Carnet de voyage

Le Chemin de Stevenson

Par
13 étapes
19 commentaires
Par PLM
Randonnée à pied sur ce chemin aujourd'hui mythique.
Août 2020
2 semaines
Ce carnet de voyage est privé, ne le partagez pas sans l'autorisation de l'auteur.

Dimanche 23 août 2020.

La première fois que j'ai pris connaissance du chemin fait par Stevenson dans les Cévennes, c'était en 1981 à l'université Paris 8 lorsque je suivais un cours du psychanalyste Alain Guy. Il avait pris le livre de Stevenson comme exemple pour illustrer de quelle façon une subjectivité se sent exister. Pour Stevenson, c’était d’être sous les étoiles ! Et aussi dans l’itinérance du voyage, sans but précis, seulement pour voyager. Il l’écrit avec précision et ce passage est souvent cité : « Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager ». Je suis là où je vais, et rien d’autre en quelque sorte. Alain Guy l’avait interprété comme ça...

J’avais à l’époque acheté l’ouvrage dans la collection 10.18. Je l’ai ressorti pour l’occasion et y ai retrouvé une carte du voyage de Stevenson avec son ânesse Modestine dans les Cévennes. Le titre du livre est d’ailleurs « Voyages », au pluriel, sans que j’aie encore compris pourquoi ? Il fera aussi un périple en canoë sur la Meuse, moins connu, et d’autres à pied ou en train.

De voyage, moi, je n’en ferai qu’un. Il a commencé hier en prenant la route avec mon fourgon aménagé. Je suis ce soir au Puy-en-Velay et attends avec impatience demain matin😀. La visite de la ville était à faire, les monuments sont exceptionnels et le rocher avec l’église St Michel à son sommet offre un beau spectacle sur la ville et ses alentours.

2

Le départ du Puy s’est fait de bonne heure, après avoir garé le fourgon sur une place de parking où il ne devrait pas gêner. Je suis quand même un peu inquiet de le laisser là près de deux semaines. Mais après quelques jours de randonnée, y pensant toujours, j'ai appelé l'Hôtel de Police du Puy pour leur signaler l'emplacement et demander une éventuelle surveillance, ce qui a été très bien compris par mon interlocuteur, sans doute bien habitué à ce genre de situation vu que le Puy est le point de départ de nombreux GR, dont le Chemin de Compostelle...

Le chemin est tout près et commence par une montée caillouteuse. La lumière du matin permet de capter un beau tableau du Puy une fois arrivé en haut de la côte.

La suite ne fut pas trop difficile, même s’il s’agissait d’une mise en jambes pour cette première étape de « seulement » 18 km. Quelques beaux points de vue et beaucoup de croix. Le chemin suivi n’était pas encore celui de Stevenson, car il l’a commencé au Monastier-sur-Gazeille, là où j’écris ces lignes en cette fin d’après-midi de cette première journée, car j’ai effectué le trajet en 6 h et suis donc arrivé assez tôt au gîte. On y trouve sa statue érigée sur le bord de la rue principale. Pourtant, il n’a pas été très tendre avec les monastériens : « Dans une petite localité, nommée Le Monastier, sise en une agréable vallée de la montagne, à quinze milles du Puy, j’ai passé environ un mois de journées délicieuses. Le Monastier est fameux pour sa fabrication de dentelles, par l’ivrognerie, par la liberté des propos et les dissensions politiques sans égales. (...) tous se haïssent, détestent, dénigrent et calomnient ... ». Il a logé un mois au Monastier, pour se préparer. Un écriteau sur la façade de la pharmacie actuelle signale qu’il habitait dans l’immeuble, avec une vue sur la vallée.

Monastier est en pleine rénovation et valorisation de ses monuments, dont la très ancienne abbatiale. Le monument aux morts ne manque pas d’intérêt, vu la liste impressionnante de tués pendant la Grande Guerre qu’il contient. Une famille a perdu six hommes, une autre cinq. Il n’y a pas que la Bretagne qui a servi de chair à canons!

3

Le Monastier étant sur le flanc de la montagne, il a d’abord fallu descendre jusqu’à la rivière et la traverser sur un pont rénové, sans doute pas celui qu’emprunta Stevenson en 1878 ! Puis une longue montée à travers les pins sur un chemin caillouteux qui m’a rappelé ceux des Vosges l’an dernier. Ça et là, du crottin d’âne, frais, encore luisant et parfois odorant... L’animal ne devait pas être loin. Au détour du chemin, il apparut avec son maître occasionnel à son côté. Une brève vision me fit voir Stevenson avec sa Modestine, essayant de la faire avancer mais n’osant la frapper trop durement. Cette « comédie », comme il la qualifia un peu plus tard en comprenant que son ânesse lui résistait, va durer jusqu’à la fin de son étape, Le Buchet-Saint-Nicolas. Il y arrive d’ailleurs contre son gré, voulant camper près d’un lac qu’il ne trouva pas, s’étant quelque peu perdu, puis conduit par un étrange couple d’une mère et son fils, traversant, la nuit presque tombée, « un désert d’herbage et de pierrailles », vers un village où il trouva une auberge. L’aubergiste lui confectionna un aiguillon dont il se servira désormais pour faire avancer son baudet ! L'auberge où je me trouve ce soir est celle de Couvige et ma chambre a pour nom Modestine !

Les chemins d’aujourd’hui sont bien tracés et on suit facilement le GR 70. Deux difficultés cependant, en descendant vers Gaudet d’abord, et en remontant de l’autre côté ensuite. La descente s’est faite dans un pierrier dangereux. J’apprendrai quelque temps après que c’est un récent orage cévenol qui a bousculé toutes ces pierres. J’y suis allé avec prudence, ne souhaitant pas faire de nouveau une chute comme celle faite au cirque de Gavarni mi-juillet ! Passé le charmant village de Goudet traversé par la Loire en ses débuts, la remontée fut, hum..., sportive, avec une pente assez abrupte et caillouteuse, longue, qui nécessita de nombreux arrêts pour reprendre la respiration. Me revenait en mémoire un proverbe chinois, je crois, qui disait à peu près ceci : " Celui qui peut respirer dans un combat sera le vainqueur". Pas de combat ni de victoire ici, mais quand même une bonne épreuve... Stevenson remarquait que Goudet était «encerclé par des montagnes » et que seules « des sentes rocailleuses, praticables au mieux par des ânes, rattachent la localité au reste de la France ». Je confirme, modestement et à mon petit niveau de randonneur d’aujourd’hui.

L’arrivée à Ussel, un peu après midi, signa la fin « du plus dur » comme me le dira un de ses habitants. Le reste fut en effet sans réelle difficulté jusqu’au Buchet-Saint-Nicolas, mais avec un moment de frayeur inattendue par le passage à très basse altitude de deux Mirages de l'Armée de l'Air qui m'ont forcé à boucher mes oreilles et à instinctivement me replier pour me protéger ! Peu après cet épisode, et remis de mes émotions, j’ai pu apercevoir un lac à un moment, peut-être celui que cherchait vainement Stevenson ? Les paysages restent grandioses, avec une vue sur les volcans, le Mont Mézenc, les champs cultivés à la terre noire ou les prés. Sur les accotements du chemin, on voit beaucoup de frênes, un peu de châtaigniers, de plus en plus de sorbiers aux oiseaux, mais surtout des pins qui exhalent une senteur si caractéristique. Souvent, dans les villages, des jardins potagers enclos entre des murets de pierres volcaniques. Je remarque qu’on cultive ici ce qu’on cultive « chez nous » : poireaux, bettes, haricots, tomates, pommes de terre, carottes... Seule spécialité, la lentille du Puy, mais je serais incapable de la reconnaître cultivée dans un champ. Cette lentille, on vous la sert à chaque repas ou presque, même en dessert ! Délice pour l’estomac, mais enfer parfois pour l’intestin ! Y aurait-il un lien, là, avec ce qu’on conseilla à Stevenson pour faire avancer Modestine : lui proférer « Prout » ! , le « mot maçonnique des âniers, écrit-il " ? Pour sortir de Goudet, il « proutait comme un lion » ou « doucereusement comme un pigeon », mais « prout semblait avoir perdu sa vertu ». Il ne dit pas s’il avait mangé des lentilles la veille... Quel lien, aussi, avec la comptine "Prout, Prout cadet, à dada sur mon bodet" ?? J'en reste là de mes supputations...

