Carnet de voyage

Londres déc '24 - janv '25

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Décembre 2024
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Publié le 12 décembre 2024

Préparer ce qui devient aujourd'hui une habitude - mes deux semaines londoniennes - est déjà un vrai plaisir en soi. Ce sera donc ... 36 spectacles. C'est à la fois beaucoup, mais peu. C'est peu parce que, sur ces 36 spectacles, il n'y en a que 4 que j'ai déjà vus. Tout d'abord, Moulin Rouge!, mais cela devient une tradition depuis 3 ans pour le 31 décembre. Ensuite, Harry Potter and the Cursed Child ... En presque 8 ans et demi de présence au Palace Theatre, je ne l'ai vu qu'une fois, le 20 janvier 2018 avec Alain et Damien... de l'arrière du troisième balcon sur le côté. J'exagère? La preuve en photo:

20 janvier 2018. Plus haut, c'est sur le toit !!!!! 

Cette fois, je suis au milieu des stalls!!! Je vais aussi revoir un de mes coups de foudre de l'an passé: la pièce Stranger Things au Phoenix Theatre. Enfin, je retourne au Bridge Theatre pour la dernière de Guys & Dolls. Ce petit bijou aura tenu l'affiche deux ans au Bridge.

Tout le reste, soit 32 spectacles, c'est du nouveau. Il y aura trois Shakespeare (The Tempest mis en scène par Jamie Lloyd, A Midsummer Night's Dream, transfert de la RSC au Barbican, et Merchant of Venise, une version de la pièce transposée en 1936) mais aussi 5 pantomimes, car ce sont les fêtes. Je vais aussi enfin réussir à voir Operation Mincemeat, l'Olivier Award du meilleur musical, qui se joue dans le petit Fortune Theatre où s'est joué pendant 34 ans The Woman in Black.

Autre particularité, je suis très impatient de voir deux petites formes de spectacles que j'ai vues dans d'imposantes versions: The Producers joué au Menier Chocolate Factory (180 places) que j'avais vu au Drury Lane en 2004 et Oliver! joué au Gielgud Theatre (990 places) que j'avais vu au même Drury Lane en 2008.

Les versions jouées dans le gigantesque Drury Lane 

Je vois aussi deux spectacles de la RSC (Royal Shakespeare Company). Cela faisait longtemps.

J'ai vu beaucoup de revivals de spectacles de Lloyd Webber: Joseph and the Amazing Technicolor Dreamcoat (1968), Jesus Christ Superstar (1970), Evita (1976), Tell Me on a Sunday (1979), Cats (1981), The Phantom of the Opera (1986), Aspects of Love (1989), Sunset Boulevard (1993), Whistle Down the Wind (1996) et The Beautiful Game (2000). Mais j'ai aussi vu les versions originales de The Woman in White (2004), Love Never Dies (2010), The Wizard of Oz (2011), Stephen Ward (2013), School of Rock (2015) et Cinderella (2021). Je n'ai pas vu The Likes of Us (1965), Jeeves (1975) et Cricket (1986). Il faut dire que Jeeves est une pièce de théâtre qui a fait un flop, que The likes of Us n'a jamais été joué par des professionnels et que Cricket, spectacle de 30 minutes écrit pour les 60 ans de la Reine Elisabeth, n'a été joué que 3 fois... Et je n'ai pas été invité aux 60 ans d'Elisabeth II. Il est donc un peu normal que je ne les ai pas vus.

Mais il en manque un à la série: Starlight Express, cette folie écrite en 1984 qui raconte l’histoire d’une jeune mais obsolète locomotive à vapeur. Tous les acteurs sont sur patins à roulettes et il y a des pistes qui traversent toute la salle. Le spectacle s'est joué pendant 18 ans (du 27 mars 1984 au 12 janvier 2002, soit 7.409 représentations) à l'Apollo Victoria Theatre, ne s'arrêtant qu'avec le manque de public dans les salles suite aux attentats du 11 septembre 2001. Il se joue depuis le 12 juin 1988 au Starlight Express Theater à Bochum, en Allemagne, soit depuis 35 ans! Et près de 20 millions de spectateurs... Je me suis toujours dit que j'allais aller à Bochum mais je ne l'ai jamais fait. Et maintenant voilà enfin le spectacle de retour à Londres, au Wembley Park Theatre où j'avais vu Newsies l'an dernier. Super super content d'enfin voir ce spectacle.

La scène et les stalls de l'Apollo Victoria Theatre pendant Starlight Express 

Je n'ai qu'un vrai regret. Natasha, Pierre & The Great Comet of 1812 au Donmar Warehouse. Toutes les dates sont pleines. Je rêve depuis 10 ans de voir ce musical. Croisons les doigts pour qu'après la série au Donmar on ait un "West End Transfert"

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Publié le 28 décembre 2024

Et bien voilà, on y est. Shirley Valentine part à Londres. Ticket, passeport, argent. Argent, passeport, ticket. Tout est là. Prêt à partir, il est 6h50. Alain passe me chercher à 7h25. Je suis prêt pour mon voyage annuel à London. Pendant l'attente, j'essaie de me souvenir déjà des spectacles que je vais voir. À part les deux d'aujourd'hui, rien ne me vient.

Alors je me souviens que l'an dernier, à la même époque j'abandonnais Ludwig aux bons soins d'Alain pendant deux semaines. Aujourd'hui, le divan est vide.

 2024 n'est pas 2025

Mais vais-je savoir escalader les marches de l'Eurostar? Cela ne fait que 6 jours que j'y pense. Enfin on va voir. À 59 ans, c'est vieux pour se lancer dans Koh-Lanta.

Arrivée à 7h40 - merci Alain - pour le train de 8h52, cela devrait aller. Mais il y a 4 rangs de files en zigzag dans le hall de la Gare du Midi. Avant même d'entrer dans le terminal Eurostar où la file se perpétue... Heureusement qu'ils avaient envoyé un mail pour dire que le train était plein et qu’il fallait arriver à temps.

Mais le "Monsieur aux deux euros" ne fait pas la file!!!! Enfin, plutôt, le "Monsieur à la béquille" ne fait pas la file. Une gentille hôtesse d'Eurostar a vu ma béquille et je suis passé par la file "mobilité réduite" et, en 4 minutes j'avais fait mon contrôle des bagages et le double contrôle des passeports. 7h47, je suis assis dans la salle d'attente. À attendre...

Et là encore, on va s'occuper de moi. Un monsieur, cette fois, voyant ma béquille, vient me dire: "Monsieur, vous ne devez pas rester là. Venez avec moi en accès prioritaire". Trois minutes plus tard, je suis entre deux chaises roulantes, une femme qui doit être presque en train d'accoucher et une autre qui allaite un nourrisson qui a dû naitre dans la nuit. On va partir pour le train 10 minutes avant les passagers "normaux" pour que l'on n'ait aucun problème. Je n'ai plus peur de ne pas savoir monter les marches du train parce que je crois que s'i je n'y arrive pas, ils sont capables de me porter jusqu'au wagon et de me déposer à mon siège.

2h30 plus tard et des Français (montés à Lille) qui râlent parce que les quatre places qu'ils ont (2 et 2 en face-à-face) ne sont pas toutes dans le sens du train. C'est difficile quand on veut être face à face! Enfin, Londres et un taxi pour aller à l'hôtel, parce que la valise dans les escaliers du métro, non merci.

Je suis donc à l'hôtel à 10h30 heure de Londres pour mon chek-in à partir de 15h... Il n'y a évidemment aucune chambre de libre. Je vais donc découvrir ce nouveau quartier, puis me sustenter avec mon premier "Prêt à manger du séjour":

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Publié le 29 décembre 2024

Je mets toujours en premier, surtout l'après-midi, un spectacle que je n'ai pas trop envie de voir. Dans ce cas, ce que je considère comme un juke-box musical, "MJ the Musical". C'est clairement un juke-box et rien que ça. C'est étonnant de se dire que la production a eu 10 nominations aux Tony Awards à Brodway, vraiment...

En fait, j'ai un peu ressenti le syndrome "Starmania" avec en plus le handicap du Juke-Box. Les chansons sont exceptionnelles. Que cela soit la qualité du chant (MJ est joué par le fascinant Myles Frost qui a créé le rôle à Broadway), par la qualité du son, des effets visuels ... et de la danse. Putain la danse!. Mais.... En dehors de cela, lqu'est-ce que c'est creux et mièvre. Il y avait déjà eu à Londres un Juke-Box musical en 2009, "Thriller Live", qui avait tenu 10 ans au "petit" Lyric Theatre, mais il avait eu comme publicité - si on peut dire cela - la mort inopinée de Michael Jakson dans les trois premiers mois du spectacle. Il s'agissait d'un petit spectacle honnête, un peu cheap. Tout le contraire de "MJ the Musical" joué dans le gigantesque et majestueux Prince Edward Thetare. Et il s'agit cette fois volontairement d'un spectacle qui arrache.

À la différence de "Thriller Live" qui se raconte la vie de MIchael Jackson de manière chronologique depuis les Jackson Five jusqu'à ses plus grands succès, "MJ succès" opte de se fixer à un moment précis : nous sommes en juin 1992, et les membres de la distribution se préparent pour les répétitions de la prochaine tournée mondiale de Michael pour le Dangerous World Tour. Deux journalistes sont présents voulant faire une interview sur le processus créatif de MJ et ils posent des questions du type "Comment on écrit une chanson?", ce qui nous permet de nombreux flashbacks où cohabitent le MJ de 1992 et, par exemple, le MJ enfant... Bonne idée, mais mal exploitée. Le rideau d'entracte montre quelque part ce qu'ils ont essayé de faire en laissant des tas de notes prises à la main par Michael, se demandant comment se "cultiver musicalement" pour élargir sa culture musicale et devenir capable de faire des compositions uniques.

Il y a une très belle scène où on le voit s'inspirer de Fred Astaire puis de Bob Fosse.

Voilà, bon moment, mais sans plus.

Ce qui m'amuse c'est d'enchaîner des spectacles aussi différents que "MJ The Lusical' et "Lehman Trilogy". Vive Londres et sa vraie diversité.

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Le "New London Theatre", devenu "Gillian Lynne Theatre", je crois que je n'y ai vu que des spectacles que j'ai aimé (War Horse, School of Rock, Bad Cinderella, Crazy for You, ...) et un terrible flop que j'ai aimé (Gone with the wind).

Je suis un peu tôt donc je vais manger un petit bout en face dans un resto bobo-écolo: on reçoit un apéro au jus de carottes si on s'installe au bar et que l'on pédale pour donner du courant à l'établissement. Avec des tables en bois, des chaises en bois, des couverts en bois ... Des pizzas avec du chorizo-végétal ... mais je dois l'avouer très bon et très chouette personnel. C'est drôle de voir cela avant un spectacle sur le capitalisme.

Bon, allez, en route pour The Lehman Trilogy. J'avais vu la pièce au Rideau de Bruxelles, avec Pietro Pizzuti, entre autres. J'en ai un magnifique souvenir. Ici, à la mise en scène, reine de moins que Sam Mendes. Le gars qui a créé le Donmar Warehouse en 1992 - sublime théâtre - et l'a dirigé pendant 10 ans. La plupart des gens le connaissent pour ses films, dont son premier "American Beauty". Rien qu'en comédie musicale, il a mis en scène le magnifique Charlie and the Chocolate Factory et, bien sûr, le Cabaret de 1998 qui a recréé une version standard de Cabaret, presque une recréation. Alors c'est dire mon impatience de le voir s'attaquer à The Lehman Trilogy.

Cette pièce est en trois parties, reprenant trois époques du trajet de l'"aventure économique Lehman". Elle suit la vie de trois frères immigrants depuis leur arrivée de Bavière en Amérique et la fondation d’une société s'investissement jusqu'à l'effondrement de Lehman Brothers en 2008.

Ce que j'adore à cette mise en scène de Sam Mendes, c'est qu'elle est tout sauf manichéenne. Et que l'on ressent que c'est avant tout le travail d'une équipe créative où chaque élément sert tous les autres. La musique, par exemple, jouée en live par une pianiste, est excessivement présente (amplification) et en interaction permanente avec le grand écran circulaire qui se trouve derrière le bloc central où jouent les acteurs. On le voit bien sur le trailer ci-dessous.

Cette fusion - et il n'y a pas d'autre mot - entre la musique, la scénographie et le jeu des acteurs nous amène à nous présenter l'histoire d'un monde complet. Pas l'histoire d'êtres humains dans un monde ou celle d'un monde avec des êtres humains, mais la complexité des deux en même temps.

L'idée de génie, selon moi, est de faire jouer toute la pièce dans un bureau (de la direction ?) de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, lorsqu'une une colonne de fourmis, les employés licenciés sortent, portant des boîtes de rangement remplies de BlackBerry, de cadres photo et de trophées. La quatrième plus grande banque d’investissement de Wall Street s’était effondrée. Le premier domino était tombé. La crise du crédit était arrivée.

Et les premières scènes, quand on voit arriver, les uns après les autres, ces trois immigrants allemands, on est admiratifs. De la Bavière au conseil d’administration, nous en venons à comprendre comment l’ambition se transforme lentement en cupidité qui se durcit encore plus dans l’indifférence égoïste. Mais, remarquablement, dans ce récit, il n’y a pas de jugement, pas de polémique, juste des observations aiguës des faiblesses humaines.

Tout commence donc avec trois frères arrivés de Bavière dans les années 1840 avec peu d’argent et encore moins d’anglais, ce qui a entraîné l’anglicisation de leurs noms juifs par l’immigration. Après avoir modestement ouvert une boutique en Alabama, puis s’être développé en achetant et en vendant du coton, les affaires vont bien. Et la situation s’améliore encore lorsque Henry, Emanuel et Mayer deviennent des intermédiaires, accordant des prêts, augmentant leurs profits de manière exponentielle, déménageant à New York et finissant par devenir une véritable banque. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner?

Alors que nous voyons le trio vieillir et la prochaine génération prendre le relais, nous nous dirigeons vers le krach de Wall Street. Les courtiers sautent des gratte-ciel, d’autres se font sauter la cervelle. C’est un bain de sang, tant au sens propre que financier. Les Lehman peuvent-ils survivre ? Il y a une tendance cynique en jeu alors qu’ils trouvent un moyen de rester à flot et se rendent compte qu’il y aura de riches récoltes pour eux s’il y a une guerre.

C’est donc l’histoire d’une entreprise familiale. Et c’est tout à fait captivant, construit sur une narration à l’ancienne hyperdétaillée et étonnamment pleine de blagues. On nous raconte une histoire qui a une saveur de vérité imprévisible et irrésistible. Il est surprenant de voir comment Henry meurt après seulement quelques années; comment le trio n’avait pas l’intention de devenir banquiers, mais y a été lentement forcé de s’adapter aux marées fébriles de l’Amérique; comment le fils d’Emanuel, Philip, est si totalement différent de son père et de ses oncles sérieux à l’esprit sérieux, une créature née à New York, qui supplante et surpasse bientôt son père.

Bien sûr, c’est aussi une histoire sur l’Amérique. Les Lehman ont vécu une histoire sérieuse. Ils sont arrivés alors que le pays était encore jeune et accueillaient tous ceux qui se présentaient à ses quais; après s’être installés dans le Sud, leur vie a été profondément ébranlée par la guerre civile; plus tard, Philip et son fils rebelle, Bobby, doivent négocier les horreurs du krach de 1929 à Wall Street.

C’est magnifiquement détaillé, et déplace souvent les projecteurs loin des Lehman eux-mêmes afin de mieux expliquer l’époque – par exemple, une séquence presque rituelle sur les agents de change qui se sont suicidés le matin du krach. Les projections monochromes de Luke Halls sur le vieux New York sont ravissantes. Vous pouvez voir pourquoi cela a si bien marché à Broadway: c’est plein d’émerveillement devant l’évolution turbo de l’Amérique.

Les trois acteurs sont PRODIGIEUX. Ici encore, on ne peut employer un qualificatif moins fort. John Hefferman (qui joue Henry Lehman - la tête des trois frères, comme ils disent), Howard W. Overshow (Emanuel Lehman - les bras) et Aaron Krohn (Myer Lehman - l'arbitre entre les deux autres frères). Mais ils jouent tous trois pleins d'autres rôles pendant ces 3h40.

 De g. à dr.:  et Aaron Krohn (Myer Lehman), Howard W. Overshow (Emanuel Lehman) et John Hefferman (Henry Lehman)  

Et puis il ya la scène finale, où l'on retrouve les trois frères du début qui font leur conclusion sur ces 170 ans et on se rend compte que leur rêve initial a été trahi. À la fin de leurs discours, on s'apprête à applaudir, mais entre sur le plateau, une vingtaine d'employés de Lehman Bros en 2008. Ils viennent prendre leurs effets personnels dans des cartons, leur entreprise venant de faire faillite. Il s"immobilisent. Deux groupes nous regardent en silence, les trois frères en 1840, les employés en 2008. Trois heure quarante résumés en une image...

Restons vigilants et n'oublions pas les autres.

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Londres, au théâtre, durant les fêtes, c'est bien sûr les spectacles de toute l'année, plus quelques pantomimes à grand spectacle (au Palladium entre autres) mais aussi tous des spectacles pour enfants. Et comme tous les théâtres sont occupés, jouant souvent déjà deux fois (14h30 - 19h30), ils accueillent les spectacles pour enfants en matinées - le mot n'a jamais aussi bien son nom, car ils se déroulent à 10h30 ou 11h00 ... du matin. Des décors ou des tabs cachent le décor du spectacle du soir. Et cela permet de présenter des spectacles à moindre coût car ils bénéficient de toute la technique - dont le son - du lieu. Cela permet de présenter de magnifiques spectacles musicaux pour es enfants. Ils se jouent une trentaine de fois dans des salles pleines, soit près de 700 à 1500 spectateurs à chaque représentation. Et des mini-spectateurs en nombre.

The Smartest Giant in Town raconte l'histoire d'un géant qui vit dans une ville et il ne trouve rien pour s'habiller. Ouvre un magasin grandes tailles et enfin, il ne doit plus vivre en guenilles. Le voilà en veston-cravate et il a enfin des chaussures et des chaussettes. Il est le "smartest in town". Mais...

Il croise une girafe qui a froid vu son long coup. Et qu'est-ce qui peut servir d'écharpe à une girafe? Une cravate de géant. Et comme la cravate du géant sur scène n'est pas assez grande, quand il l'enlève pour la donner à la girafe, il la laisse tomber par terre et, quand il la ramasse, il s'agit d'une vraie écharpe géante. Cela va devenir un running gag que les enfants vont tous comprendre très vite. Et répéter en cœur ce que le géant dit systématiquement: "Oh je suis maladroit".

Il croise ensuite des souris dont la maison vient de brûler. Et qu'est qui peut abriter une famille de souris? Les chaussures d'un géant.

Et puis sa chemise va servir pour les voiles d'un bouc dont le bateau a traversé une tempête.

Sa chaussette va servir de sac de couchage à un renard. Et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il se retrouve en caleçon. Quelle solution lui reste-t-il? Retourner au "magasin grandes tailles". Mais il est tard et tout est fermé. Devant le magasin, dans un sac poubelle, il retrouve ses guenilles qu'il est très content d'enfiler. Il n'est plus le "smartest giant in town" mais il a aidé les autres et a maintenant des amis. Car, après tout, qu'est-ce que le "paraître"?

Ce qui est très bien pensé, c'est évidemment l'interaction avec la salle. Au fur et à mesure du spectacle, une chanson se construit à chaque rajout ou enlèvement d'un élément de costume. Cela commence par quelque chose du type "Je suis le géant de la ville et je vis en guenilles". Puis s'y rajoute "Je suis devenu le plus beau, car j'ai des vêtements chic" puis "Je n'ai plus de cravate mais la girafe a chaud au cou". Et ainsi de suite avec une chanson qui dure près d'une minute et que toute la salle, enfants compris, chante en cœur.

Tout simple? Peut-être, mais tellement bien fait.

Et bien voilà un bien beau début de journée... Il faut qu'on sorte parce que, dans moins de deux heures, dans ce même théâtre se joue la 29.896ème représentation The Mousetrap d'Agatha Christie. Elle se joue depuis le 6 octobre 1952 soit 72 ans. Treize ans avant ma naissance!!!

29
déc
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Commençons par le trailer... Cela montre déjà à quel point c'est déjanté. Pour les initiés, on dirait un spectacle de la Cie Jean Bertoche, il y a 25 ans ... mais avec des moyens.

Commençons par signaler que jouer une adaptation de A Christmas Carol ("Un chant de Noël") de Dickens à Londres tient de la tradition. Elles sont parfois maladroites, parfois magiques (celles de l'Old Vic déjà reprise 4 années de suite fait partie de celles-là) et cette année, il n'y en a que 11 qui se jouent dans les différents théâtres!!! Celle du @SohoPlace est une véritable bouffée d’air frais hivernal. Parce que ce n’est pas vraiment une adaptation de A Christmas Carol, tout en l'étant. C'est déjà à ce niveau que le délire commence...

Sous prétexte, ce qu'il nous explique, de ne pas avoir reçu l'autorisation des ayants droit de Dickens d'adapter A Christmas Carol, Mr Swallow garde la même histoire, mais en l'adaptant ... un peu. Scrooge est transformé en "Père Noël", Jacob Marley (l'ancien associé de Scrooge) est ici un renne qui s'appelle Rudolf Hess, ... Une des actrices - ils sont 4 en tout - garde son GSM sur elle, car elle attend un coup de fil d'Andrew Lloyd Webber pour une éventuelle reprise de Sunset Boulevard.

C'est la première fois au @SohoPlace que je vois un spectacle qui n'est pas monté en circulaire. C'est là, entre autres, que j'avais vu le sublime "The Little Big Things" l'an dernier. Ce tout nouveau théâtre (moins de 2 ans) est d'une modernité sans nom...

À gauche "The little Big Thing", dispositif circulaire l'an passé et cette année, dispositif frontal pour "A Christmas Carol(ish) 

Les deux photos sont prises à peu près au même endroit dans la salle, à un an d'intervalle.

Ce spectacle est créé par ce que l'on appellerait chez nous un humoriste, Nick Mohammed. Mais dans son cas, c'est trop limitatif, car il s'agit d'un véritable auteur de textes théâtraux et de chansons. Il est impossible de retranscrire ce qu'est vraiment ce spectacle, car il y a un gag par minute. Par exemple, dans une des scènes, un moment vraiment fou de la seconde partie, Marie donne naissance à Jésus, tandis que M. Swallow alias le père Noël, alias Scrooge, est la sage-femme (qui suit ?). En plus, comme il s'agit d'une poupée, on rit follement quand Jésus perd sa tête et que l'on se lance dans une partie de football sportive pour récupérer la tête du petit Jésus. Irrévérencieux peut-être, mais la salle entière hurle de rire.

La scénographie fait partie intégrante de l'histoire. Sur toute sa hauteur, on y trouve des trappes, des portes secrètes, des tiroirs et des tapis roulants qui ajoutent au chaos contrôlé. Le père Noël fabrique des cadeaux de Noël mais fait tout pour ne pas les distribuer, car, comme il est censé les donner, cela lui coûte de l'argent. Et, pour ne pas donner de spoilers, la rédemption finale de M. Swallow pousse le manche décor à de tels extrêmes que c’est vraiment terrifiant !

Il y a bien sûr un spectateur qui monte sur scène et on fait référence à lui à de nombreuses reprises...

Enfin, je pourrais en parler des heures. Un magnifique moment de rires.

Et pour patienter pour le spectacle suivant, une petite pause au bar du @SohoPlace

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Publié le 1er janvier 2025

Ce spectacle fait partie de ceux que j'attends avec impatience. Lucas a été le voir à Londres avec son école et il paraît que c'est génial. C'est un "mélange" un peu bizarre en ce sens que c'est l'adaptation du mythe grec d'Orphée et Eurydice, ramené dans une ambiance intemporelle même si elle ressemble à l'Amérique de la grande dépression dans les années '30.

