Ce matin je mets le réveil à 5h30 afin de pouvoir éviter au maximum les grosses chaleurs annoncées. Comme les premiers kilomètres montent sur un chemin caillouteux, mon ami ami diplomate (cf. étape précédente) décide de m'accompagner en poussant son vélo.
Lever du jour sur les Montes de Oca (Castille) Un calme apaisant règne en ce matin du 17 juillet Monte de la Pedraja: immersion dans la mémoire tourmentée de l'Espagne
Il fait encore assez noir lorsque nous croisons deux françaises en train de ranger leur bivouac. Après 200m de montée sur seulement 2,6 km, nous atteignons le Monte de la Pedraja entièrement recouvert de pins. Il est sept heures pile lorsque nous parvenons à l'émouvant monument funéraire qui rappelle l'exécution sommaire de 125 jeunes Républicains de la région au tout début de la guerre civile espagnole (1936-1939).
Avec l'ami diplomate espagnol rencontré la veille Il faut d'abord savoir que ce modeste monument a été autofinancé par les familles des victimes. Le gouvernement de la province de Burgos (Partido popular, droite) a refusé tout soutien... On estime à 300 le nombre de victimes de ces purges sauvages de 1936. Raison pour laquelle, les familles des disparus réclament depuis 2014 de l'aide publique pour tenter de retrouver les 170 dépouilles restantes.
Monument à la mémoire de 125 jeunes Républicains espagnols exécutés par les partisans de Franco en 1936 Pour en savoir plus:
Article du journal El Norte de Castilla relatant la situation en 2014
Bel article en français de l'Institut de recherche jacquaire (IRJ) basé à Tours.
Commentaire émouvant laissé en 2019 par le pèlerin Alberto Andrés:
Portraits de plusieurs fusillés: fosalapedraja.wixsite.com/fosalapedraja/clients
Récit détaillé de l'exhumation (en espagnol): cronicasapiedefosa.wordpress.com/2015/10/20/fosas-de-la-pedraja-homenajes-y-vandalismo
Photos de l'exhumation
Prisonniers républicains emmenés sous bonne garde Voici encore les commentaires laissés par des dizaines de personnes sur le site esopiniones.com
Au revoir et buen camino!
Comme il y a désormais une large piste en terre battue qui sépare les deux pans de la forêt, mon ami espagnol décide de continuer sur sa bicyclette ce qui débouche sur des adieux empreints d'émotion. Toutefois, après une vingtaine de minutes de marche en solo, je suis rattrapé par une grande sexagénaire berlinoise trop contente de pouvoir communiquer en allemand avec moi.
Une pèlerine allemande se confie spontanément à moi
En une heure environ, elle me raconte les vingt dernières années de sa vie. D'abord, son mariage avec un latino-américain à la fin des années 1990, puis la naissance d'un garçon et d'une fille dans la foulée. Rapidement, elle s'est heurtée à l'agressivité puis aux coups de son mari. Mais, comme ses parents lui déconseillaient le divorce, elle a persévéré. Jusqu'à ce que sa vie soit en danger.
Cette triste histoire aurait pu s'arrêter là, mais c'était sans compter sur la persévérance dans l'erreur de son mari qui a continué à la menacer à distance avant de s'en prendre à leur fils lorsqu'il en avait la garde... Bien qu'en couple avec un gentil compagnon allemand depuis quelques années, cette femme garde un fort sentiment de culpabilité à l'égard de ce que son union à fait subir à ses enfants. Puisse Dieu l'aider à guérir les cicatrices de son âme.
Absidiole et Chevet roman du monastère de San Juan de Ortega (Castilla y Léon) Après un peu plus de 12 km, nous parvenons au monastère de San Juan de Ortega perdu au milieu de la plaine de Castille. Je décide de m'arrêter pour un petit-déjeuner bien mérité alors que la pèlerine berlinoise poursuit son chemin.
Il n'est que 9h12 et pourtant il fait déjà une chaleur étouffante! Ensuite, sur environ deux kilomètres, le sentier serpente au milieu d'un petit bois frais et parfumé grâce aux nombreuses fleurs ayant survécu à la canicule de cette mi-juillet.
Un répit de courte durée dans un petit bois parsemé de fleurs odorantes Un berceau de l'humanité vieux de plus d'un million d'années
Hélas, quand j'arrive dans la plaine d'Atapuerca, j'ai l'impression d'être cuit à la vapeur tellement la moiteur est étouffante... C'est là qu'on a découvert en 1976 des gisements paléolithiques contenant des os humains qui ont permis la définition d’Homo antecessor, le plus ancien représentant du genre Homo décrit à ce jour en Europe.
