Il fait froid dans ma chambre lorsque je me réveille vers 6h30. Je m’habille en vitesse et commence à ranger mes affaires plus ou moins sèches (lessive manuelle) dans mon sac à dos.
Soudain, on frappe à la porte. C’est Sandrine qui vient m’apporter mon petit-déjeuner sur un plateau ! Je m’installe à table et, contrairement à la veille, elle reste quelques minutes en ma compagnie. Elle m’explique qu’elle m’a servi le dîner d’hier relativement tard, car elle rentrait d’un lointain marché où elle vendait ses lentilles bio.
Éviter les jugements à l’emporte-pièce
Je découvre une autre personne que la veille : plus posée, plus humaine. Je comprends alors que cette jeune agricultrice se bat comme une lionne pour faire vivre son exploitation. L’accueil des pèlerins n’est pas sa vocation, mais une source de revenus qui met un peu de beurre dans ses lentilles...
Hier, je l’ai jugée un peu hâtivement, sans doute à cause de la faim et de la fatigue qui m’assaillaient. Maintenant, sa froideur de la veille trouve une explication : elle était au moins aussi crevée que moi, mais en plus elle a dû me faire à manger et me servir alors qu’elle n’avait probablement qu’une envie : se reposer et dormir. Morale du jour, éviter de jauger nos semblables avant de connaître leur histoire.
Cela n’enlève rien au fait que j’aurais apprécié un autre accueil, mais cela a le mérite de situer les choses dans un contexte plus large. D’ailleurs, quand je suis passé une demi-heure plus tard devant sa porte pour lui régler ma soirée-étape, elle a vigoureusement refusé que j’arrondisse à 40 euros les 37 annoncés dans mon guide. Pourtant, c’était avec joie que je l’aurais fait ! Idem lorsque j’ai voulu lui rendre 50 centimes pour le paquet de mouchoirs que je lui ai demandé. Une droiture rare et une jeune paysanne à qui je souhaite le meilleur pour l’avenir.
Enfin quelques âmes qui vivent !
Lorsque je rejoins la via Podiensis 200m plus loin, le ciel est fidèle à lui-même : nuageux ! En atteignant la jolie chapelle Saint-Roch (XIe siècle) qui précède l’arrivée à Montbonnet, je m’arrête un moment pour profiter de la paix des lieux et prier. Malgré les « splendides maisons en moellons de basalte » vantées par le Miam Miam Dodo, je ne garderai pas le moindre souvenir de ce village campagnard par excellence.
Je monte vers la forêt qui abrite un marais pompeusement appelé le « Lac de l’œuf » et poursuis totalement seul en direction du beau hameau du Chier (prononcer « Chère »). Là, au pied d’un élégant crucifix en pierre, je pratique mes exercices d’élongation du psoas, histoire de ne pas perdre les bonnes habitudes. L’occasion d’attirer involontairement le regard d’un sympathique groupe de pèlerins français que je reverrai le lendemain dans la côte qui suit Monistrol-d’Allier.
Quelques centaines de mètres plus loin, je dépasse deux randonneuses qui transportent d’énormes sacs à dos contenant tout leur matériel de bivouac. Visiblement, elles peinent. D’ailleurs, je ne les apercevrai plus. Le rythme n’est pas le même lorsqu’on porte 10 ou 20 kg !
Un pique-nique avec vue
Vers 11h30, j’atteins Saint-Privat-d'Allier dont le château haut perché toise le village. Je tombe rapidement sur la boucherie qui est la propriété du meilleur ouvrier de France 2010. Dans la boutique, le père de deux enfants complimente le patron et se procure de la viande pour toute la semaine...
Après bien dix minutes d’attente, c’est à mon tour de commander quelques tranches de jambon cru du pays. En sortant, je me précipite vers la boulangerie, car je crains qu’elle ne ferme à midi. Ne sait-on jamais !
À l’intérieur, je passe devant le client de la boucherie et achète du pain complet (une rareté sous ces latitudes) ainsi qu’une pomme et deux bananes. Ces fruits deviendront une habitude au quotidien jusqu’à la fin de mon pèlerinage.
Je retourne sur mes pas, histoire de pique-niquer près du vieux château que je veux voir de plus près. J’ignorais qu’il était une propriété privée. Heureusement, une belle église romane se trouve juste à côté. Je la visiterai après avoir cassé la croûte.
Un vent sibérien en guise d’apéritif
Je m’installe sur un banc qui domine toute la vallée boisée qui s’étend en contrebas. À ma droite, un émouvant monument aux morts de la Grande Guerre (1914-1918). Bien qu’un timide soleil ait fait son apparition, il fait un froid de canard ; la faute à un méchant vent qui souffle dans mon dos.
