Carnet de voyage

Voyage de hobbit en Colombie

8 étapes
7 commentaires
19 abonnés
Dernière étape postée il y a 1939 jours
54 ans, inspirée par ma fille et ses copains et leur épidémie de "gap year" en bon français "parenthèse utile", à mon tour d'expérimenter. Me voici en route pour 7 semaines en Colombie.
Du 10 mars au 30 avril 2020
51 jours
Partager ce carnet de voyage
1
1
Publié le 8 mars 2020

Après tant d'années à rester dans mes rails, j'ai envie de partir en exploration. Comme le hobbit du Seigneur des anneaux, je renâcle à sortir de ma zone de confort. Pourtant j'en ressens le besoin impérieux. Depuis 6 mois j'ai testé 3 semaines à vélo en itinérance jusqu'à Minorque et un trek en Mauritanie avec Terre d'aventure. Cette fois, j'ai envie d'un temps plus long, dans un pays peu touristique , à la rencontre d'un peuple que je me représente comme vivant et en résistance. J'ai des envies de rencontre, de nature, de marche, de culture, de musique.

Antidote à la panique avant le départ : l'équipe multi-générationnelle. Ma mère Michèle me transmets des trucs et astuces appris au cours de ses nombreux voyages autour du monde. Ma fille Mathilde m'enseigne les rudiments du voyage 2.0. Le blog, l'internet, le smartphone etc, qui n'empêche pas la consultation du bon vieux guide du Routard, en concurrence avec le lonely planet. Les copines aussi sont un bon soutien et prodiguent leurs encouragements.

J'ai enfin calé mon hébergement à Bogota. L'étape d'après est toujours en balance 3 jours avant le départ.

Coaching dans la tempête à Anglet 
2
2
Publié le 12 mars 2020

La journée de voyage débute à 4h du matin. L'aéroport de Toulouse s'éveille lentement. Les agents de la KLM ne voient pas du tout de problème à la présence de mon pbone en cabine, trombone certes en plastique mais long de 80 cm. La distance entre le lieu d'arrivée à Amsterdam et la salle d'embarquement pour Bogota prend 5mn à cloche-pied. Pas moyen de stresser.

Vol un tantinet longuet. J'ai participé au jeu "y a t il un docteur dans l'avion?" et j ai gagné le droit de valider la prescription d'une chef de cabine énergique. La liste des médicaments à bord était impressionnante. Plutôt rassurant.

J'ai tenté d'entrer en conversation avec ma voisine. Elle allait voir sa fille aînée entre la vie et la mort dans un hôpital de Bogota. La censure de mes enfants concernant les histoires glauques m'impose ici de taire les raisons des difficultés à survivre de la jeune femme. Disons que ça a jeté un froid et que je n'ai pas eu très envie de m'étendre sur mes projets d'insouciance. J'ai donc somnolé, mangé, joué à des jeux débiles et essayé d'entendre un film malgré les réacteurs sous mes fesses.

Arrivée à Bogota, soulagement de constater que les Français n'étaient pas encore dans le collimateur sanitaire des Colombiens. Le bureau de change m'a transformée en millionnaire. Ce pays est vraiment l'Eldorado! A moins que ce ne soient les 3500 pesos octroyés pour un euro.

Le taxi commandé à l'avance était bienvenu pour mon mal de tête et moi. Une averse de grêle inhabituelle en a profité pour éclater et le chauffeur patient a attendu la décrue pour me livrer à l'hôtel. Pendant ce temps il a fait son job de guide touristique avisé politiquement. 200 000 hectares de culture de coca planquées dans la jungle, super Trump qui demande de désherber au glyphosate, la chute du prix du baril de pétrole que la Colombie exporté etc.

Quand le déluge s est calmé j'ai plongé sur mon lit puis dans le sommeil.

Désolée je n'ai pas pris de photo de la grêle sur le pare-brise du taxi.

3

Ce matin il fait beau. Comme souvent le matin ici parait-il. J'en profite pour prévoir une visite de la ville à vélo. En attendant l'heure je vaque dans le coin et je vois un jeune éphèbe qui se démène devant une assemblée de femmes qui essaient de faire de même. C'est un cours de gym offert par la mairie du quartier. Juste ce dont j'ai besoin. Je me joins avec enthousiasme et m'agite avec ferveur. Avant de me rappeler que nous sommes à 2700 mètres d'altitude. La séquence d'étirement tombe à pic.



