminement, sans beaucoup d’intérêt pour le reste.

Dès la place centrale traversée, il faut monter une côte le long de quelques maisons récentes, puis s’engager sur un sentier ravissant et ombragé.

Il descend d’abord pendant quelques centaines de mètres, puis il monte, monte, et cette montée va durer toute la matinée ou presque. Le sentier est très caillouteux, et le danger permanent est de se tordre une cheville ou de buter sur une pierre. La lenteur est recommandée, et le pas cadencé, toujours le plus régulier possible. Je tente de me tenir à ces principes de marche, cependant un peu essoufflé et fatigué au bout de plus d’une heure de montée.

Il va en falloir le double pour arriver sur le plateau. Une pause a été nécessaire vers 11H, et j’ai vu défiler devant moi toute la cohorte de ceux faisant exactement la même randonnée, que je commence à reconnaître à force de les côtoyer, les doubler ou les retrouver dans les mêmes restaurants ou gîtes. Une certaine solidarité de circonstance nous unit, avec des affinités plus marquées pour les uns ou les autres au fur et à mesure que nous nous connaissons mieux. Ainsi ce couple, Patricia et Christian. On est partis d’Aumont-Aubrac en même temps et on s’est suivis de près à plusieurs reprises. Elle, elle est bretonne, de Vannes, ça rapproche. Et aussi ce trio composé d’un père (il a plus de 70 ans) et de ses deux filles, l’une habitant Grenoble et l’autre Lyon. Je ne sais pas ce qui a motivé ce projet de randonnée familiale mais c’est touchant, assurément.


Après l’âpre montée, enfin le plateau qui domine le pays jusqu’à des confins qu’on a peine à voir dans les brumes. Une ancienne tour de guet en ruines sur un des pitons rocheux semble encore assurer son rôle de gardienne du passage. Puis ce sont les grands espaces herbeux, avec seulement quelques bosquets et un buron par-ci par-là. Des prairies magnifiques parsemées de gentianes y succèdent.

La descente vers Laguiole semble interminable. L’étape a déjà été longue et sûrement la plus coriace depuis le début, sous un soleil ardent qui m’a provoqué une brûlure à la nuque, partie qu’on oublie souvent de protéger. Mais alors qu’on croit être bientôt arrivé, il faut encore emprunter un sentier, puis un autre, traverser une départementale bien fréquentée pour en reprendre un suivant... C’est là qu’on peut dire que la randonnée est une épreuve d’endurance. Le plaisir peut alors s’évanouir et ne compte plus que l’envie d’arriver et se reposer. Ce sera d’abord à la terrasse d’un café à l’entrée de Laguiole (prononcer La’iole) pour une boisson rafraîchissante. Je sens les regards furtifs de jeunes à une table à côté pour ce personnage en sueur et un peu sale. J’espère ne pas les dégoûter de la randonnée. Mais c’est vrai qu’il y a peu de jeunes dans la cohorte que je décrivais plus haut, hormis ces deux jeunes filles avec leur père. Tous les autres ont plus de 60 ans c’est sûr, et beaucoup, plus de 70 ans. Même constat chez ceux que je croise. C’est vrai que faire une randonnée itinérante demande du temps et que la retraite est un moment propice. Mais c’est peut-être une envie qui vient avec le temps ?

Laguiole bruissait de monde et de véhicules en tout genre quand je longeais la rue principale. Le cortège d’un mariage passait en klaxonnant ; un groupe de motards faisait vrombir leurs machines et des amoureux de vieilles voitures s’échangeaient des conseils. Les commerces semblaient pleins, ainsi que les terrasses de café fort nombreuses. Quel changement avec la solitude de la forêt ou des plateaux ! On se sent à ce moment appartenir à un autre monde, celui de la randonnée, et il faut en passer par un bon nettoyage et un changement d’accoutrement pour redevenir citadin. Ce fut fait, pour d’autres plaisirs dont celui de la table qui fut très bonne ! La nuit aussi, car le lendemain on m’a dit qu’un violent orage avait éclaté et une pluie intense était tombée. Rien entendu.


8

Les rues de Laguiole étaient effectivement encore un peu trempées au matin au moment du départ. Je pris le temps de visiter, en montant d’abord à l’église se trouvant sur un promontoire avec un belvédère donnant sur la campagne. Au passage - notamment par la rue si bien nommée « Bombecul » - je photographie quelques-uns des nombreux magasins de coutellerie, en activité ou fermés. Mais la coutellerie reste ici une activité importante et un savoir-faire reconnu.

