Record battu du voyage organisé six jours avant.
Du 7 au 19 septembre 2020
13 jours
Partager ce carnet de voyage
1

Bonjour ! Et bienvenue sur ce blog. Je romps la tradition en ne faisant pas d'article "préparatifs", mais ce blog se veut moins expansif, plus axé tourisme qu'expérience, un peu comme celui sur l'Oktoberfest. Une tonne de photos sera tout de même prise, des recherches sur les lieux visités seront faites et des anecdotes seront racontées ! Pour ce qui est de l'ordre chronologique, je ne sais pas encore où la narration va me mener.

• • •

Je suis donc partie de, grande surprise, l'aéroport de Barcelone. J'ai promis de faire très attention à ma santé pour éviter d'être contaminante à mon retour, mais pour l'instant, je n'ai fait face à aucune situation craignos. En tout cas, pas pire qu'en France. J'ai tout de même une paire de gants dans ma poche pour toucher les divers écrans (ça, c'est illogique, mais c'est pour protéger le personnel qui travaille). D'ailleurs, Vueling veut que ses passagers fassent tout tout seuls. Heureusement que nous sommes relativement peu.

Techniquement, je suis déjà allée au Portugal : en correspondance pour Madère. Mais ce n'est quand même pas pareil. À l'arrivée à Porto, je prends le métro pour me rendre en centre-ville. C'est un métro léger, un métram, à la fois métro qui passe sous terre à certains endroits et tram car la ligne est quand même majoritairement à l'extérieur. Il y a de "vrais" trams, très authentiques, que j'emprunterai probablement durant mon séjour.

L'hostel semble assez sympathique, il y a tout de même un peu de monde malgré le contexte et la période. Je suis accueillie par Ana et Saul (Goodman) qui au départ me parle à travers une vitre, et son masque, et j'ai du mal à le comprendre. +1 pour la communication humaine, tout ça ! Je m'installe, et je commence à visiter.

L'Igreja do Carmo, qui est en réalité composé de deux églises jumelles: la susnommée, et l'Igreja dos Carmelitas Descalços. Heureusement qu'on vénère le même ordre, sinon, ce serait embêtant. En fait, quand on dit "Carmes", on parle des hommes, et les "Carmélites" sont les femmes. Oui, ça fait du sens, quand on le dit. Entre les deux églises, on peut voir la casa escondida (la maison cachée) qui mène directement aux catacombes. Mais ce qui est le plus intéressant se trouve sur le côté: une magnifique fresque d'azulejos, les carreaux peints. Ceux-ci datent de 1912, et ont été réalisés par Silvestro Silvestri, un artiste dont je cite le nom car il est facile à retenir.

Le Miradouro da Vitória, que je découvre un peu par hasard au détour d'une ruelle descendant depuis le Centre de Photographie. C'est le premier belvédère sur Porto auquel je me rends, et qui offre une vue magnifique sur la ville qui semble être un enchevêtrement de rues et de toits empilés les uns sur les autres. On peut voir le Douro, qui est le fleuve en contrebas, le pont Dom Luis, la Sé qui ressemble à un château fort avec ses deux tours - la Sé est le nom pour dire la cathédrale, c'est un mot qui m'a beaucoup amusée tout au long de mon séjour car je le trouve mignon, le palais épiscopal (le gros bloc blanc), la rive de Vila Nova de Gaia où est produit le porto ...

La Torre dos Clérigos, qui est l'un des symboles de la ville de Porto. 76 mètres pour 240 marches étroites et sinueuses. Et je le sais, puisque je les ai montées. J'ai pris un ticket pour 19 heures car c'est ce que le vigile m'avait conseillé, mais une fois en haut, je me rends compte qu'il aurait mieux fallu prendre 19h30 pour assister au coucher du soleil. Oh, ce serait trop bête, quand même ... Je reste donc 50 minutes en haut, sans que l'on ne vienne me déloger, alors que mon groupe était déjà descendu et que le second de 19h30 était en train de monter. J'ai donc la vue pour moi toute seule pendant environ 5 minutes ... Un grand moment.

Le timelapse du soleil est dégueulasse, il m'aurait fallu un pied. Mais c'était ça ou on voyait rien. 

En contrebas, il y a une boutique qui vend des boîtes de sardines, et pas que. C'est la maison Comur, une vieille conserverie. Plutôt fun, aux couleurs châtoyantes, avec une grande roue de boîtes de sardines. J'en ai fait une vidéo au ralenti, car après tout, un ralenti de boîtes de sardines qui tournent sur une grande roue, c'est le ralenti que je ne savais pas que j'en avais besoin! En fait, il y a des boutiques Comur un peu partout au Portugal, et littéralement dans les cinq villes que j'ai visitées. Ca ne vous étonnera pas si je vous dis que c'est plus cher qu'une vulgaire boîte de sardines.

Je suis plutôt étonnée par l'architecture. Je savais qu'il y aurait des azulejos, les petites tuiles en faïence qui n'ont rien à voir avec le mot "bleu", mais j'imaginais ça assez ponctuel, réservé aux églises ou aux grandes bâtisses. Et bien pas du tout. J'ai l'impression de me promener dans un magasin de belles faïences, de toutes les formes et toutes les couleurs. Selon la lumière du soleil, elles peuvent même chatoyer. Et le soleil, parlons-en. Il fait 30 degrés mais la chaleur est très agréable. Pour l'instant, ce climat me donne envie de visiter en me laissant couler, et certainement pas au pas de course.

• • •

Le lendemain, je rejoins un walking tour de Porto Walkers pour visiter toute la partie basse de la ville. Nous avons rendez-vous sur la place de l'Hôtel de Ville, endroit qui se nomme Aliados. Le grand groupe est séparé en deux, je me dirige vers l'un des guides, mais je repère très vite que l'autre a l'air bien plus drôle et charismatique ... Aussi, j'opère discrètement le changement, pour me retrouver donc avec Nuno de son petit nom.

C'est l'heure du petit cours d'histoire, pour comprendre la chronologie, et suivre plus ou moins les petits dramas du Royaume du Portugal! En tout cas, on va surtout se centrer sur l'histoire de Porto, et Lisbonne et Evora complèteront.

Tout d'abord, commençons au début: les terres qui deviendront dans le futur portugaises sont peuplées de Celtes, puis de Grecs, Phéniciens, Carthaginois ... Et des Lusitaniens, dont on se souvient si on a bien révisé ses Astérix. Et puis, les Romains. Et puis, les Barbares, comme partout. Mais aussi les Maures, au Sud. Bien évidemment, deux peuples sur un territoire si proche avec deux religions différentes, cela donne des envies de conquêtes. Alphonse VI, roi de Castille et Leon, conquiert Tolède grâce à Henri de Bourgogne, qui épouse sa fille, et reçoit en cadeau le comté Portucalense. Ce nom vient d'une ville nommée Cale, d'un côté du Douro, et d'une autre nommée Portus, de l'autre côté. Aujourd'hui, les noms sont devenus Gaia et ... Porto, qui veut dire "port". On voit souvent l'orthographe "Oporto", qui vient en fait de Ou-porto, signifiant "LE" port.

Henri et Teresa ont un fils, Alfonso, qui est handicapé: il ne se tient pas bien sur ses jambes. C'est embêtant, pour un futur comte. L'année de ses six ans, un homme venu de nulle part débarque, et proclame qu'il peut guérir l'enfant, à condition de le lui laisser jusqu'à ses 16 ans, qu'il s'entraîne dur. Ses parents acceptent, après tout le futur vassal du roi de Castille et Leon doit donner le change, ça ferait mauvais effet. Dix ans plus tard, le voici revenu à la cour, tenant droit sur ses jambes! Et revendicatif. Il chasse sa mère, peut être l'a-t-il tuée, les versions divergent, et part à la conquête du reste du territoire. En 1143, de ce fait, il se proclame roi du Portugal, indépendant du reste de sa famille. On raconte que l'homme qui l'a entraîné est allé comparaître devant le roi de Castille et Leon pour demander son pardon, d'avoir transformé Alfonso en un démon, mais par pardon, j'entends demander son exécution ainsi que celle de ses deux fils, car pourquoi pas. Là aussi les versions divergent: parfois ils meurent, parfois ils sont graciés, tout dépend de comment on veut voir ce roi là.

Nous commençons notre passionnante visite de la ville par la gare de Sao Bento, qui renferme une très belle collection d'azulejos qui dépeignent des scènes de batailles importantes pour le Portugal. Nous apprenons que la ville était au cours de son histoire un cadeau pour le Vatican, même le roi restait en dehors des murs, et seul le Clergé restait à l'intérieur, dans toutes les églises et couvents possibles et inimaginables. Les nonnes ne quittaient jamais la ville non plus, ni leur couvent, sauf à leur mort. Sao Bento n'échappait pas à la règle. Le projet de le transformer en gare se profilait, mais une nonne subsistait, et n'allait pas laisser faire les entrepreneurs. Ils ont tout simplement attendu qu'elle meure avant de commencer les travaux ...

