Carnet de voyage

Mon "tour en France" à VAE

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24 étapes
4 commentaires
Par PLM
Un "tour en France" plutôt que le tour de France, mais assez long toutefois pour avoir fait 2700 km ! Départ le 1er jour de ma retraite, le 1er septembre 2018, et retour le 23 septembre..
Septembre 2018
3 semaines
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« Le voyage, c’est partir et revenir, et entre les deux vivre à plein. » PLM

10 août 2018.

Je vais sans doute partir le 1er septembre, date officielle de mon entrée en retraite. Je compte aller jusqu’à Vimoutiers, ou dans les environs, ce premier jour. Un peu plus de 100 km. Je verrai « sur pièces » si mon estimation est juste ou non et si je dois revoir à la baisse mes ambitions de distance de mes trajets journaliers. On verra, donc… Et puis ensuite, cap sur la Mayenne où je ferai une escale chez mon amie Marie-Claude à Parné-sur-Roc, au sud de Laval et tout près de la VéloFrancette que je suivrai le lendemain. Á Montreuil-Bellay, direction vers l’ouest et l’Ile d’Olonne pour voir cette fois mes amis Nadia et François. J’arriverai ainsi à La Rochelle par la Vélodyssée et non par la VéloFrancette. Mais comme « la carte n’est pas le territoire », comme aiment à le dire les thérapeutes familiaux, je ne sais pas au juste ce que j’emprunterai comme itinéraire…

26 août 2018 – J-6. Bois-Guillaume

Tout doit rentrer dans les 2 sacoches jaunes (plus la sacoche de guidon quand même !)


29 août 2018 – J-3

La pression monte, et les questions ou incertitudes avec ! Combien de kilomètres vais-je être capable de faire par jour ? Vais-je me donner du temps pour visiter les sites que je vais croiser ? Et par temps de pluie, qu’est-ce que je fais ? Vais-je trouver un toit chaque soir ? Ma zone de confort va être mise à mal, je le sens, ou plutôt je le crains encore un peu, car on lâche pas son cadre familier aussi facilement.

Je vais aller chercher cet après-midi un deuxième chargeur de batterie, prêté, comme la deuxième batterie, par un sympathique vendeur de VAE de Rouen. Je l’en remercie chaleureusement et suis très serein pour l’autonomie de mon VAE.

Bonne nouvelle, le Test à l’effort (sur un vélo !) est positif.

31 août 2018 – J-1 Bois-Guillaume

Les sacoches sont remplies. L’une est plus lourde que l’autre et il faudra sans doute que je rééquilibre. La béquille ne va pas me servir car le vélo a trop de poids. Dommage. Et en plus, impossible de l’enlever !

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1er septembre 2018, le départ, 7h30

Pour une si grande aventure, il fallait se lever tôt ! 6 H fut la bonne heure. A 7H30, je suis prêt à partir. Mais il faut encore ressentir cette impulsion ultime qui vous lance en avant et permet de laisser tout derrière soi. La recette : se dire que maintenant, ce n'est que la route à parcourir qui compte. Et plus quelques autres choses bien logées dans l'inconscient...

Après avoir traversé les belles forêts rouennaises par des chemins que je connais en partie, et aperçu des églises presque cachées dans de minuscules villages, je prends le bac à La Bouille pour traverser la Seine. Village "inspirant", La Bouille a toujours accueilli les peintres, tels Gauguin, Sisley et même l'anglais Turner ! Hector Malot, l'auteur de Sans famille (1878), y a vu le jour.

Me revient alors ce que j'avais vécu ici même il y a quelques années, lorsque j'étais psychologue à l'hôpital de jour de Bois-Guillaume, à deux pas d'ailleurs de mon habitation. La veille j'avais fêté avec mes collègues mon départ pour l'université et reçu en cadeau des affaires de cyclisme puisqu'on connaissait mon goût, déjà, pour le vélo ! Pour le lendemain, premier jour de mes vacances, j'avais annoncé que j'allais enfourcher ma petite reine pour une traversée jusqu'en Mayenne, jusqu'à Lassay-les-Châteaux précisément. Mon itinéraire me faisait passer par La Bouille à laquelle on accède par ce fameux bac lorsqu'on vient de Rouen par la campagne. Au moment de prendre la petite voie d'accès au bac, vient sur ma gauche un groupe d'enfants accompagné d'adultes et je reconnais, plus que surpris, les petits patients de l'hôpital de jour et les éducatrices et infirmières avec lesquelles j'avais fêté mon départ ! Je n'ai pas pu leur dire que j'étais là, médusé par le hasard des circonstances et sentant que si je me manifestais, tout ce qu'on s'est dit hier, les adieux et les remerciements, tout cela serait annulé et il faudrait recommencer, là, sur ce bac ! Je les ai donc laissés s'installer au bout de l'embarcation et moi je me suis placé à l'arrière. Arrivés sur les quais de La Bouille, ils sont descendus les premiers, et le temps que je descende moi-même, ils avaient disparus à l'angle d'une maison. J'ai enfourché mon vélo et gravi la raide côte qui mène sur le plateau dominant la Seine. La page était tournée.



La suite de ma journée est intense en termes cyclopédiques, car je fais 164 km au total ! Un peu trop pour un premier jour… La fougue de la liberté sans doute. Mais j'ai oublié un point dans ma préparation : demander si dans le gîte loué on pouvait manger ! Eh bien, ce n'est pas le cas, et nous sommes en pleine campagne, assez loin de toute ville. Mais mes hôtes ont certainement eu pitié de moi et m'ont servi un très bon plat maison. Je peux aller me coucher.

Demain, objectif Laval en traversant l’Orne et la Mayenne.

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152 km encore aujourd'hui. Il fallait que je gagne Laval où l'on m'attendait. J'ai eu la chance de trouver une boulangerie ouverte pour pouvoir déjeuner. Temps splendide et campagne bocagère. A 18 km, Lassay-les-Châteaux où je ne passerai pas aujourd'hui. J'irai voir comment se porte le Bois-Thibault une autre fois !

A droite, l'un des trois châteaux de Lassay : Bois-Thibault.
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134 km. J'ai d'abord longé la Mayenne jusqu'à Angers. Beaucoup de beaux villages et de superbes demeures anciennes bordent cette rivière. Une impression de calme et de sérénité se dégage du paysage, aussi calme et serein que le cours de la Mayenne. Les pêcheurs sont nombreux, et je demande à l'un d'eux s'il veut bien que je le photographie. Calme et serein lui aussi !

La Mayenne. Pause déjeuner.

Après Angers, le long de la Loire, le circuit vélo passe derrière l'hôpital psychiatrique de St Gemmes-sur-Loire - on dit plutôt Centre de santé mentale angevin. J'y ai donné autrefois une conférence sur la marionnette thérapeutique dans l'abord de la psychose infantile, invité par le Collège des psychologues pour sa première journée scientifique. C'était le 20 janvier 1996, autant dire le siècle dernier tellement c'est loin.

