On laisse tous un peu de notre coeur quelque part

Quand un lieu, une ambiance, un être a suscité en vous une émotion particulière, un bout de vous même restera pour toujours attaché à cet lieu ou ce moment. Moi, c'était sur un marché Hmong au Vietnam

Cet article a participé , il y a quelques années, à un concours myatlas. Suite à l'incendie sur les serveurs OVH en 2021, j'ai, comme tous les abonnés, perdu toutes les photos sur mes carnets et chroniques de voyage. J'essaye de les remettre petit à petit mais vu le nombre de voyages faits, c'est un sacré boulot ! Je suis donc heureuse aujourd'hui de repartager avec vous un de mes coups de coeur de ma vie de voyageuse

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Thème du concours : « Sélectionner un lieu, une rencontre ou une galère inoubliables ». Oups, pas facile ce défi !

A presque 60 ans et quasiment autant d’années de voyages (premier voyage en Italie à 1 mois quand même!), j’en ai plein en mémoire de ces moments fantastiques où l’émotion flirte avec le frisson, où l’on se sent parfois tout petit et d’autres fois le roi du Monde, où on aimerait que le temps se fige, où on est sûr d’avoir déjà rencontré cet homme ou cette femme dans une autre vie tant l’échange est spontané et intense…. Bref, tous ces instants magiques qui sont souvent ce qui nous pousse à voyager toujours et encore.

Lequel choisir ? Cette question me hante depuis plusieurs jours. Bel exercice que de se remémorer nos voyages pour en extraire le moment le plus intense. Étaient-ce les premiers lions vus sur une piste du Zimbabwe il y a près de 30 ans? le shoot d’adrénaline devant le grand canyon ? la sérénité ressentie en regardant passer les moines à l'aube à Luang Prabang ? ou encore la journée avec les himbas à Epupa en Namibie ?

Soudain, des couleurs, des odeurs, des rires envahissent ma tête. Je reconnais cette ambiance et je sais que c’est là que j’ai laissé une partie de mon cœur, un jour de juillet 2014.

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Juillet 2014, premier voyage sans notre fils devenu trop grand pour apprécier les vacances avec les parents. On a longuement hésité sur la destination. Ce sera finalement le Vietnam, notre première visite en Asie du sud Est. Exceptionnellement on est passé par une agence locale pour plus de facilités. Nos souhaits : Voyager seuls, fuir les zones trop touristiques et surtout faire des rencontres riches et authentiques en logeant le plus souvent possible chez les habitants. Nous voilà donc partis avec voiture, chauffeur (obligatoire à l’époque) et guide.

Dès la première semaine, on trouve ce dont on rêvait. On va passer plusieurs nuits au sein des ethnies minoritaires. "Mais de quoi elle parle la dame ?" Je m'explique : Au Vietnam, 87 % de la population est Viet. Le reste se répartit entre 53 ethnies dites minoritaires comme les Hmongs, les Daos, les Lolos…Chaque ethnie se différencie par ses tenues vestimentaires, ses coiffes, ses bijoux, son dialecte, son habitat au sol ou sur pilotis...Certaines privilégient l’élevage et d’autres les cultures. La plupart vivent dans les régions montagneuses au nord du pays.

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Aller dans le nord du Vietnam, cela se mérite. Très longues heures de routes, virages incessants, montées poussives, chaleur lourde et humide …. Mais quels paysages ! On roule dans un décor aux camaïeux de verts. Les cultures sont omniprésentes : des pieds de maïs plantés à la main jusqu’au sommet des montagnes au graphisme des rizières en terrasses. Et pour réunir le tout, des champs de chanvre...dont on verra l’usage plus tard.

 Je ne me lasse pas d'admirer les jeux de lumière dans les rizières


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Première étape à MEO VAC. On y arrive trop tardivement pour coucher chez l’habitant, donc nuit à l'hôtel pour être tôt sur place le lendemain matin pour le grand marché, un des plus beaux de la région.

Dès 8 h, on y est. Pas besoin de demander où est le marché. Il suffit de suivre les dizaines de personnes qui vont tous dans le même sens. La principale ethnie à MEO VAC est celle des Hmong. Mais attention, encore faut il savoir si ce sont les fleuris, les rouges, les verts ? Et oui chaque ethnie se subdivise en différents groupes repérables à leurs vêtements et à la coiffure des femmes. Mais aujourd’hui, c’est jour de marché et c’est une occasion pour les différents groupes de venir à la ville. Rouge, verte, bariolée, les tenues sont variées, mais par contre la bonne humeur est unanime.

 Rouge, verte, bariolée, les tenues sont variées, mais par contre la bonne humeur est unanime.

Le marché est le lieu pour vendre ses produits, ou en acheter mais c'est surtout l’occasion de retrouver copains et copines, de faire des connaissances, d’écouter les derniers potins... Venus des montagnes environnantes, beaucoup se sont levés très tôt ce matin et ont marché des heures dans des sentiers escarpés, certains ont même dormi ici, par terre, cette nuit pour vivre ces rares moments d’échanges extérieurs et de joie tranquille.

et on papote on papote

Tout se vend au marché de MEO VAC : des fruits et légumes de toutes formes et toutes couleurs, de la viande, des poissons crus ou cuits, des ustensiles en tout genre, des paniers, des animaux vivants , des choses bizarres... C’est un peu comme la foire dans nos campagnes.


