Du Béarn au Pyrénées sur le chemin de St-Jacques

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Sur ce dernier tronçon de la voie du Puy, on traverse un décor rappelant les landes irlandaises, le froid en moins ! L'arrivée à Saint-Jean-Pied-de-Port en est le point d'orgue.
Du 13 au 16 août 2021
4 jours
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Après un bon petit déjeuner britannico-continental (cf. le carnet précédent), je franchis le Gave de Pau et entre dans Maslacq. En croisant deux pèlerins qui débouchent d’une ruelle, je m’enquiers d’une épicerie. Bingo ! Il y en a une à 100 mètres. J’y achète quelques modestes victuailles et de la crème solaire. On ne sait jamais, des fois que l’été arrivait enfin...

Le Gave de Pau
Le Gave de Pau
Maslacq, ça ne se raconte pas, ça se vit! 

Une région économiquement sinistrée

J’en profite pour faire une petite parenthèse socioéconomique. Plus le GR 65 descend vers le Sud-Ouest, moins les villages sont vivants et moins ils disposent des services de base : bar-tabac, épicerie, poste... J’ignore à quoi c’est dû, mais c’est un fait ! J’ai pourtant traversé le Pilat (Loire), le Massif central et l’Aveyron qui ne sont pas spécialement réputés pour leur densité de population. Mais ici, on touche le fond... J’avoue avoir du mal à comprendre l’engouement récent des Parisiens pour cette région. Peut-être s’installent-ils dans d’autres cantons, plus attractifs.

Un château et une raffinerie pour seule distraction

En reprenant le chemin balisé, je passe devant le château de Maslacq qui « était à l’origine une abbaye, dont l’existence est mentionnée dès le XVIe siècle. Il a été occupé par la famille d’Abbadie d’Arboucave pendant 300 ans. Le bâtiment actuel date du XVIIIe » (Wikipédia) et il a belle allure.

Le château de Maslacq (XVIIIe s.) était à l'origine une abbaye

Vers neuf heures, alors que je marche sur une crête, j’aperçois au loin la raffinerie de Lacq qui ressemble à une verrue dans le paysage. L’industrie chimique y extrait principalement du souffre ainsi que ses composés.

Au loin on aperçoit la raffinerie de Lacq  

Gianni, le camionneur devenu pèlerin intrépide

Jusqu’à l’abbaye de Sauvelade (XIIIe s.) que j’atteins vers dix heures, le paysage est toujours aussi monotone. Mais qu’est-ce que je suis venu foutre là moi qui ai les Alpes suisses à une heure de train de chez moi ? Je dois être maso ! Heureusement, je fais la connaissance de Gianni, un pèlerin italien, ex-chauffeur poids lourd international. Après avoir fréquenté les autoroutes du vieux-continent, il sillonne désormais les voies sacrées. En 2019, il a ainsi parcouru près de 8 000 km à pied !

L'abbaye de Sauvelade  (XIIIe s.)

Après m’être recueilli un court instant dans la chapelle, je m’arrête au joli café situé un peu plus loin. Avec Gianni et une jeune Française du Nord, nous dévorons une brioche fraîche agrémentée d’un petit noir. Un véritable luxe sous ces latitudes.

Les autorités locales doivent se bouger !

Puis, je repars seul, car je marche plus vite que Gianni et celle qui l’accompagne en attendant que son époux la rejoigne. Si jeunette et déjà mariée ! Je n’en reviens pas. La suite du GR 65 n’offre rien de particulier à part des montées et descentes en rase campagne, toujours sur l’asphalte !! En dessous du plan 88 du Miam Miam Dodo 2021, je lis un paragraphe qui résume exactement ma pensée et peut-être celle de milliers de jacquets.

Ce tronçon est si ennuyeux que même les tournesols font la gueule! 

En effet, depuis Montcuq (Gers), le très officiel GR 65 revendiqué par la très respectée Fédération Française de Randonnée pédestre ne passe presque jamais par des chemins en terre ou en gravillons. De même, comme je le répète à longueur d’étapes sur ce blog, depuis que nous avons quitté l’Aveyron, les autorités communales et départementales ne semblent pas faire le moindre effort pour aménager des infrastructures assurant aux piétons un minimum de confort : bancs, tables de pique-nique, toilettes, points d’eau.

Prendre exemple sur l’Espagne ou l’Aveyron !