10h : début de la visite privée de Bogota à vélo. Des dizaines de km de pistes cyclables et grands axes fermés aux voitures le dimanche. Nicolas mon guide est enthousiaste. Il a à cœur de me donner envie de louer les qualités de son pays. Je croule sous les informations. La Plaza Bolivar tout d'abord. Sa cathédrale, son parlement, sa cour suprême, sa mairie, sa statut éponyme et ses pigeons. La place Saint-Marc n'a qu'à bien se tenir. S'ensuit une leçon de torréfaction de café chez son amoureuse. Puis la visite du quartier Teusaquillo fondé par des Anglais et Irlandais venus lors de la première guerre mondiale en attendant la fin de la deuxième pour repartir. Puis le marché avec sa multitude de fruits tropicaux auxquels je n'avais pas encore été présentée.


Nicolas sur la place Bolivar, au fond la mairie où siège depuis janvier une femme, de gauche et mariée à une femme.,

Une mention spéciale pour les graffitis, aujourd'hui encouragés par la mairie, ils font l'objet d'appels d'offre et attirent les stars du street art.

Mon préféré
4
4
Publié le 13 mars 2020

J'entends d'ici les commentaires acerbes sur mon blog qui ressemblerait à un ersatz de docu de l'Office du tourisme colombien. J'assume totalement. D'abord j''ai promis de faire la pub et ensuite pour calmer ma culpabilité d'être en train de me promener alors que vous êtes au boulot ou bientôt cloîtrés chez vous, je tente de vous divertir. C'est parti.


Tout d'abord je ne résiste pas au plaisir de vous montrer d autres "murales". Sur les bâtiments publics la mairie fait un appel à projet tous les deux ans et l ancien graffiti est recouvert d'un tout neuf. Un jeune vendeur de sérigraphie me confirme que des artistes du monde entier viennent se mêler aux artistes colombiens pour créer ensemble.

Comment se détendre quand on a quelques kilos de trop? Réponse : aller admirer les peintures et sculptures au musée Botero, l'artiste colombien connu mondialement pour sa lutte contre la grossophobie.

Monalisa version décomplexée

Le Moncerrate surplombe Bogota de 450 m. Donc 3150 m. Un sanctuaire y veille sur la ville. Il fait l'objet d'un pèlerinage et le must est de monter à genou. Je décline la proposition. Le chemin est dallé et les marches trop hautes, je préfère marcher sur mes pieds. Je ne suis pas la seule. Une foule bigarrée ahane avec détermination, des sportifs s'y entraînent. Des gardes gardent, faisant sans le savoir un pied de nez au Routard qui déconseille l'ascension en solitaire On passe sans transition du quartier historique de la Candelaria à la montagne couverte de forêt. Même pas de lotissement en construction derrière le Mont. C'est surprenant. La végétation est luxuriante et j'ai réussi à voir deux colibris. Mais pas à les photographier. Je précise aussi que la plupart des gens qu'on voit sur les photos sont montés avec le funiculaire. Pas fous eux.

Photos volontairement perfectibles pour que vous ayez envie d'aller voir

Et la Candelaria ce quartier sulfureux? Des étudiants, des auberges de jeunesse ou de rajeunissement comme la mienne à 10 euros la nuit, des théâtres alternatifs, de l'agriculture urbaine, des graffitis bien sûr. Des airs de quartier latin il y a 40 ans. Mon petit doigt me dit que la gentrification guette.

5
5
Publié le 15 mars 2020

Encore un petit effort : on ne va quand même pas quitter Bogota sans parler du plus grand musée de l'or du monde.

J'ai beau avoir présent à l'esprit que les conquistadores étaient souvent des assassins et des bandits qui n'avaient rien à perdre à prendre la mer, comprendre leur convoitise quand ils ont vu des objets en or comme ci-dessous,

Maracas et parures de chamane

J'ai beau supposer leur excitation quand on leur a parlé de la légende de l El Dorado, ce dignitaire qui se couvrait de poudre d'or, se baignait dans le lac et jetait des objets en or en offrande.

C'est le dignitaire qui se prépare pour la cérémonie

Le résultat dépasse quand même mon imagination : une saignée dans la montagne pour vider le lac en pensant trouver les objets en or au fond...

Encore une occasion ratée d'être respectueux de l'environnement et des autres civilisations.
6
6
Publié le 17 mars 2020

Ça y est j'ai obtempéré. J'arrête de transgresser la quarantaine, je ne me cache plus dans le superbe jardin de l'hostel de Villa de Leyva, je ne cherche plus de workaway perdu dans la montagne avec les chèvres et les plantes médicinales. Je me souviens même que je suis toubib et j'accepte l'idée de participer à l'effort sanitaire.

