La Tempête de Shakespeare est une œuvre fascinante de Shakespeare. Enfin, qui me fascine. Pourquoi? Je n'en sais consciemment rien.
Quoi qu'il en soit, cette œuvre est à part... C'est sa dernière œuvre. C'est une des rares pièces où la règle des trois unités est appliquée (ce n'est certainement pas pour cela que j'aime la pièce). Peut-être parce que j'en ai vu deux sublimes versions?
La première, c'était au Rideau de Bruxelles durant la saison 1982-1983 - dans la salle M, hein, pas au Petit Théâtre, même si dans cette petite salle j'ai vu un magnifique Roi Lear quelques années plus tard - dans une mise en scène par Pierre Laroche. J'avais 17 ans. Prospero était joué par Claude Etienne, Ariel par Anne Chapuis, Caliban par Gérard Vivane, mais on y trouvait aussi Alain Leempoel (Ferdinand), Pietro Pizzuti, Jules-Henri Marchant, Francis Besson, Gerald Marti et beaucoup d'autres. Une tranche du théâtre belge. Pierre adorait La Tempête de Shakespeare. Il l'avait déjà montée cinq ans plus tôt en 1978 au KVS, en néerlandais. Cette version fut un véritable éblouissement...
Et puis, j'ai vu une seconde version, en 1996, au KVS en néerlandais, mise en scène par Franz Marijnen avec qui j'avais travaillé au National sur Le Balcon de Jean Genet qui avait fait scandale. Ici encore, une version époustouflante. Rien que la première scène, celle de la tempête. Sur scène des projecteurs éblouissaient la salle et d'énormes ventilateurs soufflaient sur les spectateurs. Avec une vraie violence de tempête. Des feuilles étaient lâchées. Tous les spectateurs se protégeaient le visage ou tentaient de se protéger derrière le spectateur de devant. Quand la scène finissait, les spectateurs étaient méconnaissables, totalement décoiffés ... Nous venions tous de faire naufrage sur l'île de Prospero joué par le magnifique acteur flamand Senne Rouffaer.
Cette version du KVS était beaucoup moins consensuelle que celle du Rideau, Ariel y était par exemple hermaphrodite. On insiste sur le colonialisme: Alonso, Antonio, Sebastiano et Gonzalo portent des redingotes du XIXème siècle quand ils débarquent - enfin quand ils font naufrage - sur l'île de Prospero.
Quoi qu'il en soit, ces deux versions étaient de magnifiques exemples de théâtre populaire: de grands textes véhiculant de grandes idées (issues de l'auteur, mais aussi du point de vue des artistes créatifs) rendues accessibles au plus grand nombre.
C'est dire si voir un Shakespeare au Drury Lane à Londres m'enthousiasme. Surtout que Shakespeare a une résonance toute particulière avec ces deux mots: Londres et Drury Lane.
Nous savons que la vie de Shakespeare tournait autour de deux endroits: Stratford et Londres. Il a grandi, a fondé une famille et a acheté une propriété à Stratford, mais il a travaillé à Londres, le centre du théâtre anglais. Pendant de nombreuses années, on ne sait rien de certaines des activités de Shakespeare: comment il a gagné sa vie, quand il a déménagé de Stratford, ou comment il a fait ses débuts au théâtre. La première mention certaine de Shakespeare à Londres date de 1592, en tant qu’acteur et dramaturge. Pendant plus de deux décennies, Shakespeare a eu de multiples rôles dans le théâtre londonien en tant qu’acteur, dramaturge et, avec le temps, partenaire commercial d’une grande compagnie d’acteurs, les King’s Men. Plusieurs membres de la compagnie s'associent en 1599 pour faire construire leur propre théâtre dans le quartier de Southwark, au sud de la Tamise: le Globe (à une centaine de mètres du Globe actuel).
À la mort de Shakespeare en 1616, il était loin d’être l’icône mondiale «Shakespeare» que nous célébrons aujourd’hui. Il était un dramaturge anglais de premier plan, mais pas un talent isolé (citons par exemple Ben Jonson, Christopher Marlowe, Francis Beaumont et John Fletcher dont les pièces sont toujours jouées aujourd'hui). Rappelons que de 1642 à 1660, Cromwell a interdit le théâtre en Angleterre, et lorsque les théâtres londoniens ont rouvert en 1660, les pièces ont été radicalement réécrites pour être jouées: Le Roi Lear ne mourrait plus, les sorcières de Macbeth chantaient et dansaient et Miranda dans La Tempête avait une sœur. Shakespeare n'était nullement un "intouchable". Cela va durer de nombreuses années.