Le lendemain de son arrivée au Buchet-Saint-Nicolas, Stevenson se leva à cinq heures ; il faisait « un froid mortel, un matin gris, venteux, hivernal » ce 23 septembre 1878. Il était impatient de reprendre la route pour rentrer dans « cette autre région — le Gévaudan sauvage, montagneux, inculte, de fraîche date déboisé par crainte des loups. » Je vous raconterai demain si j’ai vu la Bête..., mais je ne pense pas me lever aux aurores pour cette troisième journée de randonnée !

4

Après un nouveau tour dans le Buchet et une photo de l’imposante statue en bois de Stevenson à la sortie du village, j’ai repris le chemin. Il était à peine 8 h et le soleil était encore faible à travers les nuages. Devant moi s’égaillait un petit groupe que je reconnus comme celui « des bretons » rencontrés la veille. Je marchai un peu plus vite qu’eux et je les rattrapai bientôt. J’appris qu’ils venaient de Vannes, Bannalec... mais l’un d’eux voulut quand même préciser qu’il était périgourdin et non breton... Le Périgord, c’est quand même joli, non !? Très bien. Sur ce, je les quittai car ils étaient en fait arrêtés pour des besoins pressants que connaissent les prostatiques... Je me retrouvai donc seul en tête et pus mettre ma musique et rêvasser. Pour Stevenson, la solitude devait faire partie du voyage, pour favoriser le recueillement. Lors d’une randonnée, à l’automne 1875, entre Barbizon et Châtillon-sur-Loire, avec son ami Sir Walter Simpson avec lequel il avait déjà descendu la Meuse en canot, ils voyageaient à distance l’un de l’autre de quelques kilomètres et ne se retrouvaient que le soir. J’avoue que ça me convient bien, même si j'apprécie aussi maintenant de randonner en club. Or, à un embranchement entre le chemin de Régordane et celui de Stevenson, un marcheur se tenait debout et visiblement attendait que j’arrive à sa hauteur. On se salue et il me dit se trouver satisfait de rencontrer un randonneur par là car ils sont rares, suite à quoi il m’emboîte le pas comme si nous devions randonner désormais de conserve. Mais arrivés à Landos, après le passage de son vieux pont que franchit sans doute Stevenson, il pressa soudain le pas et tailla sa route sans se retourner. Peut-être le fait que je lui avais dit que je ne me sentais aucunement pélerin et que cet esprit m’insupportait dans le Chemin de Compostelle, que lui, au contraire, rêvait de faire bientôt, a-t-il un peu froissé l’individu ? Mais du coup je retrouvai ma solitude, et ce n’était pas plus mal. Cependant, comme il y a quand même du monde sur ce chemin, on ne peut rester seul très longtemps, et on rencontre souvent les mêmes, qui parfois d’ailleurs gîtent dans le même hôtel que vous le soir... Et c’est intéressant d’échanger entre nous sur ce que nous réalisons.

J’ai cité hier les essences d’arbres au bord du chemin. Pour les arbustes, qui restent pour l’instant les mêmes malgré la montée en altitude, on trouve surtout de l’aubépine, du sureau, de l’églantier, parfois du noisetier dans les endroits les plus humides. Pas de ronces ou presque, mais des framboisiers sauvages, qui n’ont d’ailleurs pas de fruits. Une petite plante aux fleurs d’un bleu profond jalonne le chemin, l’echium vulgaire, souvent mêlée à de l’artémise ou armoise. Cette echium n’a rien à voir, en taille, avec l’echium de Madère de nos jardins bretons, mais je la voudrais bien dans le mien.

Partout sur ce chemin de randonnée la pouzzolane est présente comme revêtement, avec aussi beaucoup de pierres volcaniques. Les lieux d'extraction sont nombreux et les jardins ne manquent pas de ce "paillis" local.

« Pradelles est situé au flanc d’un coteau dominant l’Allier, entouré d’opulentes prairies » écrit Stevenson. Le village surgit en effet, agrippé au flan de la montagne, au détour du chemin. Tout en bas, au loin, on aperçoit le lac de Naussac. Je le verrai de plus près demain lorsque j’atteindrai Langogne. Mais j’aurais dû gîter dans cette ville ce soir, comme ce fut le cas de Stevenson. J’en aurais eu le temps et j'aurais raccourci d'autant l'étape suivante. Car c’est l’étape de vendredi qui m’inquiète ; elle fera 30 km au moins et il est prévu de la pluie. Pradelles a quelques charmes néanmoins, et j’ai pu faire un peu de sieste dans le parc public face à une vue splendide.

5

Pradelles avait encore de beaux charmes à offrir que j’ai découverts ce matin en sortant de la cité par le Chemin de Stevenson. Des ruelles médiévales, des porches, des tourelles et autres portes sculptées. Cité catholique autrefois, un écriteau rappelle qu'elle s'est vaillamment défendue contre les protestants. Cette histoire est très forte ici semble-t-il.

Sorti de la ville, c’est un chemin en descente qui m’attendait, véritable autoroute pour randonneur, large, plane, sans grosse caillasse, et ce jusqu’à Langogne, soit sur 5 km. Le matin, de bonne heure, c’est un régal de marcher sur les chemins, avec en plus un paysage superbe comme ici. Je croise à un moment un randonneur qui, lui, monte vers Pradelles, d’un pas très lent, sans effort aucun apparemment. Il devait avoir 80 ans ; il semblait « ailleurs », absorbé dans sa marche, sans presque me voir.

Langogne est la porte du « comté de Gévaudan », c’est ce qu’indique Stevenson en passant sur le pont à l’entrée de la ville qui enjambe l’Allier. En l’empruntant moi aussi, je constate que des aménagements bienvenus protègent le randonneur du flux de véhicules. Félicitations aux édiles et sans doute à la Fédérarion française de randonnée pédestre qui ont eu cette initiative. L’intention se retrouve d’ailleurs dans le parcours aménagé qui traverse Langogne et qui permet d’éviter toute la circulation de la N 88. Le cœur de ville médiéval vaut le détour, pour le porche de l’église et les restes de l’enceinte fortifiée.