L'auteure du musical, Anaïs Mitchel - elle avait 35 ans quand Hadestown a été créé - a légèrement modifié ce mythe grec. Dans la mythologie, le jour même de ses noces avec Orphée, Eurydice, fuyant le Dieu Aristée qui l'importune, est mordue par un serpent caché dans les hautes herbes. Elle en meurt et descend au royaume des Enfers. Orphée, inconsolable, y descend à sa suite et après avoir endormi de sa musique enchanteresse Cerbère, le monstrueux chien à trois têtes (cela rappelle Harry Potter, non?) qui en garde l'entrée, et les terribles Euménides, peut approcher le dieu Hadès, et son épouse Perséphone. Il parvient, grâce à sa musique, à le faire fléchir, et celui-ci le laisse repartir avec sa bien-aimée à la condition qu'elle le suive en silence et qu'il ne se retourne ni ne lui parle tant qu'ils ne seront pas revenus tous deux dans le monde des vivants. Alors qu'il s'apprête à sortir des Enfers, Orphée, n'entendant plus les pas de sa bien-aimée, ayant peur que son amour lui échappe et impatient de la voir, se retourne imprudemment, la perdant à jamais.

Ce qui est magique avec la tragédie grecque, c'est que l'on sait que cela va mal finir. Les couteaux sont finement aiguisés, leurs lames brillent au soleil et à la lune, avant de finir maculées de sang.

Dans Hadestown, Orpheus n'est pas le sublime musicien qu'il est dans la mythologie. Non, il écrit sa première chanson, mais manque de sûreté en lui. L'Orpheus de Hadestown est fragile. Eurydice est une jeune femme pauvre qui cherche à survivre. À leur première rencontre, Orphée, a un coup de foudre pour Eurydice et lui demande de l’épouser. Eurydice est dubitative, car ils vivent tous les deux dans la pauvreté. Orphée lui dit qu’il est en train d’écrire une chanson pour faire revenir le printemps, et qu’ils n’auront plus à se battre...

 Orpheus
 Perséphone et Hades

C'est là qu'apparait le second couple. Perséphone (la Déesse des saisons, des fleurs, des fruits et des céréales. Elle passe la moitié de l’année avec Hades dans les Enfers, causant l’automne et l’hiver au-dessus. L’autre moitié, elle retourne chez sa mère, apportant avec elle le printemps et l’été) arrive dans le monde d’en haut et célèbre l’été, tandis qu’Eurydice commence à tomber vraiment amoureuse d’Orphée. Hadès arrive vite pour récupérer Perséphone. Dans cette version moderne, Perséphone joue la fêtarde pour atténuer son désenchantement de son mariage (Dieu de la Mort), et elle exprime sa misère de devoir retourner à Hadestown, l’usine souterraine d’Hadès. Bien qu’elle entende parler du travail harassant enduré par les ouvriers de l’usine, Eurydice est intriguée par les louanges chantées par les Parques (dans la mythologie, les divinités maîtresses de la destinée humaine, de la naissance à la mort) ainsi que par la promesse de protection qu’offre Hadestown. Le froid revient et Eurydice cherche de la nourriture et du bois de chauffage, exhortant Orphée à terminer sa chanson. Orphée continue de travailler sur sa chanson.

Hadès tombe sur une Eurydice désespérée et l’invite à venir à Hadestown. Avec le froid qui monte et l’estomac vide, Eurydice ne voit pas d’autre choix que de suivre Hadès. Elle chante ses adieux à Orphée avant de se rendre à Hadestown alors que les Parques critiquent le public pour d’avoir jugé Eurydice d'avoir choisi son intérêt personnel plutôt que l’amour (« Gone, I’m Gone »). Orphée découvre la disparition d’Eurydice et décide de la sauver d’Hadestown. Il se lance dans son voyage en utilisant les instructions d’Hermès pour se rendre à Hadestown. Dans la mythologie grecque, Hermès (photo à droite) est le messager des Dieux. Dans certaines versions, c’est Hermès qui a appris à Orphée à jouer de la lyre. Dans cette version, il est un narrateur sage du monde, maître de cérémonie, ami et mentor d’Orphée. Dans la version actuelle, le rôle est joué par une femme, ce qui n'était pas le cas à Broadway.

Eurydice arrive à Hadestown et signe le contrat, devenant officiellement un ouvrier.

Très vite, Eurydice se rend compte des conséquences de son choix d’aller à Hadestown: elle deviendra bientôt une ouvrière oubliée et ne pourra jamais partir. Orphée arrive à Hadestown et promet à Eurydice qu’il la ramènera chez lui. Hadès apparaît et lui rappelle qu’Eurydice a volontairement signé le contrat, ce qu’Eurydice confirme à regret. Orphée jure de trouver un moyen de libérer Eurydice, ralliant les ouvriers et attirant l’attention de Perséphone dans cette "révolte".

Eurydice et Oprheus 

Perséphone est inspirée et admire la détermination d’Orphée et supplie Hadès de laisser partir Eurydice). Alors que les ouvriers commencent à vraiment remettre en question la liberté qui leur a été promise, Hadès, à contrecœur, propose à Orphée de chanter sa chanson terminée, menaçant de le tuer par la suite. Orphée chante sa chanson, mais cette chanson a un effet inattendu: elle rappelle à Hadès son amour pour Perséphone. Hadès et Perséphone se réconcilient, après quoi Orphée et Eurydice promettent de rester ensemble peu importe la difficulté de la vie. Orphée demande à Hadès s’ils peuvent partir, et Hadès lui dit qu’il n’a pas pris de décision. Les Parques se moquent d’Hadès pour son dilemme : s’il tue Orphée et garde Eurydice captive, ils deviennent des martyrs, mais s’il les laisse partir, il perd le contrôle de ses ouvriers car ils ont commencé à s’agiter pour leur liberté. Hadès décide de laisser partir Orphée et Eurydice à une condition : Orphée doit les faire sortir. S’il se retourne pour confirmer qu’Eurydice le suit, elle retournera à Hadestown et y restera pour toujours.

Hermès explique les règles à Orphée et Eurydice, et ils commencent leur trajet sous le regard des ouvriers qui les voient comme un signe d'espoir. De leur côté, Perséphone et Hadès décident de donner une autre chance à leur relation. Au moment où Orphée arrive à la fin de son trajet, il est submergé par le doute et se retourne, condamnant Eurydice à retourner à Hadestown.

A la fin du spectacle, Hermès réfléchit à cette sombre histoire et à la raison pour laquelle elle doit être racontée encore e toujours. On se retrouve donc au début et la troupe recommence à la raconter.

Après les saluts, la distribution rend hommage à Orphée pour son optimisme et sa bravoure:

Ce musical est une petite merveille. Et le fait qu'il soit écrit par une toute jeune femme dont c'est le premier musical est super encourageant. Une nouvelle génération serait-elle en train d'émerger. Des gens qui osent écrire de vrais musicals sans se limiter à des juke-box musicals efficaces, mais dénoués de toute inventivité? C'est le cas des deux auteurs de Come from Away, mais aussi du sublime The Little Big Thing découvert l'an passé au @SohoPlace et le touchant The Time Traveller's Wife vu l'an dernier à l'Apollo Theatre.

Les paroles et la musique (même si jazzy) sont magnifiques. Pour s'en rendre compte, une petite vidéo, enregistrée aux Olivier Awards en 2024. C'est la chanson "Wait for me" durant laquelle Hermès annonce à Orpheus et Eurydice ce que Hadès a décidé.

L'intelligence de Hadstown – et c’est un musical incroyablement intelligent – est qu'il transforme cette histoire séculaire et la fait rejaillir dans de nombreuses directions. Hadès, le patron des Enfers est un dirigeant qui extrait les minéraux de la terre, offrant à sa main-d’œuvre esclave la « liberté » en les emprisonnant derrière un mur. (L’actualité de « Pourquoi nous construisons le mur » doit être entendue pour être crue.)

HADES

Why do we build the wall?

My children, my children

Why do we build the wall?

CERBERUS

Why do we build the wall?

We build the wall to keep us free

That's why we build the wall

We build the wall to keep us free

HADES

How does the wall keep us free?

My children, my children

How does the wall keep us free?

CERBERUS

How does the wall keep us free?

The wall keeps out the enemy

And we build the wall to keep us free

That's why we build the wall

We build the wall to keep us free

HADES

Who do we call the enemy?

My children, my children

Who do we call the enemy?

CERBERUS

Who do we call the enemy?

The enemy is poverty

And the wall keeps out the enemy

And we build the wall to keep us free

That's why we build the wall

We build the wall to keep us free

HADES

Because we have and they have not!

My children, my children

Because they want what we have got!

CERBERUS

Because we have and they have not!

Because they want what we have got!

The enemy is poverty

And the wall keeps out the enemy

And we build the wall to keep us free

That's why we build the wall

We build the wall to keep us free

HADES

What do we have that they should want?

My children, my children

What do we have that they should want?

CERBERUS

What do we have that they should want?

We have a wall to work upon!

We have work and they have none

And our work is never done

My children, my children

And the war is never won

The enemy is poverty

And the wall keeps out the enemy

And we build the wall to keep us free

That's why we build the wall

We build the wall to keep us free

We build the wall to keep us free

C'est la chanson qui finit le premier acte. Cela ne vous rappelle pas le mur de Trump pour se "protéger de la pauvreté"?

Autre transformation brillante: Orpheus et son amour Eurydice ne sont pas des esprits féeriques, mais un pauvre garçon et une fille affamée. Et comme si cela ne suffisait pas, le génie a été de prendre ces idées et de les placer dans une sorte de bar clandestin de l’époque de la Dépression, où un groupe live joue cette musique follement jazzy.

Donc, pour récapituler, nous sommes dans un bar, c’est aussi la Grèce antique, c’est aussi l’Amérique de l’époque de la Dépression, c’est aussi le présent général, dans un spectacle qui parle des préoccupations de toutes ces époques : les tyrans, la pauvreté, l’amour perdu.

Ce soir, après le spectacle, je me sens à la fois impressionné et inspiré, ému, stupéfait, brisé et ravi. Il n’y a pas vraiment d’adjectifs pour décrire à quel point ce spectacle est sincère et spécial. Ce n’est pas seulement une pièce de théâtre de qualité fantastique, mais c’est aussi un poème, un concert, une célébration de la vie et de l’humanité, une ode à la musique et surtout, une histoire d’amour.

Hadestown est plus qu’un musical, c’est une expérience, un témoignage du pouvoir durable de l’art de toucher au plus profond de nos âmes. C’est une perle rare qui brille de mille feux dans le paysage du théâtre contemporain, un rappel que parfois, même dans les moments les plus sombres, il y a encore de la beauté à trouver.

PRODIGIEUX. Deux jours et déjà deux chocs: The Lehman Trilogy et Hadstown. Pourvu que ça continue.

30
déc
30
déc

Vous reconnaissez? C'est le Lyric Theatre, là où j'ai vu hier soir Hadestown. Ce matin ce sera Room on the Broom.

L'histoire est relativement simple: la sorcière et son chat voyagent sur leur balai lorsqu’ils prennent des auto-stoppeurs – un chien sympathique, un bel oiseau vert et une grenouille frénétique. Mais ce balai n’est pas destiné à supporter cinq passagers et – CRACK – il se casse en deux... Juste au moment où le dragon affamé apparaît !

Pour des raisons de sécurité, dans tous les théâtres des fouilles de sécurité ont lieu sur les trottoirs - de sorte qu'en cas d'explosion terroriste les dégâts soient oplus limités qu'à l'intérieur. Hier à Hadestown, il y avait une file de près de 100M devant le théâtre. Et bien ce matin, rebelote, une file d'au moins 75m. Le théâtre (900 places est à nouveau plein).

Le spectacle commence avec 4 campeurs qui aperçoivent, en pleine forêt, une sorcière volant sur un balai au-dessus de leur tête. En quelques instants, ils plantent le décor de ce qui promet d’être une aventure magique. Ils nous emmènent aussi du monde réel au monde imaginaire.

La sorcière et le chat explorent la façon dont une amitié peut changer lorsque de nouvelles personnes se présentent. Cela donne aux enfants un message doux qu’il y a toujours de la place pour de nouveaux amis, tout en valorisant les anciens.

Il n'y a pas grand-chose à critiquer dans ce spectacle, mais je crois qu'il s'adresse plus exclusivement aux enfants que celui d'hier. Il n'y a pas de "double lecture" enfant/adulte.

Et les enfants ont adoré...

Signalons que ce spectacle a été nominé aux Olivier Awards pour les enfants de 3 ans et plus.

Voici le trailer du passage précédent du spectacle à Londres à l'été 2022.

30
déc

Bon, selon ce qui se dit un peu partout, cela ne devrait pas être nul...

Un petit trailer pour vous mettre en appétit?

Le succès semble en tous cas être au rendez-vous: "House is Full", c'est complet!

J'ai vu un certain nombre de spectacles dans ce petit théâtre, le plus petit du West End (400 places) dont Stomp qui s'y est joué dix ans. On y était super mal installé: aucun 'legroom', place pour les jambes. Mais, grâce au COVID, le théâtre a été complètement ré-aménagé passant de 444 à 400 places, et installant un ascenseur, permettant aux spectateurs d'accéder aux stalls sans devoir monter ou descendre une marche. J'ai adoré. Il a aussi été rénové. Il semble tout neuf...

C'est toujours très gai de voir le décor avant le début du spectacle, car cela amène plein de questions du style: "Comment vont-ils faire pour...". Mais ici, vu l'histoire qu'ils vont raconter, les questions sont encore plus vivaces.

The Curious Case of Benjamin Button (L'Étrange Histoire de Benjamin Button) est à l'origine une nouvelle écrite en 1922 par F. Scott Fitzgerald. J'ai bien sûr vu le film, mais ce qui est possible au cinéma est parfois plus complexe au théâtre. Le livret de Compton est cependant très différent de celle de Fitzgerald et du scénario du film de David Fincher de 2008 avec Brad Pitt. Pour commencer, il ne se déroule pas dans l’Amérique du XIXe siècle, mais est pratiquement une lettre d’amour à la Cornouailles natale de Compton, son histoire s’étendant sur une grande partie du XXe siècle.

L’intrigue de Fitzgerald est vaguement suivie, mais fortement "bricolée" – l’un des changements les plus significatifs est de faire naître le Benjamin du musical avec un esprit et un vocabulaire d’adulte complets plutôt que de commencer sa vie comme un bébé dans le corps d’un vieil homme.

Plus précisément, il a une joie, une romance et un élan au grand cœur qui contrastent fortement avec le cynisme de Fitzgerald et la tristesse du film de Fincher. En effet, malgré des notes tragiques dès le départ – la mère de Benjamin se suicide très tôt – le ton est largement fantaisiste et optimiste.

Le voici donc, Benjamin Button, à la naissance, c'est-à-dire vieux. Interprété par le sublimissime John Dagleish

John Dagleish incarne Benjamin Button et il délivre une performance émouvante combinant la physique d’un vieil homme avec les expressions d’un enfant abandonné. On dit à Button qu’il est un monstre – sa mère lui chante une berceuse sombre et brûlante. Ce rejet créera en lui une honte tenace, dont il ne se débarrassera que très difficilement, longtemps après avoir rencontré Elowen, l’amour de sa vie.

Peu à peu, une histoire prend forme, alors que Benjamin commence à s’irriter contre son père qui le garde tout le temps à la maison, et commence à se faufiler au pub local où il rencontre la barmaid à l’esprit libre, Elowen (Clare Foster). Ce spectacle n'est jamais drôle ou comique. Non, il est beaucoup mieux que cela. Il est tendre. On a plein de sourires affectueux. Par exemple, dans le bar, lors de leur première rencontre, Eloween lui demande ce qu'il veut boire. Comme un enfant, il répond: "Une bière". Elle lui dit: "Quelle bière?" et lui ne peut répondre que : "Une bière". Il ne sait même pas ce que c'est une bière. Alors imaginer qu'il y en a des centaines. Et c'est là qu'on sourit avec tendresse.

L’Elowen de Clare Foster est impertinente, sûre d'elle et a une voix stupéfiante.

Au fil des années, les deux sont attirées l’un par l’autre – elle a un faible pour les hommes plus âgés – mais des rebondissements les séparent pendant des années, jusqu’à ce qu’ils se croisent par hasard pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’ils ont presque le même âge. Nous sommes la veille du débarquement en Normandie auquel il va participer.

Suite à cette nuit d'amour, ils auront un fils, qu'il découvrira de nombreuses années plus tard. À cette époque, Benjamin aura l'âge physique de son fils. Magnifique confrontation, arbitrée par Elowen devenue "vieille".

 Benjamin Button avec son fils ... qui a son âge.

Ce musical ose, et assume, la poésie. Benjamin est très concret, très terre-à-terre. Elowen beaucoup moins. Elle aimerait qu'il apprenne à rêver. Et son rêve va concerner ... la lune. Dans les années '30, son sens du concret lui permet de rêver qu'un jour un homme marchera sur la Lune. C'est évidemment ce qui va se passer en 1969. À ce moment, sa femme sera en train de mourir et cela nous donne une des plus poignantes scènes du musical.

La musique est prodigieuse. Jouée en live par tous les comédiens. Cela n'est pas du tout dérangeant, car on est de toute façon dans une histoire fantastique, dans une féérie. On n'imagine pas Norma Desmond jouer du violon tout en chantant dans Sunset. Voici quelque extraits pour en profiter, même s'il ne sont pas filmés pednant le spectacle...

Ce musical, en fait, est l'histoire de quelqu'un qui découvre ce que veut dire l'expression "à la maison". Naissant à la fin de sa vie plutôt qu'au début, Benjamin Button cherche sa place dans ce monde, cherche un endroit où il puisse se trouver "à la maison". Ce ne fut pas le cas avec ces parents qui l'ont caché à sa naissance. Cette recherche d'un "à la maison" est rendue complexe de par ses différences. Benjamin Button est lui-même persuadé la majorité de sa vie que ces différences l'empêcheront de réaliser quoi que ce soit, de construire quoi que ce soit. La vie de Benjamin Button est unique, mais sa recherche d'appartenance est universelle. Ce que ce musical nous rappelle, c'est évidemment que ce "à la maison" n'est pas incarné par un lieu, mais plutôt par les gens qui nous entourent et qui donne vie à notre "à la maison".

Ce musical est magnifique... Ce qui est génial c'est qu'il vient du Off-Westend (Southwark Playhouse). Il s'agit donc ici d'un 'West End Transfer', dans un petit théâtre, il est vrai, mais quand même. Cela semble aussi être une nouvelle tendance, dont le plus bel exemple est Six, qui a été transféré du Arts Theatre dans le West End et puis à Broadway. Espérons qu'il en sera de même avec ce The Curious Case Of Benjamin Button.

Et pour vous montrer que ce spectacle attire les stars, regardez un peu qui était là...

Steven Colombeen et son mari. La famille Bruxellons! connait les endroits où il faut se trouver...

Et quelques photos pour mes souvenirs quand je relirai cela depuis le home...

Dernière petite remarque. Ce musical me fait profondément penser à Come from Away par son humanité, mais aussi par sa musique qui est proche de la musique irlandaise de Come from Away.

30
déc
30
déc
Publié le 5 janvier 2025

Beaucoup de gens se demandent où peut-être le plaisir d'enchaîner différents spectacles dans une même journée. Surtout, comment, après avoir adoré un spectacle, passer si rapidement à un autre ? Et bien, il faut simplement qu'il soit différent. C'est comme quand on va dans un restaurant gastronomique - et Londres est un resto gastronomique théâtral - on peut adorer une entrée et être bouleversé par le plat qui suit, à condition qu'il nous emmène dans un autre voyage de saveurs. Et Oedipus, à des saveurs très différentes de Benjamins Button, mais tout aussi exceptionnelles.

Il s'agit tout d'abord d'une pièce de théâtre. Et après Hadestown hier, on revient à la mythologie grecque.

Œdipe, on le connait aujourd'hui principalement grâce au Complexe d'Œdipe de notre cher Freud. Mais petit rappel de cette histoire qui date de plus de 2.500 ans! Œdipe était le fils de Laïos et de Jocaste, roi et reine de Thèbes. N’ayant pas d’enfants depuis quelque temps, Laïos consulta l’oracle d’Apollon à Delphes. L’Oracle a prophétisé que s'il enfantait un fils, ce dernier le tuerait. Dans une tentative d’empêcher l’accomplissement de cette prophétie, lorsque Jocaste a effectivement donné naissance à un fils, Laïos a fait percer les chevilles de son fils et les a attachées ensemble afin qu’il ne puisse pas ramper; Jocaste donna alors le garçon à un serviteur pour qu’il l’abandonne sur la montagne voisine. Cependant, plutôt que de laisser l’enfant mourir de froid, comme Laïos l’avait prévu, le serviteur a confié le bébé à un berger de Corinthe, qui l’a ensuite donné à un autre berger.... L’enfant Œdipe a finalement été adopté par Polybe et Mérope, le roi et la reine de Corinthe, car ils n’avaient pas d’enfants. Le petit Œdipe a été nommé ainsi d’après l’enflure due aux blessures aux pieds et aux chevilles (« pied enflé»).

Œdipe apprit plus tard de l’oracle de Delphes la prophétie qu’il finirait par tuer son père et épouser sa mère mais, ignorant sa véritable filiation, crut qu’il était destiné à assassiner Polybe et à épouser Mérope, et il partit donc pour Thèbes. Sur son chemin, il rencontra un homme plus âgé, qui était (à son insu) son père, et le tua dans une querelle. Continuant vers Thèbes, il découvrit que le roi de la ville (Laïos) avait récemment été tué et que la ville était à la merci du Sphinx. Œdipe a répondu correctement à l’énigme du monstre, l’a vaincu et a remporté le trône du roi défunt – et la main en mariage de la veuve du roi, qui était aussi (à son insu) sa mère Jocaste. Le sort en était jeté.

Des années plus tard, pour mettre fin à une peste à Thèbes, Œdipe chercha à savoir qui avait tué Laïos et découvrit qu’il était lui-même responsable. Jocaste, en se rendant compte qu’elle avait épousé son propre fils, s’est pendue. Œdipe saisit alors deux épingles de sa robe et s’en creva les yeux.

Lesley Manville (Jocasta) et Mark Strong (Oeidpus) 

Les voilà donc, nos Jocaste et Oedipus d'aujourd'hui. Avant que le spectacle commence, j'essaie toujours de lire un peu le programme - pour devenir un peu plus intelligent, du moins cultivé, mais surtout pour que mes voisins ne me parlent pas. Dans ce programme, Simon Goldhill, professeur de lettres classiques à l’Université de Cambridge écrit (vous voyez pourquoi je parlais de devenir plus cultivé): « C’est une histoire que nous ne pouvons pas arrêter de raconter. » Pourquoi? Qu’y a-t-il dans cette atrocité particulière que le public à travers l’histoire trouve si fascinant? Un mec qui a tué son père et épouse sa mère, sans le savoir!!! J’ai pensé à cette question alors que les lumières s’éteignaient. Puis la force pure de cette production l’a complètement fait disparaître de mon esprit. Et putain, que cette histoire est puissante...

Comme le sous-titre « After Sophocle » l’indique, il ne s’agit pas d’une tragédie grecque pure et simple: le livret de Robert Icke est une refonte contemporaine, plutôt qu’une traduction, réimaginant Œdipe en politicien insurgé candidat aux élections. Il transporte de manière transparente les thèmes du pouvoir, de la politique, de l’arrogance et de la soif humaine de savoir au XXIème siècle: ce n’est en aucun cas une mince affaire, car l’intrigue originale implique des prophéties, des diseurs de bonne aventure et un sphinx parlant. La suspicion sur les origines d’Œdipe et son statut d’étranger à la ville - il a été adopté par Polybe et Mérope, le roi et la reine de Corinthe et n'est donc pas officiellement Thébien - est transfigurée dans la pièce de Icke en une querelle politique sur la question de savoir si Oedipus doit publier son certificat de naissance (l’allusion à Donald Trump et Barack Obama est totalement directe).

L’altercation sur la route entre Œdipe et le vieux souverain Laïos 34 ans plus tôt (faisant d’Œdipe le tueur involontaire de son père) est transformée elle en un accident de voiture dont Oedipus est responsable, mais comme il fait un délit de fuite, il ne sait pas qu'il a tué son père.

