Picos de Europa

Une randonnée itinérante au cœur du Parc national des Pics d'Europe, un massif isolé et sauvage entre pics hérissés et gorges profondes, situé dans la chaîne Cantabrique, au nord-ouest de l'Espagne.

Partagés entre trois provinces du nord-ouest de l’Espagne (Cantabrique, Asturies et Léon), dans le prolongement des Pyrénées et à une trentaine de kilomètres seulement du Golfe de Gascogne, les Pics d’Europe forment le massif le plus élevé de la cordillère Cantabrique (2648 m). Des gorges profondes creusées par des torrents aux eaux poissonneuses circonscrivent et entaillent ce massif calcaire. Des défilés spectaculaires longent les hauts sommets dentelés par l’érosion, poudrés de neige, en bas desquels s’égrènent de petits hameaux en pierre qui semblent figés dans le temps. Un Parc national y a été créé en 1995 pour protéger la flore et la faune endémiques.

Panorama vu de Peña Vieja (2614 m),

Mais pourquoi « d’Europe » ? Ce sont en fait des marins et non des montagnards qui ont baptisé ce massif Picos de Europa, car ces pics hérissés étaient les premières terres visibles à l’horizon sur le vieux continent et constituaient pour les navigateurs venus du Nouveau Monde des sortes d’amers.

Nous avons effectué le tour de la partie centrale du massif en six jours de randonnée en tout début de saison. Des journées bien remplies avec 6 à 8 heures de marche et des dénivelés substantiels, malgré la modestie des altitudes.

Premier jour

Vendredi 29 juin 2012

Nous prenons le seul téléphérique de la région qui nous permet de gagner 700 mètres… et du temps. Heureusement, car le premier départ n’a lieu qu’à dix heures ; pas très matinaux ces Ibères ! Nous entreprenons alors l’ascension de la Peña Vieja (2614 m), second sommet des Pics d’Europe. Les sentiers sont bien tracés et bien balisés, car cette région est très populaire auprès des randonneurs et touristes espagnols, bien qu’en ce tout début de saison, ce ne soit pas la foule. Arrivés au sommet, le ciel se dégage peu à peu et un panorama circulaire s’offre à nous sur le massif et notamment sur l’emblématique Naranjo de Bulnes, qui daigne se dévoiler furtivement; c’est une sorte de Pierra Menta ou de Mont Aiguille cantabrique. La descente va cependant s’avérer plus ardue, car très raide et glissante. Nous passons la nuit au refuge-hôtel de Aliva, une ancienne bergerie au milieu des pâturages.


Ascension de la Peña Vieja (2614 m)
 Le Naranjo de Bulnes ou Picu Urriellu (Le pic de gauche) dans la brume vu de la  Peña Vieja .
Descente vers  refuge-hôtel de Aliva 

Deuxième jour

Le lendemain, longue journée de marche qui s’annonce maussade. Nous empruntons la fameuse « Ruta de la Reconquista » par une ample vallée. En effet cette région qui correspond à l’ancien royaume des Asturies fut au VIIIe siècle un bastion de la chrétienté face aux musulmans et le point de départ de la Reconquête (bataille de Covadonga, 722).


Le sentier suit l'ancienne route de la Reconquista sur une moraine. 
Vega del Toro 

Une belle rencontre : un couple d’énormes gypaètes barbus s’est posé sur le sentier à faible distance, à l’affût d’une proie. Nous les observons. Peut-être étaient-il à la recherche d’un chevreau, voire d’un veau affaibli. Nous croisons en effet de nombreux troupeaux de vaches, bien encadrés par de robustes mâles (le lieu se nomme d’ailleurs Vega del Toro). Le massif est une région d’élevage, renommée pour ses fromages comme le Cabrales, lequel a l’aspect de notre Roquefort, mais l’aspect visuel seulement... Aussi traversons-nous des invernales ou majadas, hameaux et bergeries où les troupeaux hivernent et où les fromages sont affinés.


"Invernales"  de la Vega del Toro


Mais vers midi le temps se gâte pour monter au refuge d’Urriellu, situé à près de 2 000 mètres et au-dessus duquel se dresse verticalement sur près de 600 mètres l’énorme tour calcaire du Najanjo de Bulnes (ou pic d'Urriellu). Malheureusement, nous n’en verrons quasiment rien ce jour-là, pas plus que du paysage, tant le brouillard est dense et la pluie tenace. Il faut dire que les intempéries sont fréquentes dans cette région exposée aux perturbations en provenance directe du Golfe de Gascogne. Ceci dit, nous avons été relativement épargnés, car nous n’aurons véritablement subi le mauvais temps que ce jour-là. Malgré ce brouillard, j’ai quand même eu la chance d’apercevoir un couple d’isards à quelques dizaines de mètres du refuge.

Le Naranjo de Bulnes, très timide ce jpur-là ! 

Ce refuge est sans doute le plus populaire des Picos de Europa, ce qui en fait l’un des plus fréquentés par les grimpeurs espagnols qui se mesurent aux six-cents mètres de parois du Naranjo de Bulnes (ou Picu Urriellu en asturien), lesquelles avec offrent un grand nombre de voies d’escalade. Nous avons pu le vérifier ce soir-là, car que de monde… et de bruit ! Le silence est requis à partir de… 23 heures, peut-on lire sur une affiche à l’entrée ! Heureusement que la finale Espagne/Italie de la coupe d’Europe de football était programmée pour le lendemain soir !