Bref je rentre. Décision prise par une nuit sans sommeil avec une wifi hésitante et un site Air France récalcitrant. Décalage horaire aidant je suis informée en direct du caractère drastique des mesures françaises. Côté colombien, les décisions sont prises en rafale. J'ai l'impression de courir dans un tunnel dont les deux issues se ferment simultanément. Je saute dans le bus de Bogota au cas où la ville ferme ses accès. Je file à l'aéroport pour essayer de négocier un retour plus conforme aux conseils des 48h de l'ambassade. Rien à faire. Je suis au moins rassurée d'apprendre que les ressortissants seront rapatriés malgré la fermeture des aéroports français. J'anticipe l'arrêt des taxis, j'envisage un hôtel collé à l'aéroport.

Les chauffeurs de taxi me disent que rien n'est imminent. Plus tard peut être si les autres mesures ne suffisent pas. Ils sont inquiets pour leur survie. Ici la chute du cours du pétrole met à mal une économie fragile. Les boucs émissaires locaux sont les immigrés vénézuéliens. Ils ont tout pour exceller dans le rôle. Ils sont "nombreux, pauvres (en même temps sinon ils resteraient chez eux), parfois sans domicile et ils cassent les prix du marché du travail en acceptant de travailler pour rien".

De retour à l'hostel de Bogota, je suis bien décidée à respecter les consignes du gouvernement colombien. Mais je n'ai pas le cœur à refuser l'invitation de Jasmine qui travaille à l'accueil et qui m'invite à partager le repas avec elle dans la gargote d'à côté.

7

Samedi 14 mars, je décide de m'éloigner de Bogota. Un peu mais pas trop, histoire de limiter la promiscuité et de voir comment tournent les choses. Je jette mon dévolu sur Villa de Leyva, petite ville coquette à 150 km de Bogota, avec possibilité de balades en montagne.

Direction la gare routière. Je monte dans un taxi. Il a une mini-tele qu'il regarde en conduisant. C'est la dernière étape de la course cycliste Paris-Nice et Quintana fait une échappée. Pas question de perdre une miette de l'exploit du champion colombien. Je me prends au jeu et je suis bien contente que notre arrivée à la gare routière coïncide avec la victoire d'étape du grimpeur. Merci à mon chauffeur d avoir su garder un oeil sur la télé et l'autre sur le trafic.

Le calme de la gare routière me surprend. Pas de "criadores" comme au Pérou où chacun s'epoumone en criant les villes de destination de leur bus. Ici les destinations défilent en affichage lumineux au dessus de chaque guichet. Je ne sais où donner de la tête. Un employé m'affirme détenir le produit que je sollicite et me voilà dans un bus "direct" pour Villa de Leyva. Rapidement, le mirage de la gare routière s'estompe et je suis de retour dans la vie réelle. Le conducteur et son co-équipier exécutent une chorégraphie bien rodée. Le chauffeur zigzague dans la circulation au mépris des autres utilisateurs de la route, néanmoins nombreux. Pendant ce temps, son acolyte saute du bus en marche, se faufile entre les voitures pour aller démarcher le chaland, crie à toute vitesse le nom des destinations possibles, remonte dans le bus juste au moment où l accélération va l'en empêcher. Entre deux ballets, le jeune homme garde la porte ouverte, se tenant vaguement au siège de devant à l'affût d'un client potentiel. Ils font feu de tout bois. Des gens embarquent puis descendent parfois un km plus loin. A la demande. A ce rythme au bout d'une heure et demi nous sortons à peine de Bogota.

Une quatre voies en parfait état devrait nous permettre de remonter la moyenne. Que nenni. Les deux jeunes gens sont décidés à rentabiliser leur journée et la noria de voyageurs se poursuit avec la fréquence des arrêts inhérents. Le paysage de la région du Boyaca me distrait et je garde patience seule chose à faire dans ces cas-là me semble-t-il.

Vient le moment de quitter la quatre voies. Les hésitations commencent. A droite ou à gauche? Je m'exerce à suivre la route sur mon navigateur fraîchement téléchargé. La machine confirme le choix de la première bifurcation. Je rêve un peu, regarde la pluie tomber et quand je reviens sur mon navigateur il me semble que le trajet est insolite. Confirmation au village suivant, les jeunes gens sont perdus et demandent la route. Nous faisons demi-tour. Je suis épatée par moi-même : la somme de leurs âges est inférieur au mien et j'étais plus au point qu'eux avec le GPS...

Au bout de 6 heures de route nous arrivons à Villa de Leyva. Il reste encore à dénicher la gare routière.

Il paraît qu'ils embauchent des étudiants le week-end pour travailler dans les bus.



Plaza Mayor de Villa de Leyva, restée dans son jus depuis le XVIeme siècle. Ce serait la plus grande place d Amérique du Sud
8
8
Publié le 18 mars 2020

L'hostel à Villa de Leyva est un havre de paix. Le jardin est étagé, les bâtiments se fondent dans la nature et des hamacs appellent au farniente.

