Via Gebennensis 2: Chavanay - Le Puy-en-Velay

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Une randonnée en solo de 4 jours jusqu'au Puy-en-Velay d'où j'ai l'intention de continuer sur la via Podiensis (Chemin de Compostelle) au moins jusqu'à Conques.
Du 12 au 15 juillet 2021
4 jours
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Nous sommes le 12 juillet 2021. Ce matin, j’ai pris le bus à 5h38 et je suis arrivé à 11h à Péage-de-Roussillon, à 30 min de train au sud de Lyon. Là, j’ai attendu durant 30 minutes l’arrivée d’un taxi qui m’a emmené à Chavanay (Loire), sur la rive ouest du Rhône.

C’est dans ce joli village de la périphérie du Parc régional du Pilat que je m’étais arrêté le 25 octobre 2020 après une semaine de marche sur la Via Gebennensis depuis Yenne (Savoie) (cf. mon carnet précédent).

Cette fois, la perspective est différente. Nous sommes en plein été et j’entame un voyage à pied au long cours. Mon objectif est d’arriver au moins jusqu’à Conques, après on verra bien.

5h41 à la gare de Fribourg 

Avant de partir, j’ai constitué un groupe What’s App avec une cinquantaine de contacts. Chaque soir, je prévois de leur envoyer un bref compte rendu de ma journée sur le Chemin de Saint-Jacques.

Chavanay (Loire) avec le Rhône et les vignobles des Côtes-du-Rhône en arrière-plan 

Sans passer par le centre de Chavanay, je monte directement jusqu’à la chapelle du Calvaire qui offre une belle vue sur la vallée du Rhône. Je m’y recueille un moment et me recommande à la Vierge Marie pour cet excitant pèlerinage qui m’attend.

Chapelle du Calvaire, Chavanay

En poursuivant l’ascension, je finis par arriver sur un plateau émaillé de vignes et de petits villages typiques de la Loire, avec leurs maisons en pierres naturelles.

Il fait un temps idéal pour vagabonder : nuageux avec quelques rayons de soleil et pas mal de vent.

Le chemin vers Bessey avec le massif du Pilat en arrière-plan 

Après avoir traversé de grandes étendues cultivées, j’atteins Bessey vers 13h. Je m’installe sur les marches de l’église pour pique-niquer. Le patelin paraît inanimé et les rares habitants qui passent sous mes yeux m’ignorent superbement ; « un randonneur, ça n’a rien à m’apporter » semblent-ils penser.

Avant 14h, il est déjà temps de repartir en direction du col de Combe-Noire, point culminant de cette première étape. Je traverse de jolis villages traditionnels où énormément de maisons typiques sont transformées en de coquettes résidences secondaires. La crise ne touche visiblement pas tout le monde (mdr !)

Les coquelicots et les marguerites ont encore leur place dans les champs de seigle. Tant mieux! 

La montée vers le Gîte d'Étape de Sainte-Blandine me semble très raide. J'arrive complètement essoufflé au col.

De toute la journée, je n'ai pas rencontré le moindre pèlerin. J'avais donc le chemin pour moi et j'ai eu tout loisir de profiter d'une magnifique nature, semi-sauvage.

Descente vers Saint-Julien-Molin-Molette alors que le ciel annonce l'orage 

Vers 16h45 j’entre dans Saint-Julien-Molin-Molette où j’avais déjà eu la chance de venir randonner en 1994 lorsque je vivais à Vénissieux.

Je suis hébergé par Franck, un enseignant quinquagénaire divorcé, dans une belle maison d'architecte construite par son ex-femme. Ma chambre dispose de sa propre salle de bain et d'une entrée privée. Bref, le grand luxe.

Une journée parfaite où tout a bien fonctionné puisque j’arrive chez Frank quelques minutes avant l'orage! Un déluge qui m’encourage à demander à Franck de partager sa table pour le dîner, car je n’ai plus la motivation de ressortir sous la pluie. Nous avons finalement passé un excellent début de soirée en compagnie d’une de ses filles de passage chez lui.