Après l’agitation de la ville on se retrouve rapidement dans une campagne très calme, sur une petite route d’abord, puis un chemin longeant champs et forêts. « Belle journée pour marcher ! » me lance un randonneur local. Oui, assurément, et je ne laisserais ma place à personne car le moment est un pur plaisir au soleil de 10H, avec les senteurs du foin coupé. Ce ne fut pas le cas pour Stevenson. Un panneau à Sagnerousse nous rappelle ses mésaventures. Son étape avait déjà commencé par de la pluie et de la grêle, à quoi se mêla le brouillard ; le paysage lui paraissait morne, coteaux et vallées se suivant interminablement, en plus des marécages. A Sagnerousse, il pense avoir trouvé la bonne direction pour le Cheylard, sa destination du jour, mais il se perd et tourne en rond. Il dut passer la nuit dans un bois, sans aide des quelques habitants sollicités pour lui indiquer la bonne route, un peu effrayés par cet Écossais vagabond. Le panneau qui rappelle cet épisode mentionne que le terrain, marécageux, perturbe le magnétisme terrestre et humain, et que la désorientation de Stevenson vient sans doute de là... Désorientation qui fut aussi psychique, puisqu’il a une sorte de vision d’enfants faisant une ronde dans le brouillard : « à la nuit tombante, sur les marais, c’était un spectacle étrange et fantastique » écrit-il. A moins que ce n’était que des vaches ?... Mais une telle vision onirique n’a rien de surprenant chez le futur auteur de « Dr Jekyll et Mister Hyde » (1886) et l'intellectuel intéressé par les sciences psychiques ! Cela me rappelle que j'avais eu un échange avec Michel Le Bris, spécialiste de Stevenson (celui-ci vient de mourir, ce 30 janvier 2021, à 76 ans ), au sujet de la correspondance entre ce dernier et F.W. Myers au sujet des psychics studies. Il m'avait envoyé un fichier contenant cette correspondance et je ne sais pas aujourd'hui où j'ai pu le ranger ! Mais je viens de trouver une de ces lettres, datée du 14 juillet 1892 et envoyée des îles Samoa où Stevenson vivait depuis 1890, publiée par Myers lui-même dans le n° de décembre 1893 des Proceedings of the SPR. Stevenson y raconte plusieurs situations où il se sent dédoublé et en conflit avec ce double ou surpris par cette autre partie de lui-même. Passionnant, isn't it ?

Loin des tracas de Stevenson, j’ai traversé le même endroit avec une grande facilité. Il s’agit de la Margeride, vaste espace herbagé parsemé de genets et de gros blocs de granit, dont certains sont surmontés d’une croix, gage que l’endroit est sous bonne protection. Des marais sont encore nombreux et donnent un aspect de désolation qui rappelle le Marais des Morts traversé par Frodo et Sam guidés par Gollum vers le Mordor !

Mais j’oubliais de signaler qu’avant la Margeride le chemin fait passer par le village de St Flour de Mercoire qui ne manque pas de curiosités : un artiste brut d’abord, « fou » des gares et des trains, ensuite un monument aux morts de 14-18 avec les photos des tués - ce que je n’avais jamais vu - et, enfin, un petit théâtre et music-hall où est passé Steve Waring il y a quinze jours. Curiosités parmi les curiosités dans ce décidément curieux petit village, une mobylette retrouvée qu’on assure avoir été celle sur laquelle Stevenson a fait son voyage, et une marionnette derrière une fenêtre qui n’attend que son animateur !

Mais tout ne fut pas aussi radieux. Une autre pancarte au bord du chemin montre que ce n’est pas la Bête qui est revenue en Gévaudan mais la Bêt(is)e : « Randonneurs, gardez vos masques et vos virus, sinon il y aura des représailles (mot souligné) ». Quelques jours après mon retour j'ai envoyé un message à l'association "Le Chemin de Stevenson" pour lui signaler la chose. Il m'a été répondu qu'effectivement c'était un peu "violent" et qu'ils allaient voir ce qu'ils pouvaient faire. A suivre donc.

Un mot sur les chiens, tous placides et non agressifs, habitués à voir passer les randonneurs. Pourvu que ça dure.

Un mot également sur les locaux croisés. J'ai remarqué qu'ils vous saluent très peu spontanément et, souvent, semblent ne même pas vous voir. Je crois comprendre cette attitude par le fait que le flux des randonneurs est presque ininterrompu, et qu'il serait impossible d'une part de saluer tout le monde et d'autre part qu'il n'y a plus aujourd'hui pour eux de surprise dans cet événement. Je me dis aussi que, peut-être, ils peuvent se penser comme des éléments du paysage ou du décors que ces "touristes" photographient ou observent ? Mais dès qu'on adresse la parole à l'un d'entre eux, l'échange est tout de suite chaleureux et ce qui pouvait paraître une réticence ou un retrait disparaît.

J’ai un peu botanisé (merci PlantNet !) et identifié les principales fleurs qui ornent les talus le long du chemin : orpins, épilobes, violettes, molènes.

Ce soir je loge dans un gîte au milieu des bois. L’arrivée a été un rien déconcertante. Un peu avant en effet, j’entendais un bruit de moteur que je pensais être celui d’une tronçonneuse, mais franchi la clôture de la propriété, qui est un vaste bois de sapins, je vois débouler un bolide d’un chemin dans un vrombissement énorme et provoquant un nuage de poussière. Un autre a suivi. Un peu plus loin tout un staff s’agitait autour de deux voitures de rallye aux roues démontées. Un pilote, en rouge et blanc, était assis à côté et discutait avec trois personnes. On ne s’attend pas à ce genre d’accueil dans un gîte pour randonneurs. Les essais ont quand même duré encore 1H30, et les vroum-vroumeurs pollueurs se sont arrêtés. J'ai vu plus tard, au Bleymar, une affiche annonçant le rallye du mont Lozère les 28, 29 et 30. C'était donc pour ça !

J’ai fait 25 km ce jour-là, et la première partie, de 22 km, d’une seule traite, en 5 heures. La forme est là, qui vient avec les marches successives. Il faut quand même faire attention aux ampoules qui se profilent. Demain je dois faire 30 km. C’est la plus longue étape car il y a peu de gîtes sur cette section. Il devrait pleuvoir...

6

Je n’ai fait que 24 km alors que je pensais devoir en faire 30. Mais c’était aussi bien comme ça car la pluie est bien arrivée en fin de matinée. Lorsque je suis reparti de mon gîte, croyant que j’avais une longue route, j’ai tout de suite accéléré l’allure. Le trajet était en forêt et ne laissait pas voir grand'chose. Je suis donc arrivé à Luc avant 11H, avec la pluie. « Luc lui-même se compose d’une double rangée éparse d’habitations... (et)... n’offre aux regards ni beauté ni le moindre trait notable, sinon l’antique château qui le surplombe... » nous dit Stevenson, toujours aussi sévère. Il fut quand même satisfait par l’auberge cette fois ! Mais il est vrai qu’on traverse Luc assez rapidement car rien ne vous y arrête, sinon une pancarte qui m’a fait sourire (voir la photo). J’ai ensuite pris le chemin de liaison pour rallier Laveyrune, ce qui a enlevé au moins 4 km à mon parcours et explique sans doute la différence que j’ai observée. A un embranchement, j’avais la possibilité de continuer tout droit mais sur une petite route et arriver ainsi assez vite à ma destination du jour, ou de passer par la montagne... J’hésitais car le ciel était devenu noir justement au-dessus de cette montagne ardéchoise et le tonnerre grondait. Était-ce bien prudent ? C’est alors qu’arriva ce jeune couple sympathique nantais que j’avais rencontré il y a deux jours. J’appris à la fin de la journée qu’elle s’appelle Manon et lui, Louis. On a discuté de la situation et décidé de passer quand même par la montagne, d’autant que les nuages poussaient un peu plus loin. Et puis Louis déclara que les pilonnes présents sur les crêtes feraient office de paratonnerre. Bon, en route. Le chemin s’est mis à monter très vite et bientôt nous avions à gravir une côte qui n’en finissait pas afin d’arriver au sommet de la Felgère ou d’Espèrevelouze à 1227 m. J’étais en tête, j’approchais du sommet, ahanant et transpirant à grosses gouttes, quand je vis surgir d’au-dessus des feuillages, deux beaux parapluies multicolores. Bientôt leurs porteurs apparurent ; je crus d’abord que c’était des moines, l’abbaye de Notre-Dame-des-Neiges étant à 2 km à peine. Qui d’autre pouvait ainsi se servir de parapluies dans ces crêtes, c’est ce qui m’a traversé l’esprit ? Eh bien ... des Anglais. Un couple d’Anglais précisément, très british et portant l’ombrelle avec aisance malgré les cailloux et la pente glissante. Il passa devant moi en me saluant, remarquant sans doute mon air ahuri, et descendit tout aussi tranquillement, portant toujours haut leurs parapluies.