 La scène où l'on interroge le chauffeur de la voiture de Laios, 30 ans plus tôt. L'entrée en enfer d'Œdipe (au fond) commence.

Mais revenons au début. Nous sommes en pleine soirée électorale. Les personnages, qui attendent avec impatience le résultat des élections après la fermeture des bureaux de vote, portent des costumes et des casquettes de baseball de marque. Le décor, d'une sobriété magistrale et tragique, comprend une machine à café en bordure de la scène du QG de la campagne, un écran de télévision dans un coin diffusant des actualités et une horloge numérique géante qui compte les minutes angoissantes jusqu’à ce qu’Œdipe soit annoncé victorieux. On pourrait s’attendre à ce qu’il soit secoué. Ce n’est pas le cas. Les prévisions de résultats que lui apporte une assistante semblent encourageantes.

La pièce est foudroyante. La mise en scène joue avec la fatalité en permanence, car on se rend vite compte qu'on avance tout droit vers un inconnu angoissant, mai un inconnu inévitable. Comme le montre le chronomètre électoral: la vérité approche. Et puis, il y a deux Dieux de la scène. Tout d'abord, Mark Strong (Oedipus), sur scène tout au long des deux heures de la pièce. Il dégage une telle l’énergie, il est un Œdipe plus grand que nature avec le charisme d’un politicien, mais aussi la tendresse d’un père. Il est tout sauf manichéen. L’Œdipe de Strong est dépeint comme un homme en qui nous pouvons avoir confiance. En public, il dénonce les mensonges de son adversaire politique, tandis que, derrière des portes closes, il fait preuve de compassion et de soutien lorsque l'un de ses deux fils (Polynyce) fait son coming out en tant qu’homosexuel.

De g à dr: Antigone, Oedipus, Jocaste, Polynice et Eteocle. Et assise derrière, Merope la mère officielle d'Oedipus 

Pendant toute la pièce (soirée électorale), Merope demande à parler seule en tête à tête avec son fils (d'adoption) Oedipus. Il ne lui accordera ce privilège qu'en fin de soirée, précipitant sa compréhension de la réalité de sa vie: il a tué son père dans un accident de voiture et a épousé sa mère...

Ce fil rouge fait monter la tension dramatique de la pièce. Car on ressent bien que cette femme a vraiment quelque chose de première importance, alors que son fils (adoptif) risque de gagner les élections et d'arriver au pouvoir.

On se rend aussi compte que cette femme appartient à un autre monde. Et la confrontation - même si elle n'est jamais vécue comme telle - des deux mères (la vraie, Jocatse qui est aussi l'épouse, et l'adoptive Mérope) est prodigieuse.

Lesley Manville (Jocasta) 

À côté du Dieu de la scène, Mark Strong, on ne peut qu'admirer la Déesse Lesley Manville. Elle est captivante dans le rôle de Jocasta, son insouciance pleine d’esprit rendant son effondrement émotionnel d’autant plus déchirant. Le couple commence par la relation facile d’un couple marié de longue date. Ils s'aiment. Ils s'attirent. Tout est vrai. Très belle scène, où, après avoir enlevé sa culotte et l'avoir envoyée à la figure d'Oedipus, Jocaste prend le plaisir pendant une longue minute, que lui donne Oedipus la tête logée entre ses cuisses dissimulées sous sa longue jupe rouge. Public médusé face à ce mélange d'amour réel et d'inceste inconscient. Après toutes les révélations finales, dans l'avant-dernière scène, dans une ambiance tonitruante de victoire électorale, leurs corps se rapprocheront une nouvelle fois. Mais c'est devenu impossible. Comme le dit simplement Jocaste: "Je ne peux pas".

Et ce qui est fascinant dans ce texte est que la vraie tragédie que vit Œdipe n’est pas ce qu’il a fait il y a trois décennies: tuer un homme qu’il ne savait pas être son père, épouser une femme qu’il ne savait pas être sa mère, élever une famille née de l’inceste. La tragédie, c’est qu’il le découvre aujourd'hui. Ses intentions, de politicien, sont bien intentionnées, authentiques. Cela ne le sauve pas. Le message de Sophocle est inconfortable: y a-t-il des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir ? Un thème aussi pertinent aujourd’hui qu’il l’était alors, il est néanmoins rare qu’une production contemporaine d’un texte ancien atteigne un tel niveau de catharsis. En supprimant tout ce qui pourrait nous éloigner du héros central, ce récit ne nous éloigne pas de l’original, mais nous en rapproche. Il évoque pour un public moderne l’horreur intime que les Athéniens auraient ressentie il y a deux mille cinq cents ans. Et c’est dévastateur.

L'avant-dernière scène, celle de l'acte d'amour devenu impossible - Jocaste et Oedipus qui se caressent avant de se repousser mutuellement, Jocaste se tirant une balle dans la tête avant qu'Œdipe ne se crève les yeux avec ses talons - aurait pu être la dernière. Mais le niveau sonore de la musique quand le rideau descend nous laisse comprendre que nos applaudissements seront inaudibles. Cela n'est pas fini. La gifle finale arrive.

Le rideau finit par se relever. Nous sommes dans la même pièce, le sang sur les murs et le décompteur électoral en moins. Un couple visite un appartement pour emménager. C'est Jocaste et Oedipus. Le bonheur d'avant. Avant de savoir...

Je ne sais pas pourquoi c'est une telle gifle. Et je sais que je ne suis pas le seul à l'avoir reçue. Et quand je me demande pourquoi c'est à ce moment que je ressens une gifle, je n'ai pas de réponse. J'ai beau chercher, je ne trouve pas. Mais la gifle est là. Cela doit être cela, la tragédie grecque: être dépassé...

QUELQUES REVIEWS:

★★★★★ ‘There will surely not be a more powerful production in the UK this year. It is electric’ (The Observer) / ★★★★★ ‘Mark Strong and Lesley Manville electrify ancient saga turned political thriller… Robert Icke’s modern retelling is riveting from beginning to end’ - ‘Mark Strong and Lesley Manville set the stage on fire’ (The Guardian) / ★★★★★ ‘Icke brilliantly remakes Sophocles tragedy for our times' (Financial Times) / ★★★★★ ‘(Rob Icke) has turned this ancient play into an electric West End thriller’ (Mail on Sunday) / ★★★★ ‘This is an extraordinary evening, thanks to Icke, Strong and Manville’ (Evening Standard)

Dernière petite chose que je crois important de souligner, la tragédie d'Œdipe n'est pas isolée. Non, on est plongé aussi dans les autres histoires qui vont suivre et qui ne seront pas traitées dans cette pièce-ci. La scène du repas familial est fascinante: y assistent Œdipe et Jocaste, trois de leurs enfants (Eteocle, Polynice et Antigone (photo de droite)), le frère de Jocaste (Créon) et Mérope (qui n'arrive pas à s'entretenir 5 minutes en tête-à-tête avec Œdipe). Après la fin de la pièce et la disparition d'Œdipe, Étéocle et Polynice se disputeront le pouvoir royal et prolongent la malédiction familiale en s’entretuant. Antigone est l’ultime maillon de la chaîne maudite familiale: elle accompagne Œdipe dans son exil jusqu’à Colone, puis elle est condamnée à mort sur l’ordre de Créon (qui a pris le pouvoir après la mort d'Eteocle et Polynice) pour avoir enseveli son frère Polynice après le duel qui a opposé les deux frères ennemis. Voir tous ces personnages se disputer dans un salon le soir d'une soirée électorale - alors que l'on sait ce qui va arriver - rajoute une profondeur sans fin au spectacle. On est vraiment plongé dans un véritable univers complet. Certaines remarques cinglantes que l'adolescente Antigone fait à son Oncle Créon sur son extrémisme politique, sont totalement jouissives, car cela m’a replongé dans l'Antigone d'Anouilh où la même adolescente envoie - quelques années plus tard - en pleine figure de Créon, alors qu'elle creuse avec ses mains une tombe pour son frère Polynice : "Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont faits aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine."

 Teiresias

Ah, oui, j'ai oublié de vous dire quelque chose. Au début de la pièce, un personnage inquiétant s'introduit dans le QG électoral de Oedipus. Il s'appelle Teiresias. Et il lui annonce qu'il va se rendre compte qu'il n'est pas qui il croit être....

RÉUSSITE MAGISTRALE DE GRAND "THEATRE POPULAIRE VILARIEN"

31
déc
31
déc

Pour commencer cette dernière journée de 2024, commençons par un spectacle Jeune Public. Trailer...

Des trois spectacles Jeune Public que j'ai vus, c'est sans doute celui avec le plus de moyens. Les marionnettes (si on les appelle comme cela?) ont un style très particulier, mais efficace. J'ai l'impression qu'on est chez Playmobill, mais je dis sans doute un sacrilège. Je suis beaucoup moins sensible à ces marionnettes qu'à celles de Smartest Giant in Town.

Attardons-nous un peu sur la "pseudo-histoire": le petit cochon apparemment préféré des Anglais et ses amis partent pour passer une journée au zoo, puis à la plage pour organiser une fête d’anniversaire surprise à Suzy Sheep. Ce n'est pas Hamlet, hein! Mais pas non plus Smartest Giant in Town.

Dès la seconde où la chanson thème de Peppa Pig a commencé, le public (moyenne d'âge 4 ans) a éclaté de rire ... et de cris! Et les parents ont éclaté de rire ... et de cris en voyant leurs enfants éclater de rire ... et de cris. Ils ont dû ressentir la satisfaction parentale suprême ressentant au plus profond de leur âme sincère: "Quel bon parent je suis d'avoir acheté un billet pour ce spectacle où mon si magnifique enfant éclate de rire ... et de cris". Sans se poser la moindre question, tellement l'histoire est transparente et sirupeuse.

La comédienne Perrie Sunuwar joue « Daisy », l’amie de Peppa qui aide à guider les enfants à travers l’histoire. Sunuwar a été comme des bouffées de calme, car elle rassemblait le public pour se joindre à elle! Elle est amusante, remplie de joie et vraiment détendue avec les enfants! Mais, comme, selon moi l'histoire est très faible, en dehors des chansons, on a des tunnels. Heureusement qu'elle est là.

Je ne comprends pas que l'on ait ce spectacle qui dure 1h20 avec un entracte de 30 minutes. On a donc 30 minutes de spectacle, 30 minutes d'entracte, puis 20 minutes de spectacles.

En fait, on est dans quelque chose de très différent. Il y a une vente MASSIVE de peluche pendant trente minutes - en dehors de moi, tout le monde en a acheté (et certains, deux ou trois à 15£ chaque). Avant cette vente massive, ils ont donc prévu un petit spectacle de 30 minutes pour faire patienter les gens et faire monter le suspense. Après la vente massive, ils ont fait un petit spectacle de 20 minutes où les enfants devaient chanter en arborant leurs nouvelles si belles (et si chères) peluches. De sorte que les rares enfants dont les parents n'ont pas voulu - ou pire n'ont pas les moyens - se sont sentis culpabilisés. Beaucoup ont d'ailleurs succombé à la sortie. (Pour info, la peluche de droite est à 22,99£. Mais que les gens de Knokke se rassurent, il y en a aussi à 39,99£ pour que leurs enfants n'aient pas les mêmes peluches que celles du peuple.

Moi j'ai résisté. À une dame du spectacle qui, alors que je franchissais la porte du Théâtre Haymrket, m'a demandé si je ne voulais pas acheter un "Piggy", je lui ai répondu: "To do What?" Elle est restée bouche bée. En marchant dans la rue, elle a certainement vu qu'il était écrit en jaune dans mon dos que "Je venais d'ailleurs" (Come from Away). J'espère que, dans quelques années, on enverra voir Oliver! à ces enfants. En route donc vers Oliver! au Gielgud.

Et dire que je n'ai pas encore pris mes résolutions pour cette nouvelle année 2025...

31
déc
31
déc
Publié le 6 janvier 2025

Bon, après les deux chefs-d'œuvre de la veille (Benjamin Button et Oedipus), il va falloir assumer, Oliver!.

Ce musical de 1960 est signé Lionel Bart. Cet auteur-compositeur est assurément le père du musical anglais moderne, Andrew Lloyd Webber l'affirme en permanence. Lors de la création, le spectacle s'est joué 2.618 représentations, devenant le 'longest musical' à l'époque. Et il a été transféré à Broadway, ce qui à l'époque était très rare, mais allait s'accélérer entre autres, grâce à Andrew Lloyd Webber et Tim Rice.

Le musical sera repris à Londres en 1967 pour 331 représentations. Le tout jeune producteur Cameron Mackintosh (il a 30 ans) et le recréé en 1977 au Piccadilly Theatre où il tient l'affiche près de trois ans. Il est totalement fou amoureux du musical de Bart et de l'œuvre originale, Oliver Twist de Dickens. Il reprendra le spectacle en 1983 à l'Aldwych Theatre, avant un transfert à Broadway qui sera un terrible flop avec Patti Luppone (17 représentations). Il recréera le spectacle en 1994, proposant une nouvelle mise en scène et surtout des chorégraphies signées de rien de moins que Matthew Bourne, dans le gigantesque Palladium où il reste à l'affiche 4 ans. Et enfin, en 2008, il reprend cette version au tout aussi gigantesque Theatre Royal Drury Lane où il tient l'affiche 2 ans. Version que j'ai vue avec Alain à l'époque. Magnifique spectacle. Rien que l'ouverture où les enfants (ils étaient plus de 40 à l'époque) réclament de la nourriture avec la chanson "Food, Glorious Food". Plus de quinze ans plus tard, Mackintosh qui a maintenant 78 ans et n'a plus rien à prouver tant son trajet de producteur est impressionnant (Les Misérables, The Phantom of the Opera, Cats, Miss Saigon, Mary Poppins, Hamilton, ...).

Pourquoi cette introduction? Pour ne pas oublier que je vais voir une œuvre fondatrice du théâtre musical anglais, mais aussi une nouvelle petite version voulue par Mackintosch... Qui continue à se faire plaisir et à faire plaisir aux autres puisqu'il a proposé au chorégraphe Marthew Bourne de s'occuper aussi de la mise en scène. Ce sera sa première. On passe en plus de la scène de 30m de large et de 25m de profondeur du Drury Lane à celle du Gielgud Theatre qui ne fait que 10m sur 9m. On n'est pas très loin de la scène du Public. Mais on me dirait qu'on monte Oliver! sur la scène du Public, j'aurais hurlé de rire. Bon, au Gielgud, il y a des cintres, mais cette histoire se passe dans tant de lieux différents... Cela éveille au moins ma curiosité.

J'ai trouvé quelques photos du montage:

On dirait que le volume a été occupé à 100%. Allez, le trailer...

L'histoire commence dans une sinistre salle d'un hospice pour enfant pauvres et orphelins avec des tables vides..., mais où "God is Love" ("Dieu est Amoir"). La porte s’ouvre et des garçons, un bol vide à la main, approchent de la table en chantant "Food, Glorious Food" ("Nourriture, nourriture glorieuse"). Ils ne sont nourris que de bouillie, mais trouvent un peu de réconfort en imaginant un menu plus riche, plus glorieux.

La veuve Corney, qui dirige l’hospice, et M. Bumble, le bedeau de la paroisse, entrent pour servir la bouillie aux enfants. Seul l'une d'eux, Oliver, apporte le bol à Bumble et demande: "I want some more!" ("J'en veux encore").

Bumble est indigné. Il est immédiatement appréhendé et Oliver doit partir. Bumble le fait passer dans les rues de Londres chantant "Boy For Sale" ("Garçon à vendre").

Il le vend comme apprenti à un entrepreneur de pompes funèbres, M. Sowerberry. Oliver est envoyé dormir dans le sous-sol avec les cercueils ("Where Is Love?").

Oliver s’enfuit et, après une semaine de cavale, il se retrouve dans la ville de Londres où il rencontre Artful Dodger, un garçon d’environ 16 ans. Dodger semble être un garçon gentil et accueille Oliver pour le rejoindre ainsi que ses amis (« Consider Yourself »). Dodger est, à l’insu d’Oliver, un pickpocket, et invite Oliver à venir vivre dans le repaire de Fagin. Fagin est un criminel vétéran qui envoie de jeunes garçons comme pickpockets. Oliver n’est pas du tout au courant de la criminalité et croit que les garçons fabriquent des mouchoirs plutôt que de les voler. Oliver est présenté à Fagin et à ses garçons et il lui enseigne ses méthodes (« You’ve Got to Pick a Pocket or Two »).

Le lendemain, Oliver rencontre Nancy, une membre plus âgée du gang de Fagin. Elle est aussi la petite amie du terrifiant associé de Fagin, Bill Sikes, un cambrioleur brutal dont elle subit les abus parce qu’elle l’aime. Nancy, avec Bet, et les garçons affirment en chanson qu’ils aiment leur style de vie non conventionnel mais dangereux (« It’s a Fine Life »). Oliver s’incline profondément devant Nancy et Bet, essayant d’être poli. Tous les garçons rient et imitent Oliver. Nancy choisit Dodger pour démontrer la façon dont les riches se traitent les uns les autres (« I’d Do Anything »). Nancy et Bet partent, et Oliver est envoyé avec les autres garçons pour son premier travail de vol à la tire (« Be Back Soon »). Fagin dit à Oliver de former équipe avec Dodger et un autre garçon nommé Charley Bates, mais lorsque Dodger et Charley volent un mouchoir à M. Brownlow, un vieil homme riche, ils s’enfuient, laissant Oliver seul, ne comprenant pas ce qui se passe. Horrifié, il est arrêté par la police, non pas pour des vols à la tire, mais tout simplement pour d’avoir l’air coupable. ENTRACTE. Waooow.

C'est fou d'avoir un spectacle qui repose à ce point sur des enfants, comme l'Oliver ci-dessous qui est celui que j'ai vu: Jack Phillpott. C'est fou d'avoir dess enfants de 9 ans qui ont trente and de carière. Qui savent chanter ET jouer ET danser.

Après une glace au caramel salé, on est reparti.

L'acte II commence dans le pub Three Cripples, où, Nancy, à la demande de clients turbulents, entame une vieille chanson de taverne avec les voyous de bas étage, ("Oom-pah-pah"). Bill Sikes fait sa première apparition et disperse la foule. Dodger arrive et informe Fagin de l'arrestation d’Oliver et que, comme il a été reconnu innocent par Mr Brownlow à qui le gang a volé un mouchoir, il est maintenant en sécurité chez ce gentil et riche gentilhomme. Inquiets qu’Oliver ne les trahisse, Fagin et Bill décident d’enlever Oliver et de le ramener à la tanière, avec l’aide de Nancy. Nancy, refuse d’abord d’aider car elle trouve cela positif qu'Oliver s'en sorte, mais Bill la maltraite physiquement et la force à l’obéissance.

Le lendemain matin, dans la maison de M. Brownlow à Bloomsbury, Mme Bedwin, la gouvernante, chante à Oliver ("Where is love? [Reprise]"), et Oliver se réveille alors que les vendeurs de rue commencent leur journée de travail à l’extérieur. M. Brownlow et le Dr Grimwig décident qu’Oliver est assez bien pour sortir, alors Brownlow envoie Oliver rendre des livres au libraire. Oliver voit un groupe de vendeurs de rue et les rejoint en chanson ("Who Will Buy? [Reprise]"). Alors que les vendeurs partent, Nancy et Bill apparaissent et attrapent Oliver. Ils le ramènent dans la tanière de Fagin, où Nancy sauve Oliver d’une raclée de Sikes après que le garçon ait tenté de s’enfuir. Nancy passe en revue avec remords leur vie épouvantable, mais Bill maintient que toute vie vaut mieux que rien, tandis que Fagin essaie d’apaiser les choses ("It’s A Fine Life [Reprise]"). Laissé seul, Fagin réfléchit à son existence actuelle et aux possibles changements de vie ("Reviewing the Situation"). Cependant, après avoir réfléchi à diverses excuses, il choisit de rester tel qu’il est.

De retour à l’hospice, M. Bumble et la veuve Corney, sont informés par la pauvre vieille Sally mourante qu'Oliver est l'héritier d'une famille riche. La mère d’Oliver, Agnes, avait laissé à Sally un médaillon en or lorsqu’elle est morte en couches. Ils rendent visite à M. Brownlow, qui a fait de la publicité pour aviir des nouvelles suite à la disparition d’Oliver. ils ont l’espoir de profiter de toute récompense donnée pour des informations. M. Brownlow se rend compte qu’ils ne sont pas intéressés par le bien-être d’Oliver mais seulement par l’argent et les jette dehors. Il garde le médaillon. Reconnaissant l’image à l’intérieur du médaillon comme une photo de sa fille, il se rend compte qu’Oliver est en fait son petit-fils.

Nancy rend visite à M. Brownlow pour lui expliquer qu'elle et Bill ont enlevé Oliver, et elle promet avec remords de lui livrer Oliver sain et sauf cette nuit-là sur le pont de Londres, mais refuse de quitter les autres membres du gang. Soupçonnant Nancy, Bill la suit alors qu’elle fait sortir Oliver de la tanière de Fagin. Au London Bridge, il les affronte et frappe Nancy à mort.

Suite à la mort de Nancy, tout le gang se retourne contre lui et une course-poursuite s'organise qui se termine sur les quais de la Tamise. Bill apparaît en haut du pont, retenant Oliver en otage et menaçant de le tuer. Deux policiers se faufilent et l’un d’eux tire sur Bill tandis que l’autre rattrape Oliver. Après qu’Oliver ait retrouvé M. Brownlow, la foule se disperse. Fagin apparaît et décide que le moment n’a jamais été aussi propice pour remettre de l'ordre dans sa vie ("Reviewing the Situation [Reprise]").

  Fagin, joué par le magnifique Simon Lipkin

Après avoir longtemps douté - avant spectacle - qu'il était possible de donner vie à une "grande version" de Oliver! sur une si petite scène, il n'a fallu que 10 minutes de spectacles pour être certain du contraire: cela le renforce. On a en permanence l'impression d'être dans une fourmilière, et ce, que l'on soit dans les souterrains, les rues ou l'hospice. Les passages d'une zone à une autre sont très fluides, via des escaliers, un plateau tournant utilisé entre autres pour retourner des décors, des ponts qui montent et descendent. Les photos de montage du début de cette chronique le montrent, mais aussi la photo prise à mon arrivée avant le spectacle:

Une scène peut par exemple se dérouler dans l’escalier à jardin alors que le plateau tournant installe le décor suivant. Il n'y a pas le moindre temps mort. Cette version est aussi beaucoup plus noire que celles que j'ai vues au Drury Lane en 2008 ou à Anvers. On est vraiment plongé dans le sombre Londres de Dickens. Le personnage de Bill Sikes, qui tue Nancy et enlève Oliver! n'est pas un méchant, mais un salaud. C'est très très différent. Rien que cette cicatrice sur son crâne nous met en alerte et est synonyme de danger.

Les chorégraphies de Bourne, réalisée dans cette fourmilière, sont au niveau du ressenti très différentes de ce que j'ai jamais vu. Les danseurs sont comme sur des ressorts, donnant des coups de pied hauts et faisant voler les jupons, ils remplissent chaque centimètre carré de la scène. Mais ce qui m'a le plus impressionné c'est la diversité des chorégraphies de Bourne: magnifiquement exubérantes pour l'adolescent Artful Dodger, agrémentées de mouvements sournois pour Fagin et, bien sûr, des mouvements d'ensemble bruyants pour le chœur des garçons de l'hospice ou de la bande de Fagin. Tous les enfants jouent de manière impeccable et avec une précision extrême.

Pour en revenir encore à la scénographie de Lez Brotherston, il a eu cette très bonne idée d'évoquer Londres avec des toiles de fond (vidéo?) avec de jolis arrière-plans sombres de la Tamise et de Saint-Paul à l'horizon. C'est vraiment l'arrière-arrière-plan, mais c'est une petite touche en plus.

