L’équipe myAtlas a rencontré Chloé Proust, fondatrice de Tierra Latina et une des pionnières en France dans le développement d’une agence de voyage digitale sur-mesure et en immersion chez l’habitant en Amérique Latine. Sa devise : replacer l’humain au cœur du voyage.
Pour commencer, peux-tu te présenter ?
Je suis Chloé. J’ai 34 ans et suis maman d’une petite fille de 4 mois. J’habite actuellement au Mexique mais je repars en Patagonie en février pour me marier. J’ai lancé Tierra Latina il y a 10 ans quand j’habitais à Buenos Aires. J’ai cofondé l’agence avec Arthur Thenot, qui est parti en 2021. Nous avons lancé en même temps l’agence de voyage en France et l’agence réceptive en Argentine. C’est d’ailleurs la première destination que nous avons vendue. On était encore étudiant à ce moment-là, c’est donc ma première expérience professionnelle… qui dure depuis 10 ans !
En tout, j’ai vécu 7 ans en Argentine. Je suis rentrée en France pendant le Covid, puis je suis repartie 3 ans, cette fois en Colombie. Et là je suis à Mexico depuis presque 1 an. Je bouge en Amérique Latine au gré des opportunités. J’ai créé le job que je voulais dans l’endroit qui me plaisait.
De quelle envie est née la création de Tierra Latina ?
C’est une histoire humaine avant tout. Arthur et moi sommes devenus amis lors de nos études car on avait une passion commune pour l’Amérique Latine. On était à l’université d’Angers ensemble et, à l’époque, il était demandé d’écrire un mémoire à deux. Notre sujet portait sur les parcs nationaux et la valorisation touristique en Argentine et, naturellement, nous avons fait notre dernier stage dans le pays. J’avais personnellement déjà fait un stage au Pérou, voyagé en Colombie, Bolivie et Chili.
C’était le même schéma du côté d’Arthur qui avait déjà vécu en Argentine. On s’est rendu compte au gré de cette dernière expérience de stage que les circuits touristiques proposés en Argentine étaient tous les mêmes : Iguaçu, Perito Moreno, etc. Et aucune rencontre avec les locaux alors que ce sont des gens très avenants, qui ont soif de rencontres avec les voyageurs, peu importe la barrière de la langue.
De mon côté, lors de mon précédent stage au Pérou, j’avais eu l’occasion de développer la branche « volontourisme » qui proposait de finir les voyages par 4 jours de volontariat dans un orphelinat. À Cuzco, qui est une très grosse destination touristique sur ce continent, il suffit de faire 15-20 minutes de route pour rencontrer des communautés qui ne parlent que quechua, pas du tout espagnol, et où les enfants ne peuvent pas aller à l’école car elle est trop loin. Au final, ces communautés n’ont aucune retombée du tourisme : ce sont surtout des grands groupes qui en profitent et vont rapatrier les fonds dans leur pays… déjà riche. Et nous, on s’est dit qu’on voulait que les populations locales profitent des retombées financières mais aussi humaines du tourisme.
Il faut bien comprendre que partir en voyage n’est possible que pour un petit pourcentage de la population sur la planète. Dans ces régions, ils n’ont pas les ressources financières pour voyager et n’ont pas non plus l’éducation au voyage. Nous avons eu envie d’insuffler ça, de proposer des voyages qui vont profiter aux habitants économiquement mais aussi humainement pour créer de la rencontre. On voulait que ce soit un win-win : que le voyageur ramène chez lui émerveillement et découverte mais aussi que les populations locales en profitent.
On s’est rendu compte que créer des voyages immersifs, aménager du temps dans le voyage pour ces rencontres, était très vertueux pour les deux parties. Par exemple, Raúl, un de nos hôtes best-seller, disons, dans le nord-ouest de l’Argentine, me demande régulièrement le contact de voyageurs qui sont passés chez lui parce qu’ils ont eu une conversation enrichissante et qu’il souhaite la poursuivre même via Google Translate. C’est vraiment ça la genèse de Tierra Latina. C’était il y a 10 ans, à la même période où Airbnb était en pleine croissance même si les Airbnb expériences n’existaient pas encore. À la base, Airbnb, c’étaient des chambres chez l’habitant. Et ça s’inscrivait dans une nouvelle tendance du secteur qui était la recherche de sens dans le voyage. Évidemment aujourd’hui, c’est vendu à toutes les sauces !