C’est comme si les voyageurs au long cours que nous sommes étions un phénomène marginal voire un mal nécessaire. Pourtant, à en croire un excellent article du Figaro (2022), 20 000 personnes empruntent annuellement la voie du Puy. Et je cite « En moyenne, les marcheurs dépensent 45,40 € par jour pour les repas et l’hébergement et parcourent 26 km pour une durée de séjour totale de 28 jours. Un laps de temps “très élevé par rapport à une démarche ‘touristique classique”. L’élu qui pense que l’apport économique des pèlerins est négligeable se trompe lourdement !

Les pèlerins: un potentiel économique largement sous-estimé dans le Sud-Ouest 

Alors, Mesdames et Messieurs les politiciens de tous bords, pourquoi ne pas prendre le taureau par les cornes et aménager des tronçons spécifiquement pour les partisans du tourisme doux ? Les Espagnols le font eux depuis les années 2000. En 2022 en Espagne, j’ai beaucoup moins marché sur le goudron qu’en France l’année précédente. Les communautés autonomes ibériques ont créé des sentiers, planté des arbres, installé des bancs et des fontaines presque partout. Certes, parfois on chemine le long des routes, mais toujours en sécurité sur des sections séparées du trafic automobile.

Les pèlerins méritent davantage de considération

J’anticipe un peu sur mon futur carnet “Camino francès 2022”, mais la perception du chemin de Saint-Jacques est incomparable au-delà des Pyrénées. En France, un pèlerin est considéré par la population comme un hurluberlu babacool qui n’a pas compris qu’on voyage plus vite en voiture qu’à pied et qu’on dort plus confortablement en hôtel qu’en gîte. Les descendants de Cervantès et d’Antonio Machado voient les choses différemment : le jacquet est quelqu’un de hautement respectable qui dépense de l’argent dans des zones où même les premiers missionnaires hésitaient à venir...

Les murailles de Navarrenx (1538-1544) construites par l'architecte italien Fabricio Siciliano

Vers quatorze heures, j’arrive enfin en vue des murailles de Navarrenx construites un siècle avant l'avènement de Vauban! Assise seule sur une terrasse, je retrouve Gladys. Après une négociation serrée avec la sommelière, j’obtiens le droit de boire un verre à ses côtés. Et, par un heureux hasard, elle a également réservé au “Cri de la girafe” où nous nous rendons à quinze heures sonnantes. Le gîte se trouve au calme, mais à 300 mètres du centre-village.

Navarrenx, un village incontournable... Ah bon ?

Nous sommes accueillis par Maria qui nous laisse nous installer dans le grand dortoir mixte sous le toit. L’endroit est propre et lumineux, mais il faut faire attention à certaines poutres un peu basses. Après une bonne douche, je décide de visiter ce qu’on annonce comme “l’un des plus beaux villages de France”. Et honnêtement, je ne comprends toujours pas pourquoi et Gladys non plus.

L'ancienne caserne de Navarrenx 

Il y a bien sûr les remparts construits entre 1538 et 1544 par l'architecte italien Fabricio Siciliano, l’ancienne caserne avec sa poudrière et une certaine unité architecturale, mais le bourg ne dégage pas le même charme que la plupart des villages touristiques du Gers, de Provence, de Bretagne ou de Bourgogne, sans parler de l’Alsace. Heureusement, à 18h il y a en l’église Saint-Germain-d’Auxerre (XVIe) une cérémonie de bénédiction des pèlerins.

Navarrenx, vue depuis le chemin de ronde 

Après la bénédiction, on sert de l’alcool à des mineurs

J’y retrouve Gianni ainsi qu’un groupe de post-adolescents Français qui se rendent à Lourdes. Le jeune prêtre qui dirige cette jolie cérémonie est le remplaçant du curé local parti se reposer un peu. Après l’office, la paroisse nous invite à un apéritif ou l’alcool est roi. Je dois expressément demander une limonade sinon on m’aurait servi du vin. Bizarre et relativement choquant quand on sait que les minots présents n’ont guère plus de 16 ans et encore.

L'église Saint-Germain-d’Auxerre (XVIe) de Navarrenx

Je retourne ensuite à l’auberge et en chemin je tombe sur Florent et Thomas (cf. l’étape de Moissac) qui sortent avec leurs courses du Carrefour Express situé à côté de mon gîte. Ils m’invitent à passer ce soir au refuge municipal pour partager un moment de convivialité. Une riche idée.

Rencontre avec des germanophones sympas

Entretemps, le dîner est servi au jardin par Maria et Fabian son compagnon lyonnais d’origine allemande. Le cadre est somptueux et le repas au diapason. Autour de la grande table, je fais la connaissance d’un jeune Autrichien et d’une Suisse allemande au prénom très inattendu. Hélas, il ne me revient pas. Nous discutons en Allemand et je passe ainsi un agréable moment.