Notre idée de Shakespeare en tant que génie singulier qui représente la somme et le sommet de la culture britannique ne date que du milieu du XVIIIe siècle, plus de 100 ans après la mort de Shakespeare. On le doit à l’acteur-manager et dramaturge David Garrick (1717-1779 - photo ci-contre, David Garrick dans le rôle de Gloucester dans Richard III au Drury Lane en 1759), qui consacra sa carrière extraordinairement réussie à promouvoir Shakespeare comme le symbole suprême de la culture britannique. Il a dirigé le Drury Lane Theatre. Garrick a été salué pour le style « naturaliste » de son jeu d’acteur – un terme qui doit toujours être replacé dans son contexte, car chaque génération de spectateurs de théâtre a une idée différente de ce que signifie jouer « naturellement ».
Malgré le génie énergique de Garrick en tant qu’interprète, c’est sa gestion de Drury Lane de 1747 à 1776 qui fit de lui le principal interprète théâtral du poète national britannique. Il serait difficile de penser à une personnalité théâtrale plus influente que Garrick dans la formation d’attitudes populaires envers Shakespeare – attitudes qui se poursuivent jusqu’à nos jours, notamment à travers la place centrale de Shakespeare dans le programme de littérature anglaise dans les universités du monde entier. Garrick a créé la « Bardolâtrie », le culte formel de Shakespeare, un phénomène qui nécessite des croyants, des rituels et des lieux de pèlerinage. En 1769, il a organisé le Stratford Jubilee, une célébration de trois jours de Shakespeare qui a mis la ville natale du dramaturge sur la carte touristique.
Pendant la majeure partie des années 1700, Shakespeare était considéré comme un très bon auteur. Mais dans les années 1800, et surtout pendant la période victorienne, Shakespeare est devenu un prophète. Les ministres ont commencé à tirer des leçons de ses textes. Les érudits ont écrit des livres sur les résonances de ses mots, souvent en sortant ces mots de leur contexte. Les œuvres de Shakespeare, croyaient les Victoriens, allaient jusqu'à offrir des révélations religieuses !!!
Après Garrick, ce fut John Philip Kemble qui devient le grand acteur shakespearien, toujours au Drury Lane où il fit sa première apparition à 22 ans (image ci-contre) le 30 septembre 1783 dans le rôle de Hamlet. Il en deviendra directeur en 1788 (à 27 ans). Il dirigera le Drury Lane et y jouera Shakespeare jusqu'en 1802. Le troisième Drury Lane Theatre brûlera en 1809. Le quatrième (celui d'aujourd'hui) sera reconstruit en 1812.
Il a ouvert ses portes le 10 octobre 1812 avec une production de Hamlet mettant en vedette Robert Elliston dans le rôle-titre. Le nouveau théâtre a fait quelques concessions en matière d’intimité, pouvant accueillir 3.060 personnes, soit environ 550 de moins que le bâtiment précédent.
Deux ans plus tard, en 1814, le comité du théâtre de Drury Lane, au bord de la faillite, a fait un coup de poker donnant un rôle principal à Edmund Kean (27 ans): sa première apparition au Drury Lane le 26 janvier 1814 dans le rôle de Shylock de The Merchant of Venice de Shakespeare (ci-contre) souleva le public à un enthousiasme presque incontrôlable. Les contemporains ont reconnu que Kean avait apporté de la dignité et de l’humanité à son interprétation du personnage (rappelons que cette pièce est souvent considérée comme antisémite, nous en reparlerons puisque je vais la voir dans quelques jours). Ses apparitions successives dans Richard III, Hamlet, Othello, Macbeth et King Lear démontrent sa maîtrise de la gamme de l’émotion tragique. Kean a été le premier à restaurer la fin tragique du Roi Lear, qui depuis 1681 avait été remplacée par une fin heureuse... Il sombrera dans l'alcool et aura une vie privée agitée fort peu appréciée. Le 17 janvier 1825, Kean fut hué et bombardé de fruits au Drury Lane, l’obligeant presque à se retirer définitivement.