Je redescends dans la ville par des ruelles et arrive sur la place centrale du Foirail qui était hier si occupée. Au milieu trône la statue du Taureau, érigée en 1994, massive et tout à la gloire de la bête et de l’activité d’élevage, l’autre spécialité de la région.

Puis c’est la montée vers le plateau, comme à chaque fois. Le ciel est bas et gris, et de gros nuages ne sont pas loin. Va-t-il pleuvoir ? C’est la question qui taraude. Depuis le début de cette randonnée j’ai eu un temps excellent, malgré l’après-midi très chaud d’avant-hier. Mais s’il devait pleuvoir, voire y avoir de l’orage, ce serait une autre affaire. J’avance pour l’instant sur une petite route goudronnée, parfois dépassé par des véhicules type 4X4 qu’on voit beaucoup ici. Sûrement des éleveurs qui vont vérifier l’état du bétail après la nuit d’orage. Je ne reste pas longtemps seul car la cohorte qui m’accompagne depuis Aumont-Aubrac se reconstitue au fur et à mesure que chacun sort de son gîte, de son hôtel ou de son camping. Ce sont d’abord Patricia et Christian, puis les « vauclusiens ». Ah, les vauclusiens ! Ils sont une douzaine, en couples ; ils ont tous plus de 70 ans et se sont offert cette randonnée ensemble en faisant porter leurs bagages par un transporteur. Quand ils sont là, on les entend, avec leur parler méridional, même en marchant ! Bien sympathiques. Aux vauclusiens et à Patricia et Christian s’ajoutent encore deux couples, l’un qui vient des Vosges et l’autre que je ne connais pas encore. En revanche un aveyronnais avec lequel j’avais sympathisé aux Rajas semble avoir disparu alors qu’il m’avait dit faire lui aussi le Tour des Monts d’Aubrac. Peut-être a-t-il été rappelé chez lui pour une affaire urgente ?

Je force le pas pour dépasser le groupe des vauclusiens qui lambinent un peu et me retrouve sur la crête avec une vue sur les montagnes environnantes assombries par les nuages gris et épais. Au bord de la route, le jaune des genêts à tiges ailées (merci Plantnet) rehausse les couleurs alentour. Avant de rentrer dans le bois de Laguiole, une belle ferme semble avoir un œil fixé sur la vallée avec son oculus et contempler, contempler encore le spectacle du paysage.

La traversée du bois a perdu beaucoup de son intérêt car des coupes forestières ont dégagé les abords du chemin. Heureusement, un chemin botanique a permis de sauvegarder une bonne partie fort agréable à emprunter, la randonnée se faisant sous les pins et dans les mousses et fougères et autres plantes forestières. Tout à coup ce chemin arrive en lisière et une immense campagne se découvre. A perte de vue les herbages descendent en pente douce, puis remontent sur une colline pour redescendre encore après. Quelques troupeaux, de rares burons, des murets en pierres sèches. Voilà ce que la randonnée peut offrir, un moment de grâce pour s’être trouvé par votre seul effort à un endroit peu accessible. Je goûtais encore ce paysage quand Patricia et Christian sont arrivés, tout de suite scotchés comme moi. Je suis encore resté un petit moment et puis reparti sur un sentier longeant un muret. Cela devait durer longtemps car le GR passait dans les pâturages presque jusqu’au bout de l’étape. Et qui dit pâturage dit barrière pour parquer les animaux. Il y en eut beaucoup, qu’il fallait ouvrir et bien refermer, ce qui demande de la force car il faut tirer sur cette barrière faite de bois et de fil de fer bien rigide pour tendre suffisamment le tout et le raccrocher ! C’est aussi ça la randonnée.

Saint-Urcize arrive en vue. On découvre le village par le haut, ce qui donne toujours de belles prises de vue, ici du clocher en peigne avec ses quatre cloches bien en activité. Mais il n’est que 13H30 et ma chambre d’hôte n’ouvre qu’à 16H. Je m’installe alors pour déjeuner sur le côté de la jolie mairie sur le haut d’un petit escalier, à l’ombre. Une boulangerie tout près est ouverte et je me lève pour y aller. Je semble flotter ! Les quelques pas que j’ai à faire sont comme si j’étais en apesanteur et ma démarche est proche de celle d’un crabe ! Eh oui, lorsqu’on abandonne un sac de plus de 10 kilos sur son dos, il faut un petit temps pour que le schéma corporel intègre la nouvelle situation et que le corps pèse son vrai poids ! Et pour la sieste, une ruelle et les pierres plates d’un porche ont fait l’affaire. Ensuite j’ai visité cette petite cité où les curiosités ne manquent pas.