L’un des aspects les plus merveilleux de cette production est l’énorme travail de lumière de Paule Constable et Ben Jacobs; constamment atmosphérique, aidant toujours l’histoire, mélangeant l’obscurité menaçante avec une beauté illuminée là où vous ne vous attendriez pas à la trouver. La longue marche de Fagin et Dodger à la fin du spectacle, par exemple, dans les lumières de Londres qui se révèlent lentement, offre une superbe scène finale. Et comme il est intelligent et créatif de représenter le chien simplement par une ombre inquiétante suivant un mur à la voix de son maître !

La Nancy de cette version est aussi très différente de ces versions romantiques que j'ai toujours vues, où on nous présente une femme joyeuse qui finit par mourir. Ici, Shanay Holmes est bouleversante dans le rôle de Nancy. Notre cœur et notre âme sont emportés dans ce spectacle par son interprétation de Nancy. Elle est une femme dégradée, vulnérable, affectueuse, provocante, brisée. Nous n'avons aucun doute sur le fait qu’une vie à vendre son corps a eu un coût émotionnel épouvantable. Son interprétation de "As Long As He Needs Me" prend dès lors une dimension tout autre: on entend rarement d'une manière aussi limpide son conflit interne à propos de son amour pour un voyou violent qui n’hésite pas à la battre.

Et d'ailleurs, Aaron Sidwell est superbe dans le rôle de Bill; nerveux, enflammé, irrationnellement explosif et terriblement imprévisible. C'est rare de voir des combats scéniques totalement convaincants, et ici, ils sont parfaits. Rien que la gifle diabolique qu’il donne à Nancy est hallucinante. Et quand il frappe Fagin sur la tête, nous le ressentons tous.

Il faut un Fagin d’une qualité rare pour qu'on finisse par avoir pitié de lui. C'est le cas avec Simon Lipkin. Sa prestation est si exceptionnelle qu’on a vraiment l’impression qu’à la fin du spectacle et qu'il s'est rendu compte que la réalité de sa vie passée n’avait pas d’avenir. D'habitude, ces paroles finales sont au "second degré", des bonnes résolutions d'ivrogne. Ici, non. Il a vraiment été ébranlé par le meurtre de Nancy et par le fait qu'Oliver s'en sorte. D'ailleurs, pendant tout le spectacle, Fagin est cynique, mais soucieux et bienveillant de "son personnel". C'est une fois encore très différent des versions précédentes où les Fagin avaient la main lourde. Enfin, même si cela pourrait paraître totalement anecdotique (ça ne l'est vraiment pas et figure d'ailleurs dans la bande-annonce), pendant la poursuite finale, Fagin perdant pied sur le pont qui renverse son coffre au trésor de sorte que ses précieux bibelots scintillent pour être engloutis par la rivière. Et même si on sait que chacun de ces bijoux avait été volé, on a pitié de lui. Un travail incroyable.

L’ensemble du spectacle nous renverse. Il n'y a reien a changer, pas le moindre cheveu à déplacer tout au long de la représentation.

Chapeau bas!

Quelques curtains calls...

Et puis deux extraits, mais filmés pour "The Royal Variety Performance" (donc pas au Gielgud) Theatre) avec le jeune Oliver que j'ai vu (exceptionnel)? La deuxième, la plus longue, donne une vraie image du spectacle.

Et puis, juste en guise de souvenir, le trailer de la megaproduction au Drury Lane d'il y a quinze ans:

31
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Publié le 6 janvier 2025

Quatrième et dernier spectacle de la journée. Et tout dernier de 2024. Ici encore, moins de 10 minutes pour passer de l'un à l'autre, mais le Criterion est à 50m du Piccadilly. En plus j'ai pris des places au 2ème balcon parce que c'est le seul théâtre de Londres totalement enterré et qu'il y a plus de 70 marches pour descendre aux stalls... Il y en a déjà 18 pour le 2ème balcon.

Enfin assis.

Commençons par une petite remarque. Ce matin, j'ai reçu le mail suivant?

Dear Titaníque passengers,

We can’t wait to welcome you aboard the ship of dreams. Before you embark, here’s some important info:

Please note that this production contains very strong language, sexual references and scenes of an adult nature and therefore operates a strict age restriction of 12+. Under 12s will not be admitted into the venue.

12 ans, ça devrait aller. De toute façon, j'ai ma carte d'identité s'ils veulent vérifier.

Alors, où suis-je? Il ne faut en aucun cas confondre avec le très beau musical de Maury Yeston Titanic. Non, il s'agit ici de Titanique. Et le sous-titre est très clair et, à la fois pas du tout:

NOTHING ON EARTH COULD COME BETWEEN JACK AND ROSE, EXCEPT CELINE DION

Ce qui est clair, donc, c'est que c'est un spectacle déjanté pour les plus de 12 ans.

Eclaircissons tout:

Toujours pas clair? Cela semble normal. Le musical part du principe que nous voulons tous savoir ce qui est vraiment arrivé à Jack et Rose pendant la nuit du 14 au 15 avril 1912 où a sombré le Titanic. Tout commence dans le musée du Titanic où des touristes suivent une visite guidée. C'est à ce moment qu'apparait Céline Dion, arrête la visite et raconte sa propre histoire de cette fameuse nuit, en chansons.

Ce musical est irracontable. Après cinq minutes, la salle hurle de rire. Dont mois. À Londres, il est encore en previews, donc très peu de vidéos... Voici quelques-unes des différentes versions du monde entier pour se rendre compte du style...

Il est impossible de raconter la scène du dessin ou la scène de la voiture. Lorsque Rose confie à Molly qu'elle est vierge, Molly sort de son corsage une belle aubergine: "Je vais t'expliquer. Moi, je préfère ça que les hommes". Etc, etc... On peut détester ou adorer. Moi, je n’ai pas tout compris, mais ce que j'ai compris m'a fait beaucoup rire.

Le spectacle a été créé à Los Angeles en 2017. Elle a été jouée dans l'off-Broadway à l’Asylum Theatre en juin 2022, avant d’être transférée, toujours dans l'off-Broadway, au Daryl Roth Theatre. Lors de la cérémonie des Lucille Lortel Awards 2023 (les prix récompensant les spectacles de l'off-Broadway équivalents aux Tony Awards de Broadway), la production a remporté trois prix, dont celui de meilleur musical.

Titanique présente les succès suivants de Céline Dion : Ouverture – Compagnie / "I’m Alive » – Céline Dion et compagnie / "Taking Chances » – Company/ "Taking Chances (reprise) » - Rose/ "Seduces Me » - Cal/ "Si vous m’avez demandé de » - Rose, Celine, et Jack/ "La Belle et la Bête » - Celine, Seaman, et compagnie/ "I’m Alive (reprise) » - Molly Brown/ "You and I » - Jack and Company/ "Tell Him » - Molly Brown, Rose et Celine/ "To Love You More » – Jack, Rose, et compagnie/ "Who Let the Dogs Out » - Celine/ "I Drove All Night » - Victor Garber/ "Because You Loved Me » - Celine, Rose et Jack/ "Where Does My Heart Beat Now » - Jack, Cal, Rose, and Company/ "I Drove All Night (reprise) » - Victor Garber et Seaman/ "River Deep, Mountain High » - Iceberg et compagnie/ "I Surrender » / « Seduces Me (reprise) » – Rose et Cal/ "I Surrender (reprise)" – Victor Garber, Celine, and Company/ "All By Myself » – Molly Brown/ "The Prayer » – Rose and Company/ "All By Myself (reprise) » - Molly Brown/ "My Heart Will Go On » – Celine and Company/ "A New Day Has Come » – Company/ "My Heart Will Go On (reprise) » – Company

Le spectacle est rempli de références à la culture pop. Il s’agit notamment des musicals Chicago, Newsies et The Mystery of Edwin Drood.

C'était en tous cas une bien belle manière de terminer 2024.

Happy New Year...

1
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J'ai déjà vu ce spectacle, il y a de nombreuses années... Avant le COVID, dans l'Ancien Monde! À l'époque, c'était LE spectacle à voir. Il y a avait une file de 300m tout autour du théâtre lors du contrôle des tickets (et des sacs). Il y a toujours une file de 300m, mais, même si c'est complet tous les soirs, l'effervescence n'est plus la même dans la file, les yeux des enfants (et les miens) ne brillent plus de la même manière. A l'époque, on avait acheté les meilleures places restantes dans les 6 mois qui suivaient notre commande. Des places au troisième balcon sur le côté. J'exagère? Moi, jamais. La preuve en photo.

 On voit Damien et Alain arriver, alors que moi, sportif, je suis déjà assis. Tout au fond ... oui, c'est la scène.

Cette fois, je suis en plein milieu des stalls. En route pour le premier des 4 actes...

Dix-neuf ans après que Harry Potter ait quitté l’école de magie de Poudlard, le célèbre sorcier est maintenant chef de l’application de la loi magique au ministère de la Magie, tandis que sa femme Ginny est la rédactrice en chef de la section sportive du Daily Prophet. Ils ont trois enfants adolescents. Ils envoient leur fils cadet, Albus Severus Potter, à bord du Poudlard Express pour commencer sa première année à Poudlard. Ron Weasley et Hermione Granger envoient également leur fille Rose dans le train. Hermione est maintenant la ministre de la Magie.

 Le quai 9 3/4

À bord du Poudlard Express, Albus se lie d’amitié avec Scorpius Malfoy, le fils de l’ancien ennemi de Harry, Draco, et de sa femme, Astoria. En rupture avec la tradition selon laquelle les Potters entrent à Gryffondor, Albus est entré à Serpentard aux côtés de Scorpius. Albus, a du mal à assumer la responsabilité et le poids d’être le fils de Harry Potter. La magie et se faire des amis ne lui viennent pas naturellement et il se retrouve misérable dans sa nouvelle école, Poudlard. Dans de nombreuses scènes, on le voit un peu ridicule, comme lorsqu’il doit enfourcher son premier ballet. Et là, on se souvient de son père. Donc, nous aussi, en tant que spectateur, même si on l'aime bien, on participe à le classer dans les 'ploucs'. S’accrochant à son seul ami, Scorpius Malfoy. Les deux garçons sont victimes d’intimidation au cours des années suivantes, Scorpius étant considéré comme le fils de Lord Voldemort. Albus se replie de plus en plus sur lui-même et s’éloigne de son père, et Harry se retrouve à devoir faire face à un passé sombre qu’il espérait disparu à jamais. Avec sa femme, Ginny, et sa famille, Ron et Hermione Granger-Weasley, il doit essayer de sauver son fils impressionnable du chemin de plus en plus sombre qu’il suit.

Harry obtient un prototype d’une version plus puissante du retourneur de temps, qui permet de voyager dans le passé et de changer l’histoire. Simultanément, la cicatrice de Harry recommence à faire mal, faisant craindre que Voldemort puisse revenir. Amos Diggory, qui est pris en charge par sa nièce Delphi, demande à Harry d’utiliser le Retourneur de Temps pour empêcher la mort de son fils, Cédric. Après avoir entendu Harry refuser d’aider les Diggory, Albus est inspiré à le faire et convainc Scorpius de l’aider. Les deux s’échappent du Poudlard Express pour rendre visite à Amos, et ils font équipe avec Delphi pour voler le Retourneur de Temps dans le bureau d’Hermione, au Ministère de la Magie.

Remonteur de temps - Deplphi, Scorpio et Albus dans les habits des parents dans lesquels ils s'étaient transformés pour le voler 

Et là, nous n'en sommes qu'à la fin du premier de quatre actes. Je ne vais pas tout retracer en long et en large parce que ce serait fastidieux. Ce qui est fascinant avec ce spectacle c'est qu'il nous replonge dans un monde" et une histoire qui n'existent pas et pourtant que nous connaissons sur le bout des doigts. Comme la mort de Cédric était le résultat de sa victoire au Tournoi des Trois Sorciers aux côtés de Harry, les garçons utilisent le Time-Turner pour retourner aux premiers défis du tournoi et tenter d'empêcher sa victoire à ce stade. Leur première tentative échoue, mais modifie quand même profondément l'histoire au présent: Ron et Hermione ne sont plus mariés, Hermione n'est plus Ministre de la Magie mais un simple professeur frustré à Poudlard. Et le jeune Albus est maintenant à Gryffondor.

Quoi qu'il en soit, Albus et Scorpius tentent à nouveau d’utiliser le Retourneur de Temps pour sauver Cédric, cette fois en l’humiliant lors de la deuxième tâche du Tournoi des Trois Sorciers (celle dans le lac - magnifique réalisation technique). Lorsque Scorpius revient dans le présent, Albus n’est pas avec lui. Dolores Ombrage révèle que Harry est mort et que Voldemort règne sur le monde des sorciers. Ce deuxième acte, et la première partie se terminent d'ailleurs par un vol de détraqueurs dans la salle. Une fois de plus techniquement excessivement bien réalisée! Et une cinquième maison apparaît!

1
janv
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C'est là que ça me fait vraiment chier... Cette pause de plus de deux heures trente. Alors je sais que, techniquement ils doivent "réarmer tout le spectacle" mais quand même. Cela te fait sortir de l'ambiance, de l'atmosphère, de l'imaginaire.... Et les -2°C n'arrangent rien. On va donc attendre... Attendre ....

En, fait partout dans le monde, s'ils ont presque toujours commencé par la version en deux parties de 5h20, il n'y a plus qu'à Londres qu'elle se joue. Partout ailleurs, c'est du 3h20 entracte compris. C'est quand même 2h de moins. Maintenant la version de Londres a elle-même été adaptée de nombreuses fois.

En fait, quand je suis sorti de cette deuxième partie, j'avais passé un vrai bon moment. Mais sans plus. Tout est parfait, bien entendu. Un petit plus pour la lumière qui permet à la scénographie d'être à ce point efficace, dégageant de vraies zones noires où on peut installer quelque chose tout en jouant de l’autre coté du pas si grand que ça plateau du Palace Theatre. Et bien sûr, tout cela sans qu'on se rende compte qu'on a éteint une partie de la scène pour cela.

Et pourtant, j'écris ce petit texte quelques jours après la vision du spectacle. Et bien c'est quasiment le seul spectacle auquel j'ai pensé tous les jours, où je me posais des questions: "Mais alors, est-ce que ça ne veut pas dire que..." Il y a des tas de choses qui me sont revenues à l'esprit, comme Dumbledore qui est maintenant dans un cadre puisqu'il est mort. Même s'il bouge et fait ces commentaires comme tous les cadres de Poudlard. À un moment, il y a une très belle scène où il discute avec Harry Potter. Et là, je me dis, mais putain, le fils de Harry s'appelle Albus, c'est en hommage à Dumbledore. Et je trouve ça beau.

En fait, je me rends compte que j'ai beaucoup plus aimé ce spectacle que je ne l'ai ressenti au moment même. Il fallait que cela décante. Et je suis certain que, de par la qualité de ma mémoire et de mon âge, je passe à travers de très nombreuses choses. Je suis sûr que je ne connais pas assez bien la saga initiale des 7 Harry Potter que pour en voir toutes les implications 19 ans plus tard. Dans l'acte II, quand le remonteur de temps perturbe tout, rétrogradant Hermione de Ministre de la Magie à une professeur frustrée et bien, on retrouve un peu la jeune pétasse qu'elle pouvait être quand tout n'allait pas comme elle l'avait décidé. Je trouve cela vraiment très chouette que Jack Thorne et J.K. Rowling ont osé briser des barrières, un peu comme Lloyd Webber l'a fait avec Love Never Dies, la suite du The Phantom of the Opera, où il a osé faire de Christian un alcoolique et révélant au milieu du spectacle que l'enfant de 10 ans de Christine, n'est pas celui de Christian, mais bien celui du Fantôme, changeant ainsi profondément l'histoire même de son tube absolu, The Phantom of the Opera. Et bien ici aussi, ils ont osé, faisant du fils de Draco Malfoy, Scorpio un personnage éminemment sympathique; ou en faisant rentrer Albus Potter à Serpentard. Ou bien sûr - et c'est un changement majeur de la version post COVID, qu'elle soit en 1 ou 2 parties, l'amitié entre Scorpio Malfoy et Albus Poetter qui est bien plus qu'une relation d'amitié. En anglais, ils disent pudiquement "a romance". Et tout est amené d'une manière très intelligente. Le point final est une conversation entre Albus et son père, Harry, à la fin du spectacle. Albus pose alors une question à son père :

ALBUS: Tu sais, n’est-ce pas? Que Scorpio est la personne la plus importante de ma vie. Et qu’il pourrait toujours être le plus important.

Harry regarde son fils. Il sait que c’est important. Il sourit. Il sait.

HARRY: Je sais. Et j’aime ça. En fait, je l’aime beaucoup. Et s’il est la personne la plus importante dans ta vie, alors je dirais que c’est une très bonne chose.

Ça ne choque en tous cas personne, bien au contraire...

Vous remarquerez que je, comme J.K. Rowling le demande, je ne raconte pas la deuxième partie pour ne pas dévoiler tous les rebondissements de l'histoire.

Quoiqu'il en soit, un super spectacle avec une trop longue pause entre ses deux parties... Mais quel bonheur de voir le Choixpeau magique en action, la potion Polyjuice en jeu et la cape d’invisibilité de James Potter maintenant portée par son petit-fils. Et puis de retrouver des personnages classiques comme Mimi Geignarde:

2
janv

C'est un des spectacles que j'attends le plus de ces deux semaines. Pourquoi. Parce que, pendant un mois, je n'ai pas réussi à avoir des tickets. C'était sold-out. Il est vrai que jouer un spectacle de cette ampleur dans le minuscule Menier Chocolate Factory... Cela ne peut être que plein à craquer. Et puis, un jour, une place s'est libérée le même jour que celui où je me suis dit: "Et si je vérifiais s'il n'y a pas des returns?". Comme quoi.

Pour pouvoir se rendre compte de l'exiguïté du lieu, voici une photo prise à mon entrée dans la salle, et des 'curtains calls' filmés (par un.e inconnu.e):

Et puis, une petite image pour vous faire comprendre que la presse n'est ... pas mauvaise!

L'histoire du musical est déjantée au carré... Elle est signée Mel Brooks et tirée de son film de 1967. Créé à Broadwazy. En 2011, il est venu à Londres au Drury Lane en 2004, pour 920 représentations. Un triomphe que nous avons vu Alain et moi.

Le spectacle débute devant un théâtre, le soir de l'opening night (la première) de Funny Boy! une version musicale de Hamlet, produite par l’infatigable Max Bialystock. Les ouvreuses entrent, se demandant si le spectacle sera un succès ou non. Au moment où les spectateurs sortent du théâtre, la réponse est claire : c’est le pire spectacle de la ville et ce sera aussi ce même soir sa "closing night". Max désabusé apparaît. Il essaie de comprendre ce qui a mal tourné. Il était la star de Broadway et maintenant, il est la personne à fuir. En fait, il croit qu'il est le "Roi de l'Ancien Broadway". Mais il se promet d’être à nouveau au top...

À ce stade, on peut déjà dire qu'il s’agit d’une version beaucoup plus dure et plus sinistre de The Producers que la production originale polie et brillante: la misère du New York du milieu du XXe siècle est pratiquement un personnage supplémentaire et Max Bialystock a l’air sorti d'un roman de Dickens avec son gilet taché, sa veste sale et ses cheveux clairsemés. Cela n'en est pas moins drôle, bien au contraire.

Nous passons au bureau de Max, autrefois élégant, maintenant délabré, dans lequel il vit. Il est réveillé par quelqu'un qui frappe à la porte. C’est un comptable pas net nommé Leo Bloom, qui est venu pour gérer les livres comptables de Max. Une des investisseurs de Max, une dame âgée (> 75 ans) à qui il fait référence comme 'Hold-Me-Touch Me', débarque soudainement. Max force Leo à se cacher dans la salle de bain. 'Hold-Me-Touch-Me' a apporté un chèque à Max, mais elle ne le lui donnera pas avant qu’il ne joue un petit "jeu cochon" avec elle. Leo les surprend par accident et retourne immédiatement à la salle de bain jusqu’à ce qu’elle soit partie.

Une fois que Hold Me-Touch-Me est partie, Leo s’excuse d’avoir interrompu Max. Max est prêt à se fâcher sur Leo mais, étonnamment, Leo est un de ses fans; il lui confie son désir secret d’être producteur à Broadway. Max lui dit de commencer par faire les comptes. Tout est très bien monté, car sur cette petite scène, il y a un gros coffre-fort, résidu de la grande époque. Quand on l'ouvre, il est vide à l'exception de deux ou trois livres comptables.

Max et Leo: on pourrait gagner plus d’argent avec un flop qu’avec un hit

Leo se rend compte que les livres de Max ne sont pas encourageants, mais, quand il essaie de le dire à Max, ce dernier devient tellement nerveux que Leo finit dans une position fœtale sur le sol. Max finit par le rassurer: le spectacle a levé 100.000$, mais n’a coûté que 98.000$. Max supplie Leo de l’aider à cacher cette petite somme d’argent, plutôt que de l’envoyer en prison. Leo est d’accord, car il est peu probable que l’IRS regarde dans les livres d’un flop. Max fait alors une simple observation: dans les bonnes circonstances, on pourrait gagner plus d’argent avec un flop qu’avec un hit. Soudain, Leo est à l’écoute. L'idée de génie de Mel Brooks est là!!!!

Max explique qu'il faut d'abord trouver la pire pièce jamais écrite, puis trouver le pire metteur en scène en ville, ensuite amasser deux millions de dollars, puis embaucher les pires acteurs en ville avant d'ouvrir à Broadway et fermer le même soir pour cause de flop. L’étape finale: fuir à Rio avec l’argent! Leo n’est pas convaincu, mais Max essaie de lui vendre l’idée: "We Can Do It".

L'esprit tout embrouillé, Leo retourne à son bureau de comptable. Après avoir été réprimandé par son patron pour avoir six minutes de retard, il est d'autant plus persuadé que serait son rêve de produire un spectacle à Broadway et chante: "Je voudrais être un producteur". Il quitte son emploi et retourne au bureau de Max, lui annonçant "We Can Do It".? Max et Leo commencent à lire des scénarios dans le bureau de Max pour trouver le flop assuré.

Les pièces sont mauvaises, mais pas assez. Enfin, Max trouve la pire pièce jamais écrite: "Printemps pour Hitler": une farce avec Eva et Adolf à Berchtesgaden. Dans West Village à New York, Franz Liebkind, l’auteur de "Printemps pour Hitler", s'occupe de ses pigeons sur son toit. Il porte un pantalon de cuir et un casque de l’armée allemande et chante une ode à sa patrie, cette bonne vieille Bavière.

Souci du détail, quand les pigeons s'inclinent, il y a une croix gammée tatouée sur leur dos

Lorsque Max et Leo arrivent, Franz doute de leur intention. Cependant, il est ravi de la perspective d’afficher le nom du Führer en grand à Broadway. Il ne signera pas le contrat avec Max et Leo à moins qu’ils prouvent qu’ils feront justice à la mémoire du Führer en se joignant à lui dans la chanson et la danse préférées du Führer. Il leur fait aussi prêter le serment sacré de Siegfried, pour ne jamais déshonorer la mémoire d’Adolph Elizabeth Hitler, puisque le Führer était issu d’une longue lignée de reines anglaises. Ils prêtent serment et les droits leur appartiennent.

Ils se rendent ensuite chez le metteur en scène connu, Roger De Bris. Carmen, son assistante, répond aux appels téléphoniques lorsque Max et Leo entrent. De Bris entre dans une robe argentée Art déco pleine longueur. Il dit à Max que la pièce de Franz est remarquable, mais trop sombre et déprimante pour qu’il puisse la diriger. Cependant, lorsque Max l'appâte en lui donnant l’idée d’obtenir un Tony Awards, De Bris signe le projet.

Carmen et le metteur en scène De Bris 

Une fois de retour au bureau de Max, une jeune et belle femme suédoise nommée Ulla frappe à la porte. Elle veut passer une audition, elle sait qu’elle a ce qu’il faut pour attirer leur attention et obtenir le poste...

Max lui offre le rôle et le travail de secrétaire/réceptionniste jusqu’à ce que les répétitions commencent. Max explique alors à Leo que les producteurs n’ont jamais mis leur propre argent dans un spectacle, il doit donc maintenant aller faire une visite au Little Old Lady Land. Max fait ce qu’il doit faire avec son corps pour obtenir les chèques et, à la fin, il a recueilli assez d’argent pour produire une représentation du spectacle et Springtime for Hitler est annoncé à Broadway.