J'ai fait ce trajet sur la fameuse Vélo Francette, qui n'est d'ailleurs pas toujours facile à suivre par manque de signalisation parfois. Je me suis égaré deux fois en faisant plus de kilomètres que prévu, d'où un peu de fatigue quand-même. Et en plus, la chambre du gîte où je me trouve est au 3e étage d'une vieille demeure, en bord de Loire, que je peux apercevoir de mes fenêtres. Et pour ne rien arranger, je vais devoir me battre une partie de la nuit contre un moustique !

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J'ai quitté les rives de la majestueuse Loire pour traverser l'Anjou, ses châteaux et ses vignes. Un peu partout les vendanges ont commencé. Je me suis arrêté à Montreuil-Bellay car je voulais revoir son château ayant appartenu à la famille du Bellay comme Bois-Thibault à Lassay. Puis la ville de Thouars qui mérite un détour pour son site exceptionnel et le porche de son église. La campagne environnante manque parfois de caractère, mais les villages ont tous de beaux monuments. J'ai enfin filé vers Parthenay où je loge ce soir, par la départementale, faisant une infidélité à la Vélo Francette pour ne pas arriver trop tard. 124 km en tout. Encore un peu trop...

Les rives de la Loire/ le château de Montreuil-Bellay/ le repos du cycliste/ le porche de l'église de Thouars; 
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On savait déjà qu'il ne fallait pas faire confiance à Google qui vous piste sans que vous ne vous en aperceviez. Mais en plus, il faut s'en méfier car Google-Maps peut vous faire prendre des risques inconsidérés ! C'est ce qui m'est arrivé aujourd'hui. Partant de Parthenay ce matin dès 8H, je suis conduit par Google sur des petites routes dès la sortie de la ville. Tout est parfait car j'échappe à la circulation. Mais voilà que je dois emprunter un chemin pour VTT. Bon, ça passe et ce n'est pas trop long. Ensuite un peu de petite route et de nouveau Google propose un chemin pour VTT. Je m'y engage et au bout d'un quart d'heure me retrouve au fond d'un chemin creux à éviter les racines et les grosses pierres, mais je chute et atterris dans un roncier, mon vélo et ses grandes sacoches sur moi. Je me dégage avec difficulté et peste contre ce GPS qui ne sait pas distinguer entre un chemin creux et une route pour vélo de ville ! Enfin sorti du circuit VTT, je regagne la départementale avec plaisir… De courte durée toutefois, car les camions y sont aussi nombreux que sur l'A13 ! Je reprends donc les petites routes en m'aidant cette fois de mon logiciel de randonnée Visiorando. Mais à ce compte, on ne va pas très vite, et j'ai annoncé à François et Nadia que je serai à l'Ile d'Olonne pour 18H30.

La traversée des villages du Gâtinais est plutôt agréable et réserve quelques surprises d'architecture médiévale, mais il me faut reprendre encore la départementale pour mieux avancer. Or aucun aménagement n'est prévu pour les vélos aux abords des grandes agglomérations avec leurs voies rapides à 110 ! Il faut les contourner, ce qui prend du temps. J'ai mis plus d'une heure à dépasser La Roche-sur-Yon ! Enfin arrivé à l'Ile d'Olonne, à 18H30 comme prévu, après 150 km et une bonne fatigue. François et Nadia me proposent de rester le lendemain, ce que j'accepte volontiers pour me reposer et préparer la suite. Merci encore à eux !

Village du Gâtinais 
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Journée passée chez mes amis à l'Ile d'Olonne. Visite des marais salants. Achat d'une pompe plus performante. Soirée à jouer au ping-pong.

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Après la sortie des Sables d'Olonne, traversée des marais non loin du marais poitevin. Dans un village, je tombe sur cette affiche où Nolwen Leroy s'expose en muse. La Bretagne me revient plein les yeux. Décidément, elle est partout, ce qui rappelle les bons mots de notre président tenus devant le Pape François lorsqu'il lui présente Jean-Yves Le Drian : " Il y a des Bretons partout... Les Bretons sont un peu comme la mafia en France ". On apprécie ou on n'apprécie pas...

Arrivée à La Rochelle en fin d'après-midi sous un soleil de plus en plus chaud. Énormément de monde sur les quais du vieux port et des travaux partout (comme à Rouen !). Je gagne Aytré où je loge ce soir par la Vélodyssée, qui ici encore longe la mer.

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La nuit dans mon logis d'hier n'a pas été très reposante, entre les bruits du réfrigérateur, le train et, le pire sans doute, le chant du coq du voisin dès au moins 5H ! Ajouté à ça que la propriétaire est une tabagique, et que son chien a laissé son odeur sur les draps du lit où je dormais. Je suis donc parti au plus vite.

Longer la côte, au petit matin, a été un régal, les couleurs étant éclatantes. Arrivé à Rochefort, j'ai décidé de ne pas visiter car j'y étais passé il y a trois ans et avais visité l'arsenal où se construisait l'Hermione et la maison de Pierre Loti. Mais ce que je n'avais pas prévu, c'était le franchissement de la Charente ! Après avoir un peu erré dans les marais, on m'a conseillé de prendre le grand pont qu'on voit de très loin et qui paraît bien impressionnant. Mais ses concepteurs ont pensé que des cyclistes pouvaient l'emprunter et ont tracé une voie cyclable. Malgré tout, quand je me suis retrouvé au milieu de ce pont à une altitude qui me permettait d'embrasser un vaste paysage mais aussi la Charente en contre-bas, eh bien, je n'en menais pas large ! J'ai ensuite traversé la Saintonge par de petites routes et ai déjeuné à Saintes où on peut voir une magnifique cathédrale. Les villages ont tous un attrait par la pierre blanche de leurs maisons et de leurs monuments. A Jonzac où je loge ce soir, il y a une pierre de ce genre qui est exploitée, la Pierre de Jonzac, qui fait apparemment la fortune des sociétés funéraires ! Il y en a partout dans cette ville ; j'en ai compté cinq sur le boulevard près de mon gîte ! Quant à ce gîte, on ne peut rêver mieux (petite maisonnette tout juste restaurée avec goût), ce qui fait une moyenne avec celui d'hier. Demain, dimanche, ce sera Bordeaux, ville que je n'ai jamais visitée. On m'a parlé d'une librairie immense qui vaut qu'on la visite, mais comme on est dimanche... Je verrai sans doute d'autres choses.