Nous montons notre première pente de la journée pour passer devant l'Igreja de Santo Ildefonso (Santo et pas Sao car il était espagnol) et nous arrivons au square Batalha. Les Portuenses se font un honneur de rappeler que le surnom de leur ville est Invictus (l'invaincue), depuis le siège qu'ils ont tenu contre l'armée castillane au 14e siècle. Et bien ... ce n'est pas tout à fait vrai, car ce square commémore la bataille des habitants contre les Maures, qui les ont envahis. Mais bon, c'était avant, ça ne compte pas.

Nous voici maintenant au cloître de Santa Clara, qui est malheureusement fermé pour rénovation, alors que l'intérieur semble paré d'or sur tous les murs. Nuno nous rappelle, à grands renforts de théâtralité, que les nonnes étaient souvent des femmes qui ne voulaient pas d'un mariage arrangé, et préféraient s'enfermer et/ou faire voeu de silence plutôt que de vivre une vie malheureuse.

Nous arrivons au niveau du pont le plus connu de Porto, le pont Dom Luis. Il était de tradition de nommer les ponts en fonction des dirigeants de la ville, sans le titre de noblesse (comme le pont Maria Pia). Mais ce Luis était si pédant qu'ils ont préféré garder son titre dans le nom, plutôt que de se sentir proches de lui. Il a été réalisé en 1886 par Théophile Seyrig, disciple de Gustave Eiffel. On retient très souvent le nom de ce dernier pour le pont, ce qui est plutôt injuste, car il avait refusé de le faire, et Théophile Seyrig a réalisé une véritable oeuvre car c'était la plus grande structure métallique du monde, à la fin de sa réalisation. Mais Eiffel, un peu blasé du succès de son élève, a commencé à faire les plans de sa Tour. Projet que la ville de Porto a refusé, il est donc allé chez le plus offrant, à savoir Paris. Oups.

Nous débouchons sur la place de la , imposante dans sa structure, comme un grand château fort. Elle date du 12e siècle, mais sa forme actuelle est celle qui a été réembellie par Salazar. Ainsi que l'ancien pilori. Bon, je ne suis pas allée visiter l'intérieur, tout comme le palais épiscopal. En fait, j'ai sélectionné certains monuments à visiter, car après tout j'en ai déjà vu beaucoup. Et Nuno dit que le palais ne vaut pas vraiment la peine d'être visité.

Je dois vous dire, si vous ne l'avez pas constaté de vous mêmes sur les photos, que Porto est une ville avec un sacré dénivelé. Comme la plupart du Portugal semble-t-il - mais rien ne me fait peur après Mafate. Nous descendons donc depuis la Sé dans les rues les plus instagramables qu'on puisse trouver ici. C'est le quartier du Barredo. Les maisons sont si proches qu'elles sembleraient presque se chevaucher.

Nous débouchons sur la Ribeira, pour cette fois ci voir le pont Dom Luis depuis en-dessous, c'est tout aussi impressionnant. Nous disons au revoir à Nuno, lui donnons un peu d'argent et le remercions pour cette visite animée.

Après une remontée musclée - 100 mètres de dénivelé positif apparemment ! - je me repose un peu à l'hostel, comme je peux pour tenir le coup, et je repars pour 30 minutes de marche jusqu'à l'atelier où je vais peindre des azulejos ! Sur le chemin, je passe devant la Capelas de los Almas pour me mettre dans l'ambiance, je descends la rue Santa Catarina, l'axe commerçant de Porto qui à mes yeux n'a rien d'extraordinaire, et je passe prendre une photo du Majestic Café. Autant JK Rowling la terf a démenti l'inspiration de la Livraria Lello, autant elle ne peut renier le Café Majestic où elle passait le plus clair de son temps. Maintenant, ce n'est qu'un café, certes beau, mais cher.

Me voici enfin arrivée à l'atelier Gazete d'Alba et Marisa, qui financent leur projet de recenser et conserver toutes les tuiles différentes d'azulejos de Porto en proposant ces séances. Elles sont souvent bleues, et ce n'est ... pas pour ça qu'elles se nomment de la sorte. Le nom vient d'al zulaydj, mot arabe signifiant "petite pierre polie". On les trouve aussi en Andalousie, depuis 1500, notamment à Séville. Donc, ils peuvent être de toutes les couleurs, et même en trois dimensions. Aujourd'hui, nous allons peindre deux petits carreaux, avec des pochoirs et les couleurs qu'on veut. Il faut sécher la peinture car sinon ça bave, mais en garder quand même assez pour ne pas que ce soit trop sec. Il faut essayer de passer un seul coup de pinceau, mais parfois ce n'est pas évident. Marisa a mis une espèce de poudre sur le carreau pour pouvoir fixer la peinture. Nous sommes quatre (francophones) pour cet atelier, qui dure deux heures, deux heures de concentration! Je suis plutôt contente du résultat, et je me dis que j'aurais finalement bien aimé les garder en violet, car la peinture va virer au bleu par la suite.

• • •

Le lendemain, je descends de ma colline pour aller visiter le Palacio da Bolsa, qui a été construit au 19e siècle pour accueillir la première association commerciale de la ville de Porto. Et on peut dire qu'elle était riche, car ils n'ont pas lésiné sur le bling-bling de l'époque! Les salles sont luxueuses, nous débutons par la salle du restaurant où sont représentés les immenses blasons des pays commerçants avec le Portugal. Le carrelage est inspiré de Pompéi. Ensuite, nous montons à l'étage par un escalier qui a mis 40 ans à être sculpté, et au plafond pendent les lustres qui peuvent être descendus grâce à des systèmes de poulies, très pratique pour les nettoyer. Mais l'argent n'est pas inépuisable, donc certaines pièces paraissent luxueuses, mais elles sont en fait réalisées en stuc et peintes pour imiter le marbre, le bois ... pour en mettre plein la vue. En revanche, le salon arabe est intéressant, bien que les écritures qui parsèment les murs ne veuillent rien dire, la calligraphie n'est là que pour le style. Si, certaines proclament "gloire à la reine Maria". En tout cas, c'est très joli et original. La visite guidée s'achève, la guide n'était pas exceptionnelle cela dit. Je passe devant l'église Sao Francisco, malheureusement je n'ai pas le temps de la visiter. J'aurais probablement dû.

J'ai le temps de faire un petit tour dans les rues, notamment pour admirer le marché Ferreira Borges, et la Rua da Reboleira, avant le prendre le tramway pour aller faire un tour au bord de la mer, dans le quartier de Foz do Douro. Arrivée là bas, ce n'est pas si extraordinaire. Il y a une chapelle-phare, toute petite, qu'on manquerait facilement si on ne le savait pas. La plage sent l'algue ... Bon, je cherche un restaurant, il y en a mais ils ne me disent rien. Je choisis finalement de faire une promenade au bord de la mer et de repartir en ville pour manger.

Je passe ensuite au marché du Bolhao, l'original est en travaux donc il est temporairement à côté d'un centre commercial. Je suppose qu'il est plus attractif d'habitude ...

Puis, un dernier tour en tramway, pour remonter jusqu'à la Torre dos Clérigos. C'est assez jouissif de ne pas avoir à monter les pentes, surtout quand on est vraiment fatiguée.

Et maintenant, le clou du spectacle: la Livraria Lello. Considérée comme l'une des plus belles librairies du monde (la maison enlève "l'une des" sans scrupules), il faut faire une heure de queue pour pouvoir rentrer dedans. Heureusement, je peux parler avec un gars dans la file d'attente. Pendant plusieurs années, tout la rumeur circulait que JK Rowling s'en était inspirée pour écrire Harry Potter. Elle a démenti il y a peu, mais tout le monde s'y presse quand même car elle vaut le coup d'oeil, et ils ont fixé le prix d'entrée à 5 euros, déductibles du prix d'un livre. C'est vrai que l'intérieur est pour le moins ... magique. Mais on se croirait plus dans la Belle et la Bête (en plus petit) qu'à Poudlard.

• • •

J'ai goûté mes premières spécialités portugaises. Bien sûr les pastels de nata, qu'on ne présente plus. Mais aussi les beignets de bacalhau (morue), du cochon de lait (je ne m'attendais pas à ce genre de goût, j'ai trouvé ça un peu écoeurant), et bien entendu le plat emblématique de Porto, la Francesinha. C'est une sorte de croque-monsieur avec dedans du jambon, du steak, de la saucisse, du fromage, un oeuf par dessus, et de la sauce qui a un peu un goût de poisson. Et des frites. Je m'étais réservée toute la journée pour en manger!

• • •

J'ai vraiment beaucoup apprécié Porto. J'écris ce blog avec un peu de recul, alors c'est facile de faire des comparaisons avec le reste de mon voyage, mais la ville est assez exceptionnelle de par ses rues étroites et pentues, ses façades d'azulejos, ses balcons en fer, elle semble encore plus tortueuse que Lisbonne. Esthétiquement, j'ai une légère préférence pour Porto, mais Lisbonne a de sacrés atouts aussi. On en parlera plus tard!

