Via Gebennensis 1: Yenne (Savoie)-Chavanay (Loire)

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Je suis parti mi-octobre 2020 depuis Yenne en Savoie en direction du Puy-en-Velay sur le chemin de Compostelle en France. J'ai découvert de charmants coins perdus en Savoie, Isère et Loire.
Du 19 au 25 octobre 2020
7 jours
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Le 19 octobre 2020, j’ai pris le train très tôt, car un long voyage m’attendait pour rejoindre le Camino là où je l’avais laissé 20 ans auparavant. Je suis arrivé à Genève Cornavin vers 9h30 et j’ai dû courir pour trouver l’arrêt du bus m’emmenant vers Aix-les-Bains en Savoie. J’ignorais encore qu’il existait un blabla bus desservant directement Chambéry.

Rencontre manquée avec Chambéry

Parvenu à Aix-les-Bains, le soleil d’automne brille, mais il fait tout de même très frais (8°C). J’attends quelques minutes dans cette gare de province qui n’a plus été rénovée depuis des décennies… Le contraste avec ses alter ego helvétiques n’en est que plus surprenant! Finalement, un train des années 90 finit par arriver et en moins de 10 minutes je me retrouve à Chambéry où je dispose d’une bonne heure avant le départ du bus pour Yenne à 12h25.

Chambéry, Place du Palais de Justice 

Je tâche de trouver le centre-ville et j’arrive sur la Place du Palais de Justice où je me réfugie dans un café pour échapper au froid. Une demi-heure plus tard, sans avoir vu grand-chose de la ville, je me dirige vers la modeste gare routière en passant par le parc du Verney. Recroquevillé sur un banc, je dévore un sandwich préparé chez moi sous le regard envieux des pigeons!


Yenne: le début d’un sentier exceptionnel!

Après plusieurs haltes dans la périphérie peu attractive de la ville, le minibus me laisse à 13h05 à Yenne où l’office du tourisme est logiquement fermé. Une partie de ce bourg respire l’abandon et une prospérité remontant aux années 1960-1970. Depuis, plusieurs commerces ont mis définitivement la clé sous la porte et certaines maisons semblent en décrépitude…

Yenne, la Place Charles Dullin 

Je me dirige vers un café pour demander par où passe le Chemin de Compostelle. Même si je ne consomme rien, le patron est très sympa et il m’envoie vers l’un de ses clients retraité qui devrait pouvoir m’aider. Il me conseille de suivre la rue principale plein ouest en direction du cimetière, ce que je fais. Je finis par trouver le GR 65 qui se superpose ici au GR 9, en l’occurrence l’étape Yenne-Grenoble du Chemin d’Assise.

Des arbres couverts de mousse jalonnent cette partie du GR65 

Après une prière à la charmante Chapelle Notre-Dame-de-la-Montagne, le GR 65 suit un beau sentier boisé et nous amène 250 m plus haut au Belvédère de Pierre Châtel. D’ici, la vue sur le cours sauvage du Rhône est vraiment exceptionnelle.

Les photos de cette semaine ont été prises avec un vieux Samsung S5. Il n'y a donc pas de miracle... La bonne nouvelle c'est que la suite de mon compte-rendu sur mon chemin de Compostelle sera illustrée avec des photos d'une toute autre qualité.

Le Rhône vu depuis les hauts de La Balme en Savoie 

Situé à 80% en forêt, le chemin qui passe sous le Mont-Tournier est vraiment extraordinaire: on n’y croise presque personne et seul le chant des oiseaux et le bruit du vent dans les feuilles accompagnent un pèlerin ravi! J’ai parfois eu l’impression d’être seul au monde et de ressentir la magie de la nature vierge comme devaient la vivre les néanderthaliens il y a plus de 30’000 ans.


L’impression d’être seul au monde

Vue depuis le Belvédère de la Pierre qui Vire avec le Rhône au troisième plan 

Malgré la beauté du chemin, la fin de l’après-midi approchait et je n’apercevais toujours pas mon étape du soir… Je m’étais levé tôt et j’avais marché sans discontinuer depuis environ 4 heures en transportant un sac de plus de dix kilos: j’en avais ma claque comme on dit vulgairement! C’est pourquoi je mis mon pas sur « pilote automatique » et j’arrivai en fin de journée à Saint-Maurice-de-Rotherens.


Un premier hébergement atypique

Hélas, après avoir déjà parcouru 16 km, je n’étais pas encore au bout de mes peines. Il me fallait descendre 2,5 km supplémentaires jusqu’au Mollard où m’attendait Patrick G. mon hôte du jour. J’avais trouvé ses coordonnées dans l’excellent guide Via Gebennensis 2020-2021 édité par l’Association Rhône-Alpes des Amis de Saint-Jacques. De nature flegmatique, mais avec un regard empathique et bienveillant, il m’indiqua à ma grande surprise que je disposerais de mon propre studio indépendant pour la nuit.

Le guide incontournable pour la Via Gebennensis

Au premier étage de l’élégant corps de ferme ancien, j’avais pour moi seul un confort de roi: un séjour meublé d’une table et 4 chaises en paille, un lit métal-lique superposé solide, une salle de bain avec un lave-linge! ainsi qu’une cuisine entièrement équipée.

La contrepartie de cette indépendance totale était que Patrick n’allait rien mitonner pour moi. Mais, dans les buffets de la cuisine j’ai trouvé de tout: pâtes, riz, lentilles et choucroute garnie en boîte… Pour étancher ma soif, j’ai eu l’embarras du choix: diverses bières et limonades fraîches au frigo, vin rouge et blanc en berlingot! Le tout (y compris le studio) à mon entière disposition en échange de quelques dizaines d’euros: un rapport qualité-prix imbattable, sans compter que j’ai eu, au moment d’aller me coucher, à opter entre plusieurs alcools forts « maison » histoire de dormir comme une masse…


Un garde-manger bien rempli

Le lendemain, frais et dispo, j’ai enduit la baguette que j’avais décongelée la veille de trois succulentes confitures artisanales et j’ai bu autant de thé et de café que je voulais, sans rien devoir demander à personne. Comme à la maison! Un réel privilège pour un pèlerin, je m’en apercevrai plus tard.