La côte/ Pont-l’Abbé en Saintonge/Eglise typique de la Saintonge
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Quelle jolie halte cette fois dans cette maisonnette qu'on peut voir sur la photo prise ce matin juste avant mon départ ! J'ai pu bien me reposer et régler un problème avec mon compte AirBNB qui ne me permettait plus de réserver… L'objectif de la journée était de rallier Bordeaux pour au moins l'après-midi. Objectif atteint puisque je suis arrivé dans les faubourgs et en centre-ville entre 14H et 14H30. Pour accéder à ce centre, il m'a fallu traverser un pont de pierre avec ses arches que Napoléon a demandé qu'on construise, aujourd'hui Monument Historique. L'agglomération a manifestement pensé aux cyclistes car il y a des circuits partout, bien fléchés, dont un "Centre-ville". J'ai lu que Stendhal trouvait Bordeaux la plus belle ville du sud-ouest de la France. Je n'ai quand même pas ressenti son "syndrome" face à Florence, mais Bordeaux est en effet une ville pleine de charme et à la fois imposante par une certaine austérité qui se dégage de ses bâtiments. Pour ma sieste, j'ai trouvé un banc en pierre lisse le long de l'École Nationale de la Magistrature, sous les tilleuls (comme Rimbaud à 17 ans...). Pour venir à Cestas, là où je loge ce soir, j'ai traversé la banlieue sud et ai essuyé un orage carabiné qui m'a fait me protéger là où je le pouvais et mettre pour la première fois ma cape, mais mes chaussures et chaussettes ont été bien mouillées !

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Cestas, où je logeais, est dans le bordelais mais à la limite des Landes. Après avoir quitté mon hôte (qui, lui, est allé faire du surf sur l'Atlantique non loin), j'ai pris des petites routes pour rejoindre le circuit EV3 dit " Des pèlerins" car il suit un chemin de Compostelle. Les vignes qui bordent ces routes produisent des Graves et des vins liquoreux. La EV3 est une voie cyclable qui traverse pendant des kilomètres et des kilomètres des pinèdes tapissées de bruyères et de fougères. Au bout d'un moment, c'est lassant… Dans les villages on s'aperçoit qu'on est en Gascogne et les gens que j'interpelle pour me guider ont un accent rocailleux que devaient avoir Portos et Aramis, ces cadets de Gascogne ! On voit aussi qu'on est en pays d'ovalie, les poteaux de rugby remplaçant ici ceux du foot. Des Bretons s'y sont installés, et ils le font savoir !

Après être sorti de la forêt, enfin, l'horizon s'élargit et je file maintenant vers la Garonne, plus à l'est. Avec ce virage, mon "Tour en France" prend vraiment forme, au pied de la lettre, car une boucle apparaît (1234 kms effectués). Je gagne bientôt les rives du canal de la Garonne que je vais longer jusqu'à Marmande. Un couac avec ma location m'attendait : l'adresse n'était pas la bonne et la pauvre dame que j'ai dérangée pour lui dire que j'avais loué une chambre chez elle ne doit pas encore en être revenue. Tout s'est arrangé ensuite. Ouf !

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Marmande est connue pour ses tomates, j'essaierai de m'en souvenir l'an prochain au moment d'acheter des plans. C'est vrai qu'on en voit partout dans les jardins. Au gîte "Bellevue" où j'ai dormi, il n'y en avait pas, mais en revanche des allemands à moto et des personnes en nombre venant prendre un cours de yoga par l'hôte des lieux. Tous se trouvaient dans une salle obscurcie et la grande maison paraissait vide. Ce qui s'est reproduit le matin, où je me suis retrouvé seul au moment de mon départ et ai laissé la clé près de la Livebox. Nul hôte pour me saluer et me demander si tou s'était bien passé. Une drôle d'ambiance confinant au fantastique…

Quoiqu'il en soit, j'ai regagné les rives du canal de la Garonne. Il y avait une lumière magnifique tamisée par les platanes. L'ambiance, ici, était presque irréelle, et quand Bach y a mis en plus sa note, l'instant était parfait. C'est avec ces moments de pure grâce que l'on se dit qu'on a bien fait de prendre la route pour profiter de ce que la nature peut nous offrir. Un peu avant midi j'ai aperçu le panneau indiquant la prochaine Voie verte que je devais emprunter : la Voie de la Vallée du Lot. Je quittais donc la Garonne pour le Lot, ce qui implique une légère remontée au nord-est, donc une amorce du retour vers mon point de départ… La chaleur s'est accentuée l'après-midi et la sieste fut nécessaire sous un maigre chêne qui m'a tout de même donné assez d'ombre. Toujours en suivant le Lot, je traverse Villeneuve-sur-Lot et ses vieilles rues ; sa cathédrale, tout en briques, est magnifique. Dans la campagne, beaucoup de vieilles maisons abandonnées, certaines avec d'admirables porches ornés. Nous sommes cette fois en pays agenois et les champs de pruniers sont partout ! L'arrivée à Cuzorn se fera vers 17H, après 120 kms. Je tombe chez des amoureux du vélo et de la randonnée itinérante. L'une des dernières qu'il ont faites était en Bretagne, et en passant par Paimpol en plus ! Demain, Cahors.