Le sommet atteint, la vue, entre les pieds d’un pilonne, valait l’effort. Le jeune couple sympathique partit de son côté et moi je me suis dirigé vers l’abbaye citée plus haut pour y déjeuner. Je n’eus pas, comme Stevenson, « une angoisse sincère (...) en approchant ce monastère », mais la satisfaction de pouvoir m’arrêter sous un des tilleuls où se trouvait une table de pique-nique. La pluie tombait toujours et tout était un peu trempé, mais quand on a faim, on s’accommode de beaucoup de situations. Sauf, peut-être, des scouts ! Ah les scouts et « scouteuses » ! Il y en avait des nuées, et qui chantaient, chantaient, sous la pluie pareil ! Les "scouts", en bandes, chantaient des cantiques à tue-tête et les « scouteuses » revenaient d’un lavoir en tenant des poêles propres dans leurs mains, et chantaient tout aussi fort. Pas moyen d’être tranquille ! J’ai quand même apprécié quand elles ont entonné « C’est un fameux trois mâts fin comme un oiseau, hissez haut ! »

Pour arriver à La Bastide, ma destination, il restait 3 km à faire. J’emboîtais le pas à trois autres randonneurs qui avaient mangé sur la table à côté de la mienne. Tous trois avaient des ponchos de même couleur qui leur donnaient l’allure d’escargots ou de chameaux clopinant sur le chemin ! Un cycliste à VTT nous a rattrapés ; il fait le Stevenson lui aussi et passe donc par les mêmes chemins. Hier, il nous a dit avoir souffert sur les pentes encailloutées. Je voulais bien le croire !

A la Bastide, l’hôtelière était absente et un écriteau indiquait qu’il fallait aller à l’épicerie chercher la clé de sa chambre. Sauf que l’épicerie n’ouvrait, officiellement du moins, qu’à 15H et il était un peu plus de 14H. J’ai patienté sous le porche de l’église pour me protéger de la pluie. 15H sonnent au clocher. Je me suis présenté devant l’épicerie, d’autres randonneurs sont arrivés. 15H10. Rien. 15H30. Rien. 15H40 l’épicier est enfin là. Il me donne ma clé, avec un porte-clés portant le numéro 1 mais qui ouvre la chambre ... 2, celle dans laquelle j’écris ces lignes. À demain pour la suite.

7

Un mot d’abord sur mon hôtel d’hier soir. Miteux, c’est le premier qualificatif qui me vient, ensuite vieillot, non rafraîchi et sentant la moisissure. Oui, pas terrible du tout. Mais largement compensé par un bon repas roboratif et un sympathique accueil. Je crois en fait que ces gens — l’épicier compris — ont un certain courage de continuer à offrir leurs services dans un si petit patelin qui reçoit des randonneurs presque exclusivement l’été. Heureusement, il y a encore une gare, mais pour combien de temps ?

Départ à 8H tapantes. Pas de pluie mais une petite fraîcheur qui me fait garder la veste. Le chemin passe par la gare justement. Devant elle, un grand bâtiment, assez beau architecturalement, qui est fermé et à vendre... Tout de suite, ça monte, et ça va durer exactement 1H 05 ! Montée pas trop pentue toutefois, sur un chemin bien aplani et large, mais montée qui vous met à l’épreuve, surtout juste après le petit-déjeuner que je manque à un moment de vomir ! En fait je suis en train de gravir le mont de La Mourade et son sommet est à 1311 m, au-dessus du brouillard. Il y fait un peu froid. Je trouve là l’explication d’un si beau chemin, bien carrossable : un parc éolien récemment installé qui a nécessité de faciliter la montée des matériaux. Je longe assez longtemps les éoliennes, et leur feulement continu, sur cette crête, fait presser le pas pour s’en éloigner.

La descente vers Chasseradès est facile sur le même type de chemin. Chasseradès est un vieux village aux maisons en toits de lauzes. J’en fais le tour, le traverse, photographie un dispositif sans doute réservé aux animaux, mais la dame que j’interroge ne sait pas me dire ce à quoi il servait... Peu après Chasseradès, Mirandol est un curieux village au fond d’une gorge, au-dessous d’un viaduc où passe le train. Petites ruelles, maisons un peu biscornues, peu de lumière. Mais il y a malgré tout ici deux gîtes pour randonneurs !

Il a fallu ensuite monter et monter encore pour arriver en haut de la montagne du Goulet. D’abord sur une petite route, puis sur un chemin forestier à forte pente. J’ai pris mon pas de muletier, sans les habits rouges et blancs et le large chapeau qu’ils portaient autrefois par ici. Il était 11H30 et je suis arrivé au sommet 1H plus tard. J’ai donc décidé d’y manger, avec le panier repas préparé par l'hôtelière de la Bastide, dont un excellent gâteau à la châtaigne et au chocolat maison. Le temps du repas, d’autres randonneurs sont arrivés, dont un couple connu depuis la première étape. Ils campent le plus souvent, mais la dernière nuit ils ont dormi à l’hôtel car il pleuvait trop.

Dans la descente vers Le Bleymard où je suis ce soir, on rencontre un panneau qui vous invite à aller voir la source du Lot ! J’étais devant ce panneau quand deux jeunes Allemands sont arrivés, s’en revenant de la source, précédés d’un chien basset à poil long d’un marron caramel. Ils purent me dire qu’il n’y avait rien à voir... Voilà donc 1 km d’évité, mais j’ai retrouvé le Lot en ses tout débuts juste après, car le chemin le longe. J’y ai de nouveau croisé mes jeunes Allemands et ai bredouillé : « Name Hunde ? », pas sûr que cette subite réminiscence de la langue de Goethe soit ce qu’il fallait dire. Mais j’ai obtenu la réponse : « Inca ». Ils partent alors que je prends des photos du Lot, et Inca caracole en tête devant ses maîtres, montant soudainement un talus pour aller flairer quelque odeur et redescendant vite fait les rattraper. Salut Inca, tu me fais penser à Ki Gwen !

Juste avant Le Bleymard, les Alpiers est une sorte de belvédère en face duquel se profile le Mont Lozère qui culmine à 1699 m. C’est le programme de demain.