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Lorsque je me réveille, la pluie a cessé. Je me lève et je me dirige vers la salle à manger déserte où se trouve mon petit-déjeuner : une grosse miche de pain campagnard comme je l’aime ainsi que beurre, confitures et jus de fruits dans le frigo. J’allume la machine à café et je me sustente tranquillement, tout seul. En même temps, je ne peux m’empêcher de me demander : « Qu’est-ce qui m’attend aujourd’hui ? »

De retour dans ma chambre, je fais mes bagages et m’aperçois que ce n’est pas une sinécure de ranger tout mon matériel dans un sac de 35 litres ! Arrivé sur le pas de la porte, le ciel semble menaçant. Mince, j’ai laissé ma pèlerine high-tech au fond ! Je défais mon paquetage avec un certain agacement... J’aurais dû réfléchir un peu plus.

Je descends la rue des Fabriques jusqu’au centre du bourg. Il fait froid et je ne croise pas grand monde. Comme je ne parviens plus à repérer la signalisation du chemin, je dois consulter l’application mapy.cz pour le retrouver.

La rue des Fabriques de Saint-Julien-Molin-Molette côté cour (par Pablo de Garate, Wikiloc) 

Une rencontre ratée

Après une forte montée dans un quartier résidentiel constellé de drapeaux tricolores (on est la veille de la fête nationale), je quitte St-Julien par le sud-ouest et me retrouve sans transition en pleine nature avec des pâturages à perte de vue et de gros nuages noirs à l’horizon. « Pourvu qu’il ne pleuve pas » me dis-je.

J’arrive assez vite au hameau de Lampony où des constructeurs de routes semblent attendre des instructions au pied de leurs machines de chantier. Je les salue avec enthousiasme, mais c’est à peine s’ils me répondent. Peut-être se disent-ils : « Ce type n’appartient pas au même monde que nous ». Allez savoir.


La pluie s’y met

C’est là que la pluie se met à tomber. D’abord quelques gouttes, puis toujours plus intensément. Je pousse un immense juron, pose mon bagage au milieu du chemin et enfile péniblement ma pèlerine. Je dois même enlever mes bâtons suspendus de chaque côté du sac si je veux être couvert jusqu’aux genoux.

Parvenu au col du Banchet (678 m), j’aperçois en contrebas Bourg-Argental où j’escompte m’approvisionner pour la journée.

Mairie de Bourg-Argental (Loire)
Mairie de Bourg-Argental (Loire)  

Un accueil sympa à Bourg-Argental

Arrivé en bas, je visite la boucherie, la boulangerie et le vendeur de primeurs, comme dans les années 1980 ! Les commerçants sont globalement sympas et me souhaitent bonne route. Ça fait plaisir ! Mais, comme mon hôte d’hier n’avait pas de tampon, je me dirige vers l’hôtel de ville pour faire estampiller ma crédenciale.

Je rejoins ensuite l’église dont j’admire le superbe tympan finement ouvragé. À l’intérieur, je me recueille un moment.

Tympan roman de l'église de Bourg-Argental (Loire)  

Un long chemin dans la solitude

À la sortie de la localité, le chemin quitte la D503 pour monter dans la forêt en suivant l’ancienne ligne de chemin de fer aujourd’hui désaffectée. A part le véhicule de la Poste, je ne croise personne et le temps me semble un peu long. Pourtant j’ignore encore que je m’apprête à vivre une étape de 36 km !

Après avoir fait une pause sous l’avant-toit d’une cabane de chasseurs, je débouche dans une clairière à la verticale de Saint-Sauveur-en-Rue. La vue sur la vallée vaut le détour. Bien que la faim commence à me tenailler, je décide d’attendre de trouver à minima un banc pour me restaurer.

Vue du chemin de Compostelle en montant de Bourg-Argental 

Une présence bienveillante me porte !

Un chemin caillouteux de type alpin pique droit vers le Grand Felletin (1387m). Entouré de conifères au tronc recouvert d’une mousse qui leur donne une teinte verte fluorescente, je me sens pousser des ailes. Contrairement à la veille, la forme physique est bien là et les sensations sont excellentes. J’ai l’impression d’être porté par les lieux, comme si une présence bienveillante m’aidait à monter. J’ai le ventre creux, mais ne m’en soucie pas le moins du monde. Pour celles et ceux qui me connaissent, c’est chose rarissime ! Normalement, je supporte la faim plutôt mal.