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Mon hôte d'hier soir, Éric, m'avait dit qu'il partirait le matin pour son travail à 6H45. Je m'étais étonné de cette précision lorsque nous discutions dans sa voiture alors qu'il nous ramenait du Leclerc où nous avions fait nos courses, mais en effet, à 6H45 précises, je fus réveillé par le bruit du moteur de son camion ! Outre la précision, Éric et sa femme sont des hôtes à la hauteur, surtout pour un cycliste puisqu'ils le sont eux aussi. J'aurais bien voulu parler un peu plus avec Myriam qui, selon son mari, est "thérapeute" ("oui, enfin, rebouteux quoi, vous voyez"), mais je n'en ai pas eu le temps. Ses pouvoirs ont semble-t-il une certaine efficacité car elle a beaucoup de demandes et va bientôt quitter son emploi à la Poste. Et comme me disait encore Éric, avec "toutes les écoles qu'elle fait, il faut bien que ça marche !" Le tout est de savoir ce qui marche et comment on le définit. Mais ça, c'est une autre histoire ! En tout cas, Myriam "enseigne" et produit des soins par le "chicong" (dixit Éric avec son accent du sud), les plantes et les passes (magnétiques, je précise). Je voulais lui poser la question si, parfois, connaissant ses pouvoirs, on ne venait pas lui demander des choses un peu curieuses, comme un désenvoûtement par exemple… Bon, voilà que je médis et que mes marottes prennent le dessus. Je suis donc reparti vers le Lot et Cahors (photo 1) ; il était 8H30. La lumière était encore une fois très belle et j'ai de nouveau apprécié quelques moments de grâce, cette fois en écoutant Ludovico Einaudi. Cependant, avant cette petite extase, le cycliste doit déverrouiller la machine corporelle, et pour moi s'ajoute une douleur qui se ravive aussitôt dans un endroit que la décence m'interdit de nommer plus précisément (comme aurait dit Pierre Dac) ! Une selle, même en élastomère, reste une selle ! Mais enfin, après quelques km et la libération des endomorphines, la douleur s'estompe et on n'y pense plus… Comme je savais que la distance était plus courte que les fois précédentes, j'ai un peu plus pris mon temps pour regarder, apprécier encore. Les cultures changent un peu. Plutôt que le maïs, c'est le sorgho ou le tournesol. Mais aussi beaucoup de fruitiers. La tentation est forte de ramasser des prunes ou des pommes… Peu avant midi je me réjouissais d'être déjà à quelques kms de Uzerche où je voulais déjeuner, mais voilà que je me trompe de direction en prenant un autre circuit que "La vallée du Lot" dont les panneaux sont presque semblables. Au bout de plusieurs kms je m'en aperçois. Trop long pour faire demi-tour, alors j'avise, en regardant ma carte, qu'une petite route serait un raccourci idéal pour regagner les bords du Lot. Il est midi 15. Je me lance, trouve difficilement une première direction, puis la route se met à monter, à monter, en virages, sans doute avec un dénivelé pas loin des 8 %. L'effort dure pendant au moins 20 bonnes minutes. Arrivé en haut, essoufflé, suant à grosses gouttes, je crois que c'est fini, mais non, un peu plus loin il faut recommencer ! Ensuite la descente vers Abas, à 50 km/h à certains moments - mais je suis seul sur cette route. Uzerche, enfin. Il est 12H38 exactement et les deux boulangeries viennent de fermer à 12H30 et le marché remballe. Je vois les terrasses d'un restaurant près du Lot, m'assieds à la seule table libre, j'appelle et on me dit que ce n'est pas du tout sûr qu'on puisse me servir. La faim me tenaillait et je commençais à maudire ces gens qui finissent leurs affaires aussi tôt! Mais il faut croire que le chef m'a pris en pitié car on a bien voulu me servir. Le repas était fort bon : une assiette garnie d'une part de tarte aux légumes, de pâtes, d'une tranche de melon, de salade, de tomates, et d'une part de fromage que j'ai laissée, ce qui a interrogé la serveuse, plus un dessert fait maison. Je suis arrivé à Cahors à 15H30 et loge dans une belle maison surplombant la ville, mais avec deux adolescents qui affirment leur présence… Le pont Valentré n'est pas loin et voit tous les jours passer les pèlerins vers Compostelle. Demain, direction Figeac.

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Le pont Valentré à Cahors est vraiment une merveille et je l'ai de nouveau photographié dans la lumière du matin. Comme je cherchais la Vélo route V86, j'ai rencontré un groupe de cyclistes qui m'a demandé de le prendre en photo, puis m'a accompagné jusqu'à trouver la bonne direction. Mis sur la voie, j'ai filé sur Figeac. Mais la fameuse V86 est tout bonnement la départementale. Heureusement, elle est peu fréquentée par les voitures et camions. Une ligne de chemin de fer désaffectée lui est parallèle et devrait servir à réaliser une V86 sécurisée. Les beaux villages (dont St Cirq-Lapopie que j'ai visité en mai), les châteaux, les maisons troglodytes parsèment le parcours qui reste tout au bord du Lot en contrebas, une falaise de calcaire se trouvant sur ma droite. Une odeur apparaît, celle des feuilles de tabac qui sèchent sous des bâches ou dans des hangars au bord de la route. Cette odeur remplace celle des raisins mûrs que je rencontrais jusqu'à présent dans les régions viticoles.

Peu avant midi, j'arrive en vue de Cajar. Tiens, Cajar, ne serait-ce pas le Cajar du sketch de Coluche ? Un tour de la ville pour trouver un restaurant, faute de Super U, m'amène près du restaurant "Chez Moulino". Plus de doute, c'est bien ce Cajar-là, et d'ailleurs un portrait de Coluche est en vitrine. Je m'installe et commande parmi le menu du jour un saumon sur lit de ratatouille. Vient donc le plat et je me retrouve avec un poisson blanc, un peu pâteux, qui n'a pas du tout le goût habituel du saumon. Mais le tout est savoureux et je n'en laisse pas une miette. Le serveur vient débarrasser et me demande si tout s'est bien passé. Je lui réponds que j'ai bien apprécié mais qu'il ne me semble pas avoir mangé du saumon. Aussitôt il fait venir le chef. Celui-ci apparaît, visiblement furieux, et m'assène que le saumon qu'il sert est blanc parce que c'est un saumon sauvage et qu'il ne servirait pas un autre poisson alors que le saumon est annoncé sur la carte ! Bon, bon. Je n'insiste pas, mais reste convaincu que je n'ai pas mangé de saumon, à moins que ce ne soit une sorte de saumon que je ne connaisse pas… J'ai quitté Cajar et son marmiton pour mettre le cap sur Figeac. En chemin, encore de très beaux villages. Arrivé assez tôt chez mon nouvel hôte, après une douche, je visite Figeac, cité de Champollion qui y a son musée. Figeac est une ville avec une multitude de ruelles étroites bordées d'hôtels particuliers et ouverte par endroits par de charmantes places. A voir. Demain, Aurillac.

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J'ai quitté la maison de mon hôtesse à mon heure habituelle, c'est-à-dire 8H30. C'est étonnant comme je peux être ponctuel alors que rien ne me contraint vraiment, sauf peut-être d'arriver avant la nuit dans les réservations. Mais les premiers moments de la journée sont parmi ceux que je préfère pour découvrir les paysages.

Cécile, mon hôtesse à la voix complètement éraillée par un tabagisme très actif, est sur le pas de la porte et me salue. Son chien est à ses pieds. Elle me l'a présenté hier soir et j'ai compris qu'il s'appelait Gorki. J'ai hasardé un : "Maxime ? ...", mais pas de réponse de Cécile, à moins qu'elle ne m'ait dit "Corgi" pour me donner la race de son chien et que c'est moi qui ait mal compris ? Va pour le Welsh Corgi alors ; en plus il serait très intelligent, jusqu'à énerver ses propriétaires qui y verraient de l'insolence ! Celui-là était bien passif, étalé la plupart du temps sur le canapé !