2

C'est le moment de bouger ! Un peu triste d'avoir quitté les copains de l'hostel, je me réveille à 7 heures en ayant fait une nuit relativement correcte. Je pars, je prends le métro jusqu'au terminal de bus, me prend un coup de flippe en cherchant la plateforme 16 alors que ça va jusqu'à 15 et que 16 est le numéro de la ligne, mais je finis par trouver en demandant. J'ai quand même un sacré coup de barre dans le bus, mais il va falloir tenir. En attendant, saviez-vous que Porto est entourée d'eucalyptus ? Je trouve ça assez étonnant. Nous empruntons une autoroute vide de chez vide, c'est assez étrange, et le paysage qui défile n'est pas très emballant. Il le devient un peu plus quand nous arrivons aux alentours de Nazaré. Je réfléchis à ce que je vais faire, j'ai quatre heures devant moi avant le check in. Je peux aller finir ma nuit sur la plage ! Monter aux miradors pour voir la vue exceptionnelle ! Oui, sauf que ... Dès l'entrée dans la ville, une lourde chappe de brume empêche de voir à 50 mètres. Alors ça, c'est pour le moins embêtant. Je croise les doigts pour qu'elle finisse par s'en aller. Cette situation crée une ambiance extrêmement particulière : il fait chaud et froid en même temps. Mais vraiment, en même temps ! Je peux sentir les UVs du soleil qui réchauffent ma peau tels un micro-ondes, et en même temps l'humidité piquante et le fond froid de la brume. Les gens se promènent sur le front de mer comme si tout était normal, et il y a même une bonne dizaine de parasols courageux sur la plage. Quant à l'océan, il est bien là quelque part, mais pour l'instant invisible. Sans parler du Sitió de Nazaré, une grande falaise qui surplombe la ville. Ne me dites pas que je vais en partir en disant "il paraît qu'il y avait une falaise mais je l'ai jamais vue"?

Heureusement, après la pause déjeuner, l'espoir revient. La fameuse falaise commence à être visible, la chappe se retire donc petit à petit. Vu d'en haut, ça doit faire bizarre, ce brouillard qui grignotte la ville alors que l'Est est dégagé.

Nazaré est, à la base, un petit village de pêcheurs. Et la tradition ne semble pas s'être perdue, car de nombreux restaurants émanent des odeurs de poisson grillé, qui parfument les rues. Ces rues, parlons-en, car il faut quand même savoir que Nazaré est sale. Je ne sais pas si c'est dû à la forme et l'agencement des pavés, difficiles à nettoyer, mais il y a beaucoup de crottes par terre. Ah, et aussi des gens qui toussent, dont je m'éloigne non pas de deux mais d'au moins cinq mètres. Même des petites mamies portugaises vêtues de noir.

L'heure du check in arrive, et l'heure de ma sieste aussi. Et vers 17 heures, la brume a enfin pris ses cliques et ses claques ! Je fais une tentative de plage qui s'avère infructueuse, car l'eau est froide, le fond de l'air aussi. Mais c'est un très bel endroit.

Alors, je préfère monter tout en haut du Sitió grâce au funiculaire. La montée est raide, très raide. Mais le petit wagon grimpe, dans un timing parfait avec celui qui descend, et heureusement car les rails ne se divisent en deux qu'à un seul endroit, où ils peuvent se croiser.

D'en haut, la vue est magistrale. C'est beaucoup plus calme qu'en bas, c'est quand même étonnant d'avoir une ville divisée en deux comme ça. Sur la place, de vieilles dames tiennent de petits étals de fruits secs. Je descends en direction du phare, mais il semble bien bas, et la pente raide. Mais d'ici, j'ai tout de même un point de vue sympathique sur la Praia do Norte, là où l'on peut voir les vagues de 20 mètres de haut. Qui ne sont pas au rendez-vous. C'est normal, la saison est plutôt octobre. Elles se forment du fait d'un canyon sous-marin de 5 kilomètres de profondeur, au large des côtes.

L'horizon est encore un peu brumeux, mais le coucher du soleil est tout de même superbe. Je dîne dans un restaurant qui surplombe la ville, et je redescends ... Mais les escaliers glissent. Je préfère donc enlever mes chaussures et finir en chaussettes plutôt qu'avec une jambe cassée !

• • •

Aujourd'hui, c'est mini road trip avec la voiture de location ! Je vais la chercher au Sitió, et je m'attaque à la montée à pied cette fois-ci. Elle n'est pas si terrible, finalement !

La voiture récupérée, je me dirige vers le Sud, pour me rendre dans la petite ville médiévale d'Óbidos, à 25km de là. C'est le roi Denis 1e qui l'a offerte à son épouse, Isabelle d'Aragon, au 13e siècle. C'est alors devenu la "maison des reines" qui au fil du temps, l'enrichirent et l'embellirent. La ville servait de dot.

On peut monter sur les remparts, et faire plus ou moins le tour de la ville, depuis les hauteurs. Il n'y a pas de barrières, il faut être vigilant. Le chemin de ronde mène jusqu'au donjon du Castilo, d'où on descend ensuite pour arriver sur la place du marché médiéval. Les étals sont vides, mais il y a quelques intervenants qui font du tir à l'arc et tannent le cuir.

Les maisons sont très bien entretenues, et la ville se pare des couleurs de l'arc-en-ciel, de par ses bandes colorées mais aussi des intenses bougainvilliers qui ponctuent de vert, rouge et violet les murs d'un blanc éclatant. La spécialité d'Óbidos est la ginjinha, mais aussi le chocolat, en l'honneur duquel se tient un Festival, durant lequel sont créées des sculptures.

J'ai un programme assez chargé aujourd'hui, je reprends donc la route pour m'enfoncer dans les terres, en empruntant de petites routes de campagne et en traversant de petits villages tranquilles. C'est un sacré bout de chemin pour arriver jusqu'au Convento de Cristo à Tomar.

C'est un magnifique château, érigé pendant la Reconquista, qui avait accueilli d'abord les Templiers, puis l'Ordre du Christ lorsqu'ils furent dissous. Mais ce dernier ordre en est en fait un prolongement. Le roi Manuel 1e, riche de l'or et de l'argent des Grandes Découvertes, l'embellit par la suite par ce style qui mélange gothique flamboyant et inspirations mauresques, qu'on appelle style manuélin. Il est reconnaissable par la profusion de détails sur chaque pilier, chaque arche, chaque colonne. On trouve dans le Convento une magnifique rotonde, la Charola qui date du 12e siècle, inspirée du Temple de Jerusalem.

Ce magnifique monument n'est visitable que pendant trente minutes - cause covid - mais il y a peu de monde et personne pour vérifier. Le seul point noir est que j'aurais eu le droit de le visiter gratuitement, étant au chômage, mais le gars de l'accueil a refusé alors que c'était marqué sur le panneau, prétextant que "ça devait être un vieux panneau".

Sur le chemin, je m'arrête rapidement à Fátima, l'équivalent de Lourdes au Portugal car la Vierge y serait apparue à trois bergers. C'est assez ironique qu'avec un nom pareil, ce soit un lieu de pélerinage catholique. C'est l'un des parvis les plus grands du monde, et il y a des processions au flambeau à 21h30 tous les soirs. J'aime bien l'architecture de la basilique, et sa tour élancée, qui me rappelle dans sa forme les petites statues de Vierge.

Prochain stop: le monastère de Batalha, érigé en l'honneur de la victoire de Dom Joao qui a vaincu les Espagnols à Aljubarrota, et a consacré le lieu à la Vierge Marie pour la remercier. Son nom complet est d'ailleurs Santa Maria da Victoria. Il a permis de consolider la dynastie des Avis au pouvoir, et pas de n'importe quelle manière: Dom Joao, fin stratège, est parvenu à garder le Portugal indépendant grâce à 6 500 soldats ... Contre 30 000 dans les rangs adverses! C'est un monastère dominicain. On y trouve les tombes de Joao 1e devenu Roi du Portugal et de son épouse Philippa de Lancaster, et de leur fils Henri le Navigateur, dont nous parlerons plus tard. Il y a aussi la tombe du soldat inconnu portugais, gardé par des militaires.

C'est une de mes visites préférées, je trouve que de l'extérieur il ressemble à un Flamby géant, mais en plus de cela il est plutôt original. Notamment les chapelles imparfaites, qui n'ont jamais été terminées et qui laissent donc toute une partie de l'édifice à ciel ouvert! Et cette fois-ci, l'attestation de chômage est acceptée, génial!