Dans la plaine d'Atapuerca, il règne une chaleur quasi infernale déjà à 10h40 du matin Lorsque j'entre dans Antapuerca, je demande à un groupe de villageois où je pourrais m'approvisionner. Ils m'expliquent que l'épicerie en bord de route est fermée, mais qu'une auberge vend quelques aliments sur les hauts du village.
Retable en bois polychrome de l'église d'Atapuerca Je n'ai pas trouvé ce dépanneur, par contre j'en ai profité pour visiter la massive église San Martín (fin du gothique, début Renaissance) dominant toute la plaine et je ne l'ai pas regretté. Malgré la pénombre, j'ai pu admirer un magnifique retable en bois sculpté polychrome.
L'église San Martín d'Atapuerca est datée de la fin du gothique, début de la RenaissanceLe Golgotha local...
Grâce à la relative fraîcheur qui règne à l'intérieur, je peux reprendre courage avant d'affronter la montée sur l'inhospitalière colline de Matagrande qui me sépare encore de mon étape du jour. Le chemin caillouteux serpente entre des bosquets trop râblés pour offrir la moindre ombre. Et, histoire de rendre l'endroit encore plus sinistre, une barrière de vieux barbelés rouillés délimitant à un ancien terrain de manœuvre militaire borde la partie amont du sentier.
L'inhospitalière colline de Matagrande est couronnée d'une croix dont la sobriété s'accorde bien avec la rudesse du paysage J'atteins la limite de mes forces
Parvenu au sommet par 40 degrés, je n'étais pas encore au bout de mes peines. Bien que pour la première fois cette année j'atteins la limite de mes forces, il me reste encore près de quatre kilomètres à descendre sous un soleil implacable. Je me sens si mal, que j'hésite à appeler l'albergue qui m'attend pour demander du secours...
Les quatre petits kilomètres qui séparent le sommet du Matagrande à Cardeñuela Rio Pico m'ont paru interminables, malgré la vue su...L'heure de l'apéro dans un village castillan
Mais, je tiens bon et à midi et quart, j'aperçois enfin Cardeñuela Rio Pico. Je puise dans mes dernières forces pour arriver à l'Albergue Santa Fe et je me rue à l'intérieur pour profiter de la climatisation, indispensable sous ces latitudes.
La patronne latino-américaine, la quarantaine, discute tranquillement au bar avec les habitués. Après une attente qui me semble longue, elle finit par venir prendre ma commande.
Une chambre petite mais où l'on se sent bien
Après un repas correct dont j'ai perdu le souvenir, elle m'emmène à l'étage pour me montrer une chambre individuelle qui me plaît d'emblée. En voici la critique sur gronze:
Après la douche de rigueur, je fais une bonne sieste, complètement abruti par les 30 degrés qui règnent dans la chambre. Je m'en fiche, je dors!
En fin de journée, en attendant le dîner, je visite le village et monte à l'église Santa Eulalia de Mérida (XVIe siècle) de style gothique Renaissance. Selon Wikipédia, elle abrite un important retable de Felipe de Vigarny entièrement restauré en 2021. Malheureusement, comme trop souvent en Espagne, elle était fermée.
L'église Santa Eulalia de Mérida (XVIe s.) qui domine Cardeñuela Rio Pico Des convives atypiques
Au repas du soir, je me retrouve à table avec un couple de jeunes sexagénaires américains et un groupe de Sévillans faisant étape ici avant de remonter vers le Nord pour randonner dans les Pyrénées. La conversation est fort intéressante. L'Andalou qui me fait face nous explique qu'il travaille pour la junte (gouvernement) d'Andalousie au niveau environnemental. Il est chargé de coordonner des mesures permettant aux agriculteurs d'atténuer les effets d'une canicule qui se fait chaque année plus dévastatrice.
Quand aux Étasuniens, Madame vient de se faire licencier de sa High School pour avoir osé appliquer une pédagogie par projet à ses turbulents élèves: elle avait constaté que l'enseignement vertical ne fonctionnait pas avec eux... Sa directrice, partisane d'une orthodoxie rigide, ne l'a pas vu d'un bon œil. Jalousie, incompétence ?
Son mari, genre gentleman farmer, prétend être réparateur de bateaux de plaisance en province. Étant donné ses connaissances géopolitiques et son style "éduqué", je peine à l'imaginer ponçant et peignant des coques multicolores... Je le vois plutôt en diplomate... ou en agent des services de renseignement.