Via Podiensis 1: Puy-en-Velay - St-Chély-d'Aubrac

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Par
Une randonnée sur le mythique chemin de Compostelle à travers les plateaux du Velay, de la Margueride et de l'Aubrac. A la découverte de paysages grandioses émaillés de villages et d'églises uniques.
Du 16 au 22 juillet 2021
7 jours
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Après quatre jours sur la via Gebennensis (cf. reportage précédent), j’arrive le 15 juillet 2021 au Puy-en-Velay, plus précisément au très excentré Relais du Val Vert. Cet hôtel un peu défraîchi conserve de jolis restes, notamment des chambres lumineuses et calmes à un prix correct.

En me réveillant le lendemain, j’ai en tête de profiter au maximum de ma chambre avant de descendre en ville. Je prends donc mon petit déjeuner tranquillement, puis je fais mon sac en rassemblant mes affaires éparpillées aux quatre coins de la pièce. Je récupère surtout mes vêtements lavés, séchés et pliés avec amour par la sympathique jeune fille de la réception. Merci à elle !

Contourner les rigidités de l’administration

Vers onze heures, j’attrape le bus jusqu’au centre et me dirige vers la première agence postale. En effet, sur la voie de Genève j’avais constaté qu’un certain nombre de bagages ne me servaient à rien, notamment le guide qui m’a fidèlement accompagné depuis Yenne (Savoie) d’où j’étais parti à la mi-octobre 2020.

Dans le bureau de poste, il y a des automates qui permettent aussi d’affranchir soi-même un colis, mais je me heurte à un problème imprévu : la machine me demande une adresse de résidence en France ! Comme si un pèlerin suisse avait ce genre de chose ! Heureusement, un aimable employé a fini par découvrir la parade en indiquant... les coordonnées de ce bureau comme lieu d’expédition.

Une rencontre manquée

En sortant, je m’aperçois qu’il est bientôt midi. Comme je n’ai plus rien qui me retient dans cette ville, je me mets en quête du restaurant « La Distillerie » que m’a recommandé le patron du Val Vert. Non sans peine, je le trouve au fond de la cour intérieure d’un immeuble du centre. Je m’installe dans le jardin d’hiver où mon accoutrement de routard contraste avec les polos Lacoste des touristes de passage.

Vue sur le Puy-en-Velay depuis le GR 65 en quittant la ville 

Après avoir dégusté un excellent poisson gratiné arrosé d’une bière ambrée, il est temps de reprendre le chemin. Je finis par repérer le balisage du GR 65 et je monte sur les hauteurs de l’agglomération auvergnate en direction du sud-ouest. Je quitte le Puy avec un drôle de sentiment : une rencontre ratée. Est-ce à cause de la fatigue accumulée sur les 104 km précédents ? De la météo morose et du ciel plombé ? Ou est-ce simplement le style de la ville qui ne m’inspire guère ? Peu importe, je la laisse derrière moi et me retrouve rapidement en pleine nature sur un large chemin de terre battue. Autour de moi, des champs de seigle à perte de vue.

Au bon souvenir de mon psoas

Contre toute attente, sur les cinq premiers kilomètres je suis seul sur cet illustre chemin. Il est vrai que les randonneurs quittent habituellement Le Puy vers 8 heures à l’issue de la messe des pèlerins. J’aurais bien aimé y assister, mais hélas mon hébergement était beaucoup trop éloigné et aucun bus ne partait avant les 7h du matin.

km 1 du Chemin de Saint-Jacques sur les hauteurs du Puy-en-Velay 

Une fois passés les faubourgs de Vals-près-le-Puy, un beau sentier se déroule sur les hauteurs d’une cuvette boisée. C’est là que je dépasse un jeune couple qui se relaie pour tirer une charrette où dort leur fiston de 3-4 ans. Quelques centaines de mètres plus avant, je suis forcé de m’arrêter, mon psoas (muscle de la ceinture abdominale) me fait trop mal. Je pose donc alternativement chaque intérieur du pied sur un mur de parpaings et tends ma jambe à l’horizontale comme j’avais appris à le faire avec mon physiothérapeute.

Effectué tous les km environ, cet exercice me permet de poursuivre, mais en même temps il me ralentit passablement. Je ne le sais pas encore, mais je serai contraint de le répéter tous les jours jusqu’à la vallée du Lot !

Depuis le 13 juillet, une épaisse chape de nuages couvre le chemin de Compostelle 

Un village tristounet

Vers 15h30, j’arrive à Saint-Christophe-sur-Dolaison dont je visite l’église romane du XIIe s. en pierre volcanique. Magnifique ! En sortant, je profite des sanitaires municipaux pour faire le plein d’eau. L’occasion de rencontrer un jeune couple sympathique qui transporte tout son matériel de bivouac, notamment l’impressionnant anneau d’une tente dépliable.

L'église romane de Saint-Christophe-sur-Dolaison (XIIe) et son clocher en peigne

Je parcours les 5.4 km qui me séparent de l’étape du soir que j’avais réservée la veille avec l’angoisse qu’il pleuve. Heureusement, il n’en est rien et vers 17h, relativement fatigué, j’arrive au refuge Lenti-You de Ramourouscle. Le village composé essentiellement de grandes métairies grises des années 1950 n’a rien d’inoubliable. Et cerise sur le gâteau, les quelques paysans que je croise regardent ailleurs ou ne répondent pas à mon salut. Ambiance.

Les derniers kilomètres avant d'arriver à Ramourouscle 

Un non-accueil inattendu

Pourtant, je ne suis pas au bout de mes surprises. Sur la porte de la jolie ferme de caractère où je croyais pouvoir me reposer, je lis mon prénom accompagné de quelques mots : « l’entrée se trouve dans la grange attenante, au premier étage. Installe-toi dans la première pièce à gauche. »

La ferme abritant le gîte "Lenti-You" 

Effectivement, dans la pénombre de l’imposante bâtisse, je distingue d’abord deux tentes et sur la droite un escalier métallique. La grande pièce à vivre du gîte est coquette et rénovée avec goût. Je m’y sens tout de suite bien, malgré le froid. Je pose mes affaires dans ma chambre équipée d’un petit lit à deux places et je vais me doucher. Quel bien ça fait !

