Pradelles avait encore de beaux charmes à offrir que j’ai découverts ce matin en sortant de la cité par le Chemin de Stevenson. Des ruelles médiévales, des porches, des tourelles et autres portes sculptées. Cité catholique autrefois, un écriteau rappelle qu'elle s'est vaillamment défendue contre les protestants. Cette histoire est très forte ici semble-t-il.
Sorti de la ville, c’est un chemin en descente qui m’attendait, véritable autoroute pour randonneur, large, plane, sans grosse caillasse, et ce jusqu’à Langogne, soit sur 5 km. Le matin, de bonne heure, c’est un régal de marcher sur les chemins, avec en plus un paysage superbe comme ici. Je croise à un moment un randonneur qui, lui, monte vers Pradelles, d’un pas très lent, sans effort aucun apparemment. Il devait avoir 80 ans ; il semblait « ailleurs », absorbé dans sa marche, sans presque me voir.
Langogne est la porte du « comté de Gévaudan », c’est ce qu’indique Stevenson en passant sur le pont à l’entrée de la ville qui enjambe l’Allier. En l’empruntant moi aussi, je constate que des aménagements bienvenus protègent le randonneur du flux de véhicules. Félicitations aux édiles et sans doute à la Fédérarion française de randonnée pédestre qui ont eu cette initiative. L’intention se retrouve d’ailleurs dans le parcours aménagé qui traverse Langogne et qui permet d’éviter toute la circulation de la N 88. Le cœur de ville médiéval vaut le détour, pour le porche de l’église et les restes de l’enceinte fortifiée.
Après l’agitation de la ville on se retrouve rapidement dans une campagne très calme, sur une petite route d’abord, puis un chemin longeant champs et forêts. « Belle journée pour marcher ! » me lance un randonneur local. Oui, assurément, et je ne laisserais ma place à personne car le moment est un pur plaisir au soleil de 10H, avec les senteurs du foin coupé. Ce ne fut pas le cas pour Stevenson. Un panneau à Sagnerousse nous rappelle ses mésaventures. Son étape avait déjà commencé par de la pluie et de la grêle, à quoi se mêla le brouillard ; le paysage lui paraissait morne, coteaux et vallées se suivant interminablement, en plus des marécages. A Sagnerousse, il pense avoir trouvé la bonne direction pour le Cheylard, sa destination du jour, mais il se perd et tourne en rond. Il dut passer la nuit dans un bois, sans aide des quelques habitants sollicités pour lui indiquer la bonne route, un peu effrayés par cet Écossais vagabond. Le panneau qui rappelle cet épisode mentionne que le terrain, marécageux, perturbe le magnétisme terrestre et humain, et que la désorientation de Stevenson vient sans doute de là... Désorientation qui fut aussi psychique, puisqu’il a une sorte de vision d’enfants faisant une ronde dans le brouillard : « à la nuit tombante, sur les marais, c’était un spectacle étrange et fantastique » écrit-il. A moins que ce n’était que des vaches ?... Mais une telle vision onirique n’a rien de surprenant chez le futur auteur de « Dr Jekyll et Mister Hyde » (1886) et l'intellectuel intéressé par les sciences psychiques ! Cela me rappelle que j'avais eu un échange avec Michel Le Bris, spécialiste de Stevenson (celui-ci vient de mourir, ce 30 janvier 2021, à 76 ans ), au sujet de la correspondance entre ce dernier et F.W. Myers au sujet des psychics studies. Il m'avait envoyé un fichier contenant cette correspondance et je ne sais pas aujourd'hui où j'ai pu le ranger ! Mais je viens de trouver une de ces lettres, datée du 14 juillet 1892 et envoyée des îles Samoa où Stevenson vivait depuis 1890, publiée par Myers lui-même dans le n° de décembre 1893 des Proceedings of the SPR. Stevenson y raconte plusieurs situations où il se sent dédoublé et en conflit avec ce double ou surpris par cette autre partie de lui-même. Passionnant, isn't it ?