Quand j’ai eu fini de ranger mes affaires propres! dans mon sac, j’ai fait la vaisselle et balayé le sol, histoire de laisser les lieux comme je les avais trouvés en arrivant lundi soir. Puis, j’ai écrit quelques lignes dans le livre d’or de Patrick et je suis descendu le saluer. Avec un grand sourire, il m’a aimablement proposé de m’accompagner jusqu’au hameau de Gresir où j’ai pu rejoindre le tracé officiel du Camino, exactement à 2,5 km de Saint-Maurice-de-Rotherens, soit la distance séparant la maison de Patrick du même village. Ainsi, je n’ai pas triché d’un mètre.

Pour suivre mes pas au plus près, je vous recommande vivement la carte mapy.cz de nos amis tchèques: outre sa qualité graphique, elle offre le tracé en couleur de la Via Gebennensis ce qui permet de ne pas se perdre sur le terrain si on a téléchargé l’app avant de partir. Hélas, j’ai découvert cette carte quelques semaines après mon retour en parcourant radiocamino l’incontournable site de Sylvie, la pèlerine wallonne bien connue de la compostellosphère.

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Le mardi 20 octobre 2020 aux alentours de 8h j’ai pris congé de Patrick G. au hameau de Gésir et j’ai suivi le balisage du GR65 jusqu’à la D916. J’ai pris sur la gauche le chemin qui descendait sur un ruisseau avant de remonter dans la forêt. En arrivant dans le petit faubourg de Saint-Genix-sur-Guiers, on retrouve l’asphalte. On ignore toutefois que celui-ci va nous accompagner toute la journée, sans exception…

Première maison annonçant Saint-Genix-sur-Guiers (Savoie) 

Depuis l’émouvante chapelle de Pigneux, on aperçoit déjà le Guiers coulant en contrebas. Cet affluent du Rhône a constitué durant longtemps la frontière naturelle entre la France et le Royaume de Savoie. Aujourd’hui il sépare plus prosaïquement la Savoie de l’Isère.

La Chapelle de Notre-Dame de Pigneux 

Une halte à Saint-Genix-sur-Guiers

Après m’être recueilli aux pieds de Notre-Dame de Pigneux, je suis descendu résolument vers St-Genix. La première impression que j’ai eue de ce village est un retour au deuxième tiers du XXe siècle. En effet, les maisons ne semblent pas avoir changé depuis cette époque déjà relativement lointaine. Un voyage dans le temps renforcé par mon entrée dans une boulangerie à la décoration surannée, rappelant les années 1970. La vendeuse était vraiment adorable, alors je lui ai acheté deux jolies pâtisseries en plus du pain aux céréales complètes.

Puis, je me suis dirigé au jugé vers le centre de la bourgade. Là, je me suis arrêté dans une supérette Casino pour faire le plein de raisins frais et de jambon crû pour la journée. L’épicier, également très aimable, m’a même permis de rincer mes grappes dans son arrière-boutique. En sortant, il était déjà 9h30 et je me suis dit que je méritais bien un café. Je l’ai commandé à quelques pas de là dans un établissement fréquenté par des couples de sexagénaires lisant tranquillement les journaux. Le patron, trop occupé à faire le beau ne m’a pas adressé la parole. Avant de partir, il m’a même fait attendre au comptoir avant de me facturer environ 2,60 euros pour un simple café… Ami pèlerin, passe ton chemin. Il doit y avoir des lieux plus accueillants dans les environs!

En descendant la rue du Faubourg, je suis rapidement arrivé sur le pont enjambant le Guiers. Juste après, j’ai vu un panneau du GR65 pointant vers une rangée de maisons sur la gauche de la chaussée. Ne voyant pas de départ du moindre chemin pédestre, je me suis dit que le panneau devait être mal orienté. J’ai logiquement continué tout droit en direction d’Aoste.

Le Guiers à Saint-Genix-sur-Guiers (Savoie)
Le Guiers à Saint-Genix-sur-Guiers (Savoie)
Le Pont sur le Guiers sépare la Savoie de l’Isère / Le Guiers à Saint-Genix-sur-Guiers (Savoie)


Je me trompe de chemin et je pars sur Aoste (Isère)

Je venais de rater le sentier balisé qui longeait le Guiers vers le sud sur environ un kilomètre… Je suis donc arrivé à Aoste après un interminable bout droit asphalté en rase campagne. Heureusement pour moi, il faisait beau et les voitures se faisaient rares.

Arrivé à Aoste, j’ai cherché en vain un panneau indiquant le chemin de Compostelle. Finalement, je me suis rendu dans le bureau de tabac pour poser la question à la patronne. Contre toute attente, celle-ci a laissé tomber ses habitués pour se consacrer entièrement à moi! Elle a sorti son portable et cherché sur Google… Naturellement, elle n’a rien trouvé et je me suis éclipsé dès que possible.


De l’importance de disposer de la bonne application…

Dans la rue très passante, j’ai fait comme elle et j’ai cherché sur l’application maps.me la meilleure façon d’atteindre Romagnieu, le prochain village sur le Camino. Hélas, je ne connaissais pas encore l’app mapy.cz qui, avec l’itinéraire clairement marqué, m’aurait beaucoup aidé. Au lieu de ça, j’ai repiqué vers l’autoroute A43 et je suis retourné vers le sud-est en direction de Romagnieu.

Dans ce joli village paisible, j’ai pensé trouvé un balisage du GR65 près de l’église médiévale, mais rien… En désespoir de cause, j’ai suivi un panneau routier indiquant Les Abrets, une localité située sur le chemin officiel. Finalement, j’ai rejoint la via Gebennensis à l’entrée d’un lotissement de villas récentes sans âme. Jusqu’aux Abrets, le chemin asphalté à 85% ne présente aucun intérêt. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas pris la moindre photo.


Les Abrets, un village sans attrait…

Je ne garderai pas un souvenir inoubliable de cette commune de 6’300 habitants dans laquelle j’ai en vain cherché un magasin d’alimentation. Résigné, je me suis finalement assis sur un banc près de l’église où j’ai mangé les provisions heureusement achetées le matin à St-Genix. Et, comme ce n’était visiblement pas mon jour, j’ai réussi pour la 2e fois de la journée à ne pas voir la bifurcation à droite près de la caserne des pompiers…

Panneau indiquant la direction du gîte d’Alain et Florentine
Panneau indiquant la direction du gîte d’Alain et Florentine 

Je suis donc parti tête baissée vers le noyau historique, par ailleurs charmant, de Charancieu. Afin de trouver mon étape du soir, j’ai dû me connecter sur google maps au risque de payer des frais de roaming prohibitifs pour le non-ressortissant de l’Union européenne que je suis. Finalement, après bien des hésitations et la lassitude d’avoir cheminé sur du goudron toute la journée, j’ai trouvé la route du Juvenan et suis arrivé en vue du gîte tenu par Alain et Florentine C.

