Après une bonne nuit et un petit-déjeuner vite expédié, la fatigue ressentie la veille ne s’est pas dissipée, tant s’en faut ! À ma décharge, ça fait quand même depuis le 13 juillet que je marche tous les jours sans interruption.
Or, j’ai déjà réservé mon hébergement à Manciet pour ce soir. Je n’arrive pas à m’imaginer parcourir encore 28 km supplémentaires aujourd’hui. Lorsque j’en fais part à mon hôte, Stéphanie avec le pragmatisme qui la caractérise me propose de me conduire jusqu’à la chapelle de Lamothe. Ce geste solidaire va me permettre d’économiser pas moins de treize kilomètres ! Alléluia !!
Deuxième et
dernier petit arrangement avec le chemin
L’unique inconvénient étant que je ne visiterai pas le beau village de Montréal-du-Gers. Tant pis, on ne peut pas tout avoir. À noter qu’avec le transport automobile effectué avant Montfaucon-en-Velay (Auvergne), ce sera la seule fois que j’ai triché depuis mon départ de Fribourg au printemps 2020, en pleine psychose du Covid-19. Jusqu’aux Pyrénées, je n’aurai manqué que trente kilomètres de marche sur huit cent soixante. Cela reste correct, je m’en apercevrai en Espagne à l’été 2022 lorsque j’observerai des dizaines de pèlerins coréens et américains prendre le bus le matin pour rejoindre la prochaine étape !
Après avoir pris congé de Stéphanie avec une certaine émotion, je me trouve donc devant la charmante bâtisse du XIe siècle.
Personnellement, je ne me souviens pas les avoir aperçus.
Un gros coup de déprime
Toujours sans énergie, je descends vers « La Gare » à 121 mètres d’altitude. C’est par là que passait la ligne ferroviaire reliant Condom à Aire-sur-l’Adour qui a été en service entre 1904 et 1930. Aujourd’hui transformée en voie verte et squattée par le GR65, il s’agit d’une coulée arborée quasiment plate qui mène à Éauze située moins de huit bornes plus loin.
Mais, pour le Suisse que je suis, cette étendue plane sans aucune vue me saoule assez vite. Et voilà que je me mets à gamberger... Pourquoi fais-je ce stupide chemin de Compostelle ? Je serais tellement mieux chez moi ! Dois-je m’arrêter à la prochaine gare et rentrer ? En effet, si la fatigue accumulée ne se résorbe pas, comment envisager de marcher encore jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port ?
Éauze, un jour
de marché
C’est perdu dans ces pensées noires que je rattrape un couple de pèlerins atypiques. Elle, sportive d’environ trente-cinq ans, lui un bel homme dans la soixantaine qui pourrait bien être un acteur professionnel. Nous échangeons brièvement et je ne peux m’empêcher de leur avouer mes doutes sur la continuation de mon aventure pédestre.
Je poursuis ensuite seul jusqu’à Éauze à prononcer « é-ôze », un ancien bastion protestant où l’on trouve encore la demeure de Jeanne d’Albret, la mère d’Henry IV. La visite de cette bourgade commerçante ne m’a pas laissé beaucoup de souvenirs. Heureusement, il me reste quelques photos qui témoignent de ses belles maisons à colombages sur la place d’Armagnac. Sans oublier l’élégant beffroi de la cathédrale Saint-Luperc (XVe s.)
Pèlerin, débrouille-toi !
Après avoir fait le plein d’aliments et bu un café au milieu des chalands qui font leurs courses du samedi matin, je repars peu avant midi direction sud-ouest. Le GR65 est ici un panachage de chemins agricoles asphaltés ou en gravier et terre battue. Contrairement à l’Aveyron, le Conseil général du Gers ne s’est pas donné la peine de construire des haltes pour les randonneurs. On peut donc oublier les points d’eau, w.c. et tables de pique-nique si précieux en rase campagne.
Autour de midi, alors que le soleil commence enfin à taper, je suis contraint de m’arrêter au milieu d’un vignoble pour manger. J’étends ma pèlerine et me retape ainsi en plein cagnard. À peine suis-je installé que le couple croisé précédemment me rattrape et me souhaite un bon appétit.
Avec Marie, le
courant peine à passer
Vers quatorze heures, je traverse l’étang de Pouy où je tombe sur Marie, la jeune bruxelloise rencontrée quelques jours plutôt. Après une bonne montée sur du goudron, je finis par arriver à Manciet où la seule épicerie est bien évidemment fermée... En passant devant les premières arènes dédiées à la course landaise, je me souviens que l’Espagne n’est plus très éloignée !
Comme mon gîte n’ouvre qu’à quinze heures, je m’installe sur un banc à côté de l’église Notre-Dame-de-Pitié. Comme on ne peut y entrer, je tue le temps en buvant l’eau de la fontaine attenante.
Un gîte assez
particulier
Je suis logiquement le premier pèlerin à arriver au Chemin Enchantant qui se trouve dans l’ancienne boulangerie du village. Après un accueil assez froid, Marie-Laurence Taglang me propose un sirop et commence à me raconter longuement sa vie. J’aimerais bien aller me doucher, mais je n’ose pas trop la brusquer. Finalement, elle me montre à l’étage la chambre à deux (vieux) lits sans table de nuit ni aucun autre meuble. Les murs sont blancs et sans aucune décoration. La sobriété dans sa plus pure expression.
Après la douche et la lessive à la main, l’Alsacienne m’indique un minuscule bout de jardin où je peux suspendre mon linge. Comme il souffle, heureusement que j’ai emporté mes pincettes. Je retourne ensuite m’allonger sur mon lit dont le matelas glisse imperceptiblement du sommier. Je dois le remettre en place plusieurs fois pour ne pas tomber au sol...
Un dîner gag !
Comme il n’y a pas de wifi, je me contente d’écrire un message What’s App à mon épouse pour lui dire que je suis bien arrivé. Peu après 19h30, il est l’heure de se restaurer. Autour d’une grande table, je retrouve le couple atypique et je fais la connaissance de Bernard et Vincent, deux retraités wallons de fraîche date. Ils sont partis de Dinant en Belgique et ont la ferme intention de ne pas s’arrêter avant Compostelle. Vous pouvez suivre leur parcours sur le blog de mon ami Louis Muret (étape 55) croisé à Conques.
Ce dîner restera comme l’un des pires de tout le chemin. On a l’impression que notre hôte a cuisiné pour quatre alors que nous sommes six. Chacun s’en rend vite compte et c’est la ruée sur le panier de pain pour essayer de compléter cette maigre pitance... Les portions sont si petites que s’en est pathétique. Pourtant, tout le monde avait réservé sa soirée à l’avance ! Surréaliste.
Marie-Laurence ne semble pas s’apercevoir du malaise et elle occupe une grande place dans les débats autour de la table. Elle avait d’ailleurs promis de nous raconter l’histoire du vieux four à pain qui se trouve dans la pièce, mais elle a fini par l’oublier.
Une nuit
interrompue pour de mauvaises raisons
Le ventre à moitié creux, je monte me coucher vers vingt-deux heures, comme d’habitude. J’ai la chance que ma chambre donne sur l’église. Les autres auront droit au bruit de la très passante D931... Vers trois heures du matin, j’ai si faim que je me réveille. Pour réussir à me rendormir, je finis la boîte d’olive qui restait dans mon sac. Décidément... Sachant que je devrai débourser 55 euros le lendemain pour la demi-pension, il s’agira d’un des moins bons rapports qualité-prix de tout le chemin en France.
Vues du chemin