Les premiers kilomètres pour sortir de Figeac sont durs ! Des côtes et encore des côtes dans les collines environnantes du Cantal (qui culminent à 370 m). Je suis en fait le chemin de Compostelle, celui du Puy, qui passe non loin à Conques. De nombreuses croix en pierre et des chapelles indiquent bien qu'on est sur une voie sacrée. Je cherche à rallier la Vélo route 74, mais il me faut faire 25 km avant de la trouver. Elle doit m'amener à Aurillac. Elle suit une jolie rivière du nom de "La Rance", avec des chaos de gros blocs qui la font ressembler aux rivières du centre Bretagne. La route est agréable et vraiment pas beaucoup fréquentée, mais aussi complètement isolée et il va être bientôt midi, et je comprends que je ne pourrai pas m'arrêter manger quelque part avant au moins 1h et j'ai très faim... Comme je dois changer ma batterie, je mange ce que j'ai dans mes sacoches : un reste de cake aux fruits. Je le déguste en buvant le café préparé par Cécile et mon porte-bagage me sert de table de service. Remis en selle et boosté par une batterie en pleine charge, je sors de la forêt et arrive dans un paysage qui a complètement changé par rapport au Lot ; il devient plus bocager, avec des Salers qui broutent et des moutons en nuées. L'architecture aussi change. Les maisons typiques sont en pierres, ainsi que leurs toits, d'une couleur grise car nous sommes déjà dans la région des volcans. Je m'en aperçois à quelques kilomètres d'Aurillac car on distingue au loin une chaîne de moyennes montagnes qui n'est autre que la chaîne des puys. La maison où je loge en écrivant ces lignes est sur un promontoire qui permet d'apercevoir le Puy Mary. Le mari du couple qui me reçoit était en train de se préparer pour partir sur son vélo (de course) lorsque je suis arrivé. Il connaît évidemment bien la région et me propose qu'on voit ensemble mon itinéraire de demain à son retour. Entre-temps, je descends vers le centre d'Aurillac. Je ne pense pas en garder un souvenir inoubliable. Les ruelles sont ici aussi étroites mais n'ont pas le charme et même le luxe architectural de celles de Figeac. J'apprends que Aurillac est la capitale du parapluie, que l'on fête en ce moment. Au retour de sa balade à vélo, mon hôte évalue que je peux aller jusqu'à Massiac, en passant par le Puy Mary (qui devrait offrir une vue splendide demain sous le soleil annoncé - après 12 km de montée quand même !) et en suivant un premier itinéraire dans une vallée. Bon, j'espère qu'il ne se trompe pas. J'ai donc réservé dans un petit village près de Massiac pour demain. Ma remontée continue !

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Rude et belle journée ! Rude, parce qu'il a fallu gravir le Puy Mary. Belle, parce que les paysages, dans la partie Cantal surtout, étaient magnifiques sous un beau soleil ! Tôt ce matin, Jean-Paul, mon hôte, m'a accompagné sur le VAE Néomouv de sa femme jusqu'à la sortie d'Aurillac pour me mettre sur le bon chemin en empruntant la vallée de la Jordanne par laquelle passe la Vélo route V74 qui relie la vallée du Lot aux monts d'Auvergne. Jean-Paul avait estimé que je devais arriver au col du Puy Mary vers 10H30. J'y suis arrivé à 10H38 exactement. Col à plus de 1500 m ! La vallée de la Jordanne a d'abord offert des points de vue superbes dans la lumière du matin. Puis ça a commencé à monter, au bout d'une vingtaine de kilomètres. Un cycliste type "Tour de France" me voit et s'écrie : "Vous allez attaquer le col comme ça !?" en montrant mon vélo lourdement chargé (je pense que, avec moi dessus, le tout fait 130 kg). Je suis tout d'un coup inquiet et me demande ce qui va se passer. J'ai pourtant économisé au mieux ma première batterie jusque-là, mais cette remarque me fait douter de la possibilité d'arriver au sommet. Voilà d'ailleurs la première vraie difficulté : une portion de 4 km annoncée à 6%. Puis une autre de 3 km à 8%... et comme ça jusqu'au sommet, en alternance. Après un virage, j'aperçois mon cycliste dubitatif qui peine lui aussi, mais manifestement je vais un peu plus vite que lui. J'arrive à sa hauteur et il comprend alors que j'ai un VAE et nous parlons un moment. Je le dépasse, mais, pour autant, c'est dur, très dur même. Je vais au maximum à 11/h. Jean-Paul m'avait dit qu'une fois sorti de la forêt, ce serait un peu plus facile. Oui, en effet, mais ça reste quand même une sacrée épreuve ! Tout à coup ma batterie, qui paraît encore chargée, me lâche. Panique, car si je dois mettre l'autre, je crains de ne pas arriver au bout de mon périple d'aujourd'hui. Je descends de vélo, éteins la batterie, la rallume, et ça repart. A-t-elle chauffée ? ou le moteur ? Mon vendeur, à Rouen, pourrait répondre à ça sans doute ? (il y a un régulateur de chauffe dans le moteur et c'est lui qui l'a stoppé - information obtenue le 24/09). J'arrive enfin au sommet et la récompense est là car la vue est superbe sur les monts du Cantal. Jean-Paul m'avait encore conseillé de m'acheter de quoi manger avant de redescendre car après le col il n'y a plus grand-chose. Un sandwich au jambon d'Auvergne fera l'affaire et… une part de tarte à la myrtille, que je mets dans une sacoche.

Puis la descente… vertigineuse parfois, où j'atteins les 50km/h par endroits et qui va durer sur plus de 30 km ! Je ralentis heureusement facilement grâce à mes freins à disques. Arrivé dans la plaine, à Allanche, je me trouve au sein du massif du Cézallier. Mais j'avais dû changer de batterie entre-temps et donc j'ai déposé mes sacoches pour ce faire… Vous devinez ce qui est arrivé ? En ouvrant celle où était ma tarte, celle-ci s'était renversée et un jus de myrtille faisait une belle tache sur mon bermuda… Mais le repas fut très bon et la tarte évidemment délicieuse. La suite a consisté à rester sur la Vélo route.

A un moment, je vois une jeune femme avec un grand sac poubelle à la main en train de ramasser un déchet sur le bord de la route. Je m'arrête pour lui demander par quelle initiative elle fait cela et elle m'explique que c'est la journée mondiale du ramassage des déchets. Ah les déchets au bord des routes ! Depuis le début de mon périple, j'en vois partout, même sur les toutes petites routes. La palme revient à la canette et à la bouteille d’eau ! Parmi mes projets futurs, je souhaite être plus actif dans ce type d'initiative, comme je l'ai déjà fait à Rouen avec "Zéro déchets".

Le gîte de ce soir est bien sympathique et surtout on peut y souper et avoir un petit-déjeuner. Demain, remontée vers Vichy par la V87, puis j'obliquerai vers l'est et gagnerai sans doute Dijon en traversant les vignes de Bourgogne.

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Au gîte de hier soir, un repas était servi et nous avons eu droit (les 6 convives) à un plat local (qu'on ne trouve que dans le Cantal, et encore seulement entre Aurillac et Mauriac !) qui s'appelle la liogue en occitan. C'est une saucisse de porc trempée dans un vin et une liqueur et ensuite cuite à l'eau, et servie avec des pommes de terre et des carottes. Très bon et roboratif, ce dont j'avais besoin après ma journée. Parmi les autres locataires, une femme originaire de St Brieuc et un couple du Tréport. On a donc pu parler de nos régions d'origine ou de vie. L'autre jour, sur la route en direction de La Rochelle, je rejoins quatre cyclotouristes, et l'un d'entre eux était né à Bois-Guillaume et connaissait bien la rue où j'habite ! J'adore ces coïncidences, ces intersections avec d'autres vies dès qu'on se met à parler. L'itinéraire d'aujourd'hui m'a fait suivre la V 70 ; elle est bien signalée et je ne me suis pas perdu, et m'a encore fait franchir un col mais seulement de 654 m. Elle longe l'Allier et aboutit à Vichy, ville où je ne suis jamais allé. J'ai pu m'y promener un peu. C'est une ville avec des rues entières de façades Art nouveau et avec de nombreux kiosques et fontaines où l'on peut boire (eau de Célesta en particulier). L'Opéra est le seul opéra Art nouveau de France. Elle est remarquable par son parc ombragé surplombé par le Casino. Dans la rue d'à-côté se trouve l'hôtel où résidait Pétain.