8

Courte étape mais grand dénivelé. C’est aujourd’hui que je devais passer par le sommet du mont Lozère. Le temps en a voulu autrement. Noyé dans la brume épaisse, il était vivement conseillé de ne pas s’y aventurer et de prendre un autre itinéraire. Dommage. De fait je n’ai pu vivre les sensations que relate Stevenson au faîte du mont, le « pic de Finiels », où il se tenait debout pour embrasser du regard « un nouveau Gévaudan, plantureux, pittoresque, illustré par des événements pathétiques », les « Cévennes par excellence : les Cévennes des Cévennes » ! De quels événements s'agit-il ? Des Camisards, ces protestants français, les huguenots, établis dans les Cévennes, qui menèrent une insurrection entre 1702 et 1715 contre les persécutions suite à la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 par Louis XIV. Stevenson le protestant calviniste leur rend hommage par ce voyage qui prend ici un sens précis.

La montée vers le mont Lozère a pris 1H 30. Lente, méthodique pour être plus efficace, ma marche m’élevait sensiblement à chaque tournant du chemin. Derrière moi je pouvais apercevoir la région du Gévaudan que je venais de traverser. Les vues panoramiques n’ont pas manqué. Mais il était évident, plus j’approchais du sommet, que les nuages auraient le dessus et cacheraient le mont. Une pluie fine commença à tomber avant que je termine mon ascension. Halte dans un café-bar à la station de ski au pied du mont, pour me réchauffer un peu d’abord, car il ne devait pas faire plus de 5° ressentis, et pour me renseigner sur le temps et les possibilités de monter au Finiels. Une randonneuse que j’avais déjà rencontrée avait fait de même et nous avons conclu que ce ne serait pas pour aujourd’hui...

La suite du chemin suivait une série de bornes en pierre que signale Stevenson, les montjoies, mais environ 2 km après la station de ski, il fallut prendre l’itinéraire recommandé et laisser le pic de Finiels sur sa droite. La descente s’amorça presque aussitôt. Stevenson en parle comme s’il avait vécu un rêve ou une extase, tant il eut la sensation qu’elle fut rapide mais aussi intense en perceptions diverses, communiant avec la nature. « Tout le temps que je vivrais, écrit-il, je n’oublierai jamais que c’était un dimanche. La quiétude était un perpétuel ‘souvenez-vous’ et j’entendais en imagination les cloches des églises sonner à toute volée sur l’Europe entière et la psalmodie de milliers d’églises ». Nous étions également un dimanche, mais pour moi la descente ne fut pas du même acabit que celle de Stevenson. Le chemin était raide et encombré de cailloux saillants et de grosses pierres. Il est connu que les descentes sont souvent plus difficiles que les montées. Ce fut le cas. Mes genoux étaient très sollicités et toute la musculature des jambes, pendant là encore plus d’une heure. Mais ce qui me faisait surtout souffrir, c’était la pression qu’exerçaient les pierres pointues sur ma semelle gauche, là où j’avais une ampoule plantaire. Malgré le pansement, cette douleur répétée devenait difficile à supporter. Je sortis enfin de cette partie du chemin, qui était comme enfermé dans la forêt, et me retrouvais en un instant devant un vaste paysage, assez différent de ce que j’avais vu jusqu’à présent. Les champs et les coteaux étaient parsemés de grosses masses granitiques ; la couleur dominante était un marron clair avec un mélange de taches vertes données par les genêts. Pas de cultures, des vaches et des chevaux ici ou là. Je traversais bientôt le village de Finiels et photographiais quelques bâtiments anciens. Sur le côté du chemin, dans les ronces, je retrouvais cet « appareil » qui m’avait intrigué à Chasseradès. Un couple de randonneurs était en discussion avec deux habitantes du lieu ; je me suis approché et ai demandé si on pouvait m’expliquer son utilité. La plus âgée des villageoises répondit qu'autrefois, pour ferrer les bœufs, on y plaçait les bêtes afin qu’elles ne bougent pas. Le randonneur qui discutait avec elle, originaire des Essarts près de Rouen, me signala qu’il y en a encore de visibles en Normandie et qu’on appelle ça un « travail ». Merci pour l’information, qui me sera confirmée un peu plus tard à Florac.

Le reste du chemin jusqu’à Pont-de-Montvert fut un régal comparé à ce qui a précédé. Ce village est traversé par le Tarn. Stevenson remarqua dès l’entrée le temple protestant, et trouva à l’ensemble un « cachet méridional indéfinissable ». J’ai dû sortir un peu de Pont-de-Montvert pour trouver mon gîte, face à la montagne et surplombant le Tarn.

9

Nous étions un couple et moi à partager le gîte de hier soir. Je les avais rencontrés durant la montée au mont Lozère et d’ailleurs avertis qu’il était fortement déconseillé de s’y rendre. Ils ne le savaient pas et ont suivi mon conseil de prendre la déviation. Or ils m’ont signalé que deux groupes n’avaient pas respecté la consigne et s’étaient engagés sur le pic de Finiels. Ce qui devait arriver arriva : ils ont perdu tout repère car le brouillard est devenu très dense et ce n’est qu’avec leur GPS, presque à l’aveugle, qu’ils ont réussi à retrouver le chemin de la vallée. Leur indiscipline aurait pu leur coûter plus cher !

En repartant du gîte ce matin je suis retourné dans Pont-de-Monvert pour voir le temple aperçu par Stevenson. Un homme était en train de ramasser les prunes d’un prunier poussant contre le mur même du temple. Je le salue et lui parle de Stevenson, et du cimetière que l’on aperçoit en contrebas, cimetière protestant donc. Ce qui m’amène à lui demander pourquoi on voit des tombes dans de nombreux jardins de maisons ou même dans les potagers. Il y aurait encore un droit, m’a-t-il répondu, acquis après la fin des luttes entre catholiques et huguenots, d’enterrer les siens sur sa propriété, comme cela se faisait pour les protestants lorsqu’on leur refusait le cimetière communal. Aujourd’hui Pont-de-Monvert vit un oecuménisme parfait, ajouta-t-il, la meilleure preuve étant que le pasteur fait le catéchisme pour les enfants catholiques et protestants, jusqu’à leurs dix ans, et c’est le curé qui prend la suite. Le Pont-de-Monvert « de sanglante mémoire » qu’évoque Stevenson est donc bien révolu.

Il fallut encore grimper pour sortir de la gorge où se trouve Pont-de-Monvert. L’ascension ne fut pas trop pénible car le chemin était comme pavé de grosses pierres de granit enfoncées et mises à niveau dans beaucoup d’endroits. Le soleil transperça tout d’un coup les nuages et tout s’illumina. Au dessus de Pont-de-Monvert qui se réduisait au fur et à mesure de la montée, se détachait le mont Lozère encore dans les nuages. Une fois sur le plateau le paysage paraissait un peu lunaire avec ses gros blocs de granit. Rien à l’horizon, sauf, au bout de 2 km au moins, une cabane de berger, comme perdue. Un peu plus loin j’ai dû négocier mon passage avec une vache, sous l’œil furibond d’un taureau !

Florac, ma destination du jour, était annoncée soit à 25 km sur une pancarte, soit à 24 sur une autre, par deux GR différents, le 68 et le 70. Je choisis les 24 km, en ayant fait déjà presque dix. Je voulais me ménager un peu. Pendant près de deux heures j’ai marché sur une route de crête, ne rencontrant personne, ni ne croisant aucune voiture. Les abords étaient boisés et ne laissaient rien voir. Il a fallu que j’arrive au col du Sapet, à 1080 m, pour avoir une vue magnifique et dégagée. La descente sur Florac s’est amorçée. Deux vététistes, venant en sens inverse, me lancèrent : « Vous êtes le premier qu’on ait vu ce matin ! » J’aurais donc marché aussi vite, que j’aie laissé loin derrière tous ceux qui cheminent comme moi et qui se retrouvent le plus souvent avec moi, soit dans le même gîte ou hôtel, soit au moins dans la même localité ? C’est sans doute mon choix des 24 km qui est la cause de cette avance.