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Sommet emblématique des Pics d’Europe :

le Picu Urriellu ou Naranjo de Bulnes

- 2 519 m d’altitude

- 600 m de parois verticales

- Première ascension en 1904

- Haut lieu de l’escalade en Espagne


Troisième jour

La nuit a permis au ciel de se nettoyer et au Naranjo de se dévoiler enfin, surgissant au-dessus du refuge. Mais ce ne fut qu’un éphémère spectacle, les nuages refaisant rapidement leur apparition sur les sommets, ce qui nous obligea à modifier notre itinéraire, car dans ce massif calcaire crevassé par des lapiaz, on peut par temps de brouillard se perdre facilement. Nous redescendons par le même sentier, ce qui nous permet de voir enfin le paysage, en particulier une belle hêtraie. Puis par un sentier mal commode et glissant après la pluie, nous gagnons le petit village touristique de Bulnes, blotti au fond d’une vallée encaissée et longtemps isolé, ce qui lui a permis de conserver son authenticité, mais pour combien de temps ? Depuis une vingtaine d’années, il est désormais relié par un funiculaire souterrain qui achemine les touristes venus admirer le fameux Naranjo de Bulnes.

A mesure que nous redescendons, le Naranjo de Bulnes consent à se dévoiler peu à peu 



 Le village de Bulnes


Quatrième jour

Les gorges du Cares

La seconde partie de notre randonnée fut bouleversée par un aléa : une affiche à l’entrée de notre sentier nous avertit que celui-ci est coupé sept kilomètres plus loin, suite à un éboulement quelques semaines auparavant. Il n’est sensé rouvrir que le surlendemain. Or c’est la seule voie possible pour rejoindre l’étape suivante, puisque l’on doit suivre la gorge du Cares sur douze kilomètres (Garganta del Cares). Nous improvisons une alternative : nous prendrons un taxi le lendemain pour contourner le massif, soit 1H45 de route au lieu d’1h30 à pied par les gorges ! Nous ferons donc en aller-retour les sept kilomètres autorisés dans les gorges. La fréquentation touristique étant très réduite, nous avons pu facilement trouver des chambres dans un hôtel voisin. Mais cet aléa fut largement compensé par un grand beau temps et il a même fait très chaud.

Un vieux pont sur le Cares 

Bien que moins longues, ces gorges n’ont rien à envier au canyon du Verdon. Le sentier, taillé dans le roc, procure des vues grandioses et vertigineuses et suit un canal. Cet ouvrage d’art, construit au début du siècle dernier, est magnifiquement intégré dans le site, parfois creusé en tunnel dans le roc, parfois canalisé par de superbes murs de pierres. Des arbres s’accrochent aux parois de la gorge et à la vie, en s’enracinant on se demande comment. A part les ouvriers qui achevaient leur chantier sur le lieu de l'éboulement, nous n'avons rencontré personne. En revanche nous avons croisé de nombreuses chèvres en liberté.



Garganta del Cares 






Les gorges du Cares 
Le fond du canyon du Cares 


Cinquième jour

C'est donc en taxi que nous avons dû rejoindre notre dernière étape à Posada de Valdeón où nous arrivons en fin de matinée. C'est un paisible village du Léon qui s’étale dans l’ample vallée du Cares, en amont des gorges. Son architecture rurale est caractéristique avec ses nombreux greniers en bois sur piliers de pierre, les « hórreos » qui s’apparentent aux raccards ou aux mazots du Valais et de Savoie. Après notre installation à l'hôtel, nous profitons du reste de la journée pour improviser une petite randonnée le long du rio Cares jusqu'à l’entrée des gorges, la où nous aurions dû en sortir.

Posada de Valdeón 



Un hórreo 
hórreos 


Un hórreo reconverti 



Sixième jour

Quittant Posada de Valdeón, nous prenons le Senda del Mercadillo le « chemin du marché », emprunté autrefois par les habitants du Valdeón, qui permet de rejoindre la Cantabrie et notre point de départ. Mais rapidement le plafond nuageux s’abaisse, le brouillard envahit l’espace et la pluie s'invite timidement. Si bien que nous devons écourter cette ultime étape pour redescendre directement dans la vallée et reprendre la route plus tôt que prévu.


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Au total nous aurons parcouru quelque 80 kilomètres pour un dénivelé d’environ 3 500 mètres. Tout au long de ce parcours, que de fleurs ! Je cite en vrac pour les connaisseurs: le Rosier des Alpes; le Géranium des Pyrénées ; l’œillet de Montpellier ; l’Hélianthème nummulaire ; le Chardon bleu ; la Germandrée des Pyrénées ; la Callune vulgaire ; l’Ancolie des Pyrénées ; des genêts en grand nombre et bien d’autres encore… En revanche nous n’avons rencontré ni le Tétra Lyre, ni le Loup, ni l’Ours (et c’est sans doute mieux ainsi !) qui sont les hôtes de ces lieux.

Par leur beauté sauvage et la diversité de leurs paysages, les Pics d’Europe, méconnus des Français, sauf des Aquitains, méritent vraiment le voyage et quel voyage pour nous, Champenois ! Pas moins de 1200 km ! Cependant nous avons pris notre temps, le temps de nous arrêter ici et là. D’abord dans les villes basques de Bayonne et Saint-Jean-de-Luz où nous avons fait étape.

A Bilbao ensuite pour l’architecture audacieuse et les collections d’art contemporain du célèbre musée Guggenheim où j’ai énormément apprécié une exposition temporaire consacrée aux paysages de David Hockney.

Le musée ’art contemporain Guggenheim à Bilbao 

Enfin des balades dans les très touristiques villages médiévaux de Santillana del Mar et de Potes en Cantabrie.

Santillana del Mar 

A propos des toponymes locaux

Peña Vieja = vieille roche

Naranjo = oranger (pourquoi avoir baptisé ce pic ainsi ? Je ne sais)

Garganta = gorges

Posada = auberge

Vega = zone de culture irriguée

Mirador del Naranjo de Bulnes à Puente Poncebos