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Vichy, son air chic, mes hôtes avec leur chat auquel ils tiennent comme à la prunelle de leurs yeux, tout ça est derrière moi, déjà ! Fini aussi les monts d'Auvergne, place maintenant à des collines et à la route de crête qui suit l'Allier. Pourquoi cette Vélo route 70 ne suit-elle pas cette rivière ? Mystère. Elle n’est néanmoins pas trop mal fléchée et je ne me suis trompé d'itinéraire qu'une fois. Vu deux sites clunisiens ; tous ces sites sont réunis par un chemin (encore un !), celui dit de Cluny, long de 800 km. Peut-être à faire un jour ?

Le paysage fait de collines est celui du bourbonnais, l'ancien duché de Bourbon. Moulins en était la capitale, et j'ai été agréablement surpris par l'état de conservation des vestiges historiques de cette ville (château des Bourbon, vieilles rues, maisons à pans de bois…). Un vrai décor de cinéma. Dans la campagne, avant d'y arriver, de très pittoresques villages et des châteaux forts notamment, dont la forteresse de Billy. Et aussi le vignoble du Saint-Pourçain, dans la Limagne bourbonnaise. Je penserai à goûter ce vin à mon retour, si c'est du blanc sec (oui, il y a des blancs secs, issus du chardonnay et du tressalier, variété locale - ajouté le 24/09). A part des monuments, je vois surtout des écureuils roux ! (j'ai rien pris, je vous assure…) Le quatrième ce matin depuis mon départ. Moi qui pensais que cette espèce était en voie de disparition, remplacée par un écureuil gris venu de je ne sais plus d'où… Deux blaireaux aussi, mais morts sur le bas-côté de la route. Les blaireaux payent un lourd tribut au monde motorisé !

Après Moulins et la remontée vers le nord, cap à l'est pour l'après-midi. Je vise en effet la Bourgogne. Pour arriver à mon point de chute du soir j'ai suivi la Véloroute 75, qui fait passer par de très petites routes. Pendant près d'une heure et 20 km, je n'ai vu ni une voiture, ni une maison, ni une seule personne. Que des vaches, blanches de surcroît et qui vous regardent d'un œil vide… Dompierre-sur-Besbre enfin. Je loge dans un hôtel-restaurant et le repas du soir se prépare ; la pièce où j'écris ces lignes embaume les cuissons et autres rôtis. Mais pour moi, ce sera Super U. Demain, objectif Beaune.

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Si j'ai fait autant de kilomètres, sans en ressentir une trop grande fatigue, c'est que le parcours s'est essentiellement fait le long de canaux. Pourtant je n'ai pas passé une nuit reposante car il faisait chaud dans cette chambre et il y a eu du bruit assez tard (le restaurant en dessous). J'ai longé le Canal latéral à la Loire en premier, jusqu'à Paray-le-Monial. En démarrant je voyais au loin des orages. Ils sont justement tombés sur Paray-le-Monial et tout était trempé quand j'y suis arrivé. Heureusement pas sur moi. La Véloroute quittait parfois les bords du canal ; je l'ai suivie une fois, dans la campagne, puis j'ai repris la petite route près du canal, avec quelques voitures seulement. Comme j'étais arrêté pour chercher ma route, un homme sort de sa voiture et me demande si j'ai besoin d’aide ; il est cycliste et sait ce que c'est que de chercher sa route. C'est lui qui me conseille de rester sur le bord du canal plutôt que d'emprunter la Véloroute lorsqu'elle le quitte. Depuis 15 ans me dit-il, la Vélo route doit être terminée et ne passer qu'au bord du canal, mais l'agglo. n'y arrive pas. A Paray-le-Monial j'ai repris la direction nord, nord-est vers Beaune, en suivant le Canal du Centre. J'ai alors traversé Montceau-les-Mines et le Creusot, qui sont des villes qui ont eu leur gloire industrielle dans le passé. A 20 km avant Beaune, les premiers vignobles apparaissaient déjà sur les coteaux de part et d'autre du canal. Pour arriver dans Beaune, je me suis offert la Route des Grands Crus : Meursault, Pommard…, mais pas de bouteille. Ce sera pour plus tard. La traversée de Beaune fut chaotique, au pied de la lettre, car toutes les vieilles rues du centre, ou presque, sont pavées. Avec un vélo chargé, ce n’est pas le plus facile. Qu'est-ce que ça devait être en carrosse alors ?!

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Jusqu'à présent j'ai eu un temps magnifique, chaud parfois pour rouler, et j'espère que ça ne va pas se gâter. Demain je "remonte" encore, jusqu'à St Dizier. J'ai en effet écarté le passage par Nancy et ensuite Charleville-Mézières ; ça aurait fait "trop", et de plus je connais ces villes, alors que St Dizier je ne connais pas. Je vais donc passer demain matin à Langres qui est à 10 km de là où je suis ce soir, mais je ne visiterai pas non plus car j'y suis venu l'an dernier pour faire une randonnée dans le coin.

Ce matin, dès la sortie de Beaune, j'ai repris la Véloroute des Grands Crus. Fabuleux sous le soleil levant : une succession de domaines, de clos, puis de climats, toutes appellations sophistiquées pour désigner ces vignes qui vous entourent comme une mer calme. Des grands noms, certains que je connaissais, d'autres non : Savigny, Corton, Nuits St Georges, Romanée, Gevrey-Chambertin… Les vendanges sont faites et dans tous les villages on sent le raisin qui vient d'être pressé en passant devant les caves ouvertes où du monde s'active. Sur le bord des petites routes qui sillonnent dans les vignes, ce sont des tas de moût de raisin qui dégagent une odeur lourde et enivrante. Cette route des Grands Crus va jusqu'aux portes de Dijon, qu'il fallut traverser. Je salue d'ailleurs la municipalité pour son plan vélo car la ville est bien dotée en circuits. Dijon a quelques beautés architecturales indéniables. Mais il me fallait rejoindre la Véloroute V53 qui se trouve au nord-est, donc traverser toute l'agglomération, ce qui fut fait sans trop de mal. La V53 longe, encore une fois, un canal, celui qui relie la Marne à la Saône et la Bourgogne à la Champagne. Pour la rejoindre, j'ai quand même dû faire près de 30 km dans la campagne, ce qui constituait néanmoins un raccourci avantageux. Un très beau village, Bèze, qui pourrait être "Plus beau village de France" assurément. A Fontaine-Française, je demande à un groupe de collégiens (ils étaient devant leur collège et venaient de finir leur activité UNSS) par où aller pour rejoindre le canal. Plusieurs m'indiquent des routes différentes, mais l'un d'entre eux qui était sur son VTT me propose de m'y emmener ; je le suis et nous discutons pendant un bon moment. Un brave petit… eh, oui, ça existe. Le canal et son chemin de halage vont me mener jusqu'ici, un peu avant Langres donc.