Livré à moi-même

Mais, le répit est de courte durée... À peine séché et vêtu, il est déjà temps de faire ma lessive à la main dans l’évier de la cuisine. Comme je suis seul, je prends mes aises. Après un bref message à mon épouse pour lui dire que j’étais bien arrivé, je me couche un moment. Mais, impossible de dormir : j’ai le ventre creux !

Alors, vers 18h30, je me lève et je redescends vers le corps de ferme pour m’enquérir du dîner que j’ai réservé. À ma grande surprise, il n’y a toujours personne à l’intérieur. Drôle d’accueil…

Pièce à vivre du gîte Lenti-You 

Un dîner au froid et sans chandelles !

Je retourne dans ma chambre et j’attends en écoutant de la musique. L’horloge tourne et finalement, vers 20h30, on frappe à ma porte. C’est Sandrine, la jeune patronne qui vient de poser mon plateau-repas sur la table du réfectoire. Moi qui me réjouissais de partager un dîner collectif au coin du feu avec mes hôtes et un groupe de pèlerins, j’en suis pour mes frais ! Je vais devoir manger tout seul avec ma grosse veste si je ne veux pas m’enrhumer...

Ma chambre avec vue sur la cour 

Quelle déception ! Heureusement, l’assiette est bonne et relativement copieuse. Mais pour la chaleur humaine et le sens de l’accueil, on repassera. Je fais la vaisselle et vais me coucher. Il n’y a vraiment rien d’autre à faire ici ce soir.

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Il fait froid dans ma chambre lorsque je me réveille vers 6h30. Je m’habille en vitesse et commence à ranger mes affaires plus ou moins sèches (lessive manuelle) dans mon sac à dos.

Soudain, on frappe à la porte. C’est Sandrine qui vient m’apporter mon petit-déjeuner sur un plateau ! Je m’installe à table et, contrairement à la veille, elle reste quelques minutes en ma compagnie. Elle m’explique qu’elle m’a servi le dîner d’hier relativement tard, car elle rentrait d’un lointain marché où elle vendait ses lentilles bio.

Éviter les jugements à l’emporte-pièce

Je découvre une autre personne que la veille : plus posée, plus humaine. Je comprends alors que cette jeune agricultrice se bat comme une lionne pour faire vivre son exploitation. L’accueil des pèlerins n’est pas sa vocation, mais une source de revenus qui met un peu de beurre dans ses lentilles...

Hier, je l’ai jugée un peu hâtivement, sans doute à cause de la faim et de la fatigue qui m’assaillaient. Maintenant, sa froideur de la veille trouve une explication : elle était au moins aussi crevée que moi, mais en plus elle a dû me faire à manger et me servir alors qu’elle n’avait probablement qu’une envie : se reposer et dormir. Morale du jour, éviter de jauger nos semblables avant de connaître leur histoire.

Cela n’enlève rien au fait que j’aurais apprécié un autre accueil, mais cela a le mérite de situer les choses dans un contexte plus large. D’ailleurs, quand je suis passé une demi-heure plus tard devant sa porte pour lui régler ma soirée-étape, elle a vigoureusement refusé que j’arrondisse à 40 euros les 37 annoncés dans mon guide. Pourtant, c’était avec joie que je l’aurais fait ! Idem lorsque j’ai voulu lui rendre 50 centimes pour le paquet de mouchoirs que je lui ai demandé. Une droiture rare et une jeune paysanne à qui je souhaite le meilleur pour l’avenir.

Enfin quelques âmes qui vivent !

La chapelle Saint-Roch de Montbonnet (XIe siècle)

Lorsque je rejoins la via Podiensis 200m plus loin, le ciel est fidèle à lui-même : nuageux ! En atteignant la jolie chapelle Saint-Roch (XIe siècle) qui précède l’arrivée à Montbonnet, je m’arrête un moment pour profiter de la paix des lieux et prier. Malgré les « splendides maisons en moellons de basalte » vantées par le Miam Miam Dodo, je ne garderai pas le moindre souvenir de ce village campagnard par excellence.

Je monte vers la forêt qui abrite un marais pompeusement appelé le « Lac de l’œuf » et poursuis totalement seul en direction du beau hameau du Chier (prononcer « Chère »). Là, au pied d’un élégant crucifix en pierre, je pratique mes exercices d’élongation du psoas, histoire de ne pas perdre les bonnes habitudes. L’occasion d’attirer involontairement le regard d’un sympathique groupe de pèlerins français que je reverrai le lendemain dans la côte qui suit Monistrol-d’Allier.

Entrée dans Le Chier (prononcer Le Chère)

Quelques centaines de mètres plus loin, je dépasse deux randonneuses qui transportent d’énormes sacs à dos contenant tout leur matériel de bivouac. Visiblement, elles peinent. D’ailleurs, je ne les apercevrai plus. Le rythme n’est pas le même lorsqu’on porte 10 ou 20 kg !

Un pique-nique avec vue

Vers 11h30, j’atteins Saint-Privat-d'Allier dont le château haut perché toise le village. Je tombe rapidement sur la boucherie qui est la propriété du meilleur ouvrier de France 2010. Dans la boutique, le père de deux enfants complimente le patron et se procure de la viande pour toute la semaine...

Après bien dix minutes d’attente, c’est à mon tour de commander quelques tranches de jambon cru du pays. En sortant, je me précipite vers la boulangerie, car je crains qu’elle ne ferme à midi. Ne sait-on jamais !

Saint-Privat-d'Allier (Haute-Loire) 

À l’intérieur, je passe devant le client de la boucherie et achète du pain complet (une rareté sous ces latitudes) ainsi qu’une pomme et deux bananes. Ces fruits deviendront une habitude au quotidien jusqu’à la fin de mon pèlerinage.

Je retourne sur mes pas, histoire de pique-niquer près du vieux château que je veux voir de plus près. J’ignorais qu’il était une propriété privée. Heureusement, une belle église romane se trouve juste à côté. Je la visiterai après avoir cassé la croûte.

Un vent sibérien en guise d’apéritif

Je m’installe sur un banc qui domine toute la vallée boisée qui s’étend en contrebas. À ma droite, un émouvant monument aux morts de la Grande Guerre (1914-1918). Bien qu’un timide soleil ait fait son apparition, il fait un froid de canard ; la faute à un méchant vent qui souffle dans mon dos.