Une forêt enchanteresse...
...agrémentée de magnifiques lupins 

Une halte bienvenue à 1142 m d’altitude

Enfin arrivé au sommet de la côte boisée, il est déjà 13h20 et j’admire en silence le paysage à perte de vue qui s’offre à moi. J’entre dans Les Sétoux par la rue de Genève et me dirige vers la première auberge. Son tenancier qui est en train de décharger des caisses de boissons de sa voiture m’explique qu’il est fermé. Toutefois, il me sert volontiers une délicieuse bière artisanale stéphanoise en terrasse. J’en profite pour sortir le pain et la terrine achetée le matin même. Malgré un vent frisquet, c’est un pur moment de bonheur, surtout que j’ai parcouru 24 km depuis ce matin !

Après l'effort, le réconfort 

Vers 14h, il est temps de repartir. Mais, avant ça, je dois trouver une chambre d’hôte pour la nuit. J’ai en effet choisi de ne pas camper, avant tout à cause du poids supplémentaire que représenteraient un sac de couchage, une tente et un réchaud. Mon sac de 35 litres pèse déjà 12 kg avec le repas de midi, ce qui m’occasionne des douleurs aux épaules dès la mi-journée.

Les Sétoux (1142m) 

Un sérieux problème d’hébergement

J’appelle donc les chambres d’hôtes alentours. L’auberge la Riboule ne répond pas et le gîte d’étape Le Combalou est fermé pour rénovations. Ces deux établissements figurent pourtant clairement dans mon guide 2020-2021...

Il y a bien deux lieux pour passer la nuit à Clavas, mais ce hameau m’obligerait à un détour de 3km ce que je refuse.

Je tente donc ma chance avec les deux hébergeurs agréés qui se trouvent à Coirolles, à 12 km de là ! Contre toute attente, l’un après l’autre, ils se contentent de me dire : « Je crois que ça va pas être possible » sans plus d’explications ! Exactement comme dans la chanson éponyme de Zebda. On est pourtant loin de Toulouse.

« Je crois que ça va pas être possible » (Zebda) 

En désespoir de cause, j’appelle à Etiennefit, 13km plus loin. Mon interlocutrice m’explique qu’elle est désolée, mais que son gîte est entièrement occupé par des bucherons qui travaillent dans le coin... Devant mon silence au téléphone, elle finit par dire : « Si vous voulez, je dois me rendre à Montfaucon en Velay avec ma fille. Je pourrais vous y emmener à condition que vous veniez à pied jusqu’à Coirolles.


La chance tourne du bon côté

La magie du chemin a opéré et au meilleur moment. Sans l’aide de cette généreuse personne, j’aurais dû marcher en tout 40 km ! J’ai eu de la chance. Rasséréné par cette bonne nouvelle, j’appelle l’Office du Tourisme de Montfaucon qui gère l’accueil communal. Une charmante dame me confirme que je n’ai plus qu’à chercher les clés avant 18h et je serai sûr de passer la soirée au chaud.

En serrant les dents, je me mets en route pour parcourir les 12 derniers kilomètres de cette longue journée. Finalement, ma sauveuse me dépose au but à 17h30 et, après avoir acheté des raviolis, un dessert et une bouteille de cidre bio, j’arrive au gîte municipal situé derrière la chapelle Notre-Dame.

Les 12 derniers kilomètres jusqu'à Coirolles furent longs! 
Heureusement, il ne pleuvait presque pas 

Une soirée en bonne compagnie

J’y rencontre François, un sexagénaire habitant Vauderens dans le canton de Fribourg (Suisse). On a tout de suite sympathisé et on s'est préparé un bon repas bien arrosé en partageant nos victuailles. Une 2e soirée magique.