La porte Saint-Antoine, refaite en 1645, que nous emprunteront demain matin

Mais, comme j’ai promis à mes amis de les rejoindre, je dois y aller. Dans la quasi-obscurité nous devisons, mais assez rapidement vaincus par la lassitude, nous décidons d’aller nous coucher. La fatigue vespérale fait effectivement partie intégrante de la vie du pèlerin. Mais qu’est-ce qu’on dort bien grâce aux endorphines !

Le Gave d'Oloron vue depuis le bastion de la Clochette à la sortie ouest de Navarrenx
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Floflo au départ de Navarrenx. Il ne lui reste plus que 873 km 😀

Avec Florent et Thomas, nous quittons Navarrenx par la porte Saint-Antoine et franchissons le Gave d’Oloron sur le pont du XIIIe s. qui a déjà vu passer tant de pèlerins avant nous ! Nous marchons d’un bon pas jusqu’à l’église Saint-Laurent (XIXe s.) de Castetnau-Camblong. Nous nous y recueillons dans la fraîcheur et le silence et remercions le Seigneur pour cette magnifique aventure que nous vivons depuis un mois.

Intérieur de l’église Saint-Laurent (XIXe s.) de Castetnau-Camblong 

Un moment de paresse dans le Jardin des Rêves

Après avoir franchi le Lausset, nous traversons une forêt où nous croisons une étrange sculpture figurative taillée dans un tronc. Peu après dix heures nous tombons sur Marie, la jeune bruxelloise qui était la veille au gîte communal de Navarrenx et que j’avais déjà rencontrée dans le Gers.

En bas à droite, Marie et Florent 

Avant midi, nous nous arrêtons au hameau de Lacorne, plus précisément dans le Jardin des Rêves, un donativo tenu par Isabelle et Dominique et leurs deux filles adultes. Trop confortablement installés pour avoir envie de bouger, nous laissons la flemme nous envahir avant de repartir deux heures plus tard !

David et Nicolas 

Au revoir Béarn, bonjour Euskadi

Nous rejoignons à regret l’asphalte et franchissons la Saison (eh oui !) juste avant Lichos. La rivière et ses rives arborées incitent à la baignade. Pourtant, par crainte de ne pas avoir le courage de repartir, nous renonçons à cette halte qui aurait peut-être été bienvenue. Nous l’ignorons sur le moment, mais nous venons de laisser (sans regret) le Béarn pour entrer dans le Pays basque (Euskadi). Cela dit, selon Wikipédia ce village n’est pas pour autant inclus dans l’aire bascophone, car on y parle traditionnellement le gascon.

Carte de l'Euskadi et du Béarn tirée du Guide du Routard 

Nous nous arrêtons dans un donativo le long de la route et pique-niquons sur le pouce. Comme le soleil tape malgré une toile tendue au-dessus de la table, nous repartons. Après avoir escaladé la colline de Bouhaben (173 m), nous longeons le jardin du gîte Bellevue d’où on a une très jolie vue sur les collines environnantes.

De dos, Thomas, Florent et Marie tout devant. Devant, au centre, le gîte Bellevue.

Un grand gîte familial à l’organisation bien rodée

Vers seize heures, nous arrivons au gîte Bohoteguia tenu depuis les années 1990 par la famille Barneix. Il y a déjà du monde dans le grand réfectoire, alors nous attendons sagement notre tour devant une boisson fraîche. Après nous avoir donné toutes les consignes, Simone nous indique nos chambres et je peux enfin me poser et prendre une douche. Ensuite, je retrouve une vingtaine de pèlerins essentiellement francophones sur la terrasse.

Une vidéo du célèbre Renard Vagabond! 

Durant l’apéro, nous avons droit à une véritable démonstration chorale d’un pèlerin accessoirement joueur de ukulélé (prononcer youkoulélé) qui ressemble à une boule d’énergie de par sa gestuelle et la puissance de sa voix.

La ferme-auberge Bohotéguia près d'Aroue 

Un moment de blues malgré une tablée enthousiaste

Après le dîner, je m’éloigne de la ferme pour tenter d’appeler mon épouse. En effet, le wifi est en panne ce jour-là et il n’y a pas le moindre réseau dans ce creux de vallée ! Je remonte donc au gîte Bellevue situé à 460 mètres. Mais, malgré cet ultime effort, je dois me résoudre à envoyer un simple message. Impossible de capter la 4G.

Pas de réseau 4G dans cet écrin de verdure près d'Aroue 

De retour dans ma chambre à trois lits que je partage avec Nathalie et un jeune inconnu sympathique, mais tourmenté, je tue une quinzaine de moustiques qui constellent le plafond. Les tenanciers ont dû me bénir en découvrant les traces le lendemain, mais je n’avais pas le choix si nous voulions dormir tranquilles !