Le parc entre le château et l'église de Saint-Privat-d'Allier 

Je mange en vitesse pour ne pas trop me frigorifier et je me précipite dans l’église. Le couple de pèlerins tirant une charrette (abritant leur enfant) que j’avais dépassé hier s’y recueille. En sortant, je discute brièvement avec eux de la pluie et du beau temps, d’où ils viennent et où ils vont. Rien de tel que ce genre de questions pour briser la glace et interrompre momentanément sa solitude lorsqu’on pérégrine seul.

Église romane de Saint-Privat-d'Allier 

Un vaisseau qui sort du brouillard

Vers treize heures, je repars et monte vers la forêt menant à Rochegude. Dressé sur deux collines qui surplombent quelques coquettes maisons traditionnelles en pierre, à gauche une émouvante chapelle du XIIe siècle dédiée à Saint-Jacques. À droite, l’unique tour qui reste de l’ancienne fortification qui dominait toute la gorge.

Il y a environ une année, j’avais trouvé par hasard une photo de cette chapelle en tapant « église romane » sur un moteur de recherche. Elle montrait l’édifice sous le soleil. Là, une épaisse brume l’entoure ce qui crée une ambiance mystérieuse qui ne me déplait pas !

La chapelle Saint-Jacques (XIe s.) et les vestiges du fort de Rochegude

Après avoir gravi un dernier talus, je me faufile entre la roche et la paroi et pénètre à l’intérieur. Il y règne un pur silence propice au recueillement, mais également un peu intimidant. Agenouillé, j’admire les beaux vitraux contemporains qui illuminent le cœur.

Une rencontre bienvenue

En sortant, je croise un couple de sexagénaires parisiens qui connaissent bien la Suisse romande. Comme je ressens déjà de la fatigue, je me hâte de poursuivre mon chemin. Tout en lacets, celui-ci descend abruptement dans les bois jusqu’au lieu-dit Pratclaux.

Là, je rencontre Patricia, une trentenaire québécoise que j’avais dépassée en début d’après-midi. Rapidement, notre conversation prend une tournure plus profonde et nous commençons à nous raconter nos vies !

La forêt qu'on traverse en descendant de Rochegude 

Les derniers kilomètres avant Monistrol filent très vite et nous admirons la vue sur les gorges de l’Allier en arrivant en surplomb du bourg. Finalement, profitant d’un brusque rayon de soleil, nous nous attablons sur la terrasse du Repos du Pèlerin où j’ai réservé pour la soirée. Une bière pour moi, un verre de vin blanc pour elle. Je savoure l’agréable compagnie pour me rouler ma première cigarette sans filtre de la journée.

Monistrol-d'Allier 

Patricia qui a retenu une chambre plus loin me donne rendez-vous plus tard et nous échangeons nos numéros de portable.

La routine des tâches domestiques

Je rentre dans le restaurant et m’annonce. Le plus posé de ce couple d’hommes sexagénaires qui tiennent l’auberge me conduit au 2e étage, dans un grand dortoir lumineux à six lits. Je m’installe et me dirige vers l’unique douche de l’étage où il ne fait guère chaud. Une fois lavé, j’enfile mon bonnet sur ma tignasse mouillée (un bon truc quand un sèche-cheveux fait défaut) et m’enduis les pieds de Hirschtalg, un baume allemand censé affermir la plante des pieds et éviter ainsi les cloques. Puis, je m’attelle à ma lessive du jour. Dans le patio adossé à la pente, j’étends mes vêtements ; heureusement que j’ai emporté des pinces à linge, car il n’y en a pas assez pour tout le monde et le vent souffle.

Je ressors ensuite dans la rue et fais mes étirements tout près de l’Allier. Profitant du faible réseau wifi uniquement disponible dans la salle à manger, j’appelle mon épouse et lui raconte ma journée.

Gîte "Le repos du Pèlerin"

Une soirée en bonne compagnie

À dix-neuf heures, il est déjà l’heure de se mettre à la grande table où pour la première fois depuis cinq jours, je partagerai le dîner avec plus de deux personnes. Face à moi se trouve la maman de deux ados partis retrouver leur père au Panama pour les vacances. Comme moi, elle est enseignante et nous engageons rapidement une conversation qui continuera une fois le repas terminé. Entretemps, Patricia m’informe qu’elle préfère ne pas ressortir. Nous nous verrons demain matin pour marcher à nouveau ensemble.

Vers vingt et une heures trente, tout le monde au lit! En arrivant à ma chambre, je m’aperçois que je serai le seul mâle au milieu de quatre femmes. Cela me détend, car à tort ou à raison, je crains moins les ronflements de la gent féminine. La nuit s’écoule sans problème et je recharge les batteries après cette courte étape.

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Vers sept heures, il commence à y avoir du mouvement autour de moi. Mes camarades de chambrée semblent pressées de repartir. Je profite de leur élan pour me lever et ranger mes affaires ce qui équivaut à un minimum de 10-15 minutes.

Peu avant huit heures, je retrouve Patricia au bas de mon auberge et nous montons visiter l’église Saint-Pierre, « un ancien prieuré roman qui dépendait de l'abbaye de La Chaise-Dieu. Derrière le chevet, une croix gothique, des XVe ou XVIe siècles, porte, sur son fût un bourdon. Les personnages latéraux semblent représenter Saint-Jacques lui-même ou l’un de ces humbles en marche vers Compostelle. » (Wikipédia, 21 février 2022).

Statue en bois polychrome de Notre-Dame d'Estours dans l'église de Monistrol-d'Allier 

Une belle montée pour commencer la journée

Après une rapide prière, nous rejoignons le GR 65 qui enjambe l’Ance et emprunte la montée de la Madeleine jusqu’à la chapelle troglodyte éponyme. Un jeune prêtre et un séminariste nous y accueillent, l’un jouant de la trompette !

Vue sur Monistrol-d'Allier depuis la montée vers la chapelle de Sainte-Madeleine 

Le sentier poursuit son ascension jusqu’au plateau de Montaure couvert d’un épais brouillard. On se croirait davantage fin octobre que mi-juillet... Après avoir traversé le hameau d’Escluzels et passé la D589, nous atteignons Roziers. Patricia qui souhaite y visiter un jardin de plantes aromatiques décide de rester sur place alors que moi je continue mon chemin.

C’est « la fête » à Saugues !

Vers 12h20, j’arrive en vue de Saugues et de son imposante tour carrée médiévale. À peine parvenu dans les quartiers périphériques, une musique relativement forte griffe mes oreilles : des haut-parleurs suspendus à des lampadaires diffusent haut et fort la radio locale qui couvre la braderie annuelle. Quel manque de goût !