La montée de Juvenan à Charancieu 

Un accueil inoubliable à Charancieu

Histoire de ne pas déroger à mon manque d’orientation du jour, je n’ai pas réussi à trouver l’entrée officielle de leur maison et me suis retrouvé dans leur magnifique jardin à frapper au carreau de la porte-fenêtre du salon… Plus amusé que dérangé par l’arrivée impromptue de ce grand échalas suisse, le couple de sexagénaires franco-malgache m’a aimablement accueilli en m’offrant une tisane bienfaisante.

Puis, ils m’ont accompagné à ma chambre qui se trouvait dans l’annexe non chauffée de leur maison. Je me suis donc dépêché de prendre une douche brûlante avant de me glisser sous la couette de mon grand lit double histoire d’avoir chaud et de récupérer un peu. Lorsque je me réveillai 90 minutes plus tard, il faisait déjà nuit et une faim de loup me tenaillait.

Je suis donc retourné auprès de mes hôtes et j’ai mangé l’un des meilleurs repas de toute la semaine! Préparé avec amour par Alain avec essentiellement des produits de son jardin (légumes et viande!) ce fut un véritable régal, en qualité comme en quantité ce qui est de la première importance lorsqu’on vient de cheminer 26 km!

Un festin suivi de confidences

Après le repas, Alain m’a raconté avec beaucoup de modestie son parcours de vie d’orphelin alsacien élevé par son frère aîné dans des conditions matérielles dantesques. Sa formation en technicien nucléaire acquise en fréquentant les cours du soir après des journées de travail physique harassantes, sa formation en physique nucléaire qui sera suivie quelques années plus tard d’un master en pédagogie lui ouvrant les portes de la faculté de Lyon!

Mayotte: le rocher de Dzaoudzi, le boulevard des Crabes, la vasière des Badamiers et une partie de Petite-Terre, vus d’avion. 

Puis son retour dans l’enseignement secondaire en tant que directeur de plusieurs lycées en métropole avant un avant-dernier poste à Mayotte… Excusez du peu! Inutile de le dire, j’ai rapidement été conquis par la détermination bienveillante et posée de mon hôte et j’ai regretté ne pas l’avoir connu en tant qu’enseignant. De par son parcours de vie incroyablement évolutif, sa soif d’apprendre et son énergie hors norme, Alain m’a rappelé mon ancien chef Jacques H. chez HCT Shaping Systems à Cheseaux (VD) à la fin des années 1990. Les deux pourraient être frères que je n’en serais point surpris, même si la probabilité est fort restreinte.

Un récital somptueux

Alors que la fatigue de la journée se faisait sentir, j’ai encore eu droit à un récital piano-voix de la fille cadette de mes hôtes: comme elle chantait à l’étage du dessous relié par un escalier, j’ai d’abord cru que Florentine avait allumé la radio tant sa voix était positivement envoûtante! Une famille vraiment incroyable et je n’avais pas encore tout vu!

Au moment de prendre congé pour la nuit, Alain m’a demandé à quelle je désirais prendre le petit-déjeuner le lendemain. Sans trop réfléchir, je lui dis: « Vers 7h30 si cela vous convient. » Ce n’est que le lendemain que j’allais me rendre compte de mon manque de jugeote: non seulement je n’aurai pas envie de me lever, mais j’imposerai le même désagrément à mon hôte retraité.

Colline de Faravohitra, Antananarive, Madagascar 

Financer la scolarité d’enfants malgaches

Malgré tout, le premier repas de la journée fut au diapason du dîner de la veille: pantagruélique avec des confitures maisons délicieuses! L’occasion pour Alain de poser devant moi un album photo avant de disparaître quelques minutes. En feuilletant les premières pages, je me suis retrouvé à Madagascar où Alain et Florentine ont tenté un pari hors-norme: financer la scolarité d’une douzaine d’enfants très pauvres depuis la maternelle jusqu’à l’Université !

Ils financent ce magnifique projet en accueillant justement voyageurs et pèlerins dans leur maison.

Au moment de prendre congé de ce couple extraordinaire, j’ai éprouvé un vrai pincement au cœur et je regrette amèrement de n’avoir pas fait un selfie avec eux. C’est avec fierté que j’aurais pu illustrer notre amitié sur cette page… Mais, trêve de considérations, il est temps de partir vers le Grand-Lemps.

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Le mercredi 21 octobre 2020, j’ai quitté mes hôtes après une soirée inoubliable avec un petit pincement au cœur : ça n’est pas tous les jours que l’on est hébergé par un couple aussi exceptionnel ! Après être descendu quelque trois-cents mètres, je retrouve sur ma gauche un chemin non asphalté bucolique.

Le camino entre Charancieu et Le Vieux-Saint-Ondras 

Celui-ci me mène à Valencogne où j’admire l’église Saint-Jean construite tout en pierres rondes. Malheureusement, je n’aperçois pas la moindre épicerie ou un café ouvert. Tant pis, ce sera pour plus tard.

L’église de Valencogne / Petite statue de Saint-Jacques près de l’église 

Un petit moment de blues

Un peu plus loin, le camino monte sur la gauche et finit par rejoindre la ligne de crête qui culmine à 690 m. J’ai mal à mes deux chevilles qui semblent rouillées et j’accuse une certaine lassitude… Malgré l’absence de banc – une constante depuis Saint-Genix ! – je me débarrasse de mon sac à dos et m’agenouille sur le bord du chemin. Un peu d’eau me désaltère et la dernière pâtisserie achetée la veille rempli momentanément mon estomac. Je me sens seul au monde et je me demande comment je vais pouvoir continuer…

Heureusement, cette halte m’a fait du bien et je repars dix minutes plus tard. Le sentier traverse une jolie forêt au sol jonché de cosses de châtaignes entrouvertes : pas de doute, on est bien en automne !

Une épicerie qui me rappelle Sarajevo en 1996…

Au sortir du bois, je découvre en contrebas le lac de Paladru et je croise deux familles qui se promènent : on se salue poliment et chacun poursuit sa route.Moi, je descends vers Le Pin, une localité au charme désuet où je peux enfin boire un café à 1,20 euro !