Entracte. Cette peti2photo pour me souvenir d'où j'étais dans la salle.

Ce spectacle est une bombe. Tous les acteurs sont exceptionnels. Ils n'ont aucune limite et même quand ils vont terriblement loin dans ce qu'ils proposent, cela passe toujours. Et j'en suis persuadé, c'est cet équilibre qu'il faut atteindre et ne pas dépasser pour que le spectacle soit un succès.

Après l'entracte, Max et Leo arrivent au bureau pour découvrir qu’Ulla a rangé le bureau et aussi redécoré dans un style "suédois"; tout est blanc brillant avec des petites fleurs. Max sort de l'argent liquide du coffre et quitte la pièce pour aller payer le loyer du théâtre aux Shubert. Après le départ de Max, Ulla se rapproche de Leo...

Il faut passer à la phase 3 du projet: les auditions. Lors des auditions, l’équipe de création voit une série d’acteurs terrifiants qui essaient de danser et de chanter, chacun chantant Hitler d'une manière pire que le précédent. Lors d’une interprétation particulièrement mauvaise, l'auteur, Franz, monte sur scène lui-même pour montrer à un acteur comment il faut faire fait. Sa performance est magnifique - dans le style - et il est choisi pour jouer son héros.

Nous voilà en preview, où les ouvreuses sont toujours là. Léo, faisant semblant d’ignorer les superstitions théâtrales, souhaite "Bonne Chance" à tous. De Bris et Carmen sont choqués. Dans l’excitation, Franz se casse une jambe. Le spectacle doit continuer, cependant, et Max insiste pour que De Bris reprenne le rôle de Hitler.

La scène se transforme en spectacle dans le spectacle, avec le grand numéro de De Bris. Bien sûr, ici, vu la taille de la scène, il y a un certain nombre de choses qui ne sont pas présentes, comme au Drury Lane: la dans de claquettes avec des danseurs et danseurs avec des coiffures surmontées de bretzels géants. Il y a avait aussi une scène Staline, Churchill et Rossevelt, qui sont vaincus par le chant et les danses à claquettes d'Hitler, l'applaudissent. Il n'y a pas la danse des chars, mais bien deux sous-marins à hurler de rire.

Quand le public quitte la salle, Max et Leo attendent les critiques négatives. Mais, à leur grand étonnement et consternation, le spectacle est un succès! Leo et Max ne peuvent pas comprendre comment cela est possible. Leo prend les livres de comptes pour s'enfuit quand entrent dans le bureau De Bris et Carmen. Ils sont bientôt suivis par Franz, qui brandit un pistolet, furieux qu’ils se soient moqués d’Hitler. Une énorme bagarre s'ensuit et lorsque le pistolet de Franz finit par s’arrêter de tirer, la police fait irruption pour essayer d’arrêter le tireur présumé... Franz, fuit hors de la scène et se casse l'autre jambe. Les flics l’arrêtent, mais trouvent les deux livres de comptes sur le canapé: le vrai et le faux.... Max est arrêté, mais Leo, qui se cache, est convaincu par Ulla, qui vient d’entrer dans une robe moulante, qu’il ne doit pas se rendre. Elle veut aller à Rio avec lui...

Dans une cellule de détention quelques semaines plus tard, Max reçoit une carte postale de Leo et Ulla depuis le Brésil. Max se sent trahi par ce coup de poignard dans le dos de Leo. Dans une salle d’audience, Max est sur le point d’être condamné lorsque Leo réapparaît. Il remet les restes des deux millions de dollars au juge et réaffirme son amitié avec Max. Le juge, ne voulant pas rompre une amitié aussi touchante, les condamne tous deux à cinq ans de prison.

Nous passons à la prison de Sing Sing, lors d’une répétition de Prisoners of Love, la dernière production de Bialystock et Bloom. Alors que le titre est chanté par les prisonniers, un commissaire entre avec une grâce pour Max, Leo et Franz. Ils célèbrent tous le transfert de Prisoners of Love à Broadway. Ulla et De Bris apparaissent comme les stars. Le spectacle est dans sa quatrième année de succès à Broadway - Max et Leo sont devenus de véritables producteurs à succès.

 Saluts...

Comme monté au Menier, The Prodcucers ne pose aucun problème. MAIS... Le plus gros problème aujourd'hui avec un revival de The Producers est que les conventions sociales ont beaucoup évolué depuis 1967 (lorsque le film a été tourné) et même 2001 (lorsque la comédie musicale a été créée. Et une production de 2024 doit tenir compte de divers stéréotypes sur les Juifs, les homosexuels, les femmes comme objets sexuels, ainsi que de ce que sont aujourd’hui devenus les nazis.

Le metteur en scène, Patrick Marber, a tenté - avec succès - de dépasser tous ces stéréotypes. Mel Brooks est un Juif qui aime se moquer des Juifs. Ses deux personnages principaux sont ouvertement juifs (Max et Leo) et veulent faire fortune dans le monde du spectacle... Le magnifique Max d'Andy Nyman incarne certainement beaucoup plus que certains stéréotypes caricaturaux: c'est un être humain terrible à bien des égards, mais il est incontrôlable, ce qui le rend très attachant. L’actrice suédoise Ulla, la bombe suédoise de Joanna Woodward, est physiquement très attirante, mais on est très loin de la version londonienne d'il y a vingt ans où l'on avait principalement deux seins sur des talons. Le côté capricieux de l'homosexuel De Bris joué par Trevor Ashley est tellement drôle, mais énervant qu'on n'a aucune compassion pour le personnage et donc on a moins l’impression d’être dans une moquerie des stéréotypes homosexuels que cela n’a été le cas à une certaine époque. Sa longue carrière dans le drag queen, le cabaret et la pantomime se présente, alors qu’il fait des entrées spectaculaires dans des robes à paillettes qui deviennent des mini-robes et, dans une scène particulièrement mémorable, monte sur scène dans un char. Le reste a besoin d’être vu pour être cru. Cela reste un spectacle de Mel Brooks qui peut offenser, mais Marber injecte une sensibilité quand cela est nécessaire...

Mais, même si nombreux sont aujourd'hui ceux qui estiment que l'on ne peut plus rire, même avec bienveillance, des homosexuels, des juifs ou du physique des femmes, l'approche des nazis est différente. En effet, en 1967 (sortie du film) ou en 2001 (création du musical), on n'avait pas une résurgence aussi maquée de l'extrême droite ou des sympathies nazies. Le nazisme ne semblait pas nécessairement particulièrement d’actualité. L'extrémisme politique est beaucoup plus visible de nos jours et les comptes pro-Hitler sincères sur les réseaux sociaux sont d’une facilité alarmante à trouver.

Et c'est ici encore que la vision du metteur en scène Patrick Marber sur The Producers est très réussie. La magnifique séquence dépeignant Le Printemps pour Hitler et sa chanson titre est un tsunami de moqueries dirigées contre les pièges de l’extrême droite, effaçant la masculinité de la posture, le symbolisme prodigieux et la philosophie pompeuse du nazisme avec une vague hallucinatoire de fleurs, de paillettes, de bras tendus et de saucisses géantes. C’est incroyablement drôle, mais c’est aussi impitoyable.

Alors, ce spectacle, un jour à Bruxellons! ? Même si c'est terriblement casse-gueule, pourquoi-pas. Mais cette petite version se suffit totalement, ce qui est déjà un problème levé pour nous...

Dernier petit souvenir, pour montrer qu'ils ont tout osé, dans le Printemps pour Hitler tout l'ensemble parait en scène en justaucorps noir avec juste un pigeon chacun dans la main. On assiste ainsi au ballet des pigeons du nazisme, si aimé de Franz Liebkind. La salle hurle de rire quand on voit qu'ils ont des croix gammées sur les ailes. Mais c'est mon premier ballet en justaucorps noir dans le West End.

Par souci de souvenir et de contraste, voici aussi les passages de The Procuders (Version Drury Lane) au "The Royal Variety Performance". Cela a vraiment vieilli, non?

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Le grand spectacle des fêtes du National. Une tradition. Et une fois encore, le NT s'attaque à un monument de la littérature anglaise pour enfants: Ballet Shoes de Noel Streatfeild (voir photo ci-contre) de 1936.

Née en 1896, deuxième de cinq enfants, Noël était considérée comme la sœur «ordinaire» de sa famille, mais brillait dans les spectacles de charité avec ses sœurs. Adulte, elle s’oriente vers une carrière théâtrale et acquiert dix ans d’expérience en tant qu’actrice. Sa familiarité avec la scène sera à la base de bon nombre de ses livres populaires pour enfants, qui parlent souvent d’enfants aux prises avec des carrières dans les arts.

Dans la première moitié des années '30, elle a publié six romans pour adultes et un certain nombre de nouvelles dans des magazines. Son livre Ballet Shoes, sorti en 1936, alors qu'elle a 41 ans, est son premier livre pour enfants. Elle va en fait recevoir une suggestion de son éditeur, d'écrire un roman pour enfants au sujet du théâtre. Elle allait développer l'histoire fascinante de trois enfants adoptées, caractériellement très différentes.

L'histoire se déroule chez Matthew Brown (surnommé 'Gum'), un géologue et professeur âgé qui est passionné par ses recherches. Au début de la pièce, dans un prologue ludique et rythmé, on nous plante rapidement le décor. Gum est un peu énervé lorsqu’une petite-nièce de 12 ans, Sylvia, dont il ne savait rien, est déposée sur le pas de sa porte, car ses parents sont décédés. Mis devant le fait accompli, il n'en arrête pas pour autant ses voyages géologiques à travers la planète et confie Sylvia à sa Nana, son ancienne nounou qui travaille toujours là (en réalité, Miss Guthridge - jouée par Jenny Galloway qui a été Madame Thénardier dans le 10th Anniversary Concert de Les Misérables en 1995 au 25th Anniversary Concert à l'O2 en 2010, et Rosie dans le cast original de Mamma Mia! - rien de moins...).

Quelque peu séduit par l’idée de sauver des bébés orphelins, ses trois prochaines expéditions le voient ramener à la maison trois petites filles... L'aînée, Pauline, est sauvée d’un naufrage. Elle commence à aller à l’école à l’âge de six ans. La sœur cadette, Petrova, est adoptée d’un jeune couple décédé en Russie. Petrova est un garçon manqué, travailleuse et appliquée, mais ne s’intéresse qu’aux moteurs, aux avions et aux voitures. Enfin, la plus jeune sœur, Posy, que Gum envoie à la maison dans un panier avec une paire de chaussures de ballet. Sa mère, une danseuse, pourrait bien être en vie, car on dit qu’elle « n’a pas de temps pour les bébés » au moment de l’adoption de Posy. Qui s'occupe des trois enfants? Nana (ci-contre) bien sûr et Sylvia.

Il continue ses expéditions et ses conférences.

Mais Gum se lance alors dans une expédition de plusieurs années et s’arrange pour obtenir de l’argent afin de subvenir aux besoins de la famille (Nana, Sylvia et les trois gamines) pendant son absence. Quand les trois filles vont à l’école pour la première fois, elles se rendent compte que, même si elles sont trois sœurs, elles n’ont pas de vrai nom de famille et décident d’en inventer un. Gum, quand il écrit aux enfants, il les appelle ses « petits fossiles ». Alors, les filles décident d’utiliser Fossil comme nom de famille. Et elles se font une promesse fondamentale: ajouter leur nom aux livres d’histoire.

 Posy, Petrova et Pauline: les trois sœurs Fossil se font une promesse: entrer dans les livres d’histoire.

Mais Gum ne revient pas à la fin des cinq ans promis et l’argent est presque totalement épuisé. Comme elles n’ont aucun moyen de le contacter ou de le retrouver, Sylvia et Nana n'ont plus d'argent pour faire vivre la petite famille.

Elles n'ont qu'une solution. Réaménager la maison de Gum et louer des chambres à des pensionnaires. Par manque d'argent, les trois enfants doivent aussi quitter l'école. Des pensionnaires très différents vont rejoindre le foyer. Dr Jakes et Dr Smith, deux gentilles femmes universitaires plus âgées (avec des chambres séparées) qui sont, respectivement, deux professeurs de littérature et de mathématiques à la retraite. Elles proposent d’enseigner aux filles. La Dr Jakes inspire enseigne aussi aux filles de penser que leur état d’adoption est plein de potentiel et d’individualité, sans aucune chance que leurs réalisations soient attribuées à des liens familiaux. Elle raconte son histoire personnelle: elle s'est retrouvée sans rien à la mort de son partenaire. Elle confie être lesbienne à Nana.

Il y a aussi Mr Simpson, un mécanicien asiatique. M. Simpson est particulièrement ami avec Petrova, en raison de sa voiture Citroën et de son garage de réparation automobile.

 Petrova et M. Simpson. Et la Citroën!

Et enfin, la troisième pensionnaire, Mlle Theodora « Theo » Dane, est professeur de danse à l’Académie des enfants de ballet classique. Elle s’arrange pour que les enfants, dans un plan social de charité, puissent suivre les cours à l’Académie pour enfants de danse et de formation scénique.

Le premier cours de danse. Petrova (3ème enfant partant de la gauche) est à hurler de rire tellement elle déteste cela 

Les trois filles vont ressentir très différemment leur intégration dans cette école. Pauline découvre qu’elle a un talent et une passion pour le théâtre alors que Petrova déteste jouer et danser. Posy a un vrai talent pour la danse.

Mlle Theodora initie Pauine et Posy à la danse avant de passer la main à Mme Fidolia 

La passion de Pauline pour le théâtre va être "façonnée" par Dr Jakes qui va lui faire travailler ses textes et ses techniques théâtrales.

 Pauline et Dr Jakes travaillant l'art dramatique

Pauline, en tant que sœur aînée, veut faire de son mieux. Elle prend souvent des décisions pour tout le monde. Mais, avec son vrai talent théâtral, elle commence à devenir de plus en plus arrogante et prétentieuse. Lorsqu'elle est choisie pour un rôle principal dans Les Aventures d’Alice au pays des merveilles après avoir joué dans L’Oiseau bleu, le succès précoce lui monte à la tête. Pour cette raison, le soir de la première, le producteur la remplace par son understudy pour un soir. Grâce à cela, Pauline apprend suffisamment d’humilité pour équilibrer son talent et continue à jouer de nombreux rôles principaux à succès.

 Pauline, à l'extrême gauche, regarde depuis les coulisses le spectacle auquel elle aurait dû participer

Posy a elle un vrai talent pour la danse. Très vite, Madame Fidolia, une célèbre danseuse russe à la retraite, va la repérer et donner à Posy des cours privés, ce qu’elle n’a jamais fait auparavant.

Posy et Madame Fidolia 

Le personnage de Madame Fidolia est évidemment terriblement impressionnant. Elle est une danseuse qui fut célèbre dans l'empire tsariste. Elle balade avec elle un passé impressionnant, mais aussi des rêves. On entre à des tas de moments dans ses souvenirs par des flashbacks où elle nous apparait jeune. Tout cela explique l'exigence absolue qu'elle a par rapport au talent de Posy. Elle est en fin de vie et veut transmettre. Mais elle ne lui passe rien. La danse classique est un art exigeant. Et elle ne pourra faire des pointes et porter des "ballet shoes" que quand elle aura le niveau, c'est-à-dire aura beaucoup beaucoup travaillé. Et, bien sûr, lorsqu'elle mourra, elle lèguera des "ballet shoes" à Posy. La scène où Madame Fidolia se voit jeune dans un miroir de danse est à nouvea très touchante...

 La Madame Fidolia d'hier et d'aujourd'hui

Mais tout ce texte est réellement ancré dans une réalité sociale. À mesure que les enfants grandissent, ils assument une partie de la responsabilité financière pour soutenir le ménage. Une grande partie du drame vient des frictions entre les sœurs et de l’équilibre entre leur désir d’aider financièrement la famille et les lois limitant le temps qu’elles peuvent passer sur scène pour gagner leur vie.

Posy est en train de devenir une brillante danseuse de ballet. Elle se heurte également à ses sœurs, car elle est tellement concentrée sur la danse qu’elle est insensible à tout ce qui se met en travers de son chemin. De son côté, Petrova ne s’intéresse pas aux arts de la scène et a peu de talent pour cela, mais doit continuer à suivre des cours et à jouer dans des spectacles pour aider à subvenir aux besoins de la famille. Cependant, elle s’accroche toujours à son propre rêve de piloter un avion. Il y a d'ailleurs une scène très drôle où Petrova, encore enfant, prend ses deux sœurs dans la voiture et Mlle Theodora pour une raison que j'ai oubliée. Mais cela démontre tellement le côté de cette gamine qui adore la mécanique.

L’autre chose qui représente très bien historiquement son époque, c’est que la pauvre Sylvia a été laissée sur l’étagère. C’est une femme assez jeune, probablement 25 ans au début du livre, mais, vers la fin du livre, Nana constate tristement que ses cheveux grisonnent et que son visage est ridé d’inquiétude. Nous nous rendons compte que Sylvia fait partie de la génération de jeunes femmes dont les futurs maris ont été tués pendant la Première Guerre mondiale et ... qui restera seule alors qu'elle ne l'a nullement décidé.

Le spectacle se termine avec Pauline partant à Hollywood pour tourner dans un film, accompagnée de Sylvia. Posy va entrer dans une école de ballet à Prague, accompagnée de Nana. Petrova se demande ce qu’elle va devenir, car elle est encore trop jeune pour vivre seule et ne veut ni danser ni jouer. C'est à ce moment que Gum revient. Il a été absent si longtemps qu’il ne se rend pas compte de qui sont ces trois jeunes femmes. Mais après avoir reconnu qu’il s’agit de "ses trois bébés" qu’il a abandonnées il y a de nombreuses années, il décide de prendre Petrova sous son aile et de l’aider à réaliser son rêve: devenir pilote d'avion....

Comme d'habitude au National, les choses sont faites avec soin et intelligence. La scénographie de Frankie Bradshaw est parfaite. Elle transforme le gigantesque plateau de l'Olivier Theatre en un espace plus intime dominé par des boîtes contenant les découvertes de Gum (majoritairement des squelettes), avec une mezzanine à mi-hauteur du mur du fond comme espace de jeu supplémentaire très pratique.

Cela laisse le sol vide pour les chorégraphies et les accessoires mobiles animés – miroirs de danse pleine longueur, portes, meubles, voiture ancienne – qui dansent leur propre danse alors qu’ils se faufilent dans l’action.

La metteuse en scène Katy Rudd a gardé à l’esprit que pour raconter une telle épopée, il faut rester audacieuse et inventive. Et surtout garder du rythme. C’est le genre de production où l’épave de Gum est recréée en un clin d’œil avec des draps et des poteaux. Lorsque Petrova se lance dans une course effrénée à travers le centre de Londres, des artistes tenant des arbres et des lampadaires se précipitent chaotiquement pour indiquer sa vitesse. Une séquence brillante, utilisant simplement la lumière et de la glace sèche, montre le câblage et la plomberie de la maison en train de s’effondrer. L'éclairage est de Paule Constable, qui crée également un trou entouré de néons d'où surgit d'une obscurité totale le lapin blanc, sautant dans une Alice au pays des merveilles dans laquelle Pauline est impliquée. Magie de scène.

La chorégraphe Ellen Kane, avec l'accord de l'adaptatrice Kendall Feaver, s'est évidemment autorisée à proposer sur scène de la danse plus contemporaine que celle datant de 1936, la création du roman. Ellen Kane propose plusieurs grandes routines d’ensemble qui font penser à Bob Fosse. Le « ballet futuriste » dans une production du Songe d’une nuit d’été dans laquelle Pauiine et Petrova apparaissent, avec des costumes pop-art astucieux à effet métallique et des mouvements « mécanisés ». Cette section donne également à Petrova sa première chance de voler, un moment exaltant pour l’artiste et le public.

Et de nouveau, ce qui est magique c'est qu'une scène comme celle ci-dessus cohabite avec une comme celle ci-dessous en quelques secondes et montre de la plus simple des manières que ces trois enfants ont leurs propres trajets de vie.

Très très beau spectacle. Pas du tout manichéen. Qui parle à l'entièreté de la famille. Une magnifique ode à la scène et à la réalisation des rêves.

PS: je me suis rendu compte en lisant le programme que le comédien Justin Salinger qui joue le rôle de Gum joue aussi celui de Madame Fidolia. Chapeau bas...

PS2: j'étais super bien placé...

PS3: des vidéos

PS4: vous aviez déjà vu le National comme ça?

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Alors, ici, on est en rupture avec tout ce que j'ai vu cette semaine. Même si certains des spectacles vus étaient des adaptations d'œuvres cinématographiques (Curious Case of Benjamin Button, Moulin Rouge!, Harry Potter et The Producers), ici on vient du monde de la série TV. Cela n'est pas si différent? Quand même... Dans le rythme, dans le nombre d'intrigues en parallèle, dans le nombre de personnages principaux...

Quoi qu'il en soit, il s'agit bien d'un OVNI théâtral. Et les gens dans la salle s'attendent précisément à cela... La plupart d'entre nous ont vu les quatre premières saisons de Stranger Things, la cinquième et dernière sortant en 2025.

Le début de la série...

Tout commence le 6 novembre 1983 à Hawkins dans l'Indiana... Le jeune Will Byers rentre chez lui à vélo après une partie décevante de Donjons & Dragons chez un ami, lorsqu’une silhouette terrifiante apparaît soudainement... Will tente de s’échapper et de se cacher, mais il est enlevé...

Les amis de Will, Dustin, Lucas et Mike, commencent à enquêter sur sa disparition; alors qu’ils cherchent Will dans la forêt locale, les garçons trouvent une fille au crâne rasé dans une chemise d’hôpital, qu’ils cachent dans le sous-sol de Mike. Ils apprennent qu’elle s’appelle Eleven ("11") et qu’elle a des capacités psychocinétiques.

 Le jeune Will et Eleven - Saison 1

La mère de Will, Joyce, est fascinée par des événements surnaturels affectant l’électricité de la maison - elle est convaincue que Will communique avec elle. Alors que ces événements étranges se poursuivent, elle est témoin du même monstre qui a pris Will, qui la menace à de nombreuses reprises.

 Joyce (la mère de Will) et le Sheriff Jim Hopper- Saison 1

On se souvient tous de ce début et de beaucoup de rebondissements pendant les 4 saisons qui suivent, dont de nombreux flashbacks... Et bien, Stranger Things: The First Shadows, c'est le prequel de tute cette histoire. On va, entre autres, retrouver Joyce et Jim alors qu'ils étaient eux-mêmes ) l'école, encore adolescents.

Voici la video qui annonce le lien entre les deux mondes: série et théâtre:

STRANGER THINGS: THE FIRST SHADOW

Prologue 

Tout commence très fort. Noir total et on se retrouve comme avec deux géantes cases de BD. L'une, on semble être dans le poste de pilotage d'un bateau militaire. Dans l'autre case, on est plus sur le pont, dans un endroit lié à la défense antiaérienne. Nous sommes en 1943, les États-Unis mènent des expériences secrètes sur l'USS Eldridge, dans l'espoir d'utiliser un champ de force pour rendre le vaisseau invisible et indétectable pour les Allemands. Mais cela va mal tourner. Ils sont attaqués. Cela se bat dans "les deux cases de BD". Rien que le niveau sonore, on est plongé au milieu de la bataille. Noir. Quelques secondes durant laquelle l'ambiance sonore nous fait comprendre que c'est sans aucun espoir. Et puis la lumière se rallume sur une vision de la proue du bateau en train de couler. Cette proue occupe l'entièreté de la scène du Phoenix. Waow. En fait, le vaisseau est transporté dans une autre dimension, la dimension X, où la plupart des membres de l'équipage sont tués par d'étranges créatures humanoïdes. Re-noir.

L'avant du bateau est en vrai, des marins en tombent. C'est totalement incroyable. Noir.

Et bien sûr, générique sur le rideau de fer... . Rien que pour cela, cela valait la peine de venir.