Forcément, la première année, les voyageurs étaient notre famille et nos amis mais on avait 23 ans ! C’est sûr que les gens étaient un peu frileux à l’idée d’acheter des paniers moyens à 3000 euros à des étudiants. Mais finalement, le fait d’être une agence 100 % digitale dès le début (ce qui est la norme aujourd’hui) nous a permis de pallier les freins que pouvait représenter le fait qu’on soit jeune. Et puis, on a toujours fait du télétravail ! Nous avons pu constituer comme ça nos équipes à Angers, où était le siège social, pour la partie vente et à Buenos Aires pour la partie opérationnelle. Aujourd’hui, on a aussi un bureau au Brésil, à Rio, depuis 1 an et demi. Donc on propose des voyages en propre en Argentine et au Brésil car on est sur place, et pour les autres destinations, on a des relais locaux grâce au fait que je connaisse bien l’Amérique Latine. C’est ce qui fait notre force.
Comment vous créez les voyages chez Tierra Latina ?
Là, il n’y a pas de secret, il faut être sur place pour faire du repérage. Pour l’Argentine, grâce à nos expériences avec Arthur, on avait déjà 50 % des connaissances et nos contacts. Mais c’est comme ça que ça se fait. Nos travel experts vont sur place, ils vont sur les destinations, rencontrent les locaux. Ça marche beaucoup par le bouche-à-oreille, aussi par les communautés sur Facebook… mais surtout les rencontres et les discussions engagées au quotidien !
L’Amérique Latine, c’est tellement informel qu’il faut être sur place : ce n’est pas possible de faire une production à distance. Il faut prendre le temps de se poser à un café avec les gens, de discuter, et puis d’un coup tu fais la connaissance d’untel qui va te donner le nom de quelqu’un qui a un écolodge en apprenant que tu organises des voyages immersifs et va même proposer de t’y emmener alors que c’est à deux heures de route. C’est comme ça qu’on arrive à faire les productions dont on est le plus fier.
C’est la magie de la rencontre qui fait tout plutôt qu’une recommandation des réseaux sociaux.
Oui, car finalement, ce que les voyageurs retiennent, ce ne sont pas forcément les chutes d’Iguaçu ou le glacier Perito Moreno. Ce qu’ils vont retenir c’est la soirée qu’ils ont passé chez Esteban dans son estancia en Patagonie ou encore l’après-midi dans une communauté Mapuche chez Zulema durant laquelle elle leur a appris à tisser avec la laine qu’elle produit sur place.
Et vous faites tout sur mesure ?
Oui on s’adapte aux voyageurs. Sur notre site, ce sont des offres vitrines. Typiquement, on a des choses qu’on aimerait davantage proposer mais peut-être que les voyageurs ne sont pas encore prêts. Par exemple, on a la Patagonie en train : oui c’est long, oui il n’y a qu’un départ par semaine mais en même temps c’est juste magique de traverser la Patagonie en train !
Ces dernières années, nous avons aussi développé les voyages en petit groupe avec les départs confirmés. Car on a de plus en plus de voyageurs solos. Or, quand tu voyages seul, c’est la double peine car tu payes tout plus cher. Donc on a développé les GIR avec des départs de maximum 12 personnes qui gardent la patte Tierra Latina avec des expériences chez l’habitant. On a aussi des couples qui choisissent de partir comme ça : j’ai des clients qui l’ont fait une première fois en Argentine et qui repartent au Costa Rica avec un de nos groupes.
Donc vous avez une clientèle fidèle ?
Oui, c’est assez fou sur des voyages aussi lointains et chers. Mais on estime entre 10 et 15% de clients qui reviennent avec nous.