Des rencontres comme celle-là, il y en a eu d'autres, souvent à l'occasion d'une demande d'orientation. Les gens sont désireux de vous aider, quand ils le peuvent ; mais il m'est bien souvent arrivé de tomber sur quelqu'un qui n'était pas du coin et qui s'excusait même de ne pas l'être et de ne rien pouvoir pour moi. On vous regarde beaucoup aussi, soit d'un regard envieux qui signifie bien : "ah, moi aussi j'aimerais faire ça !", soit surpris ou carrément ahuri, ce qui signifie alors : "ah, mais il faut être dingue pour faire un truc pareil, à vélo en plus !". Les rencontres, ce sont aussi celles des autres "dingues", les cyclotouristes que je croise. On se salue, car on sait qu'on a le même projet et qu'on est un peu du même monde. Il se passe d'ailleurs la même chose entre camping-caristes et plus spécifiquement entre "fourgonneux". Deux figures me reviennent : cet irlandais sur son vélo couché qui avait descendu la Vélodyssée depuis Roscoff et que j'ai rencontré dans les Landes juste après Bordeaux ; il dormait sous la tente dans les bois. Et ce Suisse allemand qui s'en retournait à Bâle par l'Euro Vélo 6 (la Véloroute des fleuves que je ferai certainement) ; nous avons un peu échangé, avec mon pauvre anglais, mais je crois que le sien n'était pas bien meilleur… Oui, rouler fait amasser une mousse toute spéciale qui forme une bonne couche d'humanité.

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J'ai quitté Chalindrey assez tôt ; je crois qu'il était 8H à peine passées. La maison de ma logeuse se trouvait en dehors du village, à 2 km, mais AirBNB la situait dans le village, à une adresse presque semblable : 2, rue de Grange au lieu de 2, route de Grange. J'ai donc attendu une demi-heure devant une porte qui n'était pas la bonne… et qui ne s'est même pas ouverte. Ma logeuse est au chômage, après 28 ans dans la même entreprise, et elle a 56 ans. Elle sait que pour elle, l'emploi c'est fini… Elle représente bien cette France d'en bas qui s'en sort comme elle peut, et AirBNB est une aide, certainement. D'ailleurs elle m'a remercié pour avoir choisi sa maison plutôt qu'une autre, comme si c'était précieux. Dans le registre France d'en bas j'en ai eu un autre exemple lorsque, l'autre jour, je cherchais pour manger le midi un Intermarché dont on voyait l'affiche. J'interroge un couple en train de refaire une descente de garage, et lui me répond : "Ah, mon pauvre monsieur, y a plus rien ici, Intermarché, ils l'ont fermé ; on est une déchèterie maintenant." Le déchet, figure moderne du déclassement social et symbole du laisser pour compte…

A partir de Chalindrey, j'ai fait 10 km pour rejoindre Langres, serrant tant que je pouvais à droite sur cette départementale où ceux qui ne veulent pas arriver en retard au travail roulent parfois un peu vite. Puis je retrouve le canal suivi la veille et le trajet s'enclenche, à une vitesse d'ailleurs respectable puisqu'en moyenne à 24 km/H. Ce canal est parallèle à la Marne, qui prend sa source à Langres. J'aperçois quelques petits villages, de temps à autre, car à droite du canal c'est une falaise en partie recouverte de forêt, et à gauche des alignées d'arbres qui cachent la vue. Il a fallu arriver près de St Dizier pour avoir un élargissement. Les péniches sont un divertissement, et les mariniers ne sont pas avares de saluts ! Peu avant l'arrivée, un incident s'est produit qui aurait pu me jeter dans le canal… Sur le chemin de halage je vois venir vers moi une fourgonnette blanche du service des Voies fluviales françaises ; j'en avais croisée d'autres le matin même et elles s'étaient toujours arrêtées pour me laisser passer. Mais pas celle-ci ! Elle a continué, sans ralentir et m'a frôlé, manquant de me faire perdre l'équilibre et tomber dans le canal qui était juste sur ma droite. Je crie, mais ça ne change rien, et la conductrice, qui ne se retourne même pas, continue sa route, le portable à l'oreille ! Un peu de frayeur, je l'avoue, car mon vélo, très lourd, est difficile à bloquer. Plus de peur que de mal, quand même, mais maintenant je vais me méfier de ces petites fourgonnettes.

Je suis arrivé à St Dizier vers 17H30. Mes hôtes m'indiquent qu'il y a un supermarché pas loin et qu'on peut y aller à pied. Ils n'y sont certainement jamais allés à pied, et ce genre d'affirmation est bien celle d'adeptes inconditionnels de la voiture, car le supermarché en question est à une demi-heure de chez eux ! Je m'en aperçois au bout d'au moins 1 km de marche, et il est trop tard pour faire demi-tour et reprendre mon vélo. J'ai donc dû aller jusqu'au bout… J'écrivais hier que je ne connaissais pas St Dizier, mais je connaissais le Lac du Der qui est tout près ; c'est en fait un bassin de rétention des eaux pour réguler le flux de la Seine et de son affluent, la Marne. L'évocation de la Marne me rappelle le beau livre de Jean-Paul Kaufmann, En remontant la Marne, récit de son périple, à pied, de Nogent-sur-Marne à Langres.

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Mauvaise journée, qui aurait pu être la dernière (du voyage) : pluie, vent, fatigue, chute. Cela avait mal commencé à St Dizier. Après avoir salué mes hôtes et reparlé avec eux de l'emplacement du supermarché (en fait il y en avait bien un pas loin mais tellement caché qu'il fallait vraiment le connaître), j'ai un peu erré à la recherche du canal et suis repassé deux fois devant chez eux ! J'espère qu'ils ne m'ont pas vu. En tout cas, j'ai bien visité St Dizier, qui est une ville agréable, et dont les habitants s'appellent les bragards, nom donné par François 1er. Je me demandais aussi pourquoi on voyait des représentations de ce roi un peu partout. La pluie s'est mise à tomber peu après mon départ et mon passage près de la base des Rafales que j'avais entendus hier soir pour leurs vols d'entrainement de nuit.