Finalement, en marchant entre les étals des marchands itinérants, j’atteins la « Tour des Anglais », un donjon du XIIIe siècle. Tout autour, des chalands prennent un café sur les terrasses.

Saugues (Haute-Loire) depuis le GR 65 

Étant donné que je suis seul et qu’il fait plutôt frisquet, je préfère me diriger directement vers la collégiale Saint-Médard (XVIe siècle) de l’autre côté de la place. Elle « abrite un prestigieux mobilier. Son trésor comprend une Vierge en majesté du XIIe siècle, une pietà du XVe siècle, trois croix processionnelles Renaissance richement ciselées, dues aux orfèvres du Puy. » On y voit encore la châsse de saint Bénilde (1805 - 1862, canonisé en 1967), membre des Frères des Écoles chrétiennes. (Wikipédia, le 21 février 2022) Il s’agit d’une très jolie église où je me sens bien.

Drague ou empathie ?

La Tour des Anglais (XIIIe siècle) et la collégiale Saint-Médard (XVIe siècle)

Finalement, la faim me tenaille et je ressors pour acheter un pique-nique. Je choisis d’abord les marches d’un escalier à la sortie du centre pour me restaurer. Comme la veille, un vent glacial souffle dans mon dos ce qui m’oblige à m’asseoir sur le rebord d’un muret, derrière le stand d’un boulanger pâtissier provençal qui propose essentiellement du pain brioché aux fruits confits d’un rouge éclatant. En face, un jeune maghrébin qui vend des vêtements m’observe en permanence. J’ignore si ses regards complices sont de l’empathie pour ma condition de pèlerin modeste ou de la drague. À vrai dire, je m’en fiche...

Sculpture d'un pèlerin fantomatique à la sortie de Saugues et un nom de rue qui fournit un heureux contraste 

Avant de finir congelé, je quitte Saugues sans regret et descends dans la plaine. Mais le répit est de courte durée. Bientôt, le camino remonte vers Le Pinet (situé à côté du hameau des Groseilles !!) En haut de l’interminable côte, je pénètre dans une odorante forêt de pins sylvestres. Quel calme !

Une pause en bonne compagnie

Finalement, je parviens à une clairière où se trouve la fontaine d’une résidence secondaire désertée. J’en profite pour remplir mes bouteilles d’eau et m’installe sur une dalle de béton de l’autre côté du chemin. Le soleil est enfin de la partie, il fait carrément chaud et je me roule une bonne cigarette en saluant les rares pèlerins qui passent.

Au bout d’une demi-heure, une jeune et grande randonneuse solitaire arrive à ma hauteur, l’air fatiguée. Je lui indique le robinet qui lui permettra de se rafraîchir. On commence à discuter et finalement je lui propose de s’asseoir à mes côtés ce qu’elle accepte volontiers. Âgée d’environ un quart de siècle, Juliette est enseignante dans une école internationale lyonnaise, mais elle est originaire du Beaujolais.

Prairie sèche entre Grèzes et Esplantas (Haute-Loire) 

Ces « bobos » globe-trotters qui se croient écolos

Après ces présentations, nous décidons de marcher un bout ensemble et abordons le problème de l’empreinte écologique de l’Européen moyen. Nous sommes sur la même longueur d’onde au moment d’évoquer l’ambivalence de la plupart des « bobos » qui vont travailler à vélo, mais ne rechignent pas à un petit vol intercontinental une à deux fois par année...

Sans presque nous en rendre compte, nous gagnons le hameau de La Clauze où Juliette a prévu de passer la nuit. Pour ma part, il me reste encore près de quatre kilomètres jusqu’au Villeret-d’Apchier où j’ai réservé une soirée-étape. Je prends congé de cette agréable compagne de route et mobilise mes forces pour me reposer le plus vite possible à « l’Auberge des deux Pèlerins ».

Tour de La Clauze, un donjon octogonal ayant appartenu à un château du XIIIe siècle, démantelé au XIXe siècle 

Un gîte d’un très bon standing

Au moment d’arriver, je ne suis pas déçu : il s’agit d’une bâtisse historique entièrement rénovée avec une belle hauteur sous plafond dans la salle à manger. Mon hôte quadragénaire est quelqu’un de bien organisé qui apprécie de maîtriser en tout temps la situation; ce sera d’ailleurs le seul hospitalier à me demander ma carte d’identité sur toute la via Podiensis!

Il me renvoie aimablement au sous-sol où je dois laisser mes souliers, mes bâtons et ma besace. Des panières sont à disposition pour y transvaser nos affaires avant de monter à l’étage. Il faut préciser que cette précaution est destinée à éviter la contamination des dortoirs par des puces de lit et autres bestioles qui s’accrochent volontiers au sac en pleine nature ou dans les gîtes...

Première rencontre avec des pèlerins allemands

J’ai de la chance : à cause du Covid-19, je profite d’une chambre sous toit de 3 lits pour moi tout seul. Le pied total ! Après une bonne douche, je descends mes habits sales vers la buanderie où un lave-linge va m’épargner des efforts et me donner un surplus de temps libre. Merci beaucoup Mehdi !

En remontant vers la terrasse orientée plein sud qui offre une jolie vue sur les premiers pâturages de l’Aubrac, je fais la connaissance d’un couple de jeunes retraités munichois. Ils sont enchantés de pouvoir enfin parler allemand et moi de pouvoir pratiquer la langue de Goethe. Entretemps, Patricia est arrivée et elle s’installe dans l’une des deux roulottes extérieures où elle passera la nuit.

Des séjours dans la jungle guyanaise

Au moment de retourner dans la salle à manger, je m’aperçois que je vais à nouveau me joindre à une belle tablée d’une quinzaine de marcheurs. À ma droite, le couple de Bavarois, à ma gauche Sylvain et son fils Mathis qui vivent dans l’Ouest parisien. Le papa organise des immersions dans la jungle de la Guyane française pour les cadres méritants des grandes entreprises. Autant dire que le Covid impacte fortement ses activités.

Vers vingt et une heures, après un excellent repas préparé par notre hôtesse Fanny, je me retire dans ma chambre pour récupérer avant la longue étape du lendemain. Le wifi est si faible ici, que je ne peux pas même appeler mon épouse. Ni regarder « Servir y proteger », ma série espagnole favorite... Hasta mañana !