Alors que je réfléchissais à ce point, je dus presque me jeter sur le côté pour laisser passer trois quads lancés à toute allure et faisant un bruit d’enfer dans la forêt ! Leur bruit persista assez longtemps et troubla durablement le calme qui régnait jusqu’alors. Peu de bruits en effet, d’autant que tous les ruisseaux et torrents étaient à sec ! Le département de la Lozère est en sécheresse et j’ai vu à plusieurs endroits que l’eau est rationnée.

En descendant vers Florac, ce qui me frappe est la présence maintenant de châtaigniers en grand nombre. Si on m’a servi des plats avec des châtaignes dans les étapes précédentes, je me demandais où pouvait se trouver ce fruit car je ne voyais aucun châtaignier ? Il venait sûrement d’ici ! Stevenson mentionne lui aussi voir des châtaigniers en arrivant près de Florac et indique même qu’ils sont plantés. Il signale également les nombreux pommiers que l’on trouve le long du Tarn, dans « les vergers riches de pommes rouges ». Je l’ai constaté moi- aussi : des pommiers partout, mais aussi des poiriers, tous bien chargés.

Me voilà arrivé à Florac, à l’Hôtel du Parc, ouvert en 1903. Un peu chic, mais qui aurait besoin d’un petit rafraÎchissement quand même...

Petit tour dans Florac, qui fut une cité médiévale ceinte de remparts. Ruelles étroites, Place au Beurre, château, etc. Un anarchiste sévit un peu partout dans la ville avec ses A entourés, même sur les monuments classés. Un vrai anarchiste donc. Il ont aussi leur autonomiste breton, mais on se demande s’il ne s’est pas trompé de région pour s’exprimer ! Et puis j’ai enfin trouvé l’explication complète sur le « travail » ou "ferradou » comme on dit ici. Vous pourrez lire plus bas le panneau photographié. Rien à voir cependant avec le centre psychiatrique qui est juste à côté, d’autant qu’il dépend du célèbre hôpital psychiatrique de St Alban, situé sur la commune de St Alban-sur-Limagnole en Lozère, véritable lieu de la révolution psychiatrique de l’après-guerre et lieu d’asile et de résistance pendant la guerre. Relisons Paul Eluard et ses « Souvenirs de la maison des fous »...

10

Ce matin je n’ai pas été aussi matinal que les autres jours car à deux reprises on m’a précisé la veille que le petit-déjeuner ne serait servi qu’à partir de 7H45. Réveillé néanmoins un peu avant 7H par des éclats de voix dans la cour en-dessous, des discussions sonores et des rires, puis par des bruits de moteur bientôt, je me suis présenté dans la salle à manger à l’heure dite. Surprise ! Elle était déjà occupée par ce groupe d’automobilistes amateurs de voitures anciennes garées devant l’hôtel, groupe aussi bruyant dans cette salle qu’il pouvait l’être dehors, comme s’il n’y avait personne d’autre! Tout ça sentait le Rotary club et le notable en goguette, fier de sa Porsche ou de sa MG ! En plus, lorsque je suis sorti de l’hôtel pour rejoindre le chemin, j’ai dû passer devant ces voitures en train de démarrer et qui polluaient l’air !

Avant de tourner le dos à Florac, je photographiai cette barre rocheuse de calcaire qui la surplombe et qui forme le bord du Causse Méjean, avec plus loin l’Aven Armand, sous le Causse.

Stevenson écrit : « Le mardi, 1er octobre, nous quittâmes Florac, bourrique fatiguée et conducteur de bourrique fatigué. » Je peux écrire, le copiant : « Le mardi, 1er septembre, je quittai Florac, déjà un peu fatigué. » L’étape de la veille avait laissé des traces et je ne ressentais pas la forme physique habituelle. Mon genou gauche me faisait encore un peu mal et avait tendance à se bloquer. Tout ne se présentait donc pas au mieux le long de cette D 907 où se trouvait le tracé du GR70. La circulation était dense en ce jour de rentrée scolaire et nombreux les parents convoyant leurs rejetons. Un petit pont en pierre permit de quitter la route et de se retrouver à monter dans un bois puis à longer maintenant un cours d’eau, la Mimente. Je la suivrai aujourd’hui jusqu’à ma destination. La vallée de la Mimente est très encaissée et le chemin offre peu de points de vue. On marche au milieu de châtaigneraies où se mêlent des chênes. Partout des écriteaux interdisent de ramasser châtaignes ou champignons. Ma progression n’est pas trop difficile car le chemin a de petites montées suivies de petites descentes. C’est tout ce qu’il me fallait aujourd’hui. Après les châtaigneraies, c’est un chemin qui reprend une ancienne voie ferrée ; de petits tunnels en fer à cheval sont toujours présents mais de peu de longueur. Il y a d’impressionnants à-pics sur le côté droit du chemin, et les anciens garde-corps ont été enlevés. Gare à la chute, elle serait fatale ! Le fond du cours d’eau laisse apparaître un chaos de roches, et tout cet ensemble, avec ses montagnes sombres, confirme l’appréciation de Stevenson qu’il s’agit d’une « sauvage vallée ». Aujourd'hui elle est traversée par la N 106 qui la "civilise" un peu, mais dont le bruit de circulation vous accompagne sans que vous puissiez y échapper !

Cassagnas est ma destination, mais je m’arrête un peu avant, en dehors du GR 70, à la chambre d’hôtes « Le Mimentois ». Située à flanc de coteau, elle domine la vallée et offre un beau paysage de son balcon de verdure. Et ce qui ne gâche rien, elle possède un potager bien garni dont seront retirés les légumes pour le repas de ce soir.

Merci à François, mon voisin plouézécain, pour m’avoir signalé la sortie du film, le 16 septembre, « Antoinette dans les Cévennes », qui se passe sur le Chemin de Stevenson !

11

Le gîte "Le Mimentois" où j’étais hier soir est un lieu très agréable et ses propriétaires savent bien s’occuper de leurs hôtes. Nous étions cinq, moi, un couple de Brest et un couple d’Allemands. Malgré les différences linguistiques nous avons pu échanger sur quelques sujets avec l’anglais et un zest d’allemand ! Les bretons ont raconté leur passage au mont Lozère. Ils y sont allés, malgré le brouillard, suivis par un jeune couple. S’orientant avec leur GPS, ils ont pu traverser le lieu mais se sont fait peur à plusieurs reprises. C’était donc eux dont on m’avait parlé, et je n’ai pas osé leur dire que je trouvais ça imprudent. À la fin de ma randonnée d’aujourd’hui, un randonneur rencontré avec qui j’ai pu parler un peu, m’a encore dit qu’il était monté au mont dans le brouillard et qu’à un moment il avait perdu la piste car il ne voyait rien, et m’a aussi cité le cas de deux couples auxquels il était arrivé la même chose. Mes bretons et le couple de jeunes ! Il m’a aussi rapporté qu’un homme avait appelé le 17 une fois sur le mont et que la gendarmerie était venue le chercher. On m’avait déjà parlé de ce monsieur avant-hier, et ce n’était pas la première fois qu’il aurait appelé le 17 pour le tirer d’affaire. Il aurait définitivement renoncé à poursuivre aujourd’hui me précisa ce randonneur.

