En me levant ce matin, je constate que la pluie a enfin cessé. Je vais pouvoir marcher jusqu’au Puy-en-Velay (34,4 km), ce qui marquera la fin de la via Gebennensis et le début d’un nouveau cycle, sur des chemins que j’espère un peu plus fréquentés.
Vers 8h30, je remercie mes charmants hôtes et je commence la journée en visitant l’église Notre-Dame (1870). Sachant par expérience que les épiceries sont rares dans la région, je repasse à la même boulangerie qu’hier pour acheter un jambon beurre et une bonne pâtisserie à déguster vers onze heures.
Une routine presque immuable
En effet, avec le temps, je finirai par rythmer mes étapes de la manière suivante : départ vers 8h15, première halte vers 10h30-11h00, déjeuner vers 13h00 et arrivée au gîte entre 15h30 et 16h30. Lessive autour de 17h00, puis visite de la bourgade et dîner vers 19h-19h30, dodo vers 22h00. L’avantage de cette formule, c’est que lorsque vient la pause de midi, j’ai déjà parcouru deux tiers du trajet, ce qui est bon pour le moral.
Le sentier débute en pleine nature à travers des landes où paissent paresseusement quelques bovins. Après le joli hameau en pierre de Piallevialle, le chemin monte sans interruption jusqu’à Queyrières (949m-1436m). Le tracé du GR ne passant pas directement dans le village, je me suis arrêté sur une place de pique-nique d’où on profite d’une vue magnifique sur les maisons traditionnelles qui entourent une étonnante butte basaltique.
Un panorama d’exception
Comme il fait un froid de canard et qu’il n’y a aucun café en vue, je fais le plein d’eau et descends en direction de Monedeyres. Ce hameau typique a la particularité d’avoir une église terminée en 1918 qui n’a jamais été sacralisée. Elle était hélas fermée.
L’itinéraire balisé se faufile ensuite entre le Peyre de Bard (1203 m) et le Mont-Rouge (1162m) où on franchit un col d’où la vue sur les sucs est imprenable, malgré le temps nuageux.
Il est temps de casser la croute
Après une longue descente à flanc de montagne, j’arrive en vue de Saint-Julien-Chapteuil. Dès qu’un banc s’est présenté, je me suis arrêté pour pique-niquer tout en admirant l’église du XIIe siècle qui domine le bourg.
Même si le camino passe au pied de la colline habitée depuis l’antiquité, je n’ai pas résisté à l’envie de prier dans cette église haut perchée et je ne l’ai pas regretté. L’intérieur de la nef est assez sombre, mais il y règne une atmosphère propice au recueillement que je ne retrouverai pas nécessairement au Puy-en-Velay.
Les premiers orgues basaltiques
Avant de quitter la rue commerçante endormie, je m’arrête au bancomat (distributeur automatique) pour me renflouer. Même si je dépense le strict minimum depuis 4 jours, j’ai déjà pratiquement épuisé les 250 euros tirés avant mon départ.
Après avoir longé la D15 sur quelques centaines de mètres, le GR bifurque sur la droite et descend sur la Sumène avant de remonter sur Eynac et son rocher éponyme (803 m) composé d’orgues basaltiques. Sur sa cime, on peut apercevoir les vestiges d’un château dépendant, sous le règne de Charlemagne, de la vigueurie de Chapteuil (source).
Fatigue + paysage banal = ennui
À partir de là, le GR65 devient beaucoup moins intéressant. Je traverse une campagne avec des villages sans cachet particulier. Apparemment, ils font office de cité dortoir pour le Puy. Outre des douleurs de plus en plus aigües aux jambes et aux chevilles, une profonde fatigue commence à se faire sentir.
Après quatre jours et 102 kilomètres dans les pattes, je suis cuit. Je ne vois pas comment, je peux encore avaler les 15 km qui me restent jusqu’à la capitale du Velay. Je dépasse un groupe de pèlerins d’un certain âge sans sac à dos.
Un bar accueillant
Finalement, vers 14h j’arrive à Saint-Germain-Laprade, un gros village dans la plaine. Je me dirige vers le premier bar venu et commande une bière pression. Quel délice ! À peine le breuvage fait-il effet, qu’il est déjà temps de penser au moyen de finir le trajet en voiture. Je me renseigne auprès de la sympathique tenancière d’environ 55 ans.