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Après une bonne nuit de sommeil malgré un peu de poussière en suspension dans ma chambre, j’avale en vitesse mon petit déjeuner, fais mon sac et pars. Avec Patricia, nous filons en direction de Chanaleilles où un bar-épicerie devrait nous permettre d’acheter de quoi casser la croûte à midi.

Une épicerie digne de la Roumanie communiste

Après environ 4km sur les gravillons, nous sommes obligés de quitter le GR 65 pour monter dans le minuscule village. En arrivant dans le bar où la patronne et un client nous dévisagent avec bonhommie, nous hallucinons devant le choix pour le moins limité d’aliments proposés. Nous n’osons pas faire de commentaire à haute voix, mais un simple regard échangé avec Patricia me confirme qu’elle partage mon constat. Si je m’en souviens bien, il n’y avait même pas de pain...

Je me rabats donc sur une conserve de thon et une autre de maïs. Ce menu frugal sera souvent mon seul recours sur le camino ces prochaines semaines, mais je l’ignore encore ! Chuuut.

Le clocher en peigne de l'église romane de Chanaleilles 

Avant de reprendre la route, nous faisons un petit crochet par l'église romane du XIIe siècle, connue pour son clocher à peigne. Ce lieu de culte « est composé d'une nef unique, voutée en berceau plein cintre. L'abside, voutée en cul-de-four, constitue la partie la plus ancienne, les pierres ont été datées du XIe siècle ou XIIe siècle. De chaque côté deux petites chapelles ont été aménagées. Dans l'une d'elles, nous pouvons retrouver les armoiries des seigneurs de Chanaleilles, qui figurent également vers la porte d'entrée de l'église. L'église est dédiée à la Vierge. Elle est inscrite depuis le 24 février 1964 à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Dans l'église, la table du nouvel autel est en granite bleu du Velay. Sur le mur de l'abside, un crucifix est l’œuvre de Philippe Kaeppelin, un artiste du Puy-en-Velay. Les vitraux sont de Maurice Rocher de Paris. » (Source)

Un plateau désertique enchanteur

Nous montons ensuite de 200m en direction du sud-ouest vers la forêt de pins sylvestres qui domine la vallée. Et, après avoir franchi plusieurs barrières destinées à bloquer les vaches qui paissent ici en liberté, nous parvenons à 1300m d’altitude sur le plateau quasi inhabité de la Margueride ou des graminées dorées couvrent le relief à perte de vue. Un vent froid continuel y souffle et ôte la sensation de chaleur que nous avions depuis ce matin.

Sur le plateau de la Margueride on devine au loin  l’ex-Dômerie des Templiers du Sauvage

Finalement, nous apercevons au loin la silhouette massive de l’ex-Dômerie des Templiers du Sauvage. Aujourd’hui, elle fait office de gîte et d’auberge pour les randonneurs et les agriculteurs locaux gèrent l’établissement en coopérative. Cela leur permet d’écouler en direct leurs excellents produits du terroir.

Une halte dans un lieu mythique du camino

Il est midi et nous prenons place sur la petite terrasse ensoleillée déjà occupée par d’autres pèlerins. Après avoir commandé des boissons fraîches à l’intérieur, nous avalons avec appétit notre modeste pitance. Mais, qu’importe ! Le cadre est si beau que le contenu de notre assiette est anecdotique. Et si c’était ça le privilège du randonneur au long cours ?

Le chemin entre l’ex-Dômerie du Sauvage et la D587 où nous entrerons en Lozère

Rassasiés et reposés, nous repartons à travers bois et lande fleurie jusqu’à la D587 où un imposant panneau vert nous informe que nous entrons en Lozère (48). À Lajo, nous faisons halte à la chapelle Saint-Roch érigée en 1721 avec les pierres de l’ancien hôpital pour pèlerins qui se trouvait là à 1240m d’altitude.

« Construite en grand appareil de granite, l’église présente une architecture typiquement néo-romane. On distingue son majestueux clocher-flèche carré accolé à la façade sud de l’édifice.

La chapelle Saint-Roch érigée en 1721 avec les pierres d'un ancien hôpital pour pèlerins

À l’intérieur, on admire une nef unique voûtée en berceau plein cintre composée de deux travées. Les vitraux du chœur et des chapelles sont contemporains. Les chapiteaux sur lesquels reposent les arcs doubleaux sont ornés de motifs végétaux et figurés. La particularité réside dans la fresque, peinte sur le cul-de-four, réalisée en 1992, représentant le Christ attablé avec les pèlerins d’Emmaüs. » (source).

Saint-Roch, Saint-Jacques et la Vierge Marie

Le chemin en chantant!

Après avoir prié St-Roch, St-Jacques et la vierge Marie, nous remplissons nos gourdes à la source en contrebas et repartons. Il nous reste encore 10km jusqu’au but et le soleil cogne fort. Patricia est un peu « à plat ». Alors, pour l’encourager, je lui propose de chanter à haute voix ce qui lui passe par la tête. L’effet est presque immédiat : la jeune Québécoise retrouve de l’entrain et nous avançons sur « pilote automatique » sous un cagnard auquel la semaine précédente ne m’avait pas préparé (voir mon précédent compte rendu), c’est un euphémisme !

Vers 16h00, nous nous séparons sur les hauteurs de St-Alban-sur-Limagnole. En effet, Patricia passera la soirée dans un gîte alors que j’ai réservé à l’Auberge St-Jacques. Ma chambre située sous les toits est toute neuve et je m’y sens bien d’emblée.

Le paysage observable durant toute l'étape est simplement magnifique 

Un tour du village réparateur

Après une bonne douche à l’étage, je ressors pour visiter un peu le village. Je commence logiquement par l’église romane sise au milieu de ce bourg de 1300 habitants où des grès de différentes couleurs viennent égayer l’austère granit qui domine le nord de la Margueride.

Le "clocher mur" de l'église romane de Saint-Alban-sur-Limagnole 

Je monte ensuite vers le château renaissance situé dans l’enceinte du centre hospitalier François-Tosquelles, qui a été un des premiers en 1945 à mettre en œuvre un traitement psychiatrique respectueux du malade.

Château renaissance de Saint-Alban-sur-Limagnole où Paul Éluard et Tristan Tzara se sont cachés durant les années 1940

Comme mes jambes et surtout mon psoas me font un peu mal, je m’installe dans un minuscule square gazonné où je profite de chaque muret pour pratiquer des élongations salvatrices. Finalement, l’effet tonique de la douche s’étant atténué, la fatigue me rattrape et je décide de rentrer à l’hôtel.