16H, je sonne et on vient m’ouvrir. Tout de suite - comme partout - des consignes sont données : enlever ses chaussures, poser ses bâtons (ah, les bâtons!)… L’hôte me montre ma chambre et après une bonne douche je me repose sur le lit en profitant de la tranquillité du lieu. 17H, les vauclusiens arrivent !… On sait qu’ils sont là ! Ils récupèrent tous leurs valises apportées par le transporteur et gagnent leurs chambres dans les étages. Évidemment, tout ça fait du bruit. On se hèle, on commente, on rigole, on interroge l’hôte sur la bonne chambre à trouver. Encore allongé sur mon lit j’entends cette équipée monter jusqu’à mon étage, le deuxième. Les premiers s’installent dans la chambre derrière la cloison de mon lit, et un de leur compagnon arrive sur le palier, interpellant les autres pour savoir où il doit aller. Un peu perdu, il ouvre ma porte et passe la tête, me voit, se confond en excuses…

Le dîner est prévu à 19H30. C’est d’abord un apéritif qui nous est offert, dehors, et qui ne durera pas très longtemps car la fraîcheur donna vite envie de rentrer s’installer autour de la grande table dressée. L’hôte mangea avec nous, tout en nous passant les plats, dont un pounti, terrine salée et sucrée, spécialité du Cantal où nous nous trouvions. Mais pas d’aligot ! A mes côtés, je retrouvai l’intrus de tout à l’heure, qui me présenta encore ses excuses. Les discussions avec lui au cours du repas furent sympathiques et le petit incident oublié.

Le repas s’éternisait un peu car l’hôte se montrait bavard, quoique très intéressant sur certains points d’histoire locale ou autre. Un peu moins sur sa conception de l’énergie nucléaire qui fut un des thèmes abordés, lié à celui des éoliennes, d’ailleurs peu présentes dans le coin. Les vauclusiens étaient en effet des retraités EDF et contestèrent les affirmations énoncées ! … Mais rien de bien méchant car on était en bonne compagnie et l’hôte passa à d’autres sujets, dont le tournage d’un film à Urcize au printemps et qui doit sortir à la rentrée. Il a accueilli dans son gîte toute l’équipe du tournage et nous conta quelques anecdotes. En matière d’anecdotes et de tournage de film, il en savait aussi un bout sur « Saint-Jacques … la Mecque » tourné au refuge des Rajas par Coline Serreau. Elle a dû, selon lui, y revenir à plusieurs reprises pour convaincre Mme Pignol ; certains acteurs ne restaient pas sur place entre deux prises, etc… Ah, les Rajas ! Notre hôte semblait intarissable sur la question, comme tous les autres hôtes chez lesquels je me suis arrêté, tant ce refuge est connu, décrié ou vanté pour son authenticité.

Après tout ça, une bonne nuit fut bien profitable.

9

Au lever la chambre était inondée de lumière et par la fenêtre on voyait que la journée serait belle. Le petit-déjeuner se prit en groupe et chacun se prépara au départ dans la salle du rez-de-chaussée où étaient remisés chaussures et bâtons. De mon côté j’emmenai un panier pour le midi composé d’une tarte aux légumes cuisinée par notre hôte et d’une salade. Il me la donna dans une barquette car j’avais oublié sa recommandation de venir avec un récipient. Je me précipiterai en acheter dès mon retour, un pliable, car la situation se représentera. Toujours pertinent, mon hôte me conseilla de faire un petit détour de 3 km pour voir une cascade et passer par un gué, et ainsi éviter un peu le bitume prévu. Me voilà donc parti, longeant les maisons de St Urcize éclairées par un soleil matinal généreux, puis l’église et son porche.