Elle m’indique qu’un bus va bientôt descendre l’allée avant de repasser. Je n’ai pas besoin de l’attendre sur la rue, j’ai qu’à me lever quand je le verrai venir vers moi. Au bout d’une quinzaine de minutes, j’entends un bruit de moteur et aperçois le bus qui déjà monte !
Un moment de panique
Le temps de mettre mon sac, il est déjà trop tard ! C’est un coup dur, car je vais devoir attendre au moins une heure avant le prochain... J’aurais mieux fait de poireauter dehors. Je fais part de mon désarroi à la patronne. Celle-ci me demande cinq minutes de patience et disparaît derrière le comptoir.
Lorsqu’elle revient, un grand sourire illumine son visage. Son ami « qui doit de toute manière aller au Puy» va m’emmener. Et effectivement, quelques instants plus tard il est là avec sa vieille Jeep et sa face tannée par le soleil.
Les Saint-Germinois sont sympas
Durant le trajet, nous échangeons sur le Chemin et il semble sincèrement apprécier ma démarche. Plus on se rapproche de la ville, plus la laideur des routes principales et des zones industrielles m’apparaît. Depuis que je suis parti, je n’en avais pas vues.
Avant que nous arrivions sur les hauts du Puy où se trouve le dernier hôtel pour pèlerin encore libre, je sors un billet de 10 euros et le tends à mon sauveur. Celui-ci pile sur les freins et me dit tout net : « Si tu me donnes ça, je te laisse ici au milieu de nulle part ! Pas question que j’accepte quelque chose de ta part». Décidément, les Saint-Germinois sont des gens qui savent accueillir le pèlerin exténué !
La douche sera pour plus tard
Vers 15h, j’arrive au Relai du Val Vert, tout content de pouvoir prendre une douche. Pourtant, à ma grande surprise, je trouve porte close. Lorsque j’avais réservé la veille, ils m’avaient demandé l’heure prévue de mon arrivée. Je l’avais estimée à 17h, puisque je pensais marcher 10 km de plus. Le coup est dur, parce que je dois repartir vers le centre avec mon gros sac à dos de plus de 10 kg.
En effet, ce quartier au fort trafic ne présente pas le moindre intérêt. Je prends le bus qui heureusement passe tout près et descend en ville. Je décide de commencer par la visite de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation (XIIe s. avec des influences byzantines et mozarabes !)
Un chef-d’œuvre de l’art roman
En montant, je m’offre ma première glace depuis quatre jours : un orgasme buccal ! Mais revenons à des sensations plus chrétiennes. Je gravis la centaine de marches qui me séparent de l’entrée monumentale de ce chef-d’œuvre de l’art roman. À l’intérieur, beaucoup de touristes, quelques priants, peu de pèlerins. Cette foule me donne envie de ne pas m’attarder. « Je retournerai demain pour la messe des pèlerins à 7h » me dis-je. Je l’ignore, mais cela sera mission impossible puisque le premier bus passe devant mon hôtel... après 7h.
Je redescends vers la zone commerçante et m’achète le Miam-miam-dodo, la référence absolue en matière de guide du marcheur sur la via Podiensis. Au moment de payer, la sympathique libraire sexagénaire me demande dans quel état d’esprit j’aborde les 760 km qui me séparent des Pyrénées.
Une libraire avenante
Avec la franchise qui me caractérise, je lui rétorque du tac au tac : « Je n’en sais fichtre rien ! On verra bien.» Ma réponse brute de décoffrage la déride d’un coup : « Eh bien, c’est la première fois qu’on me donne cette réplique. Habituellement, les gens affichent plutôt la conviction que le Chemin sera formidable sans toujours avoir une idée précise de ce qui les attend. Merci pour votre vision rafraîchissante. Je vous souhaite un bon pèlerinage ! »
Comme il est bientôt 16h30, je finis par trouver un supermarché où l’abondance me « déçoit en bien » comme on dit en Suisse. Je remplis mon caddy de saumon fumé, de pain, de fruits et d’une bouteille de cidre bio. Puis je me dirige vers la gare routière où un employé par encore réveillé m’oriente d’abord vers le mauvais bus !
Tout est réuni pour passer une bonne nuit
Lorsque j’arrive dans ma chambre, je me rue sur la douche. Ce n’est qu’après que je découvre de ma fenêtre une jolie vue sur la vallée de la Loire et le plateau qui la surplombe.
Je dévore mes victuailles puis, comme tous les soirs, j’appelle mon épouse sur WhatsApp. Vers 21h, je m’endors comme une masse malgré le froid qui règne dans la pièce.