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Après une bonne nuit et un agréable petit-déjeuner, avec Florent, Thomas et Marie la Bruxelloise nous partons vers Aroue. Arrivés devant l’église Saint-Étienne, hélas ! fermée, nous prenons à tour de rôle la pause et Florent ne manque pas de faire le pitre ce qui fait beaucoup rire Marie.

Avec Marie devant l'église d'Aroue. A droite la mairie avec le drapeau basque! 

À la sortie de ce minuscule village qui possède une belle mairie, nous hésitons longtemps entre deux chemins. Finalement, nous optons pour le raccourci qui permet d’économiser deux kilomètres, soit quand même 9% du parcours du jour. Et, parvenus au hameau d’Harrieta, nous apercevons notre première etxea (prononcer « étchéa » qui signifie maison) typiquement basque : murs d’un blanc immaculé, pierres d’angles en grès ocre, poutres et volets rouge sang.

Notre première étxéa (maison) basque typique 

 A la croisée de trois voies jacquaires

Quand nous rejoignons le GR 65 officiel au point 163, nous quittons avec soulagement l’asphalte pour un chemin de terre battue. Toutefois, celui-ci sera de courte durée. Une fois de plus dans cette région, plus de la moitié du parcours sera une route en dur. Quelle misère !

Un paysage de bocage et une faune qui rappellent le sud-est de l’Angleterre (Sussex) 

Le paysage composé de collines émaillées de bocages me rappelle le sud-est de l’Angleterre (Sussex) : même les moutons font partie du décor ! Vers midi, après avoir traversé Larribar, nous passons la Bidouze d’où nous montons jusqu’à la stèle de Gibraltar.

Gladys, Florent, Thomas, Nicolas et Mohamed devant la stèle de Gibraltar 

Il s’agit d’un lieu hautement symbolique puisque c’est là que se rejoignent les trois principales voies jacquaires: celles venant du Puy-en-Velay, de Vézelay et de Tours.

Les trois principales voies jacquaires de France se rencontrent juste avant Ostabat (64)

Nous prenons un peu de hauteur

Puis, nous attaquons la dernière montée du jour qui nous mènera à la pittoresque chapelle de Soyartz, 142 mètres plus haut. En confiance quant à mes capacités physiques, je me lance à fond suivi par Florent qui s’accroche. Je ne parviens pas à le distancer, mais il semble en avoir bavé plus que moi.

La montée vers la chapelle de Soyartz est redoutable! 

Au sommet, nous nous asseyons sur un banc qui offre une vue imprenable sur les collines et les premières montagnes du Pays basque. C’est l’heure de casser la graine et nous profitons intensément de ce moment, car nous pressentons que c’est le dernier endroit un peu sauvage avant la fin de la via Podiensis.

Une église fermée est une église morte !

Vers quatorze heures, je descends seul avec Florent vers Harambeltz. Dans ce hameau composé de quelques belles maisons en pierre, nous désirons visiter la chapelle Saint-Nicolas (XIIe-XIIIe s.) qui apparemment vaut le détour. Hélas ! celle-ci est fermée. Tant pis. Pour m’être retrouvé durant l’été 2020 devant un nombre incalculable d’édifices religieux de la région de San Sebastian (Gipuzkoa) porte close, je ne suis qu’à moitié surpris ce qui n’empêche pas une bonne dose d’incompréhension et de frustration.

La chapelle Saint-Nicolas d'Harambeltz 

Car, je le répète : premièrement, il n’y a pas de voyous sur le chemin de Saint-Jacques. Deuxièmement, une chapelle fermée ne sert strictement à rien, a fortiori si son extérieur n’est pas exceptionnel. Troisièmement, il est probable que celles et ceux qui ont construit ces vénérables bâtisses l’ont fait pour que l’on puisse s’y recueillir, pas pour servir de musée sous clé. Non mais !

Premièrement, il n’y a pas de voyous sur le chemin de Saint-Jacques. Deuxièmement, une chapelle fermée ne sert strictement à rien, a fortiori si son extérieur n’est pas exceptionnel. Troisièmement, il est probable que celles et ceux qui ont construit ces vénérables bâtisses l’ont fait pour que l’on puisse s’y recueillir, pas pour servir de musée sous clé.