Entre les randonneurs les informations circulent et forment une sorte de récit qui les unit, en tout cas tous ceux qui cheminent au même rythme. En fait il y a un groupe « cheminant » qui aime à se reconnaître comme tel. Les individualités closes s’estompent un peu (comme pour moi), car apparaît l’idée qu’on fait partie de ce groupe, solidarisé par l’objectif de « faire le Stevenson », et composé de ceux qu’on croise un jour, puis un autre, avec lesquels on partage un gîte ou un hôtel, avec lesquels on partage aussi les frayeurs ou les joies de la randonnée, ces dernières étant heureusement plus fréquentes.

Le gîte "Le Mimentois" n’est pas sur le GR 70 et pour le retrouver il faut, soit revenir en arrière de quelques kilomètres, soit prendre un itinéraire de liaison. Le propriétaire nous en a indiqué un, mais j’avais sur l’application Visorando un autre itinéraire emprunté par un randonneur ayant laissé sa trace sur le site. Cet itinéraire passe par Cassagnas et permet de découvrir son temple, ce qui me convainc de le suivre.

Le village baignait dans le soleil matinal et la randonnée s’annonçait sous les meilleurs auspices. Je trouve le chemin emprunté et dévale une pente qui se termine dans la rivière La Mimente, qu’il faut d’ailleurs franchir quelque part. Il n’y a pas vraiment de chemin mais seulement quelques sentes, peut-être seulement empruntées par des animaux? Mais voilà, au bout d’un quart d’heure de ce cheminement, impossible d’aller plus loin, les broussailles ayant tout envahi ! J’ai donc dû remonter et me suis retrouvé sur la Nationale 106. Que devais-je faire ? Il n’était que 9H. Retourner en arrière ne me paraissait pas la solution et je résolus de longer cette nationale jusqu’à trouver un embranchement qui me permettrait ensuite de me mettre sur un autre GR qui redescendait vers le sud et rejoignait le GR 70. Une fois en route sur cette Nationale, de l’autre côté de la glissière, en direction de l'est, je réalisais que l’embranchement visé était au moins à 6 km. Il fallait donc trouver une autre voie d’accès au GR. Elle s’est présentée en un chemin forestier, 2 km plus loin seulement. Ensuite un PR montait dans les bois pour, en effet, rejoindre le GR voulu. Il s’agissait du GR 670 « La draille du Languedoc ». Beau nom pour un parcours difficile et à la fois de haut niveau des paysages, au cœur du Parc des Cévennes. Une montée d’abord, rude — je pouvais facilement toucher le sol en étendant mon bras devant moi et mes bâtons me furent d'un grand secours—, qui m’amena au col des Abeilles à 1056 m. La vue était fabuleuse de tous côtés. Un sentiment d’isolement, de coupure d’avec le monde peut vous saisir dans un tel moment, car tout était calme sous le soleil, aucun bruit de nulle sorte, et un horizon de carte postale. Alors, le repérage des deux traits, le blanc surmontant le rouge, ramène à une certaine réalité, celle du cheminement, autant qu’il apporte une réassurance : on n’est pas perdu et d’autres ont veillé à votre orientation.

La descente, maintenant, pour essayer de rejoindre St Germain de Calberte pour déjeuner, car je n’avais pas de panier repas cette fois. Difficile elle aussi, comme souvent les descentes par ici tant les roches affleurent. Je fais néanmoins attention pour ne pas chuter, en zigzagant comme un skieur et en pliant un peu les genoux pour abaisser mon centre de gravité. C’est une attention de tous les instants. A un moment j’évite ainsi, non pas de tomber, mais d’écraser une couleuvre couleur roche étalée en travers du chemin ! C’était le premier animal sauvage que je voyais de près depuis le début, hormis les sauterelles et les lézards qui sont légion. Mais comme me le dira le propriétaire du gîte du soir, « Eux, ils vous voient »... Enfin St Germain de Calberte est en vue. J’atteins le centre du village par la route ; il est 13H et un bistrot me tend les bras et je me laisse tenter par un plantureux repas qui me requinque.

Le reste du chemin en descente douce vers St Étienne-Vallée Française est plutôt agréable, et laisse apercevoir le Gardon totalement asséché. Je constate également de nombreux arbres morts dont la couleur marron clair se détache du fond vert des feuillus. Ce sont des châtaigniers qui n'ont pas résisté aux différentes sécheresses des dernières années.

"Le Mas de Stevenson" est le gîte de ce soir, surplombant ce Gardon plutôt empierré qui forme un trait blanc dans le fond de la vallée. Trois randonneuses viennent d’arriver. On va pouvoir parler ce soir après le repas car ici, pas d’Internet ni de réseau de téléphonie ! En fait c’est au cours du repas, très cévenol avec du sanglier et des châtaignes, que les discussions ont eu lieu. Le propriétaire avait beaucoup de choses à dire, véhément quelquefois, donneur de leçon sur le sens de la vie, un brin susceptible parfois aussi... mais assez érudit quant à l’histoire du coin. J’appris ainsi que les vallées environnantes n’ont été christianisées qu’au XIè siècle ; que Cévennes vient du vieux français servenne qui signifie vallée resserrée ; et enfin que gardon, appellation fréquente ici pour des cours d’eau, signifie tout simplement rivière.

Demain, dernier tronçon du Chemin de Stevenson, puisqu’il s’est arrêté à St Jean-du-Gard, Modestine étant mal en point. Déjà, début octobre 1878, le Gardon était à sec. Stevenson écrit : « ... je traversais Saint Étienne de la Vallée Française, ou Val Francesque comme on a coutume de l’appeler ici, puis, vers le soir, je commençais de gravir le mont Saint-Pierre. Longue et pénible ascension ! » C’est ce qui m’attend demain...

12

Dernière étape du périple de Stevenson avec Modestine, et avant-dernière pour moi.

Je suis parti dans la fraîcheur du matin, la situation que je préfère, et aussi pour voir le soleil illuminer chaque endroit. J’ai d’abord traversé et visité St Étienne Vallée Française. Après 2 km, le début de la montée au col de St Pierre s’annonce ; elle prendra 1H30, longue comme presque toutes les autres. Mais elle ne se révèle pas trop difficile. Je rejoins en route un couple rencontré déjà plusieurs fois et nous arrivons tous trois au col. Stevenson raconte y avoir « cassé la croûte », Modestine et lui, alors qu’il faisait déjà nuit noire ! « Long trajet que la descente à Saint-Jean-du-Gard » écrit-il. Oui, en effet, c’est encore long et périlleux car les pierres abondent, tranchantes parfois, un peu glissantes. Je m’aperçois que l’environnement n’est plus le même ; on se retrouve ici dans la garrigue, avec du genévrier, des pins, du laurier, et bientôt des oliviers cultivés en espaliers. Une atmosphère méditerranéenne se fait sentir, la chaleur aidant, et les terrasses des cafés sous les platanes. Dans cette descente, nous rencontrons encore d’autres randonneurs connus et nous nous retrouvons à cinq à faire le point à l’ombre d’un arbre. Arrivé en bas, le GR longe le Gardon Mialet. Je retrouve cette fois mes Brestois, bons marcheurs mais pensant déjà à la reprise du travail lundi... L’inséminateur va donc reprendre son office.

St Jean-du-Gard est un gros bourg aux ruelles étroites et aux maisons aux murs d’un beige éclatant sous le soleil. Autrefois on y produisait la soie. Un vieux pont du XVIIIe siècle paraît encore comme neuf. Il fait 30° !