Et, last but not least, j’ai pu profiter d’une chambre de 4 lits, d’un WC et d’une douche rien que pour moi ! Le grand luxe. Hélas, peut-être à cause de l’effort inhabituel d’aujourd’hui, je n’ai pas réussi à m’endormir avant minuit. Une deuxième étape marquante à tous les niveaux.

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Après un copieux petit-déjeuner en compagnie de François (son blog!), j’ai décidé de faire une halte dans la chapelle Notre-Dame située juste à côté du gîte municipal. Et, j’ignore pourquoi, je suis resté une bonne heure à m’y recueillir et à admirer les magnifiques peintures du maître flamand Abel Grimer (1575-1619).

La chapelle Notre-Dame de Montfaucon-en-Velay
La chapelle Notre-Dame de Montfaucon-en-Velay 

« Chacun des douze tableaux créés en 1592 représente en plus une double-référence, l’une à la vie de Jésus, l’autre au quotidien profane rural flamand du temps, les épisodes évangéliques étant dûment cités.»

Peintures du maître flamand d’Abel Grimer (1575-1619)
Peintures du maître flamand Abel Grimer (1575-1619) 

Une pluie lancinante en traversant la France dépeuplée

En quittant à regret la chapelle, je m’aperçois qu’il pleut à nouveau. J’enfile ma pèlerine et je pars plein sud en direction de Tence. Je traverse plusieurs villages ou hameaux typiques dont les plus belles maisons sont transformées en résidences secondaires. Je sillonne la France dépeuplée.

Contrairement à la veille où je n’avais rencontré personne, je dépasse un randonneur sexagénaire accompagné de trois enfants entre 10 et 16 ans ainsi qu’un pèlerin d’une bonne quarantaine d’années.

Des portes désespérément closes

Alors que le vent et les précipitations redoublent, j’espère secrètement qu’une porte va s’ouvrir et qu’on va me proposer de partager un café au chaud. Mais, sans surprise, il n’en est rien. Passe ton chemin manant !

J’arrive finalement à Tence, un beau village ancien où je me réfugie dans le premier restaurant que je rencontre. C’est midi et de nombreux vacanciers se mettent à table. Je bois rapidement ma verveine et je repars. Je ne me sens pas à l’aise au milieu de ces sédentaires.

Hameau près de Tence (Haute-Loire) 

Manger seul dans le froid

Quelques dizaines de mètres plus loin, je m’installe sous un abribus pour me restaurer. Il fait si froid que je remets vite ma pèlerine. Une demi-heure plus tard, je repars, le moral un peu en berne. Je franchis le Lignon et me dis qu’avec le soleil, je me serais prélassé sur ses rives arborées de saules. Mais là, avec cette météo, peut-être pas !

Je monte alors vers Pouzols puis poursuis jusqu’à Saint-Jeures que j’atteins vers 15h. Le village est désert et pas un café n’est ouvert. On est pourtant en pleine saison touristique sur le chemin de Saint-Jacques. Allez comprendre...

Saint-Jeures (Haute-Loire)
Saint-Jeures (Haute-Loire)  

Squat dans une église

Le problème, c’est que le couple qui m’héberge à Araules à 4km de là, ne m’attend que vers 17h. Je me réfugie donc dans l’église Saint-Georges où je croise un pèlerin trentenaire d’Europe de l’Est que je prends d’abord pour le curé ! Dès qu’il a quitté les lieux, je me déshabille et enfile des vêtements secs. Quel bien ça fait !

J’étale mes fringues mouillées sur les bancs, prie et médite durant une bonne heure. J’ai un peu froid, mais c’est supportable. Tout d’un coup, j’entends du bruit : deux hommes trempés arrivent derrière moi. Je m’apprête à partir et c’est là que je reconnais François accompagné du pèlerin dépassé ce matin.

Place devant l'église Saint-Georges de Saint-Jeures 

Une rencontre qui embellit la journée !

François me présente Mickaël, un Rochelais qui revient du lac Léman en suivant le camino. Il voyage presque sans argent, dort sous tente et mendie sa nourriture sur le chemin.