Je trouvai le chemin indiqué et progressai rapidement, la forme physique étant manifestement là après 5 jours de randonnée. Cependant ce chemin ne resta pas plat bien longtemps et il fallut s’attaquer à un raidillon. Je peinais un peu et sentais qu’il manquait quelque chose pour mieux avancer. Mes bâtons ! Je les avais oubliés chez l’hôte. Que faire ? Retourner ? J’étais déjà loin. Les laisser et continuer sans ? Hum ! non, ce n’est pas la solution, car leur aide est vraiment nécessaire pour ce type de randonnée avec des dénivelés, j’en avais fait l’expérience ici et ailleurs. Bon, téléphonons à l’hôte et on verra. Pas de problème, il va me les déposer dans l’entrée d’un hôtel-restaurant devant lequel je vais passer. Un grand merci pour ce grand professionnalisme ! Je les ai en effet retrouvés à l’endroit indiqué. Faudra y penser maintenant à chaque départ.

La marche continue sur une petite route goudronnée qui monte en lacets. Je viens de passer le pont de Goumier et croise trois hommes scrutant la rivière Le Bès sans que je comprenne dans quel but. Au-dessus de moi tournoient des milans royaux. Sur ma droite, un monticule de roches volcaniques figées dans leur jaillissement témoigne d’une histoire géologique très ancienne. Arrivé au sommet de la côte la vue est une nouvelle fois superbe. Puis je traverse un petit hameau entre des maisons aux grosses pierres de granit. Au centre, un ferradou restauré se confond avec le muret de pierres de l’église. J’en trouverai un autre un peu plus loin, bien mis en valeur à côté d’un ancien four à pain. Il s’agit de métiers à ferrer les bovins, dénommer en occitan ferrador (prononcé donc ferradou). Sur l’Aubrac, ils sont appelés plus communément congrelhs.

Je poursuis ma route sur une piste damée, blanche, qui trace un sillon vipérin sur le plateau. La progression est rapide et j’aperçois bientôt au loin les « vauclusiens » ayant pris de l’avance sur moi car n’ayant pas fait le détour proposé par notre hôte. Alentour le paysage est plutôt aride, avec beaucoup de genêts dans les champs et de grosses pierres de granit. Cela m’évoque les Cévennes. A l’horizon on distingue les montagnes de Saint-Rémy-de-Chaudes-Aigues qui culminent à 1286 m.

Je rattrape les vauclusiens qui sont en train de s’installer pour le déjeuner. On se salue, on discute une nouvelle fois de l’itinéraire qui nous reste à faire et on se dit à bientôt, à la chambre d’hôtes puisqu’il n’y a que celle-là à La Chaldette. Pour ma part je vais déjeuner un peu plus tard, à La Brugère, à l’arrière d’une vieille masure recouverte de mousse, assis sur un muret. Ce temps de repas et de repos n’est pas à négliger, on y refait ses forces et sa motivation tout autant, qui revient au fur et à mesure qu’on se sent rassasié. Mais il ne faut pas non plus qu’il dure trop longtemps car il sera alors plus dur de repartir. La sieste est donc pour après la randonnée. Quant au repas, j’ai choisi depuis le début de commander des paniers. Leur composition est vraiment différente d’un hôte à l’autre, du banal sandwich à la tarte ou au dessert maison. Manger doit impérativement rester un plaisir.

Après le village de Brion et son clocher à peigne tout simple, c’est par un sentier ombragé et ravissant que je progresse. Mais il faut toujours tenir compte des erreurs de trajectoire dues, par exemple, à un balisage caché par la végétation ou presque effacé. C’est ce qui m’arriva au hameau de La Valentine où je me suis retrouvé au bout d’une prairie sans pouvoir aller plus loin. Demi-tour donc pour trouver le bon itinéraire, qui se cachait à l’angle d’un muret. Mais il faut dire que j’avais suivi des traces bien fraîches d’autres randonneurs à l’entrée de la prairie auxquels il était arrivé la même chose…

Il fallait faire encore 3 km pour arriver sur La Chaldette, tout petit hameau. Mais en fait c’est une station thermale et bientôt je découvre un superbe hôtel et plus loin un beau bâtiment au milieu d’un parc : les thermes avec piscine et spa. Ce n’est pas mon point de chute du jour. Il se trouve presque en face, dans une grande maison à trois étages. Comme il n’est que 14H30, ce n’est pas ouvert mais un écriteau indique que nous devons aller à l’arrière à l’accueil prendre notre clé. Tout est extrêmement bien organisé. Les bâtons et les chaussures sont laissés dans le local de l’accueil et une clé à notre nom nous attend, avec un code. L’installation dans la chambre fut donc facile. Mais je vous le donne en mille : les vauclusiens arrivent eux aussi et les portes se mettent à claquer, les éclats de voix à fuser. Félicitations en tout cas aux propriétaires car leur organisation, pour l’accueil, les repas, le ravitaillement est à la perfection.