Le lac de Paladru un matin d’automne 

Je me dirige ensuite vers la seule épicerie du village. Je dois bien chercher pour trouver de quoi me nourrir tant les rayons semblent vides ! Cette pénurie relative me rappelle la Bosnie-Herzégovine de la fin du XXe siècle, c’est dire !

La routine du pèlerin

Malgré la fraîcheur de cette journée grise et venteuse, je m’assieds sur un banc au pied de l’église Saint-Christophe construite en 1769. Il est passé midi et la faim me tenaille.

L’église Saint-Christophe du Pin (Isère) 

Une fois restauré, je traverse un vieux quartier aux maisons de pisé typiques de la région avant de monter vers la forêt qui surplombe le village. Je peux tomber la veste et revêtir ma polaire bleue.

Une rencontre revigorante

A partir de la localité de Blaune, le camino descend vers la plaine balafrée par l’autoroute A 48. Je traverse la D520 et passe sous la 4 voies qui relie Grenoble à Lyon. Puis, je remonte vers le triste hameau de Cuétan. Je ne le sais pas encore, mais en un kilomètre, je vais grimper de 540 à 690 m d’altitude. Après 23 km de marche, c’est le genre d’ascension qui peut casser le moral !

Heureusement, à quelques mètres du sommet de la côte, j’aperçois une pèlerine manifestement à bout de souffle. Je la rattrape et me mets à lui parler pour la rassurer : après tout, nous sommes au milieu de nulle part et comme elle ne m’a pas entendu arriver, elle peut légitimement se demander quelles sont mes intentions.

Quand une rando se transforme en pèlerinage

Susanne, est originaire du nord-ouest de l’Allemagne, une région industrielle un peu sinistrée. Elle a travaillé quelques années dans l’édition à Munich avant de perdre son emploi…

Alors, pour ne pas trop gamberger, elle a commencé à suivre le Münchner Jakobsweg au sud-ouest de la Bavière. Cela lui a tant plu qu’elle s’est dit : « Pourquoi ne pas continuer ? » Et la voici deux mois plus tard en Isère après avoir traversé toute la Suisse courant septembre.

Rue typique du Grand-Lemps (Isère) 

En discutant dans la langue de Goethe, le temps passe vite et nous voilà déjà au Grand-Lemps, notre destination commune pour la soirée. Susanne va s’arrêter chez une retraitée. Moi, je suis attendu par Paul et Line C. qui habitent à la limite sud-ouest du bourg.

Le centre-ville du Grand-Lemps (Isère) en été (wikipédia) 

Au moment où la quadra allemande décide de visiter l’église, elle lâche: « Nous nous reverrons certainement! ». Je prends congé d’elle sans me douter qu’effectivement nous allions nous retrouver le lendemain. Mes pas m’amènent vers le centre du bourg où se trouve la pharmacie. On me conseille une pommade chimique pour atténuer mes douleurs aux chevilles et je l’achète sans me douter de son inefficacité !

Des retraités accueillants

Après avoir cherché l’adresse de mon hébergement sur l’application maps.me, j’arrive à 15h chez mes hôtes. C’est Line qui m’accueille avec bonhomie et me propose de boire une infusion en compagnie de Paul, momentanément en chaise roulante suite à un petit accident.

J’apprends que le couple de retraités participe résolument aux activités caritatives de leur paroisse en soutenant notamment les familles monoparentales et les femmes maltraitées. Pour eux, recevoir des pèlerins à leur domicile résulte de la même philosophie : aider son prochain sans le juger.

Le problème de la lessive en octobre

Après cette sympathique discussion, Line me montre ma chambre au 1er étage d’où j’ai une jolie vue sur la campagne environnante et un beau coucher de soleil. Comme je n’ai pas l’accès au lave-linge familial, je reçois une bassine en plastique pour faire ma lessive. Alors, malgré la fatigue de la journée, je me mets au travail : sous-vêtements, pantalon, polaire, écharpe et bonnet, tout y passe.

A ce stade, permettez-moi une remarque dont les accueils jacquaires et autres gîtes seraient bien inspirés de tenir compte : laver à la main n’est rien comparé aux efforts à fournir pour essorer ses fringues !

Sans essorage mécanique, il est difficile de faire sécher le linge en automne 

En effet, si l’on n’évacue pas l’eau de nos effets, premièrement ils vont inonder le sol du local où on les suspend. Deuxièmement, ils n’auront pas le temps de sécher jusqu’au lendemain ! Or, expérience faite le dernier jour de mon périple, il est tout sauf agréable de partir le matin avec sur soi une polaire mouillée et dans le sac des habits humides qui pèsent le double de leur poids !

En 7 jours sur la via Gebennensis, j’ai dû laver trois fois mon linge à la main, à chaque fois que j’ai dormi chez des personnes plutôt âgées. J’ignore pourquoi et je ne leur jette aucunement la pierre puisque par ailleurs j’ai été fort bien accueilli. Autant cela ne pose sans doute pas de problèmes en plein été, autant, à la mi-octobre, c’est une autre chanson !

Un moment de pur bonheur

Après une heure de repos sur mon lit, je m’ennuie. Je décide alors de rejoindre mes hôtes qui doivent être en train de préparer le repas du soir. En arrivant à la cuisine, je vois Paul occupé à éplucher une montagne de pommes issues de son jardin. Je lui propose de l’aider ce qu’il accepte.

Commence ensuite l’un des meilleurs moments de ma semaine : je me sens parfaitement bien en compagnie de Paul et de l’odeur des fruits qui cuisent dans la marmite. Le fait de participer aux tâches ménagères change provisoirement mon statut : je ne suis plus un voyageur de passage, mais un membre de la famille ! Un sentiment super positif !

Avant le dîner, la fille cadette du couple nous rejoint. Comme elle vit seule, elle apprécie la chaleur du foyer familial le soir. Nous mettons à table et mangeons avec appétit le soufflé au fromage revigorant préparé par Line. Au dessert, les langues se délient et nous entamons une discussion plus profonde : les causes qui nous animent, les choses qui nous choquent, nos blessures et nos espoirs. Un magnifique moment de partage qui se poursuivra le lendemain.