Loin des tracas de Stevenson, j’ai traversé le même endroit avec une grande facilité. Il s’agit de la Margeride, vaste espace herbagé parsemé de genets et de gros blocs de granit, dont certains sont surmontés d’une croix, gage que l’endroit est sous bonne protection. Des marais sont encore nombreux et donnent un aspect de désolation qui rappelle le Marais des Morts traversé par Frodo et Sam guidés par Gollum vers le Mordor !
Mais j’oubliais de signaler qu’avant la Margeride le chemin fait passer par le village de St Flour de Mercoire qui ne manque pas de curiosités : un artiste brut d’abord, « fou » des gares et des trains, ensuite un monument aux morts de 14-18 avec les photos des tués - ce que je n’avais jamais vu - et, enfin, un petit théâtre et music-hall où est passé Steve Waring il y a quinze jours. Curiosités parmi les curiosités dans ce décidément curieux petit village, une mobylette retrouvée qu’on assure avoir été celle sur laquelle Stevenson a fait son voyage, et une marionnette derrière une fenêtre qui n’attend que son animateur !
Mais tout ne fut pas aussi radieux. Une autre pancarte au bord du chemin montre que ce n’est pas la Bête qui est revenue en Gévaudan mais la Bêt(is)e : « Randonneurs, gardez vos masques et vos virus, sinon il y aura des représailles (mot souligné) ». Quelques jours après mon retour j'ai envoyé un message à l'association "Le Chemin de Stevenson" pour lui signaler la chose. Il m'a été répondu qu'effectivement c'était un peu "violent" et qu'ils allaient voir ce qu'ils pouvaient faire. A suivre donc.
Un mot sur les chiens, tous placides et non agressifs, habitués à voir passer les randonneurs. Pourvu que ça dure.
Un mot également sur les locaux croisés. J'ai remarqué qu'ils vous saluent très peu spontanément et, souvent, semblent ne même pas vous voir. Je crois comprendre cette attitude par le fait que le flux des randonneurs est presque ininterrompu, et qu'il serait impossible d'une part de saluer tout le monde et d'autre part qu'il n'y a plus aujourd'hui pour eux de surprise dans cet événement. Je me dis aussi que, peut-être, ils peuvent se penser comme des éléments du paysage ou du décors que ces "touristes" photographient ou observent ? Mais dès qu'on adresse la parole à l'un d'entre eux, l'échange est tout de suite chaleureux et ce qui pouvait paraître une réticence ou un retrait disparaît.
J’ai un peu botanisé (merci PlantNet !) et identifié les principales fleurs qui ornent les talus le long du chemin : orpins, épilobes, violettes, molènes.
Ce soir je loge dans un gîte au milieu des bois. L’arrivée a été un rien déconcertante. Un peu avant en effet, j’entendais un bruit de moteur que je pensais être celui d’une tronçonneuse, mais franchi la clôture de la propriété, qui est un vaste bois de sapins, je vois débouler un bolide d’un chemin dans un vrombissement énorme et provoquant un nuage de poussière. Un autre a suivi. Un peu plus loin tout un staff s’agitait autour de deux voitures de rallye aux roues démontées. Un pilote, en rouge et blanc, était assis à côté et discutait avec trois personnes. On ne s’attend pas à ce genre d’accueil dans un gîte pour randonneurs. Les essais ont quand même duré encore 1H30, et les vroum-vroumeurs pollueurs se sont arrêtés. J'ai vu plus tard, au Bleymar, une affiche annonçant le rallye du mont Lozère les 28, 29 et 30. C'était donc pour ça !
J’ai fait 25 km ce jour-là, et la première partie, de 22 km, d’une seule traite, en 5 heures. La forme est là, qui vient avec les marches successives. Il faut quand même faire attention aux ampoules qui se profilent. Demain je dois faire 30 km. C’est la plus longue étape car il y a peu de gîtes sur cette section. Il devrait pleuvoir...