La dernière étape est donc Alcobaça, parce que j'en ai le temps, parce qu'il sera gratuit pour moi et parce que ce serait bête de n'en avoir fait que deux sur trois. Mais au final, c'est celui qui est le moins extraordinaire. Il appartient aux Cisterciens et a été fondé par le premier roi du Portugal, Alfonso Henrique l'ancien handicapé. Il abrite les tombes de Don Pedro et Inès de Castro, les amants les plus connus du Portugal.

Inès était la femme de chambre de Donna Constança Manuel, femme du prince Dom Pedro. Ils se rencontraient en cachette, mais à la mort de sa femme légitime, Pedro est allé vivre avec Inès au grand dam de son père Alfonso IV et de tout le monde. Ils vécurent isolés à côté de Coimbra avec leurs trois enfants, jusqu'à ce que le Roi fasse assassiner Inès sous pression de sa cour. Fou de douleur, Pedro mena alors une révolte véhémente contre son père. Il prit finalement le pouvoir et fit arracher le coeur des meurtriers d'Inès. Il fit construire leurs tombeaux face à face à Alcobaça, et la sacra Reine du Portugal à titre posthume.

J'arrive juste à temps pour rendre la voiture et ne pas avoir à revenir le lendemain. Et je finis ma journée plus rude que prévue à la plage. Cette fois-ci je n'ai pas trop de souci pour entrer dans l'eau. Mais l'eau a un souci avec moi, car quand bien même les vagues ne sont pas hautes, il y en a soudain une qui menace de déferler sur ma tête ... Et fort. Réflexe en cas d'agression par une vague : mettre la tête sous l'eau ! Je suis bonne pour me relaver les cheveux mais au moins je ne me suis pas noyée. Ah, l'océan et ses pièges ! J'ai un peu de mal à quitter l'eau car finalement elle est bonne quand on est dedans. Le soleil commence à rougeoyer à l'horizon, et cette fois-ci il n'y a pas de brume du tout. C'est splendide !

• • •

Les spécialités: de la caldeira de peixe, une espèce de bouillabaisse, avec du poisson bien frais car venant du marché, dans un petit restaurant juste en face qui ne paye vraiment pas de mine. Des palourdes que je n'ai pas prises en photo, cuisinées avec de l'huile et de l'ail. Mais aussi du sucré: du salame, une espèce de saucisson au chocolat, qui est en fait un gâteau sec, la ginjinha d'Óbidos qui est une délicieuse liqueur de cerise servie dans une petite coupe de chocolat, un Mon Chéri en bien meilleur, et pour finir une bola de Berlim, un petit beignet dont la recette vient vraiment de Berlin mais qui est très aimée au Portugal. Ah, et de la "Bacalhau Espiritual" surgelée, pour se faire le soir.

• • •

Nazaré, malgré sa crasse, a été une bonne surprise. C'est une petite station balnéaire tout à fait charmante, originale de par son Sitió, et la plage est agréable. J'ai eu peur de m'ennuyer un peu, mais finalement c'était une parenthèse salvatrice entre Porto et Lisbonne.

3

Wouh! On part pour la capitale ! De nouvelles aventures m'attendent !

J'arrive à la gare d'Oriente vers 12h30, et prends le métro jusqu'à Cais do Sodré, pour déposer ma valise à l'hostel. L'hostel qui dispose d'un rooftop et d'une piscine face au Tage, et qui est construit dans la gare. Et juste à côté du terminal de ferry. Et sur un terrain plat, ce qui a son importance par la suite. Et aussi ... Juste en face du Time Out Market, un food court avec des cuisiniers bon marché parmi les meilleurs de Lisbonne. Il y a de tout: du portugais, du thai, des burgers, des pâtisseries ... Et pour avoir comparé les prix avec les restaurants, c'est loin d'être cher. C'est juste au prix qu'il faut, en moyenne 10 euros pour un plat. C'est ça, le paradis ?

En attendant de pouvoir m'installer à 16 heures, je vais faire un tour sur la Praça do Comércio, l'endroit où au moment des Grandes Découvertes, les marchandises étaient débarquées et vendues. Il faut dire que la place donne directement sur le fleuve, ce qui devait être fort pratique à l'époque. Il y a un concert en plein air au coeur de ce grand espace. Ça me rappelle Madrid, mais en jaune. Je passe ensuite sous l'arc de triomphe pour rejoindre la rue Augusta, et visite Baixa, la ville basse. Et plate. Je tombe sur la rue Santa Justa et son ascenseur du même nom qui se dresse de toute sa hauteur jusqu'au quartier du Chiado.

Lisbonne, ville aux couleurs pastels. 

Je passe ensuite par la rue Garrett, artère du Chiado, pour faire connaissance avec les pentes lisboètes. En chemin, je tombe sur quelques curiosités de la ville, comme cet ascenseur rococo au 4e étage d'un Benetton, ou encore d'autres belles boutiques cossues comme la parfumerie au numéro 50. Mais aussi, la toute petite ganterie Ulysses, d'à peine 3 mètres carrés! Le secret, c'est qu'il y a un long couloir étroit qui tient lieu d'arrière boutique. En redescendant, je peux voir la Pink Street, rue dédiée aux bars qui n'est cependant pas la seule à suivre le thème d'une couleur.

La toute petite boutique Ulysses.

Et puis, à 16 heures, il est temps de profiter de la piscine et de rencontrer des gens.

• • •

Direction Belém pour des visites totalement gratuites, car moi la chômeuse assistée et déchet de la société, je ne paye pas les monuments nationaux, parce que pour simplifier, le Portugal est un pays de gauche. Après des files d'attente en plein soleil, j'ai donc accès à :

La Tour de Belém, construite par Manuel 1e. Elle se dressait en plein milieu du Tage, à l'époque de sa construction, et elle servait à défendre Lisbonne. D'où la présence des canons. Son sous-sol servait de prison, qui était régulièrement inondée. L'ensemble du bâtiment figure la proue d'une caravelle.

Le Padrão dos Descobrimentos (Monument des Découvertes), ensemble de statues imposantes construit sous Salazar mais extrêmement stylé. Il représente entre autres Vasco de Gama, Magellan, Luís Camões entre autres, avec à leur tête le fameux Henri le Navigateur. C'est en fait de ce point précis qu'est parti Vasco de Gama pour les Indes en 1497! Lui au moins, il les a vraiment trouvées. Comme il y a du monde sur ce pilier (il y en a des deux côtés), les Lisboètes anti-salazar le surnomment "Poussez pas derrière!".

Petit point sur Henri: c'est donc le fils de João 1e d'Avis, celui qui a pris une bonne partie du Portugal aux Maures. Il est à l'origine du budget pour les Grandes Découvertes (en plus de Manuel 1e), lui-même n'ayant en fait jamais mis le pied sur un bateau. Il a été gouverneur de l'Algarve et de l'Ordre du Christ (au couvent de Tomar, donc). Mais aussi, c'est le premier prince de cette époque qui est ouvertement gay! Il n'a pas laissé de descendance.

Le musée d'archéologie, que je n'aurais pas visité si je n'avais pas pu avoir de billet gratuit, mais comme c'était compris dans le tarif ... En revanche, j'aurais dû demander un billet combiné dès la Tour de Belém, cela m'aurait évité 30 minutes d'attente en plein soleil. Ce musée possède des pièces égyptiennes intéressantes, et surtout des bijoux en or - interdit de les prendre en photo. Il y a aussi une exposition temporaire sur les Emirats Arabes Unis, et une salle avec des réflexions sur les religions antiques, et comment elles ont mené au catholicisme.

Le Monastère des Hiéronymites et son église, certainement le plus beau monument de Lisbonne. Manuel 1e arrive au pouvoir en 1495, c'est le cousin du roi João II qui vient de mourir. Il fait débuter la construction du monastère en 1502, et le finance avec l'argent des épices et l'or du Brésil: il faut 100 ans pour le terminer! Et au fil du temps, des annexes ont été rajoutées, comme des cloîtres, des portails abondants en décorations manuélines ... Beaucoup de scènes, de personnages, d'armoiries et de bateaux sont représentés, sur chaque arche, chaque pilier. Ce monastère est aussi un acte diplomatique, car l'ordre de Saint Jérôme est espagnol. Manuel tend ainsi la main vers les rois castillans dans l'espoir d'épouser l'héritière. L'église abrite les tombes de Manuel 1e, João III, leurs épouses, Vasco de Gama et Luís Camões, rien que ça!

Retour vers le centre de Lisbonne et la piscine, pour se délasser les jambes dans l'eau.

Ensuite, je vais faire un tour dans le Bairro Alto, de jour cette fois-ci. Littéralement, le "quartier haut", rempli de bars et de restaurants. Il se mérite car la montée est rude. C'est un endroit plus populaire que le Chiado, qui fait un peu plus bourgeois. D'habitude les riches vivent dans les hauteurs. Ici, c'est l'inverse, mais n'importe quels mollets comprendront pourquoi. Cette ville n'est pas faite pour les gens qui ont un mauvais cardio.