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Malgré un ciel gris typiquement automnal, je me réveille frais et dispos, prêt pour une nouvelle étape d’une quinzaine de kilomètres. Échaudé par les douleurs aux chevilles des jours précédents, je préfère me ménager plutôt que de risquer une surchauffe musculaire. Une prudence qui s’avérera payante puisque les jours suivants les élancements baisseront progressivement d’intensité.

Pour le petit-déjeuner, Line et Paul m’attendent déjà. Je n’ai plus qu’à m’asseoir face à eux à la grande table familiale. La discussion commencée la veille au soir se poursuit et nous abordons notre vision réciproque de la foi. Line m’explique qu’elle prie tous les jours et qu’elle fait confiance à Dieu. Elle est aussi très active au sein du Secours catholique local qui vient en aide aux personnes isolées, malades ou précaires de la commune.

Quant à Paul, il est l’administrateur de la paroisse alors que leur fille donne le catéchisme aux enfants du primaire ! Une famille qui manifeste avec engagement son « souci du prochain » comme la Bible (et le Coran) nous y incitent. Un bel exemple à suivre.

Dépasser la superficialité

Quand arrive le moment de prendre congé, j’ai le sentiment qu’en quelques heures, nous nous sommes véritablement rapprochés. Notamment, grâce à un dialogue sincère et profond. Tous les quatre avons su nous inspirer mutuellement confiance, une condition essentielle pour dépasser la superficialité qui domine trop souvent les relations sociales.

Après avoir acheté mon pique-nique au Casino, je quitte Le Grand-Lemps par le nord. Et, je repasse devant l’église où je m’étais arrêté la veille. Le camino suit le « Chemin de Compostelle » plein ouest en direction de la localité de Bévenais. Là, une pluie fine commence à tomber : pèlerine obligatoire ! Le GR65 m’amène ensuite à La Frette où Susanne semble m’attendre, assise sur un banc !

L'Église Saint-Marcellin de Bévenais
L'Église Saint-Marcellin de Bévenais 

Trois gentilhommières sur quelques kilomètres

Nous décidons de parcourir un bout de chemin ensemble, car la monotonie du paysage nous pèse à tous deux. Heureusement, quelques centaines de mètres plus loin, nous apercevons le joli château de la Villardière. Celui-ci appartient depuis plus de deux siècles à la famille éponyme. Alors que la pluie continue à tomber, nous profitons d’environ 1 km de sentier naturel. Celui-ci nous mène au manoir de Montgontier, un site historique remontant à l’époque des templiers. Puis, retour sur l’asphalte d’où nous pouvons admirer le Château privé de Pointière qui domine Gillonnay (Isère). En descendant, nous tombons sur l’église Saint-Maurice et en profitons pour la visiter.

En sortant, il ne pleut plus. Plus loin, en arrivant en vue de l’église Saint-Maurice, Susanne exprime le souhait de casser la croute. Nous nous asseyons sur un banc qui offre une vue plongeante sur la large plaine en contrebas.

Église Saint-Maurice de Gillonay (Isère)

Susanne continue seule

Bien restaurés, nous partons une demi-heure plus tard sans nous douter qu’il ne reste que 6 km jusqu’à La Côte-Saint-André. Nous ignorons qu’à l’issue de ce tronçon, nos chemins vont se séparer. En effet, les douleurs aux chevilles étant revenues, je décide de m’arrêter au café de l’Escale, sur la place centrale du bourg.

Pas trop inspiré par l’ambiance qui y règne, j’appelle les deux premiers accueils jacquaires ARA de ma liste, sans succès. Le troisième coup de fil sera le bon ! Claire L. me fait d’emblée bonne impression. Elle m’explique qu’elle va amener ses petites-filles en ville et qu’elle fera un crochet pour me prendre. Rassuré, je sors du café et je monte vers l’église Saint-André qui domine la place centrale.

Une attendrissante vierge à l’enfant

Église de La Côte-Saint-André (Isère)  

A l’intérieur, il fait très sombre ce qui crée une ambiance particulière hélas guère favorable à la prise de photos ! Je me pose face à une attendrissante vierge à l’enfant que je remercie pour le bonheur que me procure le chemin. Je n’oublie pas mes trois premiers hôtes qui m’ont si bien accueilli. Jeune cadre intermédiaire retraitée, claire habite une maison des années 2000 en haut de ce village qui a vu naître le compositeur Hector Berlioz en 1803. Depuis son séjour, on profite d’un joli panorama sur les toits et le clocher.

L’arnica comme remède-miracle

Après une bonne douche, elle accepte de laver mon linge du jour. Je suis remonté de ma chambre souterraine trop sombre pour manger mon pique-nique du jour dans sa cuisine. Voyant que je déguste un excellent jambon serrano, elle m’explique qu’elle est végétarienne et que je n’aurai pas de viande au dîner. Pas grave… Constatant mes douleurs aux chevilles, elle me prête un tube de pommade à l’arnica ainsi que des granules homéopathiques de la même plante. Une aimable attention qui allait révolutionner mon pèlerinage. Avec l’achat de ces deux produits à la pharmacie le lendemain, je n’aurai presque plus mal jusqu’à la fin de la semaine. Merci infiniment Claire !

Un dîner léger en bonne compagnie

Trop fatigué pour visiter sous la pluie la ville où le peintre paysagiste néerlandais Johan Barthold Jongkind avait décidé de passer sa retraite, je reste tout l’après-midi à somnoler dans la cave où claire a installé un grand lit, un canapé et un petit secrétaire. Comme il y fait froid, je me blottis sous la couette.


La Côte-Saint-André peinte par Johan Bartold Jongkind (1819-1891) 

Vers 19h, je soupe avec mon hôtesse et ses deux adorables petites-filles de 9 et 11 ans. En entrée, du houmous maison accompagné d’un bon pain noir, si rare en France ! Puis, une belle salade tomates mozzarella. En plat de résistance, des pommes de terre et du potimarron en cubes grillés à la poêle. Très bon, mais sans protéines et sans sauce, insuffisant pour sustenter le pèlerin !

