Pour ce trente-sixième et dernier jour sur le chemin de Saint-Jacques, le ciel est bien maussade. Un peu à l’image de cet été 2021 vraiment pourri où la météo aura été capricieuse deux tiers du temps ! Mais, pour marcher sur dix-neuf kilomètres d’asphalte comme aujourd’hui, c’est sans doute « un mal pour un bien » comme on dit en Suisse romande.
Sous la bruine, je gagne Ostabat qui se trouve deux kilomètres plus loin. Mes amis y ont dormi dans le gîte communal et m’attendent déjà sur la place centrale. Après les avoir salués, je rejoins Florent qui est en train d’acheter toutes les chocolatines de l’épicerie du village. Pour ma part, je choisis mon pique-nique parmi le maigre assortiment disponible.
Une marche sous
le signe de l’hilarité (politiquement incorrecte !)
De retour sur le parvis, Floflo partage les pains au chocolat avec tout notre petit groupe : Thomas, Nathalie, Isabelle, Virginie et David. Jamais je n’ai mangé de viennoiserie aussi mauvaise ! Quand j’évoque ce souvenir un an plus tard à mes compagnons jacquets, ils en rient encore.
Nous nous mettons en chemin et jusqu’à Gamarthe et avec Florent nous déconnons un maximum. Nous avons le même humour et nous entendons comme larrons en foire. Un moment de complicité que je ne suis pas près d’oublier.
Après une pause d’une quinzaine de minutes, nous reprenons la route dans un décor quasi irlandais : des bocages d’un vert éclatant entourés de montagnes tout en rondeurs souvent boisées. Le tout sous un ciel extrêmement versatile qui passe du gris noir à l’azur d’une heure à l’autre.
Une arnaque bien
orchestrée
Vers les onze heures trente, nous parvenons à un donativo en bord du chemin tenu par un homme dans la soixantaine. Il nous propose du café chaud que nous acceptons volontiers. Il repart le chercher dans sa maison qui se trouve une centaine de mètres en surplomb de la petite route. Cinq minutes plus tard, il revient avec un plateau sur lequel sont posées nos tasses. Manifestement, ces dernières n’ont pas été lavées depuis un moment... Quant au breuvage, il est tiède et son goût tout sauf flatteur pour nos papilles !
À peine remis de cette mauvaise surprise, notre hôte lâche d’un ton décidé : « Alors ça vous fera deux euros chacun. » Bien que nous n’en croyions pas nos oreilles, nous obtempérons. Ça n’est pas à quelques malheureux kilomètres de notre objectif rêvé que nous allons nous prendre la tête avec un homme qui est soit un escroc soit simplement un peu dérangé.
Un dernier repas
émouvant
Vers treize heures, alors que la faim nous tenaille, nous passons devant le joli Château Aphatea de Bussunarits, premier monument digne d’intérêt de la journée. Heureusement, trente minutes plus tard nous arrivons à Saint-Jean-le-Vieux où nous trouvons un restaurant avec un grand jardin. Après une rapide négociation avec les tenanciers, ceux-ci nous autorisent à pique-niquer sur place pour autant que nous consommions une boisson chacun. Accord conclu !
Après un long repas fraternel où nous partageons nos victuailles et posons pour la dernière photo en commun, je repars en premier avec Isabelle et Gladys. Nous avons hâte d’arriver enfin à Saint-Jean-Pied-de-Port (SJPP). Vers quatorze heures, nous faisons halte dans la chapelle Sainte-Madeleine où nous nous recueillons brièvement.
Un pèlerinage de 830 km en trente-six jours
Puis, nous montons émus les 1,5 km qui nous séparent encore de la fameuse porte Saint-Jacques. Celle-ci marque l’entrée dans la bourgade mondialement connue de SJPP. Il fait une température agréable et le soleil brille. On ne pouvait rêver mieux pour conclure en beauté ce périple de 830 km parcourus en trente-six jours. Après une dernière photo souvenir, nous repartons chacun de notre côté pour poser notre sac dans un gîte réservé à l’avance. En effet, arriver dans la Mecque française des pèlerins un soir d’août sans avoir déjà un lit équivaut à une certaine prise de risque tant la demande est forte.