Chapter One: The Girl from Nowhere (1959)

On se retrouve 15 ans après le prologue. En 1959, la famille Creel (ci-contre) - composée des parents, Victor et Virginia, et de ses deux enfants, Henry et Alice Creel - déménage dans une nouvelle maison à Hawkins, dans l'Indiana, parce qu’Henry a été expulsé de son ancienne école pour avoir gravement blessé un autre élève. Henry est un enfant de 14 ans, tourmenté, mentalement perturbé. Sa mère Virginia s’inquiète constamment pour lui, tandis que son père Victor, qui souffre de stress post-traumatique lié à la Seconde Guerre mondiale, se blâme et sombre dans la boisson.

Henry a du mal à se faire des amis en rejoignant le lycée de Hawkins; malgré cela, il noue rapidement une relation avec Patty Newby, la fille du directeur de l'école. Les deux se lient d’une vraie amitié autour des bandes dessinées et se sentent comme des étrangers dans l'école - Henry à cause de son sombre passé, et Patty parce qu’elle ne sait pas qui est sa mère.

 Patty et Henry

Henry, nous l’apprenons finalement, a disparu pendant 12 heures dans le désert du Nevada lorsqu’il était enfant, et a maintenant un lien inexplicable avec une autre dimension qui se traduit par des capacités psychocinétiques.

Alors que sa relation avec Patty s’épanouit, Henry propose d’essayer de l’aider à retrouver sa mère en utilisant ses capacités, mais cela semble donner à cette entité ressemblant à une ombre - le Mind Flayer - plus de pouvoir sur lui.

Patty convainc Henry que ses pouvoirs ne sont pas mauvais et qu'il devrait pouvoir les contrôler et les utiliser pour le bien.

 Henry et Patty

Henry crée une «vision» pour Patty, où elle peut s'exprimer par la chanson tout en étant soutenue par tout le monde autour d'elle. Ils se rapprochent l'un de l'autre, se rencontrent tous les jours après l'école et finissent par s'embrasser. Pendant ce temps, Joyce Maldonado tente d'organiser une production théâtrale jouée par les élèves de "Dark of the Moon".

 Répétition de "Dark on the Moon" - debout sur la chaise: Joyce 

Alors qu'il est seul au grenier de sa nouvelle maison à Hawkins, Henry est envahi par l'influence d'une présence obscure - son esprit entre dans ce qu'il appelle «le champ de bataille», d'où il procède à tuer plusieurs animaux, dont le chat de Claudia Yount, Prancer.

La scène où Henry, au premier plan, tue le chat de Claudia qui se trouve dans le magasin à l'arrière... 

Henry est hanté par des visions d'un monstre humanoïde; il est terrifié à l'idée d'être obligé de tuer Patty. Suite à cela, le frère adoptif de Patty, Bob, fait équipe avec Joyce et son ami James Hopper Jr. pour enquêter sur les meurtres d'animaux et ... sauver Hawkins. Ils désignent Victor, le père de Hnery, l'alcoolique, comme leur principal suspect et élaborent un plan élaboré pour l’attraper lors de la soirée d’ouverture de la pièce de Joyce. Ils sont certains que, comme Henry est l’une des vedettes de la pièce, son père sera présent. Mais tout se détraque quand Henry est introuvable.

Joyce, Bob et James enquêtent sur les meurtres d'animaux

Patty convainc Henry d’utiliser ses pouvoirs pour retrouver sa mère biologique. Pendant qu’il fait cela, et à l’intérieur du vide, il perd le contrôle et est de nouveau visité par le monstre. Cela effraie Patty, et quand son père entre et assiste à la scène, il est attaqué et presque tué (par Henry contrôlé par le monstre).

  Patty, Henry et le père de Patty

Patty est capable d’encourager Henry à riposter en lui disant qu’elle croit qu’il est bon et qu’elle l’aime. Henry répond qu’il l’aime aussi et est capable de mettre fin à la situation, mais pas avant que le père de Patty soit aveugle et gravement blessé. M. Newby est envoyé à l’hôpital.

De son côté, la mère de Henry, Virginia, envoie Henry au Dr. Martin Brenner.

On apprend que le Dr l'a "droguée" de sorte que, sous l’influence de ces drogues, Virginia raconte tous les faits et gestes de Henry au Dr. Brenner sur son fils.

Quand M. Newby se réveille, il dit à Patty que Henry l’a sauvé du monstre. M. Newby dessine une image de l’entité sombre sur un morceau de papier et la donne à sa fille: c’est le Mind Flayer.

Entracte... C'est indispensable, car cela fait 1h20 qu'on ne respire plus.

Chapter Two: Captain Midnight

Changement d'ambiance totale.

Le Dr. Brenner a emmené Henry dans (son) Laboratoire National de Hawkins, où les deux discutent du passé... Le Dr. Brenner explique que son père était le capitaine et seul survivant de l’expérience de l’USS Eldridge - le bateau que l'on a vu sombrer au début du spectacle. Après cet incident dramatique, il est revenu au "monde normal" avec des blessures importantes et, surtout, un type de sang unique. Brenner aîné a révélé plus tard la vérité sur ces événements sur son lit de mort. Le Dr. Brenner a par la suite créé l’expérience du Nevada, une tentative de reproduire ce qui était arrivé à l’Eldridge.

Un des collègues de Brenner a fait défection et volé la technologie développée pour la transporter dans une grotte de Nevadan. À cette époque, un très jeune Henry et les Creels vivaient non loin, à Rachel, dans le Nevada. En explorant les grottes de Nevadan et en jouant avec une lunette, Henry est tombé sur la technologie volée, qui s’est activée de manière inattendue, le transportant ainsi que le scientifique déserteur vers la dimension X. Ce sont les 12 heures de disparition de Henry dont nous avons parlé ci-dessus et qui ont fait basculer la vie de Henry. Dans la dimension X, Henry a été exposé à l’influence de l’entité sombre. Bien qu’Henry soit rentré chez lui après 12 heures, il possédait maintenant un groupe sanguin unique et avait changé de personnalité. Brenner a pu traquer Henry grâce à la chute de son télescope dans les grottes.

Henry, à l’aide d’une chambre de privation sensorielle, montre à Brenner une créature humanoïde traversant le Vide. Brenner voit cette créature affichée sur un écran, et Henry convulse.

Brenner tente alors de forcer Henry à tuer un prisonnier, mais Henry craque et finit par poignarder deux gardes. Après cela, Henry dit à Brenner qu’il peut le laisser partir. Brenner comprend que le garçon est dévoué à quelqu’un et ne peut donc pas tuer; plus tard, Brenner se rend compte que cette personne est Patty et jure de la trouver et de la tuer.

Henry rentre chez lui, mais il sent que sa famille n’est pas heureuse de son retour. Grâce à ses pouvoirs, il lit les pensées de sa mère et comprend le rôle qu'elle a tenu, et surtout, qu’elle veut le renvoyer chez Brenner. Henry cède à l’influence de l’entité sombre; alors qu’il est possédé, il tue Virginia, sa mère, et Alice, sa sœur, avant de tomber inconscient, avec Victor, son père, également tombé inconscient.

Se réveillant dans une confusion étourdie quelques heures plus tard, Henry marche vers le lycée de Hawkins pour sauver Patty de Brenner, où la performance de Dark of the Moon est sur le point de commencer. Dans les cintres au-dessus de la scène, Henry retrouve Patty, mais est interrompu par Brenner qui apparaît de l’autre côté de la scène. Brenner lui dit que Patty est sa faiblesse, et Patty dit à Henry de ne pas l’écouter. Alors qu’Henry lutte pour garder le contrôle de lui-même, il informe Patty qu’il a réussi à trouver sa mère biologique, qu'il s'agit d'une chanteuse au Stardust Casino de Las Vegas. Après cette déclaration, Henry se sentant submergé, l’entité sombre prenant une fois de plus contrôle de lui, et Henry fait basculer Patty du haut des cintres. Brenner ramène Henry au laboratoire d’Hawkins, Patty est emmenée à l’hôpital et Victor Creel est accusé du meurtre de Virginia et Alice sur les hypothèses de Joyce, Bob et Jim sur les meurtres d’animaux.

Epilogue

Quelques années plus tard, un Henry plus âgé est au laboratoire d’Hawkins où il est retenu. En utilisant ses pouvoirs, Henry découvre que Patty a survécu à sa chute et qu’elle a quitté l’hôpital, mais qu'elle doit maintenant marcher avec une canne. Henry l’observe à Las Vegas, où elle rencontre sa mère dans les coulisses après une performance au Stardust Casino; Patty et sa mère se reconnaissent et s’embrassent.

Le Dr. Brenner informe Henry que les transfusions de sang administrées aux nouveaux sujets des essais ont été réussies; comme récompense, Brenner libère Henry de ses contraintes. Dans la salle Rainbow, on présente Henry à l’un des enfants; Henry remarque: "Bonjour, Eleven, j’ai quelque chose de nouveau pour toi." La pièce s'enflamme et la silhouette de Vecna apparaît sur le mur du fond.

Noir... Re-Waow.

Il s'agit vraiment de participer à une expérience. On est plongé dans un vrai mystère total: à commencer par la disparition d’un navire de guerre et une expérience de laboratoire qui explique la naissance de l’Upside Down. Il n’y a pas encore d’Eleven, mais Henry, le petit nouveau de la ville, apporte des pouvoirs sombres. Il a une romance bizarre avec Patty et une relation sinistre avec le Dr Brenner. Et même si cela paraît naïf, on ne regarde pas cette histoire. On la vit. On est à Hawkins.

Il y a de la vitesse, de l’action et de l’ampleur. Un coup de théâtre chasse l’autre et on admire un immense savoir-faire des metteurs en scène Stephen Daldry et Justin Martin. La réalité quotidienne et banale des couloirs et des toilettes du lycée se transforme en mondes alternatifs époustouflants. Ces changements se produisent en quelques secondes, on passe du gothique à l’ordinaire en un clignement d'œil, grâce au génie de la scénographe, Miriam Buether. L’éclairage époustouflant de Jon Clark passe du sinistre à l'ensoleillé, tandis que les personnages se transforment avec eux (c'est lui qui a fait la création lumière de The Lehman Trilogy, vue au début de la semaine).

Il y a aussi des moments vraiment sombres - on plonge vraiment dans le film d’horreur - qui prennent leur ampleur en contrastant totalement avec cette Amérique rétro rassurante de la fin des années '50.

Même si on ne suit pas toujours l’intrigue - soyons honnêtes - on reste profondément ébranlé par tous ces héritages toxiques et la recherche de bons parents et la volonté de se libérer des mauvais. Le spectacle aborde aussi très intelligemment l’altérité et les angoisses des adolescents à propos d’être « normal ».

La pièce dure plus de trois heures, mais pas une seconde on ne s'ennuie.The First Shadow tient en haleine 1.500 spectateurs tout au long du spectacle. Cela est aussi grandement dû à la qualité des artistes du plateau. Le comédien qui joue le rôle de Henry est Louis Healy. Ce n'est pas le même que celui qui avait créé le rôle et que j'avais vu l'an passé (Louis McCartney) qui est parti faire la création à Broadway. Je trouve Louis Healy tout aussi épatant que le créateur du rôle. Par moment même un peu plus inquiétant. En ce sens qu'on voit vraiment les différentes couches. La scène, où, pour la première fois, il rencontre Patty. Ses yeux sont très attirés par Patty, mais son visage est crispé, craintif. Et puis Patty se rapproche. Son visage rejoint alors en quelques secondes l'expression de ses yeux. Magnifique, même si cela nous fait frissonner, car à ce stade on ne sait s'il est sincère par rapport à Patty.

C'est un spectacle à voir et revoir et revoir et ....

La dernière bande-annonce de Londres avec plein de nouvelles images.

Aux Tony Awards 2024:

Rencontre avec le West End Cast

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En route pour assister à deux spectacles d'affilée au "The Other Palace", ce théâtre qui a ouvert en 2012 avec ses deux salles: la grande salle (312 places) et le studio (120 places). Il a ouvert sous le nom de "St James Theatre" mais a été rebaptisé par Andrew Lloyd Webber, "The Other Palace", quand ce dernier a voulu en faire un lieu vitrine pour les nouveaux musicals. Ce lieu présente depuis lors soit de nouveaux musicals, soit des musicals interprétés par de jeunes artistes, leur permettant d'être vus dans des conditions techniques optimales. C'est très différent de nombreux théâtres qui ont cette vocation dans l'Off-West End.

J'ai vu dans ce théâtre de très nombreux spectacles, dont Rent (2016), Big Fish (2017), Amélie (2019), Heathers (2021, 2022) mais jamais rien dans le petit studio...

C'est plus petit que la petite salle du TLP...

Est-ce que la photo de gauche ci-dessous vous dit quelque chose? Et oui, le film Home Alone, ou, chez nous, Maman, j'ai raté l'avion... En dehors de la messe de minuit et de mon voyage annuel à Londres, y a-t-il quelque chose qui soit plus typique de Noël que de regarder une rediffusion de Maman, j’ai raté l’avion à la TV? Et bien, cette année, The Other Palace tente de surpasser ce légendaire classique des années '90 en nous apportant Homo Alone, une parodie au 74ème degré, avec les codes de la panto (pour adultes), qui vous laissera à coup sûr dans les éclats de rire.

Le visuel du film (gauche) explique le visuel du musical (droite) ... 

Allez, commençons par l'histoire en 60 secondes...

L'histoire du film est donc bien celle du jeune Kevin McCallister (8 ans) qui se retrouve seul chez lui, alors que toute sa famille est partie en vacances à Paris en l'oubliant par mégarde, et que des voleurs tentent de cambrioler la maison. L'histoire de Homo Alone est identique, ou presque... Mais ici, Kevin en a tellement marre de ses parents et de sa sœur qu'il voit avec bonheur sa famille disparaître à Paris en l'oubliant à la maison. Mais ici, le père de Kevin, Peter, est un homosexuel "refoulé": il regarde du porno gay hardcore au sous-sol en cachette et chante Céline Dion. Mais ici, la famille est totalement campagnarde. Et enfin - même si on est en décrochage total - ici, le jeune Kevin de 8 ans découvre sa sexualité qui l'attire plutôt vers les hommes. Il fera son "coming out" à sa mère de retour de Paris - qui sera bien entendu ravie, permettant au père d'exprimer lui-même sa propre sexualité.

 La famille (de g. à dr.): Peter (le père), puis la mère (Kate), le fils de 8 ans (Kevin) et la fille (Buzz)

Ils jouent en plus tous plusieurs personnages. Ici, par exemple, les parents jouent les deux cambrioleurs, qui rentrent dans la maison de Kevin laissé seul...

Tout est drôle. Sur les deux heures de spectacles (+ entracte de 20 min) il n'y a pas une seule minute où on n'a pas un éclat de rire. Voici par exemple la réaction du père (homo refoulé) quand sa femme veut lui faire un bisou... On peut dire qu'il l'évite!

Tous les comédiens sont exceptionnels. La scène doit faire 3m sur 4m, sans aucun dégagement. On les voit se faufiler derrière le décor pour apparaître à une fenêtre, mais on s'en fout. Cela fait partie du 74ème degré moyen. Ils passent plein de fois par la salle, se changent 250 fois en deux heures. En plus, on est vraiment dans un style "pantomime", c'est-à-dire que le quatrième mur est brisé: il y a des adresses directes au public.

Kevin (Elliot Evans) 

Le comédien qui joue Kevin, Elliot Evans - que j'ai vu jouer Marty McFly dans Back to the Future à l'Adelphi Theatre l'an dernier - est tout simplement magistral. Ce n’est pas une mince affaire pour un acteur adulte d’incarner de manière convaincante un enfant de huit ans. Sa voix impressionnante lors des chansons agrémente d'ailleurs fortement la soirée. Lors de la partie du spectacle où il découvre sa sexualité, il réalise, pour s'amuser, un strip-tease... Bon, bien sûr, un enfant de 8 ans ne fait pas de strip-tease, mais la rupture du 4ème mur lié au style pantomimique place la scène ailleurs, c'est-à-dire où le comédien joue et allume le public.

C'est à ce moment qu'il découvre les vidéos cachées de son père. Il ne porte qu’un essuie autour de la taille et est assis sur l'appui de fenêtre. Tout à coup, une érection puissante surgit. Je vous rassure, c'est un autre comédien (celui qui joue le père) qui derrière la fenêtre, simule cette érection avec son bras. Après une simulation de masturbation, l'entièreté du public est quand même aspergée ... d'eau.

En fait, on dit souvent qu'à notre époque, on ne peut plus rire de rien. C'est vrai. Mais ici, tout ce dont on ne peut pas rire, ils en rient. Et nous entrainement dans ces rires. Ils rient ouvertement des homosexuels, des femmes, des pauvres, des fonctionnaires, des policiers, de la prétention des riches ... Et ils n'y vont jamais avec le dos de la cuillère.

Qui a écrit ce musical? Jodie Prenger et Bobby Delaney. Jodie Pringer pour les connaisseurs du West End est loin d'être une inconnue. Elle avait gagné en 2008 le télécrochet de la BBC I'd Do Anything ayant pour but d'attribuer le rôle de Nancy dans le revival à l'époque de Oliver! au Theatre Royal Drury Lane. Avant de jouer le rôle de Nancy, Jodie a fait partie de l’ensemble de Les Misérables au Queen’s Theatre en 2008, afin d’acquérir une certaine expérience de la scène dans le West End. Elle a ensuite joué dans de gros succès, comme Spamalot (la Dame du Lac), One Man Two Guvnors, Shirley Valentine,... Elle a aussi mené un brillant combat pour qu'on la laisse vivre - et travailler - avec les kilos qu'elle voulait.

La voici présenter avec ironie 'Homo Alone'...

On retrouve plein de gags du film, comme la poignée de porte surchauffée. Mais l'énorme point fort de la production - et cela n'est possible qu'avec 4 artistes-plateau bourrés de talent - est l'écriture pantomimique qui permet, entre autres, l'improvisation. Et dans cet exercice, Jack North (le père et beaucoup d'autres rôles - photo ci-contre) est un maître. Il est capable de laisser ses collègues en carafe (enfin, ils sont morts de rire avec le public) pendant près de 5 minutes parce qu'il part dans une impro. Par exemple, il mparle pendant 3 minute du jeune stewart de l'avion qui l'a emmené à Paris. Ca n'est pas dans le texte, mais il s'en fout, car cela fait rire tout le monde. Et comme c'est fait avec un immence talent, c'est tout simplement jouissif.

Le public intevient bien sûr à ,de nombreux moments, comme quand Kevin Kevin tend un sac de plumes à quelques spectateurs au premier rang, demandant de le jeter au visage du cambrioleur s'il apparait.

Et puis, il ne faut pas oublier de parler de musique (préenregistrée mais on est dans une salle de seulement près de 100 places, ce qui à Londres est minuscule), les chansons sont fantastiques. Les tubes de Noël classiques réinventés avec des paroles parodiques tiennent tout le public en haleine. Ajoutez à cela une chorégraphie intelligente et des voix puissantes de l’ensemble de la distribution, et on obtient un vrai petit bijou auquel je ne m'attendais pas.

Le The Other Palace en programmant ce genre de spectacle joue vraiment son rôle de mise en lulmière de jeunes talents. Bravo à vous 4... Merci !

Encore une dernière petite remarque, le matin même, j'ai reçu un mail me rappelant que ce spectacle utilisait un humour ironique où les artistes se moquaient de certaines catégories de la population. Ils rappelaient aussi que le spectacle était interdit au moins de 16 ans!

3
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Pour aller au spectacle suivant, il suffit que je prenne l'ascenseur, que je remonte du -2 (le studio) au rez-de-chaussée et que je prenne la première à droite.

Je ne sais pas du tout ce que je vais voir, mais les gens qui entrent dans la salle ont l'air eux de savoir ce qu'ils viennent voir puisque la plupart sont "déguisés" avec des T-Shirts, des casquettes, des écharpes ... aux couleurs du spectacle.

Alors, c'est quoi The Lightning Thief? The Lightning Thief, c'est un roman d’aventures fantastique américain de 2005 basé sur la mythologie grecque, un roman pour enfants. Il a été reconnu parmi les meilleurs de l’année pour les enfants. Une adaptation cinématographique du livre est sortie le 12 février 2010. Et puis, il y a aussi eu une série Disney+, Percy Jackson and the Olympians dont la saison 1 est sortie en décembre 2023.

 Le livre, le film et la série

En juillet 2014, un musical The Lightning Thief d'une heure a été créé Off-Broadway au Lucille Lortel Theatre (affiche ci-contre) dans le cadre de sa série de théâtre gratuit. Il s'est joué un mois avant de partir en US Tour en septembre 2014. , après un passage à New York en 2014. Une version de deux heures a été créée Off-Broadway toujours au Lucille Lortel Theatre le 23 mars 2017 et s'est joué jusqu’au 6 mai de la même année. Le 20 juin, un original cast CD est publié chez Broadway Records. En août 2017, il a été annoncé que la production de deux heures partirait en US Tour à partir de l’automne 2018. The Lightning Thief a ensuite été joué pendant 16 semaines à Broadway, commençant les previews le 20 septembre 2019 (première le 16 octobre) au Longacre Theatre et se jouant jusqu'au 5 janvier 2020. La version du The Other Palace est la création du musical en Angleterre.

Je n’avais jamais entendu parler de ce spectacle....

Le pitch du musical: est ... limpide: "Lorsque l’adolescent new-yorkais Percy Jackson découvre qu’il est le fils de sang-mêlé du dieu grec Poséidon, sa vie prend un tournant dramatique alors qu’il est plongé dans un monde bien plus grand qu’il n’aurait pu l’imaginer. Avec des pouvoirs nouvellement découverts qu’il est incapable de contrôler, un destin indésirable et tout un manuel de monstres mythiques à ses trousses, Percy doit apprendre ce que signifie être un héros. L’avenir du monde est en jeu alors que Percy et ses amis se lancent dans une aventure épique qui vous tiendra en haleine."

En fait, j'ai détesté ce spectacle. Pourquoi? Peut-être par la sur-réactivité du public qui hurle dès que les lumières commencent à s'éteindre. Peut-être parce que je trouve l'histoire pathétiquement plate - et j'ai pourtant adoré des musicals pour adolescents comme Heathers. Peut-être parce que ce n'était pas le bon jour. Mais certainement, parce que c'était TRÈS TRÈS MAL JOUE: comment est-ce possible qu'à Londres, un comédien qui est censé pousser un peu la voix - et on n'est pas dans The Phantom of The Opera ou Les Misérables - ferme les yeux pour bien montrer que les notes qui émergent de sa gorge tiennent de l'exploit vocal. Non, pas à Londres, svp ... . Est-ce qu'on peut lui expliquer qu'il n'y a aucun lien entre ses paupières et son instrument vocal !!! Mais fermer les yeux, le fait simplement sortir du personnage qu'il interprète.

Cette image est trompeuse. Le chanteur (Max Harwood qui tente d'incarner Percy Jackson) a rarement les yeux ouverts en chantant.

Je trouve en outre que se concentrer à ce point sur des problématiques sans importance d'adolescents boutonneux alors qu'ils sont confrontés à des monstres dirigés par des Dieux. Il est difficile de ne pas hurler - silencieusement - : "Pitié, non!" quand notre héros Percy Jackson, alors que lui et ses camarades tentent d'éviter une guerre entre les Dieux, semble abattu par une tache sur son T-Shirt. En plus, le rythme est tout dans les spectacles familiaux - Heathers, Six ou Back to the Future en sont des exemples magistraux - et cette production a la lenteur et le train-train d'un grill de kebab qui tourne lentement face à la flamme...

J’ai vraiment eu l’impression de visionner un « work in progress » dans lequel il y avait encore beaucoup de « progress » à faire. Mais très honnêtement, j'étais le seul de la salle à avoir cette réaction-là et la majorité des critiques donnent ★★★ ou ★★★★.

En regardant la plupart des images ci-dessus, je trouve que l'on ressent qu'il s'agit majoritairement de gens qui chantent et ne jouent rien.

Allez, une petite rencontre avec ce magnifique cast:

Pour terminer, une preuve que mon avis n'est pas partagé 😀

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janv
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La Tempête de Shakespeare est une œuvre fascinante de Shakespeare. Enfin, qui me fascine. Pourquoi? Je n'en sais consciemment rien.