Une pèlerine niçoise perdue

Dans la descente vers Ostabat, nous croisons Isabelle, une pèlerine niçoise qui revient sur ses pas, car elle s’est rendu compte un peu tard que son gîte se trouvait à Harambeltz. Nous aurons la joie de la revoir demain et Florent marchera avec elle jusqu’à Compostelle. Mais ça, il ne le sait pas encore... Chuuuut !

Quelques centaines de mètres avant Ostabat, je rends congé de Floflo car j’ai réservé à la ferme Arlania qui se situe 1,2 km en contrebas. Et malgré le petit détour, je ne regretterai pas ce choix une seule seconde.

Nous approchons d'Ostabat, avant dernière étape de la voie du Puy-en-Velay (via Podiensis) 

 Je fais étape dans une vraie ferme

C’est Laurentia Etxelet qui m’accueille avec flegme. Cette solide septuagénaire m’invite à boire quelque chose comme c’est la tradition dans les gîtes du camino dignes de ce nom. Je vois qu’elle se méfie un peu de moi et qu’elle m’étudie attentivement pour ce faire une idée plus précise de ce grand quinqua suisse qui lui fait face.

Ma chambre se trouve au premier étage de la ferme qu’on atteint par un imposant escalier en bois. Je suis d’emblée conquis, car je sens qu’ici je dormirai comme un loir. En plus, j’ai ma propre salle de bain ! Que demander de plus ?

Extérieur et salle à manger de la ferme Arlania 

 Le monde basque ne se mesure pas à ses frontières

Lors du dîner, j’ai l’occasion de faire plus ample connaissance avec mes hôtes. Tote Curutchet, l’époux de Laurentia a passé de longues années à travailler dans le New-Jersey [si mes souvenirs sont exacts] avant de rentrer au pays pour se marier et reprendre l’exploitation de ses beaux-parents. Laurentia quant à elle, a sauf erreur toujours vécu dans cette région à laquelle elle est fortement attachée, c’est un euphémisme !

Carte du Pays basque (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mapa_provincias_Euskal_Herria.svg) 

Elle me raconte qu’elle est une défenseuse farouche de la culture basque. Elle lit des auteurs locaux, écoute une radio euskera et s’est déjà rendue aux quatre coins du globe pour sympathiser avec les communautés basques expatriées. Une vraie je vous dis !

 Un moment de convivialité inoubliable

Leur petite fille, qui a mangé avec nous, habite quelque part près de Bordeaux. Ses parents semblent avoir quelque peu perdu ce lien avec l’Euskal Herria [Pays basque] puisqu’elle ne sait pas parler basque.

J'ai passé une soirée inoubliable en compagnie de Laurentia et Tote, Basques et fiers de l'être!

Après cette soirée extrêmement agréable tant culinairement qu’au niveau des échanges avec mes adorables hôtes, je remonte me coucher vers vingt-deux heures. Demain, c’est la dernière étape !

En chemin

En cet été 2021, le Pays basque est très vert
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Pour ce trente-sixième et dernier jour sur le chemin de Saint-Jacques, le ciel est bien maussade. Un peu à l’image de cet été 2021 vraiment pourri où la météo aura été capricieuse deux tiers du temps ! Mais, pour marcher sur dix-neuf kilomètres d’asphalte comme aujourd’hui, c’est sans doute « un mal pour un bien » comme on dit en Suisse romande.

Vue depuis ma fenêtre de la ferme Izaxulo où j'ai passé la nuit 

Sous la bruine, je gagne Ostabat qui se trouve deux kilomètres plus loin. Mes amis y ont dormi dans le gîte communal et m’attendent déjà sur la place centrale. Après les avoir salués, je rejoins Florent qui est en train d’acheter toutes les chocolatines de l’épicerie du village. Pour ma part, je choisis mon pique-nique parmi le maigre assortiment disponible.

Virginie, Thomas, David et Mohamed m'attendent déjà sur la place de l'église d'Ostabat 

Une marche sous le signe de l’hilarité (politiquement incorrecte !)

De retour sur le parvis, Floflo partage les pains au chocolat avec tout notre petit groupe : Thomas, Nathalie, Isabelle, Virginie et David. Jamais je n’ai mangé de viennoiserie aussi mauvaise ! Quand j’évoque ce souvenir un an plus tard à mes compagnons jacquets, ils en rient encore.

Avec Florent nous déconnons un maximum. Nous avons le même humour et nous entendons comme larrons en foire.

Nous nous mettons en chemin et jusqu’à Gamarthe et avec Florent nous déconnons un maximum. Nous avons le même humour et nous entendons comme larrons en foire. Un moment de complicité que je ne suis pas près d’oublier.

Florent dans ses œuvres: inimitable, j'vous dis! 