En plus de vos engagements auprès des populations locales, est-ce que vous avez d’autres engagements chez Tierra Latina pour l’environnement notamment ?
Nous faisons partie de ATR (Agir pour un tourisme responsable). On y est rentré en premier lieu pour valoriser les bonnes pratiques que nous avons par rapport aux populations locales. Sur l’environnement, c’est assez nouveau. Tout simplement parce que l’on propose des voyages en Amérique Latine et qu’on sait que l’avion est le problème numéro 1. Par exemple, pour un voyage en Argentine, il peut y avoir jusqu’à 3 vols intérieurs. Cependant, je me suis rendu compte de toutes les petites actions environnementales possibles hors avion.
En tant qu’agence réceptive, j’oblige tous mes relais sur place à ne pas utiliser de bouteilles en plastique, à servir les pique-niques dans des emballages réutilisables, à réduire la viande pour privilégier les repas végétariens.
Sur l’aérien, je ne peux pas faire grand-chose mais on a mis en place tout un cahier des charges de petites actions simples, comme mettre des fontaines à eau dans les hôtels, ce qui permet aux voyageurs d’utiliser des gourdes réutilisables et limiter leurs déchets plastiques. Et rejoindre ATR nous a permis de voir qu’il y avait encore beaucoup de possibilités d’actions comme réfléchir au matériel informatique par exemple. Nous sommes aussi entrés dans la phase de certification de Travel Life pour l’agence argentine.
Qu’en est-il de la pression alimentaire qui peut être exercée par le tourisme sur les ressources des populations locales ?
C’est une problématique que nous ne rencontrons pas actuellement sur les destinations que nous proposons car il n’y a pas de soucis d’accès à l’alimentation. En revanche, ça a été le problème dans une destination que je refuse désormais de vendre depuis le post-Covid en 2021, Cuba, car c’est exactement ce qu’il se passe. Nous avons réalisé que les hôtes des casa particular avec qui nous travaillions étaient obligés d’aller faire la queue à 3h du matin avec leurs tickets de rationnement pour acheter un petit morceau de pain à proposer aux voyageurs occidentaux au petit-déjeuner.
Lorsque nous avons découvert ça, nous avons décidé que ce n’était plus possible, que les hôtes, s’ils avaient la chance de trouver du pain, devaient le garder pour eux et que les touristes se débrouilleraient avec autre chose. Par la suite, nous avons découvert pas mal de pratiques problématiques d’un point de vue humain et donc, j’ai pris la décision de ne tout simplement plus proposer de voyages à Cuba, bien que ce soit très demandé.
Le problème est que les voyageurs occidentaux ne sont pas conscients de ce problème en raison du contrôle sur la communication. L’image de carte postale est bien loin de la réalité de la vie des Cubains qui vivent du tourisme c’est-à-dire 1 cubain sur deux ou trois. Mais il n’y a pas ce souci dans les autres destinations car souvent, les communautés locales avec lesquelles nous travaillons au Mexique ou au Pérou, ont leur propre production alimentaire.
Quels sont les projets de Tierra Latina pour le futur ?
Nous avons rejoint Shanti Travel il y a 3 ans pour mutualiser nos compétences, ouvrir à d’autres destinations, pouvoir envoyer des voyageurs de Tierra Latina en Asie et vice versa. C’était aussi pour permettre à nos équipes en télétravail de pouvoir changer de pays s’ils le souhaitaient. On s’est rendu compte que nos travel experts voulaient bouger et donc au lieu de perdre des talents, nous avons pensé leur offrir de nouvelles opportunités. Notre objectif pour les prochaines années est de continuer à mutualiser les bonnes pratiques et de nous agrandir en tant que groupe, au lieu que chacun fasse ça de chaque côté.
En local, de notre côté, on a envie de pousser nos séjours de groupes car ça rentre aussi dans une stratégie d’optimiser les transports, pour rationaliser les voyages. D’autant que l’offre pour les séjours de groupes est vraiment très classique et que nous pouvons proposer autre chose. On a aussi encore beaucoup de choses à développer du côté du Brésil vu qu’on en est au début.