On pourrait citer d'autres monstres sacrés du théâtre anglais qui ont joué Shakespeare au XIXème siècle, au Drury Lane ou ailleurs, dont Irving Berlin, sans oublier de magnifiques actrices comme Lillie Langtry, Ellen Terry, Helena Modjeska ou Mary Anderson.
Au Drury Lane - qui est devenu le temple des musicals durant tout le XXème siècle - quand a-t-on joué pour la dernière fois Shakeseare? En 1957. C'était The Tempest avec John Gielgud dans le rôle de Prospero (ci-contre).
Pourquoi toute cette longue introduction? Parce que j'adore le Drury Lane où j'ai vu de magnifiques musicals. Que je l'ai visité de très nombreuses fois et de se dire que Kean a joué sur ce plateau, dans ces murs, cela me touche. Que je trouve la rénovation réalisée par Andrew Lloyd Webber pendant le COVID totalement incroyable (mon post d'il y a un à ce sujet). Il est lui-même extrêmement attaché à la présence de Shakespeare dans ces lieux. À la fin de l’année 2019, Andrew Lloyd Webber a approché Maria Kreyn, lui demandant de créer 8 peintures à grande échelle en tant qu’installation permanente spécifique au site de son Theater Royal Drury Lane récemment rénové. Il lui a demandé de se concentrer autour de Shakespeare et de rendre son œuvre dangereuse, voire apocalyptique. Cela a donné de magnifiques peintures:
Andrew Lloyd Webber, à qui appartient le Drury Lane - et qui est quand même un peu dingue - s'est dit que ce serait chouette que Shakespeare revienne après 67 ans au Theatre Royal Drury Lane. Il en parle ainsi: "À neuf ans, on m'a emmené au Theatre Royal Drury Lane pour voir la légendaire production de Peter Brook, The Tempest, avec John Gielgud dans le rôle de Prospero. Cela m’a profondément marqué. Lors de la dernière représentation, aux applaudissements, Gielgud a déclaré que Shakespeare ne serait plus jamais joué au Théâtre Royal car il serait "perdu dans les musicals". Depuis que je possède le Théâtre Royal, j’ai toujours voulu lui prouver qu’il avait tort. C’est donc une joie énorme que Jamie Lloyd ramène Shakespeare au Drury Lane et encore plus merveilleux que la première des deux pièces de Shakespeare sera The Tempest."
Pourquoi a-t-il demandé à Jamie Lloyd de mettre en scène?
Sans doute parce qu'ils se sont rencontrés de manière artistiquement foudroyante quand Jamie Lloyd a mis en scène - certains disent totalement recréé - Sunset Bloulevard en 2023 au Savoy Theatre (mon poste de l'époque). Andrew Lloyd Webber a tellement aimé le travail de Jamie Lloyd, qu'il lui a demandé de mettre en scène deux Shakesperare au Drury Lane (The Tempest et Much Ado About Nothing). Il va aussi mettre en scène une nouvelle version d'Evita au London Palladium cet été (qu'il avait déjà,mise en scène au Regent’s Park Open Air Theatre avant la pandémie).
Et comme leur coup de foudre artistique est énorme, Jamie Lloyd mettra en scène le futur nouveau musical d'Andrew Lloyd Webber: The Illusionist. Lloyd Webber (76 ans) a vraiment envie que son nouveau spectacle soit mis en scène par le jeune Jamie Lloyd (43 ans) parce qu'il introduit de nouvelles façons de rêver dans le théâtre musical. "Et en tant qu’ancien maintenant, avoir quelqu’un de plus jeune me met au défi", dit Lloyd Webber. Il note comment le couple a développé une amitié étroite et une relation de travail sur Sunset Boulevard où ils se sont mis au défi. Ils ont réussi à couper deux numéros de Sunset Boulevard sans se brouiller. The Illusionist, ce sera pour 2026 ou 2027.
Tout cela - le Dury Lane, Shakespeare, Gielgud en 1937 qui déclare que Shakepeare au Drury Lane c'est fini, l'amitié Lloyd Webber / Jamie Lloyd, ... - a fait de la création de la mise en scène par Jamie Lloyd de The Tempest au Drury Lane l'ÉVÉNEMENT THÉÂTRAL DE L'ANNÉE.