Une aubergiste qui n’a pas compris « l’esprit pèlerin »

Pour le dîner, j’ai droit à une salade, un petit plat de lasagnes et un dessert. Un repas loin d’être inoubliable, surtout qu’au lieu de me placer à côté du couple de bavarois rencontré la veille au soir, la femme de l’aubergiste m’isole sans me demander mon avis au fond de la salle à manger.

Bâtiment vintage bordant l'église de de Saint-Alban-sur-Limagnole

Encore, une fois l’esprit de fraternité du chemin est piétiné allègrement par des professionnels du tourisme qui vivent pourtant en grande partie grâce aux jacquets de passage... Autre détail tragicomique, après m’avoir soulagé de la somme conséquente de 8 euros simplement pour mettre mon linge du jour dans le lave- et le sèche-linge, on me le rend complètement chiffonné. La patronne ne s’est même pas donné la peine de le plier ! Heureusement la brise fraîche qui souffle par la lucarne de ma chambre me permet de m’endormir avant 22 heures et de tomber dans les bras de Morphée jusqu’à 6h le lendemain.

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Une superbe lumière matinale colore la vallée de la Limagnole. Après l’avoir traversée, un chemin de terre boisé monte vers le hameau de Chabannes. L’ascension est rude, mais le Suisse que je suis dépasse sans problème une dizaine de randonneurs français visiblement peu familiers des raidillons.

Sur le plateau avant d'atteindre Chabannes 

Après une bonne heure de marche, j’arrive aux Estrets un lieu-dit de la commune de Fontans (Lozère). La jolie église Saint-Jean-Baptiste bâtie en style roman attire d’emblée mon attention et je décide de m’y recueillir. La fraîcheur à l’intérieur contraste agréablement avec la canicule qui commence à régner à l’extérieur. Le cœur empreint d’une grande sobriété est meublé d’un autel et d’une chaire à prêcher en bois sculpté du meilleur effet.

 La pause de midi à Aumont-Aubrac

Église Saint-Jean-Baptiste des Estrets

Avec quelques pèlerines rencontrées en chemin, nous repartons vers Aumont-Aubrac où nous comptons passer le midi. Sans le savoir, nous allons emprunter un tronçon de la via Agrippa qui reliait Lyon à Toulouse au temps des Romains. Quand nous atteignons le village d’origine du chanteur Didier Barbelivien, il est passé onze heures et mes compagnes se précipitent à la pharmacie pour s’acheter de la pommade et des granules d’arnica sur mon conseil.

Je continue seul vers le centre où je trouve du pain frais ainsi que fruits et jambon. Puis, j’avise un parc public qui domine le bourg et m’installe confortablement à une table de pique-nique. Une brise rafraichissante m’oblige à remettre un pull, mais je ne vais pas m’en plaindre ! Après tout, nous sommes à 1000 m d’altitude. Une fois rassasié, je profite du mobilier municipal pour étirer mon psoas avant de me reposer, la tête appuyée sur mon sac à dos. Que c’est bon !

Vue sur la D7 depuis le GR65 

 Un bon conseil de pèlerine à pèlerin

En redescendant dans le centre du village, j’aperçois attablé sur une terrasse un groupe de quatre pèlerins rencontrés durant la matinée. Parmi eux, Alix une jeune Parisienne que j’avais dépassée quelques heures plus tôt et Juliette la Lyonnaise croisée l’avant-veille après la ferme du Sauvage.

Je m’assieds avec eux pour boire un café et elles m’expliquent qu’il existe un « GR de pays » qui permet de rejoindre le chemin de Compostelle en évitant une longue portion asphaltée exposée en plein soleil à la sortir d’Aumont-Aubrac. Je décide de suivre leur conseil et je ne le regretterai pas ! Je ne le sais pas encore, mais j’aurai plusieurs occasions de recroiser les deux sympathiques Françaises jusqu’à Conques.

 Et revoilà Mickaël !

Avant de repartir, je fais un tour par l’église romane Saint-Étienne, un ancien prieuré bénédictin remontant à 1061. À l’entrée, je bute sur Mickaël, rencontré pour la 1re fois sur la via Podiensis (voir la 2e étape du 1er volet de mon périple 2021) une semaine plus tôt. Il me présente un trentenaire imposant, ex-militaire de carrière avec lequel il a cheminé jusqu’ici aujourd’hui.

Vitraux de l'église l’église Saint-Étienne d'Aumont-Aubrac

Dans le lieu de culte qui est vide à ces heures, j’apprécie les lumières multicolores qui pénètrent par les vitraux datés de 1967 qui sont l’œuvre d’un certain Ménard au prénom introuvable. Comme j’ai déjà marché 15,5 km et qu’il m’en reste 9 à parcourir sous le cagnard, je décide de repartir seul en suivant le GR de pays indiqué sur https://en.mapy.cz

Un itinéraire bis qui tient ses promesses

Je passe sous l’A75 reliant Clermont-Ferrand à Béziers et heureusement que je suis attentif, car j’ai failli prendre le chemin vers le nord au lieu de l’ouest. Après une petite montée, je me retrouve rapidement dans une forêt de pins qui exhalent une agréable odeur.

La piste de terre battue est déserte et j’apprécie de disposer de la carte sur mon smartphone, sinon à chaque bifurcation je pourrais me perdre. En effet, à un moment donné, je dois laisser le GR pour rejoindre le croisement entre la D107 et la D53 où se trouve l’auberge Aux Quatre Vents où je suis attendu.

Même au cœur de la forêt, il fait très chaud et je finis par dépasser un groupe de pèlerins qui peinent encore plus que moi. Profitant de ma forme physique, je les encourage dans le rôle d’un meneur d’hommes !

Le GR de pays offre une excellente alternative au GR65 en sortant d'Aumont-Aubrac 

 Je me charcute la cuisse avec un canif

Peu après 16 h, j’arrive le premier au gîte où m’accueille Marie-Claude, une paisible sexagénaire souriante. Après avoir déposé mon sac à dos, mes souliers et mes bâtons dans la chaufferie, elle me montre la chambre que je vais partager avec une pèlerine du Nord.