Vitry-le-François est sur ma route. C'est une ville en partie reconstruite mais qui garde de beaux monuments ; elle est très lumineuse car la pierre utilisée est claire, comme dans les reconstructions de la région de Caen. C'est après que ça s’est gâté. Comme il pleuvait, j'avais retiré mes lunettes et je n'ai pas vu une ornière dans laquelle je m'engage et perds le contrôle de mon vélo. Je me sens tomber et frappe le sol de mon épaule et de ma tête. Heureusement j'avais mon casque, mais lorsque l'épaule a touché terre, j'ai entendu un crac et je me suis immédiatement dit que j'avais cassé quelque chose, surtout que je ressentais une vive douleur à l'épaule et à la nuque. J'arrive à me relever et essaie de bouger mon bras : pas de problème, pas de douleur autre que celle du choc. Je suis un peu étourdi et dois attendre quelques minutes avant de remonter en selle. Mon vélo n'a rien, c'est la sacoche qui a tout pris. Je me dis que j'ai eu de la chance car je suis éloigné de tout et que j'aurais pu tomber dans le canal. Bon, je repars. Mais le vent est de la partie et me souffle de face. Mon allure s'en ressent et aussi la consommation d'énergie de mes batteries. Je décide d'abandonner le canal car le chemin de halage est décidément trop chaotique. Je vais alors traverser une zone qui m'amènera dans les vignobles champenois ; je passe en particulier dans celui de Moët-et-Chandon et dans celui de Bouzy, renommé pour avoir été le "vin rouge des sacres" ! Mais je suis une nouvelle fois sur une départementale, vent en face, sous un peu de pluie, et lorsque les camions me croisent, je suis aspergé et je fais du surplace par l'appel d'air. De longues lignes droites mènent jusque Reims dont la cathédrale apparaît au loin. Mais ma dernière batterie est au tiers. Va-t-elle me permettre d'arriver à mon étape ? Reims n'a rien prévu pour les vélos lorsqu'on arrive de ce côté et je m'engage dans la banlieue en suivant au mieux ma direction et pour trouver, de l'autre côté de Reims, une route qui me conduit là où je veux. J'apprendrai plus tard que j'aurais pu rejoindre mon fameux canal, qui traverse Reims et qui ne remonte pas loin de ma location… Mais à ce moment je suis fatigué et c'est avec peine que je sors de la banlieue de Reims et que je monte par des petites routes dans une belle campagne et des vignobles. Mais 3 km avant l'arrivée, plus de batterie ! Je dois faire le reste sans, c'est à dire à 15km/H. Mais ce n'est pas fini, car arrivé sur place, il n'y a aucun commerce, aucun restaurant ; j'ai dû reprendre mon vélo, après la douche et un peu de repos, pour trouver une pizzéria à 5 km de là. La panse pleine, je voyais les choses autrement et pensais déjà à demain.

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Cette journée a effacé celle d'hier, même si ce matin en me réveillant j'avais un sacré mal de cou. Heureusement, il n'a pas duré. Je vous donne aussi des nouvelles de mon fondement : la plaie s'est cicatrisée après un traitement à l'Éosine.

Après avoir suivi une très belle Voie verte, je suis passé par le Chemin des Dames et Craonne (résonne la fameuse chanson). C'est une région marquée par la Grande Guerre et qui la célèbre d'une façon originale en en faisant un gâteau ("La Rosalie", nom donné à la baïonnette du Poilu). L'arrivée sur Compiègne fait passer près de la Clairière de l'Armistice de 1918, encore la guerre. Demain, la maison, Corinne, Ki Gwen et Mystic (la chatte). J'ai hâte maintenant.

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Avant de raconter mon arrivée, un petit retour sur une rencontre un peu cocasse d'hier.

Alors que je traversais la campagne entre Reims et Compiègne, dans un petit village perdu au milieu de presque nulle part, je vois un grand drapeau breton flottant au bout d'un mât planté au bord de la route. Je m'arrête, et sort de la maison une femme qui me voit regarder ce drapeau. Je l'interpelle en lui disant : "Alors, c'est la Bretagne ici ?!" Elle me répond d'une voix une peu gouailleuse : "Ouais, à fond la Bretagne !" Mais pendant que nous échangions, un chien s'était mis à aboyer en ma direction. Elle lui dit sèchement : " Glenmor, tais-toi !" Et Glenmor se tut. Je suis reparti en saluant ces deux fiers bretons (en fait elle était originaire de Morlaix). J'ajoute à cet épisode breihz que partout où je suis allé j'ai vu des voitures avec la fameuse petite bretonne avec sa coiffe cornouaillaise.

A partir de Compiègne j'ai rejoint la Véloroute "London-Paris". La première partie de mon trajet allait jusqu'à Beauvais, où j'ai déjeuné. Plusieurs tronçons étaient en plein vent, qui soufflait très fort ce matin, à décorner un bœuf comme on dit, mais j'ajoute, à décasquer un cycliste ! Parfois j'étais déporté sur le côté par ce vent tumultueux, malgré le poids de mon vélo. La pluie a été très forte également, par moments. Et puis un peu avant Beauvais, un panneau annonçant "Rouen". Le courage revient. A Beauvais je perds la trace de la Véloroute, comme souvent dans les villes. Je me renseigne auprès d'un jeune père de famille qui se promène avec sa petite fille, et il me répond : "Ah, si c'est le trajet que prennent tous les Hollandais, c'est par là." D'accord pour être un Hollandais, si ça me permet de retrouver mon itinéraire ; mais c'est sans compter avec les ruses des pancartes, qui apparaissent, disparaissent, sont mal placées, enlevées... Et me voilà encore sans Véloroute. Grâce à mon GPS de Visiorando, je me dirige vers l'ouest et retrouve enfin cette sacrée Véloroute. Après Beauvais la "London-Paris" reprend le trajet d'une ancienne voie de chemin de fer. On retrouve les anciennes gares, les panneaux ou les barrières. Rouler sur cette voie est facile car c'est bien plat. Sauf qu'il s'est remis à pleuvoir et à venter, très fort de nouveau. Des arbres sont tombés qui m'ont donné un peu de fil à retordre pour passer. J'arrive enfin à Gournay-en-Bray. Je suis donc en Seine-Maritime. Il n'y a pas de voie verte jusqu'à Bois-Guillaume et j'improvise un parcours à travers le pays de Bray pour éviter la N31. Si vous ne connaissez pas le pays de Bray, je vous recommande d'aller vous y promener. Petits villages perchés, jolies églises et maisons à colombages, collines... Tolkien a sûrement aimé s'il y est venu (?) car ça ressemble vraiment à la Comté. Mais il pleuvait encore et il ventait. Au bout d'une heure je rejoins l'un de mes circuits vélo préférés lorsque je fais des balades dans le coin. Enfin j'arrive à Bois-Guillaume à l'heure dite, 18H. Ma logeuse et son chien m'attendent. Je les trouve sympathiques et je crois que je vais rester cette fois, surtout qu'on m'offre un très bon repas.

Voilà, c'est donc fait, ce "tour en France". 2714 km quand même, et 5 kg en moins !