 Miradouro da Gloria
 Ascensor da Bica

Puis, comme j'ai un peu de temps avant le coucher du soleil, j'en profite pour prendre le ferry, traverser le Tage et me retrouver à Cacilhas, où se trouvent d'anciennes usines de conserverie. Maintenant, les bâtiments sont désaffectés, mais envahis par le street art, les chats et les passionnés d'urbex et de photo. Autant dire que c'est tout ce que j'aime ! Beaucoup de gens viennent se promener sur ce quai, la Rua do Ginjal, et il y a de quoi: la vue sur la Mer de Paille, Lisbonne en face, et sur le pont du 25 Avril est magnifique. Au coucher du soleil, la lumière dorée sublime les peintures colorées et les flots tranquilles du fleuve. Il y a sur la route un restaurant presque les pieds dans l'eau, qui est plébiscité, et on comprend pourquoi. Je passe devant l'Elevator de la Boca do Vento, malheureusement fermé pour cause de covid, et mes pas me mènent jusqu'à la Quinta da Arealva, une usine encore plus grande. On a accès à plusieurs pièces et étages, mes chaussures crissent sur les débris, le fait d'être seule alimente la petite poussée d'adrénaline de l'exploration.

Cacilhas est habitée depuis l'époque des Phéniciens. C'est depuis l'époque romaine que la ville devient déjà un centre de transformation des produits de la mer! Son apogée est au Moyen Age, en plus les bateaux peuvent circuler sans attendre la marée haute. Des tanneries et des usines de textile s'y développent aussi. Cacilhas est un centre dynamique jusqu'à la construction du pont du 25 avril, qui favorise alors le transport routier. Les entrepôts ferment les uns après les autres, mais sont réhabilités en 1994, la ville créant un parc et l'elevador, pour y dynamiser le tourisme. Et ça marche!

Une fois ma visite terminée, j'emprunte un chemin qui me mène à une grille fermée par un cadenas. Zut, je n'ai aucune envie de faire demi-tour et c'est bien trop haut pour escalader ... Par contre, il y a un trou en forme de carré qui semble assez grand pour passer. Je teste d'abord mes hanches: ça passe sans souci, mais je risque de me faire mal en essayant de passer mes épaules plus larges, et de me prendre la barre dans le menton. Changement de stratégie : le buste face au ciel, je passe mes bras levés, puis mes épaules, j'agrippe les barreaux, je me hisse pour m'asseoir et faire passer mes hanches, je relève mes pieds, et voilà je suis de l'autre côté. Wahou ! J'aurais jamais cru y arriver aussi facilement. Je suis fière de moi. Je vais pouvoir aller profiter du coucher du soleil.

• • •

(Je regroupe Lisbonne en un seul article, pour en faire un spécialement sur Sintra que j'ai visité le lundi. Je parle là de ma journée du mardi, ce n'est donc pas chronologique)

Départ pour le walking tour qui va m'emmener dans les ruelles d'Alfama, le plus vieux quartier de Lisbonne. J'ai opté pour un free walking-tour avec Live History, car les détails et anecdotes dont je suis friande vont abonder. Je suis avec un couple d'Allemands, donc nous sommes peu, avec notre guide Rodrigo. C'est optimal. Allez, on est partis pour un gros morceau d'histoire de la ville!

Allis Ubbo est habitée depuis l'époque des Phéniciens, qui y avaient établi un comptoir. Dans l'Antiquité, Homère en fait une ville habitée par des hommes-serpents géants, dirigés par une reine, qui tombe évidemment amoureuse d'Ulysse comme tout le monde. Et comme à son habitude, Ulysse l'éconduit, elle le chasse avec sa queue géante, créant les sept collines de Lisbonne. Elle n'a cependant rien à voir avec le tremblement de terre de 1755, qui détruisit une grande partie des bâtiments de la ville et mit à mal la civilisation portugaise.

Nous commençons notre visite sur la place du Rossio, construite sous Manuel 1e, avec les pavés glissants caractéristiques du Portugal (notamment car ils ne sont pas de la meilleure qualité, sont vieux et polis par le temps). Mais sous les pavés, l'histoire. Manuel 1e aimait beaucoup les animaux exotiques, et aimait montrer son pouvoir en les exhibant. Un jour, un calife lui offrit un éléphant, et un explorateur lui ramena un rhinocéros. Manuel 1e avait entendu dire que l'éléphant et le rhinocéros étaient ennemis par nature, et ayant fait du premier son animal fétiche, il décida d'organiser un combat en comptant sur la victoire de l'éléphant pour asseoir son autorité grâce au symbolisme. Mais tout ne s'est pas passé comme prévu: face à face, les deux animaux s'ignorèrent. Pourtant, Manuel 1e tenait à son combat, il les emmena donc sur la place du Rossio, face à la foule exultante. Et un éléphant, quand il y a du bruit, ça a peur ... Il est donc retourné en courant aux étables, fuyant l'affrontement. Panique pour Manuel 1e: cela signifiait que lui-même était un lâche! Mais il réagit de la plus intelligente des manières: il décida que dorénavant, le rhinocéros, gagnant, serait son animal totem. Il fut emmené partout, dans tout le Portugal, mais régulièrement couvert de boue en passant dans les rues. Donc, pour que ce rhinocéros soit toujours impeccable, Manuel fit paver les rues.

La gare du Rossio et la plus vieille Bacalhoaria 

L'Eglise de São Domingos est particulière pour plusieurs raisons: d'abord, elle a survécu aux incendies, et au tremblement de terre, d'où son design intérieur si particulier. Mais elle a été aussi le théâtre d'une Inquisition féroce envers les Juifs, et notamment d'un massacre en 1506, pendant que Manuel 1e était hors des murs. Tout est parti d'un rai de lumière sur la figure d'une statue de Jésus: tout les chrétiens criaient au miracle. Mais un Juif a osé dire que ce n'était pas tant un miracle que ça, faut pas déconner quand même ... Le prêtre en charge de l'église le fit tuer, et prit d'une folie meurtrière, il dit à tous ses paroissiens que quiconque tuerait un Juif serait pardonné devant l'Eternel. Manuel revient trois jours plus tard, et très en colère, fit destituer et tuer le prêtre, car il était contre l'Inquisition et tout ce qui y touchait. Un humaniste, ce Manuel? Peut-être un peu, mais la raison principale était commerciale: les Juifs avaient de l'argent, et on ne tue pas sa poule aux oeufs d'or!

La place Martim Moniz est la porte d'entrée des quartiers de l'Alfama, mais aussi de la Mouraria (le quartier arabe) et de Soccoro (arabe/chinois). Mouraria est un mot qui vient de "maure", et c'est un quartier très ancien de la ville qui était multiculturelle dès le Moyen Age. Rare, pour l'époque. Des immigrés venaient même de pays sans aucune connexion avec le Portugal, ni alliés ni colonisés, comme les Chinois. Le Portugal reste un pays très accueillant pour tout le monde, d'ailleurs il n'y a pas de vrai parti de droite (par contre, il y en a un d'extrême droite). Le parti communiste est assez puissant, il peut utiliser la faucille et le marteau sans que cela ne choque, et les gens n'hésitent pas à dire qu'ils sont communistes. Par contre, ils sont vraiment communistes: ils soutiennent la Corée du Nord ... A l'inverse, il y a encore des gens qui soutiennent Salazar et qui sont nostalgiques de la dictature. Ce sont ceux qui n'ont pas beaucoup été impactés sous le régime, et qui ont tendance à dire que les abus n'ont jamais existé, ou qu'ils n'étaient pas si graves. Salazar a d'ailleurs été élu personnalité préférée du 20e siècle des Portugais. Face à l'équivalent portugais de Schindler, d'un footballeur très connu ... Tout simplement parce que ses partisans ont voté pour lui, et les autres se fichaient un peu de ce sondage, comme la politique en France, quoi.

Nous entrons dans la bien nommée Sé Patriarcale, pour voir d'intéressants azulejos: notamment celui de Saint Antoine de Padoue qui prêche aux poissons. C'était quoi, son problème, il était schizophrène? Non, en fait il critiquait les poissons en les traitant d'égoïstes, mais bien entendu ses critiques s'adressaient aux classes dominantes de la société. La cathédrale elle-même aurait pu être construite sur une mosquée, mais rien n'est moins sûr car l'orientation ne correspond pas. En revanche, après sa reconstruction à cause du séisme, une étoile de David et une inscription romaine ont été rajoutée à sa base. Maintenir la symbolique est très important.