C'est-dire si je me rends avec empressement au Drury Lane. L'autre spectacle du jour, c'est la toute dernière représentation (closing show) de Guys and Dolls que j'adore. C'est la journée phare de mes deux semaines. Bon, on y va...
Bon, bien sûr, je sais que les critiques sont mauvaises, qu'ils ont dû diviser le prix des places par deux... Mais reste la pièce, Shakespeare, Jamie Lloyd, le Drury Lane, ...
Le spectacle commence dans 1 minute. Où sont les gens?
Vu les bananes, les acteurs ne doivent pas jouer sans micro...
En fait, le pitch de The Tempest est très simple: un équipage d’hommes fait naufrage sur une île magique et est tourmenté par un vieil homme et ses esclaves. Mais c'est tellement plus subtil. Tout commence par une tempête... Au milieu de cette tempête, un navire s’apprête à couler, à son bord se trouvent: Alonso, roi de Naples; Ferdinand, son fils; Sebastian, son frère; Gonzalo, son conseiller; Antonio, duc de Milan; et deux nobles nommés Adrien et Francisco. Ce groupe de nobles rentre en Italie après le mariage de la fille d’Alonso en Tunisie.
Sur une île, la jeune Miranda (15 ans) observe le navire dans la tempête et s’inquiète pour les personnes à bord. Elle demande à son père, Prospero, de calmer la tempête. Prospero a développé des pouvoirs magiques. Il a créé la tempête avec l’aide d’Ariel, un esprit qui est devenu son serviteur. Prospero assure à Miranda que tout va bien. Mais il décide, pour la première fois, de lui parler de son passé. Prospero était duc de Milan, mais, 12 ans auparavant, son frère Antonio l’a renversé avec l’aide d’Alonso, roi de Naples. Prospero a alors été jeté à la mer dans un bateau avec sa fille Miranda, âgée de trois ans, et ils ont atterri sur une île magique dont ils ont fait leur maison. Ils ont réduit en esclavage le seul insulaire autochtone, Caliban. Les seuls autres habitants de l’île sont des esprits, y compris Ariel, que Prospero avait sauvé de son emprisonnement dans un arbre - en échange d’être libéré de l’arbre, Ariel sert maintenant Prospero et exécute ses ordres magiques; Prospero a promis à Ariel que s’il fait tout ce qu’on lui demande, il sera libéré.
Comme Antonio est sur le bateau qu'Ariel a plongé dans une tempête, Prospero espère enfin rectifier son passé. Prospero et Ariel complotent sur ce qu’ils vont faire de ces hommes maintenant qu’ils sont sur le rivage. Les courtisans du navire sont jetés à terre sains et saufs. Mais le roi est au bord du désespoir, croyant que Ferdinand, son fils, s’est noyé. Ferdinand est en fait arrivé sain et sauf dans une autre partie de l’île où il rencontre Miranda et ils tombent instantanément amoureux.
Prospero fait semblant de ne pas être d’accord pour qu’ils se marient tout de suite et teste l’amour de Ferdinand.
Deux des serviteurs d’Alonso, Stephano et Trinculo, font également naufrage sur l’île. Ils rencontrent Caliban, une créature de l’île que Prospero traite comme un esclave. Caliban espère que Stephano et Trinculo l’aideront à se débarrasser de Prospero.
Ariel apparaît à Alonso et à ses nobles et leur dit qu’ils sont punis pour la façon dont ils ont traité Prospero. Alonso s’excuse auprès de Prospero et le fait à nouveau duc de Milan. Prospero révèle alors à Alonso que Ferdinand est toujours en vie et qu’il est fiancé à Miranda. Ariel punit Caliban, Stephano et Trinculo pour avoir essayé de nuire à Prospero et révèle également que le navire est en sécurité et prêt à retourner à Naples. Prospero tient sa promesse et libère Ariel...
Voilà en très très résumé, The Tempest de Shakespeare. Et pour être honnête, je suis vraiment resté sur ma faim. Je ne comprends quasiment aucune des options prises. Tout d'abord, l'île... Pourquoi en faire une énorme colline noire, un terril industriel? On se croirait dans les corons... Alors, bien sûr, on est dans le style-signature de Lloyd: le gris et le noir.