C’est pourtant lui qui nous propose un petit noir qu’il prépare à même le dallage de l’église sur son réchaud à gaz. Je n’ai pas souvent autant apprécié un café soluble qu’aujourd’hui. Merci mille fois Mickaël ! Tu es un gars en or, comme on aimerait en croiser plus fréquemment.

Un moment de convivialité fabuleux avec Mickaël et François 

Des hôtes très accueillants

Il est 16h30, et il est temps pour moi de continuer vers Araules tandis que François va loger dans un gîte du village et Mickaël planter sa tente à proximité... Dehors, la pluie redouble et je franchis les quatre kilomètres qu’il me reste en mode « pilote automatique ».

Arrivé à mon but, je m’engouffre dans la boulangerie-pâtisserie ou j’achète une tarte aux fruits que je vais offrir à mes hôtes. Leur domicile, me dit la patrone, est tout proche.

Je frappe à la porte d’une belle maison en pierre de taille située à quelques dizaines de mètres en contrebas de l’église. Gilbert et Ninou, deux retraités sympathiques m’accueillent avec bienveillance et me proposent immédiatement une infusion pour me réchauffer.

Un 14 juillet très paisible

Ils me montrent ensuite ma chambre qui se trouve dans les combles au 2e étage. J’y serai bien ! Je dois juste prendre garde à une poutre un peu trop basse lorsque je descends à la salle de bain.

Durant le bon et copieux repas qui m’est servi, j’apprends que c’est le père (ou le grand-père ?) de Ninou qui a construit cette belle maison. Nous discutons à bâtons rompus et le temps passe vite. Et, bien que nous soyons le 14 juillet, aucun d’entre nous ne désire veiller tard. Au lit !

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En me levant ce matin, je constate que la pluie a enfin cessé. Je vais pouvoir marcher jusqu’au Puy-en-Velay (34,4 km), ce qui marquera la fin de la via Gebennensis et le début d’un nouveau cycle, sur des chemins que j’espère un peu plus fréquentés.

Vers 8h30, je remercie mes charmants hôtes et je commence la journée en visitant l’église Notre-Dame (1870). Sachant par expérience que les épiceries sont rares dans la région, je repasse à la même boulangerie qu’hier pour acheter un jambon beurre et une bonne pâtisserie à déguster vers onze heures.

Le GR65 en quittant Araules (Haute-Loire) 

Une routine presque immuable

En effet, avec le temps, je finirai par rythmer mes étapes de la manière suivante : départ vers 8h15, première halte vers 10h30-11h00, déjeuner vers 13h00 et arrivée au gîte entre 15h30 et 16h30. Lessive autour de 17h00, puis visite de la bourgade et dîner vers 19h-19h30, dodo vers 22h00. L’avantage de cette formule, c’est que lorsque vient la pause de midi, j’ai déjà parcouru deux tiers du trajet, ce qui est bon pour le moral.

A gauche, le Mont-Rouge (1162m); au centre, au fond, le Mont-Chanis (1232m)

Le sentier débute en pleine nature à travers des landes où paissent paresseusement quelques bovins. Après le joli hameau en pierre de Piallevialle, le chemin monte sans interruption jusqu’à Queyrières (949m-1436m). Le tracé du GR ne passant pas directement dans le village, je me suis arrêté sur une place de pique-nique d’où on profite d’une vue magnifique sur les maisons traditionnelles qui entourent une étonnante butte basaltique.

Queyrières (Hte-Loire) dominé par son étonnante butte basaltique

Un panorama d’exception

Comme il fait un froid de canard et qu’il n’y a aucun café en vue, je fais le plein d’eau et descends en direction de Monedeyres. Ce hameau typique a la particularité d’avoir une église terminée en 1918 qui n’a jamais été sacralisée. Elle était hélas fermée.

L'église non consacrée de Monedeyres 

L’itinéraire balisé se faufile ensuite entre le Peyre de Bard (1203 m) et le Mont-Rouge (1162m) où on franchit un col d’où la vue sur les sucs est imprenable, malgré le temps nuageux.

Il est temps de casser la croute

Après une longue descente à flanc de montagne, j’arrive en vue de Saint-Julien-Chapteuil. Dès qu’un banc s’est présenté, je me suis arrêté pour pique-niquer tout en admirant l’église du XIIe siècle qui domine le bourg.