Mes hôtes m'indiquent deux excursions. Je décide de commencer par la visite d'un lieu dédié à la biodiversité à Arcabuco.

Je n'échappe pas à un nouveau malentendu en matière de transport. J'avais compris que 12 km me séparaient d'Arcabuco. En fait 25 km de piste chaotique soit une heure et quart de route. A la réflexion l'hôtelier me l'avait dit. Déni quand tu nous tiens! Fort heureusement, la campagne est variée et dépaysante.

Après un café bien mérité et un saut de puce en taxi j'arrive à Rogitama biodiversidad non sans avoir salué une représentante de mon espèce d'animal préférée.


La chance me sourit. Une visite commence juste. Le guide est un biologiste pédagogue et passionné. Je vous livre une infime partie de son récit.

Depuis presque 40 ans sous l'impulsion du propriétaire des lieux, une équipe s'affaire à transformer un pâturage en eco-système de plus en plus riche. L'enthousiasme et l'humilité de notre guide sont contagieux.

Les espèces sont mélangées, étagées. Le sol s'enrichit année après année des feuilles qui tombent des arbres et des déjections des animaux. Les lombrics sont à l'honneur. Ces grands fabricants d'humus sont élevés avec soin.

Les orchidées font légion en Colombie. Une mini-orchidee pousse sur un arbre en symbiose avec une autre plante, à côté d'un lichen rose.

Démonstration est faite des méfaits de la monoculture. En haut de la colline sous une forêt de pins, rien ne pousse. Alors qu'un pin isolé aère la terre et d'autres espèces profitent de l'humidité du sol.

Les chauve-souris voyagent parfois si loin qu'elles n'ont pas le temps de rentrer chez elle avant le lever du jour. Un abri spécial leur permet de se reposer. Elles sont d'autant mieux chouchoutées qu'elle mangent un millier de moustiques par nuit.

L'eau se cultive : la pluie est retenue par la canopée, les gouttes d'eau perlent, les plantes s'hydratent par les feuilles et par le sol. L'humidité est retenue sous le feuillage.

Nous admirons diverses fougères géantes. L'oeil exercé de notre biologiste et aussi celui d'un petit garçon nous permettent de voir des coccinelles verte et orange, une mante religieuse, des colibris et le principe petit oiseau noir et blanc.

Ce lieu sert de corridor pour les animaux entre la montagne et le plateau. Des haies touffues prolongent la foret.

Notre guide nous enseigne son respect pour la terre mère et pour les forces de la nature, en rapport avec son indianité. Dans le Boyaca comme à Bogota nous sommes en territoire muisca.

Il est tellement convaincant que nous nous mettons à quatre pattes pour ne pas détruire le fil d'une araignée qui barre notre chemin.

Cet environnement force le respect. Richesse, biodiversité, équilibres instables, interdépendance et fragilité. Je ressens un apaisement et une sensation d'harmonie.


Dans l'ordre d'apparition dans le texte

De retour à Bogota je découvre un atelier de joaillerie. La démarche est respectueuse de la tradition muusca. Chaque bijou a un rapport avec les croyances muisca et a sa propre énergie. Les métaux sont travaillés avec des plantes.

Dans la tradition muisca chaque lac d'altitude a son histoire. Ils sont reliés entre eux et sacrés. La légende dit que le couple fondateur de l'humanité est sorti du lac d'Iguape près de Villa de Leyva. Quand les Espagnols sont arrivés, le couple est reparti dans le lac.

A Bogota sur le Moncerrat était un temple du soleil évocateur du masculin et sur le mont Guadalupe voisin était un temple de la lune, du côté du féminin. Mon infirmatrice est formelle : les Espagnols ont pris possession de ce lieu pour soumettre le pouvoir muisca.

Vivre son humanité en se pensant comme partie d'un tout, respecter les croyances dans les forces qui nous dépassent et rester humble face à l'immensité de la nature semble être un acte de résistance pour la joaillère et pour le jeune biologiste. Ils se revendiquent d'une civilisation ancienne qui pourrait bien porter des valeurs salvatrices pour l'humanité.

Encore quelques murales pour le plaisir des yeux. Plus faciles à photographier maintenant que les rues sont désertées.

C'est avec le cœur serré que je quitte ce pays. Les mesures d'isolement prises en prévention du coronavirus risquent de provoquer beaucoup de souffrances. La plupart des Colombiens vivent au jour le jour et la faim pourrait rapidement s'inviter. Entre la peste et le choléra...

Hasta luego Colombianos y buena suerte en este fracaso.