Je loge ce soir à "l’Auberge du Peras". Un écriteau dans la chambre m’apprend que c’est dans cette auberge que Stevenson, sous le nom de Balfour (?), a séjourné en arrivant du col de St Pierre. Il y aurait un anneau encore visible à l’entrée où il aurait attaché Modestine ! Je viens de le photographier. Cependant pendant mon tour en ville j’ai vu un petit panneau sur une vieille maison de la Grand’Rue indiquant qu’ à « cet anneau R-L Stevenson a accroché Modestine ». L’anneau est bien là en effet. Il se serait donc arrêté deux fois ? Les spécialistes de l’Ecossais nous le dirons... Mais, comme je l’ai déjà écrit, le lendemain le garçon d’écurie lui annonça que Modestine aurait besoin d’au moins deux jours de repos. Stevenson ne pouvait attendre car il était pressé de trouver son courrier en Poste restante à Alès. Avant dix heures du matin il la vendit et partit avec la diligence de l’après-midi, non sans ressentir un manque à l’endroit de Modestine, et il versa même une larme en pensant à elle...

Plus de diligence aujourd’hui mais des bus. Néanmoins je vais faire le trajet jusqu'à Alès par les chemins, réputés difficiles d’ailleurs. Suite et fin demain.

Scoop de dernière minute. En me rendant dans la salle du restaurant de l'auberge, je rencontre le patron. On parle un peu et je crois reconnaître un accent que je connais bien, pas du tout du Sud. " Je suis originaire de votre coin, me dit-il. Mes parents sont d'Yvias, et mon oncle était assureur à Plouézec. Un Roudaut comme moi (il s'appelle Claude Roudaut). Il a même fait partie de la mairie je crois. Mais c'était y'a longtemps !"

Ce qui me réjouis dans cette anecdote, c’est que j’ai maintenant un lien très, très indirect, zigzagant même, avec Stevenson, par l’anneau de cette auberge qui appartient aujourd’hui à un « pays » natif d’Yvias ! Je sens qu’on conteste derrière les écrans !?

13

Il était tôt ce matin quand j’ai quitté "l’Auberge du Peras", 7H15. Une fois encore je devais suivre la trace qu’un autre randonneur avait laissée sur Visorando. Je l'ai récupérée en remontant une avenue qui commençait déjà à être sillonnée par les véhicules. Mais très vite je me suis retrouvé sur une toute petite route très agréable à suivre. Des trouées dans les futaies ont permis quelques photos. Une pancarte amusante à propos d’un chien fugueur méritait aussi la photo...

Passé le pont du Gardon Mialet, à Mialet, ma trace me faisait tout de suite monter dans le massif par un chemin très raide. Ça devait durer un certain temps, un peu long vu l’effort fourni. Mais je sais maintenant qu’en fait il s’agissait de l’ancien tracé du GR 70. Le nouveau était-il plus praticable ? Je resterai sur cette énigme. Quoiqu’il en soit, les deux arrivent au même endroit, peu avant le col d’Uglas. A partir de là, le GR 70 file vers Alès, mais offre des itinéraires parallèles réservés aux randonneurs avec âne. J’ai compris pourquoi ! Je crois que cette partie de ma randonnée a été la plus difficile, et des ânes ne peuvent pas passer par certains endroits. Le chemin est étroit le plus souvent, très empierré, et certains passages se font entre des énormes roches avec des failles. Parfois, c’est presque de la varappe. Il faut alors prendre tout son temps pour bien négocier descentes et montées. Pendant la marche, on reste presque tout le temps sous une voûte d’arbrisseaux, de chênes verts et de lauriers ; les quelques trouées laissent voir un paysage grandiose de montagnes et de vallées. L’arrêt à une table d’orientation s’est prolongé car la vue était superbe, jusqu’au Mont Aigoual, qui a vu le Tour de France passer hier je crois. Par deux fois, le chemin fait passer sur des roches qui surplombent la vallée. Le coup d’oeil est garanti mais il ne faut pas trop s’approcher du bord... Un randonneur revu le soir me dira que cette partie est comparable à une section du GR 20 corse !

Vers 12H30 je décide de m’arrêter à Montcalm pour déjeuner. Le couple des Essarts, déjà rencontré quelques jours auparavant, arrive. Ils ne mangent pas, et d’ailleurs n’ont presque rien à manger, sauf une boîte de sardines ! Mais ils vont continuer, d’autant qu’ils n’ont rien réservé sur Alès pour ce soir. Je leur dis que je vais sans doute prendre l’itinéraire « avec âne » pour couper un peu, car c’est encore une bonne portion de chemin de crête qui correspond au GR 70. Ce qu’ils font. Je les suis un quart d’heure après. La chaleur est forte et je crains de n’avoir pas assez d’eau. J’ai pourtant pris près de 2 L mais j’ai déjà beaucoup consommé.

Bientôt Alès apparaît tout en bas. Il faudra encore 1H30 pour y arriver. Avant d'y entrer, les bruits de la ville viennent à notre rencontre, comme pour nous reprendre dans cette noise urbaine qui tapisse le plus souvent nos vies.

Alès, capitale des Cévennes, et ancienne ville minière à ce que je vois, notamment ce terril dans la campagne. J'ai pu lire, une fois rentré, qu'en Juillet une mine témoin a été rouverte au public, faisant revivre le passé minier des Cévennes. Un superbe fort Vauban garde l’entrée de la ville. Le masque y est obligatoire mais beaucoup ne le portent pas. Le centre-ville me paraît encombré avec ses hauts immeubles rapprochés par des rues étroites. Je vois néanmoins, près de la gare, que la mairie a ouvert l'espace avec un immense rond-point et une voie engazonnée qui descend vers le coeur de ville, comme s'il avait fallu aérer la ville.

Mon hôtel est tout près de la gare. Le voyage est... presque fini. Départ demain à 7H30, devant la gare, avec La Malle Postale, une compagnie de minibus qui fait les trajets allers-retours sur le Chemin de Stevenson, ce qui va me permettre de revoir au passage tous les paysages parcourus, et en une matinée ! Retour au Puy prévu pour 12H30. Je compte me mettre en route pour Caen dès le début d’après-midi.

Arrivée en effet le lendemain à 12H30 tapantes, et en plus là où j'avais garé mon fourgon car l'itinéraire du minibus y passait. Il n'a rien subi et je suis soulagé. Mais me revient subitement le souvenir que j'ai laissé mes chaussures de randonnée à Alès, sous le patio dans un placard dédié... J'écrirai aux propriétaires pour me les expédier car elles pourront encore servir, c'est sûr !

Pour clore, je relève ce qu’écrit Stevenson au sujet des randonnées à pied : « On ne doit pas se figurer qu’une randonnée à pied (...) est simplement une meilleure ou une plus mauvaise manière de voir le pays (...). (D)ans une randonnée pédestre, le paysage est tout à fait secondaire. Celui qui fait vraiment partie de la confrérie ne voyage pas à la recherche du pittoresque, mais de certains états d’âme vivifiants — l’espoir et l’élan avec lesquels la marche débute le matin, la paix et la plénitude spirituelle qu’on goûte avec le repos du soir. »

Je pense bien avoir fait partie d’une « confrérie » pendant cette randonnée, et si les paysages ont quand même été un des attraits principaux de ce Chemin, de se vivre, tout simplement, en randonneur, a été « l’état d’âme » le plus stimulant pour moi. Il pourra facilement se retrouver, sur un autre Chemin...