Même si le camino passe au pied de la colline habitée depuis l’antiquité, je n’ai pas résisté à l’envie de prier dans cette église haut perchée et je ne l’ai pas regretté. L’intérieur de la nef est assez sombre, mais il y règne une atmosphère propice au recueillement que je ne retrouverai pas nécessairement au Puy-en-Velay.

Les premiers orgues basaltiques

Avant de quitter la rue commerçante endormie, je m’arrête au bancomat (distributeur automatique) pour me renflouer. Même si je dépense le strict minimum depuis 4 jours, j’ai déjà pratiquement épuisé les 250 euros tirés avant mon départ.

Les orgues basaltiques d'Eynac 

Après avoir longé la D15 sur quelques centaines de mètres, le GR bifurque sur la droite et descend sur la Sumène avant de remonter sur Eynac et son rocher éponyme (803 m) composé d’orgues basaltiques. Sur sa cime, on peut apercevoir les vestiges d’un château dépendant, sous le règne de Charlemagne, de la vigueurie de Chapteuil (source).

La chanson d'un Auvergnat qui cadre bien avec l'atmosphère du chemin 

Fatigue + paysage banal = ennui

À partir de là, le GR65 devient beaucoup moins intéressant. Je traverse une campagne avec des villages sans cachet particulier. Apparemment, ils font office de cité dortoir pour le Puy. Outre des douleurs de plus en plus aigües aux jambes et aux chevilles, une profonde fatigue commence à se faire sentir.

Après quatre jours et 102 kilomètres dans les pattes, je suis cuit. Je ne vois pas comment, je peux encore avaler les 15 km qui me restent jusqu’à la capitale du Velay. Je dépasse un groupe de pèlerins d’un certain âge sans sac à dos.

Un bar accueillant

Finalement, vers 14h j’arrive à Saint-Germain-Laprade, un gros village dans la plaine. Je me dirige vers le premier bar venu et commande une bière pression. Quel délice ! À peine le breuvage fait-il effet, qu’il est déjà temps de penser au moyen de finir le trajet en voiture. Je me renseigne auprès de la sympathique tenancière d’environ 55 ans.

Où Jean-Louis Murat évoque "les bords de Loire au coin du jour..."

Elle m’indique qu’un bus va bientôt descendre l’allée avant de repasser. Je n’ai pas besoin de l’attendre sur la rue, j’ai qu’à me lever quand je le verrai venir vers moi. Au bout d’une quinzaine de minutes, j’entends un bruit de moteur et aperçois le bus qui déjà monte !

Un moment de panique

Le temps de mettre mon sac, il est déjà trop tard ! C’est un coup dur, car je vais devoir attendre au moins une heure avant le prochain... J’aurais mieux fait de poireauter dehors. Je fais part de mon désarroi à la patronne. Celle-ci me demande cinq minutes de patience et disparaît derrière le comptoir.

Lorsqu’elle revient, un grand sourire illumine son visage. Son ami « qui doit de toute manière aller au Puy» va m’emmener. Et effectivement, quelques instants plus tard il est là avec sa vieille Jeep et sa face tannée par le soleil.

Les Saint-Germinois sont sympas

Durant le trajet, nous échangeons sur le Chemin et il semble sincèrement apprécier ma démarche. Plus on se rapproche de la ville, plus la laideur des routes principales et des zones industrielles m’apparaît. Depuis que je suis parti, je n’en avais pas vues.

Avant que nous arrivions sur les hauts du Puy où se trouve le dernier hôtel pour pèlerin encore libre, je sors un billet de 10 euros et le tends à mon sauveur. Celui-ci pile sur les freins et me dit tout net : « Si tu me donnes ça, je te laisse ici au milieu de nulle part ! Pas question que j’accepte quelque chose de ta part». Décidément, les Saint-Germinois sont des gens qui savent accueillir le pèlerin exténué !

