Petit-déjeuner à 6H45. Mon hôtesse est allée chercher croissants et pain frais. Je lui fais part évidemment de ma découverte du miroir tombé, mais quand même pas de ma rêverie. Je m’installe à la longue table dressée où je suis seul, et je retrouve là le goût raffiné de la propriétaire dans le choix des couverts, des récipients ou de la vaisselle. Une petite assiette avec une imagerie rouge sur fond blanc est devant moi pour y poser ma tasse. Je manque m’étouffer avec le morceau de croissant juste avalé quand je comprends ce que représente la scène sur le fond de l’assiette. Ni plus ni moins un viol ! On voit en effet une jeune bergère tenter de fuir, les bras en avant, le corps comme exposé en arrière, le visage tourné sur le côté avec une expression d’horreur, à l’approche d’un personnage présenté en diable, en Méphistophélès ! Au moment de franchir la porte que mon hôtesse tenait ouverte devant moi, j’ai regardé la créature britannique avec une pointe d’interrogation. Perfide Albion !
À la sortie de Tuchan je m’engage sur le Sentier qui traverse les vignes. Les vignerons sont déjà au travail et sulfatent des produits qui se répandent alentour jusqu’au GR. L’odeur est très forte et je mets un mouchoir sur mon nez pendant un bon quart d’heure. Se protègent-ils, ces vignerons ? je n’en ai pas l’impression.
Sorti des vignes, je traverse un maquis qui a dû brûler, au vu des arbustes grillés, mais déjà la végétation repousse vigoureusement. Sur le bord du Sentier, une vieille voiture des années 30 semble attendre qu’on la démarre. Je verrai bientôt sa sœur, en meilleur état, à Padern. Avant d’y arriver, il faut franchir un endroit escarpé au-dessus d’une gorge longée par une route. Un panneau de la FFRP n’est pas très rassurant avertissant de la possible chute de pierres et me fait presser le pas alors que la prudence s’impose ! À l’entrée de Padern, je retrouve le randonneur en habits noirs qui se baigne les pieds dans la rivière le Verdouble. Serait-ce lui mon CRR (Compagnon de Route Récurrent) ? On parle. Il me dit que hier c’était difficile. Oui, je l’avais vu. Mais pour moi aussi l’épreuve a été dure.
Padern se trouve au piémont d’un château, qui ne se visite pas. Je passe donc et commence une longue, très longue montée vers le château de Quéribus. 400 m de dénivelé sur 5 km. J’adopte encore aujourd’hui une marche lente, d’autant que je sens qu’il me manque un peu de sommeil pour cause de chute de miroir ! Une marche de montagnard, pas après pas, sans jamais forcer, même si ça paraît plus facile. Dans les montées caillouteuses, je cherche tout ce qui peut faire « escalier » et faciliter la progression.
Enfin Quéribus. C’est le mieux conservé des châteaux cathares et il paraît toujours aussi inexpugnable, dressé comme un dé sur son rocher, culminant à 728 m. Par deux fois, au XIIIe siècle, il a été assiégé par des troupes sur ordre du roi de France pour réduire le dernier bastion de la résistance cathare qu’il était devenu, en vain. Mais un troisième siège, plus subtilement mené par le valeureux Olivier de Termes au service du roi Louis IX (Saint-Louis), obtint la reddition des Cathares.
Je prends mon repas à côté d’autres randonneurs, un club de Perpignan ; ils sont une vingtaine. L’ambiance est bon enfant, mais je dois subir un discours interminable sur les différentes farines tenu par un certain Philippe, le trésorier du club, expert aussi en céréales ! Une randonneuse me demande si je « fais » le Sentier cathare et si je vais visiter tous les châteaux, ce qui lui paraît être un exploit.
« Faire le sentier », expression maintes fois entendue et que j’utilise moi-même. Oui, on fait son Sentier, à chaque pas, par notre rythme, notre découverte, nos pensées en randonnant, par ce qu’on regarde, par ce qui nous intéresse. À chaque randonneur, son Sentier, sa randonnée. Parmi les choses qui m’intéressent, il y a en particulier la végétation. Ici, dans les Corbières, dominent le jaune du genêt d’Espagne, le bleu des Nigelles de Damas, les cystes et les orchidées, et d’autres plantes que je n’ai pas encore identifiées.
Mais il faut repartir et descendre dans la plaine où on aperçoit Cucugnan, le village du curé qu’Alphonse Daudet a rendu célèbre dans sa nouvelle publiée en 1866 puis dans les Lettres de mon moulin. Les habitants d’aujourd’hui ont-ils retrouvé la foi que ce curé avait rêvé de leur redonner en son temps par la confession ? En tout cas, pour arriver à l’église, il me faut monter une côte très raide qui aboutit, non pas au confessionnal, mais à la terrasse ombragée d’un bar. C’est aussi un peu le paradis ! Je ne suis d’ailleurs pas le seul à en profiter, mon randonneur en habits noirs est attablé et déjeune en compagnie d’une randonneuse aperçue hier. Nous allons, avec elle, nous revoir souvent.
Encore 5km pour arriver à Duilhac-sous-Peyrepertuse. Le village est au pied de la falaise immense au sommet de laquelle s’étale le château de Peyrepertuse. Chambre d’hôte plus banale qu’hier mais accueil très sympathique de l’hôtesse et de son chien (sans compter les trois chats!). Entre autres choses, on parle de Bugarach, où je vais passer dans deux jours. En 2000, le monde devant finir dans une catastrophe apocalyptique selon le calendrier maya, des extraterrestres étaient censés enlever dans leur soucoupe volante des « élus » dans ce village du bout du monde, me raconte mon hôtesse … Il en reste un, de ces « illuminés », me dit-elle. On en rigole un peu, évidemment. Et pourtant, une catastrophe mondiale, beaucoup la prédisent, et il n’y aura pas de soucoupe volante pour partir dans la galaxie (sauf pour Elon Musk dans sa fusée) !
Pas de repas du soir dans ce gîte mais, heureusement, une épicerie est ouverte qui me permet de trouver de quoi manger ce soir et pour mon pique-nique de demain midi. Ici, on ne paye qu’en liquide.
Petit-déjeuner prévu à 6H45. Merci à l’hôtesse pour sa disponibilité.