Quoi qu'il en soit, cette œuvre est à part... C'est sa dernière œuvre. C'est une des rares pièces où la règle des trois unités est appliquée (ce n'est certainement pas pour cela que j'aime la pièce). Peut-être parce que j'en ai vu deux sublimes versions?

La première, c'était au Rideau de Bruxelles durant la saison 1982-1983 - dans la salle M, hein, pas au Petit Théâtre, même si dans cette petite salle j'ai vu un magnifique Roi Lear quelques années plus tard - dans une mise en scène par Pierre Laroche. J'avais 17 ans. Prospero était joué par Claude Etienne, Ariel par Anne Chapuis, Caliban par Gérard Vivane, mais on y trouvait aussi Alain Leempoel (Ferdinand), Pietro Pizzuti, Jules-Henri Marchant, Francis Besson, Gerald Marti et beaucoup d'autres. Une tranche du théâtre belge. Pierre adorait La Tempête de Shakespeare. Il l'avait déjà montée cinq ans plus tôt en 1978 au KVS, en néerlandais. Cette version fut un véritable éblouissement...

 Anne Chapuis (Ariel) et Claude Etienne (Prospero)

Et puis, j'ai vu une seconde version, en 1996, au KVS en néerlandais, mise en scène par Franz Marijnen avec qui j'avais travaillé au National sur Le Balcon de Jean Genet qui avait fait scandale. Ici encore, une version époustouflante. Rien que la première scène, celle de la tempête. Sur scène des projecteurs éblouissaient la salle et d'énormes ventilateurs soufflaient sur les spectateurs. Avec une vraie violence de tempête. Des feuilles étaient lâchées. Tous les spectateurs se protégeaient le visage ou tentaient de se protéger derrière le spectateur de devant. Quand la scène finissait, les spectateurs étaient méconnaissables, totalement décoiffés ... Nous venions tous de faire naufrage sur l'île de Prospero joué par le magnifique acteur flamand Senne Rouffaer.

Bien De Moor (Ariel) et Senne Rouffaer (Prospero)

Cette version du KVS était beaucoup moins consensuelle que celle du Rideau, Ariel y était par exemple hermaphrodite. On insiste sur le colonialisme: Alonso, Antonio, Sebastiano et Gonzalo portent des redingotes du XIXème siècle quand ils débarquent - enfin quand ils font naufrage - sur l'île de Prospero.

Quoi qu'il en soit, ces deux versions étaient de magnifiques exemples de théâtre populaire: de grands textes véhiculant de grandes idées (issues de l'auteur, mais aussi du point de vue des artistes créatifs) rendues accessibles au plus grand nombre.

C'est dire si voir un Shakespeare au Drury Lane à Londres m'enthousiasme. Surtout que Shakespeare a une résonance toute particulière avec ces deux mots: Londres et Drury Lane.

Nous savons que la vie de Shakespeare tournait autour de deux endroits: Stratford et Londres. Il a grandi, a fondé une famille et a acheté une propriété à Stratford, mais il a travaillé à Londres, le centre du théâtre anglais. Pendant de nombreuses années, on ne sait rien de certaines des activités de Shakespeare: comment il a gagné sa vie, quand il a déménagé de Stratford, ou comment il a fait ses débuts au théâtre. La première mention certaine de Shakespeare à Londres date de 1592, en tant qu’acteur et dramaturge. Pendant plus de deux décennies, Shakespeare a eu de multiples rôles dans le théâtre londonien en tant qu’acteur, dramaturge et, avec le temps, partenaire commercial d’une grande compagnie d’acteurs, les King’s Men. Plusieurs membres de la compagnie s'associent en 1599 pour faire construire leur propre théâtre dans le quartier de Southwark, au sud de la Tamise: le Globe (à une centaine de mètres du Globe actuel).

À la mort de Shakespeare en 1616, il était loin d’être l’icône mondiale «Shakespeare» que nous célébrons aujourd’hui. Il était un dramaturge anglais de premier plan, mais pas un talent isolé (citons par exemple Ben Jonson, Christopher Marlowe, Francis Beaumont et John Fletcher dont les pièces sont toujours jouées aujourd'hui). Rappelons que de 1642 à 1660, Cromwell a interdit le théâtre en Angleterre, et lorsque les théâtres londoniens ont rouvert en 1660, les pièces ont été radicalement réécrites pour être jouées: Le Roi Lear ne mourrait plus, les sorcières de Macbeth chantaient et dansaient et Miranda dans La Tempête avait une sœur. Shakespeare n'était nullement un "intouchable". Cela va durer de nombreuses années.

Notre idée de Shakespeare en tant que génie singulier qui représente la somme et le sommet de la culture britannique ne date que du milieu du XVIIIe siècle, plus de 100 ans après la mort de Shakespeare. On le doit à l’acteur-manager et dramaturge David Garrick (1717-1779 - photo ci-contre, David Garrick dans le rôle de Gloucester dans Richard III au Drury Lane en 1759), qui consacra sa carrière extraordinairement réussie à promouvoir Shakespeare comme le symbole suprême de la culture britannique. Il a dirigé le Drury Lane Theatre. Garrick a été salué pour le style « naturaliste » de son jeu d’acteur – un terme qui doit toujours être replacé dans son contexte, car chaque génération de spectateurs de théâtre a une idée différente de ce que signifie jouer « naturellement ».

 David Garrick dans le rôle-titre de Richard III au Drury Lane

Malgré le génie énergique de Garrick en tant qu’interprète, c’est sa gestion de Drury Lane de 1747 à 1776 qui fit de lui le principal interprète théâtral du poète national britannique. Il serait difficile de penser à une personnalité théâtrale plus influente que Garrick dans la formation d’attitudes populaires envers Shakespeare – attitudes qui se poursuivent jusqu’à nos jours, notamment à travers la place centrale de Shakespeare dans le programme de littérature anglaise dans les universités du monde entier. Garrick a créé la « Bardolâtrie », le culte formel de Shakespeare, un phénomène qui nécessite des croyants, des rituels et des lieux de pèlerinage. En 1769, il a organisé le Stratford Jubilee, une célébration de trois jours de Shakespeare qui a mis la ville natale du dramaturge sur la carte touristique.

Pendant la majeure partie des années 1700, Shakespeare était considéré comme un très bon auteur. Mais dans les années 1800, et surtout pendant la période victorienne, Shakespeare est devenu un prophète. Les ministres ont commencé à tirer des leçons de ses textes. Les érudits ont écrit des livres sur les résonances de ses mots, souvent en sortant ces mots de leur contexte. Les œuvres de Shakespeare, croyaient les Victoriens, allaient jusqu'à offrir des révélations religieuses !!!

Après Garrick, ce fut John Philip Kemble qui devient le grand acteur shakespearien, toujours au Drury Lane où il fit sa première apparition à 22 ans (image ci-contre) le 30 septembre 1783 dans le rôle de Hamlet. Il en deviendra directeur en 1788 (à 27 ans). Il dirigera le Drury Lane et y jouera Shakespeare jusqu'en 1802. Le troisième Drury Lane Theatre brûlera en 1809. Le quatrième (celui d'aujourd'hui) sera reconstruit en 1812.

Il a ouvert ses portes le 10 octobre 1812 avec une production de Hamlet mettant en vedette Robert Elliston dans le rôle-titre. Le nouveau théâtre a fait quelques concessions en matière d’intimité, pouvant accueillir 3.060 personnes, soit environ 550 de moins que le bâtiment précédent.

Deux ans plus tard, en 1814, le comité du théâtre de Drury Lane, au bord de la faillite, a fait un coup de poker donnant un rôle principal à Edmund Kean (27 ans): sa première apparition au Drury Lane le 26 janvier 1814 dans le rôle de Shylock de The Merchant of Venice de Shakespeare (ci-contre) souleva le public à un enthousiasme presque incontrôlable. Les contemporains ont reconnu que Kean avait apporté de la dignité et de l’humanité à son interprétation du personnage (rappelons que cette pièce est souvent considérée comme antisémite, nous en reparlerons puisque je vais la voir dans quelques jours). Ses apparitions successives dans Richard III, Hamlet, Othello, Macbeth et King Lear démontrent sa maîtrise de la gamme de l’émotion tragique. Kean a été le premier à restaurer la fin tragique du Roi Lear, qui depuis 1681 avait été remplacée par une fin heureuse... Il sombrera dans l'alcool et aura une vie privée agitée fort peu appréciée. Le 17 janvier 1825, Kean fut hué et bombardé de fruits au Drury Lane, l’obligeant presque à se retirer définitivement.

On pourrait citer d'autres monstres sacrés du théâtre anglais qui ont joué Shakespeare au XIXème siècle, au Drury Lane ou ailleurs, dont Irving Berlin, sans oublier de magnifiques actrices comme Lillie Langtry, Ellen Terry, Helena Modjeska ou Mary Anderson.

Au Drury Lane - qui est devenu le temple des musicals durant tout le XXème siècle - quand a-t-on joué pour la dernière fois Shakeseare? En 1957. C'était The Tempest avec John Gielgud dans le rôle de Prospero (ci-contre).

Pourquoi toute cette longue introduction? Parce que j'adore le Drury Lane où j'ai vu de magnifiques musicals. Que je l'ai visité de très nombreuses fois et de se dire que Kean a joué sur ce plateau, dans ces murs, cela me touche. Que je trouve la rénovation réalisée par Andrew Lloyd Webber pendant le COVID totalement incroyable (mon post d'il y a un à ce sujet). Il est lui-même extrêmement attaché à la présence de Shakespeare dans ces lieux. À la fin de l’année 2019, Andrew Lloyd Webber a approché Maria Kreyn, lui demandant de créer 8 peintures à grande échelle en tant qu’installation permanente spécifique au site de son Theater Royal Drury Lane récemment rénové. Il lui a demandé de se concentrer autour de Shakespeare et de rendre son œuvre dangereuse, voire apocalyptique. Cela a donné de magnifiques peintures:

 Les deux grands escaliers
Romeo & Juliet (gauche) et Hamlet (droite)
 As You Like It
The Tempest 

Andrew Lloyd Webber, à qui appartient le Drury Lane - et qui est quand même un peu dingue - s'est dit que ce serait chouette que Shakespeare revienne après 67 ans au Theatre Royal Drury Lane. Il en parle ainsi: "À neuf ans, on m'a emmené au Theatre Royal Drury Lane pour voir la légendaire production de Peter Brook, The Tempest, avec John Gielgud dans le rôle de Prospero. Cela m’a profondément marqué. Lors de la dernière représentation, aux applaudissements, Gielgud a déclaré que Shakespeare ne serait plus jamais joué au Théâtre Royal car il serait "perdu dans les musicals". Depuis que je possède le Théâtre Royal, j’ai toujours voulu lui prouver qu’il avait tort. C’est donc une joie énorme que Jamie Lloyd ramène Shakespeare au Drury Lane et encore plus merveilleux que la première des deux pièces de Shakespeare sera The Tempest."

Pourquoi a-t-il demandé à Jamie Lloyd de mettre en scène?

Sans doute parce qu'ils se sont rencontrés de manière artistiquement foudroyante quand Jamie Lloyd a mis en scène - certains disent totalement recréé - Sunset Bloulevard en 2023 au Savoy Theatre (mon poste de l'époque). Andrew Lloyd Webber a tellement aimé le travail de Jamie Lloyd, qu'il lui a demandé de mettre en scène deux Shakesperare au Drury Lane (The Tempest et Much Ado About Nothing). Il va aussi mettre en scène une nouvelle version d'Evita au London Palladium cet été (qu'il avait déjà,mise en scène au Regent’s Park Open Air Theatre avant la pandémie).

Et comme leur coup de foudre artistique est énorme, Jamie Lloyd mettra en scène le futur nouveau musical d'Andrew Lloyd Webber: The Illusionist. Lloyd Webber (76 ans) a vraiment envie que son nouveau spectacle soit mis en scène par le jeune Jamie Lloyd (43 ans) parce qu'il introduit de nouvelles façons de rêver dans le théâtre musical. "Et en tant qu’ancien maintenant, avoir quelqu’un de plus jeune me met au défi", dit Lloyd Webber. Il note comment le couple a développé une amitié étroite et une relation de travail sur Sunset Boulevard où ils se sont mis au défi. Ils ont réussi à couper deux numéros de Sunset Boulevard sans se brouiller. The Illusionist, ce sera pour 2026 ou 2027.

  Andrew Lloyd Webber (76 ans) et Jamie Lloyd (43 ans)


Tout cela - le Dury Lane, Shakespeare, Gielgud en 1937 qui déclare que Shakepeare au Drury Lane c'est fini, l'amitié Lloyd Webber / Jamie Lloyd, ... - a fait de la création de la mise en scène par Jamie Lloyd de The Tempest au Drury Lane l'ÉVÉNEMENT THÉÂTRAL DE L'ANNÉE.

C'est-dire si je me rends avec empressement au Drury Lane. L'autre spectacle du jour, c'est la toute dernière représentation (closing show) de Guys and Dolls que j'adore. C'est la journée phare de mes deux semaines. Bon, on y va...

Bon, bien sûr, je sais que les critiques sont mauvaises, qu'ils ont dû diviser le prix des places par deux... Mais reste la pièce, Shakespeare, Jamie Lloyd, le Drury Lane, ...

Le spectacle commence dans 1 minute. Où sont les gens?

Vu les bananes, les acteurs ne doivent pas jouer sans micro...

En fait, le pitch de The Tempest est très simple: un équipage d’hommes fait naufrage sur une île magique et est tourmenté par un vieil homme et ses esclaves. Mais c'est tellement plus subtil. Tout commence par une tempête... Au milieu de cette tempête, un navire s’apprête à couler, à son bord se trouvent: Alonso, roi de Naples; Ferdinand, son fils; Sebastian, son frère; Gonzalo, son conseiller; Antonio, duc de Milan; et deux nobles nommés Adrien et Francisco. Ce groupe de nobles rentre en Italie après le mariage de la fille d’Alonso en Tunisie.

Sur une île, la jeune Miranda (15 ans) observe le navire dans la tempête et s’inquiète pour les personnes à bord. Elle demande à son père, Prospero, de calmer la tempête. Prospero a développé des pouvoirs magiques. Il a créé la tempête avec l’aide d’Ariel, un esprit qui est devenu son serviteur. Prospero assure à Miranda que tout va bien. Mais il décide, pour la première fois, de lui parler de son passé. Prospero était duc de Milan, mais, 12 ans auparavant, son frère Antonio l’a renversé avec l’aide d’Alonso, roi de Naples. Prospero a alors été jeté à la mer dans un bateau avec sa fille Miranda, âgée de trois ans, et ils ont atterri sur une île magique dont ils ont fait leur maison. Ils ont réduit en esclavage le seul insulaire autochtone, Caliban. Les seuls autres habitants de l’île sont des esprits, y compris Ariel, que Prospero avait sauvé de son emprisonnement dans un arbre - en échange d’être libéré de l’arbre, Ariel sert maintenant Prospero et exécute ses ordres magiques; Prospero a promis à Ariel que s’il fait tout ce qu’on lui demande, il sera libéré.

 Prospero (Sigourney Weaver) et Miranda (Mara Huf)

Comme Antonio est sur le bateau qu'Ariel a plongé dans une tempête, Prospero espère enfin rectifier son passé. Prospero et Ariel complotent sur ce qu’ils vont faire de ces hommes maintenant qu’ils sont sur le rivage. Les courtisans du navire sont jetés à terre sains et saufs. Mais le roi est au bord du désespoir, croyant que Ferdinand, son fils, s’est noyé. Ferdinand est en fait arrivé sain et sauf dans une autre partie de l’île où il rencontre Miranda et ils tombent instantanément amoureux.

 Miranda (Mara Huf) et Ferdinand (James Phoon)

Prospero fait semblant de ne pas être d’accord pour qu’ils se marient tout de suite et teste l’amour de Ferdinand.

Deux des serviteurs d’Alonso, Stephano et Trinculo, font également naufrage sur l’île. Ils rencontrent Caliban, une créature de l’île que Prospero traite comme un esclave. Caliban espère que Stephano et Trinculo l’aideront à se débarrasser de Prospero.

 Caliban (Forbes Masson), Stephano (Jason Barnett) et Trinculo (Mathew Horne) 

Ariel apparaît à Alonso et à ses nobles et leur dit qu’ils sont punis pour la façon dont ils ont traité Prospero. Alonso s’excuse auprès de Prospero et le fait à nouveau duc de Milan. Prospero révèle alors à Alonso que Ferdinand est toujours en vie et qu’il est fiancé à Miranda. Ariel punit Caliban, Stephano et Trinculo pour avoir essayé de nuire à Prospero et révèle également que le navire est en sécurité et prêt à retourner à Naples. Prospero tient sa promesse et libère Ariel...

Voilà en très très résumé, The Tempest de Shakespeare. Et pour être honnête, je suis vraiment resté sur ma faim. Je ne comprends quasiment aucune des options prises. Tout d'abord, l'île... Pourquoi en faire une énorme colline noire, un terril industriel? On se croirait dans les corons... Alors, bien sûr, on est dans le style-signature de Lloyd: le gris et le noir.

L’atmosphère incessante de l’obscurité n’est pas levée par un mouvement vers l’espoir ou la rédemption. A aucun moment, la forme ne permet de ressentir qu'il s'agit d'une pièce sur la vengeance qui bascule vers le pardon. Bien au contraire. Le ton est monotone, terne, sombre .... Sans le moindre espoir.

Le Prospero de Sigourney Weaver? En résumé, c’est assez simple. Elle est assise et observe tout. Et quand, elle prend la parole, c'est sur un ton lassant, triste, ennuyeux, monocorde. Je ne parle même pas de la musique de la langue shakespearienne qui est ici totalement absente, non, je parle de l'expression de l'acteur qui tente d'incarner un personnage et essaie de lui donner une âme. Prospero est censé diriger ce complot de vengeance initié par la tempête créée par Ariel. Ce qui est très bien réussi, c'est qu'elle arrive à rendre sa transparence totalement omniprésente, car Jamie Lloyd la maintient en scène virtuellement tout le spectacle - hors entracte.

L’atmosphère incessante de l’obscurité n’est pas levée par un mouvement vers l’espoir ou la rédemption. À aucun moment, la forme ne permet de ressentir qu'il s'agit d'une pièce sur la vengeance qui bascule vers le pardon. Bien au contraire. Le ton est monotone, terne, sombre .... Sans le moindre espoir.

Le Prospero de Sigourney Weaver? En résumé, c’est assez simple. Elle est assise et observe tout. Et quand, elle prend la parole, c'est sur un ton lassant, triste, ennuyeux, monocorde. Je ne parle même pas de la musique de la langue shakespearienne qui est ici totalement absente, non, je parle de l'expression de l'acteur qui tente d'incarner un personnage et essaie de lui donner une âme. Prospero est censé diriger ce complot de vengeance initié par la tempête créée par Ariel. Ce qui est très bien réussi, c'est qu'elle arrive à rendre sa transparence totalement omniprésente, car Jamie Lloyd la maintient en scène virtuellement tout le spectacle - hors entracte.

Le scénario complexe a été réduit à deux fois une heure... Cela rend la pièce, ou en tous cas les intentions des personnages, encore plus obscure.

Mais ce qui fait de La Tempête une si grande pièce, c’est sa profondeur émotionnelle et sa sagesse: la grande beauté de son exploration du pardon, de la rédemption et de la renaissance. Prospero est un personnage si étrange et ambivalent qu’il peut y avoir une immense émotion et une complexité morale dans son abandon de la vengeance. Cette complexité et cette intimité humaines sont totalement absentes de la mise en scène de Lloyd. Et c'est beaucoup plus large que la problématique de Prospero. Il n’y a jamais de danger et tout est curieusement immobile, même, par exemple, lors de la réconciliation très chargée entre Ferdinand et son père Alonso, qui croient tous deux que l’autre est mort dans le naufrage.

 Mason Alexander Park (Ariel)

Allez, pour dire quand même quelque chose de positif, il y a un très beau travail de Mason Alexander Park (ci-contre - que j'ai vu jouer le rôle d'Emcee dans Cabaret au Playhouse) dans le rôle d’Ariel, un être étrange et éthéré avec une superbe voix de chanteur. Il est le seul qui nous donne l'impression d'exister vraiment. On a l'impression de voir un esclave incandescent sur la scène. Descendant menaçant d’en haut des cintres ou traquant les dunes noires enveloppées, il grogne, rugit ou susurre ses lignes avec une intensité sauvage électrisante, puis se lance dans un chant magnifiquement délicat, faisant comprendre l’étrangeté surnaturelle qui imprègne l’île de Prospero...

 Mason Alexander Park (Ariel)

Lorsque John Gielgud a joué Prospero sur cette scène dans Tempest de Peter Brook en 1957 – la dernière fois donc que Shakespeare a été joué à Drury Lane – il n’était apparemment pas le magicien bienfaisant habituel, mais un humain imparfait, rendu amer par son désir de vengeance. Quand il brisait son bâton, abjurant la magie, cela signifiait quelque chose. À la dernière, quand Gielgud a déclaré que: "Shakespeare ne serait plus jamais joué au Théâtre Royal Drury Lane", il avait raison, car ce spectacle de Jamie Lloyd, ce n'était pas Shakespeare.

Mon avis pour ce spectacle est très clair:

★☆☆☆☆

Espérons, sincèrement, qu'avec le Much Ado About Nothing qui commence en février au Drury Lane, Jamie Lloyd s'y prendra autrement et qu’il donnera tort à Gielgud...

4
janv
4
janv

Bon, après le carnage de cette après-midi au Drury Lane, je prends beaucoup moins de risques avec cette toute dernière représentation de Guys & Dolls au Bridge Theatre. Le spectacle avait ouvert le 3 mars 2023 et aura donc tenu l'affiche près de 2 ans, devenant le record de durée de ce nouveau théâtre (ouvert en 2017).

Ce sera donc ma deuxième et dernière vision du spectacle. Et la première fois où je le verrai en entier. En effet, l'an passé: "Lors d'une des dernières chansons du spectacle, Sit down, you're rockin' the boat, lors de la troisième reprise de cette chanson qui triomphe, un des comédiens est lourdement tombé d'un des plateaux surélevés. Show stop. Éclairage salle. Médecin. On fait qu'il ne bouge pas. Lourd silence. Annonce d'évacuation du pit. Applaudissements pour le blessé. Et réponse du blessé de sa voix puissante: "Thanks Folk. I'm still alive". Re-applaudissement. Puis demande d'évacuation de toute la salle en prévoyant une annonce ultérieure dans le foyer. Annonce dans le foyer: fin du show annulé et mail envoyé dans les prochains jours pour remboursement. Applaudissements." Voilà pourquoi je reviens: pour voir la fin!

 Tower Bridge comme but final d'un long trajet en béquille

Bien sûr, se carapater du Drury Lane au Bridge Theatre, cela tient de Koh-Lanta pour un adolescent en béquille. Mais j'adore ce quartier totalement rénové. Et puis, pendant tout le trajet vers The Bridge Theatre depuis la station de métro London Bridge, on voit au loin Tower Bridge. Je suis évidemment deux heures trop tôt. Buvons un cappuccino et tentons d'oublier The Tempest.

Le beau foyer et dans la liste du soir, que le main cast pour cette dernière... 

Guys & Dolls est un musical de 1950 - créé à Broadway où il se joua à la création 1.200 fois - avec une musique et des paroles de Frank Loesser qui est aussi l'auteur de The Most Happy Fella (1956) et How to Succeed in Business Without Really Trying (1961). Mais Guys & Dolls est son triomphe.

Et Guys & Dolls n'est pas le musical le plus "intelligent" de l'époque. Règnent en maîtres absolus de cette époque, Rodgers et Hammerstein à qui l'on doit: Oklahoma! (1943 - le premier musical de tous les temps), Carousel (1945), State Fair (1945), Allegro (1947), South Pacific (1949), The King and I (1951), Me and Juliet (1953), Pipe Dream (1955), Cinderella (1957), Flower Drum Song (1958) et The Sound of Music (1959). La plupart de ces musicals abordent des thèmes profonds ou des problématiques de l'époque. Comme My Fair Lady (1956 - Frederick Loewe) ou Gypsy (1959 - Jule Styne).