Statue de Saint-Jacques de la cathédrale du Puy-en-Velay

La douche sera pour plus tard

Vers 15h, j’arrive au Relai du Val Vert, tout content de pouvoir prendre une douche. Pourtant, à ma grande surprise, je trouve porte close. Lorsque j’avais réservé la veille, ils m’avaient demandé l’heure prévue de mon arrivée. Je l’avais estimée à 17h, puisque je pensais marcher 10 km de plus. Le coup est dur, parce que je dois repartir vers le centre avec mon gros sac à dos de plus de 10 kg.

En effet, ce quartier au fort trafic ne présente pas le moindre intérêt. Je prends le bus qui heureusement passe tout près et descend en ville. Je décide de commencer par la visite de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation (XIIe s. avec des influences byzantines et mozarabes !)

La rue qui monte vers la cathédrale du Puy

Un chef-d’œuvre de l’art roman

En montant, je m’offre ma première glace depuis quatre jours : un orgasme buccal ! Mais revenons à des sensations plus chrétiennes. Je gravis la centaine de marches qui me séparent de l’entrée monumentale de ce chef-d’œuvre de l’art roman. À l’intérieur, beaucoup de touristes, quelques priants, peu de pèlerins. Cette foule me donne envie de ne pas m’attarder. « Je retournerai demain pour la messe des pèlerins à 7h » me dis-je. Je l’ignore, mais cela sera mission impossible puisque le premier bus passe devant mon hôtel... après 7h.

Notre-Dame-de-l’Annonciation (XIIe s.) 

Je redescends vers la zone commerçante et m’achète le Miam-miam-dodo, la référence absolue en matière de guide du marcheur sur la via Podiensis. Au moment de payer, la sympathique libraire sexagénaire me demande dans quel état d’esprit j’aborde les 760 km qui me séparent des Pyrénées.

Une libraire avenante

Avec la franchise qui me caractérise, je lui rétorque du tac au tac : « Je n’en sais fichtre rien ! On verra bien.» Ma réponse brute de décoffrage la déride d’un coup : « Eh bien, c’est la première fois qu’on me donne cette réplique. Habituellement, les gens affichent plutôt la conviction que le Chemin sera formidable sans toujours avoir une idée précise de ce qui les attend. Merci pour votre vision rafraîchissante. Je vous souhaite un bon pèlerinage ! »

Comme il est bientôt 16h30, je finis par trouver un supermarché où l’abondance me « déçoit en bien » comme on dit en Suisse. Je remplis mon caddy de saumon fumé, de pain, de fruits et d’une bouteille de cidre bio. Puis je me dirige vers la gare routière où un employé par encore réveillé m’oriente d’abord vers le mauvais bus !

Tout est réuni pour passer une bonne nuit

Lorsque j’arrive dans ma chambre, je me rue sur la douche. Ce n’est qu’après que je découvre de ma fenêtre une jolie vue sur la vallée de la Loire et le plateau qui la surplombe.

Je dévore mes victuailles puis, comme tous les soirs, j’appelle mon épouse sur WhatsApp. Vers 21h, je m’endors comme une masse malgré le froid qui règne dans la pièce.

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Malgré une météo très capricieuse, deux jours de pluie sur quatre, l’environnement de cette étape est tout simplement exceptionnel. On commence dans le Parc naturel régional du Pilat puis on traverse tout l’est du somptueux Velay qui affirme clairement son identité auvergnate.

Au niveau architectural, on sillonne d’innombrables vieux villages dans leur jus ou restaurés avec goût pour devenir des résidences secondaires. Le balisage du GR65 est globalement très bon même si de rares fois on doit consulter l’appli mapy.cz pour se repérer.

À part à Araules où l’épicerie-boulangerie disposait d’un choix limité de produits, j’ai toujours pu trouver les aliments ou les articles pharmaceutiques que je souhaitais.

"J'étais sur la route toute la sainte journée..." 

Finalement, la seule chose qui m’aura manqué ce sont des cafés ouverts permettant de prendre un petit noir en milieu de matinée. Mais, cette carence a été largement compensée par une nature préservée et des grands espaces où l’on profite exclusivement du chant des oiseaux et du bruit du vent dans les branches ou les hautes herbes. Or, pour moi cela n’a pas de prix.