Nous nous enfonçons davantage dans le vieux quartier de l'Alfama, qui est donc le plus vieux de Lisbonne. Nous continuons à prêter attention aux détails: le symbole de la ville fait d'une caravelle et de deux corbeaux, une synagogue cachée, les nombreux patios qui ont été créés car les femmes musulmanes devaient attendre leurs maris "dans" leur maison ... Rodrigo nous explique aussi le système de noms au Portugal. Il est courant d'avoir quatre noms de famille, deux du père et deux de la mère qui s'ajoutent. Mais avant, on pouvait garder autant de noms qu'on le voulait, et même maintenant certains habitants ont toujours des noms à rallonge, comme la mère de Rodrigo qui en a une dizaine! Il nous dit descendre de la famille royale, mais un peu comme tout le monde ici. Dans son identité complète, il a aussi un nom juif, venant d'un arbre. On choisit ceux que l'on fait apparaître sur sa carte d'identité, et une fois que c'est fait, il faut toujours signer avec tous ceux que l'on a choisi. Ce système compliqué tient lieu d'arbre généalogique vivant.

Au détour d'une rue, Rodrigo nous emmène dans une échoppe de ginjha improvisée. Il faut toquer à la vitre, et le propriétaire de la maison, malvoyant, nous verse un petit verre de liqueur faite maison moyennant un euro. Authentique!

Nous terminons la visite au Miradouro de Santa Luzia, j'aurais aimé que la visite dure toute l'après-midi ... Mais il me reste des choses à voir de mon côté, que nous n'avons pas exploré. Notamment la rue Beco do Surra, l'une des plus photogéniques du quartier, le Panthéon où sont enterrés Amália Rodrigues la diva du Fado, des présidents, des journalistes et un footballeur, et l'église de Sao Vicente de Fora, à côté de laquelle se tient le "marché des voleurs" qui est en fait un basique marché aux puces qui à mes yeux n'a rien d'extraordinaire. Mon tout dernier stop est le Miradouro da Graça, d'où la ville s'offre aux yeux des courageux qui sont montés jusqu'ici.

 Santa Luzia
 Santa Luzia (n'oubliez pas de cliquer sur l'image)
 Miradouro da Graça

Après le repas, je file à la Sociedade de Geografía de Lisboa, tout ça pour découvrir qu'elle est fermée. C'est un musée qui retrace l'histoire des découvertes portugaises, avec des cartes et mappemondes d'époque dans un décor digne de Tintin. Quelle déception. J'essaye donc de trouver la plus petite librairie du monde, 3m2 à peine, la Livraria Simao ... Fermée elle aussi. Vraiment pas de chance. Je passe par la casa do Alentejo et son beau patio, puis je décide donc d'aller prendre le tramway à Martim Moniz pour faire un petit bout de chemin sur la légendaire ligne 28. Le wagon passe dans des rues étroites, monte et descend, c'est presque un manège !

Après la dernière session de piscine de l'année probablement, je repars dans l'Alfama dans l'espoir de pouvoir écouter un peu de Fado. Grâce à mes recherches, je me rends au Largo de Sao Rafael où un groupe chante à l'extérieur. Bon, évidemment, il y a maintenant des gens à l'entrée qui demandent à ce que l'on s'asseye pour écouter le concert, mais on peut juste consommer une boisson, et en plus ils offrent des frites. Bon plan ! La diva se nomme Henriqueta Baptista, mais elle n'interprète que trois chansons, à la perfection cependant. L'émotion, le coffre, le timbre y sont. Quelle chouette expérience, je suis contente d'avoir eu le bon timing car elle n'est restée sur scène qu'un quart d'heure. Je crois qu'avant elle, c'était un homme qui chantait, mais je ne sais pas s'il a commencé à 20h ou 20h30.

Et une dernière expérience plutôt insolite ... Je vais manger dans un restaurant chinois clandestin. Enfin ... On le trouve facilement sur Google à "Clandestino illegal chinese restaurant". Il y en avait plusieurs, il fut un temps, mais ils ont dû fermer au fur et à mesure. Normalement, on rentre carrément chez les gens, on va dans leur salon, ils nous montrent un menu, et ils nous font à manger ... Mais maintenant, ce chinois clandestin a beau être au premier étage d'un appartement, dans une grande pièce, on sent qu'il est quand même touristique et faussement underground. Cela dit, c'est tout de même rigolo, et c'est surtout savoureux. A savoir qu'il a un vrai nom, celui de la sauce aigre-douce qui est sa spécialité. Et qui est délicieuse.

• • •

L'avantage du Time Out Market, bien qu'il soit très touristique, c'est de pouvoir goûter facilement à plein de plats différents tout en restant au même endroit, et à proximité de l'hostel. Nous avons donc, ci-dessous: du poulpe avec de petites pommes de terre grenailles et des oignons confits, de la bacalhau à bràs (morue avec des pommes de terre allumettes et à mon grand dam des olives), des sardines grillées, du caldo verde (soupe au chou avec du chorizo dedans), de la cuisine du Mozambique à la Cantinho do Aziz avec un agneau chahati (je ne suis pas sûre du nom mais je ne le retrouve pas), qui est une recette avec une sauce noire à la noix de coco ... aucune idée de comment c'est fait, mais c'est savoureux et très original! Et pour finir, en partant, une petite queijada, tartelette au fromage frais délicieuse. J'ai aussi goûté des croquettes en tout genre, fourrées au thon et tomates confites, au chèvre et oignons ... et des pâtisseries de Sintra fourrées à l'oeuf sucré, que je n'ai pas prises en photo.

• • •

Le séjour à Lisbonne s'achève donc positivement, je ne me suis pas étendue sur les très bonnes soirées que j'ai passées là bas, l'after qu'on a fait dans un appartement mais duquel je ne suis pas rentrée trop tard pour pouvoir visiter le lendemain sans gueule de bois, l'équivalent du Shannon ... Lisbonne se distingue de Porto car elle fait plus large et lumineuse, de par les tons pastels de ses bâtiments, ses collines encore plus hautes, ses plus nombreuses lignes de tramways et son ambiance. J'avoue que j'ai beaucoup aimé mon séjour grâce à l'hostel, la piscine, et le Time Out Market juste à côté. Il y a plein de choses que je n'ai pas visitées, comme des musées ou encore d'autres couvents, mais au bout d'un moment il y a plein de choses que j'ai faites en mieux ailleurs. C'est une ville qui donne envie que l'on y revienne passer du temps, probablement post-covid et sans restrictions étranges, qui rendent la bière illégale après 1 heure du matin, ce qui fait que des hommes viennent vendre des petites bouteilles sous le manteau, comme de la drogue! Epoque curieuse ...

4

Quarante minutes de train depuis la gare du Rossio: il suffit de si peu pour arriver dans ce petit village, lieu de villégiature de la noblesse portugaise et anglaise en son temps, et ... lieu de villégiature actuelle des riches portugais. A l'arrivée à la gare, il y a bien une boutique de location de vélos mais surtout de scooters ... qui est fermée. Bon, on ne peut pas trop se débrouiller par nous-mêmes, ici. Un réseau de bus est mis en place pour circuler entre les différents points d'intérêt de la ville, et ils sont multiples! Le plus connu est bien sûr le Palais de Pena, mais on peut y découvrir bien d'autres trésors, qu'il va falloir caser dans un emploi du temps serré. En effet, autant le bus qui va à Pena passe toutes les 20 minutes, autant l'autre qui va vers deux autres endroits intéressant passe ... toutes les heures, alors qu'il est annoncé toutes les demi-heures. Gros point noir dans la stratégie. Et puis, le prix d'un trajet est incroyablement cher: 5 euros. En plus il n'y a pas de tarif pour les chômeurs, et ben, on est bien chez les gens de droite, ici. Heureusement (ou pas?), il y a un ticket valable à la journée, pour 15 euros. Il va vite s'amortir.

Vu l'heure, c'est à dire le début de matinée, je ne vais pas visiter Pena tout de suite car il va y avoir du monde. J'opte pour la visite du palais de Monserrate, excentré et excentrique, de style mauresque.

Il appartenait à Francis Cook, vicomte pendant l'époque romantique anglaise, contemporain de Byron. Durant la Seconde Guerre Mondiale, il servait de manufacture de bandages et d'uniformes. Il accueillait aussi des journalistes, diplomates et musiciens qui fuyaient les Nazis. Même des espions! C'est que Sir Francis Cook avait épousé une suffragette américaine, avocate des droits des femmes, qui lui avait donné un sens de la moralité sociale. Il est racheté par l'Etat Portugais en 1949, puis laissé à l'abandon jusqu'en 2007, où il est restauré à des visées touristiques. Il y a un jardin mexicain, qui est plein d'agaves et de yuccas.

Petit arrêt au Castelo dos Mouros, le château des Maures. Il fut érigé lorsqu'ils conquirent leur partie de la péninsule ibérique. Mais lors de la Reconquista, Alfonse Henriques le prend, le garde et lui apporte des modifications. La légende dit qu'il avait demandé à vingt de ses hommes d'espionner les Maures, et que la Vierge leur serait apparue pour les motiver. Je ne suis pas rentrée à l'intérieur, je ne suis pas allée sur les remparts, pas vraiment le temps ni la motivation.