Nous reprenons la route dans un décor quasi irlandais : des bocages d’un vert éclatant entourés de montagnes tout en rondeurs souvent boisées.

Après une pause d’une quinzaine de minutes, nous reprenons la route dans un décor quasi irlandais : des bocages d’un vert éclatant entourés de montagnes tout en rondeurs souvent boisées. Le tout sous un ciel extrêmement versatile qui passe du gris noir à l’azur d’une heure à l’autre.

Quand le Pays basque rappelle l'Irlande 

Une arnaque bien orchestrée

Vers les onze heures trente, nous parvenons à un donativo en bord du chemin tenu par un homme dans la soixantaine. Il nous propose du café chaud que nous acceptons volontiers. Il repart le chercher dans sa maison qui se trouve une centaine de mètres en surplomb de la petite route. Cinq minutes plus tard, il revient avec un plateau sur lequel sont posées nos tasses. Manifestement, ces dernières n’ont pas été lavées depuis un moment... Quant au breuvage, il est tiède et son goût tout sauf flatteur pour nos papilles !

« Alors ça vous fera deux euros chacun. » Bien que nous n’en croyions pas nos oreilles, nous obtempérons. Ça n’est pas à quelques malheureux kilomètres de notre objectif rêvé que nous allons nous prendre la tête avec un homme qui est soit un escroc soit simplement un peu dérangé.

À peine remis de cette mauvaise surprise, notre hôte lâche d’un ton décidé : « Alors ça vous fera deux euros chacun. » Bien que nous n’en croyions pas nos oreilles, nous obtempérons. Ça n’est pas à quelques malheureux kilomètres de notre objectif rêvé que nous allons nous prendre la tête avec un homme qui est soit un escroc soit simplement un peu dérangé.

Le château Aphatea de Bussunarits: une ancienne maison forte située sur le chemin de Compostelle, mentionnée dès 1360.

Un dernier repas émouvant

Vers treize heures, alors que la faim nous tenaille, nous passons devant le joli Château Aphatea de Bussunarits, premier monument digne d’intérêt de la journée. Heureusement, trente minutes plus tard nous arrivons à Saint-Jean-le-Vieux où nous trouvons un restaurant avec un grand jardin. Après une rapide négociation avec les tenanciers, ceux-ci nous autorisent à pique-niquer sur place pour autant que nous consommions une boisson chacun. Accord conclu !

De gauche à droite, de haut en bas: Thomas, Marie, Mohamed, Nathalie, Isabelle, Florent, Nicolas et Gladys 

Après un long repas fraternel où nous partageons nos victuailles et posons pour la dernière photo en commun, je repars en premier avec Isabelle et Gladys. Nous avons hâte d’arriver enfin à Saint-Jean-Pied-de-Port (SJPP). Vers quatorze heures, nous faisons halte dans la chapelle Sainte-Madeleine où nous nous recueillons brièvement.

La chapelle Sainte-Madeleine-de-la-Recluse (XIIIe s.) de Saint-Jean-le-Vieux

Un pèlerinage de 830 km en trente-six jours

Puis, nous montons émus les 1,5 km qui nous séparent encore de la fameuse porte Saint-Jacques. Celle-ci marque l’entrée dans la bourgade mondialement connue de SJPP. Il fait une température agréable et le soleil brille. On ne pouvait rêver mieux pour conclure en beauté ce périple de 830 km parcourus en trente-six jours. Après une dernière photo souvenir, nous repartons chacun de notre côté pour poser notre sac dans un gîte réservé à l’avance. En effet, arriver dans la Mecque française des pèlerins un soir d’août sans avoir déjà un lit équivaut à une certaine prise de risque tant la demande est forte.

Arriver dans la Mecque française des pèlerins un soir d’août sans avoir déjà un lit équivaut à une certaine prise de risque!

On l'a fait!! 

Un avant-goût de ce qui m’attend l’an prochain

Pour ma part, je me rends au gîte Izaxulo où une couche près de la porte dans une chambre à dix lits superposés m’attend. De jeunes Anglo-saxons sont déjà vautrés sur les leurs, les yeux rivés à l’écran de leur smartphone. Ils ne répondent même pas à mon bref salut à la cantonade. En 2022, en Espagne, je recroiserai de tels « gentlemen » et je me demande toujours ce qu’ils font sur le camino avec une pareille mentalité...

De jeunes Anglo-saxons sont déjà vautrés leur lit superposé, les yeux rivés à l’écran de leur smartphone. Ils ne répondent même pas à mon bref salut à la cantonade.