Un bilan contrasté

Et ce ne sont pas les deux petits morceaux de fromage pris au dessert qui ont pas changé la donne. La preuve, à une heure du matin, je me réveille affamé. Heureusement, il me reste deux barres de céréales et quelques carrés de chocolat noir pour caler mon estomac. Pour me rendormir, je regarde sur mon vieux smartphone deux épisodes supplémentaires de la série espagnole « Servir y proteger ». Je tire un bilan contrasté de cet étape. Autant Claire m’a bien accueilli, soigné et blanchi, autant la pièce dans laquelle elle m’a installé ne correspond pas au standard qu’on est en droit d’attendre, même en donativo (l’on paie ce qu’on veut pour le gîte et le couvert). Quant au dîner, bien que très sain et préparé avec amour, il était insuffisant pour quelqu’un qui marche depuis trois jours et se contente d’une légère collation à la mi-journée.

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Après m’être rendormi de 3h à 7h30 du matin (cf. article précédent), je suis resté au lit jusqu’à 8h20. En sortant de mon sous-sol empoussiéré, je constate avec dépit qu’il tombe des hallebardes. Je mange mon petit déjeuner en compagnie de Claire et celle-ci insiste pour me prendre en photo au moment de mon départ sous la pluie.

La pluie, un épouvantail à pèlerins  

Je descends vers le bourg pour m’acheter de la pommade et un tube de granules d’arnica : ceux de Claire m’ont fait tant de bien ! S’ensuit un passage au petit supermarché pour acquérir les victuailles du jour et je quitte La Côte-Saint-André sous des trombes d’eau.

Une pérégrination sous le déluge

Malgré ma pèlerine, l’eau s’insinue partout. Durant environ 6 km, le camino suit de petites routes asphaltées. Après Ornacieux, on quitte le coteau parcouru depuis le Grand Lemps pour s’élancer vers la plaine.

La Grand-Rue de Faramans en 1910 

Sur les 3 km précédant l’arrivée aux étangs de Faramans, enfin un sentier digne de ce nom s’offre à moi. Parvenu au centre du village, je suis contraint de me réfugier sous un abribus : il y a un centimètre de liquide au fond de mes souliers ! Et, malgré la pèlerine et une housse, mon sac s’imbibe dangereusement.

J’en appelle à Dieu pour me protéger

En l’absence de bistrot ouvert, je n’ai pas le choix, il me faut continuer. Hélas, la pluie redouble d’intensité et le vent se met à souffler violemment. Je longe une route perdue au milieu d’une plaine. Aucune habitation ni être humain en vue. Je prie. Je crains qu’il ne m’arrive malheur au milieu des éléments déchaînés. Seul et sans possibilité d’appeler du secours, que ferais-je en cas d’accident ? Avec ferveur, je demande à Dieu de me protéger.

Après quatorze kilomètres sous la pluie, mouillé jusqu’au slip, je n’en peux plus, il faut que ça s’arrête ! En arrivant au Pommier de Beaurepaire, je m’abrite sous la première sous-pente accessible et j’ôte ma pèlerine et mon sac. Je saisis le guide trempé et j’appelle le gîte « Auberge de Pommier » qui a l’avantage d’être tout près même si j’ignore sa position exacte.

Une halte bénie !

Les sonneries s’égrènent, mais rien. Au moment de raccrocher, une voix masculine se fait entendre. Je lui explique ma situation désespérée et la raison pour laquelle je n’ai pas réservé. Jérôme G. comprend le problème et m’invite à venir le rejoindre derrière l’église. Je me rhabille et je cours presque à l’aveuglette sous le déluge.

Ce quinqua sympathique m’accueille avec bonhommie et me permet de suspendre mes vêtements les plus mouillés et d’ôter mes godillots qui ressemblent à des éponges.

Je refais lentement surface

Il me montre la chambre à quatre lits où je serai en principe seul ce soir. Actuellement en réunion, mon hôte n’a que quelques instants à me consacrer. Il m’invite à prendre déjà une bonne douche chaude et à m’installer.

Ma chambre à l’Auberge de Pommier  

En argumentant sur le fait qu’ils n’auront pas le temps de sécher, Jérôme me dissuade de nettoyer mes vêtements à la main. J’essore donc mes hardes trempées à la force des bras et je les suspends sur les divers radiateurs du rez-de-chaussée de cette grande maison du 19e siècle (estimation).

La plaine du Suzon vue depuis l’Auberge de Pommier 

De bonnes ondes

Après avoir enfilé des habits de rechange un peu humides, je me rends dans la grande cuisine-salle à manger d’où on a une vue apaisante sur le jardin et la large plaine au loin. Je me fais une infusion et j’admire la carte du monde des années 1900 qui décore parfaitement cette pièce d’où émergent de bonnes ondes.

Carte ressemblant à celle que j’aurais dû photographier sur place… 

Après avoir avalé mes pain-jambon-pomme quotidiens, je retourne dans ma chambre et me glisse sous le duvet. C’est Jérôme qui me sortira de ma torpeur quelques heures plus tard en entrant dans ma dépendance.

Un hôte aux petits soins

Après s’être enquis de mon installation chez lui, il m’explique que samedi j’aurai 12,4 km à parcourir avant de pouvoir me ravitailler au marché de Revel-Tourdan. D’où la nécessité, selon lui, de prévoir un départ en début de matinée et de réserver dès maintenant une chambre pour le lendemain.

Au menu: un bon gratin de courge à la viande hachée 

Vers 19h, j’entends dans le corridor le roulement du chariot qui transporte mon repas du soir. Au menu, gratin de courge à la viande hachée de bœuf après une entrée dont je ne me souviens plus, mais qui était tout aussi nourrissante et appétissante !

Une discussion entraînante

Après m’avoir servi un verre de vin rouge, Jérôme s’installe en face de moi et nous parlons. Beaucoup et de tout : nos vies, la politique, l’économie… au point que j’en oublie la notion du temps. C’est là que j’apprends que Susanne m’a précédé ici la veille. Elle a donc parcouru près de 29 km, en partie sous la pluie ! Mon interlocuteur a pu s’entretenir avec elle, car il a longtemps travaillé en Allemagne. A la suite d’un licenciement, il est rentré en France et s’est acheté cette maison qui a été occupée auparavant par des religieuses. Aujourd’hui, il œuvre encore dans la logistique, mais désormais par intermittence puisqu’il gère aussi le gîte avec sa compagne.

Un souvenir inoubliable

Après un excellent flan caramel pour le dessert, je suis retourné dans ma chambre vers 21h et j’ai regardé deux épisodes de ma série espagnole préférée avant de tomber dans les bras de Morphée. A noter que, pour la première fois depuis mon départ, j’ai dormi d’une seule traite jusqu’à 7h30.