Je m’installe dans le lit qui me convient et redescend rapidement pour prendre une bonne douche froide. C’est là que je remarque à l’intérieur de ma cuisse droite une excroissance rougie qui ressemble à une tique. De retour à l’étage, j’essaie de l’arracher avec la pince à tique, mais, rien à faire, elle résiste la garde. Je sors alors mon couteau suisse et me mets à couper la chaire. En plus d’une douleur que je vous laisse imaginer, je commence à saigner abondamment ce qui m’oblige à désinfecter la plaie avec du mercurochrome.

Le gîte Aux Quatre Vents ne paie pas de mine, mais c'est un bijou!

Je rencontre l’âme sœur politique !

Je fais un pansement et sort dans le large jardin pour me reposer et fumer tranquillement une cigarette, assis sur une grande chaise en bois. Peu à peu, une mère et sa fille également Chti s’installent à quelques mètres, suivies de Fatma, une quadragénaire algérienne avec laquelle j’entame une discussion à bâtons rompus. Rapidement, je m’aperçois que nous sommes politiquement sur la même longueur d’onde. C’est si rare, que nous refaisons le monde en regardant errer des groupes de marcheurs épuisés qui cherchent désespérément où passer la soirée...

Puis vient le moment de dîner tous ensemble dans la cuisine du gîte ou nous attend un repas copieux arrosé d’un nectar rouge. Au moment de ressortir avec une petite veste pour profiter encore de cette belle soirée d’été à 1174 m d’altitude, Fatma emporte un demi-pichet de vin qui restait sur la table !

Finalement, nous discuterons jusqu’à vingt-deux heures avant que la fatigue nous oblige à rentrer. On aura passé une magnifique veillée et je ne peux que recommander sans réserve cette excellente adresse.

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En quittant ce matin le lieu-dit les Quatre-Chemins, j’entre enfin dans l’Aubrac. Le soleil brille et la température est encore relativement fraîche. Il faut dire que je marche à plus de 1100 m d’altitude.

Un sentier bordé d’un solide mur en pierres sèches se déroule à l’infini dans cette immensité trompeusement plate où les bovins règnent en maîtres. Même si je dépasse de temps en temps quelques alter ego pèlerins, il n’y a pas foule sur ce tronçon qui reste pour moi comme l’un des plus beaux du GR65 !

Un paysage lunaire, mais si marquant !

J’ai de la peine à avancer des arguments rationnels, mais ce paysage sobre et élégant malgré son dépouillement m’imprègne de manière inoubliable. S’il le soleil ne tapait pas si fort, je regretterais presque de ne parcourir aujourd’hui qu’une grosse demi-étape. Mais, comme j’ai déjà marché plus de septante (soixante-dix) kilomètres ces trois derniers jours, il est temps de lever un peu le pied pour éviter toute blessure de fatigue.

Un émouvant monument comme on en trouve parfois sur le chemin 

Je suis tellement absorbé par le paysage, qu’aucune autre idée n’occupe mes pensées. Peu avant midi, j’arrive à Nasbinals où je me rue dans la pharmacie pour acheter les pansements qui permettront la cicatrisation de ma cuisse. L’apothicaire me propose de repasser durant l’après-midi, car elle n’a pas tout en stock.

Retrouvaille avec des copains pèlerins

Je me dirige donc vers le centre du village qui borde l’austère église Sainte-Marie (XIe s.) en granit de Margeride. Après avoir acheté de quoi me sustenter, je fais un rapide crochet par la banque pour refaire le plein d’argent liquide. Et sur qui je tombe ? Sur Mickaël avec son pote baraqué ! Nous profitons d’une table en bois pour nous asseoir et discuter un moment. Je dois dire qu’après avoir passé la matinée seul, j’ai du plaisir à les revoir. Pour un pèlerin solitaire comme moi, ces échanges d’informations sont très importants : qui est déjà devant, qui est encore là, à quoi ressemble le chemin sur les kilomètres qui suivent, où trouve-t-on le prochain point d’eau...

L'église Sainte-Marie (XIe s.) de Nasbinals

Alors que mes deux amis repartent vers l’ouest, je reviens sur mes pas et m’installe dans un minuscule jardin public qui longe un petit ruisseau. Je mange et bois avec conviction avant de pratiquer mes élongations quotidiennes. Je suis tellement bien ici, que je m’étends un moment sur un banc pour me reposer en attendant l’ouverture de la pharmacie.

Un internat transformé en gîte

Avant de monter au gîte situé sur la pente opposée à l’église, je fais un crochet par la poste pour acheter les timbres nécessaires à l’envoi de trois cartes postales panoramiques à mes proches en Suisse.

Le centre d’accueil Nada est constitué de deux grands bâtiments en pierre qui faisaient peut-être office d’internat. Il est géré par une dynamique ex-pèlerine d’environ 50 ans. Après avoir encaissé les 12 euros, elle me fait visiter les sanitaires et le dortoir à 5 lits que nous occuperons à trois cette nuit.

Le gîte Nada côté jardin 

Une cérémonie touchante dans un cadre médiéval

Je prends ma douche et j’en profite pour changer mon pansement que j’irai présenter demain à la doctoresse du village. Puis, je fais ma lessive dans une bassine en plastique et je vais l’étendre à l’extérieur. Je n’ai pas vraiment le temps de jouir du grand jardin, car je désire me rendre à ma première messe des pèlerins qui commence à 18h.

Je garde un bon souvenir de cette belle cérémonie dans la fraîcheur de l’église romane au toit en lauses de schiste et au clocher octogonal. Après l’office, les participants sont invités à partager un apéritif sur le parvis dans une ambiance détendue.

Un repas empreint d’une réelle convivialité

Peu après 19h, je m’éclipse pour aller préparer mon repas dans la cuisine communautaire du gîte. Je partage une table et ma bouteille de cidre avec un collègue fraichement retraité de Dijon. Cet homme très aimable me raconte brièvement sa vie et nous passons une soirée paisible en compagnie de la maîtresse des lieux qui finit par nous rejoindre. Elle nous explique sa volonté de rendre de que d’autres hospitaliers lui ont apporté lorsqu’elle-même pérégrinait sur les chemins d’Espagne...

Mon premier ronfleur...

Rassasié et comblé par ces deux rencontres, je me dirige avec légèreté vers mon lit de camp qui grince à chaque mouvement. Je m’endors assez vite malgré les rugissements de lion de mon camarade de chambrée le plus proche. Heureusement qu’il existe des tampons auriculaires !