Et enfin, le Palacio da Pena, le plus connu. Anecdote rigolote, il a été bâti par l'époux de la Reine Marie II de Bragance, Ferdinand II de Gotha - qui avait probablement quelque chose à compenser - et qui était un cousin éloigné de Louis II de Bavière! Le château, souvent comparé à Neuschwanstein, a pourtant été construit 30 ans plus tôt. Il servait de résidence royale jusqu'en 1910. Le roi avait en tête une scène d'opéra, ce qui explique peut-être son côté carton pâte? Décor certes, mais la vue est splendide, et il n'empêche qu'il est construit sur un à-pic vertigineux.

J'ai suivi les conseils d'un guide de Lisbonne, je n'ai pas visité l'intérieur car il n'est apparemment pas aussi exceptionnel que l'extérieur. Il y a des pièces de style indien, arabe ... Mais j'en ai déjà vu bien d'autres. D'ailleurs quelques années en arrière Sintra m'intéressait beaucoup, mais après avoir vu Neuschwanstein, je crois qu'il sera extrêmement difficile de trouver mieux à mes yeux.

Depuis le contrebas du château, on peut prendre une navette gratuite pour traverser le parc jusqu'au chalet de la comtesse d'Edla, et jusqu'à la route. Il est déjà presque 15 heures, je ne sais pas trop quand passera le prochain bus, peut être vais-je encore perdre 20 minutes à l'attendre, et j'aimerais faire un dernier monument qui est sur la ligne qui passe une fois toutes les heures, et ça ferme à 17h30. Je n'aime pas du tout cette organisation et ce timing trop serré. Bon, au moins la navette me fait gagner un temps précieux, nous promène dans le parc comme de vulgaires touristes mais c'est une pause bien méritée. Il y a une petite ferme, des écuries, de petits lacs artificiels, des cèdres immenses, et une sorte de fougère arborescente, si j'ai bien retenu ma botanique réunionnaise.

Le chauffeur nous dépose à l'entrée du petit chalet perdu en plein milieu de nulle part. Il est ... surprenant. Déjà, il est recouvert de liège à l'extérieur, je veux bien que le Portugal en soit un grand producteur mais quand même? Ensuite, c'est un chalet alpin dans une sorte de jardin aux allures de jungle. Et puis à l'intérieur, les pièces semblent être à thèmes. Alors ça, c'est excentrique!

Mais probablement qu'il faut l'être quand on est la propriété d'Elise Hensler, comtesse d'Edla. Née en Suisse, elle émigre à Boston à ses deux ans, au 19e siècle. Elle apprend à chanter le bel canto, se produit à la Scala de Milan, puis dans des théâtres dans toute l'Europe. Ferdinand II la rencontre à Lisbonne et en tombe amoureux. Ils voyagèrent ensemble, et il lui donna son titre. A la mort du roi, elle était son héritière, mais le fils légitime Luis 1e conteste le testament, et obtient gain de cause. La comtesse peut cependant garder son chalet, mais elle finit par le céder en 1904.

Pour rejoindre ma dernière visite, la Quinta da Regaleira avant sa fermeture, je suis un peu embêtée. Le bus ne passe pas, et je crois que je vais rater la correspondance. Mais fort heureusement, il y a un chemin en descente que je peux emprunter pour arriver à son entrée ... Qu'est ce que ça tombe bien! Il paraît qu'on n'a pas le droit de se balader dans les collines à cause des incendies, nous obligeant à prendre le bus ("how convenient!"), mais personne ne me voit. Et je gagne un temps précieux, arrivant bien à l'heure à l'entrée!

Ce domaine là a été acquis par Monteiro au début du 20e siècle, et est pour le moins étonnant. Il est un peu difficile de se dire que tout ça est authentique, car il y a un palais, mais surtout un jardin, qui ressemble à un parc à thèmes car il y a une tour, une petite église, un puits initiatique dans lequel on descend et une fois en bas, on en ressort par un tunnel dans une grotte ... oui oui carrément. En fait les différents endroits sont inspirés des Francs-maçons, des Rosicruciens et des Templiers. Ce qui en fait un endroit carrément fun à visiter.

Il m'aurait fallu plus de temps pour mieux profiter, mais avec toutes ces histoires de bus, ce n'est pas facile. Surtout que comble du comble, le dernier bus qui aurait dû me ramener à la gare ne passe pas, malgré tous les gens qui attendent, et le fait que la Quinta ferme à 17h30. Foutage de gueule. Je rentre donc à pied jusqu'à la gare, passant par le centre ville de Sintra. Je saute dans un train qui part vers Lisbonne Oriente - normalement c'est Lisbonne Rossio, mais je change de train à la station de Benfica. Ca me laisse du temps pour, comme d'habitude, sauter dans la piscine et profiter de la soirée!

5

Au revoir Lisbonne, merci pour ces moments! Et je pars par la grande porte: le pont Vasco de Gama, qui enjambe le Tage sur 12 kilomètres, en direction de ma prochaine étape: l'Alentejo. C'est un peu le grenier du Portugal, car il y a des champs de blé, des vignes, des oliviers, des chênes-lièges ... De la route, on peut voir beaucoup de petites et grandes fermes blanches au beau milieu des vallons. Pas de doute, c'est bien la campagne. Il y a un air de ressemblance avec l'Andalousie, normal.

Les affaires posées à l'hostel, je pars pour un walking tour ... en espagnol, pour en apprendre plus sur l'histoire d'Evora.

C'est une ville qui a été fondée dès l'époque romaine, fidèle à César contre Pompée. Puis les Wisigoths l'ont envahie, avant d'être eux-mêmes boutés hors des murs par les Maures. Toutes les mosquées ont été détruites lors de la Reconquista, et de grandes églises ont été construites, notamment celle de Santo Antão sur la place où nous commençons, la Praça do Giraldo. Ce qui est intéressant à Evora, c'est qu'elle porte encore les traces de sa chronologie partout dans ses rues, ne serait-ce que par rapport à ses arcades: à la fois romanes, gothiques, mauresques, juives ... On reconnaît les mauresques au fait qu'elles soient volontairement imparfaites (seul Allah est parfait!). Cette place était aussi un haut lieu de l'Inquisition: des exécutions et des autodafés y avaient régulièrement lieu. La grande église massive en est le symbole: la religion catholique domine sur un monde que l'on pensait petit mais qui en fait est plus grand qu'on ne le pensait.

L'église São Francisco est aussi un mélange de toutes ces inspirations, elle tenait lieu de rébellion à l'époque de l'Inquisition. Manuel 1e en avait fait sa Cathédrale royale, et c'était un moyen de montrer qu'il était contre le mouvement. Là encore, des autels sont rococos, d'autres sont (simplement) baroques, et d'autres sont plus classiques. Trois artistes différents ont réalisé les autels, d'ailleurs on reconnaît bien le style de chacun. La guide continue d'insister sur "c'est un mélange, una mezcla", oui, on avait compris la première fois.

A part, la Capela dos Ossos de l'église est joliment glauque: bien sûr quand on a déjà vu les catacombes de Paris, on est moins surpris, mais là, les os sont carrément intégrés aux murs, et sont utilisés dans un but décoratif. Le but de cette oeuvre est de rappeler que la vie n'est qu'un passage, et que l'homme finira à l'état de poussière. Ou de mur, semble-t-il. Il y a plusieurs chapelles des Os, mais celle-ci est la plus ancienne, elle est dédiée au culte des âmes du Purgatoire. Il y a une inscription à l'entrée qui, traduite, signifie: "Nous, les os, sommes là pour attendre les tiens".

Deux momies ont été retrouvées, pendues au mur, "entre la Terre et le Paradis", empêchant leur ascension. Elles pourraient être les corps d'un père et son fils qui auraient mal traité leur mère, cette dernière les ayant maudits pour l'éternité. "Puisse la terre de vos tombes ne jamais vous décomposer". Pour rajouter à l'ambiance, des inscriptions à côté des momies ont été retrouvées:

Les crânes sans chair, Sont ma compagnie, Je les emmène nuit et jour Respectant ma mémoire. Beaucoup était respectés Dans le monde pour leurs talents, Et les vains ornements des autres Qui servaient la vanité. Et cela pourrait ... dans l'éternité Etre la cause de leurs tourments.

(Bien sûr, ça rime mieux en portugais).

Le musée de l'église accueille une collection de représentations de la Nativité, de différents pays, de différents horizons, de différents styles ... C'est ... pour le moins original.

Les Franciscains d'Evora se sont installés à l'époque de Saint François d'Assise. Ils n'étaient pas vus d'un très bon oeil au départ, mais reçurent ensuite de généreuses donations, notamment de la famille royale. Evidemment, les moines s'éloignèrent un peu des principes initiaux, c'est à dire d'être des observants, et de vivre dans la pauvreté. Au contraire, ils participaient à la vie de la communauté d'Evora et vivaient dans le "couvent d'or". Les mariages royaux y avaient lieu, l'annexe du couvent fut transformée en palais royal. L'Ordre vécu ainsi dans le respect, jusqu'à l'invasion napoléonienne de 1808, où ils durent envoyer 85 kg de métaux (or, argent ...), qui n'étaient pas absolument nécessaire pour le culte. Ils se firent tuer et piller par l'armée. L'Ordre fut délité en 1834, et le couvent laissé à l'abandon. Il fut racheté en 1892, et restauré.