Claudia Miralles et Alicia Ocaña, les deux personnages centraux de la série « Servir y proteger »  

Même s’il n’a à ma connaissance aucune formation dans l’hôtellerie, Jérôme sait instinctivement comment choyer ses invités. Il m’a servi un opulent petit déjeuner et il m’a à nouveau tenu compagnie ! Quel merveilleux sens de l’accueil. Mon passage à l’Auberge de Pommier restera gravé dans mon cœur. Merci infiniment pour cet accueil exceptionnel !

6

En ce samedi matin d’octobre, il fait un soleil radieux. Après avoir pris congé de Jérôme (cf. article précédent), je fais quelques mètres et je visite l’église du Pommier. Hier, il pleuvait tellement, que je n’avais pas eu le loisir de m’y arrêter. Construite au XIXe siècle et dédiée à Saint-Romain, cet édifice paisible vaut la visite. Je m’y suis senti bien, en paix.

Église paroissiale de Pommier-de-Beaurepaire (Isère) 

Après une petite prière, je suis parti en direction de Revel-Tourdan en suivant la ligne de crête qui traverse une magnifique forêt. La pluie de la veille ruisselait encore sur les feuilles et renforçait la bonne odeur des sous-bois. Les oiseaux chantaient et je me sentais en parfaite harmonie avec l’univers. Même les chasseurs croisés le fusil à la main plus loin sur le chemin m’ont paru sympathiques.

Vue sur la plaine de Beaurepaire (Isère) depuis le chemin de St-Jacques 

En sortant de la forêt, j’ai profité d’une vue paisible sur la plaine de Beaurepaire traversée par le Suzon et l’Oron.

Vitrail de l’église Saint-Jean-Baptiste (XIIe-XVe s.) 

Puis, en arrivant à Revel-Tourdan, je me suis d’abord rendu dans l’église romano-gothique (XIIe-XVe siècles) Saint-Jean-Baptiste de Revel qui est illuminée par des vitraux contemporains dont la sobriété se joint harmonieusement au solide bâti médiéval.

Un café comme on en rêve...

Comme il était déjà 11h30 et que je marchais déjà depuis plus d’une heure et demie, je me suis rendu dans le minuscule café du bourg où le patron discutait avec deux habitués. J’ai fini par rompre la glace et je leur ai raconté brièvement ma démarche. Comme cela semblait les intéresser, nous avons discuté un bon moment et ils m’ont appris que Suzanne (voir épisodes précédents) m’avait précédé ici même la veille. Décidément…

Au moment de partir, j’ai demandé au patron où se trouvait la boulangerie mentionnée sur mon guide. Celui-ci m’a alors expliqué qu’elle était fermée pour les vacances de la Toussaint. Voyant mon désarroi, je n’avais rien à manger pour midi, il m’a aimablement proposé du pain, du camembert et un peu de saucisson qui lui restaient en cuisine. J’acceptai sa proposition avec enthousiasme, car je savais qu’il n’y aurait plus d’autre épicerie jusqu’à Bellegarde Poussieu.

Au moment de payer ma consommation et le casse-croûte improvisé, j’ai compris que… j’étais bien tombé! Non seulement les aliments étaient frais et bien emballés, mais en plus leur prix m’a paru très doux: si je m’en souviens bien, 6 ou 7 euros en comptant le café!

En descendant du bourg, j’ai croisé un grand cycliste frigorifié qui ne parvenait plus à remonter une fermeture éclair tant ses doigts étaient engourdis! J’ai d’abord cru à une plaisanterie de sa part, mais le sourire avec lequel il m’a ensuite remercié ne laissait pas place au doute: je lui avais bel et bien rendu service. Tant mieux.

Vue vers le nord à la sortie de Revel-Tourdan

Une halte pique-nique improvisée

Après être passé sous une ligne TGV, je suis monté au sommet d’une côte dominée par un imposant château d’eau. A défaut d’un banc, j’ai posé ma pèlerine par terre et j’ai mangé face à la pleine en contrebas, le dos appuyé contre un treillis métallique. Les victuailles fournies par l’aubergiste de Revel-Tourdan furent un vrai régal. Avant que le vent frisquet me donne des frissons, je décidai de partir au plus vite.

Après avoir traversé une autre longue forêt, j’arrivai vers 15h à Bellegarde-Poussieu devant l’imposante maison de Danielle et André V. Les deux octogénaires m’ont d’emblée proposé un café que j’ai poliment refusé par peur de la caféine qui risquait de m’empêcher de dormir. Mais, comme ils m’ont directement proposé une infusion, je n’ai pas pu refuser!

La magnifique maison où j’ai séjourné 

Un confort assez spartiate

Située à l’arrière de la maison, ma chambre est vaste et bien meublée. Malheureusement, elle n’est pas chauffée et il doit faire à peu près 15 degrés à l’intérieur. Tant pis. Pour me réchauffer, je prends une bonne douche puis j’enchaine avec une lessive à la main dans le lavabo… La maîtresse de maison ne m’ayant pas proposé d’utiliser son lave-linge, je n’ai pas le choix.

Ici, il faut préciser qu’il est presque impossible pour un pèlerin qui transpire toute la journée de ne pas laver son linge de corps tous les soirs… Or, outre le fait de laver son linge, c’est son essorage qui est extrêmement pénible et incommode. Cela entame les dernières réserves d’énergie de la journée et surtout c’est très inefficace! Je ne sais donc pas comment je pourrai faire sécher mes habits pour demain.

Chapelle de la Salette (XIe-XIIe s.) 

Comme il fait encore jour et que l’étape a été relativement courte (20 km), je ressors pour aller visiter la chapelle Notre-Dame de la Salette située en surplomb du village. On y monte par un petit chemin herbeux. Arrivé devant la porte, je constate qu’elle est fermée et je n’aperçois personne à qui demander la clé. Tant pis, j’en fais le tour puis je rentre chez mes hôtes.

Une soirée magnifique!

La soirée passée en leur compagnie fut très agréable. En effet, Danielle nous avait préparé un excellent repas avec viande, légumes et féculents à volonté. Sans oublier un coup de rouge de derrière les fagots… fantastique!

André et Danielle, des hôtes charmants 

Nous eûmes des échanges très intéressants et ils m’ont expliqué leur vie, l’évolution de leur village ces 50 dernières années et longuement parlé de leurs trois enfants aujourd’hui adultes et qui vivent loin de chez eux: deux à Grenoble, le troisième à Nantes si mes souvenirs sont exacts.