Guys & Dolls, c'est juste un musical pour rire... Il a donc été créé à Broadway en 1950 (1.200 représ.) puis à Londres en 1953 au London Coliseum (aujourd'hui, l'un des deux opéras de Londres) où il s'est joué 555 soirs. À Londres, ce musical a une très bonne réputation, ne fut-ce que parce qu'en 1982, lorsque Richard Eyre, le directeur d'un National Theatre alors au bord de la faillite, l'a programmé, ce fut un triomphe immédiat, repris de nombreuses fois: 289 représentations à l'Olivier Theatre du National Theatre en deux ans. Le record de cette salle. Et le National fut financièrement sauvé. Le spectacle contenait des stars comme Julia McKenzie (Miss Adelaïde), Bob Hoskins (Nathan Detroit) ou Julie Covington (Sarah Brown). Et Imelda Staunton - je suis fan absolu - dans un petit rôle. Juste pour se rendre compte du contratse en 40 ans...

 Olivier Theatre - 1982
 The Bridge Theatre - 2025 - Vue depuis ma place (moi, je suis assis, les jeunes sont debout dans le pit!)
 Version 2024

Les choses ont bien changé, même depuis le revival que j'avais vu au Phoenix Theatre en 2015 et que j'avais trouvé "chouette" sans comprendre l'engouement pour cette œuvre vieillotte. La version du Bridge Theatre est tout le contraire.

Le synopsis est simple: tout commence par un pari. Nathan Detroit parie que Sky Masterson ne peut pas persuader Sarah Brown, missionnaire de l'Armée du Salut, de l’accompagner lors d’un voyage à Cuba. Pendant que le mondain Sky exerce ses charmes sur une Sarah méfiante, Nathan fait de son mieux pour rester en dehors des griffes de sa fiancée, Miss Adélaïde, qui lui demande de se marier avec lui depuis ... 14 ans. Elle a menti à sa mère, disant qu'elle était mariée et avait 5 enfants. Guys and Dolls est une fable sur ce qui arrive aux hommes qui sont dévorés par la passion du jeu et aux femmes qui se risquent à essayer de les apprivoiser. Se déroulant dans le monde bigarré du New York du milieu du XXème siècle, Guys And Dolls est un musical romantique et drôle, peuplé de gangsters et de joueurs, de jeunes femmes missionnaires (Armée du Salut) et de show girls légèrement vêtues. Et il est vrai que c'est l’une des grandes partitions musicales de l’histoire du théâtre américain, signée Frank Loesser.

Mais cela ne suffit pas à décrire le spectacle. Au Bridge Theatre, il n'y a pas que l'œuvre qui participe au triomphe. L’astucieux directeur du théâtre et metteur en scène, Nicholas Hytner, signe ici ce qui est son plus grand succès depuis qu’il a quitté le National Theatre. Il a choisi d’exploiter toute l’étendue de l’auditorium modulable du Bridge Theatre en supprimant les stalls (équivalent à "parterre" dans nos salles) et en permettant à 380 spectateurs debout de se promener et de s’immerger dans l’action. Avant le spectacle, les spectateurs debout se mêlent dans les rues animées de Broadway, qui sont remplies de vendeurs de hot-dogs et d’enseignes lumineuses clignotantes.

Soudain, des blocs de plate-forme surélevée se soulèvent du sol et l’agitation de l’histoire proprement dite commence, avec des techniciens habillés en officiers de la police de New York sur place pour guider le public alors que les blocs et les scènes se déplacent sinueusement. Ils sont 37 régisseurs-plateau. Il n'y a donc pas une scène avec des gens debout autour (et des gens assis à l'arrière conservé des stalls et aux deux balcons). Non. Au début on a un grand espace vide accessible et puis, au fur et à mesure du spectacle, il y a 16 grandes zones qui peuvent s'élever à plus d'1m et constituer des plateaux de tailles variables.

Ce n'est plus le même cast que l'an dernier, mais les acteurs sont toujours aussi épatants...

A l'image de la photo ci-dessous, on ressort de ce spectacle avec des étoiles plein les yeux. Mais aussi plein les oreilles. Et le cœur.

Parce que c'est parfait artistiquement. Mais aussi parce que le public y trouve vraiment sa place, y est intégré.

Après des décennies à traiter les grandes comédies musicales du XXème siècle comme des pièces de musée, il est de plus en plus reconnu dans le théâtre occidental - moins chez les asiatiques - que ces classiques seront oubliés s’ils ne font pas l’objet d’une réinvention. En général, cela signifie des versions plus sombres: en témoignent les productions actuelles du West End de Cabaret (Playhouse), d'Oklahoma! (Young Vic après Broadway) et de Sunset Boulevard (Savoy). Pendant plus de deux heures et demie, la version de Hytner du classique de 1950 de Frank Loesser n’a pas subi cet assombrissement, ce durcissement tragique. Non la scénographie avec les plates-formes montantes et descendantes incroyablement chorégraphiées est incroyablement amusante et dynamisante.

Les costumes et les robes de l’entre-deux-guerres sont magnifiques. Et on pourrait dire de même des lumières ... Et puis il faut tirer un coup de chapeau spécial aux techniciens plateaux qui sont déguisés en policiers. En plus d'emmener les accessoires plus ou moins importants (tables, chaises, barrières, poteaux lumineux ....), comme des policiers faisant la circulation, ils font se déplacer les spectateurs debout dans le pit quand une plateforme va monter. Ils sont fermes et directs, mais toujours avec avec une précision bon enfant: s’ils étaient moins bien entraînés et trop tolérants à la lenteur des spectateurs, cela ne fonctionnerait tout simplement pas.

Quelques petites vidéos de ma soirée....

Installation durant l'entracte 
 Animation musicale pendant l'entracte....

Il n'y a pas souvent de chansons bissées dans les spectacles actuels (et heureusement, car, dans la plupart des spectacles, cela ferait sortir de l'intrigue) mais dans cette version de Guys & Dolls, il y en a une - Sit down, you're rockin' the boat - qui est souvent bissée ou trissée... Voici les 21 secondes que j'ai pu capter du "tris" avant qu'un policier - régisseur-plateau - me dise d'arrêter de filmer.

Et une grande partie des applaudissements de cette closing night. En bas de l'écran, on voit les régisseurs-plateau (policiers) qui font une haie d'honneur aux artistes allant saluer.

Et la fête continue....

Merci...

Et bienvenue à Richard II dans trois semaines! Vive la diversité.

5
janv

Encore un spectacle que j'ai une vraie impatience à voir. C'est le seul musical d'Andrew Lloyd Webber que je n'ai pas vu en live. Et il y en a quelques-uns: Joseph and the Amazing Technicolor Dreamcoat (1968), Jesus Christ Superstar (1970), Evita (1976), Cats (1981), Starlight Express (1984), The Phantom of the Opera (1986), Aspects of Love (1989), Sunset Boulevard (1993), Whistle Down the Wind (1996), The Beautiful Game (2000), The Woman in White (2004), Love Never Dies (2010), The Wizard of Oz (2011), Stephen Ward (2013), School of Rock (2015) et Cinderella (2021).

J'ai une tendresse particulière pour Andrew Lloyd Webber. J'aime beaucoup la plupart de ses œuvres - on en a monté deux (Evita et Sunset Boulevard) à Bruxellons!. Étonnement, c'est The Phantom of the Opera, son plus gros succès (le spectacle se joue depuis 38 ans à Londres), auquel j'accroche le moins.

Andrew Lloyd Webber et Tim Rice 

J'aime le fait qu'il ne soit jamais entré dans un moule et qu'il ait souvent été là où on ne l'attendait pas. Sa première œuvre, écrite avec son pote Tim Rice, Joseph, a été présentée pour la première fois sous la forme d’une « cantate pop » de 15 minutes à la Colet Court School de Londres en 1968. Après le triomphe de Jesus Christ Superstar en 1970, il complètera Joseph pour en faire un spectacle complet. Joseph est basé sur l’histoire de Joesph dans la Genèse et JCS (Jesus Christ Superstar) interroge la psychologie de Jésus et d’autres personnages, avec une grande partie de l’intrigue centrée sur Judas, qui n’est pas satisfait de la direction dans laquelle Jésus dirige ses disciples. La musique est résolument rock. En fait, il a voulu que ce soit un mélange d’orchestre symphonique, de section de cuivres souls, de chorale gospel et de rock! Un 'single' est sorti chanté par Murray Head

La création mondiale de Jesus Christ Superstar a eu lieu le 12 octobre 1971 à Broadway. Un triomphe et puis le monde entier... Dont Londres, au Palace Theatre du 9 août 1972 au 23 aout 1980 (3.368 représentations), qui a accueilli Les Misérables pendant près de 20 ans et aujourd'hui Harry Potter. Le Théâtre appartient aujourd'hui à Andrew Lloyd Webber.

Le spectacle a été condamné par différents groupes religieux. Tim Rice a déclaré : « Il se trouve que nous ne voyons pas le Christ comme Dieu, mais simplement comme l’homme qu’il faut, au bon moment et au bon endroit. » On est dans cette période de contestation de la fin des années '60...

Son musical suivant, Evita, va parler de la femme arriviste d'un dictateur argentin.

Avec Elaine Paige qui va devenir une star du jour au lendemain 
 Antonio Banderas et Elaine Paige quelques années plus tard 

Et un petit souvenir de Bruxellons!

Mais il ne va pas s'arrêter là... Ne reculant devant aucun risque, son musical suivant en 1981 (il a 33 ans et est une star mondiale), Cats, est basé sur le recueil de poésie de 1939 Old Possum’s Book of Practical Cats de T. S. Eliot. La comédie musicale raconte l’histoire d’une tribu de chats. Le spectacle va se jouer du 11 mai 1981 au 11 mai 2002 (victime des attentats du 11 septembre) après 21 ans et 8.949 représentations (il se jouera 18 ans à Broadway). Rien que des chats sur scène...

 The Jellicle Cats
Quelques moments de la soirée de clôture du West End en mai 2002, diffusée sur un grand écran à Covent Garden pour ceux sans bille...

Après ces 4 musicals atypiques qui ont tous triomphé, pourquoi rentrer dans le rang? Alors, Lloyd Webber décide de créer un musical où une jeune mais obsolète locomotive à vapeur, Rusty, participe à un championnat contre des locomotives modernes à moteur diesel et électrique dans l’espoir d’impressionner un wagon panoramique de première classe, Pearl. Les acteurs se produisent sur des patins à roulettes. Et oui, c'es ce musical que je rêve de voir depuis des années!!! Starlight Express a été créé le 27 mars 1984 à l'Apollo Victoria de Londres les 27 mars 1984, se jouant jusqu'au 12 janvier 2002 (victime comme Cats des attentats du 11 septembre). Ce musical a été un vrai succès et, par exemple, le 12 juin 1988 a ouvert à Bochum en Allemagne un théâtre spécialement conçu pour Starlight Express où le musical se joue depuis lors sans interruption, soit depuis près de 40 ans!!! Nous allons y revenir puisque c'est le spectacle de cette après-midi...

Il va enchaîner deux ans plus tard avec The Phantom of the Opera qui se joue toujours aujourd'hui. Je pourrais continuer des heures pour montrer à quel point Lloyd Webber n'a jamais fait deux fois la même chose. Il a fait un musical sur le football (Beautiful Game), sur le scandale politique de l'affaire Profumo (Stephen Ward), ....

Revenons à Stralight Express...

Où jouer une telle folie? En 1984, ils avaient complètement transformé l'Appolo Victoria. Cette fois, Starlight Express va se jouer au Wembley Park Theatre où j'avais vu l'an dernier Newsies. L'avantage est qu'il s'agit d'un anicen studio de cinéma totalement adaptable. Voici une petite visite du lieu:

Et deux photos depuis mon siège:

Assis sur mon siège et attendant (30 minutes) le début du spectacle, je me demande comment l'audace de Lloyd Webber a réussi à concevoir un spectacle mettant en scène la vie – et l’amour – de wagons de train qui chantent leurs ressentis à travers une course nocturne en faisant des patins à roulettes !!!! Et que cela ait tenu l'affiche pendant près de 20 ans à Londres et tienne toujours l'affiche depuis 35 ans à Bochum. Starlight Express est-il le musical le plus farfelu de tous les temps sur scène?

En tous cas, on va être plongé en plein milieu de l'action: une piste de patin passe juste devant moi et une autre sur la gauche. Il y en a encore derrière.

L'histoire commence tout simplement par un garçon jouant avec son chemin de fer. La mère lui dit qu'il est temps d'aller se coucher et il s'endort. Nous sommes transportés dans son rêve: les trains-jouets flottent vers le haut et des artistes en costumes appropriés apparaissent sur scène. On se trouve plongé dans un championnat pour trains... Le tenant du titre est Greaseball, une locomotive diesel.

 Al Knott dans le rôle de Greaseball, la locomotive diesel

Mais il y a aussi Rusty la locomotive à vapeur et Electra la locomotive électrique. Et des locomotives venues de l'étranger. Greaseball se moque des efforts des autres locomotives pour être les plus cool et gagner la course. Greaseball ne craint que la locomotive électrique – Electra. Très vite, on se rend compte que Rusty est le héros du spectacle. Il sera d'ailleurs soutenu par l'enfant rêveur.

Jeevan Braich dans le rôle de Rusty, la locomotive à vapeur

Mais il n'y a pas que les locomotives. Il y a aussi des tas de wagons. Des voitures-restaurants, des wagons-passagers, des wagons de fret que Rusty part chercher dans une gare.... Et Pearl, un wagon-observatoire de première classe (avec plein de grandes fenêtres). Une histoire d'amour naît entre la locomotive à vapeur Rusty et Pearl , le wagon-observatoire.

 Rusty et Pearl

Le championnat est organisé en dIfférentes manches. Chaque gagnant de manche participe à la finale. Chaque participant est constitué d'une locomotive et d'un wagon. La belle Pearl accepte de faire équipe avec Electra dans la première course. Rusty, le cœur brisé, décide de ne pas participer au championnat du monde. Instantanément, Momma McCoy, la vétérane des courses précédentes et aussi locomotive à vapeur, décide de prendre la place de Rusty, désireuse de maintenir la réputation de la locomotive à vapeur dans la course.

Momma McCoy (et derrière elle, le petit garçon rêveur) 

Néanmoins, Rusty deviendra un participant à la manche suivante, et, grâce au soutien de Momma McCoy, il surmontera tous les obstacles. Et ainsi de suite... Et bien sûr, à la fin, Rusty gagne le championnat et le cœur de Pearl. Il y a bien sûr des tas de rebondissements, dont une locomotive à hydrogène (nouveau dans cette version de 2024).

Il y a de très très impressionnantes courses de train - ou d'artistes en patin à roulettes. Les paroles de Richard Stilgoe sont ridicules, mais agréables et la plupart des chansons sont très efficaces.

C'est bizarre d'osciller à ce point entre le sublime et le ridicule. Et pourtant, de passer un très très bon moment où on ne s'ennuie pas une seconde.

Ce n'est certainement pas mon Lloyd Webber préféré. Mais je suis super content de l'avoir vu. En fait j'ai passé un super moment. A posteriori, j'ai regardé ce spectacle avec des yeux d'enfants. Pas spécialement parce que l'histoire y pousse moais, surtout parce que le spectacle y pousse. Ces "trains" qui passent à toute vitesse, c'est un vrai plus. Ils font quand même du 50km/h.

Pendant les courses, les petites barrières au ras du sol qu'on voit sur les bords de la piste sur la photo ci-dessus montent à une hauteur de 1m20 pour devenir de vraies barrières de protection empêchant qu'un acteur ne tombe à pleine vitesse dans le public. Rien que ça, le producteur que je suis, se dit: "Pfff... Quel boulot!".

5
janv
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janv
Publié le 21 janvier 2025

Comment mieux parler pour ce genre d'activité qu'avec quelques photos...

Depuis 2013, du 15 novembre au dimanche 5 janvier, le fabuleux Kew Gardens - ensemble de jardins et de serres situés à l'ouest de Londres, sur une superficie de 121 hectares, abritant l'une des plus importantes collections de plantes du monde, plus de 30 000 espèces de végétaux - présente des illuminations de Noël. Comme vous le voyez sur les photos ci-dessus, c'est tout simplement somptueux.Ces illuminations se veulent une célébration de la nature la nuit, donnant vie à l’incroyable architecture naturelle de Kew.

Le problème est qu'en ce 5 janvier, jour où je devais visiter les Kew Gardens by night, il y avait -6°C et de la neige (voire de la glace) par terre. Alors, avec ma béquille, dans le noir, je n'ai pas osé.

Mais, je le jure, un jour je ferai le Christmas at Kew.

6
janv
6
janv

On connait tous ces photos de Dr. Strangelove (Dr. Folamour) de Stanley Kubrick avec le sublime acteur anglais Peter Sellers...

Ce film date de 1964. Le monde était en pleine guerre froide: deux ans après la Crise des Missiles de Cuba; un an après l'assassinat de Kennedy; l'année même où Khrouchtchev est destitué de ses fonctions de leader de l'URSS pour être remplacé par un communiste de la ligne "dure" (Leonid Brejnev). L'avenir du monde est incertain. C'est aussi l'année où Stanley Kubrick, le réalisateur volontiers polémique des Sentiers de la Gloire, de Spartacus et de Lolita, donne jour à Dr. Strangelove or : How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, aujourd'hui considéré à raison comme un chef-d'œuvre reconnu de tous.

Adapté du roman Red Alert de Peter George (publié en 1958), au ton très sérieux, le film mise à contrario sur l'humour, un humour sous forme de violente satire. Le générique de début, présentant les bombardiers sur fond de musique sirupeuse, légère, va donner le ton.

Premier élément notable: le casting du film est un sans faute sur toute la ligne. Avec en tête d'affiche Peter Sellers, déjà vu précédemment chez Kubrick (Lolita), dont seul le nom suffit à imposer la qualité d'une œuvre. Et le réalisateur, conscient des qualités de l'acteur, exploite pleinement son potentiel en lui offrant plusieurs rôles clefs. Prévu au départ pour jouer 4 rôles dans le film, celui de Mandrake, celui du Président Muffley, celui de Folamour et celui du Major Kong, n'en tiendra finalement que 3, ne pouvant assumer celui de Kong pour cause tout d'abord de jambe cassée avant le tournage de ses scènes.

Et bien dans le spectacle, il en sera de même. Le comédien principal Steve Coogan jouera 4 rôles... Il a donc durant le spectacle, 14 "quick change":

Mais revenons d'abord sur l'histoire... Il s’agit d’une comédie absurde et sombre qui envisage qu'en pleine guerre froide, le général de l'Armée de l'air américain Jack D. Ripper, frappé de folie paranoïaque, décide, seul et alors qu'aucune menace ne le justifiait, d’envoyer ses quarante-deux bombardiers B-52 munis de bombes atomiques frapper l’URSS.

Général de l'Armée de l'air américain Jack D. Ripper (John Hopkins)

Puis il coupe sa base de l'extérieur, et le Pentagone n'a aucun moyen de rappeler ces avions. Avec l’aide d’un ex-scientifique nazi excentrique, nommé Dr Folamour (Steve Coogan), le président des États-Unis (également Steve Coogan) et un capitaine de l’armée de l’air britannique (également Steve Coogan !) peuvent-ils travailler ensemble pour empêcher une apocalypse ?

 Président américain Muffley (Steve Coogan) et l'ambassadeur russe Bakov (Tony Jayawardena)
 Dr. Strangelove (Re-Steve Coogan)
 Général Jack D. Ripper (John Hopkins) et Capitaine Mandrake (Re-Re-Steve Coogan)

Après de très nombreuses péripéties et l'attaque par les Américains de la base de leur général Jack D. Ripper, tous les bombardiers pourront êtes rappelés, sauf un, commandé par le major T. J. « King » Kong (encore et toujours Steve Coogan).

 Au centre le major T. J. « King » Kong (encore et toujours Steve Coogan). 

Parce que son équipement radio a été endommagé par un SAM soviétique, il est incapable de recevoir ou d’envoyer des communications. Pour économiser du carburant, Kong vole sous les radars et change de cible, empêchant ainsi les radars aériens soviétiques de détecter et d’intercepter leur avion. Parce que le missile soviétique a également endommagé les portes de la soute à bombes, Kong entre dans la soute et répare le câblage électrique. Lorsqu’il réussit, la bombe tombe avec lui à califourchon. Kong hulule joyeusement et agite son chapeau de cow-boy alors qu’il chevauche la bombe qui tombe vers sa mort.

Major T. J. « King » Kong (encore et toujours Steve Coogan).  

La conception de la production de ce spectacle est incroyablement professionnelle. Les changements entre les différents (et nombreux) décors (conçus par Hildegard Bechtler) sont excessivement fluides, souvent accompagnés de mini intermèdes musicaux de quelques secondes.

Une des grandes forces de cette version scénique de Dr. Strangelove est que les éléments sombres et comiques sont répartis sur l’ensemble de la distribution: de la flatterie du président par Faceman (joué par Mark Hadfield) et la folie croissante du général Ripper (joué par John Hopkins), à la logique erronée du général Turgidson (joué par Giles Terera). Tout le monde est capable de transmettre de manière convaincante un peu de folie en propageant de la peur et du suspense. L’ensemble du casting est superbe. Mais une note particulière doit, bien entendu, être faite à la performance de Steve Coogan dans les rôles du capitaine Mandrake, du président Muffley, du major TJ Kong et du titulaire Dr Strangelove. La caractérisation précise de chacun de ces 4 personnages a rendu chacune de ces figures incroyablement distinctes et TOUTES ses apparitions tout au long de la pièce vraiment captivantes. Il était également capable de tirer chaque once de comédie de chaque réplique humoristique, apportant de la légèreté même lorsque le sujet était le plus sombre. En plus, il est quasiment en scène tout le temps, dans un personnage ou un autre.

Rarement la perspective de la fin du monde n’a été aussi drôle. L’anxiété collective, l’orgueil et l’idiotie de l’ensemble sont une joie à voir. Le monde militarisé satirisé dans la pièce est masculin: la distribution principale est presque entièrement masculine – à l’exception d’une femme qui apparaît à la fin, lorsque le mal est fait.

Ce n’est pas une comédie musicale, mais le spectacle commence et se termine par un chœur de militaires dansant sur des chansons populaires. Le numéro d’ouverture est une version de Try A Little Tenderness.

 Ouverture: "Try A Little Tenderness

Et le spectacle se termine avec Vera Lynn (Penny Ashmore) chantant avec une terrible ironie la chanson sentimentale de la Seconde Guerre mondiale We’ll Meet Again.

 Fin: "We'll Meet Again"

Si on veut commenter pour commenter, on peut se demander si la production n'allait pas être handicapée par deux choses: l’héritage du film de Kubrick et la célébrité de Steve Coogan. Inévitablement, l’ombre du film plane sur la pièce. C'est une évidence absolue. De nombreux choix créatifs sont guidés directement du film de Kubrick. La bande sonore de la pièce est un écho du film avec, comme nous l'avons signalé, une interprétation d’ouverture de Try a Little Tenderness et un final sur We’ll Meet Again de Vera Lynn. Un des décors dans la version scénique reproduit fidèlement la salle de guerre du film, avec son imposant anneau de lumière et les « grands écrans » qui figurent en bonne place dans l’histoire.

Versions cinématographiques et scéniques 

Beaucoup des meilleures répliques de la pièce, sans surprise, proviennent du film, et le public les écoutait clairement. Il y a eu une salve d’applaudissements après « Gentlemen, you can’t fight in here, this is the war room! »

La vraie question est que, comme il s’agit d’adapter une œuvre d’art parfaite à un autre support: est-il préférable d’innover ou d’imiter? L'option d'imitation m'a totalement convenu. Comme la scène où il est assis sur la bombe, pourquoi faire autre choisit?

Allez, quelques photos pour le souvenir...

Et, en guise de conclusion, une super vidéo de WhatsOnStage avec des interviews le soir de la Première.