Je mange en vitesse pour ne pas trop me frigorifier et je me précipite dans l’église. Le couple de pèlerins tirant une charrette (abritant leur enfant) que j’avais dépassé hier s’y recueille. En sortant, je discute brièvement avec eux de la pluie et du beau temps, d’où ils viennent et où ils vont. Rien de tel que ce genre de questions pour briser la glace et interrompre momentanément sa solitude lorsqu’on pérégrine seul.
Un vaisseau qui sort du brouillard
Vers treize heures, je repars et monte vers la forêt menant à Rochegude. Dressé sur deux collines qui surplombent quelques coquettes maisons traditionnelles en pierre, à gauche une émouvante chapelle du XIIe siècle dédiée à Saint-Jacques. À droite, l’unique tour qui reste de l’ancienne fortification qui dominait toute la gorge.
Il y a environ une année, j’avais trouvé par hasard une photo de cette chapelle en tapant « église romane » sur un moteur de recherche. Elle montrait l’édifice sous le soleil. Là, une épaisse brume l’entoure ce qui crée une ambiance mystérieuse qui ne me déplait pas !
Après avoir gravi un dernier talus, je me faufile entre la roche et la paroi et pénètre à l’intérieur. Il y règne un pur silence propice au recueillement, mais également un peu intimidant. Agenouillé, j’admire les beaux vitraux contemporains qui illuminent le cœur.
Une rencontre bienvenue
En sortant, je croise un couple de sexagénaires parisiens qui connaissent bien la Suisse romande. Comme je ressens déjà de la fatigue, je me hâte de poursuivre mon chemin. Tout en lacets, celui-ci descend abruptement dans les bois jusqu’au lieu-dit Pratclaux.
Là, je rencontre Patricia, une trentenaire québécoise que j’avais dépassée en début d’après-midi. Rapidement, notre conversation prend une tournure plus profonde et nous commençons à nous raconter nos vies !
Les derniers kilomètres avant Monistrol filent très vite et nous admirons la vue sur les gorges de l’Allier en arrivant en surplomb du bourg. Finalement, profitant d’un brusque rayon de soleil, nous nous attablons sur la terrasse du Repos du Pèlerin où j’ai réservé pour la soirée. Une bière pour moi, un verre de vin blanc pour elle. Je savoure l’agréable compagnie pour me rouler ma première cigarette sans filtre de la journée.
Patricia qui a retenu une chambre plus loin me donne rendez-vous plus tard et nous échangeons nos numéros de portable.
La routine des tâches domestiques
Je rentre dans le restaurant et m’annonce. Le plus posé de ce couple d’hommes sexagénaires qui tiennent l’auberge me conduit au 2e étage, dans un grand dortoir lumineux à six lits. Je m’installe et me dirige vers l’unique douche de l’étage où il ne fait guère chaud. Une fois lavé, j’enfile mon bonnet sur ma tignasse mouillée (un bon truc quand un sèche-cheveux fait défaut) et m’enduis les pieds de Hirschtalg, un baume allemand censé affermir la plante des pieds et éviter ainsi les cloques. Puis, je m’attelle à ma lessive du jour. Dans le patio adossé à la pente, j’étends mes vêtements ; heureusement que j’ai emporté des pinces à linge, car il n’y en a pas assez pour tout le monde et le vent souffle.
Je ressors ensuite dans la rue et fais mes étirements tout près de l’Allier. Profitant du faible réseau wifi uniquement disponible dans la salle à manger, j’appelle mon épouse et lui raconte ma journée.
Une soirée en bonne compagnie
À dix-neuf heures, il est déjà l’heure de se mettre à la grande table où pour la première fois depuis cinq jours, je partagerai le dîner avec plus de deux personnes. Face à moi se trouve la maman de deux ados partis retrouver leur père au Panama pour les vacances. Comme moi, elle est enseignante et nous engageons rapidement une conversation qui continuera une fois le repas terminé. Entretemps, Patricia m’informe qu’elle préfère ne pas ressortir. Nous nous verrons demain matin pour marcher à nouveau ensemble.
Vers vingt et une heures trente, tout le monde au lit! En arrivant à ma chambre, je m’aperçois que je serai le seul mâle au milieu de quatre femmes. Cela me détend, car à tort ou à raison, je crains moins les ronflements de la gent féminine. La nuit s’écoule sans problème et je recharge les batteries après cette courte étape.