Une fois douché et vêtu d’habits propres, je me dirige en direction de la gare pour reconnaître le trajet que je ferai dans une douzaine d’heures. En effet, le train pour Bayonne part vers 6h10 déjà et je ne tiens pas à le rater. Je remonte ensuite vers le quartier médiéval et me rend au centre de test Covid-19 d’une pharmacie située hors les murs. Après 10 minutes d’attente et délesté de 50 euros, je reçois le précieux sésame qui me permettra de traverser toute la France du sud-ouest au nord-est demain.

Le pays basque côté architecture 

Une action de grâce dans un environnement idéal

Il est déjà dix-sept heures et j’en profite pour flâner un peu dans les rues médiévales remplies de touristes. Combien de fois n’ai-je pas vu ces lieux sur YouTube ? Et maintenant, j’y suis parvenu à la force de mes mollets. Ce sentiment d’avoir accompli quelque chose de hors du commun est inégalable. Il s’agit d’une sensation de bien-être qui va m’accompagner jusqu’à Noël !

J’y suis parvenu à la force de mes mollets. Ce sentiment d’avoir accompli quelque chose de hors du commun est inégalable. Il s’agit d’une sensation de bien-être qui va m’accompagner jusqu’à Noël !

Je visite ensuite l’église de l’Assomption que borde la Nive. À l’intérieur, il fait frais et sombre. Il règne un silence enveloppant propice à la prière. Je m’agenouille devant des dizaines de bougies scintillantes pour remercier Saint-Jacques, la vierge Marie et le Christ de m’avoir permis de mener à bien ce magnifique pèlerinage.

L'église de l’Assomption de Saint-Jean-Pied-de-Port où je remercie la vierge Marie de m'avoir accompagné tout au long du chemin

Quand Floflo fait son numéro !

Comme le temps s’écoule rapidement, je me dépêche d’aller acheter mon pique-nique du lendemain dans une épicerie pour touristes, car il est déjà 17h30 et j’ignore à quelle heure ferment les magasins. Ce n’est qu’une fois cette formalité accomplie que je peux enfin me détendre et me rendre au restaurant où m’attendent David, Virginie, Nathalie, Mohamed et Isabelle.

Sans certificat de vaccination ou test Covid, Thomas et Florent ne peuvent hélas pas se joindre à nous. Ce dernier n’hésitera d’ailleurs pas à faire semblant de mendier auprès des clients assis en terrasse en se faisant passer pour un gitan roumain !

Sans certificat de vaccination ou test Covid, Thomas et Florent ne peuvent hélas pas se joindre à nous. Ce dernier n’hésitera d’ailleurs pas à faire semblant de mendier auprès des clients assis en terrasse en se faisant passer pour un gitan roumain ! Le personnel, peu enclin à goûter ce qu’il ignore être de l’humour, certes un peu lourd, le chasse rapidement. Comme baroud d’honneur, Floflo reviendra une ultime fois faire le guignol devant des touristes ébahis par son petit numéro d’artiste. Maintenant, je comprends pourquoi il était très apprécié quand il animait des colonies de vacances !

Nous prenons conscience que c’est fini (pour cette année !)

Après un repas où le froid ambiant (mais oui !) et le fait de se faire servir ont érodé notre esprit communautaire, nous prenons congé les uns des autres. Inconsciemment, chacun pense au lendemain, au retour dans le train-train quotidien ce qui est tout à fait normal. Certains resteront en contact, d’autres non. C’est la vie.

Avant l’aube, un voyage de plus de douze heures m’attend : SJPP - Bayonne, Bayonne - Paris Montparnasse, Paris gare de l’Est - Strasbourg, Strasbourg - Bâle, Bâle - Berne, Berne - Fribourg et enfin le bus. Mes jambes rongées par les puces de lit vont me démanger jusqu’à la désinfection définitive de tous mes effets en arrivant à la maison.

Inconsciemment, chacun pense au lendemain, au retour dans le train-train quotidien ce qui est tout à fait normal. Certains resteront en contact, d’autres non. C’est la vie.

Mais, cela ne m’empêchera pas de repartir l’été prochain depuis SJPP jusqu’à Ponferrada (Léon). Je vous dis donc à très bientôt pour la suite de mes aventures !

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Forcément, on ressort transformé d’avoir parcouru durant plus d’un mois le chemin de Saint-Jacques. Le fait de marcher plus d’une vingtaine de kilomètres par jour, le plus souvent en pleine nature, procure un calme et une sérénité jusqu’alors inconnus.

L'Aubrac, un plateau mythique et fascinant 

D’avoir traversé la France d’est en ouest, d’avoir vu des paysages aussi variés et paisibles, grave dans le cerveau des images qui me nourrissent encore presque deux ans après.