10

Le départ pour Fournels se fait sous un temps gris et avec une petite fraîcheur bien perceptible à ces 1002 m d’altitude. Les discussions d’hier soir avec les uns et les autres laissaient présager de la pluie, mais sans réelle assurance. Plus inquiétant fut ce que nous dit la propriétaire du gîte où nous nous trouvions. Selon elle le topo-guide n’est pas fiable et il y aurait au moins 4 km en plus de ce qui est annoncé. Bon. Il y aurait donc près de 25 km ! On verra en bout de course. Mais certains de la cohorte - dont les vauclusiens - annoncent couper à certains endroits. Personnellement, je ne sais pas trop à ce moment si je vais aussi le faire ou non. D’un côté je ne veux pas m’épuiser, car le lendemain l’étape finale sera même un peu plus longue et la pluie est encore prévue. Mais d’un autre côté quelque chose me dit que si je coupe et évite des sections du chemin, je vais le regretter et avoir le sentiment de ne pas être allé jusqu’au bout… Maintenant il faut partir, sac sur le dos. Le GRP est juste au-dessus du village et monte vers Reyrac, hameau aux vieilles maisons. Un premier raccourci s’offre en passant par la route qui forme la base d’un triangle dont les deux autres côtés sont formés par le GR. Je n’hésite pas et suis le GRP vers le rocher du Cheylaret qui culmine à 1128 m. Ici ça s’appelle un « truc », qui signifie ‘montagne arrondie’. La forme physique est là après 6 jours de randonnée, et les douleurs évanouies. Alors, allons-y !

Après être passé au pied du Truc de Cheylaret et avoir profité des vues larges que donnent les hauteurs, je redescends vers le hameau du Cheylaret. Patricia et Christian, qui ont emprunté le raccourci, y arrivent en même temps que moi. Nous discutons un peu et ils repartent pendant que je reste regarder quelques maisons. Ils marchent beaucoup plus vite que moi et sont bientôt hors de vue. Mon cheminement continue donc à mon rythme. Je m’arrête plusieurs fois pour prendre des photos des paysages qui ont une forte puissance d’attraction. Quelques détails me retiennent, comme ce grand tas de bois coupé. J’en ai déjà vus beaucoup ; c’est sans doute le combustible principal dans cette contrée où le bois est partout. Et aussi ce bloc blanc que j’ai remarqué dans les champs. Au début je pensais que c’était quelque chose d’oublié, un déchet de plus, mais à force d’en voir et après avoir surpris une vache en train de le lécher, il ne pouvait s’agir que d’un élément servant à l’élevage. En effet, ces blocs de sel sont mis là car les fourrages ont un déficit en sodium ai-je pu lire sur Internet. Bon, me voilà renseigné. En revanche je ne sais toujours pas si tous les départs de feu que j’ai pu constater le long des chemins sont accidentels ou non, et s’ils sont accidentels, comment font les pompiers pour venir très vite sur place alors que c’est loin de tout ?


Me sentant suffisamment en forme, je continue sur le GR sans chercher à prendre des raccourcis, et une ligne de crête me propose une nouvelle fois des paysages élargis. A la sortie d’un bois, surprise, sur le côté d’un hangar un potager avec des tomates ! Nous sommes quand même à 1130 m d’altitude.

Fournels n’est maintenant qu’à 2,2 km comme l’indique un panneau, en descente. Je franchis un pont enjambant une belle rivière aux eaux bondissantes, puis j’arrive aux abords du château de Fournels, maison-forte du XVIe siècle réaménagée au XVIIIe, mais qui ne se visite pas. Passons et entrons dans Fournels pour trouver mon hôtel. Il se situe de l’autre côté du village, ce qui me permet de passer par le bourg et de photographier la vieille église en peigne flanquée d’une maison ancienne visiblement abandonnée. Ça y est, les 21 km sont faits, il n’y en avait pas plus. Les vauclusiens arrivent eux aussi, puis le couple de vosgiens et enfin Patricia et Christian. La cohorte se reconstitue ici et prépare déjà la dernière étape de demain : 25 km !

11

Il pleuvra aujourd’hui, tout le monde le dit. Au moment de mon départ de l’hôtel le ciel est gris mais pas de pluie. Je traverse le village où se tient un petit marché aux légumes et passe devant sa vénérable église. Quelques personnes sont déjà devant les étals. Il n’est que 8H.