Le petit centre-ville d'Evora est divisé en deux, par rapport à la Praça do Giraldo: la ville basse était habitée par les Juifs, la ville haute par la noblesse. Les bandes de peinture jaune sont rattachées aux familles juives, car cette couleur représente l'or, et non pas pour la richesse (enfin quoique), mais pour la pureté de la divinité. Le blanc des murs permet de ne pas retenir la chaleur lorsqu'il fait 40 degrés l'été. Nous passons aussi devant l'Igreja da Graça et sa belle façade.

Nous remontons la Rua Cinco de Outubro, pour monter dans la ville haute, jusqu'à la qui ferme juste au moment où nous arrivons. C'est un peu frustrant, surtout qu'il y avait une statue de Vierge enceinte dans l'un des autels.

Evora a gardé un temple Romain, nommé le Temple de Diane. En réalité, on n'a aucune preuve qu'il était bien dédié à cette déesse, mais il s'agit d'une réécriture de l'histoire comme aiment le faire les Portugais: Diane étant une femme indépendante, déesse de la Chasse, ils la choisirent à un moment donné pour représenter la ville, d'une certaine manière. On peut aussi admirer la Pousada dos Loios, et le palais des Ducs de Cadaval (qui ferme aussi tôt). Il y a aussi des thermes romaines.

Finalement, une après-midi était peu, mais il faut dire que le walking tour a pris des plombes et des plombes, et ce n'était finalement pas la meilleure des idées de le rejoindre. Bon, ça m'a fait pratiquer l'espagnol, ce n'est pas plus mal, mais quand bien même notre guide Sandra était sympathique, elle avait tendance à beaucoup se répéter, et comme quasiment tout fermait à 17 heures, et bien il y a des choses que j'ai ratées. Tant pis, après tout ce n'était qu'une petite étape.

• • •

L'Alentejo est l'un des paradis des gourmets. J'ai goûté l'un des plats que j'ai le plus apprécié, la carne de porco a alentejana, qui a pour originalité de servir du porc avec des palourdes. Et des pommes de terre au four. Le vin rouge se distingue aussi, j'ai pris du Reguengos. Il est plus cher qu'en France, cependant. Et pour le lendemain, je prends un Arroz de Pato dans un restaurant qui est cité pour faire le meilleur d'Evora.

6

L'Algarve est connue pour ses falaises ocres, ses flots d'un bleu turquoise, ses grottes, ses spots de surf ... et normalement son beau temps. Un peu moins pour ses orages menaçants, et son trafic aérien qui amène des hordes d'Anglais sur les côtes. Et si vous pensez que j'exagère, allez à Faro, comptez le nombre d'avions qui passent dans la journée, et venez constater qu'il y a un terminal exprès pour tous les vols pour le Royaume Uni! De TOUS les aéroports de Londres.

Cela dit, Faro est une ville plutôt agréable, qui porte les traces de son passé. Si vous avez bien compris, l'Algarve appartenait aux Maures, et ce pendant longtemps, d'ailleurs le mot "algar" qui signifie grotte a été conservé encore aujourd'hui. Mais en se promenant dans les rues, ce qui me surprend le plus, c'est cette architecture qui me rappelle les villes coloniales de l'Asie du Sud Est ... Notamment Malacca, Penang et certains quartiers de Colombo. Mais ça, c'est normal, les Portugais ont dominé cette partie du monde pendant un bon moment! Et ceci explique cela. Rajoutons à cela que les murs de Faro sont attaqués par l'humidité et la sécheresse tout au long de l'été, craquelant les façades et offrant ainsi une vieille ville photogénique.

Et le plus insolite, c'est certainement cette cigogne, seule et dégarnie, qui se tient dans l'un des nids installé sur l'Arco da Vila.

Malheureusement, il me faudra attendre le lendemain avant d'aller faire un tour sur la Ria Formosa, la lagune de la ville. J'avais réservé un tour avec Booking, mais le site a oublié de prévenir l'organisme ... Bravo. Cela dit, j'ai l'option de prendre le ferry en aller-retour, ce qui me coûte moins cher et me permet de faire une croisière improvisée. Ce n'est donc que le jour où il est supposé pleuvoir que je peux m'y rendre ... Ce que je fais. Et finalement, à marée basse, c'est plus rigolo. Le temps est relativement clair au départ, on peut voir des oiseaux et des gens qui ramassent les coquillages et on se croirait presque en Bretagne, quand soudain un violent orage nous tombe dessus ... On se croirait dans une tempête en pleine mer, sauf qu'il n'y a pas de vagues et que nous sommes bien au sec! La pluie fouette les vitres tandis qu'on ne voit plus rien, pris dans la tourmente, mais sans mal de mer. On ne pouvait demander mieux. Arrivés à l'Ilha Deserta, qui ne l'est pas tant que ça puisqu'il y a un restaurant, le temps s'est subtilement amélioré, mais pas de quoi y passer un bon moment. Je suis contente d'avoir prévu mon planning comme ça. Le soleil finit par repointer le bout de son nez au détour d'un nuage, et la lagune se livre à nouveau à nous. En fait, cette expérience était bien plus intense que prévue!

Maintenant, je vais chercher ma voiture de location pour pouvoir me promener à ma guise sur la côte. Mon premier stop est Portimão, station balnéaire qui est encore plus prisée que Faro, mais qui pourtant n'a rien d'extraordinaire. Ce n'est pas tant la ville elle-même qui m'intéresse, mais la vue sur le petit village de Ferragudo depuis la marina. En vérité, cela ne change pas grand chose. Je reviens vers Carvoeiro, autre petit village niché entre les falaises, dans l'espoir de partir pour visiter la fameuse grotte de Benagil, car le temps est un peu plus clément. Mais pas l'océan ... de furieuses vagues déferlent sur la plage, et quand on voit les petites barques qui sont censées nous emmener dans la grotte, on comprend pourquoi aujourd'hui, tous les tours ont été annulés ... Bon, il va falloir tirer un trait dessus, quel dommage car c'est vraiment LE symbole de la région. A la place, on va faire des photos de vagues, en suivant le chemin de l'Algar Seco. C'est une vue pour le moins magnifique, quand bien même une averse vient me tremper de la tête aux pieds. L'écume s'écrase sur les falaises, giclant comme un feu d'artifice aquatique. Les courants sont si forts que les vagues semblent même se battre entre elles.

Une soixantaine de kilomètres plus loin, je suis maintenant à Lagos, et plus précisément à la Ponta da Piedade. C'est un superbe point de vue sur d'autres falaises, qui rappellent un peu Etretat mais en version plus orangée.

Le lendemain, avant de prendre mon avion, j'ai encore le temps d'aller voir l'Igreja do Carmo, et comme j'ai soit un billet de 20 euros soit un euro, le gars de l'entrée me fait un tarif étudiant. Ouf, ça aurait été bête de manquer les dorures de l'intérieur! Et une autre Capella dos Ossos, cependant moins impressionnante que celle d'Evora. Je termine ma visite de l'Algarve par un saut au palais d'Estoi, qu'on ne peut pas visiter car il a été converti en hôtel.

• • •

Pas de repas au restaurant sur Faro, mais un test de délicieuses pâtisseries de l'Algarve. D'inspiration arabe, elles sont souvent à la pâte d'amande, et aussi aux oeufs, au miel ... C'est le cas de l'Olho de Sogra, et du Dom Rodrigo.

• • •

Et le séjour s'achève ... J'ai beaucoup plus aimé le Portugal que prévu, qui offre une véritable différence culturelle d'avec l'Espagne, tout en partageant des points communs notamment au niveau des paysages, de la gastronomie de certains endroits (surtout l'Alentejo), mais en parlant de nourriture, j'ai beaucoup plus aimé leurs menus que ceux de leurs voisins. Bien sûr c'est un peu gras, mais ça l'est toujours moins qu'à côté. Les pâtisseries, notamment, sont bien plus travaillées que leurs équivalents espagnols. Et les azulejos! Bien sûr on en trouve en Andalousie, mais là, on parle de tout le territoire portugais, une réelle identité. La langue elle-même est plus douce à l'oreille que l'espagnol, et étonnament la prosodie se rapproche de celle du français, créant souvent des hallucinations auditives. C'est vraiment un pays qui me donne envie d'y retourner, à l'occasion. Et à l'heure où j'écris ces lignes, j'ai été testée négative au covid, ce qui signifie qu'il ne faut pas s'empêcher de voyager tant qu'on le peut, mais qu'il en va de sa propre responsabilité de respecter les gestes barrières. Et avec ça, un jour, le monde rouvrira!