Un avant-goût de ce qui m’attend l’an prochain
Pour ma part, je me rends au gîte Izaxulo où une couche près de la porte dans une chambre à dix lits superposés m’attend. De jeunes Anglo-saxons sont déjà vautrés sur les leurs, les yeux rivés à l’écran de leur smartphone. Ils ne répondent même pas à mon bref salut à la cantonade. En 2022, en Espagne, je recroiserai de tels « gentlemen » et je me demande toujours ce qu’ils font sur le camino avec une pareille mentalité...
Une fois douché et vêtu d’habits propres, je me dirige en direction de la gare pour reconnaître le trajet que je ferai dans une douzaine d’heures. En effet, le train pour Bayonne part vers 6h10 déjà et je ne tiens pas à le rater. Je remonte ensuite vers le quartier médiéval et me rend au centre de test Covid-19 d’une pharmacie située hors les murs. Après 10 minutes d’attente et délesté de 50 euros, je reçois le précieux sésame qui me permettra de traverser toute la France du sud-ouest au nord-est demain.
Une action de grâce dans un environnement idéal
Il est déjà dix-sept heures et j’en profite pour flâner un peu dans les rues médiévales remplies de touristes. Combien de fois n’ai-je pas vu ces lieux sur YouTube ? Et maintenant, j’y suis parvenu à la force de mes mollets. Ce sentiment d’avoir accompli quelque chose de hors du commun est inégalable. Il s’agit d’une sensation de bien-être qui va m’accompagner jusqu’à Noël !
Je visite ensuite l’église de l’Assomption que borde la Nive. À l’intérieur, il fait frais et sombre. Il règne un silence enveloppant propice à la prière. Je m’agenouille devant des dizaines de bougies scintillantes pour remercier Saint-Jacques, la vierge Marie et le Christ de m’avoir permis de mener à bien ce magnifique pèlerinage.
Quand Floflo fait son numéro !
Comme le temps s’écoule rapidement, je me dépêche d’aller acheter mon pique-nique du lendemain dans une épicerie pour touristes, car il est déjà 17h30 et j’ignore à quelle heure ferment les magasins. Ce n’est qu’une fois cette formalité accomplie que je peux enfin me détendre et me rendre au restaurant où m’attendent David, Virginie, Nathalie, Mohamed et Isabelle.
Sans certificat de vaccination ou test Covid, Thomas et Florent ne peuvent hélas pas se joindre à nous. Ce dernier n’hésitera d’ailleurs pas à faire semblant de mendier auprès des clients assis en terrasse en se faisant passer pour un gitan roumain ! Le personnel, peu enclin à goûter ce qu’il ignore être de l’humour, certes un peu lourd, le chasse rapidement. Comme baroud d’honneur, Floflo reviendra une ultime fois faire le guignol devant des touristes ébahis par son petit numéro d’artiste. Maintenant, je comprends pourquoi il était très apprécié quand il animait des colonies de vacances !
Nous prenons conscience que c’est fini (pour cette année !)
Après un repas où le froid ambiant (mais oui !) et le fait de se faire servir ont érodé notre esprit communautaire, nous prenons congé les uns des autres. Inconsciemment, chacun pense au lendemain, au retour dans le train-train quotidien ce qui est tout à fait normal. Certains resteront en contact, d’autres non. C’est la vie.
Avant l’aube, un voyage de plus de douze heures m’attend : SJPP - Bayonne, Bayonne - Paris Montparnasse, Paris gare de l’Est - Strasbourg, Strasbourg - Bâle, Bâle - Berne, Berne - Fribourg et enfin le bus. Mes jambes rongées par les puces de lit vont me démanger jusqu’à la désinfection définitive de tous mes effets en arrivant à la maison.
Mais, cela ne m’empêchera pas de repartir l’été prochain depuis SJPP jusqu’à Ponferrada (Léon). Je vous dis donc à très bientôt pour la suite de mes aventures !