Église Saint-Hilarian-Sainte-Foy de Perse juste avant Espalion (Aveyron) 

En s’arrêtant dans des dizaines d’églises et de chapelles pour prier ou simplement pour se reposer, on est frappé par le sens esthétique et la foi de nos ancêtres. Le patrimoine religieux qu’ils nous ont légué constitue le plus beau cadeau qu’ils pouvaient nous faire. Mille ans plus tard, ces lieux de culte n’ont rien perdu de leur attrait. On se dit qu’une telle dévotion ne peut pas être le fruit d’un malentendu. Le christianisme a construit l’Europe et c’est d’ailleurs la seule chose que tous les Européens ont en commun, de Saint-Jacques-de-Compostelle à Vladivostock.

Les plus beaux endroits traversés

Le tronçon qui s’étend de la vallée du Rhône (Chavanay) jusqu’à Monistrol d’Allier est fascinant malgré (ou grâce) à son côté fruste et à la dureté de son architecture en pierre de taille volcanique. Mais la partie que j’ai préférée (et de loin !), c’est celle qui va du Villeret-d’Apchier à Saint-Côme d’Olt. Elle traverse notamment les plateaux de l’Aubrac dont la beauté farouche, à l’image d’un diamant brut, m’ont séduit.

Église de Saint-Julien-Chapteuil (Haute-Loire)

Ensuite, j’ai aussi apprécié les principales localités de la vallée du Lot et du Célé, à savoir Espalion (incontournable), Estaing, Conques et Figeac. À partir de cette dernière ville, on entre dans les Causses du Quercy riches en menhirs et dolmens, mais relativement pauvres en endroits d’importance. J’ai bien aimé Montcuq, Lauzerte, Auvillar et surtout Moissac dont le couvent et l’abbatiale méritent en tous les cas le détour.

Espalion (Aveyron) 

À partir de l’Armagnac, je recommande un arrêt à Condom, Aire-sur-l’Adour et Pimbo, une bastide dont émane une sérénité palpable. La campagne qui entoure ces trois localités est quant à elle nettement moins intéressante...

La collégiale Saint-Barthélemy de Pimbo, un lieu hors du temps 

Une fin de parcours qui déçoit...

Mais, c’est dans l’arrière-pays béarnais que je me suis particulièrement ennuyé : aucun village ni église remarquable. Que d’interminables champs de maïs et autres cultures fourragères... Heureusement que je venais de contrées plus riantes, car si j’avais commencé mon pèlerinage en ces lieux, pas sûr que je serais arrivé au bout !

La campagne près d'Arthez-de-Béarn 

Enfin, le parcours entre Navarrenx et Saint-Jean-Pied-de-Port m’a aussi beaucoup déçu. À nouveau, peu ou pas d’endroit admirable et énormément d’asphalte à avaler. Les autorités basques se sont hélas mis au diapason de leurs homologues béarnaises : ici rien n’est pensé pour le jacquet ! Aucun sentier panoramique ou même en terre digne de ce nom, pas de lieux de pique-nique ou de bivouac, pas de points d’eau ou de WC destinés expressément aux randonneurs et surtout extrêmement peu de commerces sur le chemin.

Un faisceau d’éléments en défaveur des dernières étapes

Dans ces conditions, pas étonnant que j’ai été content de m’arrêter à Saint-Jean-Pied-de-Port, un bourg par ailleurs magnifique, enfin ! Mais, la fatigue physique et la lassitude morale renforcées par ce Sud-Ouest qui m’a beaucoup déçu ont estompé en moi tout regret de devoir faire halte au pied des Pyrénées pour rentrer travailler.

Saint-Jean-Pied-de-Port, dernière étape de trois des quatre principaux chemins de Saint-Jacques en France

J’en ai eu assez de manger des conserves tous les midis, de ne pas pouvoir boire un café sur une terrasse dans une jolie ville en matinée, de devoir transporter toute la journée les aliments achetés au départ de chaque étape de peur de ne pas en trouver en chemin...

Une compagnie salvatrice

Le ravissement induit par la traversée de l’Aubrac et de la vallée du Lot a ainsi progressivement cédé le pas à une lassitude due au paysage et à la tristesse des localités du Béarn et de l’Euskadi. Cumulés à une certaine usure physique et morale, ces facteurs négatifs n’ont été qu’en partie compensés par la compagnie des personnes rayonnantes avec lesquelles j’ai heureusement pu marcher la dernière semaine. Sans elles, le final eut été vraiment dur !

Marcher avec de tels amis m'a permis de digérer les étapes les moins attractives du chemin