L’atmosphère incessante de l’obscurité n’est pas levée par un mouvement vers l’espoir ou la rédemption. A aucun moment, la forme ne permet de ressentir qu'il s'agit d'une pièce sur la vengeance qui bascule vers le pardon. Bien au contraire. Le ton est monotone, terne, sombre .... Sans le moindre espoir.
Le Prospero de Sigourney Weaver? En résumé, c’est assez simple. Elle est assise et observe tout. Et quand, elle prend la parole, c'est sur un ton lassant, triste, ennuyeux, monocorde. Je ne parle même pas de la musique de la langue shakespearienne qui est ici totalement absente, non, je parle de l'expression de l'acteur qui tente d'incarner un personnage et essaie de lui donner une âme. Prospero est censé diriger ce complot de vengeance initié par la tempête créée par Ariel. Ce qui est très bien réussi, c'est qu'elle arrive à rendre sa transparence totalement omniprésente, car Jamie Lloyd la maintient en scène virtuellement tout le spectacle - hors entracte.
L’atmosphère incessante de l’obscurité n’est pas levée par un mouvement vers l’espoir ou la rédemption. À aucun moment, la forme ne permet de ressentir qu'il s'agit d'une pièce sur la vengeance qui bascule vers le pardon. Bien au contraire. Le ton est monotone, terne, sombre .... Sans le moindre espoir.
Le Prospero de Sigourney Weaver? En résumé, c’est assez simple. Elle est assise et observe tout. Et quand, elle prend la parole, c'est sur un ton lassant, triste, ennuyeux, monocorde. Je ne parle même pas de la musique de la langue shakespearienne qui est ici totalement absente, non, je parle de l'expression de l'acteur qui tente d'incarner un personnage et essaie de lui donner une âme. Prospero est censé diriger ce complot de vengeance initié par la tempête créée par Ariel. Ce qui est très bien réussi, c'est qu'elle arrive à rendre sa transparence totalement omniprésente, car Jamie Lloyd la maintient en scène virtuellement tout le spectacle - hors entracte.
Le scénario complexe a été réduit à deux fois une heure... Cela rend la pièce, ou en tous cas les intentions des personnages, encore plus obscure.
Mais ce qui fait de La Tempête une si grande pièce, c’est sa profondeur émotionnelle et sa sagesse: la grande beauté de son exploration du pardon, de la rédemption et de la renaissance. Prospero est un personnage si étrange et ambivalent qu’il peut y avoir une immense émotion et une complexité morale dans son abandon de la vengeance. Cette complexité et cette intimité humaines sont totalement absentes de la mise en scène de Lloyd. Et c'est beaucoup plus large que la problématique de Prospero. Il n’y a jamais de danger et tout est curieusement immobile, même, par exemple, lors de la réconciliation très chargée entre Ferdinand et son père Alonso, qui croient tous deux que l’autre est mort dans le naufrage.
Allez, pour dire quand même quelque chose de positif, il y a un très beau travail de Mason Alexander Park (ci-contre - que j'ai vu jouer le rôle d'Emcee dans Cabaret au Playhouse) dans le rôle d’Ariel, un être étrange et éthéré avec une superbe voix de chanteur. Il est le seul qui nous donne l'impression d'exister vraiment. On a l'impression de voir un esclave incandescent sur la scène. Descendant menaçant d’en haut des cintres ou traquant les dunes noires enveloppées, il grogne, rugit ou susurre ses lignes avec une intensité sauvage électrisante, puis se lance dans un chant magnifiquement délicat, faisant comprendre l’étrangeté surnaturelle qui imprègne l’île de Prospero...
Lorsque John Gielgud a joué Prospero sur cette scène dans Tempest de Peter Brook en 1957 – la dernière fois donc que Shakespeare a été joué à Drury Lane – il n’était apparemment pas le magicien bienfaisant habituel, mais un humain imparfait, rendu amer par son désir de vengeance. Quand il brisait son bâton, abjurant la magie, cela signifiait quelque chose. À la dernière, quand Gielgud a déclaré que: "Shakespeare ne serait plus jamais joué au Théâtre Royal Drury Lane", il avait raison, car ce spectacle de Jamie Lloyd, ce n'était pas Shakespeare.
Mon avis pour ce spectacle est très clair:
★☆☆☆☆
Espérons, sincèrement, qu'avec le Much Ado About Nothing qui commence en février au Drury Lane, Jamie Lloyd s'y prendra autrement et qu’il donnera tort à Gielgud...