Le GRP demande de l’observation pour être trouvé car deux autres sentiers balisés partent du même point et les balises des uns et des autres se mélangent un peu. Je fais fausse-route, puis reviens sur le bon chemin, assez vite heureusement. Arrivé sur la crête, une petite pluie se met à tomber. Pas assez, j’en juge alors, pour sortir vêtement de pluie et protection du sac. La marche se poursuit et les petites découvertes de monuments ou de maisons remarquables se succèdent. La dernière des maisons aperçues, abandonnée, accentue l’impression d’être seul, ici, en ce matin un peu frais. Il fait 9° ! Une voiture arrive en sens inverse et brise soudain cette solitude. La pluie n’a pas cessé quand j’arrive en vue de Termes après 6,2 km de marche. Arrêt technique pour sortir les protections contre la pluie qui deviennent nécessaires. Un homme encapuchonné qui vient de déposer ses poubelles me fait un signe de salut et me montre le ciel en levant la main. Il doit connaître cette situation, habillé comme il est en randonneur.

Une pancarte indique la direction à suivre, et on peut voir que le GRP du Tour des Monts d’Aubrac suit le même trajet que le sentier Du Guesclin. Tiens, qu’est-ce que vient faire ce breton de Du Guesclin ici ? Wikipédia apporte la réponse : en 1380, le connétable de France Bertrand Du Guesclin livre un combat en Auvergne contre des troupes de mercenaires attaquant les populations, et lors du siège de Châteauneuf-du-Randon en Gévaudan, pris de fièvres, il décède le 13 juillet. Ce chemin lui rend donc hommage. En Bretagne, Du Guesclin n’est pas forcément considéré comme un héros local compte tenu de son rôle dans la Guerre de succession. L’urne ayant contenu son coeur est néanmoins aujourd’hui à l’église Saint-Sauveur de Dinan, alors que ses ossements sont à la basilique royale de Saint-Denis.

La poursuite et en fait la fin de la randonnée se font sur un chemin des plus agréables, entre bois, pâtures et rivières. Les constructions sont toujours aussi typiques et peu nombreuses. La pluie a cessé presque après avoir quitté Termes et j’ai remis mon vêtement de pluie dans mon sac.

Après une montée dans un chemin caillouteux, Aumont-Aubrac apparaît au fond du paysage, à 4-5 km environ. Je suis donc revenu en Lozère, après le Cantal et l’Aveyron, les trois départements sur lesquels se trouve le GRP du Tour des Monts d’Aubrac. J’y arrive vers 16H. J’ai hâte de retrouver mon fourgon pour voir si tout s’est bien passé. Bon, apparemment c’est le cas et je peux, quelque temps après, prendre une douche, me changer et remiser mes affaires de randonnée dans la soute pour repartir vers Caen, mais pas avant demain matin après une bonne nuit de sommeil. Et après Caen, ce sera la Bretagne où je retrouverai mon jardin, mais dans quel état ? Il y a une petite contradiction entre randonner au long cours et jardiner… je le sais. La contradiction durera encore un certain temps.

Je descends en ville pour faire des provisions et tente de retrouver Patricia et Christian pour leur dire au revoir. La rue principale d’Aumont-Aubrac est une nouvelle fois pleine de randonneurs, sac au dos et bâtons prêts. Mais pas de Patricia et Christian, ni même de vauclusiens. Ils étaient tous derrière moi depuis Fournels et ont dû arriver peut-être une demi-heure après mon arrivée, en tout cas pour Patricia et Christian qui marchent vite. Je ne pourrai donc pas les saluer, et nous sommes restés sur une conversation non finie. Mais c’est le lot des randonnées itinérantes que de vous donner des compagnons de route un instant très proches et de les faire disparaître tout aussi vite. Peut-être nous reverrons-nous sur un autre chemin ? Qui sait ? Ils m’ont donné deux idées de randonnées à venir : le GR 30 et la Vallée des Merveilles et je les en remercie. Mais maintenant, il faut rentrer et préparer les randonnées à venir, en premier lieu dans sa tête et sur les cartes et topo-guides. En septembre, ce sera la traversée du Jura, mais à vélo à assistance électrique ! Direction Caen, puis la Bretagne, et un petit arrêt aux jardins du Prieuré d’Orsan, à Maisonnais dans le Cher, que je voulais visiter depuis longtemps.


Quelques chiffres pour finir : 168 km au total, 1 ampoule (vite résorbée), 1 kg de perdu.