Imaginez toutes ces odeurs mélangées 

Les hommes s’agglutinent autour des vendeurs de bestiaux. Les tenues masculines sont nettement moins colorées : pantalon noir, veste noire ou bleue et souvent un béret type basque.

Au marché des animaux, on trouve bien sûr des poules, des canards, des cochons, mais aussi des buffles et...des chiens. Je préfère ne pas savoir ce qu’ils vont faire de ces pauvres chiens enfermés dans des cages.



Les hommes parlementent beaucoup, à la recherche de la bonne affaire, mais, étonnamment, le ton est toujours calme. On est loin de l’exubérance des souks marocains.


Une fois les affaires faites, ils s’attablent dans des troquets de fortune installés ça et là autour du marché et ils discutent et rigolent autour de plats locaux ou de poissons grillés, accompagnés d’une bière locale ou d’un verre d’alcool de riz. Dans l’après midi on en verra beaucoup repartir en zigzagant.

 La remontée dans les villages va être dure et longue pour certains.

Les femmes, aux vêtements de couleurs éclatantes et aux coiffes parfois étonnantes, vont d’étals en étals, sans cesser pour la plupart de tisser le fil de chanvre accroché autour de leurs hanches. Le tissage est vraiment l’activité manuelle la plus répandue dans cette région. Les petites filles y sont initiées très tôt pour faire leurs vêtements et, depuis quelques années, pour en vendre aux touristes.

Que de couleurs ! 

En 2014 il y a encore assez peu de tourisme à MEO VAC. Les tour opérateurs privilégient SAPA, plus à l’ouest. Mon mari et moi sommes ainsi les seuls étrangers à nous balader dans ce marché. Personne ne fait attention à nous. Aucune interpellation, aucun regard.

Pour encore plus s’y intégrer, on se sépare, chacun partant déambuler dans ses étals de prédilections. Je suis un groupe de femmes visiblement très attirées par quelque chose à l’étage du bâtiment du marché. Mais bien sûr ! Je comprend leur empressement. On est aux étals de tissus et chez les couturières. D’un côté vous achetez votre tissu et de l’autre, des dizaines de femmes installées derrière des machines d’un autre temps (même la Singer de ma grand-mère me semblait être plus moderne), vous cousent jupes et corsages. Les essayages sont encore des occasions de discussions véhémentes entre copines, sœurs ou mères/filles, ponctuées de rires connivents.

Que je regrette de ne pas pouvoir comprendre ce qu'elles se disent ! 

Il est près de 11H et il y a foule. Il est de plus en plus difficile de circuler. Je m’assoie sur les marches de cette espèce de halle. De là, je surplombe le marché extérieur. Je suis les tractations à l’étal des paniers, regarde ma voisine, assise elle aussi, en train de tisser, admire la fillette de l’autre côté en train de savourer avec délice sa glace hebdomadaire. Et je suis… BIEN.

C’est tout à la fois étonnant et exaltant ce sentiment d’être transparente à leurs yeux. Je ne me sens plus touriste, plus intruse, plus voyeuse. Leur indifférence me laisse à penser que, pour eux, je suis aussi bien à ma place ici qu’eux. J’oublie l’appareil photo et je me laisse porter par cette ambiance bon enfant, l’esprit envahi par ce kaléidoscope de couleurs, le nez chatouillé par différentes odeurs...plus ou moins agréables je le reconnais… Soudain, une banane apparaît devant moi. C’est ma voisine la tisseuse qui me la tend. Je la remercie d’un grand sourire et m’attend à ce qu’elle cherche à engager la conversation ... en langue des signes bien sûr, vu ma maîtrise du dialecte Hmong. Et bien non, elle se lève et s’en va sans un geste. Moi qui n’aime pas trop les bananes, celle-ci avait une saveur particulière. Rien que pour ces quelques heures passées au milieu de ce marché, cela valait le coup de faire plus de 12 h d’avion et le long trajet depuis Hanoï

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La foule devient moins dense. Les enfants ont chaud et sont fatigués, tout comme leurs mères qui les portent sur le dos depuis des heures.

Ils ont chauds ces petits 

Des groupes commencent à prendre le chemin du retour chargés de victuailles en tout genre. Un jeune Hmong s’escrime à ficeler son cochon tout juste acheté sur le porte bagage de la mobylette. Le démarrage est cocasse et encouragé par tous les observateurs… Nous y compris.

Les bus repartent, les couples se reforment pour entreprendre le long trajet jusqu’à leur village, où j’en suis sûre, ce dimanche au marché de MEO VAC alimentera longtemps les conversations. Tout comme il est resté ancré dans ma tête depuis bientôt 10 ans.

On rentre après une matinée bien remplie 

Merci à l’équipe de My Atlas de m’avoir permis de revivre ce moment (2 fois donc suite à la perte des photos 😉) et surtout de le partager.