7

Après un bon petit-déjeuner en compagnie d'André et Danielle, il est déjà temps de repartir. Hélas, mon sweatshirt et ma polaire lavés hier à la main sont encore très humides... Tant pis, je l'enfile quand même, je n'en ai pas d'autre. Heureusement que j'avais pu mettre mes sous-vêtements sur le radiateur...

Pour ce dernier jour de ma première semaine complète sur le camino, la plus longue étape (28km) m'attend aujourd'hui.

Église de la Nativité-de-Notre-Dame (XIXe) 

Les dix premiers kilomètres sont un enchantement: un chemin de terre avec vue qui serpente en pleine campagne dans une nature préservée composée de forêts et de pâturages. Comme le balisage laisse quelque peu à désirer sur ce tronçon, j'ai épisodiquement recours à l'application mapy.cz qui me tire d'embarras.

Jusqu'à Assieu, un chemin bucolique 

Une sympathique épicerie « à l’ancienne »

Arrivé à Assieu, j'ai acheté du pain frais à la boulangerie. Puis, je me suis dirigé vers une épicerie qui ne paie pas de mine. Et pourtant! Comme dans la caverne d'Ali Baba, on y trouve tout ce qu'on veut et quel accueil de la part du fils de la patronne! Il m'a même offert un bout de terrine de campagne. J'achète également du raisin, les deux bananes quotidiennes, du chocolat noir et de l'eau.


St-Jacques à l'entrée d'Assieu 

J'ai ensuite parcouru une longue étendue herbeuse totalement plate. Après avoir franchi le ruisseau du Besson, les premières plantations d'arbres fruitiers me rappellent que je m'approche du climat méditerranéen. En traversant le pont enjambant l'autoroute du soleil, je ressens une véritable jubilation: je me penche sur la balustrade, je lève les bras au ciel en agitant mes bâtons et je crie de joie comme si j'avais gagné la coupe du monde!

Des plantations d'arbres fruitiers qui rappellent le Sud

Un enchaînement de routes asphaltées dangereuses

Arrivé à Clonas-sur-Varèze, je cherche en vain une aire de pique-nique ou même un simple banc. Finalement, je m'installe sur un bloc de pierre placé au milieu d'une rue pour empêcher les voitures de passer. Il y a bien des villas récemment construites tout autour, mais comme nous sommes dimanche vers 13h, il n'y a pas âme qui vive. Je peux me restaurer paisiblement avec un bon soleil d'automne pour me réchauffer.

Ici, c'est vraiment la loose! 

La suite du parcours entre Clonas et les berges du Rhône n'est qu'un enchaînement de routes asphaltées dangereuses traversant des zones pavillonnaires sans charme et des terrains agricoles morts... Le chemin balisé nous fait passer juste derrière les rambardes de sécurité ce qui nous expose au souffle des camions. J'adore...

Après un dernier quartier résidentiel aussi kitch que les précédents, j'aperçois sur ma gauche l'imposante centrale nucléaire de Saint-Alban. Heureusement, je devine le Rhône tout proche et fonce vers le pont qui offre une vue splendide sur les coteaux viticoles multicolores dominant Chavanay. Enfin !

Chavanay (Loire) 

Pèlerin, passe ton chemin...

Il est déjà 14h, et je me réjouis de toucher presque au but. En réalité, il me reste vingt bonnes minutes jusqu'au cœur du village, mais je ne le sais encore pas. Un café couronnerait agréablement cette étape et j'entre dans le premier restaurant ouvert que je rencontre, tout près de l'ancienne gare. À l'intérieur, des gens endimanchés finissent leur déjeuner et le personnel m'ignore.

En octobre 2020 le Covid fait office d'épouvantail 

Finalement, une sommelière s'approche de moi et m’explique qu'il n'y a pas de place et que je suis prié de sortir... Après cet accueil "chaleureux", je monte dans le village historique où tout, absolument tout est clos. Ça n'est pas ici que je pourrai me reposer.

Jolie peinture murale au coeur de Chavanay 

Alors, en désespoir de cause, je m'assieds sur le goudron d'un petit parking et je me dis: "Si c'est comme ça aujourd'hui, demain lundi beaucoup de commerces et de cafés sur mon chemin risquent d'être fermés. À quoi bon continuer dans ces conditions ? En plus, ils annoncent de la pluie et ma pèlerine ne tient pas l'eau. Et si je rentrais ce soir ?"

C’est décidé, je rentre chez moi !

Malgré le fait que j'avais réservé une chambre la veille auprès d'une dame à la voix neurasthénique, je consulte sur mon smartphone l'horaire des trains à Péage-de-Roussillon, la gare la plus proche. J'en ai un pour Lyon qui part dans 1h30 environ. Maintenant, une fois la décision prise, il me reste à trouver un taxi. J'appelle le numéro qui figure dans mon guide et un monsieur m'explique qu'il ne travaille pas, mais qu'il va contacter un collègue qui le remplacera. Il me promet de me confirmer ça dans quelques minutes.

Un petit Uber et c’est parti

Sur le parking, exposé à un petit vent frisquet, l'attente s'éternise. Après vingt minutes, l'homme m'informe qu'un Uber viendra me chercher d'ici 15-20 minutes. Les minutes passent et je calcule que s'il débarque à l'heure, il ne me restera plus qu'une cinquantaine de minutes pour faire le trajet (15-20 minutes) et acheter mon billet. Mais, je n'ai pas le choix et pour gagner du temps, je donne rendez-vous au chauffeur Uber à l'ancienne gare.

Adieu Péage-de-Roussillon et à l'an prochain! 

Finalement, celui-ci arrivera à l'heure et il me posera même des questions pertinentes sur mon pèlerinage. Il n'a pas volé ses 5 euros de pourboire! Parvenu à Péage-de-Roussillon, je ne le savais pas encore, mais j'allais y revenir que le 12 juillet 2021.

Et la suite ?

La suite de cette formidable aventure continuée le 12 juillet 2021 vous la trouverez ici. Par contre, rassurez-vous, la qualité des photos n'aura rien de comparable avec celles prises avec mon vieux Samsung S5. Début 2021, j'ai acquis le S20 5G qui permet des clichés d'un autre niveau!