La chambre où j'ai (bien) dormi 
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Ce matin, avant de quitter Nasbinals, je me rends au cabinet médical situé au nord du village. Quand j’entre dans la permanence, il n’y a personne. Je me promène un peu dans les corridors et finis par frapper à la porte du fond : après tout, on m’attend !

Une doctoresse sexagénaire m’ouvre puis m’invite à lui montrer la blessure que j’ai moi-même causée l’avant-veille...

L'église de Nasbinals au soleil du matin 

Une blessure évitable...

Et c’est là que je découvre ma méprise légèrement paranoïaque : ça n’est pas une tique que j’ai sectionnée au couteau suisse, mais une sorte d’excroissance bénigne qui devait déjà être présente avant que je commence mon pèlerinage...

La médecin me fait un (mauvais) pansement et me laisse partir en me conseillant de désinfecter la plaie tous les soirs après la douche. La bonne nouvelle, c’est que ce bobo ne m’empêchera pas de continuer mon camino. Youpieee !

Le plateau de l'Aubrac en regardant en arrière vers Nasbinals 


La montée vers le col (1368m)

L’Aubrac dans toute sa magnificence

C’est avec un moral au beau fixe que je quitte Nasbinals en direction de l’ouest. Le chemin qui traverse un superbe plateau d’estive verdoyant monte bien de 1182 à 1368 m. Malgré l’altitude, la fraîcheur matinale ne dure pas et en atteignant le col, le soleil tape si fort que je m’abrite derrière un cabanon où je retrouve la sympathique pèlerine du nord de la France croisée il y a deux jours à l’auberge Aux Quatre Vents. Après une petite pause, je repars seul, car elle désire encore se reposer un peu.


La Domerie d'Aubrac construite au XIIe siècle pour secourir les pèlerins pris dans les tempêtes de neige

En redescendant, après deux kilomètres j’arrive en vue de l’austère et élégante Domerie d’Aubrac. Pour fuir la chaleur torride, je me réfugie dans l’église et je ne le regretterai pas. Notre-Dame-des-Pauvres, dont la construction date de la fin du XIIe siècle, m’éblouit par sa fraîcheur et surtout son calme propice au recueillement. Je suis seul dans ce grand vaisseau de pierre et je suis bien !

L'église Notre-Dame-des-Pauvres (XIIe siècle), un écrin de fraîcheur propice au recueillement

Pèlerins et touristes : deux mondes assez éloignés

Une fois ressorti, j’hésite à faire une halte sur l’une des belles terrasses du village, mais finalement j’y renonce : trop de touristes et pas assez de pèlerins. Je ne me sens pas à ma place.

Une oasis de verdure s'offre au pèlerin quittant Aubrac (1312m) 

Heureusement, désormais le chemin en terre battue descend doucement et traverse même un bosquet ombré : comme ça fait du bien ! En début d’après-midi, j’arrive à Saint-Chély-d’Aubrac où j’ai juste le temps d’acheter mon pique-nique avant la fermeture de l’épicerie.

Un gîte de qualité

En compagnie de Fatma, que je retrouve 36h après l’avoir quittée à l’auberge Aux Quatre Vents, nous nous installons dans un square arboré qui domine le parking du bourg. Il y a deux grands bancs et nous y sommes comme des rois !

Après m’être restauré, couché sur ma banquette, je fais une sieste bien méritée. Puis, vers 14h40, je cherche le gîte Saint-André. Non sans mal, car il est un peu excentré, je finis par l’atteindre vers 15h00. Je suis accueilli par Roland et Sylvie, un couple de sexagénaires très dynamique qui me montre la jolie chambre que je vais partager avec un randonneur français qui fait le tour des monts d'Aubrac.

Le tour des monts d'Aubrac à votre rythme

https://tourdesmontsdaubrac.org/ mais aussi sur randonnee-aveyron.fr sans oublier www2.ffrandonnee.fr

La fin du haut-plateau de l'Aubrac offre un panorama vierge de toute présence humaine: quel pied! 

Un petit voyage dans le temps

Après une bonne douche, je laisse ma lessive à mes hôtes qui la mettront à laver. Je profite du temps libre ainsi dégagé pour arpenter ce village médiéval bien préservé. Naturellement, je commence par visiter le bel intérieur de l’Église Saint-Éloy.

Église Saint-Éloy de Saint-Chély-d'Aubrac  

Puis, je traverse le centre et descends vers le Pont des Pèlerins qui franchit la Boralde. Il s’agit d’un édifice classé au patrimoine mondial de l'Humanité par l'UNESCO et c’est mérité tant il a vu passer de monde depuis le moyen-âge.

Le Pont des Pèlerins qui franchit la Boralde et St-Chély-d'Aubrac en arrière-plan (René Hourdry, CC BY-SA 4.0, wikimedia.commons.)

Va pour une trempette !

M’inspirant des familles qui barbotent dans le lit du ruisseau en contrebas, j’enlève mes sandales et trempe avec délice mes jambes dans l’eau froide. Un traitement idéal pour revigorer la musculature après une étape à marcher en plein soleil.

Comme l’heure avance, je remonte vers l’Office du tourisme où je profite du puissant wifi gratuit pour appeler mon épouse et partager avec elle de ma joie d’avoir pu parcourir aujourd’hui un si beau tronçon du camino.

Après une si belle étape, je suis un pèlerin heureux! 

Une belle soirée d’été, enfin !

En arrivant au Saint-André, le dîner est prêt et une quinzaine de convives sont déjà assis autour de la grande table. Aussi bien l’ambiance que le repas seront d’un très bon niveau. Malgré tout, vers 20h30 je quitte le gîte pour rejoindre Patricia et sa bande de jeunes Français qui éclusent des bières au centre du bourg.

Finalement, je m’aperçois qu’ils ont trop d’avance sur moi en matière de boisson. Je ne parviens pas à m’intégrer à ce groupe de fêtards et vers 22h je rentre me coucher. Bonne nuit !

Dans le prochain carnet vous découvrirez...

Cette deuxième semaine sur la voie du Puy nous emmènera d'abord à Conques. Puis nous traverserons la séduisante campagne de l'Aveyron, la vallée du Lot avant d'attaquer les causses du Quercy.

Prochain carnet: de l'Aubrac aux causses du Quercy

Découvrez encore d'autres images inoubliables dans mon prochain carnet en lien ci-dessus