Le mercredi 21 octobre 2020, j’ai quitté mes hôtes après une soirée inoubliable avec un petit pincement au cœur : ça n’est pas tous les jours que l’on est hébergé par un couple aussi exceptionnel ! Après être descendu quelque trois-cents mètres, je retrouve sur ma gauche un chemin non asphalté bucolique.
Celui-ci me mène à Valencogne où j’admire l’église Saint-Jean construite tout en pierres rondes. Malheureusement, je n’aperçois pas la moindre épicerie ou un café ouvert. Tant pis, ce sera pour plus tard.
Un petit moment de blues
Un peu plus loin, le camino monte sur la gauche et finit par rejoindre la ligne de crête qui culmine à 690 m. J’ai mal à mes deux chevilles qui semblent rouillées et j’accuse une certaine lassitude… Malgré l’absence de banc – une constante depuis Saint-Genix ! – je me débarrasse de mon sac à dos et m’agenouille sur le bord du chemin. Un peu d’eau me désaltère et la dernière pâtisserie achetée la veille rempli momentanément mon estomac. Je me sens seul au monde et je me demande comment je vais pouvoir continuer…
Heureusement, cette halte m’a fait du bien et je repars dix minutes plus tard. Le sentier traverse une jolie forêt au sol jonché de cosses de châtaignes entrouvertes : pas de doute, on est bien en automne !
Une épicerie qui me rappelle Sarajevo en 1996…
Au sortir du bois, je découvre en contrebas le lac de Paladru et je croise deux familles qui se promènent : on se salue poliment et chacun poursuit sa route.Moi, je descends vers Le Pin, une localité au charme désuet où je peux enfin boire un café à 1,20 euro !
Je me dirige ensuite vers la seule épicerie du village. Je dois bien chercher pour trouver de quoi me nourrir tant les rayons semblent vides ! Cette pénurie relative me rappelle la Bosnie-Herzégovine de la fin du XXe siècle, c’est dire !
La routine du pèlerin
Malgré la fraîcheur de cette journée grise et venteuse, je m’assieds sur un banc au pied de l’église Saint-Christophe construite en 1769. Il est passé midi et la faim me tenaille.
Une fois restauré, je traverse un vieux quartier aux maisons de pisé typiques de la région avant de monter vers la forêt qui surplombe le village. Je peux tomber la veste et revêtir ma polaire bleue.
Une rencontre revigorante
A partir de la localité de Blaune, le camino descend vers la plaine balafrée par l’autoroute A 48. Je traverse la D520 et passe sous la 4 voies qui relie Grenoble à Lyon. Puis, je remonte vers le triste hameau de Cuétan. Je ne le sais pas encore, mais en un kilomètre, je vais grimper de 540 à 690 m d’altitude. Après 23 km de marche, c’est le genre d’ascension qui peut casser le moral !
Heureusement, à quelques mètres du sommet de la côte, j’aperçois une pèlerine manifestement à bout de souffle. Je la rattrape et me mets à lui parler pour la rassurer : après tout, nous sommes au milieu de nulle part et comme elle ne m’a pas entendu arriver, elle peut légitimement se demander quelles sont mes intentions.
Quand une rando se transforme en pèlerinage
Susanne, est originaire du nord-ouest de l’Allemagne, une région industrielle un peu sinistrée. Elle a travaillé quelques années dans l’édition à Munich avant de perdre son emploi…
Alors, pour ne pas trop gamberger, elle a commencé à suivre le Münchner Jakobsweg au sud-ouest de la Bavière. Cela lui a tant plu qu’elle s’est dit : « Pourquoi ne pas continuer ? » Et la voici deux mois plus tard en Isère après avoir traversé toute la Suisse courant septembre.
En discutant dans la langue de Goethe, le temps passe vite et nous voilà déjà au Grand-Lemps, notre destination commune pour la soirée. Susanne va s’arrêter chez une retraitée. Moi, je suis attendu par Paul et Line C. qui habitent à la limite sud-ouest du bourg.
Au moment où la quadra allemande décide de visiter l’église, elle lâche: « Nous nous reverrons certainement! ». Je prends congé d’elle sans me douter qu’effectivement nous allions nous retrouver le lendemain. Mes pas m’amènent vers le centre du bourg où se trouve la pharmacie. On me conseille une pommade chimique pour atténuer mes douleurs aux chevilles et je l’achète sans me douter de son inefficacité !
Des retraités accueillants
Après avoir cherché l’adresse de mon hébergement sur l’application maps.me, j’arrive à 15h chez mes hôtes. C’est Line qui m’accueille avec bonhomie et me propose de boire une infusion en compagnie de Paul, momentanément en chaise roulante suite à un petit accident.
J’apprends que le couple de retraités participe résolument aux activités caritatives de leur paroisse en soutenant notamment les familles monoparentales et les femmes maltraitées. Pour eux, recevoir des pèlerins à leur domicile résulte de la même philosophie : aider son prochain sans le juger.
Le problème de la lessive en octobre
Après cette sympathique discussion, Line me montre ma chambre au 1er étage d’où j’ai une jolie vue sur la campagne environnante et un beau coucher de soleil. Comme je n’ai pas l’accès au lave-linge familial, je reçois une bassine en plastique pour faire ma lessive. Alors, malgré la fatigue de la journée, je me mets au travail : sous-vêtements, pantalon, polaire, écharpe et bonnet, tout y passe.
A ce stade, permettez-moi une remarque dont les accueils jacquaires et autres gîtes seraient bien inspirés de tenir compte : laver à la main n’est rien comparé aux efforts à fournir pour essorer ses fringues !
En effet, si l’on n’évacue pas l’eau de nos effets, premièrement ils vont inonder le sol du local où on les suspend. Deuxièmement, ils n’auront pas le temps de sécher jusqu’au lendemain ! Or, expérience faite le dernier jour de mon périple, il est tout sauf agréable de partir le matin avec sur soi une polaire mouillée et dans le sac des habits humides qui pèsent le double de leur poids !
En 7 jours sur la via Gebennensis, j’ai dû laver trois fois mon linge à la main, à chaque fois que j’ai dormi chez des personnes plutôt âgées. J’ignore pourquoi et je ne leur jette aucunement la pierre puisque par ailleurs j’ai été fort bien accueilli. Autant cela ne pose sans doute pas de problèmes en plein été, autant, à la mi-octobre, c’est une autre chanson !
Un moment de pur bonheur
Après une heure de repos sur mon lit, je m’ennuie. Je décide alors de rejoindre mes hôtes qui doivent être en train de préparer le repas du soir. En arrivant à la cuisine, je vois Paul occupé à éplucher une montagne de pommes issues de son jardin. Je lui propose de l’aider ce qu’il accepte.
Commence ensuite l’un des meilleurs moments de ma semaine : je me sens parfaitement bien en compagnie de Paul et de l’odeur des fruits qui cuisent dans la marmite. Le fait de participer aux tâches ménagères change provisoirement mon statut : je ne suis plus un voyageur de passage, mais un membre de la famille ! Un sentiment super positif !
Avant le dîner, la fille cadette du couple nous rejoint. Comme elle vit seule, elle apprécie la chaleur du foyer familial le soir. Nous mettons à table et mangeons avec appétit le soufflé au fromage revigorant préparé par Line. Au dessert, les langues se délient et nous entamons une discussion plus profonde : les causes qui nous animent, les choses qui nous choquent, nos blessures et nos espoirs. Un magnifique moment de partage qui se poursuivra le lendemain.